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VIDÉOSURVEILLANCE
ET PRÉVENTION
DE LA CRIMINALITÉ
L’impact des dispositifs
dans les espaces urbains
en Grande-Bretagne
Éric Heilmann
Maître de conférences à l’Université Louis Pasteur de Strasbourg
Marie-Noëlle Mornet
Doctorante rattachée au Centre de Droit Privé Fondamental
Université Robert Schuman de Strasbourg
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DANS LA MÊME COLLECTION
Jean-Paul GREMY, 1996, Les violences urbaines : comment prévoir et
gérer les crises dans les quartiers sensibles ?, Paris, IHESI, 31 p.
Guy BARON (dir.), 1996, Intelligence économique : objectifs et
politiques d’information, Paris, IHESI, 31 p.
André MIDOL, 1996, La sécurité dans les espaces publics : huit études
de cas sur des équipements ouverts au public, Paris, IHESI, 143 p.
(épuisé)
Alain BAUER, René BREGEON (dir.), 1997, Grands équipements
urbains et sécurité : comment réaliser et contrôler les études de
sécurité publique prévues par l’article 11 de la loi du 21 janvier 1995,
Paris, IHESI, 75 p.
Renaud FILLIEULE, Catherine MONTIEL, 1997, La pédophilie, Paris,
IHESI, 79 p. (épuisé)
Jean-Paul GREMY, 1997, Les Français et la sécurité : trois sondages
réalisés en 1996 sur l’insécurité et ses remèdes, Paris, IHESI, 157 p.
François DIEU, 1997, Sécurité et ruralité : enquête sur l’action de la
Gendarmerie dans les campagnes françaises, Paris, IHESI, 183 p.
Michel AUBOUIN, Michel-François DELANNOY, Jean-Paul GREMY,
1998, Anticiper et gérer les violences urbaines : bilan
d’expérimentation des cellules de veille, Paris, IHESI, 47 p.
Jean-Paul GREMY, 1998, Les aspirations des Français en matière de sécurité :
leur évolution entre 1990 et 1998 selon les enquêtes du CRÉDOC, Paris,
IHESI, 86 p.
Actes du séminaire européen Stop, 1999, La pédophilie : Méthodes
d’évaluation de la démarche intellectuelle et des stratégies de passage
à l’acte des agresseurs sexuels pédophiles, Paris, IHESI, Université de
Liège, CICC Montréal, 133 p. (épuisé).
Christian DOUTREMEPUICH (dir.), 1999, La scène de crime de
A à Z, Paris, IHESI, 100 p.
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Pierre SIMULA, 1999, La dynamique des emplois dans la sécurité, Paris,
IHESI, 120 p.
Paul LANDAUER, Danielle DELHOME, 2000, Espace et sécurité dans
les quartiers d’habitat social : bilan de deux études sur site SarcellesLochères et les quartiers nord d’Aulnay-sous-Bois, Paris, IHESI, 78 p.
IHESI – GRIA, 2000, Autorité et immigration : les vecteurs de l’autorité
et leurs transformations dans les populations immigrées ou issues de
l’immigration, Paris, IHESI, 148 p.
Carole MARIAGE CORNALI, 2000, Les enjeux de la légalisation et de
la mise en œuvre de l’enregistrement audiovisuel de l’audition des
mineurs victimes, Paris, IHESI, 61 p.
Patrick SIMON, 2000, Les discriminations ethniques dans la société
française, Paris, IHESI, 58 p.
Laetitia DILLIES, 2000, Délinquants mis en cause par la police, Paris,
IHESI, 210 p.
Jean-Paul GREMY, 2001, Mesurer la délinquance à partir du témoignage
des victimes, Paris, IHESI, 256 p.
Dominique GARABIOL, Bernard GRAVET, 2001, La lutte contre le
recyclage de l’argent du crime organisé, Paris, IHESI, 88 p.
Frédéric DIAZ, 2001, La sécurité des grands rassemblements sportifs et
culturels : une gestion particulière des risques, Paris, IHESI, 200 p.
Julie LE QUANG SANG, Hugues Olivier HUBERT, William GENIEYS,
2001, Violences urbaines, Angleterre, Belgique et Espagne : un état
des lieux, Paris, IHESI, 164 p.
Sophie TIEVANT, 2001, Les savoir-faire en police de proximité, Paris,
IHESI, 96 p.
Actes du séminaire de cartographie, 2001, Cartographie et analyse
spatiale de la délinquance, Paris, IHESI, 132 p.
Jean CARTIER-BRESSON, Christelle JOSSELIN, Stéfano MANACORDA,
2001, Les délinquances économiques et financières transnationales :
manifestation et régulation, Paris, IHESI, 134 p.
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Pierre KOPP, 2001, Les délinquances économiques et financières
transnationales : Analyse de l’action menée par les institutions
internationales spécialisées dans la prévention et la répression des
DEFT, Paris, IHESI, 64 p.
Anne WUILLEUMIER, 2001, Création et développements d’un service
de Police nationale : Le cas des Brigades d’Enquêtes et de
Coordination (BREC) de la Police Judiciaire, Paris, IHESI, 102 p.
Georgina VAZ-CABRAL, 2002, Les formes contemporaines d’esclavage
dans six pays de l’union européenne, Paris, IHESI, 120 p.
Dominique PECAUD, 2002, L’impact de la vidéosurveillance sur la
sécurité dans les espaces publics et les établissements privés recevant
du public, Paris, IHESI, 95 p.
Tanguy LE GOFF, 2002, Intercommunalité et sécurité : une approche
comparative de trois agglomérations, Paris, IHESI, 114 p.
Jean-Claude SALOMON, 2002, Lexique des termes de police AnglaisFrançais/Français-Anglais, Paris, IHESI, 160 p.
Nicolas QUELOZ, Cyrille FIJNAUT, Michael LEVI, 2002, La lutte
contre la criminalité économique en Europe : bilan de connaissances
en Suisse, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, Paris, IHESI, 256 p.
La traite des mineurs non-accompagnés dans l’Union européenne :
projet pilote visant à lutter contre la traite des êtres humains, Paris,
IHESI, à paraître.
Catherine GORGEON, 2003, Existe-t-il des systèmes locaux de
sécurité ?, Paris, IHESI, 116 p.
ISSN : 1263-0837
ISBN : 2-11-092847-6
IHESI 19, rue Péclet – 75015 Paris
Tél. : 01.53.68.20.20/24 Fax : 01.45.30.50.71
www.ihesi.interieur.gouv.fr
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Remerciements
Une partie importante des documents présentés dans ce rapport
a été récoltée lors d’un séjour effectué au Scarman Centre
à l’université de Leicester.
Nous remercions son directeur, Martin Gill,
et les membres de son équipe pour leur soutien et leur conseil.
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SOMMAIRE
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
Chapitre 1 - Le contexte d’implantation des systèmes . . . . . . . . . . . . . . 11
La mise en œuvre précoce des équipements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
Le rôle moteur du Home Office . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
Un encadrement juridique inexistant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
Chapitre 2 - L’efficacité de la vidéosurveillance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
Dans le métro londonien (B. Webb, G. Laycock, 1992) . . . . . . . . . . . . . . 30
Dans les parkings (N. Tilley, 1993) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
À Newcastle, Birmingham et King’s Lynn (B. Brown, 1995) . . . . . . . . . . . . 41
À Brighton (P. Squires, L. Measor, 1996) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
À Doncaster (D. Skinns, 1997) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
À Airdrie et Glasgow (J. Ditton, E. Short, 1993/1999) . . . . . . . . . . . . . . . 59
Chapitre 3 - Les opérateurs vidéo et les délinquants en action . . . . . . . 67
Le travail des opérateurs (C. Norris, G. Armstrong, 1999) . . . . . . . . . . . . 70
La parole des délinquants (J. Ditton, E. Short, 1998) . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
Conclusion - « Beaucoup de bruit pour rien » ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
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INTRODUCTION
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uelle est l’efficacité de la vidéosurveillance dans la lutte contre
la délinquance ? Il faut se tourner vers la Grande-Bretagne
pour apporter une réponse à cette question. Deux arguments
justifient cette attention singulière.
Le premier est qu’il s’agit du pays qui compte actuellement le plus
d’équipements de vidéosurveillance en Europe occidentale. Les
estimations sur le nombre de systèmes actuellement en usage en
Grande-Bretagne sont vagues, les chiffres oscillant entre 500 000 et
1 million selon les auteurs. Les raisons susceptibles d’expliquer la place
occupée par ces dispositifs techniques dans les espaces urbains
britanniques sont multiples. La croissance des crimes et délits recensés
par les services de police, la force de conviction des marchands de biens
ou de services de sécurité, la promotion de la police dite communautaire (community policing) qui met l’accent sur la prévention de la
délinquance, la montée du sentiment d’insécurité, etc. sont autant
d’éléments à prendre en compte. Mais on soulignera uniquement ici
ceux qui paraissent être spécifiques à ce pays (chapitre 1).
Le second est qu’aucune recherche sur ce sujet n’a jamais été conduite
en France. En effet, de ce côté de la Manche, les spécialistes des
problèmes sécuritaires ont surtout alimenté le débat qui oppose de
façon traditionnelle les défenseurs des libertés face à la menace technologique aux partisans d’un renforcement des moyens de protection des
biens et des personnes. Deux points de vue irréductibles qui reposent
néanmoins sur une même croyance : l’efficacité des systèmes mis en
œuvre qui, au demeurant, n’est jamais discutée. Que les coûts d’installation et de fonctionnement des systèmes de vidéosurveillance n’aient
cessé de croître au fil du temps n’y change rien. De même les données
publiées dans la presse, qui se fait régulièrement l’écho de déclarations
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grandiloquentes de tel ou tel maire ou chef de police municipale, ne
font que refléter le déficit d’information en la matière.
En Grande-Bretagne, près d’une dizaine d’études ont été conduites
par des chercheurs professionnels depuis le début des années quatrevingt-dix pour analyser l’efficacité de la vidéosurveillance en matière de
lutte contre la délinquance dans les espaces urbains. Les enquêtes
présentées dans ce rapport (chapitre 2) ont été menées par Barry Webb
et Gloria Laycock dans le métro londonien (1992), par Nick Tilley dans
les parkings de six villes de province (1993) ayant engagé un programme
de prévention de la délinquance (Safer Cities Schemes), par Ben Brown
dans les centres-ville de Newcastle, Birmingham et King’s Lynn (1995),
par Peter Squires et Lynda Measor à Brighton (1996), par David Skinns
à Doncaster (1997) et par Jason Ditton et Emma Short à Airdrie et
Glasgow (1993-1999) 1. Point commun de tous ces travaux : un recours
systématique à des méthodologies éprouvées dans le champ des sciences
criminelles qui donnent à leurs résultats une valeur scientifique peu
contestable.
La présentation des résultats de ces recherches est suivie par une
synthèse des travaux qui apportent un éclairage important à notre sujet
d’étude (chapitre 3). Il s’agit des enquêtes conduites par Clive Norris
et Garry Armstrong sur le travail des opérateurs vidéo (1999) et par
Jason Ditton et Emma Short sur l’attitude des délinquants exposés aux
caméras (1998). Pour les réaliser, ces chercheurs ont utilisé principalement des méthodes qualitatives (entretiens, observations sur le terrain)
et non plus quantitatives (statistiques) comme précédemment.
(1) À côté de ces enquêtes conduites dans des espaces publics, d’autres ont été réalisées par
des chercheurs professionnels pour mesurer l’impact de la vidéosurveillance dans des
espaces privés. Signalons en particulier les travaux d’Andrian Beck et Andrew Willis et ceux
de Martin Gill et Vicky Turbin qui portent sur le commerce de détail — Cf. BECK (A.), WILLIS (A.),
1995 ; GILL (M.), TURBIN (V.), 1997.
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Chapitre 1
LE CONTEXTE
D ’ IMPLANTATION DES SYSTÈMES
« There is no more powerful weapon in protecting
the innocent and catching the guilty
than Closed Circuit Television (CCTV) »
David Maclean (Home Office Minister)
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LE CONTEXTE
D ’ IMPLANTATION DES SYSTÈMES
Selon la British Security Industry Association (BSIA), organisation
professionnelle qui regroupe les industriels de la sécurité privée en
Grande-Bretagne 2, le chiffre d’affaires des entreprises du secteur était de
55 millions de livres en 1970. En 1980, ce chiffre atteint 400 millions
de livres, puis 1,2 milliard en 1990. Les sociétés réunies au sein de la
BSIA emploient cette année-là près de 60 000 salariés. Depuis 1990, ce
chiffre d’affaires progresse de 20 à 25 % par an. En 1994, le marché des
systèmes de vidéosurveillance représente à lui seul 170 millions de livres 3.
On estime alors que près de 150 000 systèmes sont en usage 4.
Au-delà de ces chiffres, il convient de noter que le marché de vidéosurveillance prend son véritable essor à partir des années quatre-vingt et
touche prioritairement le monde du commerce. À partir du milieu des
années quatre-vingt-dix, le marché des technologies de sécurité connaît
un nouveau rebond avec le développement tous azimuts des systèmes
implantés dans les villes britanniques.
L A MISE EN ŒUVRE PRÉCOCE DES ÉQUIPEMENTS
Les commerçants sont les premiers à s’équiper massivement de
dispositifs de vidéosurveillance, qu’il s’agisse de centres commerciaux
(2) Pour une présentation de l’organisation, voir le site internet : http://www.bsia.com.uk/
(3) Cf. MORAN (J.), NORRIS (C.), ARMSTRONG (G.), 1998, p. 279.
(4) Cf. GRAHAM (S.), BROOKS (J.), HEERY (D.), 1996, p. 3-27
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implantés à la périphérie des agglomérations ou de petits commerçants
installés dans le centre des villes et soucieux d’attirer une clientèle dans
un environnement sécurisé 5. Dans une enquête réalisée en 1994 auprès
de commerçants et de petites entreprises, K. Hearndren souligne à ce propos que 20 % des sondés sont équipés de systèmes de vidéosurveillance
depuis plus de dix ans, et 30 % depuis six à dix ans 6. Il relève au
passage que les matériels les plus anciens ont tous été renouvelés depuis
leur première installation. Et selon C. Norris et G. Armstrong, les achats
d’équipements de vidéosurveillance effectués par les commerçants de
détail représentaient encore 40 % de l’ensemble du marché en 1996 7.
À partir de 1985, d’autres dispositifs techniques seront implantés
dans le but spécifique de surveiller les supporters de football et d’identifier les hooligans : en quelques années, près d’une centaine de clubs
sont équipés de systèmes sophistiqués de caméras, et les images collectées
servent à alimenter une banque de données constituée pour l’occasion
par le National Criminal Intelligence Service (NCIS) 8. De même, en 1987,
la décision est prise d’équiper les deux cent cinquante stations du métro
londonien. Dix ans plus tard, on compte près de 5 000 caméras sur
l’ensemble du réseau 9.
Il faut encore ajouter que les actes de terrorisme de l’IRA ne sont pas
étrangers au déploiement de caméras, à Londres en particulier, dans les
lieux fréquentés par une population importante (grands magasins,
métro, gares, etc.). Ainsi vingt-six caméras sont installées dans le quartier
de la City en novembre 1993. Dix mois plus tôt, le dispositif vidéo
visant l’extérieur du magasin Harrods avait permis d’identifier les
(5) Parmi les arguments avancés pour encourager l’équipement des petits commerçants, on
relèvera celui du British Retail Consortium, organisation professionnelle la plus représentative
au plan national : « 45 % des commerces de détail risquent d’être la cible de voleurs, mais
si un système de vidéosurveillance est installé, ce chiffre peut tomber à 5 % » !
Cf. HEARNDEN (K.), 1996, p. 20.
(6) HEARNDEN (K.), 1996, op cit., p. 29.
(7) NORRIS (C.), ARMSTRONG (G.), 1999, p. 47.
(8) Voir notamment ARMSTRONG (G.), GIULIANOTTI (R.), 1998, p. 113-135.
(9) Cf. SHEPTYCKI (J.), 2000, p. 429-434. À titre de comparaison, le métro parisien compte
actuellement 2 600 caméras et seules trois lignes sont équipées de façon systématique dans
toutes les stations.
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Chapitre 1 – Le contexte d’implantation des systèmes
responsables du dépôt dans une poubelle d’une bombe ayant causé une
explosion et fait plusieurs victimes.
Cela étant, à la fin des années quatre-vingt, seules quatre villes ont
installé des caméras sur la voie publique. La ville balnéaire de
Bournemouth est la première à réaliser une telle opération en 1985 pour
lutter contre la délinquance 10. Mais la situation évolue très rapidement :
trente-neuf villes sont équipées en 1993, soixante-dix-neuf en 1994… Au
total, en 1998, toutes les grandes villes de plus de 500 000 habitants
(sauf Leeds) et près de quatre cents villes de taille moyenne ont choisi
d’installer de tels équipements sur la voie publique 11. Comment
expliquer cette évolution ?
L E RÔLE MOTEUR DU H OME O FFICE
Tous les commentateurs s’accordent pour souligner l’importance
d’un facteur politique dans ce domaine. Au début des années quatrevingt-dix, le gouvernement de John Major cherche à mobiliser de
nouveaux moyens pour faire face à l’insécurité, sans pour autant grever
trop lourdement le budget de l’État 12. En octobre 1994, le ministre de
l’Intérieur, Michael Howard, évoquant le drame de l’enlèvement et du
meurtre du petit James Bulger dont la découverte des auteurs avait été
rendue possible un an plus tôt grâce aux caméras d’un centre commercial,
annonce la décision du gouvernement de soutenir financièrement les
installations de vidéosurveillance en Angleterre et au Pays de Galles.
Pour stimuler les initiatives, le Home Office lance un appel à projets
(Closed Circuit Television (CCTV) Challenge Competition) accompagné
d’une dotation de 5 millions de livres. Parmi les 480 propositions
(10) Cf. MORAN (J.), et al., op. cit., 1998, p. 277. Au total, dix ans plus tard, la ville compte plus
d’une centaine de caméras de surveillance (Cf. SQUIRES (P.), MEASOR (L.), 1996, p. 16).
(11) Rapport du Home Office, cité par NORRIS (C.), ARMSTRONG (G.), op. cit., 1999, p. 54.
(12) Sur l’organisation de la police en Grande-Bretagne, voir notamment : EMSLEY (C.), 1991 ;
GLEIZAL (J.), JOURNES (C.), 1993, p. 219-239.
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présentées, 106 obtiennent des subventions pour l’équipement de
centres-ville (84 projets) et de parkings 13. Face au succès de cette
première « compétition », deux nouveaux appels à projets sont organisés.
Le second, lancé en novembre 1995, est doté de 17 millions de livres ;
800 propositions sont recueillies, 250 retenues. Le troisième, lancé en
août 1996, est doté de 15 millions de livres 14. La règle du jeu demeure
inchangée : le gouvernement ne prend pas en charge les coûts de
fonctionnement des dispositifs mais il apporte une contribution au
financement des coûts d’installation à condition que d’autres partenaires
au projet (collectivités locales, entreprises, centres commerciaux, compagnies de transport, etc.) y participent également.
Au total, le montant des subventions allouées par le Home Office
s’élève à 37 millions de livres et celui des crédits investis par les
partenaires publics et privés est estimé à 100 millions de livres. Suivant
le même principe, deux appels à propositions ont également été
organisés en Écosse par le Scottish Office en 1996 et 1997 : 62 projets sont
retenus (dont près de la moitié concerne l’équipement de centres-ville)
et près de 10 millions de livres collectées (dont 3,7 millions de subventions allouées par les autorités écossaises) pour leur financement 15.
Plus récemment, deux appels à propositions ont été organisés en Irlande
du Nord par la Police Authority for Northern Ireland en juin 1999 et
avril 2000 : 17 projets d’équipement dans des centres-ville ont été
retenus et 2,5 millions de livres de subventions allouées par le gouvernement local pour leur financement 16.
En Angleterre et au Pays de Galles, les projets soutenus par le Home
Office ont évolué au cours du temps. Après l’équipement des grandes
villes, la priorité est donnée aux dispositifs implantés dans des villes de
(13) Cf. MORAN (J.), et. al., op. cit., 1998, p. 284. En soulignant que 77 projets retenus
concernaient des collectivités dirigées par les conservateurs et 27 par les travaillistes,
J. Moran laisse entendre que le Home Office a pu être soupçonné de clientélisme politique.
(14) Voir notamment HORNE (C. J.), 1996, p. 317 ; NORRIS C., ARMSTRONG (G.), op. cit., 1999,
p. 36 ; FASSBENDER (J.), 2000, p. 10.
(15) Cf. DITTON (J.), SHORT (E.), 1998, p. 155.
(16) Officiellement, la première ville d’Irlande du Nord ayant introduit un dispositif de vidéosurveillance est Belfast où des caméras ont été installées dans le centre-ville en 1995. Cf. les
informations disponibles sur le site web de la Police Authority for Northern Ireland : www.pani.org.uk
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Chapitre 1 – Le contexte d’implantation des systèmes
taille plus modeste, des centres d’affaires et des zones industrielles, des
espaces affectés aux déplacements des personnes (arrêts de bus, gares,
etc.) mais aussi des écoles et des centres hospitaliers. Une attention
particulière est apportée aux projets auxquels d’autres mesures de
prévention de la délinquance sont associées 17. Pour les projets concernant les espaces résidentiels (concierge system), une consultation de la
communauté locale ou de ses représentants ainsi que des garanties
quant à la formation et au contrôle des opérateurs de vidéosurveillance
sont exigées. Dans tous les cas, les projets soumis au gouvernement
doivent recevoir le soutien de la police et des autorités locales 18. Lors
de la dernière « compétition », le Home Office incite tous les candidats
à inclure dans leur dossier un « code de [bonnes] conduites » afin
d’encadrer l’emploi de la vidéosurveillance, et à formuler des propositions
pour mesurer l’efficacité de leur système ; s’agissant des projets de modernisation d’équipements existants cette évaluation est une obligation 19.
C. Norris et G. Armstrong font remarquer que bon nombre de
projets écartés à l’occasion de ces « compétitions » verront néanmoins le
jour en profitant de la dynamique suscitée par le gouvernement et des
soutiens acquis au cours du montage des dossiers de candidature. À titre
d’exemple, on peut citer les équipements financés par le ministère de
l’Éducation dans des écoles, par Railtrack dans les stations du réseau
ferré londonien, par National Car Parks dans des parkings, et par
d’autres organismes dans des stations-service, des crèches, des habitats
collectifs, etc. Plus fondamentalement, ils soulignent que la politique
du Home Office s’inscrit dans celle plus large du gouvernement conservateur qui s’est engagé dans un vaste programme de privatisation du
secteur public 20. Comme la santé, les transports ou les communications,
(17) Cf. CCTV Today, 1998, p. 3.
(18) Cf. CCTV Today, 1995, p. 7.
(19) Cf. CCTV Today, 1996, p. 4.
(20) NORRIS (C.), ARMSTRONG (G.), op. cit., 1999, p. 37 : «cctv was attractive to the government
in others ways. It dovetailed neatly with their ideological demands for privatisation of the
public sector. The private sector would be fully involved in building, equipping and
maintaining the systems. Moreover, given that local councils were rate-capped and unable to
pay for increased expenditure through increased taxation, this silver bullet could be financed
with few implications for the public sector borrowing requirement ».
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Vidéosurveillance et prévention de la criminalité
la sécurité est désormais un secteur où les collectivités locales, les industriels, les opérateurs privés et autres « entrepreneurs moraux » sont appelés
à jouer un rôle actif. De nouveaux modes de gestion publique sont mis en
œuvre à cet effet. Ainsi, réunis au sein de Town Centre Management (TCM),
les élus, les commerçants et les chefs d’entreprise coordonnent leurs
actions au niveau local afin de remédier au déclin industriel des cités, de
stimuler l’économie et d’attirer le citoyen-consommateur dans les centres
urbains 21. Dans ce contexte, la vidéosurveillance est l’un des instruments
privilégiés par ces structures de management dont le nombre est passé de
six en 1986 à cent quatre-vingt en 1995.
Parmi les arguments avancés pour promouvoir les équipements de
vidéosurveillance, on peut relever celui du Home Office, « CCTV is creating
a “feel-good factor” among the public », qui est régulièrement repris dans la
littérature consacrée à la promotion des systèmes 22. Créer un sentiment
de bien-être parmi le public mais aussi un environnement favorable au
développement économique comme en témoigne le slogan utilisé par
une agence de management pour convaincre les collectivités locales et
les entrepreneurs privés de financer l’installation de caméras dans le
centre de Glasgow : « CCTV doesn’t just make sense, it makes business sense ».
Selon la Glasgow Development Agency (GDA), l’implantation d’un système
de vidéosurveillance pourrait en effet encourager la venue de 225 000 visiteurs supplémentaires par an et entraîner la création de 1 500 emplois
dans la ville écossaise 23. Si aucune enquête ne confirmera jamais ces
chiffres par la suite, le recours à cette rhétorique est fréquent pour
mobiliser les autorités politiques et les investisseurs économiques
susceptibles de contribuer à l’installation de systèmes de vidéosurveillance dans les espaces urbains.
M. McCahill souligne également que les « compétitions » organisées
par le Home Office ont favorisé l’émergence de réseaux associant les
différents acteurs impliqués dans la gestion quotidienne de l’ordre au
(21) Voir notamment REEVE (A.), 1998, p. 69-87.
(22) In HOME OFFICE, 1994, p. 14.
(23) Cité par FYFE (N. R.), BANNISTER (J.), 1998, p. 258.
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Chapitre 1 – Le contexte d’implantation des systèmes
plan local 24. Des membres des polices publiques, des responsables de
centres commerciaux ou de services privés de sécurité se sont réunis en
effet au sein de City Centre Action Groups pour échanger les données
collectées par les systèmes et coordonner leurs actions face à la
délinquance 25. Aux liaisons techniques qui peuvent s’établir entre les
différents dispositifs implantés dans une ville se mêlent ainsi les
relations humaines entre les agents publics et privés qui assurent la
protection des biens et des personnes.
Si cette logique de management a favorisé l’émergence de nouvelles
formes de partenariat entre organisations en charge des problèmes de
sécurité, elle a également exacerbé les conflits d’intérêt entre partenaires,
des « intérêts corporatistes » selon A. Crawford qui voit dans ces agences
des espaces « hybrides » où s’expriment les attentes des autorités locales
mobilisées autour de programmes de prévention dont les effets ne sont
perceptibles qu’à long terme (community safety programmes) et celles des
entrepreneurs privés soucieux de tirer rapidement des bénéfices de leur
engagement 26. De ce point de vue, l’implantation d’équipements de
vidéosurveillance dans les centres-ville présente bien des avantages pour
le secteur commercial impliqué dans la lutte contre l’insécurité : de
telles opérations ont une grande visibilité au plan local et confortent
son statut d’interlocuteur privilégié auprès des autorités publiques, elles
sont conduites dans des zones géographiques précisément délimitées
– qui englobent les lieux d’activités des bailleurs de fonds – et leur
impact, pense-t-on, est facilement quantifiable.
Pour autant, souligne A. Crawford, l’implication des opérateurs
privés a toujours un caractère « volatil » dans la mesure où elle est
conditionnée par les résultats obtenus sur le terrain. N. R. Fyfe et
(24) McCAHILL (M.), 1998, p. 41-65.
(25) Dans l’affaire « Hellewell contre Chief Constable of Derbyshire », les juges considèrent que
des photos collectées par la police peuvent être confiées aux agents de sécurité de
magasins et circuler dans le but d’identifier des fauteurs de trouble (The Times, 13 janvier
1995, cité par BECK (A.), WILLIS (A.), 1995, op. cit.). On peut donc penser, s’agissant de
l’utilisation d’images vidéo, que cette décision de justice légitime la circulation
d’enregistrements entre opérateurs privés et services de police.
(26) CRAWFORD (A.), 1998, p. 181-194 ; voir aussi COLEMAN (R.), SIM (J.), 2000, p. 623-639.
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Vidéosurveillance et prévention de la criminalité
J. Bannister fournissent d’ailleurs des exemples qui témoignent des
limites des stratégies de « coproduction de la sécurité » (co-production of
public safety) mises en œuvre en Grande-Bretagne. Ainsi, à Glasgow, des
commerçants ont décidé de ne plus contribuer au financement des
coûts de fonctionnement du système, deux ans après son installation,
en invoquant l’absence d’effets tangibles en matière de sécurité et sur
l’économie locale. À Liverpool, aux critiques du même ordre se sont
ajoutées les plaintes de commerçants qui ont dénoncé le déplacement
de la criminalité vers des zones urbaines non équipées de caméras où
ils exercent leurs activités 27.
U N ENCADREMENT JURIDIQUE INEXISTANT
Tous les observateurs s’accordent une nouvelle fois pour affirmer que
le développement de la vidéosurveillance en Grande-Bretagne n’a suscité
aucune résistance majeure de l’opinion publique, des médias ou de
l’opposition travailliste qui a poursuivi en matière de sécurité, après son
accession au pouvoir, la politique engagée par les conservateurs. Et alors
que les caméras de vidéosurveillance sont omniprésentes dans les villes
britanniques, qu’elles sont « aussi familières au public que les cabines
téléphoniques et les lampadaires » selon l’expression de N. R. Fyfe 28,
aucune réglementation n’encadre véritablement leur emploi.
On peut remarquer tout d’abord que la loi relative à la justice
criminelle et l’ordre public, adopté en 1994, accorde aux autorités
locales d’Angleterre et du Pays de Galles une très grande marge de
manœuvre puisqu’elle leur donne le pouvoir de se doter d’équipements
de vidéosurveillance sans besoin d’une autorisation d’aucune sorte 29.
(27) Cf. FYFE (N. R.), 1998, p. 260.
(28) FYFE (N. R.), 1998, op. cit., p. 256.
(29) Jason Ditton, directeur du Scottish Centre of Criminology, souligne à ce propos : « The rapid
introduction of CCTV to Britain’s streets, in absence of any parliamentary debate and/or
conclusive evidence that it adds to the common good, must count as one of the greatest
infringements of civil rights in living memory » ; DITTON (J.), 2000b, p. 23.
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Chapitre 1 – Le contexte d’implantation des systèmes
Quant à la loi sur la protection des données personnelles (1984), elle
ne s’applique que sous certaines conditions aux enregistrements vidéo.
L’organisme chargé de veiller à son application – l’« Office of the
Information Commissioner » équivalent de la CNIL en France – a lui-même
émis des réserves quant à sa compétence dans ce domaine 30. En réalité,
il apparaît que la commission britannique n’est pas dotée de la même
autorité morale et de la même capacité à contrarier les visées du
gouvernement que sa consœur française.
Il est vrai aussi que la législation civile britannique n’accorde pas le
même degré de protection de la vie privée que la législation française.
Comme le souligne D. Feldman, en Grande-Bretagne, un individu qui
pénètre dans un espace public ou « semi-public » (comme un commerce
ou un immeuble d’affaires) doit quasiment abandonner toute revendication concernant le respect de sa vie privée, en particulier de son
image 31. Cette situation juridique explique en partie la grande liberté
dont disposent les télévisions britanniques pour utiliser des extraits
d’enregistrements saisis par des caméras de vidéosurveillance et alimenter
des émissions à sensation (CrimeWatch, CrimesStopper, Eye Spy, Crime
Beat, etc.) qui rencontrent un succès considérable auprès des téléspectateurs 32. De même, des cassettes vidéo qui assemblent exclusivement des
enregistrements de vidéosurveillance sont mises en vente dans le
commerce pour quelques dizaines de livres : ces films où les personnes
sont visées, dans des situations souvent compromettantes, sans leur
consentement et sans même que leur visage soit masqué, se vendent à
plusieurs milliers d’exemplaires à travers le pays…
Dans ce contexte, les « codes de [bonnes] conduites », conçus par un
certain nombre d’autorités locales pour encadrer l’usage quotidien des
systèmes, paraissent bien peu contraignants et, pour l’observateur
français, prêtent plutôt à sourire. À titre d’exemple, on peut détailler
celui de la police du West Midlands (1994) qui énonce plusieurs règles
(30) Voir notamment MAGUIRE (M.), op. cit., 1998, p. 229-240.
(31) FELDMANN (D.), 1993.
(32) Voir notamment SCHLESINGER (P.), TUMBER (H.), 1993, p. 19-33.
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dont le respect s’impose aux exploitants : les données factuelles sur le
nombre des caméras et leur localisation sont disponibles publiquement ; toutes les caméras sont situées dans une position fixe et proéminente – à l’exception de celles qui sont équipées d’un grand angle –
de manière à ce que les lieux domestiques et les bureaux ne soient pas
inclus dans le champ de vision des objectifs ; des contrôles sont exercés
au hasard sur les opérateurs et des sanctions disciplinaires prévues en
cas de manquement ; aucun équipement pour l’enregistrement du son
n’est autorisé ou envisagé 33. Il convient toutefois de noter qu’aucune
recommandation n’est formulée quant à l’usage et à la durée de conservation des enregistrements. Et, plus surprenant, la même constatation
peut être faite à propos du Guide rédigé à l’adresse des candidats aux
CCTV Challenge Competition par le Home Office en 1994 34 : le chapitre
consacré à ces questions («Elements of good practice») recommande
uniquement aux opérateurs de recycler régulièrement les bandes vidéos
afin de ne pas altérer la qualité des enregistrements au fil du temps !
Une enquête commanditée par la Local Government Information Unit
(LGIU), organisme indépendant regroupant une centaine de membres,
conclura que les codes de conduites élaborés par les autorités locales
– soixante-dix ont été examinés – n’apportent pas de garanties suffisantes
pour la protection des libertés des citoyens 35. Plusieurs critiques sont
formulées : la finalité des dispositifs est rarement énoncée ; lorsqu’elle est
explicitée, elle l’est dans des termes très vagues et ne révèle pas les limites
au-delà desquelles la vidéosurveillance ne sera pas utilisée ; les responsables des systèmes ne sont pas toujours clairement identifiés ; les modalités d’exploitation des enregistrements ne sont pratiquement jamais
définies (en particulier les conditions dans lesquelles ils peuvent être
vendus aux médias) ; dans un seul cas, le code a été rendu public.
À la suite de cette enquête, la LGIU élaborera un code type (1996) dont
l’adoption est recommandée aux autorités locales et aux services de
(33) In BECK (A.), WILLIS (A.), op. cit., 1995.
(34) In HOME OFFICE, 1994, op. cit., p. 36.
(35) Cf. BULOS (M.), SARNO (C.), 1996.
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Chapitre 1 – Le contexte d’implantation des systèmes
police assurant l’exploitation d’équipements de vidéosurveillance. Mais,
faut-il le préciser, l’utilisation de ce code demeure facultative et aucune
sanction n’est prévue en cas de non-respect des règles énoncées.
Pour conclure ce chapitre, il faut souligner qu’une nouvelle loi
relative à la protection des données personnelles, adoptée en 1998, est
entrée en vigueur en mars 2000. Elle répond aux exigences posées par
la directive européenne de 1995 relative à la protection des personnes à
l’égard du traitement des données à caractère personnel 36. Cette loi
s’applique à la collecte de sons et d’images et donc à l’utilisation de la
vidéosurveillance 37. C’est pourquoi, dès juillet 2000, l’Office of the
Information Commissioner a pris l’initiative de publier une série de
recommandations à l’adresse des exploitants de systèmes de vidéosurveillance auxquels de nouvelles obligations s’imposent pour garantir le
respect des libertés individuelles « dans les lieux accessibles au
public » 38. Si la commission britannique semble décidée à jouer un rôle
plus actif en la matière, force est de constater qu’un grand nombre
d’équipements échappe à cette réglementation. C’est le cas notamment
des systèmes installés par des particuliers pour surveiller leur domicile,
par des employeurs pour contrôler l’activité de leurs employés et par des
médias [broadcast media] à des fins journalistiques.
(36) Directive n° 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995, JOCE
n°L281, 23 novembre 1995.
(37) Voir notamment CHANDLER (A.), 1998, p. 25.
(38) Cf. CCTV Code of Practice, document que l’on peut consulter sur le site officiel de la
commission de contrôle britannique : http//www.dataprotection.gov.uk
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Chapitre 2
L’ EFFICACITÉ
DE LA VIDÉOSURVEILLANCE
« Did the open-street CCTV system reduce crime
and the fear of crime? The short answer to both is no ».
Jason Ditton (Scottish Centre for Criminolgy)
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L’ EFFICACITÉ
DE LA VIDÉOSURVEILLANCE
Les premières études ayant pour finalité de mesurer l’efficacité de
la vidéosurveillance en matière de lutte contre la délinquance ont
été conduites par des chercheurs anglo-américains à la fin des
années soixante-dix. Ainsi, aux États-Unis, une équipe animée par
M. C. Musheno a mené une enquête auprès des résidents d’immeubles
d’habitation de New York 39. Parmi un ensemble de vingt-six bâtiments,
trois avaient été équipés de caméras de surveillance installées dans « des
endroits particulièrement vulnérables », les images saisies étant directement transmises aux postes de télévision des habitants qui pouvaient
ainsi signaler des incidents au commissariat voisin. L’objectif principal
de l’enquête était de connaître l’évolution du sentiment d’insécurité
prédominant dans le quartier, en interrogeant la population dans les
mois qui avaient précédé et suivi l’installation de cet équipement. Les
auteurs concluaient que « la présence des caméras n’a pas apaisé les
craintes des habitants [fear of crime], ni dissuadé les auteurs d’actes
délinquants ». Principale cause de cet échec : les images avaient révélé
que la majorité des délits étaient commis par les résidents du quartier
eux-mêmes et les personnes en mesure d’informer la police n’osaient
pas le faire par peur de représailles…
En Grande-Bretagne, la première enquête de ce type est publiée en
1978 par J. N. Burrows qui a analysé l’évolution de la criminalité dans
le métro londonien où quatre stations ont été équipées de caméras de
surveillance à titre expérimental en 1975 40. Douze mois après leur
(39) MUSHENO (M. C.) et al., 1978, p. 647-656.
(40) BURROWS (J. N.), 1978.
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installation, il constate que le nombre de vols est en baisse (de 27 % par
rapport aux douze mois qui ont précédé leur installation) mais que cette
baisse est encore plus importante dans les quinze stations avoisinantes
non équipées de caméras (74 %) ou sur l’ensemble du réseau (61 %).
L’auteur conclut qu’il est impossible d’attribuer à la vidéosurveillance un
impact quelconque sur l’évolution de la délinquance dans ces lieux,
d’autant que les chiffres repartent à la hausse l’année suivante…
Seule une enquête, conduite par B. Poyner dans deux parkings de
l’université de Surrey (Guildford) au milieu des années quatre-vingt,
conclut à une baisse sensible des vols dans les véhicules après l’installation de caméras de surveillance et d’un nouvel éclairage dans l’espace
visé 41. L’auteur rapporte que le nombre de vols dans les véhicules est
passé de 92 en 1985 à 31 en 1986 ; s’agissant des vols de véhicules, la
baisse est plus faible (de 15 à 12 durant la même période). La méthodologie suivie par Poyner pour conduire cette étude sera néanmoins
critiquée par plusieurs criminologues 42. Sont contestées en particulier
la durée beaucoup trop courte de la période de temps qui sert de référence à l’enquête – elle ne permet pas de s’interroger sur le caractère
durable de la baisse – et l’absence de réflexion sur l’évolution de la
délinquance dans les espaces voisins.
À partir du début des années quatre-vingt-dix, des chercheurs
britanniques engagent de nouvelles études sur le sujet, même si elles
restent au final peu nombreuses – moins d’une dizaine de rapports
publiés au cours de la décennie – au regard de l’importance des
équipements implantés outre Manche. Comme le soulignent A. Beck et
A. Willis, ces travaux se développent dans un contexte marqué par « des
déclarations grandiloquentes proclamant le succès de la vidéosurveillance mais
formulées en des termes généraux et par des personnes qui ont pris parti à la
décision d’installer le système ». Et de poursuivre : « Ce qui manque, c’est un
corps solide de preuves sur lesquelles les responsables pourraient baser leur
jugement sur l’efficacité de la vidéosurveillance avant de prendre des décisions
(41) POYNER (B.), 1992.
(42) Cf. notamment DITTON (J.), 1995, p. 11.
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Chapitre 2 – L’efficacité de la vidéosurveillance
importantes concernant des investissements. (…) La pauvre qualité des données
collectées rend impossible une évaluation convenable des programmes. Là où des
succès sont rapportés [par des autorités de police locales] avec des chiffres,
l’efficacité des systèmes est presque invariablement exprimée en termes de
pourcentage et les données brutes sont rarement fournies. Quand elles le sont, les
conclusions apparaissent beaucoup moins tranchées parce que le niveau de la
délinquance est fréquemment déjà bas dans la phase de pré installation. De plus,
la baisse de la délinquance n’est jamais mise en rapport avec le cadre temporel
d’installation de l’équipement ou avec l’espace qu’il couvre. De fait, le déficit
d’information en la matière reflète d’importants problèmes méthodologiques liés
à l’évaluation de l’impact de la vidéosurveillance sur la délinquance. (…) On
doit également tenir compte de la réticence de la littérature consacrée à la
vidéosurveillance (surtout fournie pour les fabricants, les distributeurs et les
installateurs dans les journaux commerciaux) pour faire connaître les coûts de
fonctionnement des installations. Les investisseurs en retirent certainement un
bénéfice politique : leur décision et leur engagement financier leur permettent
d’être considérés comme agissant contre la délinquance dans les centres-ville et
l’impact public de leur engagement est largement positif. Il n’en reste pas moins
que la vidéosurveillance est chère à installer, chère à contrôler et à entretenir » 43.
De fait, en octobre 1994, lorsque le Home Office lance sa première CCTV
Challenge Competition, aucune étude n’a encore apporté la preuve incontestable de l’efficacité de la vidéosurveillance. Les enquêtes menées ultérieurement par des chercheurs professionnels et indépendants n’apporteront
pas d’éléments susceptibles de conforter la politique engagée par le
gouvernement. Tous les auteurs s’accordent en effet pour affirmer que
l’impact de la vidéosurveillance varie sensiblement d’un lieu à l’autre et
selon le type de délits visés, que les effets des systèmes sont rarement
durables et que l’implantation des caméras est fréquemment suivi d’un
phénomène de déplacement de la criminalité vers des zones nonéquipées 44.
(43) BECK (A.), WILLIS (A.), op. cit., 1995, p. 171-176.
(44) Les trois premières enquêtes analysées dans ce rapport ont été commanditées par le Home
Office et peuvent être consultées sur l’internet à l’adresse suivante : www.homeoffice.gov.uk
(rubrique « research & statistics »).
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Vidéosurveillance et prévention de la criminalité
D ANS LE MÉTRO LONDONIEN (B. WEBB, G. L AYCOCK, 1992)
Au milieu des années quatre-vingt, la société qui gère le métro
londonien engage une série d’actions visant à renforcer la sécurité des
usagers et des conducteurs de rame 45. Grâce au soutien du Home Office,
15 millions de livres sont ainsi investis pour installer de nouvelles
caméras dans des stations situées sur des lignes dites sensibles, implanter
des alarmes sur les quais et rénover le réseau de communication
assurant les liaisons radio entre les policiers. Par ailleurs, un nouveau
système de tickets (Underground Ticketing System) est mis en place pour
accéder aux stations dont les plus importantes sont équipées de
« barrières automatiques ».
C’est dans ce contexte que Barry Webb et Gloria Laycock sont
chargés de conduire une enquête pour évaluer l’efficacité de la vidéosurveillance en matière de lutte contre la criminalité dans le métro
londonien 46. Leur attention s’est portée sur deux zones spécifiques du
réseau où des actions pilotes ont été menées.
LE PROJET SUR LA LIGNE NORTHERN
Les stations situées au sud de la Tamise sur les lignes Northern,
Victoria et Bakerloo comptent parmi les plus touchées par la délinquance depuis le début des années soixante-dix. Les premières stations
équipées de caméras de surveillance en 1975 se trouvent d’ailleurs dans
ce périmètre. Pour autant, le nombre de vols n’a cessé de croître au fil
des ans dans les stations situées au sud de la Tamise sur ces trois lignes :
23 vols sont recensés en 1976, 227 en 1985…
À la suite de ce constat, l’organisation des forces de police est revue et
corrigée : un bureau de police est ouvert en janvier 1985 à Stockwell, au
croisement des lignes Northern et Victoria, et le redéploiement des
(45) Le réseau compte 248 stations et s’étend sur 250 miles. On peut consulter un plan du métro
londonien sur l’internet à l’adresse suivante : www.thetube.com
(46) WEBB (B.), LAYCOCK (G.), 1992.
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Chapitre 2 – L’efficacité de la vidéosurveillance
équipes en patrouille est décidé afin d’y renforcer la présence policière 47.
D’autres actions sont encore engagées quelques mois plus tard sur la
ligne Northern.
Dans chacune des six stations situées entre Clapham North et
Tooting Broadway, le nombre de caméras vidéo est doublé (de sept à
quatorze) et des alarmes sont installées sur les quais, chacune étant
reliée au système vidéo. Un kiosque d’information (the Passenger Alarm
Point) est implanté à l’entrée de ces stations pour recevoir les usagers. Il
abrite également l’équipe de surveillance qui dispose d’un écran de
contrôle et du matériel d’enregistrement des bandes 48. En cas d’alerte,
le système sélectionne automatiquement la caméra visant le lieu où est
signalé un incident et affiche les images sur l’écran de contrôle. B. Webb
et G. Laycock relèvent encore que l’éclairage des stations a été amélioré
et des miroirs installés pour accroître le champ de vision des agents.
L’ensemble du dispositif est opérationnel en novembre 1988.
Les données collectées pour suivre l’évolution de la délinquance
concernent les vols (essentiellement les vols à l’arraché) commis entre
1985 et 1990 dans trois zones de référence : la première couvre les six
stations précitées de la ligne Northern (zone 1), la seconde couvre six
stations situées au nord de la Tamise sur la ligne Victoria (zone 2), la
troisième concerne l’ensemble du réseau londonien (zone 3).
L’analyse des statistiques indique que le nombre de vols a quasiment
diminué de moitié dans la zone 1 avant l’installation du nouveau
système (94 en 1985, 52 en 1988) et que la baisse est encore plus nette
dans les mois qui ont suivi sa mise en œuvre effective (8 en 1989). Mais
la tendance est nouveau à la hausse l’année suivante (35 vols recensés en
1990). Dans les autres zones, la réduction des vols est également sensible : entre 1988 et 1990, leur nombre a diminué de moitié et de façon
continue dans la zone 2 (de 97 à 41) et dans la zone 3 (de 1 128 à 656).
(47) Trente policiers sont spécialement affectés à la surveillance de ce périmètre. Ils
appartiennent tous à une division spéciale de la British Transport Police qui compte alors
350 agents.
(48) Toutes ces caméras sont également reliées à la salle de contrôle de la division spéciale de
la British Transport Police qui est chargée de surveiller le métro londonien.
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Les auteurs de l’enquête soulignent également que la baisse des vols
constatée en 1988 et 1989 dans les stations situées dans les zones 1 et 2
n’a pas été suivie par une augmentation des vols dans les stations avoisinantes : les données collectées montrent que leur nombre a diminué
en amont et en aval sur les lignes Northern (- 30 %) et Victoria (- 29 %),
deux chiffres proches de la moyenne constatée sur l’ensemble du réseau
(- 34 %).
Selon B. Webb et G. Laycock, il apparaît clairement que la présence
des caméras n’est qu’un élément parmi d’autres ayant permis de rendre
la lutte contre la délinquance plus efficace. Plusieurs facteurs peuvent
en effet expliquer cette tendance généralisée à la baisse : le renforcement
de la présence policière qui s’est traduit par exemple, dans le zone 2, par
la création d’un bureau de police en avril 1989 à Finsbury Park 49 ;
l’extension du nouveau système de tickets et d’accès au réseau qui a pu
dissuader les individus indésirables de s’y introduire ; enfin la baisse
de la fréquentation du métro dont le nombre d’usagers est passé de
17,6 millions en mars 1987 à 14,4 millions en mars 1989…
LE PROJET À LA STATION OXFORD CIRCUS
Située au croisement des lignes Victoria, Bakerloo et Central, cette
station est l’une des plus fréquentées par les usagers du métro londonien :
250 000 personnes y transitent quotidiennement. Sa configuration est
particulièrement complexe puisqu’elle compte huit entrées/sorties, six
quais, quatorze tapis roulants et de multiples couloirs 50. Face à la
montée de l’insécurité dans cette station, plusieurs mesures ont été
prises suivant le plan développé entre Clapham North et Tooting
Broadway : installation de trente caméras reliées à un PC vidéo, implantation de trente-quatre alarmes et création de quatre kiosques d’information. L’ensemble du dispositif est opérationnel en avril 1988.
(49) La même année, la British Transport Police recrutait 55 nouveaux agents.
(50) À titre de comparaison, chaque station de la ligne Northern étudiée précédemment compte
deux quais, une entrée, une sortie et un tapis roulant.
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Chapitre 2 – L’efficacité de la vidéosurveillance
Les données collectées pour les besoins de l’enquête concernent les
vols à l’arraché, les vols à la tire (pickpocket) et les agressions commises
entre 1985 et 1990 à Oxford Circus et à Tottenham Court Road (une
station voisine qui ne dispose pas d’un équipement particulier).
Les statistiques montrent que le dispositif n’a pas permis de réduire la
délinquance à Oxford Circus : le nombre de vols à l’arraché est demeuré
stable durant la période de référence (27 en 1985, 32 en 1988, 29 en 1989,
29 en 1990), celui des vols à la tire a légèrement augmenté au fil des ans
(340, 397, 451 et 384 les mêmes années) et celui des agressions a connu
une évolution en dents de scie (13, 35, 32 et 16 les mêmes années).
Pour B. Webb et G. Laycock, ce résultat plutôt décevant au regard des
investissements consentis s’explique en grande partie par la nature des
délits constatés et la complexité de l’environnement à surveiller : la
majorité des vols sont commis par des pickpockets dont l’action (rapide
et discrète) peut aisément échapper à la vigilance d’un opérateur qui
doit manipuler une trentaine de caméras à la fois. Et quand bien même
il serait repéré à l’écran, l’auteur d’un vol pourrait facilement prendre
la fuite dans les méandres de la station.
En conclusion, B. Webb et G. Laycock soulignent que l’installation
de la vidéosurveillance dans les stations pilotes n’a pas eu un impact
déterminant dans la lutte contre la criminalité, en particulier dans les
espaces complexes et étendus comme à Oxford Circus où le risque d’être
arrêté n’est pas assez grand pour dissuader un délinquant potentiel de
passer à l’acte. Outre le contexte physique de son implantation, l’efficacité du système dépend aussi de la capacité des policiers à intervenir
promptement en cas d’incident, ce qui suppose que leur visibilité et leur
accessibilité soient suffisamment grandes pour qu’ils puissent réagir
dans des délais raisonnables à d’éventuelles requêtes. Or le renforcement
de la présence policière, s’il devait se poursuivre de façon continue dans
l’ensemble du réseau, a un coût difficilement supportable par la société
qui exploite le métro londonien. C’est pourquoi les auteurs de l’enquête
suggèrent qu’il serait utile d’explorer d’autres voies pour lutter contre la
criminalité, en particulier de réévaluer le rôle que d’autres employés de
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la société – les contrôleurs de billets sont cités en exemple – pourraient
jouer en matière de prévention de la délinquance.
D ANS LES PARKINGS (N. TILLEY, 1993)
Professeur de sociologie à la Nottingham Trent University, Nick Tilley
est un spécialiste des questions de méthodologie de recherche et
d’évaluation des politiques publiques dans le champ des police studies 51.
Il est le co-auteur (avec Philip Edwards) du guide d’utilisation de la
vidéosurveillance, diffusé en 1994 par le Home Office auprès des candidats
aux CCTV Challenge Competitions 52. Publié un an plus tôt, son rapport
consacré à l’évaluation de l’efficacité de la vidéosurveillance dans les
parkings publics est le premier du genre en Grande-Bretagne au regard
de l’ampleur géographique et temporelle de l’évaluation 53.
OBSERVATIONS MÉTHODOLOGIQUES
La délinquance liée à l’automobile (vols de véhicules et vols dans les
véhicules) compte pour 28 % de toutes les infractions enregistrées en
Angleterre et au Pays de Galles en 1992. Près de 20 % de ces actes sont
commis dans des parkings privés ou publics. L’enquête de N. Tilley a
pour objectif de mesurer l’impact de la vidéosurveillance dans ces lieux
en matière de prévention de la délinquance.
L’auteur formule au préalable quelques remarques générales à propos
de sa méthode d’évaluation qui s’articule autour l’examen de trois
éléments : les « mécanismes » (mechanisms) par lesquels la vidéosurveillance peut avoir un effet sur l’évolution de la criminalité, le
« contexte » (context) d’utilisation de la technologie dans un endroit
donné et les « résultats-tendances » (outcome-pattern), qui peuvent être
(51) Cf. en particulier, PAWSON (R.), TILLEY (N.), 1997.
(52) Voir supra, HOME OFFICE, 1994, op. cit.
(53) TILLEY (N.), 1993.
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Chapitre 2 – L’efficacité de la vidéosurveillance
analysés après l’installation des caméras 54. Ce cadrage théorique permet
à N. Tilley de souligner que les mécanismes associés à l’implantation de
la vidéosurveillance sont multiples et ne produisent pas les mêmes
effets selon le contexte d’utilisation du système.
Parmi ces mécanismes, qui sont autant d’hypothèses concernant la
façon dont des mesures de prévention peuvent produire des effets,
N. Tilley relève en particulier : le redéploiement du personnel de sécurité
dans les espaces visés par les caméras et à proximité, la publicité accordée
aux arrestations rendues possibles par les enregistrements vidéo, la
présence de panneaux informant le public de l’existence de caméras,
autant d’éléments qui peuvent dissuader un délinquant potentiel de
commettre un délit mais aussi rassurer les usagers et les encourager à
fréquenter les parkings placés sous surveillance. À l’inverse, souligne
l’auteur, on peut très bien imaginer que la présence de la vidéosurveillance amène le personnel de sécurité, trop confiant dans la
capacité de l’appareillage technique, à relâcher son attention ou encore
conduise les délinquants à se déplacer et à agir dans des espaces non
équipés. Plusieurs mécanismes peuvent se combiner.
Les éléments contextuels à prendre en compte sont également variés :
les conditions d’éclairage et d’utilisation du parking (fréquentation,
horaire, durée de l’immobilisation), le nombre et la performance des
caméras, le comportement des usagers relatif à la sécurité de leur
véhicule, la capacité de réaction du personnel de sécurité ou de la police
face à la survenance d’un incident, etc. Ces derniers éléments peuvent
évoluer et être adaptés au fil du temps pour permettre aux responsables
des lieux placés sous surveillance d’atteindre, avec plus ou moins de
succès, les objectifs qu’ils se sont fixés.
Quant à l’analyse des résultats, elle repose sur l’examen des données
quantitatives fournies par les services de police mais aussi des données
qualitatives recueillies au cours d’entretiens avec les responsables
d’exploitation, les agents de sécurité ou les usagers.
(54) À propos de cette « new realistic evaluation method » qui va inspirer bon nombre de
chercheurs travaillant sur l’impact de la vidéosurveillance, voir encore TILLEY (N.), 1997,
p. 175-185.
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LES ÉTUDES DE CAS
N. Tilley a étudié dans le détail les mécanismes associés aux systèmes
de vidéosurveillance et le contexte de leur mise en œuvre dans les
parkings de six villes (Hartlepool, Hull, Bradford, Lewisham, Coventry
et Wolverhampton) avant d’analyser les résultats de leur exploitation.
À Hartlepool, l’auteur relève que les parkings placés sous surveillance
vidéo sont équipés de caméras perfectionnées (zoom, infra rouge pour
la vision nocturne, etc.). Les salles de contrôle sont occupées jour et
nuit par le personnel de sécurité – sept agents s’y relayent en moyenne
au cours de la journée – qui peut donc intervenir en permanence tout
comme la police reliée aux postes de contrôle. Les images sont effacées
régulièrement sauf en cas de survenance d’un incident où elles sont
conservées pour servir de preuve. Quelques condamnations ainsi
obtenues ont été rendues publiques via la presse locale. Des panneaux
informent les usagers de la présence des caméras et les invitent
également à ne pas abandonner des objets de valeur dans leur voiture.
Dans les parkings placés sous vidéosurveillance, un système de
paiement a été mis en œuvre ce qui a réduit la durée d’immobilisation
des véhicules et augmenté le flux des usagers dans ces lieux.
S’agissant des résultats de cette politique de prévention, N. Tilley
souligne tout d’abord qu’un net déclin des vols de véhicules et des vols
dans les véhicules était déjà mesurable dans tous les parkings de la ville
avant l’installation des équipements de vidéosurveillance en avril
1990 55. Cette tendance à la baisse a perduré quelques mois dans les
parkings où la vidéosurveillance a été installée, mais elle s’est inversée
assez rapidement dans les parkings non-équipés – l’auteur avance
l’hypothèse que des déplacements temporaires de délinquance d’un
type de parking vers l’autre pourraient expliquer ce phénomène. Puis
l’avantage des parkings disposant de la vidéosurveillance a décliné avec
le temps (environ dix-huit mois après l’installation des caméras pour les
(55) L’enquête couvre la période qui va de janvier 1989 à septembre 1992 (cf. annexe, p. 26).
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Chapitre 2 – L’efficacité de la vidéosurveillance
vols de véhicules et neuf mois pour les vols dans les véhicules). Selon
N. Tilley, cette évolution correspondrait au « cycle de vie » des initiatives
de prévention de la délinquance identifié par G. Berry et M. Carter 56.
À Hull, la vidéosurveillance a été installée dans un seul parking
public en novembre 1991. Comme à Hartlepool, les caméras sont
perfectionnées, les images effacées régulièrement si aucun incident n’est
survenu et l’entrée du parking est payante. En revanche, la surveillance
des écrans de contrôle est assurée par des employés municipaux – de
jour comme de nuit – qui peuvent transmettre les images au poste
central de police et/ou solliciter par radio l’intervention d’agents
mobiles de sécurité. À noter encore l’existence d’un « code de conduite »
qui définit les règles d’usage du dispositif (confidentialité des données,
conditions de transmission des images aux services de police, etc.).
Sept mois après l’installation des caméras, N. Tilley a pu constater
une diminution significative des vols de voitures (- 89 %) et des vols
dans les voitures (- 76 %) alors que, sur l’ensemble de la ville, les premiers
ont diminué légèrement (- 6 %) et les seconds augmentés légèrement
(+ 3 %) 57. Autre évolution notable : la fréquentation de ce parking a
augmenté dans la journée depuis la mise en œuvre du système, alors que
celle des autres parkings municipaux a diminué au cours de la même
période. Selon N. Tilley, il est possible d’avancer l’hypothèse que
l’emploi de la vidéosurveillance a réduit le sentiment d’insécurité des
usagers de ce parking. Pour le reste, l’auteur demeure prudent : les
données brutes collectées auprès des services de police ne permettent
pas d’établir l’existence d’un déplacement de la criminalité vers d’autres
lieux, ni d’expliciter les raisons pour lesquelles la vidéosurveillance a
contribué à la baisse de la délinquance dans ce parking.
À Lewisham, où un parking a été placé sous surveillance vidéo depuis
avril 1991, le dispositif diffère sensiblement des deux cas précédents. Il
s’agit d’un parking privé. Le poste de contrôle est installé non pas sur
(56) BERRY (G.), CARTER (M.), 1992 cité par TILLEY (N.), op. cit., p. 9.
(57) L’enquête couvre la période qui va de novembre 1990 à juin 1991, et de novembre 1991
à juin 1992. Les données brutes collectées sont publiées dans le rapport.
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place mais au siège de l’association de commerçants qui exploite le
système. Les caméras ne couvrent pas toute la surface du parking. Parmi
les quatre caméras installées, une est un leurre, les trois autres ne disposent pas de zoom — dans la pratique il est impossible d’identifier par
ce canal les numéros d’une plaque d’immatriculation — et fournissent
des images de qualité médiocre. Des panneaux indiquent l’existence des
caméras. Le contrôle des écrans est occasionnel. Les enregistrements
vidéo ne sont pas directement accessibles aux services de police qui, au
demeurant, sont rarement sollicités.
De façon laconique, N. Tilley souligne qu’aucune arrestation n’a
jamais été effectuée grâce à ce système durant les cinq mois qui ont suivi
son installation 58. Si les vols (toutes catégories confondues) enregistrés
par les exploitants ont sensiblement diminué, passant de vingt-quatre à
six au cours des périodes de référence, l’auteur n’en tire aucune
conclusion décisive, faute d’avoir pu disposer de données comparables
sur l’ensemble de la ville. Il formule simplement l’hypothèse que cette
baisse est peut-être liée à la diffusion d’informations sur l’existence de
la vidéosurveillance, via les panneaux installés sur place ou les articles
publiés à ce sujet dans la presse locale.
À Bradford, la vidéosurveillance a été installé dans un parking du
centre-ville depuis juillet 1991. Le parking a toujours été payant. Des
panneaux indiquent l’existence des caméras. L’éclairage a été amélioré et
les murs repeints. Comme à Hartlepool, l’équipement est perfectionné,
les images sont effacées régulièrement sauf incident, et le personnel de
sécurité spécialement affecté au poste de contrôle surveille les écrans en
journée et une partie de la nuit. Aucune arrestation n’a résulté de
l’exploitation de ce système.
Douze mois après l’installation du système, une réduction sensible
des vols dans les voitures (- 68 %) et des vols de voitures (- 43 %) a été
constatée 59. Durant la même période de référence, N. Tilley remarque
(58) L’enquête couvre la période qui va d’avril à juillet 1990 et d’avril à juillet 1991.
(59) L’enquête couvre la période qui va de juillet 1990 à juin 1992. Les données brutes
collectées sont publiées dans le rapport.
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que les vols dans les véhicules ont légèrement augmenté dans deux
parkings voisins (+ 6 %) et dans l’ensemble de la ville (+ 10 %), quant
aux vols de véhicules, l’augmentation est plus importante dans les
parkings voisins (+ 32 %) que dans l’ensemble de la ville (+ 8 %).
Curieusement, N. Tilley n’évoque pas ici l’hypothèse d’un déplacement
de la criminalité vers les parkings et les espaces non-équipés de vidéosurveillance pour expliquer l’augmentation des vols constatés par
ailleurs. Il note simplement que les travaux réalisés (équipement vidéo,
éclairage, peinture, etc.) ont permis de dissuader les auteurs d’infraction
potentiels.
À Coventry, la vidéosurveillance a été installée au fil des ans dans
cinq parkings par la municipalité qui a également mis en œuvre d’autres
mesures de prévention dans ces lieux : coupe régulière du feuillage pour
améliorer la surveillance, réfection des peintures et des éclairages, installation de panneaux pour informer les usagers de la présence de caméras,
érection de hautes clôtures pour restreindre et canaliser l’accès des
piétons 60. Le dispositif vidéo lui-même comprend des écrans de contrôle
observés en permanence le jour et en soirée. Les enregistrements sont
conservés en cas d’incidents.
Les données collectées entre 1987 et 1992 montrent que les vols de
véhicules ont sensiblement diminué, et de façon continue, dans les cinq
parkings visés par l’enquête (191 en 1987, 54 en 1992), de même dans
tous les parkings de la ville durant cette période (300 en 1987, 72 en
1992). En revanche, dans l’ensemble de la ville, l’évolution est différente :
après une nette diminution (3 269 en 1987, 2 102 en 1989), les vols de
voitures ont régulièrement augmenté (2 696 en 1992). Concernant les
vols dans les voitures, la tendance globale est à la baisse mais les chiffres
reflètent d’importantes fluctuations d’une année à l’autre quelle que
soit la zone de référence. Ainsi, dans les cinq parkings sélectionnés, les
vols dans les voitures sont passés de 390 en 1987, à 192 en 1989, 268 en
1990, 170 en 1991 et 301 en 1992. N. Tilley conclue logiquement que
(60) L’enquête couvre la période qui va de janvier 1987 à août 1992, les cinq parkings ayant
été progressivement équipés de caméras au cours de cette période.
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l’impact des mesures de prévention varie selon le type de vol mais qu’il
est impossible de savoir quelle mesure précise a pu avoir un effet dans
chacun des parkings étudiés.
À Wolverhampton, la vidéosurveillance a été installée dans le parking
d’un centre de loisirs en février 1991 61. Le dispositif est perfectionné et
des panneaux informent les usagers de son existence. Les images sont enregistrées en permanence et communiquées aux services de police en cas
d’incident. Aucune arrestation n’a résulté de l’exploitation du système.
Douze mois après l’installation de la vidéosurveillance, une faible
réduction des vols de voitures a été constatée (de 11 à 9). Quant aux vols
dans les voitures, la baisse est plus sensible (de 28 à 15). Dans le reste
de la ville, les premiers ont également diminué (- 3 %) et les seconds
légèrement augmentés (+ 3 %). N. Tilley conclut que le système a pu
jouer un rôle dans l’inhibition de la délinquance mais il note aussi que
la fréquentation du centre de loisirs a diminué de 28 % durant la période
de référence…
REMARQUES FINALES
N. Tilley clôt son rapport en formulant les observations suivantes.
L’installation de la vidéosurveillance dans les parkings peut servir à
prévenir la commission d’infractions relatives aux véhicules [car crime]
mais son impact n’est jamais durable. L’efficacité de la vidéosurveillance
est d’autant plus grande que son implantation est associée à d’autres
mesures complémentaires (éclairage, clôture, peinture, etc.). L’impact de
la vidéosurveillance n’est pas le même selon qu’il s’agisse de vols de
voitures ou de vols dans les voitures. Très peu d’arrestations ont suivi
la mise en œuvre de la vidéosurveillance, en raison de la pauvre qualité
des images fournies par les systèmes et du nombre limité d’agents de
sécurité disponibles pour intervenir après la constatation d’un incident.
(61) L’enquête couvre la période qui va de février 1990 à février 1992.
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Chapitre 2 – L’efficacité de la vidéosurveillance
À N EWCASTLE , B IRMINGHAM ET K ING ’ S LYNN
(B. B ROWN , 1995)
Au moment où il rédige son rapport, Ben Brown est membre du
Home Office Police Research Group. Son enquête a pour objectif d’étudier
comment la police utilise la vidéosurveillance pour traiter du problème
de la délinquance et des atteintes à l’ordre public 62. L’auteur analyse
dans le détail l’impact des systèmes sur l’évolution du nombre de délits
recensés dans trois villes anglaises, Newcastle, Birmingham et King’s
Lynn. Sur le plan méthodologique, B. Brown inscrit sa réflexion dans
le cadre théorique élaboré par Pawson et N. Tilley et s’attache plus
particulièrement à l’examen du contexte dans lequel la vidéosurveillance a été mise en œuvre et des mécanismes par lesquels elle a
eu un effet sur la prévention des comportements déviants.
LES USAGES DE LA VIDÉOSURVEILLANCE
Pour établir de quelle façon les services de police emploient les
systèmes dans la pratique, B. Brown a effectué plusieurs visites sur le
terrain et des entretiens avec les agents en poste dans des villes qui en
sont équipées. Selon l’auteur, les usages policiers de la vidéosurveillance
relèvent de quatre types d’activités.
La première concerne l’aide au déploiement des forces de police sur la voie
publique. Intégrées à un réseau plus large de communication, qui mobilise
notamment des liaisons radio, les caméras fournissent des informations
utiles pour coordonner l’action des agents sur le terrain. Le système
permet en particulier d’apporter des réponses appropriées et rapides aux
incidents ou aux alertes dont les opérateurs prennent connaissance.
B. Brown donne quelques exemples d’opérations coordonnées grâce à la
(62) BROWN (B.), 1995.
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présence des caméras : faciliter l’évacuation d’un lieu suite à une menace
d’attentat, observer le comportement de supporters de football, contrôler
le trafic routier, commander l’intervention d’un nombre adéquat de policiers pour résoudre tel ou tel conflit survenu sur la voie publique, etc.
La deuxième concerne l’aide apportée à l’identification et à l’arrestation
de suspects. Le système permet par exemple de suivre les déplacements
d’un délinquant qui se dissimulerait au sein d’un groupe de personnes
ou derrière des obstacles pour échapper à la police. B. Brown souligne
toutefois que les arrestations interviennent plus souvent lorsque la
vidéosurveillance est utilisée en direct pour piloter l’action des agents
sur le terrain. « Tenter d’utiliser l’information enregistrée pour identifier les
suspects rétroactivement est bien moins efficace » précise-t-il.
La troisième concerne la prévention des comportements déviants. Les vertus
dissuasives des systèmes reposent sur un principe simple : l’existence de
la vidéosurveillance et la publicité faite autour de son utilisation
doivent amener les individus à se conformer à un certain type de
(bonne) conduite dès l’instant où ils pénètrent dans le champ des
caméras. Cela étant, la nature de l’infraction (« impulsive » lors d’une
bagarre à la sortie d’un pub ou « planifiée » lors d’un cambriolage par
exemple) a une incidence sur l’efficacité de la vidéosurveillance, le
comportement de son auteur potentiel étant plus ou moins influencé
par la présence des caméras avant de passer à l’acte 63.
La quatrième concerne la constitution d’éléments de preuve.
L’enregistrement vidéo d’un incident permet non seulement de confondre
un délinquant mais aussi, souligne B. Brown, de localiser/identifier des
témoins et de conserver une trace filmée de la « réponse policière ».
LES ÉTUDES DE CAS
À la suite du constat établi par B. Webb et G. Laycock dans le
métro londonien – l’efficacité des caméras varie selon la nature de
(63) Dans le même sens, Clive Norris écrit à ce propos : « When young men have had between
five and 10 pints of lager and their honour is challenged, the presence of a camera makes
no diffrences » (The Guardian, 8 décembre, 1999).
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l’environnement placé sous surveillance et des actes délinquants visés –
B. Brown, pour mener son enquête, a sélectionné des villes où les
caméras couvrent des espaces très différents, et exploité des données
statistiques qui englobent une large variété d’infractions constatées par
les services locaux de police.
À Newcastle-upon-Tyne, cité du nord-est de l’Angleterre 64, le centreville possède une population de résidents peu importante, mais compte
de nombreux établissements publics, night-clubs, restaurants, pubs,
commerces et bureaux. Les rues, qu’elles soient piétonnes ou affectées à
la circulation automobile, sont larges et rectilignes. À noter également,
à proximité du centre, la présence du Park Saint James, stade de football où l’équipe locale accueille régulièrement les clubs du championnat
de première division. Toutes ces activités, souligne B. Brown, sont
génératrices de nombreux problèmes de sécurité.
Seize caméras perfectionnées – panoramiques et équipées d’un zoom –
ont été installées en décembre 1992 pour surveiller les principales artères
du centre-ville. L’équipement a été financé par une agence locale de
développement – the City Centre Partnership Security Initiative – qui a
réuni des fonds publics et privés. Les coûts de son fonctionnement
(maintenance et salaires des opérateurs) sont à la charge exclusive de
l’autorité de police locale 65.
Les images sont transmises au PC vidéo du commissariat central qui
est équipé de quatre écrans de contrôle observés 24 heures sur 24. Le
système permet l’enregistrement des images et l’impression de copies sur
papier. Les opérateurs vidéo peuvent communiquer directement par
radio avec les agents qui patrouillent sur le terrain. Une liaison radio
spécifique est affectée aux communications entre les opérateurs et les
agents de sécurité d’un important centre commercial qui dispose de son
propre système de vidéosurveillance.
(64) La ville compte environ 205 000 habitants.
(65) Selon Stephen Graham et John Brooks, le coût de l’équipement s’élevait à 4 millions de
francs (dont 2,7 millions de fonds privés) et le coût annuel de fonctionnement à 1,2 million
de francs, cf. GRAHAM (S.) et al., op. cit., 1996, p. 8.
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Pour analyser l’impact du dispositif en matière de délinquance,
B. Brown a étudié les données collectées par la police durant les 26 mois
qui ont précédé son fonctionnement effectif (mars 1993) et les 15 mois
qui ont suivi. Une vingtaine d’infractions différentes ont été retenues
pour l’enquête (cambriolage, vol de voiture, trafic de drogue, désordre
public, etc.) qui porte en réalité sur quatre espaces géographiques
spécifiques : une zone couverte par 14 des 16 caméras installées dans le
centre-ville (zone 1), une zone située à proximité immédiate de la
première mais non-équipée de caméras (zone 2), un quartier résidentiel
(Byker) situé à l’est de la ville et non-équipé de caméras (zone 3) et
l’ensemble du comté (Northumbria) pour fournir des données à
l’échelle régionale (zone 4).
L’analyse des données indique que la présence des caméras peut avoir
un impact déterminant pour lutter contre certaines formes de criminalité 66. Ainsi, le nombre des cambriolages est tombé de 57 % dans la
zone 1 (39 % dans la zone 2, 3 % dans la zone 3, 2 % dans la zone 4)
durant la période de référence. B. Brown remarque toutefois que cette
tendance au déclin était déjà observable avant l’installation des caméras.
Il note en particulier que la période où la baisse des cambriolages a été
la plus forte est celle qui va de décembre 1992 à mars 1993, c’est-à-dire
entre le moment où l’installation du système est annoncée et celui où
sa mise en œuvre est effective…
S’agissant des vols de ou dans les véhicules, la tendance est également
à la baisse durant la période de référence. Là encore, B. Brown souligne
que cette tendance à la baisse était déjà observable dans les zones 1, 2
et 3 avant mars 1993. Il relève surtout que cette tendance se renverse
après quelques mois dans la zone 1 pour les vols de véhicule : les données
enregistrées connaissent une forte hausse à partir de juillet 1993 de telle
sorte qu’au terme de la période de référence aucune différence tendancielle ne subsiste entre les différentes zones.
(66) Parmi toutes les infractions étudiées, seules les plus significatives – c’est-à-dire ayant connu
une nette augmentation ou réduction en terme statistique durant la période de référence –
ont été présentées et analysées dans le détail par B. Brown dans son rapport.
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Concernant les vols sur les personnes et les atteintes à l’ordre public
commises par la jeunesse (juvenile disorder), B. Brown souligne que les
données enregistrées ne permettent pas de conclure à un quelconque
effet des caméras sur leur évolution. Ainsi par exemple, si les vols sur
les personnes ont légèrement diminué sur l’ensemble de la période de
référence, la baisse la plus sensible (18 %) concerne la zone 2 nonéquipée de caméra.
En définitive, B. Brown souligne que la vidéosurveillance a surtout
eu un impact positif dans la lutte contre les atteintes à la propriété
durant les premiers mois qui ont suivi son installation à Newcastle.
L’analyse des données semble même indiquer qu’il y a une certaine
« diffusion des bénéfices » liés à la présence de la vidéosurveillance vers
des espaces non-équipés de caméras, en particulier pour les cambriolages.
Mais force est de constater que les effets des caméras s’atténuent après
un certain temps.
À Birmingham, deuxième cité d’Angleterre en terme d’habitants 67,
le centre-ville connaît une baisse de la population des résidents et
compte de nombreux établissements publics et financiers, commerces,
bureaux, restaurants et pubs. Il accueille également un nombre important de manifestations populaires (réunions sportives, marches de
protestation, etc.) tout au long de l’année. La configuration des rues de
Birmingham est beaucoup plus complexe que celle de Newcastle ; de
même, le centre-ville couvre un espace géographique beaucoup plus
vaste que celui de Newcastle.
La décision d’y implanter un système de vidéosurveillance a été prise
à la fin des années quatre-vingt dans le cadre d’un programme
Citywatch financé par des fonds publics (Home Office) et privés (City
Centre Assocciation). Le projet élaboré à cette époque est ambitieux
puisqu’il prévoit l’installation en plusieurs étapes d’une cinquantaine de
caméras. Le système qui est opérationnel en janvier 1991 ne compte que
(67) La ville compte près de 935 000 habitants et l’agglomération plus de 2,5 millions
d’habitants.
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neuf caméras. D’autres viendront s’y ajouter. Et en 1994, lorsque
B. Brown mène son enquête, seules quatorze caméras sont installées.
Dans son rapport, il souligne d’ailleurs que plusieurs d’entre elles ont
été implantées en dépit du bon sens : le champ de vision est obstrué, ici
par du mobilier urbain, là par des arbres au feuillage abondant jusqu’à
l’automne…
Les images sont transmises au PC vidéo du commissariat central équipé
de dix écrans de contrôle. Elles sont visionnées 24 heures sur 24 et peuvent
être enregistrées sur disque dur ou faire l’objet de copies sur papier. Grâce
à des liaisons radio, les opérateurs sont en contact permanent avec les
agents qui patrouillent sur le terrain. L’ensemble du dispositif est donc
aussi perfectionné qu’à Newcastle sur le plan technique.
Les statistiques étudiées par B. Brown concernent les données
enregistrées par la police locale durant les douze mois qui ont précédé
son fonctionnement effectif (janvier 1991) et les trente-six mois qui
ont suivi. Une dizaine d’infractions différentes ont été retenues pour
l’enquête qui porte sur trois espaces géographiques de référence : une
zone couverte par neuf des quatorze caméras installées dans le
centre-ville (zone 1), la même zone légèrement élargie pour tenir
compte d’un changement intervenu dans l’organisation administrative
de la police locale qui a affecté le traitement des données criminelles
(zone 2) et une zone couvrant l’ensemble de l’agglomération à
l’exclusion des deux précédentes (zone 3 où la couverture vidéo est
quasi-inexistante).
L’analyse des données indique que la présence des caméras a eu un
fort impact sur l’évolution des vols commis sur les personnes (en
particulier les vols à l’arraché). Avant l’installation du système, elle est
similaire dans les trois zones étudiées. Au terme de la période de
référence, le nombre de vols recensés a légèrement augmenté dans les
zones 1 et 2 alors qu’il a triplé dans la zone 3.
Concernant les cambriolages, les statistiques indiquent que leur
nombre est resté relativement stable tout au long de la période de
référence dans les zones 1 et 2 alors qu’il a nettement augmenté dans
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la zone 3 quelques mois après l’installation du système. De même,
s’agissant des agressions, leur nombre est resté stable après l’installation
des caméras dans les trois zones mais une augmentation sensible a
affecté la zone 3 durant les seize derniers mois de la période de
référence.
L’évolution des vols de ou dans les véhicules est plus contrastée. Les
vols de véhicules avaient fortement augmenté durant les douze mois
précédant l’installation des caméras, puis ils ont régulièrement décliné
dans les zones 1 et 2 durant les quinze mois qui ont suivi la mise en
œuvre effective du système, alors qu’ils augmentaient à nouveau après
cette période dans la zone 3. Dans la mesure où les caméras ne visaient
pas spécialement des espaces affectés au stationnement des voitures 68,
B. Brown explique cette baisse par les changements intervenus (fin 1991)
en matière de circulation automobile dans le cœur de la cité où plusieurs
rues ont été transformées en voies piétonnes. Dans le même temps, le
nombre de vols dans les véhicules a fortement augmenté dans les zones
1 et 2 alors qu’il demeurait stable dans la zone 3. Ces derniers éléments
confortent l’analyse de B. Brown : l’aménagement de rues piétonnes
– qui a modifié les « conditions d’accès » des véhicules aux délinquants –
a joué un rôle plus important que la présence des caméras dans
l’évolution de ce type de vols.
B. Brown conclut que la vidéosurveillance a surtout eu un impact
positif à Birmingham dans la lutte contre les vols commis sur les
personnes dans les espaces couverts par des caméras. Cependant les
statistiques indiquent que ce type de vols a augmenté dans les espaces
où la couverture vidéo est partielle ou inexistante. La même observation est formulée à propos des cambriolages. Il est donc fort probable,
souligne-t-il, que l’implantation de la vidéosurveillance ait été suivie
par un « déplacement géographique » de la criminalité vers des zones
peu ou non équipées de caméras. Plus sûrement encore, selon B. Brown,
la mise en œuvre du système a été suivie par un « déplacement
(68) Aucun parking n’est équipé de caméras de surveillance à Birmingham au moment de
l’enquête.
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Vidéosurveillance et prévention de la criminalité
fonctionnel » de la criminalité : là où une couverture vidéo existe, les
auteurs de vols sur les personnes ou de cambriolages ont reporté leurs
activités sur les vols dans les véhicules ; là où elle est inexistante, le
phénomène est inverse 69.
Un dernier enseignement peut être tiré des développements consacrés
par B. Brown à Birmingham dans son rapport. Il a étudié en effet, au
cours d’une même année (1994), le type d’incidents détectés par la
vidéosurveillance dont la survenance a déclenché ensuite une intervention policière. 458 incidents ont ainsi été traités par la police locale,
parmi lesquels 173 ont débouché sur des arrestations. Et de relever que
45 % de ces incidents concernent des problèmes de désordre public (état
d’ivresse, mendicité, nuisances diverses, etc.), 20 % des cambriolages et
des vols, 16 % la surveillance d’individus au comportement suspect, 7 %
des problèmes de circulation automobile… B. Brown en conclut que la
présence des caméras a surtout facilité le travail de la police pour traiter
de problèmes liés à des atteintes à l’ordre public et, dans une moindre
mesure, à des atteintes à la propriété.
À King’s Lynn, petite cité médiévale et marchande, les premières
caméras ont été installées en 1987 pour lutter contre le cambriolage
dans une zone industrielle située à la périphérie de la ville 70. En février
1992, dix-neuf caméras sont implantées dans les parkings du centre-ville
et les espaces avoisinants qui englobent un marché, des commerces, des
automates bancaires, des établissements publics et quelques logements
collectifs. D’autres caméras seront encore installées par la suite pour
couvrir des rues piétonnes (dans le centre), un grand complexe sportif
et un lotissement d’habitations (à proximité du centre), le parking et les
(69) Selon une typologie dressée par T. A. Repetto, les « déplacements de criminalité » peuvent
prendre cinq formes : un déplacement « géographique » (un même délit est commis dans un
lieu différent), un déplacement « temporel » (un même délit est commis à un autre moment de
la journée), un déplacement « tactique » (un même délit est commis selon une méthode
différente), un déplacement de « cible » (un même délit est commis sur une catégorie
différente de personnes), un déplacement « fonctionnel » (le même délinquant commet un
délit de nature différente) ; Cf. REPETTO (T. A.), 1976, p. 166-167 ; voir aussi BARR (R.), PEASE (K.),
1990.
(70) La ville compte près de 30 000 habitants.
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accès d’un hôpital (à la périphérie). Au total, l’ensemble du système
compte soixante caméras au moment où B. Brown conduit son enquête.
Les fonds qui ont servi au financement de ces opérations ont des
origines multiples : contributions d’associations réunissant des industriels et des commerçants, taxes prélevées sur chaque ticket d’entrée aux
parkings, taxes d’habitation plus élevées pour les personnes dont les
habitations font l’objet d’une couverture vidéo, subventions du Home
Office.
Toutes les caméras sont perfectionnées, quelques-unes disposant
même de dispositifs infrarouges pour faciliter la vision de nuit. Les
images sont transmises via un réseau de fibres optiques à un PC vidéo
équipé de vingt-trois moniteurs, situé dans un bâtiment municipal. Les
écrans sont contrôlés 24 heures sur 24 par l’équipe d’une agence de
sécurité privée. Une ligne téléphonique directe relie ces opérateurs à la
salle de contrôle du commissariat de police qui dispose aussi d’un
moniteur.
Pour étudier l’efficacité du système en matière de lutte contre la
criminalité, B. Brown a analysé les données collectées par la police locale
de février 1991 – c’est-à-dire douze mois avant l’installation de caméras
dans les parkings du centre – à octobre 1993. Quatre infractions différentes et trois espaces géographiques ont été pris en compte pour les
besoins de l’enquête : une zone couverte par les dix-neuf caméras
installées dans les parkings et leurs alentours (zone 1), l’ensemble de
l’agglomération à l’exclusion de la zone précédente (zone 2) et l’ensemble
du comté (Norfolk) pour fournir des données à l’échelle régionale
(zone 3).
Vu le nombre peu élevé d’infractions enregistrées dans la zone 1
(moins d’une vingtaine dans chaque catégorie) durant la période de
référence, B. Brown annonce d’emblée qu’il est impossible de tirer des
conclusions quelconques sur d’éventuels phénomènes de déplacement
de la criminalité à King’s Lynn.
Les statistiques montrent tout d’abord que la délinquance relative aux
véhicules a fortement chuté et de façon continue durant la période de
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référence : vingt-quatre vols dans les véhicules étaient recensés dans la
zone 1 en février 1991, treize en février 1992 et quatre en octobre 1993
(dans la zone 2, ces vols ont diminué de moitié ; dans la zone 3, leur
nombre est demeuré stable) ; quinze, sept puis deux vols de véhicules
étaient recensés aux mêmes dates dans la zone 1 (dans les zones 2 et 3,
ces vols ont sensiblement diminué). Cette évolution laisse penser que la
vidéosurveillance n’est pas le seul facteur susceptible d’expliquer cette
tendance quasi générale à la baisse.
Concernant les cambriolages, les statistiques indiquent que leur
nombre a diminué de moitié après l’installation des caméras dans la
zone 1 (de dix à quatre) et augmenté de façon continue dans les zones
2 et 3 au cours de la période de référence. S’agissant des agressions,
l’évolution est plus contrastée : leur nombre a fortement chuté (de sept
à deux) dans la zone 1 avant l’installation des caméras, puis augmenté
durant les neuf mois suivants (de deux à cinq), pour chuter à nouveau
de façon continue jusqu’au terme de la période de référence (de cinq à
un). Dans le même temps, leur nombre a sensiblement augmenté dans
les deux autres zones (de quarante à soixante-cinq dans la zone 2). Pour
expliquer cette évolution en dents de scie dans la zone 1, B. Brown
avance l’hypothèse que la présence des caméras a sans doute permis
d’accroître le nombre d’incidents portés à la connaissance des policiers
(et augmenter en conséquence les statistiques criminelles) avant d’avoir
un effet dissuasif sur des délinquants potentiels.
Dans la seconde partie de son enquête, B. Brown a étudié de quelle
façon le système est utilisé au jour le jour à King’s Lynn. Chaque
incident étant reporté par écrit sur une sorte de « main courante », il a
pu analyser le type d’incidents traités par les opérateurs vidéo durant
trente-deux mois (de février 1992 à septembre 1994). Plus de quatre mille
incidents ont ainsi été recensés au cours de la période de référence. Ces
informations proviennent de deux sources différentes : soit les opérateurs relèvent eux-mêmes un incident sur les écrans, soit leur attention
est attirée par des policiers qui ont reçu un appel au commissariat et
demandent une surveillance immédiate.
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Parmi les incidents relevés par les opérateurs eux-mêmes (environ
deux mille), plus des deux tiers concernent la surveillance d’« individus
suspects » (huit cents) – il s’agit généralement, souligne B. Brown, de
jeunes gens dont le comportement a attiré leur attention – et des
atteintes à l’ordre public (six cents). Au total, 16 % de ces incidents ont
conduit à des interventions de la police dont la moitié (cent quarante
exactement) ont été suivies par des arrestations. Dans la grande majorité
des cas, la police a donc choisi de ne pas répondre aux sollicitations des
opérateurs.
Parmi les incidents portés à l’attention des opérateurs, plus de la
moitié concerne la surveillance d’un lieu où un incident est signalé
(huit cents) et la poursuite d’individus suspects (quatre cents). Une autre
catégorie importante concerne le visionnage d’un enregistrement vidéo
en vue de l’identification d’un individu (trois cents) 71. Au total, 6 %
de ces incidents ont conduit à des interventions de la police dont trenteneuf ont été suivis par des arrestations 72.
Selon B. Brown, ces résultats illustrent combien la vidéosurveillance
peut être utile à la police pour évaluer la pertinence et l’urgence d’une
intervention et apporter le cas échéant une réponse appropriée aux faits
constatés sur les écrans. De ce point de vue, si l’efficacité du système
n’est pas contestée à King’s Lynn, il n’en reste pas moins que sa mise
en œuvre s’est traduite par une extension considérable de la surveillance
des citoyens (1 caméra pour 500 habitants !) de cette petite ville de
province, et plus particulièrement des plus jeunes de ses habitants.
REMARQUES FINALES
L’enquête confirme que la vidéosurveillance a des effets complexes et
distincts selon la nature des délits et des espaces visés par les caméras.
(71) Dans ce dernier cas, B. Brown relève que seules trois identifications (sur 300 demandes) ont
pu être réalisées grâce à la vidéosurveillance…
(72) Parmi ces interventions, cinq concernent des atteintes à l’ordre public et dix-huit des atteintes
à la propriété.
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Dans certains cas, la présence des caméras s’est accompagnée d’un
phénomène de « déplacement de la criminalité », dans d’autres cas, elle
a permis de « diffuser les bénéfices » de la surveillance – durant une
période de temps plus ou moins longue – vers des zones non-équipées.
Les données collectées semblent également indiquer que les interventions
de la police ont eu plus de succès dans la lutte contre les atteintes à la
propriété que celle contre les atteintes aux personnes dans les espaces
disposant d’une couverture vidéo. Dans tous les cas, l’efficacité des
dispositifs techniques repose moins sur leur vertu dissuasive (ou
supposée telle) que sur la capacité des opérateurs à soutenir et à coordonner l’action des agents sur le terrain.
À B RIGHTON
(P. S QUIRES , L. M EASOR , 1996)
Chercheurs auprès du Département des sciences sociales de l’université de Brighton, Peter Squires et Lynda Measor ont mené une étude sur
les usages et l’impact de la vidéosurveillance à Brighton, cité balnéaire
située au sud de l’Angleterre, ainsi qu’une enquête d’opinion auprès de
la population 73.
La décision d’implanter des caméras de surveillance dans le centreville est prise au début des années quatre-vingt-dix, à un moment où les
autorités locales s’inquiètent de la recrudescence de la délinquance liée
à l’automobile et des agressions contre les personnes, en particulier des
étudiants étrangers qui fréquentent l’université pour suivre des stages
linguistiques durant la période estivale. Le système qui compte quatorze
caméras perfectionnées est opérationnel en novembre 1994. Les images
sont transmises à un PC vidéo installé dans le commissariat central où
des agents en civil surveillent les écrans de contrôle 24 heures sur 24.
Grâce à des liaisons radio, ces derniers sont en contact permanent avec
les policiers qui patrouillent sur le terrain. L’équipement a été financé
(73) La ville compte près de 135 000 habitants.
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Chapitre 2 – L’efficacité de la vidéosurveillance
par des fonds publics (Brighton Borough Council & Sussex Police Authority)
et privés (un « consortium » de commerçants et de sociétés locales).
Les données collectées par P. Squires et L. Measor pour mesurer
l’impact de la vidéosurveillance sur l’évolution de la délinquance à
Brighton relèvent de deux catégories différentes : la première concerne
les délits commis contre des personnes ou des biens, de 1992 à juillet
1995, qui ont fait l’objet d’un dépôt de plainte auprès des services de
police ; la seconde concerne les incidents enregistrés quotidiennement,
de 1993 à juillet 1995, sur la « main courante » tenue par ces mêmes
services de police. Leur analyse est complétée par une série d’entretiens
avec les opérateurs et les responsables policiers locaux 74.
Les auteurs de l’enquête reconnaissent eux-mêmes que la période de
référence retenue – moins d’un an après l’installation du dispositif dans
le centre-ville – est trop courte pour tirer des conclusions définitives en
la matière. Qui plus est, ils ne fournissent aucune donnée permettant
de comparer l’évolution de la délinquance entre les espaces couverts ou
non couverts par les caméras de surveillance. Il n’en reste pas moins que
P. Squires et L. Measor formulent quelques observations précieuses pour
mieux saisir les enjeux associés à l’implantation d’un tel système dans
un espace urbain.
OBSERVATIONS STATISTIQUES
S’agissant des incidents reportés quotidiennement sur la « main
courante », les auteurs relèvent que leur nombre a augmenté de façon
sensible durant la période qui a suivi l’installation du système. Chaque
mois, entre 6 000 et 8 000 incidents sont enregistrés par la police dans
l’ensemble de l’agglomération (Brighton Division) et près de 40 % de ces
incidents surviennent dans le centre-ville. Or, en comparant les données
collectées durant les six premiers mois de l’année 1994 avec celles
recueillies durant les six premiers mois de l’année 1995, P. Squires et
L. Measor constatent que le nombre d’incidents a augmenté de 23 %
(74) Cf. SQUIRES (P.), MEASOR (L..), 1996, op. cit.
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dans l’agglomération (soit 900 incidents supplémentaires). Durant la
même période de référence, cette hausse est beaucoup moins importante
dans le centre-ville (+ 3 %) si l’on suit l’évolution de l’ensemble des
incidents (toutes catégories confondues). En revanche, elle est plus
sensible s’agissant des incidents commis avec violence ou ayant entraîné
des désordres publics (+ 24 %).
En étudiant plus en détail les incidents traités par la police en juin
1995, c’est-à-dire sept mois après l’installation des caméras, P. Squires et
L. Measor constatent que les opérateurs vidéo ont été sollicités pour
examiner près de six cents incidents et qu’ils ont eux-mêmes révélé un
peu plus de cinquante incidents à leur collègue en service sur le terrain.
Une centaine au total ont été suivis par des arrestations. Au regard des
données fournies par B. Brown à King’s Lynn, deux observations
peuvent être formulées ici : les agents en patrouille sont plus rarement
sollicités par les opérateurs vidéo à Brighton (moins d’un cas sur dix)
qu’à King’s Lynn (un cas sur deux) et le nombre d’arrestations liées à
l’exploitation des enregistrements vidéo est proportionnellement
beaucoup plus élevé à Brighton qu’à King’s Lynn (179 arrestations en
32 mois). Cela dit, dans les deux villes, les auteurs s’accordent pour
affirmer que le principal usage de la vidéosurveillance consiste à ajuster
en permanence le déploiement des forces de police en fonction des réalités du terrain afin d’y mener essentiellement des activités de routine.
S’agissant des délits ayant fait l’objet du dépôt d’une plainte, leur
nombre s’élève en moyenne à deux mille par mois dans l’ensemble de
l’agglomération. Leur nombre (toutes catégories confondues) a
diminué de façon continue de 1992 à 1994 (de 1 à 3 % par an) et la
tendance s’est maintenue au cours des six premiers mois de l’année
1995. Dans le centre ville, l’évolution est sensiblement identique si
l’on compare les données collectées durant la première moitié de
l’année 1994 avec celles recueillies durant la première moitié de
l’année 1995 : la baisse est de 3 % durant cette période de référence
pour l’ensemble des délits enregistrés. En revanche, s’agissant des
délits commis avec violence sur des personnes ou des biens, leur
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nombre a connu une forte hausse (plus de 20 %) qu’il faut mettre en
relation avec le nombre d’incidents constatés dans la même catégorie
et durant la même période de référence.
REMARQUES FINALES
Faut-il en conclure que la présence des caméras n’a eu aucun effet
déterminant sur l’évolution de la délinquance à Brighton ? Les auteurs
demeurent prudents à ce sujet et formulent la même observation que
B. Brown à propos des agressions commises à King’s Lynn : la vidéosurveillance a sans doute eu pour effet immédiat d’accroître le nombre
d’incidents portés à la connaissance des forces de police et d’augmenter
en conséquence les statistiques criminelles. Et d’ajouter que les autorités
locales avaient précisément donné pour consigne aux agents en poste à
Brighton de porter plus spécialement leur attention sur les violences
commises contre les personnes (voir infra) 75. C’est dire que l’on se
retrouve ici face à un paradoxe déjà évoqué en France à propos du
développement de la « police de proximité » et de ses effets sur l’évolution des statistiques criminelles.
Par ailleurs, P. Squires et L. Measor soulignent qu’ils ont poursuivi
leur enquête au cours de l’été 1995 afin de suivre l’impact d’un
programme d’action visant à réduire les vols et les agressions contre les
personnes durant cette période estivale où la ville accueille de nombreux
touristes et étudiants étrangers. En comparant les données collectées
durant l’été 1994 et l’été 1995, les auteurs constatent que le nombre de
délits a diminué de façon sensible (- 44 %). Si l’utilisation de la vidéosurveillance n’est pas étrangère au succès de cette opération, ils
soulignent toutefois que la présence policière avait été renforcée sur le
terrain à cette occasion, et qu’une campagne d’information ciblée avait
été conduite auprès des populations concernées. Là encore, les auteurs
rejoignent les conclusions formulées par d’autres chercheurs (N. Tilley,
(75) P. Squires et L. Measor notent au passage que, si les incidents de ce type ne représentent
guère plus de 5 % de l’ensemble des incidents constatés dans le centre de Brighton, ils
alimentent néanmoins un fort sentiment d’insécurité auprès de la population.
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B. Webb et G. Laycock) avant eux : l’efficacité de la vidéosurveillance est
d’autant plus grande que son utilisation est associée à d’autres mesures
préventives.
À D ONCASTER
(D. S KINNS , 1998)
Au moment où il publie son rapport d’étude, David Skinns est
chercheur en criminologie au Doncaster College 76. Cette enquête a
pour objectif d’évaluer l’efficacité de la vidéosurveillance à Doncaster,
cité située au nord-est de l’Angleterre, dans une région industrielle
fortement marquée par la crise économique et sociale qui a suivi la
fermeture de mines de charbon dans les années quatre-vingt 77. Le projet
d’installer un système de vidéosurveillance est d’abord défendu par des
entrepreneurs privés et des commerçants (business community) soucieux
de stimuler l’économie locale en attirant les consommateurs dans un
environnement sécurisé. Par la suite, souligne D. Skinns, ce projet est
soutenu par la population qui voit avant tout dans ce dispositif un
moyen de mettre fin aux désordres (tapage nocturne, état d’ivresse, etc.)
qui troublent la vie quotidienne des habitants.
Le système est opérationnel en octobre 1995. Il compte soixante-trois
caméras perfectionnées implantées dans les rues commerçantes, les
parkings et les principales artères du centre-ville. Les images sont
transmises à trois PC vidéo dont le plus important est installé dans les
locaux du commissariat central, celui-ci étant le seul à être connecté à
toutes les caméras et habilité à enregistrer des séquences vidéo. Une
équipe d’agents en civil y surveille les écrans de contrôle 24 heures sur 24.
Les opérateurs peuvent communiquer par radio avec les policiers qui
patrouillent sur le terrain, mais aussi être alertés par de simples citoyens
(76) Pour une synthèse voir : SKINNS (D.), 1998, p. 175-188.
(77) La ville compte près de 85 000 habitants et l’agglomération plus de 250 000 habitants.
(78) Cf. SKINNS (D.), 1997.
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Chapitre 2 – L’efficacité de la vidéosurveillance
qui actionneraient l’une des quarante-sept bornes d’appel (help points)
installées la même année dans les rues du centre-ville 78.
Les données collectées par D. Skinns proviennent de quatre sources
différentes : les statistiques criminelles établies par les services de police,
des enquêtes de victimation menées auprès de certaines catégories de
population (usagers des parkings, lycéens, commerçants, etc.), des
entretiens avec des personnes en charge des problèmes de sécurité
(policiers, magistrats, etc.) et une autre série avec des jeunes délinquants.
S’agissant des statistiques criminelles, l’auteur a étudié tous les délits
enregistrés par la police locale durant les douze mois qui ont précédé et
suivi la mise en œuvre effective du système. Une dizaine d’infractions
différentes ont été analysées dans le détail pour les besoins de l’enquête
qui porte en réalité sur sept espaces géographiques différents : les rues
commerçantes placées sous surveillance vidéo (zone 1) ; le centre-ville à
l’exclusion de la zone précédente (zone 2) ; des quartiers résidentiels
(zone 3) et des centres d’activités commerciales (zone 4) situés à proximité
du centre-ville et non-équipés de caméras ; deux « districts » situés à la
périphérie du centre-ville où la couverture vidéo est inexistante (zones 5 et
6) à l’exclusion des deux zones précédentes ; l’ensemble de l’agglomération
(zone 7) à l’exclusion de toutes les zones précitées 79. Ce découpage, conçu
pour des raisons d’ordre méthodologique, s’apparente à un jeu subtil de
« poupées russes » et permet à D. Skinns de comparer assez finement
l’évolution de la délinquance dans les divers espaces couverts (zones 1 et 2)
ou non couverts (zones 3, 4, 5, 6 et 7) par les caméras de surveillance.
L’analyse des données indique que le nombre de délits enregistrés
(toutes catégories confondues) est tombé de 16 % durant la période de
référence dans les rues placées sous surveillance (zone 1) et de 11 % dans
le reste du centre-ville (zone 2), alors que leur nombre est resté stable
dans les deux autres districts (+ 0,1 %) et le reste de l’agglomération
(+ 3 %). D. Skinns souligne toutefois que l’impact de la vidéosurveillance
(79) En réalité, sur le plan administratif, la police locale est compétente pour agir dans huit
« districts » dont trois couvrent spécifiquement la ville de Doncaster (les zones 2, 5 et 6 de
l’enquête).
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dans la zone 1 varie sensiblement selon le type de délits. La baisse est
particulièrement nette pour les vols dans les véhicules (- 50 %), les vols
de véhicules (- 45 %) et les cambriolages (- 25 %). Elle est moins sensible
pour les vols à l’étalage (- 11 %). Le nombre de vols à la tire est
relativement stable (+ 2 %) et il est à la hausse pour les agressions
(+ 7 %) et les atteintes à l’ordre public (+ 26 %).
Concernant les cambriolages, D. Skinns établit l’existence d’un
phénomène de « diffusion des bénéfices » liée à la présence des caméras
dans la mesure où la baisse des délits de ce type est également sensible
dans le reste du centre-ville (- 26 %). Mais d’ajouter aussitôt que le
redéploiement des forces de police qui a accompagné l’implantation du
dispositif technique dans le cœur de la cité n’est sans doute pas étranger
à cette évolution des statistiques. Dans le même sens, il souligne que la
forte baisse des délits liés à l’automobile s’explique aussi en partie par
la politique engagée par la municipalité qui a restreint les espaces dédiés
au stationnement des véhicules dans le centre-ville.
Plus sûrement, D. Skinns constate que le nombre de délits (toutes
catégories confondues) a fortement augmenté dans les zones d’activités
commerciales situées à la périphérie de la ville (zone 4) : la hausse est
de 31 % durant la période de référence. Ce phénomène de « déplacement de la criminalité » est particulièrement net pour les vols à la tire
(+ 42 %), les vols à l’étalage (+ 30 %), les vols de véhicules (+ 30 %), les
cambriolages (+ 26 %) et les vols dans les véhicules (+ 19 %). Au total,
le nombre de délits (toutes catégories confondues) enregistrés dans les
trois districts de police qui couvrent la ville, n’a que légèrement diminué
(- 6 %) durant la période de référence.
D. Skinns souligne finalement que l’implantation de la vidéosurveillance a eu un impact paradoxal sur l’évolution de la délinquance
dans la ville de Doncaster : pour certains délits, dans certaines zones, la
tendance est à la baisse ; pour d’autres délits, dans d’autres zones, la
tendance est à la hausse. Par ailleurs, l’analyse des données montre que
le dispositif technique n’apporte pas une aide décisive dans la lutte
contre les agressions et les atteintes à l’ordre public, alors même que les
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Chapitre 2 – L’efficacité de la vidéosurveillance
attentes de la population étaient grandes en la matière. Notons qu’une
observation similaire avait déjà été formulée par d’autres auteurs
comme B. Brown à Newcastle. C’est dire aussi, ajoute D. Skinns, que les
autorités locales ne pourront pas longtemps faire l’économie d’une
réflexion sur le redéploiement des forces de police dans la cité et la
définition des priorités à accorder dans la lutte contre la criminalité.
À A IRDRIE ET G LASGOW (J. DITTON ET E. SHORT, 1993/1999)
Professeur de criminologie à l’université de Sheffield, Jason Ditton
dirige le Scottish Centre for Criminology et a publié de nombreux articles
et ouvrages dans le champ des sciences criminelles. Assisté par Emma
Short, il a mené en particulier plusieurs études pour évaluer l’impact de
la vidéosurveillance 80. On peut affirmer que, pour la communauté
scientifique britannique, ces recherches comptent parmi les travaux de
référence en la matière, notamment sur le plan méthodologique. Elles
ont été conduites au cours des années quatre-vingt-dix dans deux villes
écossaises : à Airdrie, petite cité de 35 000 habitants située à quelques
kilomètres à l’est de Glasgow, puis à Glasgow même, métropole
commerciale et industrielle qui compte plus de 750 000 habitants.
LES ÉTUDES DE CAS
À Airdrie, première ville écossaise à être équipée d’un système de
vidéosurveillance, l’implantation d’un tel dispositif est due à l’initiative
du chef de la police locale à la suite d’une réunion organisée en 1991
avec les membres d’un foyer de jeunes.
J. Ditton et E. Short ont rapporté le contenu de la discussion, plutôt
surprenante, qui s’est tenue ce jour-là et décrit le processus qui a conduit
(80) DITTON (J.), SHORT (E.), 1995 ; 1998, p. 404-428 ; 1999 ; DITTON (J.), 1998, p. 221-228 ;
2000a, p. 692-709.
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in fine à l’installation des caméras. On peut les résumer ainsi : le sentiment exprimé lors de la réunion par les jeunes est que la surveillance policière est injustement braquée sur eux ; de nombreux incidents et actes de
vandalisme leur sont attribués à tort ; après plusieurs heures de débat, une
jeune fille lance l’idée d’installer une caméra dans le quartier qui doit
servir à témoigner de leur bonne foi et à identifier les vrais coupables ;
l’idée est reprise par le chef de la police qui élabore un projet plus ambitieux et le soumet à l’ensemble de la population au cours de plusieurs
réunions publiques ; parallèlement, un groupe de travail est constitué au
sein du commissariat pour analyser les statistiques criminelles et définir
les espaces devant faire en priorité l’objet d’une surveillance vidéo ; une
campagne d’information est ensuite engagée en direction des commerçants en vue d’obtenir leur aide pour financer l’opération. En définitive,
douze caméras sont implantées dans le centre-ville et le système est
opérationnel en novembre 1992. Le commissariat central abrite le PC vidéo
où des opérateurs surveillent les écrans de contrôle 24 heures sur 24.
Pour analyser l’impact de la vidéosurveillance sur l’évolution de la
délinquance, les auteurs ont étudié les données collectées par la police
de novembre 1990 à octobre 1994, c’est-à-dire 24 mois avant et après
l’installation des caméras, dans six zones de référence : les rues du
centre-ville placées sous surveillance vidéo (zone 1), les autres quartiers
du centre-ville non équipés de caméras (zone 2), puis des zones de plus
en plus larges (à l’exclusion des deux précédentes) qui correspondent à
des circonscriptions administratives de police (division, district, etc.).
Sept catégories différentes d’infractions – préalablement définies par le
Scottish Office – ont été prises en compte.
L’analyse des données indique que le nombre de crimes et délits
(toutes catégories confondues) a diminué de 21 % dans les espaces
couverts par les caméras (zone 1) durant les 24 mois qui ont suivi leur
installation 81. Ditton et Short relèvent toutefois que l’impact de la
vidéosurveillance varie sensiblement selon le type d’infractions :
(81) Toutes les données brutes recueillies auprès des services de police ont été corrigées pour
tenir compte des variations saisonnières et autres.
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Chapitre 2 – L’efficacité de la vidéosurveillance
– la catégorie qui inclut les cambriolages, les vols de (ou dans les)
véhicules, les vols à l’étalage et les fraudes (crimes of dishonesty), a
connu le taux de réduction le plus élevé (- 48 %), ce qui représente
près de 1 230 délits en moins par rapport aux 24 mois qui ont
précédé l’installation du système ;
– le nombre d’actes de vandalisme a chuté de 19 % au cours de la
période de référence, ce qui représente 42 délits en moins ;
– les deux catégories qui incluent les infractions les plus graves
comme les homicides, les crimes sexuels, les agressions violentes ou
les attaques à main armée (crimes of violence & crimes of indecency),
n’ont pas connu d’évolution notable, leur nombre étant demeuré
stable (une centaine avant et après l’installation des caméras) ;
– le nombre de délits relatifs à l’usage de drogues a augmenté de
106 % au cours de la période de référence, ce qui représente 180
délits supplémentaires ;
– le taux des infractions relatives à l’usage de véhicules (conduites en
état d’ivresse, excès de vitesse, etc.) a augmenté de 126 %, ce qui
représente 128 délits supplémentaires ;
– la catégorie qui regroupe les atteintes à la paix publique (bagarre,
état d’ivresse, nuisances diverses, etc.) a connu le taux de croissance
le plus élevé (+ 133 %), ce qui représente 194 délits supplémentaires.
Concernant les trois dernières catégories d’infractions, J. Ditton et
E. Short soulignent que la forte augmentation de leur nombre ne
signifie pas nécessairement que la vidéosurveillance n’a pas eu d’effet
dans ce domaine. Comme d’autres auteurs (B. Brown, P. Squires et
L. Measor), ils avancent l’hypothèse que la présence des caméras a pu
accroître le nombre d’incidents détectés par les opérateurs et augmenter
en conséquence les statistiques criminelles.
Par ailleurs, rien n’indique que l’implantation du système ait été
suivie par un phénomène de déplacement (fonctionnel ou géographique)
de la criminalité. Dans les deux zones les plus proches du centre-ville
où la couverture vidéo est inexistante, le nombre d’infractions enregistrées
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(toutes catégories confondues) a légèrement augmenté au cours de la
période de référence, mais cette hausse est presque entièrement due à
l’augmentation des délits liés à la possession et au commerce de drogues
(+ 161 % dans la zone 2 et + 215 % dans la zone 3). Dans la mesure où
les délits de ce type ont aussi augmenté de façon sensible dans les
espaces placés sous surveillance (zone 1), J. Ditton et E. Short
considèrent qu’il n’y a aucune « évidence statistique » permettant
d’établir l’existence d’un déplacement de criminalité. C’est dire aussi
qu’ils n’écartent pas cette hypothèse mais suggèrent plutôt d’utiliser
d’autres méthodes d’investigation – comme des entretiens avec des
délinquants pour connaître leur motivation et leur mode d’action –
afin de saisir la réalité du phénomène 82.
L’enquête conduite par J. Ditton et E. Short à Airdrie est complétée
par une analyse comparée des taux de résolution des infractions (crimes
cleared-up) portées à la connaissance de la police locale 83. Les auteurs
établissent que ce taux de résolution (toutes catégories confondues) est
passé de 50 % à 58 % durant les vingt-quatre mois qui ont suivi
l’installation des caméras. Là encore, ils soulignent que ce taux varie
sensiblement selon le type d’infraction : il est resté inchangé (31 % avant
et après l’installation du système) pour les délits dits de déloyauté (crimes
of dishonesty), c’est-à-dire la catégorie qui inclut le plus grande nombre
d’infractions commises au cours d’une année sur le plan statistique
(38 % des délits enregistrés par la police en Écosse) ; il est passé de 20 %
à 27 % en ce qui concerne les actes de vandalisme ; il a faiblement
augmenté s’agissant des atteintes à l’ordre public (de 82 % à 87 %) et
des délits relatifs à la drogue (de 95 % à 97 %) ; il a légèrement diminué
en ce qui concerne les infractions relatives à l’usage de véhicules (de
98 % à 94 %).
(82) Dans le même sens, T. Gabor affirme : «Our inability to detect displacement from statistics
does not mean that the phenomenon is not present» ; GABOR (T.), 1990, p. 60.
(83) Selon les autorités judiciaires écossaises, un crime ou un délit est considéré comme « résolu »
si au moins un des auteurs (impliqués dans une affaire donnée) est arrêté, cité ou poursuivi
en justice.
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Chapitre 2 – L’efficacité de la vidéosurveillance
À Glasgow, c’est dans le cadre d’un programme de prévention de la
délinquance (City Watch) que les autorités locales prennent la décision
d’installer un dispositif de vidéosurveillance dans le centre-ville, souvent
assimilé à un lieu « dangereux » et « sinistre » dans l’opinion publique.
L’objectif prioritaire affiché par les autorités est de rendre la cité plus
attractive aux investisseurs potentiels. Une agence de développement
(Glasgow Development Agency) est spécialement créée pour améliorer l’image
de la ville et lever les fonds nécessaires au financement des opérations
destinées à accroître le sentiment de bien-être – le fameux feel-good factor –
de la population 84. Le système est opérationnel en novembre 1994 et
compte trente-deux caméras perfectionnées reliées à un PC vidéo où des
opérateurs scrutent en permanence douze écrans de contrôle.
L’analyse des statistiques criminelles est réalisée suivant la même
méthode que précédemment (définition de plusieurs zones de référence,
prise en compte de sept catégories de crimes et délits). Seule différence
notable, la période de référence est plus courte puisqu’elle couvre les
vingt-quatre mois qui ont précédé et les douze mois qui ont suivi
l’installation de la vidéosurveillance 85.
Sans entrer dans les détails chiffrés, on retiendra les deux principales
conclusions formulées par J. Ditton et E. Short à Glasgow. L’analyse des
données indique que le nombre de crimes et délits (toutes catégories
confondues) a légèrement augmenté (+ 9 %) dans les espaces couverts
par les caméras et que le taux de résolution des infractions (toutes
catégories confondues) est passé de 64 % à 60 %, durant les douze mois
qui ont suivi leur installation 86. C’est dire que l’on aboutit au résultat
exactement inverse à celui observé à Airdrie où le nombre de crimes et
(84) Voir supra chapitre 1.
(85) Les auteurs expliquent que le recueil des données ne pouvait se poursuivre au-delà de
l’année 1995 dans la mesure où les résultats de leur enquête devaient être publiés quelques
mois plus tard.
(86) J. Ditton et E. Short constatent une fois encore que l’impact de la vidéosurveillance varie
sensiblement selon le type d’infraction : les crimes violents (crimes of violence), les actes de
vandalisme, les atteintes à l’ordre public et les délits relatifs à l’usage de véhicules ont
diminué ; les crimes et délits de nature sexuelle (crimes of indecency), les délits de déloyauté
(crimes of dishonesty) et les délits relatifs à l’usage de drogue ont augmenté.
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délits avait diminué (- 21 %) et le taux d’élucidation augmenté (de 50 %
à 58 %) ! Qui plus est, les auteurs montrent que si le nombre d’incidents portés à la connaissance des opérateurs a augmenté durant les
douze mois qui ont suivi l’installation du système, leur intervention n’a
pas été suivie par un nombre conséquent d’arrestations : près de 290 ont
été comptabilisées au cours de cette période, soit une arrestation par
caméra tous les quarante jours… J. Ditton et E. Short concluent cette
partie de l’étude en une phrase lapidaire : « Open street CCTV can “work”
in limited ways but it is not a universal panacea ».
Dans la mesure où l’un des objectifs des autorités locales était de
réduire le sentiment d’insécurité (fear of crime) de la population, J. Ditton
et E. Short ont également mené une enquête auprès des citoyens de la
ville pour les questionner sur ce sujet. Près de 3 000 personnes furent
interrogées neuf mois avant, puis trois et quinze mois après la mise en
œuvre du système. Les entretiens ont été conduits de huit heures du
matin à minuit de façon à constituer un échantillon représentatif de la
population locale.
On retiendra surtout ici que seuls 33 % des personnes interrogées ont
conscience de la présence des caméras trois mois après leur installation
– 41 % quinze mois après – alors même que les médias ont largement
couvert l’événement. J. Ditton et E. Short soulignent au passage le rôle
ambigu joué par la télévision en la matière : à plusieurs reprises, les
chaînes locales ont diffusé des enregistrements vidéo pour montrer la
capacité du dispositif à repérer des incidents, à orienter l’intervention
des forces de police et in fine à venir au secours des victimes, mais la
diffusion de telles scènes, parfois extrêmement violentes, sur le petit
écran a pu également alimenter le sentiment d’insécurité des habitants
et conforter l’image négative qu’ils ont de leur cité.
Par ailleurs, le nombre de personnes qui préfèrent éviter de parcourir
le centre-ville à certaines heures, n’a cessé d’augmenter au fil du temps :
50 % avant l’installation des caméras, 59 % trois mois après leur installation et 65 % quinze mois après 87. Enfin, deux tiers des personnes
(87) Les auteurs relèvent que les femmes sont plus nombreuses à exprimer cette opinion que les
hommes.
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Chapitre 2 – L’efficacité de la vidéosurveillance
interrogées considèrent que le renforcement de la présence policière
(police patrolling) sur le terrain est plus utile pour rassurer la population
que l’installation de caméras. Autant d’éléments qui semblent indiquer
que la vidéosurveillance n’a pas réduit le sentiment d’insécurité des
habitants.
REMARQUES FINALES
Dans deux articles publiés récemment dans la revue professionnelle
CCTV Today, Ditton a prolongé sa réflexion et tenté d’expliquer pour
quelles raisons la vidéosurveillance semble avoir apporté de meilleurs
résultats à Airdrie qu’à Glasgow 88.
Il relève tout d’abord que les objectifs poursuivis par les autorités
locales sont radicalement différents dans les deux villes.
À Airdrie, comme on l’a vu, l’initiative est venue du chef de la police
en réponse à un problème précis posé par les jeunes de la ville qui se
défendent d’être les auteurs d’actes de vandalisme et de vols à l’étalage.
Et lorsque l’officier avance l’idée d’étendre le dispositif de surveillance
à l’ensemble de la ville, la population lui apporte son soutien. J. Ditton
rappelle à ce propos que, dans les jours qui ont suivi la mise en œuvre
du système, des centaines de personnes ont fait la queue durant
plusieurs heures à l’entrée du PC vidéo pour jeter un œil à l’intérieur.
C’est dire que les habitants d’Airdie sont « fiers de leurs caméras »,
comme le souligne J. Ditton, mais aussi que les objectifs poursuivis sont
clairs, limités et réalistes. À Glasgow, rien de tel. La vidéosurveillance est
présentée d’abord comme un moyen de restaurer l’image de cette vaste
métropole dont l’activité industrielle est en déclin, objectif ambitieux
mais à bien des égards irréaliste. Peu d’habitants résident dans le centreville et la majorité ignore la présence des caméras.
De façon plus pragmatique, J. Ditton souligne ensuite que les conditions d’exploitation des deux systèmes n’ont rien de commun, si ce
n’est le nombre d’opérateurs en charge de la surveillance vidéo : deux
(88) Cf. DITTON (J.), 2000b, op. cit., p. 20 ; 1999, p. 10.
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agents assurent en permanence cette tâche à Airdrie comme à Glasgow.
Or, faut-il le rappeler, le dispositif compte douze caméras à Airdrie et
trente-deux à Glasgow ! Il relève encore que les opérateurs en poste à
Airdrie connaissent la plupart des personnes qui passent dans le cadre
des écrans de contrôle, ce qui n’est pas le cas à Glasgow qui compte
vingt fois plus d’habitants.
Ditton souligne enfin que les circonstances dans lesquelles la vidéosurveillance a été introduite dans les deux villes sont différentes. En
novembre 1994, le système est mis en œuvre à Glasgow à un moment
où le nombre de crimes et délits enregistrés en Écosse repart à la hausse
après avoir décliné durant vingt-quatre mois consécutifs. À l’inverse, les
résultats plutôt positifs obtenus par la police à Airdrie s’inscrivent dans
une période beaucoup plus favorable dans la mesure où le système est
opérationnel en novembre 1992, c’est-à-dire exactement deux ans plus tôt.
Pour conclure, J. Ditton affirme que la vidéosurveillance, si l’on veut
bien la débarrasser de ses « qualités magiques », peut jouer un rôle utile
dans la gestion des désordres urbains. Et il invite les chercheurs à
s’intéresser à l’avenir à la question de savoir non pas « si ça marche »
mais « comment ça marche »…
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Chapitre 3
L ES OPÉRATEURS VIDÉO
ET LES DÉLINQUANTS EN ACTION
« What’s that guy with dreadlocks going
into Watches of Switzerland for ? »
Un opérateur vidéo devant son écran
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L ES OPÉRATEURS VIDÉO
ET LES DÉLINQUANTS EN ACTION
« C’est quoi ce type [devant la vitrine d’une boutique] avec des dreadlocks
qui s’intéresse à des montres suisses ? ». Ces propos cités en exergue sont
rapportés par Stephen Graham dans un article où il s’interroge sur les
menaces que fait peser le développement de la vidéosurveillance sur les
libertés individuelles 89. Il s’inquiète en particulier de l’absence d’un
cadre juridique protecteur et de l’étendue du pouvoir que détiennent
désormais les agents privés de sécurité et leurs employeurs pour définir
quelles sont les personnes autorisées à circuler ou à accéder librement à
tel ou tel espace urbain placé sous surveillance. Comme d’autres
auteurs, dont l’inquiétude s’exprime parfois avec plus de véhémence, il
souligne le caractère sélectif et discriminatoire du travail des opérateurs 90. Les suspects sont désignés à l’avance, comme les jeunes et les
étrangers dont l’apparence permet facilement aux agents de les faire
entrer dans ces catégories : les jeunes n’ont-ils pas tous des dreadlocks
– ou des cheveux rasés, tout dépend de l’époque – et les étrangers la peau
colorée ?
Si l’on veut bien admettre que ces remarques ont quelque pertinence,
il est intéressant de rendre compte des travaux réalisés par des chercheurs
qui ont étudié de près le travail quotidien des opérateurs vidéo. C’est
précisément le cas de Clive Norris et Garry Armstrong qui ont mené
leurs investigations, durant près de six cents heures (!) dans les PC vidéo
(89) GRAHAM (S.) et al., op. cit., 1996, p. 19.
(90) Cf. notamment DAVIES (S.), 1996 ; FISKE (J.), 1998, p. 67-88 ; FYFE (N.R.), BANNISTER (J.),
1998, op. cit., p. 254-267 ; KOSKELA (H.), 2000, p. 243-265 ; LYON (D.), 1994 ; WILLIAM (K.),
JOHNSTONE (C.), 2000, p. 183-210.
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Vidéosurveillance et prévention de la criminalité
de plusieurs villes différentes. La première partie de ce chapitre est
consacrée à cette étude qui, à bien des égards, est unique en son genre.
Dans une même perspective méthodologique, se référant aux travaux
déjà cités de T. A. Repetto et T. Gabor pour étudier le phénomène de
« déplacement de la criminalité » 91, J. Ditton et E. Short ont mené une
série d’entretiens avec trente délinquants jugés à Airdrie. Cette étude est
précieuse pour comprendre les motivations et l’attitude des personnes
situées de « l’autre côté de la caméra » 92. La seconde partie de ce
chapitre y est consacrée.
L E TRAVAIL DES OPÉRATEURS (C. NORRIS, G. ARMSTRONG, 1999)
Chercheurs en criminologie, respectivement à l’université de Hull et
à l’université de Reading, Clive Norris et Garry Armstrong ont étudié
les pratiques des opérateurs dans une enquête conduite entre mai 1995
et avril 1996 dans trois villes différentes (dont les noms ne sont pas
révélés par les auteurs) 93. De fait, le contexte d’implantation et les
caractéristiques des PC vidéo varient sensiblement d’un lieu à l’autre :
– le premier est implanté dans les locaux de la police locale et couvre
le centre commerçant d’une grande métropole (Metro City) qui
compte plus de 500 000 habitants. Trente-deux caméras y sont
implantées. Le coût de l’installation s’élevait à 1 million de livres ;
son coût moyen de fonctionnement est de 200 000 livres par an.
L’exploitation est assurée par les agents d’une compagnie privée de
sécurité ;
(91) REPETTO (T.A.), 1976, op. cit., p. 166-167 ; GABOR (T.), 1978, p. 100-107.
(92) Signalons que cette enquête n’est pas la première du genre réalisée en Grande-Bretagne.
Dans un article de recension, C. J. Horne souligne l’existence d’un mémoire de recherche
(non publié) qui traite du même sujet ; FRENCH (P.), 1995.
(93) Cf. NORRIS (C.), ARMSTRONG (G.), 1999, op. cit., p. 89-201. La deuxième partie de leur
ouvrage, intitulée «The Unforgiving Eye», est entièrement consacrée à cette enquête.
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Chapitre 3 – Les opérateurs vidéo et les délinquants en action
– le second est abrité dans des bâtiments municipaux et couvre le
centre d’une ville de province prospère (County Town) qui compte
près de 200 000 habitants. Une centaine de caméras y sont implantées. Le coût de l’installation s’élevait à 500 000 livres ; le coût
moyen de fonctionnement est de 120 000 livres par an. L’exploitation
du système est assurée par les employés d’une société privée de
sécurité ;
– le troisième est situé dans une ville (Inner City), marquée par le
déclin économique, qui compte près de 250 000 habitants dont les
origines ethniques sont très variées. Seize caméras assurent la surveillance des artères principales et de leurs alentours. Le coût de
l’installation s’élevait à 450 000 livres ; le coût moyen de fonctionnement est de 100 000 livres par an. Comme dans le cas précédent,
la salle de contrôle est abritée dans les bâtiments municipaux où des
agents d’une société privée assurent l’exploitation du dispositif.
Au total, C. Norris et G. Armstrong ont passé près de six cents heures
à observer le travail quotidien des opérateurs en charge de la manipulation des caméras. Ces derniers ont eu à traiter 888 incidents au cours
de la période de référence.
SURVEILLANTS / SURVEILLÉS
Quelles sont les personnes en charge de la surveillance ? Vingt-cinq
opérateurs au total dont C. Norris et G. Armstrong dressent le portrait.
On retiendra surtout ici qu’ils sont mal payés pour effectuer un travail
fastidieux et que la plupart d’entre eux ne sont pas diplômés et ont
choisi d’exercer ce métier après une période de chômage. Aucune des
personnes interrogées n’évoque une quelconque vocation pour expliquer son entrée dans ce secteur d’activités. Ils ont entre 20 et 40 ans,
seulement deux sont des femmes.
Si l’on retient la configuration du système implanté à Inner City, le
travail quotidien d’un opérateur peut être décrit de la façon suivante. Il
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est installé devant seize moniteurs couleurs reliés aux caméras implantées
dans la ville, chaque caméra étant munie d’un zoom et d’une tête
pivotante. S’il sélectionne l’une d’entre elles, l’image est retransmise sur
un moniteur placé au centre des autres écrans. À l’aide d’une manette,
il peut alors activer le zoom et la tête pivotante de la caméra pour suivre
plus précisément les mouvements d’un individu qui circule sous ses
yeux. De la même façon, quelques secondes lui suffisent, le temps de
sélectionner une nouvelle caméra, pour parcourir l’ensemble des zones
placées sous surveillance et observer un individu différent. L’image
retransmise sur le moniteur central est enregistrée sur un magnétoscope
et, en cas de doute, l’agent peut immédiatement visionner la bande
vidéo, passer l’image au ralenti, et répéter ces opérations à volonté.
Une caméra traitant 24 images par seconde, c’est-à-dire plus de
2 millions d’images en 24 heures, dans une ville qui compte seize
caméras, le système enregistre plusieurs dizaines de millions d’images au
cours d’une journée ! Face un tel « bombardement d’images », pour
reprendre l’expression de C. Norris et G. Armstrong, les opérateurs sont
nécessairement amenés à sélectionner les personnes qui défilent sur les
écrans. Quelles sont leurs cibles privilégiées ?
Les statistiques établies par les auteurs montrent que les agents visent
en priorité des adolescents : ils représentent 47 % des personnes ciblées
(mais seulement 15 % de la population locale). Les individus âgés de
30 ans et plus ne constituent qu’une part minime des personnes visées
(11 %). Et les hommes (89 %) le sont bien plus souvent que les femmes
(11 %). L’appartenance à un groupe ethnique semble également être un
critère sélectif déterminant dans deux villes : à County Town, 15 % des
personnes visées sont des Noirs alors que cette catégorie représente
seulement 6 % de la population locale ; à Inner City, 84 % des
personnes visées sont des Noirs alors que cette catégorie représente
seulement 18 % de la population locale.
Parmi toutes les cibles désignées par les opérateurs, 30 % sont des
personnes suspectées (à tort ou à raison) d’être impliquées dans un
crime ou un délit, 22 % des individus soupçonnés de porter atteinte à
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Chapitre 3 – Les opérateurs vidéo et les délinquants en action
l’ordre public. Pour les autres, aucune raison évidente (no obvious reason)
ne permet de justifier a priori l’intervention des opérateurs.
Afin de pousser plus loin leurs investigations, les auteurs ont dressé
une typologie des motifs de suspicion en distinguant : celle qui est
fondée sur les caractéristiques des personnes comme l’âge ou la couleur
de peau (categorical suspicion), celle qui est initiée par un tiers comme un
policier qui patrouille sur le terrain (transmitted suspicion), celle qui est
basée sur des comportements anormaux observés à l’écran comme une
bagarre ou une conduite en état d’ivresse (behavioural suspicion), sur la
situation géographique d’une victime potentielle (locational suspicion),
sur des connaissances personnelles de l’opérateur (personalised suspicion),
sur la crainte de voir une personne exposée à un danger (protectional
suspicion) ou sur le voyeurisme (voyeuristic suspicion).
Il ressort de l’enquête que les motifs les plus fréquemment invoqués
pour justifier la surveillance relèvent des trois premiers types de suspicion :
– Categorical suspicion (34 %) : dans ce cas, un individu est visé par les
caméras, non pas pour ce qu’il fait, mais pour ce qu’il est. Les
catégories de population les plus surveillées pour ce motif sont les
adolescents (67 %) et les Noirs (74 %) ;
– Transmitted suspicion (31 %) : les interventions sollicitées par un tiers
visent principalement les personnes âgées de 30 ans et plus (26 %)
et les Blancs (23 %), de façon bien moindre les adolescents (15 %)
et les Noirs (7 %) ;
– Behavioural suspicion (24 %) : les interventions basées sur la détection
d’un comportement anormal concernent avant tout les personnes
âgées de 30 ans et plus (46 %) et les Blancs (36 %), de façon bien
moindre une fois encore les adolescents (12 %) et les Noirs (13 %).
Notons enfin que le voyeurisme concerne 1 % des cas étudiés mais
10 % des opérations qui ont des femmes pour cible. Et les seules
personnes exclues de manière systématique par les opérateurs vidéo sont
celles qui portent un uniforme.
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REMARQUES FINALES
C. Norris et G. Armstrong soulignent en définitive que le travail des
opérateurs repose essentiellement sur des « stéréotypes grossiers ». Et
dans la mesure où la suspicion des agents est rarement fondée sur une
base concrète et objective, il n’est pas étonnant de constater que parmi
les 888 incidents recensés au cours de l’étude, seuls 49 ont débouché sur
une intervention de la police… et 12 sur des arrestations. Dans un
contexte différent, à King’s Lynn, B. Brown avait souligné un phénomène
semblable.
D’une certaine façon, C. Norris et G. Armstrong confirment ce que
l’on savait déjà. Les opérateurs se retrouvent dans une situation
quasiment identique à celle de policiers en patrouille qui, comme l’avait
montré en particulier H. Sacks dans ses recherches, scrutent l’apparence
d’une personne pour y déceler des caractéristiques dont l’existence leur
indique qu’ils sont bien en présence d’un individu suspect 94. Une
pratique communément désignée par l’expression populaire : le « délit
de sale gueule ».
Cela dit, les opérateurs sont-ils vraiment les seuls à définir les
principes supposés gouverner leur action ? Contrairement à ce que
C. Norris et G. Armstrong laissent entendre, on peut avancer l’hypothèse
que les compagnies privées qui les emploient, les policiers avec lesquels
ils travaillent quotidiennement et les autorités locales qui ont financé
l’ensemble des opérations, jouent également un rôle en la matière. Et
l’un des problèmes auxquels les opérateurs sont confrontés en permanence, n’est-il pas précisément d’avoir à faire le choix d’une pondération entre des principes contradictoires ?
(94) Cf. SACKS (H.), 1978, p. 190 et suivantes.
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Chapitre 3 – Les opérateurs vidéo et les délinquants en action
L A PAROLE DES DÉLINQUANTS (J. DITTON, E. SHORT, 1998)
Pour mener leur enquête, J. Ditton et E. Short ont conduit une série
d’entretiens au cours de l’année 1996 avec trente délinquants qui ont
comparu devant le tribunal de grande instance (Sheriff Court)
d’Airdrie 95. Comme on l’a vu, un système de vidéosurveillance a été
installé dans cette petite ville écossaise quatre ans plus tôt.
Parmi les personnes interrogées, seize sont alors en liberté surveillée,
onze effectuent un travail d’intérêt général et trois sont libres 96. Le plus
jeune a 16 ans et le plus âgé 41 ans. Seulement trois sont des femmes,
toutes en liberté surveillée. La majorité d’entre eux vivent dans des
quartiers pauvres et ont des revenus très faibles, voire inexistants.
Dix-sept ont été condamnés pour des délits mineurs concernant des
atteintes à l’ordre public (bagarre, état d’ivresse, possession de drogue,
etc.), neuf autres pour des affaires de vol (vol de voiture, vol à l’étalage,
cambriolage, etc.) et les quatre derniers pour des affaires où ces différentes infractions étaient mêlées. Parmi eux, quinze ont déclaré que
l’alcool et/ou les drogues ont joué un rôle dans le fait qu’ils ont commis
des délits. La plupart des personnes interrogées avaient déjà été confrontées à la police et à la justice. Toutes affirment ne pas avoir renoncé à
commettre de nouveaux délits.
L’EXISTENCE DU SYSTÈME ET SES FINALITÉS
Tous les délinquants disent qu’ils connaissaient l’existence du système
de vidéosurveillance au moment de commettre une infraction, par le
(95) Cf. DITTON (J.), SHORT (E.), 1998, op. cit., p. 404-428. Notons que chaque observation
formulée par les auteurs dans cet article est illustrée par des citations de leurs interlocuteurs.
Et, selon une convention qui semble être partagée par les chercheurs écossais, celles-ci ne
sont pas traduites en anglais ; seules quelques expressions populaires locales sont expliquées
en note.
(96) En Ecosse, la durée de la période de liberté surveillée est habituellement de douze mois et
ne dépasse jamais trois ans.
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biais de la presse locale en particulier 97. Lorsque le fonctionnement du
dispositif et le nombre de caméras sont évoqués, les réponses sont plus
évasives. Seules quatre personnes savent que douze caméras sont en
fonction. Ils sont plus nombreux à savoir que les écrans de contrôle
sont abrités dans le commissariat de police. La majorité d’entre eux ont
une idée des secteurs de la ville surveillés. Deux délinquants pensent que
de fausses caméras sont installées, car la survenance de certains incidents
n’a pas provoqué de réaction policière.
La plupart des délinquants ont une idée précise de la finalité du
dispositif. Une femme (en liberté surveillée) déclare que le système sert
à protéger la population et à faciliter le travail de la police. Un homme
de 25 ans (condamné à un travail d’intérêt général pour une infraction
relative à la drogue) cite la protection des biens et des marchandises
détenus par les commerçants, ces derniers, précise-t-il, ayant certainement participé au financement du dispositif. D’autres évoquent plutôt
l’effet dissuasif des caméras, en particulier pour prévenir les bagarres
dans les rues, les vols de (ou dans les) voitures et plus largement les
atteintes à la propriété. Un homme de 20 ans (effectuant un travail
d’intérêt général après une condamnation pour atteinte à l’ordre public
et agression d’un agent de police) affirme que les caméras sont là,
moins pour rassurer les gens, que pour arrêter les auteurs d’infractions.
Quelques-uns regrettent même que les caméras ne visent que les auteurs
de « petites » infractions, et non pas ceux qui commettent des agressions
« plus graves » sur les personnes. J. Ditton et E. Short soulignent en
définitive que « la plupart des délinquants interviewés ne sont ni idéalistes, ni
cyniques, juste réalistes au sujet des probables effets des caméras ».
Interrogés sur le point de savoir si la présence des caméras les rassure,
les délinquants paraissent plutôt partagés. Dix personnes prétendent se
(97) L’un d’entre eux dit même avoir été présent lors de l’inauguration du PC vidéo.
(98) Certains délinquants évoquent parfois une expérience personnelle pour justifier leur réponse.
Ainsi, un homme de 25 ans affirme que la police avait « débranché la caméra » puisque les
agents ont mis un certain temps pour se rendre sur le lieu de l’infraction. Un autre, âgé de 20
ans, raconte que la police n’est pas intervenue alors qu’il avait lui-même été agressé dans le
champ de vision d’une caméra.
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Chapitre 3 – Les opérateurs vidéo et les délinquants en action
sentir plus en sécurité, en se référant généralement à leur statut de
victime potentielle d’infractions. Dix-sept autres pensent au contraire
que les caméras n’ont rien changé à la situation, certaines affirmant
pour justifier leur réponse que « si quelqu’un doit commettre une
infraction, il la commettra de toutes façons », d’autres affirmant simplement que « la vidéosurveillance est inefficace » 98.
S’agissant de la protection des libertés, certains délinquants conçoivent
qu’elle puisse être contrebalancée par le souci de repousser la délinquance.
La plupart pense qu’ils sont surveillés régulièrement, parfois sans bonne
raison. Quelques-uns acceptent la situation passivement. D’autres
désapprouvent que les « gens ordinaires » soient surveillés 99. En outre,
si la majorité ne suspecte aucun abus de la part des opérateurs ou de la
police, aucun n’écarte ce risque.
Toutes les personnes interrogées ont une foi importante dans le
pouvoir légal des vidéocassettes, spécialement lorsqu’elles sont utilisées
dans le cadre d’un procès.
LA VIDÉOSURVEILLANCE
ET LES CHANGEMENTS DE COMPORTEMENT
Huit délinquants affirment que la présence des caméras n’a pas
entamé leur volonté de commettre des infractions. L’un d’entre eux, âgé
de 17 ans et condamné pour des atteintes à l’ordre public et des vols,
précise qu’il est toujours possible de commettre des infractions hors de
la vue des caméras.
Sept autres disent qu’ils ont cessé de commettre des infractions à
Airdrie, mais que cette décision n’a rien à voir avec l’existence de la
vidéosurveillance. Douze délinquants affirment que la vidéosurveillance a pu affecter leur comportement – « avec des caméras dans
le coin, on réfléchit à deux fois avant d’agir », dit l’un d’entre eux –
(99) Ainsi un homme de 18 ans (condamné à un travail d’intérêt général pour une tentative de
vol) déplore que tous les habitants de Airdrie, où qu’ils aillent, soient surveillés alors même
qu’ils ne peuvent pas être tous soupçonnés de vol…
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mais la présence des caméras ne les a pas empêchés par la suite de
commettre une infraction. En fait, seule une petite minorité prétend
avoir renoncé à mener une action répréhensible 100. Mais d’ajouter un
peu plus tard que si une opportunité se présentait, ils renoueraient avec
la délinquance… Force est de constater que les vertus dissuasives de la
vidéosurveillance sont loin d’être établies !
Curieusement, soulignent J. Ditton et E. Short, la plupart des
personnes interrogées ont l’impression que l’impact de la vidéosurveillance sur les infractions à l’ordre public est important alors que les
statistiques policières montrent une augmentation de 133 % par rapport
aux données recueillies avant l’installation du dispositif. Parmi les
infractions de ce type, les combats de rue entre « bandes opposées »
suscitent le plus de commentaires.
Certains pensent que la vidéosurveillance a convaincu les agresseurs
potentiels d’utiliser les voies en retrait des caméras ou de retourner vers
les cités et de continuer les hostilités hors des quartiers sous surveillance.
D’autres ont le sentiment que les combats de rue ont changé de
nature : aux grandes rixes, causées par la consommation d’alcool, ont
succédé des petites bagarres plus dangereuses car alimentées par le trafic de drogue. De façon plus pragmatique, d’autres affirment encore
qu’ils ont pris en compte les rotations de la caméra afin d’agir pendant
les quelques minutes où elle est tournée vers un autre angle. Mais l’un
d’entre eux ajoute que si les individus, tant qu’ils sont sobres, sévissent
hors de la vue des caméras, ils oublient vite cette précaution lorsqu’ils
ont bu…
S’agissant des atteintes à la propriété, les commentaires recueillis sont
plus contrastés 101. La plupart des délinquants affirment que la vidéosurveillance a eu un impact sur leur comportement dans la mesure où
ils ont agi avec plus de prudence… mais sans pour autant renoncer à
(100) Ainsi un homme de 20 ans (en liberté surveillée à la suite d’un cambriolage) dit avoir été
tenté de commettre un vol à l’étalage puis d’y avoir renoncé « à cause des caméras installées
dans la rue ».
(101) Il s’agit essentiellement de cambriolages, de vols de (et dans les) véhicules et de vols dans
les commerces (crimes of dishonesty).
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Chapitre 3 – Les opérateurs vidéo et les délinquants en action
commettre des délits. D’autres prétendent qu’ils ont abandonné ce type
de délinquance, d’autres encore que la présence des caméras n’a rien
changé à leur manière d’agir. Quelques personnes interrogées – mais
peu – reconnaissent s’être déplacées ailleurs, la ville la plus souvent
mentionnée étant celle de Glasgow (située à 15 miles d’Airdrie).
J. Ditton et Short ajoutent au passage que les délinquants qui étaient
soupçonnés de voyager dans l’autre sens, c’est-à-dire de Glasgow à
Airdrie, pour commettre des vols, semblaient désormais voyager encore
plus loin…
REMARQUES FINALES
D’un point de vue méthodologique, les auteurs remarquent qu’il
serait utile de mener ce genre d’enquête sur une période plus longue
(avant et après l’installation du dispositif) et avec un éventail plus large
de personnes, c’est-à-dire en tenant compte des délinquants « retirés »,
« actifs » et « potentiels ».
J. Ditton et E. Short relèvent par ailleurs que les observations
formulées par les délinquants à propos des atteintes à l’ordre public
semblent contredire les analyses statistiques dans la mesure où l’impact
(supposé) de la vidéosurveillance paraît être plus grand aux dires des
personnes interrogées. Concernant les atteintes à la propriété, ils
concluent que la baisse enregistrée par la police locale (- 48 %) n’a pas
été suivie par un déplacement important de la criminalité vers des zones
non-équipées de caméras. C’est dire une fois encore que la vidéosurveillance n’est pas un instrument univoque et que sa mise en œuvre a
des effets « complexes et imprévisibles », pour reprendre les termes des
criminologues écossais, sur l’évolution de la criminalité.
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Conclusion
« B EAUCOUP DE BRUIT
POUR RIEN ? »
Dans le titre de la pièce de William Shakespeare, « Much ado about
nothing », le point d’interrogation ne figure pas. Si nous l’ajoutons ici,
c’est pour signifier qu’au terme de ce parcours dans la littérature
criminologique consacrée à la vidéosurveillance en Grande-Bretagne, la
question de son efficacité demeure entière.
Au début des années quatre-vingt-dix, il ne fait pas de doute que le
gouvernement britannique, en soutenant massivement l’implantation
de caméras de surveillance dans les espaces urbains, est convaincu qu’il
détient là une arme efficace pour lutter contre la criminalité. Dix ans
plus tard, les enquêtes conduites par des chercheurs professionnels
semblent plutôt indiquer que l’enthousiasme originel mériterait d’être
fortement tempéré. Tous les auteurs s’accordent en effet pour souligner
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que la vidéosurveillance n’a que des effets limités sur l’évolution de la
délinquance. On peut résumer leurs principales observations en
quelques lignes :
– la vidéosurveillance n’a pas un impact déterminant sur le volume
de la délinquance dans les espaces complexes et étendus (B. Webb et
G. Laycock, B. Brown) ;
– elle a des effets distincts selon la nature des délits, c’est-à-dire un
impact relatif sur certaines atteintes à la propriété et quasiment
aucun s’agissant des atteintes aux personnes (N. Tilley, B. Brown,
D. Skinns, J. Ditton et E. Short) ;
– l’impact des dispositifs est plus significatif lorsque leur implantation
est associée à d’autres mesures de prévention (N. Tilley, B. Webb et
G. Laycock, P. Squires et L. Measor) mais il est rarement durable
même dans ces circonstances ;
– l’installation de caméras s’accompagne souvent d’un phénomène de
déplacement géographique ou fonctionnel de la criminalité
(N. Tilley, B. Brown, D. Skinns).
Par ailleurs, si on établit un parallèle entre le montant des investissements consentis – qui s’élève à plusieurs millions de livres dans
chaque ville étudiée – et le nombre d’arrestations opérées par les agents
sur le terrain, la question de l’efficacité de la vidéosurveillance exige une
réponse dénuée de toute ambiguïté : l’aide apportée par les caméras à
l’identification et à l’arrestation de suspects est négligeable. « Une
arrestation par caméra tous les quarante jours » écrit J. Ditton à propos
de Glasgow… et ce chiffre est encore plus faible si l’on reprend les
données fournies par C. Norris et G. Armstrong dans leur enquête.
Dans le même sens, à King’s Lynn, B. Brown relève que sur trois cents
demandes d’identification adressées aux opérateurs en trente-deux mois,
seules trois ont abouti à un résultat tangible.
Que l’accent soit mis sur la prévention (baisse du volume de la
délinquance) ou sur la répression (augmentation du taux d’élucidation),
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Conclusion
la vidéosurveillance n’apporte donc pas véritablement la preuve de son
efficacité. Mais est-ce vraiment surprenant ?
Si la vidéosurveillance peut soutenir plusieurs types d’activités (aide
au déploiement des forces de police, prévention des comportements
déviants, aide à l’identification et à la constitution de preuve) comme
le souligne B. Brown dans son rapport, il paraît inconcevable qu’un
même système puisse servir durablement tous ces objectifs en même
temps, avec la même intensité et avec les mêmes opérateurs placés
aux commandes. D’autant que dans la pratique, s’y ajoutent encore
des objectifs éminemment politiques, ceux des autorités locales qui
soutiennent les implantations pour restaurer l’image de leur cité,
stimuler l’économie et apporter une réponse au sentiment d’insécurité
des électeurs. Or rien n’indique dans les rapports étudiés ici – sauf dans
un cas, nous y reviendrons tout de suite – qu’un choix des priorités et des
stratégies d’action ait été formulé au préalable par les acteurs concernés.
Si les marchands de biens de sécurité ont tout intérêt à entretenir
l’idée que la vidéosurveillance est en quelque sorte une « machine à tout
faire » pour faciliter la mobilisation des bailleurs de fonds potentiels
autour des projets d’équipement, cette confusion des genres a des effets
plutôt désastreux une fois les caméras en place : les opérateurs se
retrouvent finalement seuls, contraints de discriminer jour après jour
des personnes et des évènements, pour définir un ordre de priorité et
trancher entre des principes contradictoires.
C’est dire aussi que ces enquêtes confirment ce que l’on savait déjà
depuis plusieurs décennies, en particulier depuis les travaux conduits au
cours des années soixante-dix par des chercheurs nords-américains sur
l’efficacité des patrouilles motorisées. À Kansas City par exemple,
G. L. Kelling et son équipe avaient montré qu’une présence renforcée de
véhicules de police dans certains quartiers de la ville n’avait pas d’« effet
discernable » sur les taux de criminalité et, de façon plus générale, sur
le maintien de l’ordre 102. Ceci ne veut pas dire que ces patrouilles (ou
(102) KELLING (G. L.), 1978, p. 173-184.
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la vidéosurveillance) ne sont d’aucune utilité dans la gestion des
désordres urbains. Mais simplement que des objectifs précis et réalistes
doivent être définis et les efforts engagés ciblés, pour obtenir des
résultats significatifs.
Dans un cas seulement, à Airdrie, une stratégie de ce type a été suivie
par le chef de la police locale après consultation et avec l’appui de la
population. Et c’est là sans doute l’un des principaux enseignements de
ces enquêtes : l’efficacité de la vidéosurveillance dépend autant (sinon
plus) de la capacité des promoteurs des systèmes à mobiliser les populations autour de leur projet que des moyens techniques et humains mis
en œuvre. J. Ditton et E. Short laissent en effet entendre que les
habitants, les opérateurs et leurs employeurs doivent construire ensemble
une destination sociale à l’objet technique. En l’absence d’une telle
négociation, les usages policiers de la vidéosurveillance risquent fort
d’être incompris et rejetés.
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