CRISE DE LA VACHE FOLLE ET COORDINATION DE LA FILIERE

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CRISE DE LA VACHE FOLLE ET COORDINATION DE LA FILIERE
1ERE JOURNEE DE RECHERCHE RELATIONS ENTRE
INDUSTRIE ET GRANDE DISTRIBUTION ALIMENTAIRE
JEUDI 29 MARS 2007, AVIGNON
CRISE DE LA VACHE FOLLE ET COORDINATION
DE LA FILIERE DE LA VIANDE BOVINE FRANCAISE
Gilles MAROUSEAU
Maître de Conférences en Sciences de Gestion
GAINS/ARGUMANS
Ecole Nationale Supérieure d’Ingénieurs du Mans (ENSIM)
[email protected]
Résumé
La médiatisation en 1996 d’un risque de transmission de la maladie de la vache folle à l’homme a engendré a
engendré deux importantes crises du marché de la viande bovine (en 1996 et en 2000) du fait de la perte de
confiance des consommateurs. Face à ces crises récurrentes, les producteurs doivent renouveler leur approche du
consommateur ainsi que l’organisation de la filière afin de proposer des produits d’une qualité et d’une sécurité
sanitaire irréprochables.
Pour comprendre cette évolution, notre étude se propose d’analyser comment la prise en compte du risque
alimentaire modifie le comportement des clients en matière de consommation de produits agro-alimentaires.
Puis, nous essaierons de qualifier les nouvelles pratiques utilisées par la production dans le secteur de la viande
bovine afin de se prémunir face à ces crises.
La méthodologie retenue pour cette analyse s’est appuyée sur une revue de la littérature scientifique et
managériale ayant trait à la confiance du consommateur afin d’en cerner les déterminants en matière de produits
alimentaires. Puis, à l’aide d’une approche utilisant les conventions de qualité et une démarche exploratoire,
nous caractériserons l’évolution des dispositifs de maîtrise de risque permettant de restaurer un lien de confiance
durable entre producteurs et consommateurs.
Ce changement sera synthétisé à l’aide de deux dimensions : la première dimension reprend l’analyse des formes
relationnelles existant entre le marché et la hiérarchie selon l’apport de Williamson tandis que la seconde met en
évidence la distribution du pouvoir de négociation du fait de l’asymétrie d’information dans les échanges. Il
s’ensuit une représentation typologique permettant de visualiser la dynamique des rapports de force entre
producteurs et distributeurs.
Le principal résultat de cette recherche montre que la sécurité alimentaire s’articule autour d’une coordination
des différents acteurs de type partenarial, ce qui aboutit à la création de véritables “filières”. Ce concept
classique en management stratégique est ici réactualisé car, à des logiques de construction de nature économique
ou technologique, nous ajoutons une troisième logique à dominante de sécurité.
Notre étude se déroule suivant un plan en deux parties. Dans un premier temps, nous examinerons l’évolution de
la société de consommation due à l’émergence d’une culture du risque alimentaire et à l’apparition récurrente de
crises faisant apparaître un nouveau comportement du consommateur partagé entre le risque et la confiance.
Puis, dans un second temps, nous montrerons que la restauration de la confiance passe par l’organisation de la
filière viande bovine au travers de diverses coordinations permettant de gérer et de maîtriser le risque de sécurité
sanitaire des aliments.
En conclusion, les implications managériales de cette étude conduisent au constat que les firmes doivent agir
collectivement sur le produit et le processus de production pour apporter au consommateur des aliments de
qualité, au-delà de ce qu’imposent les réglementations administratives. En construisant simultanément des
signaux de qualité de nature industrielle mais aussi domestique, la filière viande bovine se positionne résolument
dans la maîtrise des risques et la reconstruction d’une confiance qu’elle espère durable.
Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon
La sensibilité du lien entre aliment et santé chez le consommateur s’est exacerbée depuis la
médiatisation de la transmission de la maladie de la vache folle à l’homme en 1996. Cette
révélation a engendré de multiples déséquilibres de marché du fait de la perte de confiance
des consommateurs. Ces moments de “crises alimentaires fournissent une occasion unique
pour analyser les réactions des consommateurs face aux risques sanitaires et à l’information
sur ces risques” (Adda, 1999). Face à un nouveau comportement de consommation, les
acteurs tant producteurs que distributeurs sont obligés de repenser leur stratégie en essayant
de restaurer une relation de confiance grâce à la restructuration de la filière.
“Dans l’histoire des collectivités, les peurs se modifient, mais la peur demeure” (Delumeau,
1987) et l’histoire des hantises alimentaires nous apprend que “la peur de manquer” ainsi que
“la peur d’attraper les maladies animales” caractérisent notre civilisation. Cependant, le XXe
siècle marque un nouvel ordre alimentaire caractérisé par les progrès de la science, des
techniques et de la médecine ainsi que par l’intervention de l’Etat, le rôle de la presse et la
présence du consommateur. Comme le montre Madeleine Ferrières (2003), nous sommes
passés de “la peur de manquer” à “la peur de manger”.
L’objet de notre étude est de préciser comment la prise en compte du risque alimentaire chez
le consommateur a modifié l’organisation de la filière de la viande bovine française. Si le
domaine de la confiance en matière alimentaire est un thème émergent (Filser, 1998 et 2001,
Guibert, 1999), nous constatons que les études conduites en sciences de gestion “privilégient
la confiance dans la marque, qui ne constitue pourtant que l’un des éléments de la relation
entre le consommateur et les produits” (Sirieix et Morot, 2001). Or, comme nous le verrons
par la suite, le marché de la viande est peu segmenté, ce qui prive la filière d’un outil
marketing essentiel.
Notre recherche s’est déroulée selon une procédure en deux étapes. Tout d’abord, nous avons
pratiqué une recherche documentaire académique et managériale afin de préciser les notions
de risque alimentaire et de confiance du consommateur à partir des apports de l’Economie des
Conventions. Puis, nous avons pratiqué une étude des acteurs agroalimentaires à l’aide
d’entretiens semi directifs visant à éclairer certaines démarches spécifiques en utilisant les
travaux sur les formes relationnelles de Williamson (1975, 1985).
Dans un premier temps, nous analyserons les liens existants entre les notions de risque et de
confiance dans le domaine alimentaire afin de comprendre le comportement du consommateur
et les voies possibles de restauration de sa confiance. Puis, dans un second temps, nous
examinerons comment les producteurs et les distributeurs adoptent de nouvelles structurations
de filière afin de maîtriser le risque.
1 - UN CONSOMMATEUR PARTAGE ENTRE LE RISQUE ET LA CONFIANCE
1.1 - Un nouveau comportement du consommateur marqué par la peur
1.1.1 - La peur de consommer
Lorsque nous examinons le marché de la viande en France depuis une dizaine d’années, force
est de constater que les évènements cités en introduction ont suscité une réserve, sinon une
peur, dans l’acte de consommer. Marc Filser estime que “l’une des forces qui modèlent en ce
moment le comportement du consommateur, c’est la peur” (Filser, 1998). Il rejoint en cela les
sociologues Ulrich Beck (2001) et Antony Giddens (1994) qui déclarent que nous sommes
entrés dans l’ère du risque : l’universalisation du risque et sa perception ont conduit nos
concitoyens à diaboliser les nouvelles technologies en devenant hostiles à une science qui
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poserait plus de problèmes qu’elle n’en résout. Notre perception de l’ordre social s’est trouvée
modifiée : celui-ci ne repose plus sur l’échange des seuls biens, mais plutôt sur l’échange des
biens et des maux qui les accompagnent (Beck, 2001).
“A la gestion sociale et administrative d’un risque accepté et géré comme contrepartie du
progrès, se substitue, peu à peu, une démarche de précaution” (Martin, 1998). Il convient de
prendre en compte non seulement les risques prévisibles mais aussi les risques incertains. Le
risque n’est plus alors une donnée prétendument objective que l’on contrôlerait par des
mesures de prévention, mais le résultat d’une construction “sociale” à partir d’une réalité
complexe, d’où l’omniprésence du risque dans notre imaginaire collectif.
1.1.2 - Le risque alimentaire
Cette évolution de l’opinion prend une dimension toute particulière en matière d’alimentation.
Source de vie, l’aliment serait devenu source de déséquilibre et son lien avec la santé ne cesse
d’être renforcé. Les enquêtes de consommation nous le disent : “on ne se nourrit plus
seulement pour s’alimenter mais pour faire du bien à son corps. La contrepartie est qu’un
doute sur la santé entraîne une réaction très vive des consommateurs” (Rochefort, 1997 - voir
également CREDOC, 1997 et IPSOS, 2000).
De ce fait, la nutrition est en passe de devenir une véritable obsession : “le vrai phénomène
marquant de notre époque est l’angoisse des consommateurs devant les risques supposés que
leur fait courir l’alimentation” (Guillon, 1996). Le risque alimentaire devient multiforme et
devient de plus en plus complexe (Fischler, 1990). Le sociologue Denis Duclos parle même
d’une “psychose se fondant sur la conviction que les rapports de l’homme avec la nature sont
de plus en plus pervertis” (Duclos, 2000). Le risque alimentaire est donc soudainement entré
dans la catégorie des risques “majeurs” pour l’Homme (Wolfer, 1999, Assemblée Nationale,
2000) car il est perçu comme un risque vital (Bergadaà et Urien, 2006).
1.1.3 - Les crises des marchés alimentaires
La traduction de cette nouvelle peur liée à l’alimentation débouche sur des “crises” c’est-àdire de soudaines et brutales chutes des volumes de transaction sur un marché. Si le risque est
un danger potentiel ou une menace qu’une industrie a la probabilité de subir dans une activité
donnée et a le statut de “menace”, la crise en est la manifestation effective, marquant un
changement brusque, une rupture d’harmonie et une menace de destruction (Louart, 1999).
Du point de vue du consommateur, la crise “alimentaire” peut donc être appréhendée comme
un état interne résultant de la perception et de l’internalisation d’une information sur un fait
médiatisé tel qu’un incident, une rumeur, un scandale concernant la fabrication ou la
consommation d’un produit. Il s’agit d’un “état ressenti par le consommateur, suscité par un
événement déclencheur, composé d’éléments cognitifs et affectifs et susceptible d’évoluer
rapidement” car le ressenti de crise s’inscrit dans un processus dynamique (Muraro-Cochart,
2000).
La révélation d’un risque associée à un sentiment de rupture et de remise en cause de
certaines valeurs entraîne une perception exacerbée du risque réel, ce qui explique le
surdimensionnement des réponses (certains auteurs parlent même de psychose collective Duclos, 2000, Kapferer, 2000). Le mécanisme d’une crise alimentaire suppose une grande
incertitude des connaissances et le sentiment par les consommateurs qu’il existe un arbitrage
défavorable à la Santé du fait de l’importance des intérêts économiques ou industriels en jeu
(Dab, 1997). Cet assemblage conduit à des situations où coexistent un manque profond
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d’informations utiles et une forte médiatisation. Il se produit alors un décalage entre la crainte
du risque et son ampleur réelle.
1.1.4 - L’exemple du marché de la viande bovine
L’année 1996 marque un tournant dans l’histoire de la consommation de viande car jamais
dans l’histoire de la distribution, un marché de la taille de celui de la viande bovine ne s’était
écroulé de plus de 30% en l’espace d’un jour. Toutefois, si la médiatisation de
l’Encéphalopathie Spongiforme Bovine (E.S.B.) ou maladie de la “vache folle” a servi de
révélateur, les raisons de cet effondrement étaient sous-jacentes depuis longtemps du fait d’un
déclin structurel de la consommation.
tableau 1 : Historique de la consommation de viande en France
en milliers de Tonne Équivalent Carcasse
1992 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005
Boeuf 1706 1539 1568 1615 1640 1549 1530 1696 1670 1646 1676
Volaille 1207 1477 1469 1485 1458 1497 1581 1513 1446 1456 1439
Porc
2011 2097 2071 2238 2222 2180 2220 2228 2154 2187 2140
Source OFIVAL 2006
Ce premier tableau marque particulièrement la “volatilité” du marché de la viande bovine
depuis 1996 (et, à un degré moindre, celui de la volaille) alors que le marché de la
consommation de porc est d’une remarquable stabilité. Pour information, nous avons fait
figurer les données de 1992, année “classique” de fonctionnement des marchés.
Dès 1970, Akerlof avait théorisé cette perturbation dans le fonctionnement d’un marché à
l’aide des “lemons” (automobiles d’occasion) en montrant qu’une incertitude sur la qualité
des produits introduisait une asymétrie d’information, les clients n’ayant connaissance que
d’une qualité moyenne alors que les vendeurs possèdent une information spécifique. Cette
asymétrie pouvait faire disparaître le marché en gênant les transactions (Akerlof, 1970). Il
n’est donc pas étonnant que les remèdes aux crises alimentaires (étudiés en seconde partie)
s’éloignent du fonctionnement du marché pour aborder les notions de conventions, de
coordinations ou de hiérarchies. Nous passons ainsi d’un marché “en crise” à une “crise” du
marché (Marouseau, 2002).
1.2 - Le besoin de confiance du consommateur
1.2.1 - La confiance, une notion multidimensionnelle et polysémique
La notion de confiance a été examinée dans de multiples perspectives sociales (Lewicki et
Bunker, 1995). “D’un point de vue théorique, la confiance avant tout est fille de l’incertitude”
(Coriat et Guennif, 2000). Si nous acceptons l’hypothèse d’Arrows (1976) selon laquelle la
confiance est une “institution invisible” au même titre que les principes éthiques et moraux,
alors nul besoin de définir cette dimension : elle ne serait qu’un facilitateur des échanges et le
marché serait alors doté de toutes les institutions nécessaires pour jouer son rôle.
En revanche, si les agents agissent en incertitude, nous avons la preuve d’une défaillance du
marché puisque les ajustements du marché ne conduisent pas nécessairement à l’optimum et
la confiance joue alors un rôle majeur qu’il convient d’expliciter. Selon Fukuyama, la
confiance entre acteurs est un facteur central de la performance économique des entreprises
ainsi que de leur capacité à développer des systèmes complexes d’organisation ou de
coordination (Fukuyama, 1994).
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1.2.2 - Confiance et approche conventionnaliste
Afin de cerner au mieux ce qui environne la transaction marchande classique, nous pensons
qu’il est judicieux et fécond de se pencher sur les travaux de l’Économie des Conventions.
Comme le montre Eymard-Duverney (2000), la confiance enrichit les notions de rationalité
(l’action ne relève pas intégralement d’une anticipation rationnelle) et d’institutions (les
comportements ne sont pas déterminés par la seule force contraignante des institutions). Dans
une organisation ou dans un système d’échanges socio-économiques, la réduction de
l’incertitude liée au comportement d’un acteur passe par la contrainte de ce comportement au
travers d’un système de gouvernement et d’un système disciplinaire formel (la loi) ou
informel (confiance et réputation). Dans ce contexte, “les coordinations économiques entre les
opérateurs des filières se modifient en profondeur” (Raynaud et al., 2005).
A la suite de Boltanski et Thévenot (1991) et d’Orléan (1994a, 1994b), les travaux d’EymardDuverney (1989) et Biencourt et al. (2001) ont montré que l’échange se fonde non seulement
sur le prix mais aussi sur des “conventions de qualité” du produit, ce qui constitue en quelque
sorte l’environnement de la transaction. Un acteur peut échapper à de multiples états
d’incertitude en observant autour de lui l’énoncé et les modalités de ces conventions, terme
fédérateur d’une entente collective (Amblard, 2003).
Nous pensons que ces conventions offrent trois vecteurs de restauration de la confiance des
consommateurs. La première convention dépend du jugement des offreurs et des demandeurs
et opère par l’intermédiaire du prix. Il s’agit de la convention classique dite “marchande” mais
elle ne peut jouer que lorsque le marché fonctionne normalement grâce au subtil jeu des
élasticités. En revanche, lorsque le marché est en crise, une baisse de prix est insuffisante pour
maintenir les volumes d’échanges.
Mais la transaction peut être appréhendée différemment, à partir d’une norme par exemple.
Nous entrons à ce moment-là dans un autre type de convention de qualité dite “convention
industrielle” car, face à une incertitude concernant un produit, le consommateur aura tendance
à se référer non plus au prix mais à l’existence d’un label ou d’une certification traduisant un
respect de standards industriels de production. A la lumière de cette analyse, nous
comprenons mieux les diverses tentatives menées en matière de certification : créer les
conditions d’une acceptation et d’une compréhension plus large des certifications (et ainsi
améliorer la visibilité de ces dernières) est aujourd’hui devenu une étape cruciale pour donner
confiance à une partie plus importante de la population.
Cependant, cette convention industrielle ne constitue pas la seule approche non marchande de
la transaction. En effet, l’existence de liens personnels et durables entre les acteurs
économiques peut jouer un rôle complémentaire. Ces “conventions domestiques” sont la base
du mouvement actuel de fidélisation de la clientèle par une pratique de marketing relationnel.
Ceci nous amène à examiner la confiance sous l’angle de la répétition des transactions.
Dans une perspective dynamique, cette répétition ne s’effectue pas à l’identique mais elle
incorpore un apprentissage et une expérience qui définissent une interaction qui se
“caractérise par le fait qu’elle livre du sens et de l’information supplémentaire sur le
comportement du partenaire” (Coriat et Guennif, 2000). Ainsi, la relation de confiance entre
deux agents résulte d’un processus : elle se construit sur la base de la réciprocité et sert de
base à la réputation. Cette confiance “se construit lentement mais elle se détruit rapidement”
(Usunier et Roger, 1999). Cette répétition des relations sert souvent de fondement pour une
convention de qualité domestique.
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Cette interaction nous conduit à supposer que les acteurs économiques ne prennent pas leurs
décisions en faisant abstraction des relations sociales, ce qui conduit à des pratiques
“institutionnalisées” c’est-à-dire introduites pour d’autres motifs que la seule rationalité des
marchés. Les choix effectués par le consommateur ne sont plus seulement le résultat d’un
ajustement à des contraintes économiques mais aussi le résultat d’un processus social (Di
Maggio et Powell, 1983, Scott, 1995). Nous rejoignons ici la notion “d’encastrement” du
mouvement néo-institutionnaliste et notamment du sociologue Granovetter (1985).
Ainsi, nous passons de la confiance “interpersonnelle” à la confiance “institutionnelle”
reposant sur des systèmes formels de procédures et de normes (Zucker, 1986). Ces démarches
de certification peuvent émaner d’organismes certificateurs. Elles peuvent également adopter
la forme de “codes de conduite” ou de “chartes” pouvant prétendre à jouer un rôle de label.
Nous retrouvons ici la base des conventions de qualité industrielles.
2 - COMMENT S’ORGANISER POUR RESTAURER LA CONFIANCE
Dans la première partie, nous avons esquissé le nouveau rapport des consommateurs à
l’aliment et nous avons entrevu des voies théoriques de restauration de la confiance. Il
importe maintenant de repérer les solutions mises en place par les offreurs. Dans une logique
de construction conjointe de valeur ajoutée et de sécurité alimentaire, nous verrons comment
cette politique de maîtrise du risque conduit à de nouvelles formes de coordination impliquant
le produit et le processus de production.
Pour une entreprise, la crise se rattache à une situation d’incertitude quant aux décisions à
prendre et elle révèle des menaces ou dangers qui peuvent se transformer, après la
déstabilisation du marché, en une source d’opportunité (Lagadec, 1991, Lehu, 1998). Ce point
de vue est le plus couramment exposé dans la littérature de gestion mais le risque est moins
une donnée objective, mesurable et donc contrôlable qu’une donnée subjective, souvent
incompréhensible et parfois qualifiée par les entrepreneurs d’irrationnelle. L’étude du
consommateur vue en première partie a ainsi un rôle fondamental à jouer dans la prévention
ou la maîtrise des crises alimentaires : il ne s’agit pas seulement d’un problème d’ingénieurs
qualité de la production puisque ces crises remettent en cause les plans marketing (Louppe et
Hermel, 2002).
2.1 - La situation en 1996 avant le choc de l’E.S.B.
L’histoire des relations producteurs/distributeurs en matière de viande bovine jusqu’en 1996
est marquée par la rationalisation des systèmes d’approvisionnement de la grande distribution
qui abandonne, dans un premier temps, la fabrication de la viande hachée puis, dans un
second temps, les carcasses au profit du muscle sous vide. Cette évolution s’effectue dans un
contexte de concurrence et de saturation des marchés : cela conduit la distribution à être
vigilante quant aux prix et à privilégier peu à peu un approvisionnement hors de l’hexagone,
du fait de la forte sensibilité des consommateurs aux prix (Pras, 1997) et à la volonté des
distributeurs de maintenir leurs marges en viande bovine.
En 1996, “les Grandes et Moyennes Surfaces (GMS) regroupent 9000 magasins disposant
d’un rayon boucherie, dont les deux tiers de l’activité sont en libre service” (Mainsant, 1996).
Elles contrôlent 73% des ventes de boeuf aux ménages soit 53% de la consommation totale
(contre 22% seulement pour les bouchers détaillants et 25% pour la restauration hors foyer).
Depuis, l’importance des GMS est restée primordiale dans la distribution de viande bovine
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même si les crises de la vache folle de 1996 et 2000 ont entraîné une baisse des volumes de
vente. Dans ce contexte, en 2005, la part relative des GMS s’est améliorée à 55% de la
consommation totale, celle de la restauration hors foyer à 28% tandis que celle des détaillants
bouchers ne représente plus que 17% (Source OFIVAL, 2006).
Les produits vendus en GMS sont principalement une offre en rayon de viande fraîche
banalisée et vendue sous l’étiquette de l’enseigne. Cette offre représente 69% des volumes et
elle doit répondre à des exigences propres à la distribution : viande bien rouge, en muscle, en
portion de poids standard et facile à travailler par une main d’oeuvre salariée. Parallèlement,
nous trouvons de la viande hachée (15% des volumes en haché frais et 16% en surgelé) que
les GMS ne fabriquent plus depuis le début des années 1970, préférant recourir à des
industriels qui trouvent ainsi un moyen pratique de valoriser les quartiers avants des vaches de
réforme (Mainsant, 1996).
Ainsi, au sein de la filière viande, nous pouvons détecter non seulement des logiques
d’affrontement mais aussi des logiques de coopération qui s’avèreront fort utiles pour
restaurer la confiance des consommateurs envers la viande bovine.
2.2 - Pratiques industrielles afin de maîtriser le risque
2.2.1 - Conventions domestiques : origine du produit et marque
L’analyse de la maîtrise du risque par les acteurs de l’agroalimentaire peut s’appuyer sur les
conventions de qualité telles qu’elles ont été définies précédemment (voir 1.2.2). Si le recours
aux conventions marchandes est généralement inefficace (un prix élevé ne suffit pas à rassurer
le consommateur), la première action consiste à développer les conventions domestiques.
Cette démarche repose sur une information qui définit l’origine d’un produit mais pas
toujours la qualité ou la sécurité : pour que le client “construise” cette association, il convient
de réintroduire du qualitatif (l’âme du produit) dans le quantitatif (intégré dans le prix) sur la
base de labels d’origine en s’ancrant dans la tradition et le terroir ( Neuville, 1997, Sylvander,
1998). Par rapport aux autres viandes, les producteurs et les distributeurs doivent légitimer la
cherté du boeuf, ce qui suppose une revalorisation de l’image de l’offre en magasin par la
“théâtralisation” des rayons car “il existe un décalage entre la présentation de la viande en
magasin et les attentes des jeunes générations”, lesquelles souffrent d’un manque de
connaissances concernant les types de viandes et le goût des différents morceaux (Bigard,
2006).
En gestation depuis le début des années 1990, la crise de l’E.S.B. a donc précipitée les
stratégies de différenciation au travers d’une “signalisation” de la qualité via l’origine des
viandes bovines. Les signes officiels “VBF” (Viande Bovine Française) et “CQC” (Critères
Qualité Certifiés” instaurés dès le début de la crise de l’E.S.B. ont ainsi non seulement permis
d’informer le consommateur mais surtout d’inverser la tendance à l’importation de viande de
la part des distributeurs (Sans et al., 2002).
De plus, du fait de leur origine, certains produits présentent “un caractère typique ou innovant
contribuant à renforcer l’originalité de l’assortiment des distributeurs” (Messeghem, 2003).
Ainsi, les distributeurs ont essayé de différencier leur rayon boucherie en renforçant le
créneau de la viande de qualité supérieure grâce aux races à viande. Auchan a ainsi
repositionné son segment “Boeuf Sélection Auchan” en partie avec l’appellation d’origine
contrôlée (A.O.C.) “Maine-Anjou” (Noury et al., 2005). “Malgré la montée des exigences des
distributeurs, le choix demeure clair pour la clientèle finale entre les races laitières attractives
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pour le prix (le fond de rayon et les promotions) et les races allaitantes de l’offre en viandes
différenciées” (Sans et al., 2002).
Le développement d’une marque est la seconde action possible des producteurs (ou des
distributeurs) pour restaurer la confiance du consommateur dans le cadre des conventions de
qualité domestiques. Hess (1995) ou Gurviez (1999) ont montré que la marque est le facteur
principal de réduction du risque perçu par le consommateur. Toutefois, il convient de
s’interroger sur la spécificité des marchés alimentaires de viande, et notamment celui de la
viande bovine. En effet, contrairement à la plupart des marchés de consommation, nous
pouvons constater une faible segmentation avant 1996 : du fait de son prix déjà élevé, la
viande de boeuf était l’un des rares marchés à ne pas connaître une politique de marque, qu’il
s’agisse de marque de producteur ou de marque de distributeur. En conséquence, les acteurs
de la filière hésitaient (et hésitent encore !) face au montant important des investissements
publicitaires et promotionnels nécessaires.
A titre d’exemples, nous avons rencontré deux tentatives émanant de groupements de
producteurs qui ont créé une marque pour communiquer un signal de qualité et de sécurité aux
yeux du consommateur (exemple du groupe A.B.C. et sa marque “Charal” créée en 1986, ou
du groupe SOCOPA et sa marque “Valtéro” créée à la fin de l’année 2001).
2.2.2 - Conventions industrielles : traçabilité et labellisation
Les chaînes d’approvisionnement agroalimentaires sont régies depuis le 1er janvier 2005, par
le règlement européen “Food Law” (CE) n°178/2002 qui, dans son article 18, instaure une
traçabilité légale : les acteurs de la chaîne doivent être en mesure d’identifier leurs
fournisseurs de denrées et d’ingrédients, ainsi que les clients de leurs produits. De plus, ils
doivent être en mesure d’informer les autorités compétentes sur l’origine des matières
premières et la destination des produits finis afin de prendre toute disposition restrictive
nécessaire en cas d’émergence d’un risque. Cette recherche de transparence stigmatise le
fonctionnement classique du marché qui, du fait de la densité des acteurs et du cloisonnement
des filières, apparaît souvent comme “opaque” (Marouseau, 2002).
Cet effort dans le développement de la traçabilité est souvent une étape pour obtenir une
certification ou un label de qualité, ce qui constitue le second volet d’une convention de
qualité industrielle. Le respect de bonnes pratiques s’intégrant dans une démarche HACCP
(Hazard Analysis Critical Control Points) permet la recherche d’un label de type “Label
Rouge” ou “Agriculture Biologique” (directement compris par le consommateur) ou des
certification de qualité industrielle en production (selon le référentiel des normes Iso 9002) ou
en matière de respect de l’environnement (normes Iso 14000). Cependant, la multiplicité des
labels et des organismes contrôlant la qualité et donc la crédibilité de ces informations est telle
qu’aujourd’hui, le consommateur ne sait pas exactement ce que recouvre chacun d’entre eux.
Aussi, créer les conditions d’une acceptation et d’une compréhension plus large des
certifications (et ainsi améliorer la visibilité de ces dernières) est aujourd’hui devenu crucial
pour donner confiance à une partie plus importante de la population. De plus, si ces labels
prouvent effectivement l’origine du produit ou la conformité d’un procédé d’élevage, ils ne
sont pas des indicateurs spécifiques de qualité ou de sécurité.
2.3 - Vers de nouvelles formes relationnelles entre industriels et distributeurs
A l’instar de la qualité, la sécurité ne se définit plus comme une caractéristique du produit
mais comme une composante d’un problème général de coordination des acteurs. D’une part
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se pose la question de la convergence de perception des risques, d’autre part se pose la
question de la construction de dispositifs organisationnels aptes à générer une maîtrise
efficiente des risques.
Nous entrons ici dans le domaine des relations industrielles qui dépendent du type de
gouvernance des approvisionnements pratiqué par l’enseigne. En effet, si Leclerc et Cora
maintiennent une organisation décentralisée, laissant un rôle essentiel aux chefs de rayons,
Carrefour, Auchan, Monoprix et Intermarché ont opté pour une centralisation des achats, ce
qui permet l’émergence d’une coordination (Sans et al., 2002).
Cette recherche de la maîtrise du risque aboutit à la création de véritables “filières”. Ce
concept classique en management stratégique est ici réactualisé car, à des logiques de
constitution de nature économique ou de nature technologique (définies par Martinet, 1983),
nous ajoutons une troisième logique à dominante de sécurité.
2.3.1 - Les deux dimensions des relations
Afin de mieux appréhender la restructuration des filières centrée autour de la sécurité, nous
avons repris un premier axe (horizontal), issu d’une typologie de gestion de production
énoncée par Asanuma (1989) et développée en secteur viande bovine par Bouvier-Patron
(1998), De Fonguyon et Sans (1999) et généralisée en secteur agro-alimentaire par Raynaud
et al. (2005).
Cette dimension présente les formes relationnelles existant entre le marché et la hiérarchie
(selon l’apport de Williamson, 1975 et 1985). “Pour signaler et garantir la qualité aux
consommateurs, le titulaire d’un signe de qualité doit être en mesure d’évaluer la qualité le
long de la filière, d’élaborer un cahier des charges, de se prémunir contre les risques de
défauts, etc... La maîtrise de la qualité dans les filières est un des déterminants des modes de
gouvernance” (Raynaud et al., 2005). En conséquence, le choix du mode de gouvernance fait
par le titulaire d’un signe de qualité est donc variable : si le signe de qualité est une marque, il
existe une tendance à aller vers des formes relationnelles penchant vers la hiérarchie, surtout
si un distributeur appuie fortement cette démarche. En revanche, si le signe de qualité est un
label officiel, les transactions peuvent continuer à être coordonnées par le marché (Raynaud et
al., 2005).
Notre apport consiste principalement à créer une grille de lecture à l’aide d’un second axe
(vertical) mettant en évidence l’asymétrie d’information dans les échanges et la distribution
du pouvoir de négociation. Comme l’a montré Messeghem (2003), les “principales sources de
pouvoir sont ici l’expertise (l’accès à l’information), la récompense (poursuite de la relation)
et la sanction (déréférencement)”. Il s’ensuit un rapport de force entre producteurs et
distributeurs qui a profondément varié depuis la crise de l’E.S.B., ce qui influence le mode de
gouvernance de la filière et l’indépendance des différentes parties. Cette typologie des formes
relationnelles conduit au tableau suivant :
Tableau 2 : formes relationnelles des achats de viande en grande distribution
V - INTEGRATION
IV – PARTENARIAT
Distributeur fort
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Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon
Influence Distr.
Neutralité
III - REFERENTIEL
IMPOSE
I - SPOT
Influence Prod.
Producteur fort
Influence/forme Marché
"pur"
II – REFERENTIEL
APPROUVE
VI - PRODUITS
SPECIFIQUES
Marché
faiblement
coordonné
Marché
coordonné
Marché
fortement
coordonné
Hiérarchie
coordination
interne
2.3.2 - Evolution des formes relationnelles
Cette représentation en deux dimensions permet de comprendre l’évolution récente des
formes relationnelles qu’il convient maintenant d’expliciter.
I - La première forme concerne l’achat “Spot”, ce qui correspond aux achats faits par les
distributeurs auprès de fournisseurs non préalablement référencés. Cette forme pure de
marché est en forte régression depuis 1996 car la maîtrise de la sécurité n’est pas
suffisamment assurée. Elle a donc pratiquement disparu chez les distributeurs, même si
certains transformateurs pratiquent marginalement ce type d’achat pour compléter leur
approvisionnement.
II - L’achat en sous-traitance “Référentiel approuvé” se fait sur la base d’un cahier des
charges technique fortement inspiré par un groupement de producteurs ou un transformateur.
L’objectif est de segmenter le marché en émettant un signal de qualité. Le producteur à
l’origine de cette initiative s’appuie délibérément sur des conventions de qualité de nature
domestique (en précisant bien l’origine de la viande) mais surtout de nature industrielle (en
recherchant un label auprès d’un organisme certificateur). Cette forme hybride est la première
à apparaître historiquement mais, pour des raisons de sécurité, les acheteurs de grandes
surfaces qui approuvaient ce type de “contrat” ont peu à peu élaborés eux-mêmes leur propre
cahier des charges, donnant naissance à la forme III. Le pouvoir de l’expertise s’est peu à peu
transmis du vendeur à l’acheteur.
III - L’achat en sous-traitance “Référentiel imposé” correspond à un cahier des charges très
strict, élaboré par le distributeur qui sélectionne les fournisseurs sur leur aptitude à satisfaire
les exigences du référentiel. Mallen (1964) estimait que l’asymétrie de l’information
renforçait les déviances comportementales au sein d’une relation et conférait un pouvoir de
leadership. Nous pourrions déceler entre les formes II et III une inversion de cette asymétrie
car les distributeurs maîtrisent de mieux en mieux les données techniques et poussent en avant
leur connaissance du marché ainsi que leurs pouvoirs de récompense et de sanction. Cette
forme est apparue au début des années 1990 et était la plus fréquente dès 1996 car la
concentration des distributeurs et la forte substituabilité entre fournisseurs défavorisaient ces
derniers. Cette forme constitue aujourd’hui la coordination minimale pour être référencé en
magasins car la dynamique de ces conventions de qualité industrielle semble évoluer vers la
forme IV.
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Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon
IV - L’achat en “Partenariat” se définit comme une “relation construite sur la base de la
concertation, de la complémentarité d’activités et/ou de compétences dans un horizon
temporel long” (Bouvier-Patron, 1998). L’exemple de Carrefour est éloquent à cet égard. En
développement dès 1992, le schéma “Filière Qualité” est propre à un bassin de production et à
une race (exemple de la Filière Qualité Race Normande) et il a vocation à couvrir la totalité de
l’offre de base en magasin. La crise de 1996 a précipité l’évolution vers cette forme puisque
dès 1998, les magasins Carrefour d’Ile-de-France et de Normandie assuraient plus de 80 % de
leur approvisionnement via ce partenariat. Cette filière est une association regroupant
Carrefour, des éleveurs, les syndicats de la race normande et deux industriels transformateurs.
Cette certification intéresse les éleveurs car une plus-value négociée est ajoutée à une cotation
moyenne observée sur des marchés et, bien qu’exploitée par Carrefour, la marque “Filière
Qualité Race Normande” est la propriété de l’association, ce qui la distingue d’une simple
marque de distributeur (Sans et al., 2002). “Avant la crise de 1996, le distributeur avait pour
seul interlocuteur l’industriel de la transformation. Désormais, les formes relationnelles
hybrides concernent l’ensemble des maillons. On met l’élevage au premier plan. Les
producteurs se trouvent responsabilisés quant à leurs pratiques” (De Fontguyon et Sans,
1999).
V - La cinquième forme relationnelle concerne l’intégration verticale, c’est-à-dire
l’internalisation par le distributeur des fonctions de production ou une prise de participation
financière croisée. Cette démarche reste marginale malgré la notoriété du principal exemple
de cette forme. En effet, seul Intermarché possède une marque “Jean Rozé” et le tiers du
capital de son principal fournisseur (Société Vitréenne d’Abattage). Ce distributeur espère
ainsi homogénéiser son offre de viande. En revanche, en revendant en 1999 son abattoir
SABIM de Sablé-sur-Sarthe au groupe ABC (“Charal”), le groupe Casino a abandonné cette
stratégie pour adopter des relations de type IV.
VI - La dernière forme de relation entre producteur et distributeur correspond à l’achat sur
catalogue de produits spécifiques à forte notoriété, difficilement substituables. Ces produits de
marque étaient peu répandus avant 1996 (sans doute moins de 5% des ventes). Ainsi, Charal
était présent dans 50% des magasins à l’époque mais la marque représentait moins de 1% des
ventes. Bien que parfaitement différenciés, ces produits ont tout de même subi les mêmes
crises que l’ensemble de la filière bovine. Le positionnement de cette forme dans notre carte
tient compte du fait que, si le produit est entièrement sous la responsabilité des producteurs, le
développement du management de la chaîne logistique a conduit les distributeurs à
coordonner ce marché en imposant les volumes et les rythmes de livraison par le biais de
nouvelles techniques de gestion comme le SRM (Supplier Relation Management).
2.3.3 - Implications managériales
Comment la filière bovine peut-elle restaurer la confiance du consommateur ? Dans le cadre
d’une construction conjointe “distributeur-consommateur” pour établir cette dernière,
Bergadaà et Urien (2006) ont mis en évidence cinq actions possibles :
- 1 / Renforcer la compétence perçue du producteur,
- 2 / Renforcer le sentiment de communauté ou de connivence au sein de la filière,
- 3 / Renforcer le sentiment d’attirance de l’acheteur à l’égard du distributeur ou
producteur,
- 4 / Renforcer la puissance et la réputation des industriels et des producteurs,
- 5 / Renforcer l’image de probité de l’ensemble de la filière.
“Ce qui est frappant dans ces nouvelles exigences, c’est qu’elles débordent l’analyse objective
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Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon
des produits mis sur le marché et qu’elles impliquent les filières de production” (Paillotin,
1995). Notre travail a permis de comprendre que la reconstruction d’une filière autour de
nouvelles conventions domestiques et industrielles répond en partie à ces défis.
La principale implication managériale que nous avons isolée conduit à privilégier le recours à
des conventions de qualité de type domestique avec la présence d’un signe de qualité qui peut
être une marque de producteur mais, du fait du coût de son développement, cette marque est
le plus souvent une marque associée à un distributeur. Ce faisant, la marque agit sur les cinq
dimensions du spectre des actions définies par Bergadaà et Urien.
Cependant, depuis 1996, la gouvernance des filières de viande bovine semble échapper aux
producteurs de viande du fait de l’influence grandissante des distributeurs qui, ne voulant
prendre aucun risque quant à la réputation de leur enseigne, ont imposé des cahiers des
charges sécurisés. Cette montée en puissance de la grande distribution révèle une composante
essentielle de la stratégie des distributeurs, à savoir “la volonté de dissocier au plus vite le
nom de l’enseigne du risque lié au produit, pour protéger son image” (Lossouarn, 2003). En
conséquence, la pérennité de la relation producteur-distributeur peut vaciller au moindre
incident sécuritaire.
Parallèlement à la mise en place de ces marques, notre étude a permis de constater un
développement des conventions industrielles avec la recherche de certification de type Iso
9002, Iso 14000 ou HACCP (Hazard Analysis Control Critical Points). Cependant, la
situation est contrastée et dépend de la taille du producteur. En effet, cette certification est
délicate à obtenir de la part des petits producteurs isolés qui, faute de moyens financiers,
semblent être en retard, y compris pour la certification HACCP pourtant obligatoire en
France.
En conséquence, il n’est pas étonnant de constater que ces derniers privilégient plutôt la voie
de la labellisation via le label rouge ou le label Bio, en essayant de construire une convention
domestique au travers du terroir et du respect de la tradition, leur faible taille permettant en
apparence un meilleur contrôle.
Conclusion
Soumis à une pression médiatique qui lui apporte sans cesse de nouvelles informations
inquiétantes, les individus ont besoin d’être rassurés afin de retrouver la confiance dans les
produits de l’industrie agroalimentaire. En effet, les consommateurs perçoivent aujourd’hui le
risque alimentaire comme un risque vital de consommation.
Outre la gestion “sociale” de ce risque, avec le souhait que les pouvoirs publics interviennent
pour assurer la santé publique, les clients posent des exigences auxquelles la filière viande
bovine ne pourra répondre qu’en se réorganisant. En effet, l’étude du comportement des
différents acteurs de cette filière montre qu’il est possible de se coordonner entre producteurs
ou avec les distributeurs pour faire face au risque de sécurité sanitaire.
La reconstruction d’une filière autour de nouvelles conventions domestiques et industrielles
répond donc en partie aux exigences du consommateur mais il faut dépasser cet aspect
purement sécuritaire pour veiller à l’identité et à l’intégrité de l’aliment.
Les implications managériales que nous avons isolées conduisent à privilégier le recours à des
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Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon
conventions de qualité domestiques avec la présence d’un signe tel qu’une marque.
Cependant, depuis 1996, la gouvernance des filières de viande bovine échappe aux
producteurs de viande et, du fait de l’influence grandissante des distributeurs, cette action est
aujourd’hui plus du ressort des distributeurs que des producteurs.
Parallèlement à la mise en place de ces marques, notre étude a permis de constater un
développement des conventions industrielles avec la recherche de certification de type Iso
9002, Iso 14000 ou HACCP. Cependant, le coût d’une telle démarche semble exclure les
petits producteurs qui privilégient plutôt la voie de la labellisation via le label rouge ou le
label Bio.
En conséquence, les firmes doivent agir collectivement sur le produit et le processus de
production pour apporter au consommateur, au-delà de ce qu’imposent les réglementations
administratives, des aliments qui sont absolument sûrs. En construisant simultanément des
signaux de qualité de nature industrielle mais aussi domestique, la filière viande bovine se
positionne résolument dans la maîtrise des risques et la reconstruction d’une confiance qu’elle
espère durable.
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