C`est quoi, la Françafrique ?
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C`est quoi, la Françafrique ?
C'est quoi, la Françafrique ? En 1998, François-Xavier Verschave, président de l'association Survie, publiait La Françafrique, le plus long scandale de la République. Ce terme de Françafrique est depuis utilisé pour désigner les mécanismes par lesquels l'État français maintient sa domination sur ses anciennes colonies africaines, et de quelle façon les indépendances ont été confisquées depuis 1960. Tout commence en mai 1958, en pleine guerre d'Algérie. Quatre ans après la défaite d'Indochine, alors que la IVe République s'entredéchire sur la question coloniale, un putsch des généraux français éclate à Alger. Minutieusement préparée, l'opération Résurrection1 exige le retour au pouvoir du général De Gaulle. Après plusieurs péripéties, l'Assemblée Nationale se dissout, De Gaulle s'installe à l'Élysée et instaure par référendum une Ve République taillée sur mesure. L'une de ses premières préoccupations? L'avenir de l'empire colonial, menacé par des mouvements indépendantistes de plus en plus virulents. En France même, révulséEs par la guerre d'Algérie, les partisanEs de la décolonisation sont en nombre croissant. À cela s'ajoutent les pressions internationales, États-Unis en tête. Eisenhower menace de couper tout soutien financier à la France si celle-ci continue de faire de l'Afrique sa chasse commerciale gardée. Quitter l'Afrique ? Hors de question pour De Gaulle. La France sans l'Afrique, ce serait la bombe nucléaire sans uranium, l'industrie sans pétrole, la faillite pour les nombreuses sociétés françaises qui surexploitent le bois, le coton, les phosphates, les minerais, le cacao... Et que dire du risque d'une expansion communiste, ce cauchemar gaulliste ? L'état-major de l'Élysée sent pourtant le vent de l'histoire tourner. Après l'échec du projet de Communauté française, De Gaulle décide de changer de doctrine stratégique. À partir de 1960, il accorde en fanfare les indépendances à la quasi-totalité des anciennes colonies, hormis pour quelques points d'appuis stratégiques comme les Comores, Djibouti et les Territoires d'outre-mer. Dans le même temps, il charge son éminence grise Jacques Foccart de maintenir les pays d’Afrique francophone sous la tutelle française par toute une gamme de moyens illégaux et cachés au grand public. Jacques Foccart et la cellule africaine de l’Elysée Organisateur de l'opération Résurrection, Jacques Foccart est un personnage aussi discret que puissant. Secrétaire Général de l'Élysée aux Affaires Africaines, il supervise également les services secrets, les finances du gaullisme et le sinistre Service d'Action Civique2. Sa stratégie ? Tout mettre en oeuvre, si besoin par le trucage des élections ou des coups d'État, pour placer à la tête de ces pays nouvellement indépendants des dirigeants ''amis de la France'' : soit des proches de l'ex-administration coloniale comme Ahidjo au Cameroun, soit des anciens militaires français comme Eyadéma au Togo, ou même des honorables correspondants du SDECE3 comme Bongo au Gabon. Avec ces chefs d'État solidement encadrés par des conseillers spéciaux français, des accords militaires et économiques sont signés. La plupart du temps secrets, ces accords garantissent la suprématie de l'armée française qui implante des bases permanentes dans les zones stratégiques, chapeaute les nouvelles forces africaines et intervient en cas de menace extérieure et intérieure. Ces accords assurent de plus aux entreprises françaises la pérennité de leurs installations coloniales et le monopole sur les matières premières stratégiques. Ils prolongent également la suprématie de l'ancienne monnaie coloniale, le Franc des colonies françaises d'Afrique (CFA). Rebaptisé « Franc des Communautés Françaises d’Afrique », il conserve sa logique dominatrice : toutes les monnaies africaines sont contrôlées par la Banque de France, tandis que les 1 2 3 Détaillée dans Histoire secrète de la Ve République, ouvrage collectif, La découverte, 2006 Le SAC était la milice du parti gaulliste ; cf. Histoire du SAC,François Audigier, Stock, 2003 Service de documentation extérieure et de contre-espionnage français, devenu Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) en 1982. recettes d'exportations sont physiquement stockées en métropole. Par ce biais, les produits français bénéficient d'un avantage commercial déterminant. Enfin, pour étouffer toute opposition intérieure et briser les mouvements indépendantistes, de puissantes polices politiques sont mises en place, formées aux méthodes tortionnaires expérimentées en Algérie. L'ensemble de ce dispositif est dirigé par Jacques Foccart depuis ce que l’on appelle la cellule africaine de l'Elysée, sous le contrôle quotidien du général De Gaulle. Cette cellule va superviser la nouvelle politique africaine de la France à partir de 1960. Aucun des présidents successifs ne remettra en question cette politique comparable à celle des ÉtatsUnis en Amérique latine. Pompidou maintient Foccart. En 1974, ce dernier est limogé par Giscard d’Estaing qui installe ses propres réseaux. Mitterrand, malgré ses promesses de rupture, installe son fils à la tête de la cellule africaine, étend la Françafrique vers l'Angola et le Rwanda et soutient en particulier le pouvoir génocidaire de 1994. En 1995, Jacques Chirac rappelle aux commandes de la cellule africaine... Jacques Foccart ! Quant à Nicolas Sarkozy, derrière quelques réformes de façade et un festival de boniments, il maintient depuis 2007 le cap françafricain. Les réseaux de la Mafiafrique Le système imaginé par Foccart n'a donc jamais évolué depuis 50 ans ? Si. Initialement fondée sur une logique de raison d'État justifiant les pires méthodes, l'architecture pyramidale de la cellule africaine s'est progressivement délitée en de multiples réseaux agissant pour leur propre compte, se criminalisant de plus en plus en profitant des espaces d'impunité offerts par l'essor des paradis fiscaux et judiciaires. En témoigne la dizaine de scandales franco-africains des années 90, les affaires Elf, Angolagate, Marchiani, Sofremi, Borrel, Beach, véritables coupes anatomiques de la Françafrique ou de ce qu'il conviendrait plutôt d'appeler la Mafiafrique : de vastes opérations de criminalité économique et politique impliquant des personnalités et transnationales de plusieurs pays, alliant les méthodes mafieuses à celles des services secrets. Dans toutes ces affaires qui ne représentent que le sommet de l'iceberg, la réalité dépasse l'imagination. On y découvre une galerie stupéfiante de ministres, de mercenaires, de militaires, de banquiers, de barbouzes, de personnalités politiques et d'hommes d'affaires, tous obsédés par les richesses africaines, le pouvoir, l'enrichissement personnel, le financement de partis politiques, rivalisant d'imagination pour détourner l'aide au développement, piller les matières premières, vendre des armes, du pétrole ou des minerais, toucher des commissions occultes... Plonger dans la Françafrique, c'est réaliser, pièces à l'appui, la profondeur du pourrissement des institutions républicaines, le cynisme sans limite du pouvoir, l'horreur du capitalisme. En finir avec la Françafrique À qui nuit le plus cette Françafrique ? En premier lieu, aux populations africaines. Car les résultats de 50 ans de ce système scandaleux, ce sont des millions de personnes appauvries vivant pourtant dans des pays richissimes en matières premières, des économies exsangues et surendettées, l'absence de protections sociales, des libertés individuelles rachitiques et des potentats sanguinaires à la longévité inconcevable : 42 ans de Bongo au Gabon (imaginez 42 ans de Nicolas Sarkozy), remplacé par son fils au terme d'une mascarade électorale, 38 ans d'Eyadéma au Togo, remplacé par son fils par le coup d'État de 2005, 33 ans de Sassou N’Guesso au Congo-Brazzaville, 28 ans de Biya au Cameroun, 20 ans de Déby au Tchad, pour prendre ici les exemples les plus caricaturaux... Pour toutes ces raisons, il est urgent et raisonnable de s'organiser pour en finir avec la Françafrique. Samuël Foutoyet Article initialement publié dans la revue Offensive, mai 2010 Retrouvez cet article et bien d'autres sur www.les-renseignements-genereux.org