quand LeS détenuS éLèvent LeS PouLetS

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quand LeS détenuS éLèvent LeS PouLetS
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Quand les détenus
élèvent les poulets
en 2017. J’ai tiré un trait sur
mon passé criminel.»
Pas de fouille au corps. Sous la
innovant. A la prison de Witzwil (BE), les condamnés purgent leur peine en travaillant aux champs, avec des mesures de sécurité minimales. Son directeur défend
un modèle basé sur la confiance, qui favorise la réinsertion.
Serge Maillard
Photos jacques bélat
Actuels
A
u premier abord, la perspective de rencontrer un
détenu condamné à six ans de
prison armé d’un couteau de
boucher n’est pas faite pour
rassurer. Le jeune homme avec
qui nous avons rendez-vous
pose rapidement son instrument de travail pour venir
répondre aux questions avec
bienveillance. Il faut dire qu’à
la prison ouverte de Witzwil,
dans le canton de Berne, seul le
pantalon gris barré de rouge
permet de distinguer les 184
détenus des 143 employés qui
les encadrent. Ici, les prisonniers sèment, labourent, réparent les tracteurs et élèvent
vaches, abeilles et cochons.
Une tradition vieille de plus
d’un siècle.
D’origine kosovare et âgé de 30
ans, l’apprenti charcutier a
intégré l’établissement il y a un
an, pour vol en bande: «J’ai
beaucoup de chance d’être ici,
dit-il. Auparavant, j’étais incarcéré en prison fermée, à Thorberg. Quand on est tout le
temps enfermé, on a de la
peine à envisager l’avenir.» Si
tout se passe bien, ce carrossier
de formation passera encore
une année à Witzwil, avant
d’obtenir une attestation en
Quotidien La vie dans le pénitencier se divise entre apprentissage et travail en milieu ouvert au cours de la journée. Et la nuit en cellule.
charcuterie et de pouvoir travailler à l’extérieur avec un bracelet électronique. En attendant, il a déjà la possibilité de
passer un week-end toutes les
six semaines dans sa famille,
ce qui, dit-il, ne lui donne pourtant pas des idées d’évasion.
«Mon but n’est pas de m’enfuir,
mais de faire quelque chose de
ma vie. J’aurai beaucoup d’opportunités professionnelles à
ma sortie définitive de prison,
L’Hebdo 3 janvier 2013
pluie qui tombe dru, le directeur de l’établissement HansRudolf Schwarz explique le
c onc ept Arbeitsagogik,
mélange de travail et de pédagogie qui fonde la mission de
ce pénitencier à ciel ouvert de
825 hectares, ce qui en fait la
plus grande exploitation agricole de Suisse: «Ce n’est ni de
la thérapie ni une remise de
peine, mais la resocialisation
des détenus par le biais du travail.» Lui-même fils de paysans, le fringant quinquagénaire a postulé il y a cinq ans
pour prendre les rênes de l’établissement situé entre les lacs
de Bienne et de Neuchâtel,
après avoir dirigé une prison
«classique» à Kriens, dans le
canton de Lucerne: «On ne
3 janvier 2013 L’Hebdo
peut reconnaître les mérites de
la prison ouverte que si l’on a
connu le régime fermé.»
Pas de fouille au corps ni de
passage sous le détecteur de
métaux à l’entrée de l’établissement, une simple carte
d’identité suffit pour pénétrer
dans l’enceinte. Avant le portique, un petit chalet propose
les denrées produites par les
détenus, des pommes de terre
aux jouets en passant par le
nuit», résume le directeur. De
21 h 30 à 6 heures, les prisonniers sont enfermés dans leur
cellule. Le réveil est plus matinal pour les boulangers et les
détenus qui s’occupent du
bétail.
Le problème de la drogue. Derrière l’image d’Epinal, tout n’est
cependant pas si rose à Witzwil:
de la drogue qui circule plus facilement qu’en milieu fermé; une
vingtaine d’évaen moyenne
«le code pénal privilégie le sions
chaque année –
régime ouvert, et considère «la majorité des
concerne des
les établissements fermés cas
détenus qui ne
en dernier recours.»
reviennent pas
Hans-Rudolf Schwarz, directeur de la prison de Witzwil
d’un congé»,
indique le direcschnaps, vendues à des coopé- teur. Le principe veut que les
ratives ou directement aux détenus qui ont transgressé les
particuliers. «Nous sommes règles soient envoyés dans une
ouverts la journée et fermés la prison traditionnelle.
Hans-Rudolf Schwarz ne nie pas
la réalité. «Evidemment, il y a
moins de drogue et d’évasions en
milieu fermé. Mais est-ce que les
prisonniers seront aussi bien
intégrés une fois remis en
liberté? Je pourrais faire baisser
ces chiffres, si je n’acceptais pas
les toxicomanes dans mon établissement, comme certains le
font.»
A Witzwil, plus de la moitié des
prisonniers ont commis une
infraction à la loi sur les stupéfiants et ont la possibilité de
suivre un programme interne de
méthadone. «Ils replongent parfois lors de leurs congés, en rencontrant quelqu’un du milieu de
la drogue.» Par ailleurs, poursuit
le directeur, «un criminel qui
purge sa peine dans un établissement fermé comme Thorberg
a jusqu’à 50% de probabilités de
récidiver, contre 39% en
moyenne chez nous.»
Actuels
amusés Le directeur Hans-Rudolf Schwarz (à droite) s’essaie à manier les rênes sous le regard d’un détenu. A Witzwil, des chevaux sont utilisés pour le travail aux champs.
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exigences Seuls les détenus présentant peu de risques d’évasion et une volonté de réinsertion sont acceptés à Witzwil. A leur entrée, ils sont soumis à des tests psychologiques.
Le rendez-vous emploi-formation Talents
Pour lui, la question reste
politique: «Est-ce qu’on veut
plus de sécurité pendant ou
après l’exécution des peines?
Dans les milieux fermés, on
concentre tous les criminels de
toutes les nations du monde,
une forme d’isolement social
et de limitation de la responsabilité individuelle. C’est un formidable lieu d’apprentissage,
mais dans le mauvais sens du
terme!»
Pour maintenir les compétences
sociales des détenus et faciliter
leur retour à la vie civile, l’établissement bernois leur propose
au contraire 26 types de métiers
différents et des places d’apprentissage. Le tout à un coût
moyen de détention moindre
que dans les autres prisons
suisses: une journée d’incarcération à Witzwil coûte 318 francs
au contribuable, contre jusqu’à
650 francs en prison fermée.
«Contrairement à ce que l’on
croit, le Code pénal privilégie le
régime ouvert, et considère les
établissements fermés en dernier recours», rappelle le directeur, qui se livre à un subtil
numéro d’équilibriste, pris à
partie par des membres de son
propre parti, l’UDC, qui fustigent
cette «oasis de bien-être» pour
délinquants. Il ne se considère
pas pour autant comme un utopiste et explique avoir entendu
l’appel de la société à plus de
fermeté et de répression: «La
population accepte moins facilement les évasions de prisons
ouvertes.» Là où se dressaient
autrefois de simples haies ont
été installées des barrières
grillagées et caméras thermiques. Le centre est divisé en
trois zones de sécurité, et les
récalcitrants retournent à la case
départ en cas de mauvais comportement.
Batterie de tests. Pour intégrer
cette prison alternative, les détenus doivent présenter un risque
minime d’évasion et de récidive.
A leur admission, ils sont soumis à une batterie de tests, à michemin entre l’examen scolaire,
le test de personnalité et l’entretien d’embauche. «Il n’y a pas de
raison que les méthodes qui
fonctionnent à l’extérieur ne
marchent pas aussi ici», sou-
ligne Hans-Rudolf Schwarz, qui
a précédemment dirigé l’Ecole
suisse de Bogotá.
Parmi les détenus acceptés dans
la prison suite aux tests, il y a ce
Neuchâtelois de 39 ans, ingénieur de formation, qui s’est vu
attribuer une tâche auprès des
chevaux de l’établissement,
encore utilisés pour la fenaison,
le labour et l’entretien des chemins. Autrefois actif dans la
finance, il a été condamné à six
ans et demi de détention pour
criminalité économique. «C’est
le jour et la nuit par rapport au
régime fermé: dès l’arrivée on a
une vue ouverte, sur le paysage
et les bâtiments, dit-il. Le travail
avec les chevaux est apaisant,
lorsqu’on se sent loin de sa
famille et de ses amis.» A Witzwil, il dit avoir fait sienne la
devise d’Alexandre Dumas: «A
tous maux il est deux remèdes,
le temps et le silence.»
De leur côté, les autorités cantonales et la direction de la prison
ont décidé de sortir du silence il
y a trois mois, en lançant une
campagne de communication
sur les mérites de la détention en
régime ouvert. Une manière de
répondre aux craintes de la
population bernoise? «L’acceptation de Witzwil est réelle dans
les villages alentour, assure
Hans-Rudolf Schwarz. Les gens
de la région apprécient notre
pratique d’une agriculture
traditionnelle et l’impact
économique de notre établissement.»√largeur.com
L’Hebdo 3 janvier 2013

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