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HeilmannMornet:HeilmannMornet É 14/09/07 T U D E S 8:23 E T Page 1 R E C H E R C H E S VIDÉOSURVEILLANCE ET PRÉVENTION DE LA CRIMINALITÉ L’impact des dispositifs dans les espaces urbains en Grande-Bretagne Éric Heilmann Maître de conférences à l’Université Louis Pasteur de Strasbourg Marie-Noëlle Mornet Doctorante rattachée au Centre de Droit Privé Fondamental Université Robert Schuman de Strasbourg Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 2 DANS LA MÊME COLLECTION Jean-Paul GREMY, 1996, Les violences urbaines : comment prévoir et gérer les crises dans les quartiers sensibles ?, Paris, IHESI, 31 p. Guy BARON (dir.), 1996, Intelligence économique : objectifs et politiques d’information, Paris, IHESI, 31 p. André MIDOL, 1996, La sécurité dans les espaces publics : huit études de cas sur des équipements ouverts au public, Paris, IHESI, 143 p. (épuisé) Alain BAUER, René BREGEON (dir.), 1997, Grands équipements urbains et sécurité : comment réaliser et contrôler les études de sécurité publique prévues par l’article 11 de la loi du 21 janvier 1995, Paris, IHESI, 75 p. Renaud FILLIEULE, Catherine MONTIEL, 1997, La pédophilie, Paris, IHESI, 79 p. (épuisé) Jean-Paul GREMY, 1997, Les Français et la sécurité : trois sondages réalisés en 1996 sur l’insécurité et ses remèdes, Paris, IHESI, 157 p. François DIEU, 1997, Sécurité et ruralité : enquête sur l’action de la Gendarmerie dans les campagnes françaises, Paris, IHESI, 183 p. Michel AUBOUIN, Michel-François DELANNOY, Jean-Paul GREMY, 1998, Anticiper et gérer les violences urbaines : bilan d’expérimentation des cellules de veille, Paris, IHESI, 47 p. Jean-Paul GREMY, 1998, Les aspirations des Français en matière de sécurité : leur évolution entre 1990 et 1998 selon les enquêtes du CRÉDOC, Paris, IHESI, 86 p. Actes du séminaire européen Stop, 1999, La pédophilie : Méthodes d’évaluation de la démarche intellectuelle et des stratégies de passage à l’acte des agresseurs sexuels pédophiles, Paris, IHESI, Université de Liège, CICC Montréal, 133 p. (épuisé). Christian DOUTREMEPUICH (dir.), 1999, La scène de crime de A à Z, Paris, IHESI, 100 p. 2 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 3 Pierre SIMULA, 1999, La dynamique des emplois dans la sécurité, Paris, IHESI, 120 p. Paul LANDAUER, Danielle DELHOME, 2000, Espace et sécurité dans les quartiers d’habitat social : bilan de deux études sur site SarcellesLochères et les quartiers nord d’Aulnay-sous-Bois, Paris, IHESI, 78 p. IHESI – GRIA, 2000, Autorité et immigration : les vecteurs de l’autorité et leurs transformations dans les populations immigrées ou issues de l’immigration, Paris, IHESI, 148 p. 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Actes du séminaire de cartographie, 2001, Cartographie et analyse spatiale de la délinquance, Paris, IHESI, 132 p. Jean CARTIER-BRESSON, Christelle JOSSELIN, Stéfano MANACORDA, 2001, Les délinquances économiques et financières transnationales : manifestation et régulation, Paris, IHESI, 134 p. Reproduction interdite © INHES 2007 3 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 4 Pierre KOPP, 2001, Les délinquances économiques et financières transnationales : Analyse de l’action menée par les institutions internationales spécialisées dans la prévention et la répression des DEFT, Paris, IHESI, 64 p. Anne WUILLEUMIER, 2001, Création et développements d’un service de Police nationale : Le cas des Brigades d’Enquêtes et de Coordination (BREC) de la Police Judiciaire, Paris, IHESI, 102 p. Georgina VAZ-CABRAL, 2002, Les formes contemporaines d’esclavage dans six pays de l’union européenne, Paris, IHESI, 120 p. Dominique PECAUD, 2002, L’impact de la vidéosurveillance sur la sécurité dans les espaces publics et les établissements privés recevant du public, Paris, IHESI, 95 p. Tanguy LE GOFF, 2002, Intercommunalité et sécurité : une approche comparative de trois agglomérations, Paris, IHESI, 114 p. Jean-Claude SALOMON, 2002, Lexique des termes de police AnglaisFrançais/Français-Anglais, Paris, IHESI, 160 p. Nicolas QUELOZ, Cyrille FIJNAUT, Michael LEVI, 2002, La lutte contre la criminalité économique en Europe : bilan de connaissances en Suisse, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, Paris, IHESI, 256 p. La traite des mineurs non-accompagnés dans l’Union européenne : projet pilote visant à lutter contre la traite des êtres humains, Paris, IHESI, à paraître. Catherine GORGEON, 2003, Existe-t-il des systèmes locaux de sécurité ?, Paris, IHESI, 116 p. ISSN : 1263-0837 ISBN : 2-11-092847-6 IHESI 19, rue Péclet – 75015 Paris Tél. : 01.53.68.20.20/24 Fax : 01.45.30.50.71 www.ihesi.interieur.gouv.fr 4 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 5 Remerciements Une partie importante des documents présentés dans ce rapport a été récoltée lors d’un séjour effectué au Scarman Centre à l’université de Leicester. Nous remercions son directeur, Martin Gill, et les membres de son équipe pour leur soutien et leur conseil. Reproduction interdite © INHES 2007 5 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 6 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet É 14/09/07 T U D E S 8:23 E T Page 7 R E C H E R C H E S VIDÉOSURVEILLANCE ET PRÉVENTION DE LA CRIMINALITÉ SOMMAIRE Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Chapitre 1 - Le contexte d’implantation des systèmes . . . . . . . . . . . . . . 11 La mise en œuvre précoce des équipements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 Le rôle moteur du Home Office . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 Un encadrement juridique inexistant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20 Chapitre 2 - L’efficacité de la vidéosurveillance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25 Dans le métro londonien (B. Webb, G. Laycock, 1992) . . . . . . . . . . . . . . 30 Dans les parkings (N. Tilley, 1993) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34 À Newcastle, Birmingham et King’s Lynn (B. Brown, 1995) . . . . . . . . . . . . 41 À Brighton (P. Squires, L. Measor, 1996) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 À Doncaster (D. Skinns, 1997) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56 À Airdrie et Glasgow (J. Ditton, E. Short, 1993/1999) . . . . . . . . . . . . . . . 59 Chapitre 3 - Les opérateurs vidéo et les délinquants en action . . . . . . . 67 Le travail des opérateurs (C. Norris, G. Armstrong, 1999) . . . . . . . . . . . . 70 La parole des délinquants (J. Ditton, E. Short, 1998) . . . . . . . . . . . . . . . . . 75 Conclusion - « Beaucoup de bruit pour rien » ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85 Reproduction interdite © INHES 2007 7 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 8 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 9 INTRODUCTION Q uelle est l’efficacité de la vidéosurveillance dans la lutte contre la délinquance ? Il faut se tourner vers la Grande-Bretagne pour apporter une réponse à cette question. Deux arguments justifient cette attention singulière. Le premier est qu’il s’agit du pays qui compte actuellement le plus d’équipements de vidéosurveillance en Europe occidentale. Les estimations sur le nombre de systèmes actuellement en usage en Grande-Bretagne sont vagues, les chiffres oscillant entre 500 000 et 1 million selon les auteurs. Les raisons susceptibles d’expliquer la place occupée par ces dispositifs techniques dans les espaces urbains britanniques sont multiples. La croissance des crimes et délits recensés par les services de police, la force de conviction des marchands de biens ou de services de sécurité, la promotion de la police dite communautaire (community policing) qui met l’accent sur la prévention de la délinquance, la montée du sentiment d’insécurité, etc. sont autant d’éléments à prendre en compte. Mais on soulignera uniquement ici ceux qui paraissent être spécifiques à ce pays (chapitre 1). Le second est qu’aucune recherche sur ce sujet n’a jamais été conduite en France. En effet, de ce côté de la Manche, les spécialistes des problèmes sécuritaires ont surtout alimenté le débat qui oppose de façon traditionnelle les défenseurs des libertés face à la menace technologique aux partisans d’un renforcement des moyens de protection des biens et des personnes. Deux points de vue irréductibles qui reposent néanmoins sur une même croyance : l’efficacité des systèmes mis en œuvre qui, au demeurant, n’est jamais discutée. Que les coûts d’installation et de fonctionnement des systèmes de vidéosurveillance n’aient cessé de croître au fil du temps n’y change rien. De même les données publiées dans la presse, qui se fait régulièrement l’écho de déclarations Reproduction interdite © INHES 2007 9 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 10 Vidéosurveillance et prévention de la criminalité grandiloquentes de tel ou tel maire ou chef de police municipale, ne font que refléter le déficit d’information en la matière. En Grande-Bretagne, près d’une dizaine d’études ont été conduites par des chercheurs professionnels depuis le début des années quatrevingt-dix pour analyser l’efficacité de la vidéosurveillance en matière de lutte contre la délinquance dans les espaces urbains. Les enquêtes présentées dans ce rapport (chapitre 2) ont été menées par Barry Webb et Gloria Laycock dans le métro londonien (1992), par Nick Tilley dans les parkings de six villes de province (1993) ayant engagé un programme de prévention de la délinquance (Safer Cities Schemes), par Ben Brown dans les centres-ville de Newcastle, Birmingham et King’s Lynn (1995), par Peter Squires et Lynda Measor à Brighton (1996), par David Skinns à Doncaster (1997) et par Jason Ditton et Emma Short à Airdrie et Glasgow (1993-1999) 1. Point commun de tous ces travaux : un recours systématique à des méthodologies éprouvées dans le champ des sciences criminelles qui donnent à leurs résultats une valeur scientifique peu contestable. La présentation des résultats de ces recherches est suivie par une synthèse des travaux qui apportent un éclairage important à notre sujet d’étude (chapitre 3). Il s’agit des enquêtes conduites par Clive Norris et Garry Armstrong sur le travail des opérateurs vidéo (1999) et par Jason Ditton et Emma Short sur l’attitude des délinquants exposés aux caméras (1998). Pour les réaliser, ces chercheurs ont utilisé principalement des méthodes qualitatives (entretiens, observations sur le terrain) et non plus quantitatives (statistiques) comme précédemment. (1) À côté de ces enquêtes conduites dans des espaces publics, d’autres ont été réalisées par des chercheurs professionnels pour mesurer l’impact de la vidéosurveillance dans des espaces privés. Signalons en particulier les travaux d’Andrian Beck et Andrew Willis et ceux de Martin Gill et Vicky Turbin qui portent sur le commerce de détail — Cf. BECK (A.), WILLIS (A.), 1995 ; GILL (M.), TURBIN (V.), 1997. 10 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 11 Chapitre 1 LE CONTEXTE D ’ IMPLANTATION DES SYSTÈMES « There is no more powerful weapon in protecting the innocent and catching the guilty than Closed Circuit Television (CCTV) » David Maclean (Home Office Minister) Reproduction interdite © INHES 2007 11 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 12 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 13 LE CONTEXTE D ’ IMPLANTATION DES SYSTÈMES Selon la British Security Industry Association (BSIA), organisation professionnelle qui regroupe les industriels de la sécurité privée en Grande-Bretagne 2, le chiffre d’affaires des entreprises du secteur était de 55 millions de livres en 1970. En 1980, ce chiffre atteint 400 millions de livres, puis 1,2 milliard en 1990. Les sociétés réunies au sein de la BSIA emploient cette année-là près de 60 000 salariés. Depuis 1990, ce chiffre d’affaires progresse de 20 à 25 % par an. En 1994, le marché des systèmes de vidéosurveillance représente à lui seul 170 millions de livres 3. On estime alors que près de 150 000 systèmes sont en usage 4. Au-delà de ces chiffres, il convient de noter que le marché de vidéosurveillance prend son véritable essor à partir des années quatre-vingt et touche prioritairement le monde du commerce. À partir du milieu des années quatre-vingt-dix, le marché des technologies de sécurité connaît un nouveau rebond avec le développement tous azimuts des systèmes implantés dans les villes britanniques. L A MISE EN ŒUVRE PRÉCOCE DES ÉQUIPEMENTS Les commerçants sont les premiers à s’équiper massivement de dispositifs de vidéosurveillance, qu’il s’agisse de centres commerciaux (2) Pour une présentation de l’organisation, voir le site internet : http://www.bsia.com.uk/ (3) Cf. MORAN (J.), NORRIS (C.), ARMSTRONG (G.), 1998, p. 279. (4) Cf. GRAHAM (S.), BROOKS (J.), HEERY (D.), 1996, p. 3-27 Reproduction interdite © INHES 2007 13 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 14 Vidéosurveillance et prévention de la criminalité implantés à la périphérie des agglomérations ou de petits commerçants installés dans le centre des villes et soucieux d’attirer une clientèle dans un environnement sécurisé 5. Dans une enquête réalisée en 1994 auprès de commerçants et de petites entreprises, K. Hearndren souligne à ce propos que 20 % des sondés sont équipés de systèmes de vidéosurveillance depuis plus de dix ans, et 30 % depuis six à dix ans 6. Il relève au passage que les matériels les plus anciens ont tous été renouvelés depuis leur première installation. Et selon C. Norris et G. Armstrong, les achats d’équipements de vidéosurveillance effectués par les commerçants de détail représentaient encore 40 % de l’ensemble du marché en 1996 7. À partir de 1985, d’autres dispositifs techniques seront implantés dans le but spécifique de surveiller les supporters de football et d’identifier les hooligans : en quelques années, près d’une centaine de clubs sont équipés de systèmes sophistiqués de caméras, et les images collectées servent à alimenter une banque de données constituée pour l’occasion par le National Criminal Intelligence Service (NCIS) 8. De même, en 1987, la décision est prise d’équiper les deux cent cinquante stations du métro londonien. Dix ans plus tard, on compte près de 5 000 caméras sur l’ensemble du réseau 9. Il faut encore ajouter que les actes de terrorisme de l’IRA ne sont pas étrangers au déploiement de caméras, à Londres en particulier, dans les lieux fréquentés par une population importante (grands magasins, métro, gares, etc.). Ainsi vingt-six caméras sont installées dans le quartier de la City en novembre 1993. Dix mois plus tôt, le dispositif vidéo visant l’extérieur du magasin Harrods avait permis d’identifier les (5) Parmi les arguments avancés pour encourager l’équipement des petits commerçants, on relèvera celui du British Retail Consortium, organisation professionnelle la plus représentative au plan national : « 45 % des commerces de détail risquent d’être la cible de voleurs, mais si un système de vidéosurveillance est installé, ce chiffre peut tomber à 5 % » ! Cf. HEARNDEN (K.), 1996, p. 20. (6) HEARNDEN (K.), 1996, op cit., p. 29. (7) NORRIS (C.), ARMSTRONG (G.), 1999, p. 47. (8) Voir notamment ARMSTRONG (G.), GIULIANOTTI (R.), 1998, p. 113-135. (9) Cf. SHEPTYCKI (J.), 2000, p. 429-434. À titre de comparaison, le métro parisien compte actuellement 2 600 caméras et seules trois lignes sont équipées de façon systématique dans toutes les stations. 14 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 15 Chapitre 1 – Le contexte d’implantation des systèmes responsables du dépôt dans une poubelle d’une bombe ayant causé une explosion et fait plusieurs victimes. Cela étant, à la fin des années quatre-vingt, seules quatre villes ont installé des caméras sur la voie publique. La ville balnéaire de Bournemouth est la première à réaliser une telle opération en 1985 pour lutter contre la délinquance 10. Mais la situation évolue très rapidement : trente-neuf villes sont équipées en 1993, soixante-dix-neuf en 1994… Au total, en 1998, toutes les grandes villes de plus de 500 000 habitants (sauf Leeds) et près de quatre cents villes de taille moyenne ont choisi d’installer de tels équipements sur la voie publique 11. Comment expliquer cette évolution ? L E RÔLE MOTEUR DU H OME O FFICE Tous les commentateurs s’accordent pour souligner l’importance d’un facteur politique dans ce domaine. Au début des années quatrevingt-dix, le gouvernement de John Major cherche à mobiliser de nouveaux moyens pour faire face à l’insécurité, sans pour autant grever trop lourdement le budget de l’État 12. En octobre 1994, le ministre de l’Intérieur, Michael Howard, évoquant le drame de l’enlèvement et du meurtre du petit James Bulger dont la découverte des auteurs avait été rendue possible un an plus tôt grâce aux caméras d’un centre commercial, annonce la décision du gouvernement de soutenir financièrement les installations de vidéosurveillance en Angleterre et au Pays de Galles. Pour stimuler les initiatives, le Home Office lance un appel à projets (Closed Circuit Television (CCTV) Challenge Competition) accompagné d’une dotation de 5 millions de livres. Parmi les 480 propositions (10) Cf. MORAN (J.), et al., op. cit., 1998, p. 277. Au total, dix ans plus tard, la ville compte plus d’une centaine de caméras de surveillance (Cf. SQUIRES (P.), MEASOR (L.), 1996, p. 16). (11) Rapport du Home Office, cité par NORRIS (C.), ARMSTRONG (G.), op. cit., 1999, p. 54. (12) Sur l’organisation de la police en Grande-Bretagne, voir notamment : EMSLEY (C.), 1991 ; GLEIZAL (J.), JOURNES (C.), 1993, p. 219-239. Reproduction interdite © INHES 2007 15 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 16 Vidéosurveillance et prévention de la criminalité présentées, 106 obtiennent des subventions pour l’équipement de centres-ville (84 projets) et de parkings 13. Face au succès de cette première « compétition », deux nouveaux appels à projets sont organisés. Le second, lancé en novembre 1995, est doté de 17 millions de livres ; 800 propositions sont recueillies, 250 retenues. Le troisième, lancé en août 1996, est doté de 15 millions de livres 14. La règle du jeu demeure inchangée : le gouvernement ne prend pas en charge les coûts de fonctionnement des dispositifs mais il apporte une contribution au financement des coûts d’installation à condition que d’autres partenaires au projet (collectivités locales, entreprises, centres commerciaux, compagnies de transport, etc.) y participent également. Au total, le montant des subventions allouées par le Home Office s’élève à 37 millions de livres et celui des crédits investis par les partenaires publics et privés est estimé à 100 millions de livres. Suivant le même principe, deux appels à propositions ont également été organisés en Écosse par le Scottish Office en 1996 et 1997 : 62 projets sont retenus (dont près de la moitié concerne l’équipement de centres-ville) et près de 10 millions de livres collectées (dont 3,7 millions de subventions allouées par les autorités écossaises) pour leur financement 15. Plus récemment, deux appels à propositions ont été organisés en Irlande du Nord par la Police Authority for Northern Ireland en juin 1999 et avril 2000 : 17 projets d’équipement dans des centres-ville ont été retenus et 2,5 millions de livres de subventions allouées par le gouvernement local pour leur financement 16. En Angleterre et au Pays de Galles, les projets soutenus par le Home Office ont évolué au cours du temps. Après l’équipement des grandes villes, la priorité est donnée aux dispositifs implantés dans des villes de (13) Cf. MORAN (J.), et. al., op. cit., 1998, p. 284. En soulignant que 77 projets retenus concernaient des collectivités dirigées par les conservateurs et 27 par les travaillistes, J. Moran laisse entendre que le Home Office a pu être soupçonné de clientélisme politique. (14) Voir notamment HORNE (C. J.), 1996, p. 317 ; NORRIS C., ARMSTRONG (G.), op. cit., 1999, p. 36 ; FASSBENDER (J.), 2000, p. 10. (15) Cf. DITTON (J.), SHORT (E.), 1998, p. 155. (16) Officiellement, la première ville d’Irlande du Nord ayant introduit un dispositif de vidéosurveillance est Belfast où des caméras ont été installées dans le centre-ville en 1995. Cf. les informations disponibles sur le site web de la Police Authority for Northern Ireland : www.pani.org.uk 16 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 17 Chapitre 1 – Le contexte d’implantation des systèmes taille plus modeste, des centres d’affaires et des zones industrielles, des espaces affectés aux déplacements des personnes (arrêts de bus, gares, etc.) mais aussi des écoles et des centres hospitaliers. Une attention particulière est apportée aux projets auxquels d’autres mesures de prévention de la délinquance sont associées 17. Pour les projets concernant les espaces résidentiels (concierge system), une consultation de la communauté locale ou de ses représentants ainsi que des garanties quant à la formation et au contrôle des opérateurs de vidéosurveillance sont exigées. Dans tous les cas, les projets soumis au gouvernement doivent recevoir le soutien de la police et des autorités locales 18. Lors de la dernière « compétition », le Home Office incite tous les candidats à inclure dans leur dossier un « code de [bonnes] conduites » afin d’encadrer l’emploi de la vidéosurveillance, et à formuler des propositions pour mesurer l’efficacité de leur système ; s’agissant des projets de modernisation d’équipements existants cette évaluation est une obligation 19. C. Norris et G. Armstrong font remarquer que bon nombre de projets écartés à l’occasion de ces « compétitions » verront néanmoins le jour en profitant de la dynamique suscitée par le gouvernement et des soutiens acquis au cours du montage des dossiers de candidature. À titre d’exemple, on peut citer les équipements financés par le ministère de l’Éducation dans des écoles, par Railtrack dans les stations du réseau ferré londonien, par National Car Parks dans des parkings, et par d’autres organismes dans des stations-service, des crèches, des habitats collectifs, etc. Plus fondamentalement, ils soulignent que la politique du Home Office s’inscrit dans celle plus large du gouvernement conservateur qui s’est engagé dans un vaste programme de privatisation du secteur public 20. Comme la santé, les transports ou les communications, (17) Cf. CCTV Today, 1998, p. 3. (18) Cf. CCTV Today, 1995, p. 7. (19) Cf. CCTV Today, 1996, p. 4. (20) NORRIS (C.), ARMSTRONG (G.), op. cit., 1999, p. 37 : «cctv was attractive to the government in others ways. It dovetailed neatly with their ideological demands for privatisation of the public sector. The private sector would be fully involved in building, equipping and maintaining the systems. Moreover, given that local councils were rate-capped and unable to pay for increased expenditure through increased taxation, this silver bullet could be financed with few implications for the public sector borrowing requirement ». Reproduction interdite © INHES 2007 17 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 18 Vidéosurveillance et prévention de la criminalité la sécurité est désormais un secteur où les collectivités locales, les industriels, les opérateurs privés et autres « entrepreneurs moraux » sont appelés à jouer un rôle actif. De nouveaux modes de gestion publique sont mis en œuvre à cet effet. Ainsi, réunis au sein de Town Centre Management (TCM), les élus, les commerçants et les chefs d’entreprise coordonnent leurs actions au niveau local afin de remédier au déclin industriel des cités, de stimuler l’économie et d’attirer le citoyen-consommateur dans les centres urbains 21. Dans ce contexte, la vidéosurveillance est l’un des instruments privilégiés par ces structures de management dont le nombre est passé de six en 1986 à cent quatre-vingt en 1995. Parmi les arguments avancés pour promouvoir les équipements de vidéosurveillance, on peut relever celui du Home Office, « CCTV is creating a “feel-good factor” among the public », qui est régulièrement repris dans la littérature consacrée à la promotion des systèmes 22. Créer un sentiment de bien-être parmi le public mais aussi un environnement favorable au développement économique comme en témoigne le slogan utilisé par une agence de management pour convaincre les collectivités locales et les entrepreneurs privés de financer l’installation de caméras dans le centre de Glasgow : « CCTV doesn’t just make sense, it makes business sense ». Selon la Glasgow Development Agency (GDA), l’implantation d’un système de vidéosurveillance pourrait en effet encourager la venue de 225 000 visiteurs supplémentaires par an et entraîner la création de 1 500 emplois dans la ville écossaise 23. Si aucune enquête ne confirmera jamais ces chiffres par la suite, le recours à cette rhétorique est fréquent pour mobiliser les autorités politiques et les investisseurs économiques susceptibles de contribuer à l’installation de systèmes de vidéosurveillance dans les espaces urbains. M. McCahill souligne également que les « compétitions » organisées par le Home Office ont favorisé l’émergence de réseaux associant les différents acteurs impliqués dans la gestion quotidienne de l’ordre au (21) Voir notamment REEVE (A.), 1998, p. 69-87. (22) In HOME OFFICE, 1994, p. 14. (23) Cité par FYFE (N. R.), BANNISTER (J.), 1998, p. 258. 18 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 19 Chapitre 1 – Le contexte d’implantation des systèmes plan local 24. Des membres des polices publiques, des responsables de centres commerciaux ou de services privés de sécurité se sont réunis en effet au sein de City Centre Action Groups pour échanger les données collectées par les systèmes et coordonner leurs actions face à la délinquance 25. Aux liaisons techniques qui peuvent s’établir entre les différents dispositifs implantés dans une ville se mêlent ainsi les relations humaines entre les agents publics et privés qui assurent la protection des biens et des personnes. Si cette logique de management a favorisé l’émergence de nouvelles formes de partenariat entre organisations en charge des problèmes de sécurité, elle a également exacerbé les conflits d’intérêt entre partenaires, des « intérêts corporatistes » selon A. Crawford qui voit dans ces agences des espaces « hybrides » où s’expriment les attentes des autorités locales mobilisées autour de programmes de prévention dont les effets ne sont perceptibles qu’à long terme (community safety programmes) et celles des entrepreneurs privés soucieux de tirer rapidement des bénéfices de leur engagement 26. De ce point de vue, l’implantation d’équipements de vidéosurveillance dans les centres-ville présente bien des avantages pour le secteur commercial impliqué dans la lutte contre l’insécurité : de telles opérations ont une grande visibilité au plan local et confortent son statut d’interlocuteur privilégié auprès des autorités publiques, elles sont conduites dans des zones géographiques précisément délimitées – qui englobent les lieux d’activités des bailleurs de fonds – et leur impact, pense-t-on, est facilement quantifiable. Pour autant, souligne A. Crawford, l’implication des opérateurs privés a toujours un caractère « volatil » dans la mesure où elle est conditionnée par les résultats obtenus sur le terrain. N. R. Fyfe et (24) McCAHILL (M.), 1998, p. 41-65. (25) Dans l’affaire « Hellewell contre Chief Constable of Derbyshire », les juges considèrent que des photos collectées par la police peuvent être confiées aux agents de sécurité de magasins et circuler dans le but d’identifier des fauteurs de trouble (The Times, 13 janvier 1995, cité par BECK (A.), WILLIS (A.), 1995, op. cit.). On peut donc penser, s’agissant de l’utilisation d’images vidéo, que cette décision de justice légitime la circulation d’enregistrements entre opérateurs privés et services de police. (26) CRAWFORD (A.), 1998, p. 181-194 ; voir aussi COLEMAN (R.), SIM (J.), 2000, p. 623-639. Reproduction interdite © INHES 2007 19 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 20 Vidéosurveillance et prévention de la criminalité J. Bannister fournissent d’ailleurs des exemples qui témoignent des limites des stratégies de « coproduction de la sécurité » (co-production of public safety) mises en œuvre en Grande-Bretagne. Ainsi, à Glasgow, des commerçants ont décidé de ne plus contribuer au financement des coûts de fonctionnement du système, deux ans après son installation, en invoquant l’absence d’effets tangibles en matière de sécurité et sur l’économie locale. À Liverpool, aux critiques du même ordre se sont ajoutées les plaintes de commerçants qui ont dénoncé le déplacement de la criminalité vers des zones urbaines non équipées de caméras où ils exercent leurs activités 27. U N ENCADREMENT JURIDIQUE INEXISTANT Tous les observateurs s’accordent une nouvelle fois pour affirmer que le développement de la vidéosurveillance en Grande-Bretagne n’a suscité aucune résistance majeure de l’opinion publique, des médias ou de l’opposition travailliste qui a poursuivi en matière de sécurité, après son accession au pouvoir, la politique engagée par les conservateurs. Et alors que les caméras de vidéosurveillance sont omniprésentes dans les villes britanniques, qu’elles sont « aussi familières au public que les cabines téléphoniques et les lampadaires » selon l’expression de N. R. Fyfe 28, aucune réglementation n’encadre véritablement leur emploi. On peut remarquer tout d’abord que la loi relative à la justice criminelle et l’ordre public, adopté en 1994, accorde aux autorités locales d’Angleterre et du Pays de Galles une très grande marge de manœuvre puisqu’elle leur donne le pouvoir de se doter d’équipements de vidéosurveillance sans besoin d’une autorisation d’aucune sorte 29. (27) Cf. FYFE (N. R.), 1998, p. 260. (28) FYFE (N. R.), 1998, op. cit., p. 256. (29) Jason Ditton, directeur du Scottish Centre of Criminology, souligne à ce propos : « The rapid introduction of CCTV to Britain’s streets, in absence of any parliamentary debate and/or conclusive evidence that it adds to the common good, must count as one of the greatest infringements of civil rights in living memory » ; DITTON (J.), 2000b, p. 23. 20 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 21 Chapitre 1 – Le contexte d’implantation des systèmes Quant à la loi sur la protection des données personnelles (1984), elle ne s’applique que sous certaines conditions aux enregistrements vidéo. L’organisme chargé de veiller à son application – l’« Office of the Information Commissioner » équivalent de la CNIL en France – a lui-même émis des réserves quant à sa compétence dans ce domaine 30. En réalité, il apparaît que la commission britannique n’est pas dotée de la même autorité morale et de la même capacité à contrarier les visées du gouvernement que sa consœur française. Il est vrai aussi que la législation civile britannique n’accorde pas le même degré de protection de la vie privée que la législation française. Comme le souligne D. Feldman, en Grande-Bretagne, un individu qui pénètre dans un espace public ou « semi-public » (comme un commerce ou un immeuble d’affaires) doit quasiment abandonner toute revendication concernant le respect de sa vie privée, en particulier de son image 31. Cette situation juridique explique en partie la grande liberté dont disposent les télévisions britanniques pour utiliser des extraits d’enregistrements saisis par des caméras de vidéosurveillance et alimenter des émissions à sensation (CrimeWatch, CrimesStopper, Eye Spy, Crime Beat, etc.) qui rencontrent un succès considérable auprès des téléspectateurs 32. De même, des cassettes vidéo qui assemblent exclusivement des enregistrements de vidéosurveillance sont mises en vente dans le commerce pour quelques dizaines de livres : ces films où les personnes sont visées, dans des situations souvent compromettantes, sans leur consentement et sans même que leur visage soit masqué, se vendent à plusieurs milliers d’exemplaires à travers le pays… Dans ce contexte, les « codes de [bonnes] conduites », conçus par un certain nombre d’autorités locales pour encadrer l’usage quotidien des systèmes, paraissent bien peu contraignants et, pour l’observateur français, prêtent plutôt à sourire. À titre d’exemple, on peut détailler celui de la police du West Midlands (1994) qui énonce plusieurs règles (30) Voir notamment MAGUIRE (M.), op. cit., 1998, p. 229-240. (31) FELDMANN (D.), 1993. (32) Voir notamment SCHLESINGER (P.), TUMBER (H.), 1993, p. 19-33. Reproduction interdite © INHES 2007 21 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 22 Vidéosurveillance et prévention de la criminalité dont le respect s’impose aux exploitants : les données factuelles sur le nombre des caméras et leur localisation sont disponibles publiquement ; toutes les caméras sont situées dans une position fixe et proéminente – à l’exception de celles qui sont équipées d’un grand angle – de manière à ce que les lieux domestiques et les bureaux ne soient pas inclus dans le champ de vision des objectifs ; des contrôles sont exercés au hasard sur les opérateurs et des sanctions disciplinaires prévues en cas de manquement ; aucun équipement pour l’enregistrement du son n’est autorisé ou envisagé 33. Il convient toutefois de noter qu’aucune recommandation n’est formulée quant à l’usage et à la durée de conservation des enregistrements. Et, plus surprenant, la même constatation peut être faite à propos du Guide rédigé à l’adresse des candidats aux CCTV Challenge Competition par le Home Office en 1994 34 : le chapitre consacré à ces questions («Elements of good practice») recommande uniquement aux opérateurs de recycler régulièrement les bandes vidéos afin de ne pas altérer la qualité des enregistrements au fil du temps ! Une enquête commanditée par la Local Government Information Unit (LGIU), organisme indépendant regroupant une centaine de membres, conclura que les codes de conduites élaborés par les autorités locales – soixante-dix ont été examinés – n’apportent pas de garanties suffisantes pour la protection des libertés des citoyens 35. Plusieurs critiques sont formulées : la finalité des dispositifs est rarement énoncée ; lorsqu’elle est explicitée, elle l’est dans des termes très vagues et ne révèle pas les limites au-delà desquelles la vidéosurveillance ne sera pas utilisée ; les responsables des systèmes ne sont pas toujours clairement identifiés ; les modalités d’exploitation des enregistrements ne sont pratiquement jamais définies (en particulier les conditions dans lesquelles ils peuvent être vendus aux médias) ; dans un seul cas, le code a été rendu public. À la suite de cette enquête, la LGIU élaborera un code type (1996) dont l’adoption est recommandée aux autorités locales et aux services de (33) In BECK (A.), WILLIS (A.), op. cit., 1995. (34) In HOME OFFICE, 1994, op. cit., p. 36. (35) Cf. BULOS (M.), SARNO (C.), 1996. 22 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 23 Chapitre 1 – Le contexte d’implantation des systèmes police assurant l’exploitation d’équipements de vidéosurveillance. Mais, faut-il le préciser, l’utilisation de ce code demeure facultative et aucune sanction n’est prévue en cas de non-respect des règles énoncées. Pour conclure ce chapitre, il faut souligner qu’une nouvelle loi relative à la protection des données personnelles, adoptée en 1998, est entrée en vigueur en mars 2000. Elle répond aux exigences posées par la directive européenne de 1995 relative à la protection des personnes à l’égard du traitement des données à caractère personnel 36. Cette loi s’applique à la collecte de sons et d’images et donc à l’utilisation de la vidéosurveillance 37. C’est pourquoi, dès juillet 2000, l’Office of the Information Commissioner a pris l’initiative de publier une série de recommandations à l’adresse des exploitants de systèmes de vidéosurveillance auxquels de nouvelles obligations s’imposent pour garantir le respect des libertés individuelles « dans les lieux accessibles au public » 38. Si la commission britannique semble décidée à jouer un rôle plus actif en la matière, force est de constater qu’un grand nombre d’équipements échappe à cette réglementation. C’est le cas notamment des systèmes installés par des particuliers pour surveiller leur domicile, par des employeurs pour contrôler l’activité de leurs employés et par des médias [broadcast media] à des fins journalistiques. (36) Directive n° 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995, JOCE n°L281, 23 novembre 1995. (37) Voir notamment CHANDLER (A.), 1998, p. 25. (38) Cf. CCTV Code of Practice, document que l’on peut consulter sur le site officiel de la commission de contrôle britannique : http//www.dataprotection.gov.uk Reproduction interdite © INHES 2007 23 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 24 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 25 Chapitre 2 L’ EFFICACITÉ DE LA VIDÉOSURVEILLANCE « Did the open-street CCTV system reduce crime and the fear of crime? The short answer to both is no ». Jason Ditton (Scottish Centre for Criminolgy) Reproduction interdite © INHES 2007 25 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 26 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 27 L’ EFFICACITÉ DE LA VIDÉOSURVEILLANCE Les premières études ayant pour finalité de mesurer l’efficacité de la vidéosurveillance en matière de lutte contre la délinquance ont été conduites par des chercheurs anglo-américains à la fin des années soixante-dix. Ainsi, aux États-Unis, une équipe animée par M. C. Musheno a mené une enquête auprès des résidents d’immeubles d’habitation de New York 39. Parmi un ensemble de vingt-six bâtiments, trois avaient été équipés de caméras de surveillance installées dans « des endroits particulièrement vulnérables », les images saisies étant directement transmises aux postes de télévision des habitants qui pouvaient ainsi signaler des incidents au commissariat voisin. L’objectif principal de l’enquête était de connaître l’évolution du sentiment d’insécurité prédominant dans le quartier, en interrogeant la population dans les mois qui avaient précédé et suivi l’installation de cet équipement. Les auteurs concluaient que « la présence des caméras n’a pas apaisé les craintes des habitants [fear of crime], ni dissuadé les auteurs d’actes délinquants ». Principale cause de cet échec : les images avaient révélé que la majorité des délits étaient commis par les résidents du quartier eux-mêmes et les personnes en mesure d’informer la police n’osaient pas le faire par peur de représailles… En Grande-Bretagne, la première enquête de ce type est publiée en 1978 par J. N. Burrows qui a analysé l’évolution de la criminalité dans le métro londonien où quatre stations ont été équipées de caméras de surveillance à titre expérimental en 1975 40. Douze mois après leur (39) MUSHENO (M. C.) et al., 1978, p. 647-656. (40) BURROWS (J. N.), 1978. Reproduction interdite © INHES 2007 27 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 28 Vidéosurveillance et prévention de la criminalité installation, il constate que le nombre de vols est en baisse (de 27 % par rapport aux douze mois qui ont précédé leur installation) mais que cette baisse est encore plus importante dans les quinze stations avoisinantes non équipées de caméras (74 %) ou sur l’ensemble du réseau (61 %). L’auteur conclut qu’il est impossible d’attribuer à la vidéosurveillance un impact quelconque sur l’évolution de la délinquance dans ces lieux, d’autant que les chiffres repartent à la hausse l’année suivante… Seule une enquête, conduite par B. Poyner dans deux parkings de l’université de Surrey (Guildford) au milieu des années quatre-vingt, conclut à une baisse sensible des vols dans les véhicules après l’installation de caméras de surveillance et d’un nouvel éclairage dans l’espace visé 41. L’auteur rapporte que le nombre de vols dans les véhicules est passé de 92 en 1985 à 31 en 1986 ; s’agissant des vols de véhicules, la baisse est plus faible (de 15 à 12 durant la même période). La méthodologie suivie par Poyner pour conduire cette étude sera néanmoins critiquée par plusieurs criminologues 42. Sont contestées en particulier la durée beaucoup trop courte de la période de temps qui sert de référence à l’enquête – elle ne permet pas de s’interroger sur le caractère durable de la baisse – et l’absence de réflexion sur l’évolution de la délinquance dans les espaces voisins. À partir du début des années quatre-vingt-dix, des chercheurs britanniques engagent de nouvelles études sur le sujet, même si elles restent au final peu nombreuses – moins d’une dizaine de rapports publiés au cours de la décennie – au regard de l’importance des équipements implantés outre Manche. Comme le soulignent A. Beck et A. Willis, ces travaux se développent dans un contexte marqué par « des déclarations grandiloquentes proclamant le succès de la vidéosurveillance mais formulées en des termes généraux et par des personnes qui ont pris parti à la décision d’installer le système ». Et de poursuivre : « Ce qui manque, c’est un corps solide de preuves sur lesquelles les responsables pourraient baser leur jugement sur l’efficacité de la vidéosurveillance avant de prendre des décisions (41) POYNER (B.), 1992. (42) Cf. notamment DITTON (J.), 1995, p. 11. 28 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 29 Chapitre 2 – L’efficacité de la vidéosurveillance importantes concernant des investissements. (…) La pauvre qualité des données collectées rend impossible une évaluation convenable des programmes. Là où des succès sont rapportés [par des autorités de police locales] avec des chiffres, l’efficacité des systèmes est presque invariablement exprimée en termes de pourcentage et les données brutes sont rarement fournies. Quand elles le sont, les conclusions apparaissent beaucoup moins tranchées parce que le niveau de la délinquance est fréquemment déjà bas dans la phase de pré installation. De plus, la baisse de la délinquance n’est jamais mise en rapport avec le cadre temporel d’installation de l’équipement ou avec l’espace qu’il couvre. De fait, le déficit d’information en la matière reflète d’importants problèmes méthodologiques liés à l’évaluation de l’impact de la vidéosurveillance sur la délinquance. (…) On doit également tenir compte de la réticence de la littérature consacrée à la vidéosurveillance (surtout fournie pour les fabricants, les distributeurs et les installateurs dans les journaux commerciaux) pour faire connaître les coûts de fonctionnement des installations. Les investisseurs en retirent certainement un bénéfice politique : leur décision et leur engagement financier leur permettent d’être considérés comme agissant contre la délinquance dans les centres-ville et l’impact public de leur engagement est largement positif. Il n’en reste pas moins que la vidéosurveillance est chère à installer, chère à contrôler et à entretenir » 43. De fait, en octobre 1994, lorsque le Home Office lance sa première CCTV Challenge Competition, aucune étude n’a encore apporté la preuve incontestable de l’efficacité de la vidéosurveillance. Les enquêtes menées ultérieurement par des chercheurs professionnels et indépendants n’apporteront pas d’éléments susceptibles de conforter la politique engagée par le gouvernement. Tous les auteurs s’accordent en effet pour affirmer que l’impact de la vidéosurveillance varie sensiblement d’un lieu à l’autre et selon le type de délits visés, que les effets des systèmes sont rarement durables et que l’implantation des caméras est fréquemment suivi d’un phénomène de déplacement de la criminalité vers des zones nonéquipées 44. (43) BECK (A.), WILLIS (A.), op. cit., 1995, p. 171-176. (44) Les trois premières enquêtes analysées dans ce rapport ont été commanditées par le Home Office et peuvent être consultées sur l’internet à l’adresse suivante : www.homeoffice.gov.uk (rubrique « research & statistics »). Reproduction interdite © INHES 2007 29 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 30 Vidéosurveillance et prévention de la criminalité D ANS LE MÉTRO LONDONIEN (B. WEBB, G. L AYCOCK, 1992) Au milieu des années quatre-vingt, la société qui gère le métro londonien engage une série d’actions visant à renforcer la sécurité des usagers et des conducteurs de rame 45. Grâce au soutien du Home Office, 15 millions de livres sont ainsi investis pour installer de nouvelles caméras dans des stations situées sur des lignes dites sensibles, implanter des alarmes sur les quais et rénover le réseau de communication assurant les liaisons radio entre les policiers. Par ailleurs, un nouveau système de tickets (Underground Ticketing System) est mis en place pour accéder aux stations dont les plus importantes sont équipées de « barrières automatiques ». C’est dans ce contexte que Barry Webb et Gloria Laycock sont chargés de conduire une enquête pour évaluer l’efficacité de la vidéosurveillance en matière de lutte contre la criminalité dans le métro londonien 46. Leur attention s’est portée sur deux zones spécifiques du réseau où des actions pilotes ont été menées. LE PROJET SUR LA LIGNE NORTHERN Les stations situées au sud de la Tamise sur les lignes Northern, Victoria et Bakerloo comptent parmi les plus touchées par la délinquance depuis le début des années soixante-dix. Les premières stations équipées de caméras de surveillance en 1975 se trouvent d’ailleurs dans ce périmètre. Pour autant, le nombre de vols n’a cessé de croître au fil des ans dans les stations situées au sud de la Tamise sur ces trois lignes : 23 vols sont recensés en 1976, 227 en 1985… À la suite de ce constat, l’organisation des forces de police est revue et corrigée : un bureau de police est ouvert en janvier 1985 à Stockwell, au croisement des lignes Northern et Victoria, et le redéploiement des (45) Le réseau compte 248 stations et s’étend sur 250 miles. On peut consulter un plan du métro londonien sur l’internet à l’adresse suivante : www.thetube.com (46) WEBB (B.), LAYCOCK (G.), 1992. 30 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 31 Chapitre 2 – L’efficacité de la vidéosurveillance équipes en patrouille est décidé afin d’y renforcer la présence policière 47. D’autres actions sont encore engagées quelques mois plus tard sur la ligne Northern. Dans chacune des six stations situées entre Clapham North et Tooting Broadway, le nombre de caméras vidéo est doublé (de sept à quatorze) et des alarmes sont installées sur les quais, chacune étant reliée au système vidéo. Un kiosque d’information (the Passenger Alarm Point) est implanté à l’entrée de ces stations pour recevoir les usagers. Il abrite également l’équipe de surveillance qui dispose d’un écran de contrôle et du matériel d’enregistrement des bandes 48. En cas d’alerte, le système sélectionne automatiquement la caméra visant le lieu où est signalé un incident et affiche les images sur l’écran de contrôle. B. Webb et G. Laycock relèvent encore que l’éclairage des stations a été amélioré et des miroirs installés pour accroître le champ de vision des agents. L’ensemble du dispositif est opérationnel en novembre 1988. Les données collectées pour suivre l’évolution de la délinquance concernent les vols (essentiellement les vols à l’arraché) commis entre 1985 et 1990 dans trois zones de référence : la première couvre les six stations précitées de la ligne Northern (zone 1), la seconde couvre six stations situées au nord de la Tamise sur la ligne Victoria (zone 2), la troisième concerne l’ensemble du réseau londonien (zone 3). L’analyse des statistiques indique que le nombre de vols a quasiment diminué de moitié dans la zone 1 avant l’installation du nouveau système (94 en 1985, 52 en 1988) et que la baisse est encore plus nette dans les mois qui ont suivi sa mise en œuvre effective (8 en 1989). Mais la tendance est nouveau à la hausse l’année suivante (35 vols recensés en 1990). Dans les autres zones, la réduction des vols est également sensible : entre 1988 et 1990, leur nombre a diminué de moitié et de façon continue dans la zone 2 (de 97 à 41) et dans la zone 3 (de 1 128 à 656). (47) Trente policiers sont spécialement affectés à la surveillance de ce périmètre. Ils appartiennent tous à une division spéciale de la British Transport Police qui compte alors 350 agents. (48) Toutes ces caméras sont également reliées à la salle de contrôle de la division spéciale de la British Transport Police qui est chargée de surveiller le métro londonien. Reproduction interdite © INHES 2007 31 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 32 Vidéosurveillance et prévention de la criminalité Les auteurs de l’enquête soulignent également que la baisse des vols constatée en 1988 et 1989 dans les stations situées dans les zones 1 et 2 n’a pas été suivie par une augmentation des vols dans les stations avoisinantes : les données collectées montrent que leur nombre a diminué en amont et en aval sur les lignes Northern (- 30 %) et Victoria (- 29 %), deux chiffres proches de la moyenne constatée sur l’ensemble du réseau (- 34 %). Selon B. Webb et G. Laycock, il apparaît clairement que la présence des caméras n’est qu’un élément parmi d’autres ayant permis de rendre la lutte contre la délinquance plus efficace. Plusieurs facteurs peuvent en effet expliquer cette tendance généralisée à la baisse : le renforcement de la présence policière qui s’est traduit par exemple, dans le zone 2, par la création d’un bureau de police en avril 1989 à Finsbury Park 49 ; l’extension du nouveau système de tickets et d’accès au réseau qui a pu dissuader les individus indésirables de s’y introduire ; enfin la baisse de la fréquentation du métro dont le nombre d’usagers est passé de 17,6 millions en mars 1987 à 14,4 millions en mars 1989… LE PROJET À LA STATION OXFORD CIRCUS Située au croisement des lignes Victoria, Bakerloo et Central, cette station est l’une des plus fréquentées par les usagers du métro londonien : 250 000 personnes y transitent quotidiennement. Sa configuration est particulièrement complexe puisqu’elle compte huit entrées/sorties, six quais, quatorze tapis roulants et de multiples couloirs 50. Face à la montée de l’insécurité dans cette station, plusieurs mesures ont été prises suivant le plan développé entre Clapham North et Tooting Broadway : installation de trente caméras reliées à un PC vidéo, implantation de trente-quatre alarmes et création de quatre kiosques d’information. L’ensemble du dispositif est opérationnel en avril 1988. (49) La même année, la British Transport Police recrutait 55 nouveaux agents. (50) À titre de comparaison, chaque station de la ligne Northern étudiée précédemment compte deux quais, une entrée, une sortie et un tapis roulant. 32 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 33 Chapitre 2 – L’efficacité de la vidéosurveillance Les données collectées pour les besoins de l’enquête concernent les vols à l’arraché, les vols à la tire (pickpocket) et les agressions commises entre 1985 et 1990 à Oxford Circus et à Tottenham Court Road (une station voisine qui ne dispose pas d’un équipement particulier). Les statistiques montrent que le dispositif n’a pas permis de réduire la délinquance à Oxford Circus : le nombre de vols à l’arraché est demeuré stable durant la période de référence (27 en 1985, 32 en 1988, 29 en 1989, 29 en 1990), celui des vols à la tire a légèrement augmenté au fil des ans (340, 397, 451 et 384 les mêmes années) et celui des agressions a connu une évolution en dents de scie (13, 35, 32 et 16 les mêmes années). Pour B. Webb et G. Laycock, ce résultat plutôt décevant au regard des investissements consentis s’explique en grande partie par la nature des délits constatés et la complexité de l’environnement à surveiller : la majorité des vols sont commis par des pickpockets dont l’action (rapide et discrète) peut aisément échapper à la vigilance d’un opérateur qui doit manipuler une trentaine de caméras à la fois. Et quand bien même il serait repéré à l’écran, l’auteur d’un vol pourrait facilement prendre la fuite dans les méandres de la station. En conclusion, B. Webb et G. Laycock soulignent que l’installation de la vidéosurveillance dans les stations pilotes n’a pas eu un impact déterminant dans la lutte contre la criminalité, en particulier dans les espaces complexes et étendus comme à Oxford Circus où le risque d’être arrêté n’est pas assez grand pour dissuader un délinquant potentiel de passer à l’acte. Outre le contexte physique de son implantation, l’efficacité du système dépend aussi de la capacité des policiers à intervenir promptement en cas d’incident, ce qui suppose que leur visibilité et leur accessibilité soient suffisamment grandes pour qu’ils puissent réagir dans des délais raisonnables à d’éventuelles requêtes. Or le renforcement de la présence policière, s’il devait se poursuivre de façon continue dans l’ensemble du réseau, a un coût difficilement supportable par la société qui exploite le métro londonien. C’est pourquoi les auteurs de l’enquête suggèrent qu’il serait utile d’explorer d’autres voies pour lutter contre la criminalité, en particulier de réévaluer le rôle que d’autres employés de Reproduction interdite © INHES 2007 33 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 34 Vidéosurveillance et prévention de la criminalité la société – les contrôleurs de billets sont cités en exemple – pourraient jouer en matière de prévention de la délinquance. D ANS LES PARKINGS (N. TILLEY, 1993) Professeur de sociologie à la Nottingham Trent University, Nick Tilley est un spécialiste des questions de méthodologie de recherche et d’évaluation des politiques publiques dans le champ des police studies 51. Il est le co-auteur (avec Philip Edwards) du guide d’utilisation de la vidéosurveillance, diffusé en 1994 par le Home Office auprès des candidats aux CCTV Challenge Competitions 52. Publié un an plus tôt, son rapport consacré à l’évaluation de l’efficacité de la vidéosurveillance dans les parkings publics est le premier du genre en Grande-Bretagne au regard de l’ampleur géographique et temporelle de l’évaluation 53. OBSERVATIONS MÉTHODOLOGIQUES La délinquance liée à l’automobile (vols de véhicules et vols dans les véhicules) compte pour 28 % de toutes les infractions enregistrées en Angleterre et au Pays de Galles en 1992. Près de 20 % de ces actes sont commis dans des parkings privés ou publics. L’enquête de N. Tilley a pour objectif de mesurer l’impact de la vidéosurveillance dans ces lieux en matière de prévention de la délinquance. L’auteur formule au préalable quelques remarques générales à propos de sa méthode d’évaluation qui s’articule autour l’examen de trois éléments : les « mécanismes » (mechanisms) par lesquels la vidéosurveillance peut avoir un effet sur l’évolution de la criminalité, le « contexte » (context) d’utilisation de la technologie dans un endroit donné et les « résultats-tendances » (outcome-pattern), qui peuvent être (51) Cf. en particulier, PAWSON (R.), TILLEY (N.), 1997. (52) Voir supra, HOME OFFICE, 1994, op. cit. (53) TILLEY (N.), 1993. 34 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 35 Chapitre 2 – L’efficacité de la vidéosurveillance analysés après l’installation des caméras 54. Ce cadrage théorique permet à N. Tilley de souligner que les mécanismes associés à l’implantation de la vidéosurveillance sont multiples et ne produisent pas les mêmes effets selon le contexte d’utilisation du système. Parmi ces mécanismes, qui sont autant d’hypothèses concernant la façon dont des mesures de prévention peuvent produire des effets, N. Tilley relève en particulier : le redéploiement du personnel de sécurité dans les espaces visés par les caméras et à proximité, la publicité accordée aux arrestations rendues possibles par les enregistrements vidéo, la présence de panneaux informant le public de l’existence de caméras, autant d’éléments qui peuvent dissuader un délinquant potentiel de commettre un délit mais aussi rassurer les usagers et les encourager à fréquenter les parkings placés sous surveillance. À l’inverse, souligne l’auteur, on peut très bien imaginer que la présence de la vidéosurveillance amène le personnel de sécurité, trop confiant dans la capacité de l’appareillage technique, à relâcher son attention ou encore conduise les délinquants à se déplacer et à agir dans des espaces non équipés. Plusieurs mécanismes peuvent se combiner. Les éléments contextuels à prendre en compte sont également variés : les conditions d’éclairage et d’utilisation du parking (fréquentation, horaire, durée de l’immobilisation), le nombre et la performance des caméras, le comportement des usagers relatif à la sécurité de leur véhicule, la capacité de réaction du personnel de sécurité ou de la police face à la survenance d’un incident, etc. Ces derniers éléments peuvent évoluer et être adaptés au fil du temps pour permettre aux responsables des lieux placés sous surveillance d’atteindre, avec plus ou moins de succès, les objectifs qu’ils se sont fixés. Quant à l’analyse des résultats, elle repose sur l’examen des données quantitatives fournies par les services de police mais aussi des données qualitatives recueillies au cours d’entretiens avec les responsables d’exploitation, les agents de sécurité ou les usagers. (54) À propos de cette « new realistic evaluation method » qui va inspirer bon nombre de chercheurs travaillant sur l’impact de la vidéosurveillance, voir encore TILLEY (N.), 1997, p. 175-185. Reproduction interdite © INHES 2007 35 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 36 Vidéosurveillance et prévention de la criminalité LES ÉTUDES DE CAS N. Tilley a étudié dans le détail les mécanismes associés aux systèmes de vidéosurveillance et le contexte de leur mise en œuvre dans les parkings de six villes (Hartlepool, Hull, Bradford, Lewisham, Coventry et Wolverhampton) avant d’analyser les résultats de leur exploitation. À Hartlepool, l’auteur relève que les parkings placés sous surveillance vidéo sont équipés de caméras perfectionnées (zoom, infra rouge pour la vision nocturne, etc.). Les salles de contrôle sont occupées jour et nuit par le personnel de sécurité – sept agents s’y relayent en moyenne au cours de la journée – qui peut donc intervenir en permanence tout comme la police reliée aux postes de contrôle. Les images sont effacées régulièrement sauf en cas de survenance d’un incident où elles sont conservées pour servir de preuve. Quelques condamnations ainsi obtenues ont été rendues publiques via la presse locale. Des panneaux informent les usagers de la présence des caméras et les invitent également à ne pas abandonner des objets de valeur dans leur voiture. Dans les parkings placés sous vidéosurveillance, un système de paiement a été mis en œuvre ce qui a réduit la durée d’immobilisation des véhicules et augmenté le flux des usagers dans ces lieux. S’agissant des résultats de cette politique de prévention, N. Tilley souligne tout d’abord qu’un net déclin des vols de véhicules et des vols dans les véhicules était déjà mesurable dans tous les parkings de la ville avant l’installation des équipements de vidéosurveillance en avril 1990 55. Cette tendance à la baisse a perduré quelques mois dans les parkings où la vidéosurveillance a été installée, mais elle s’est inversée assez rapidement dans les parkings non-équipés – l’auteur avance l’hypothèse que des déplacements temporaires de délinquance d’un type de parking vers l’autre pourraient expliquer ce phénomène. Puis l’avantage des parkings disposant de la vidéosurveillance a décliné avec le temps (environ dix-huit mois après l’installation des caméras pour les (55) L’enquête couvre la période qui va de janvier 1989 à septembre 1992 (cf. annexe, p. 26). 36 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 37 Chapitre 2 – L’efficacité de la vidéosurveillance vols de véhicules et neuf mois pour les vols dans les véhicules). Selon N. Tilley, cette évolution correspondrait au « cycle de vie » des initiatives de prévention de la délinquance identifié par G. Berry et M. Carter 56. À Hull, la vidéosurveillance a été installée dans un seul parking public en novembre 1991. Comme à Hartlepool, les caméras sont perfectionnées, les images effacées régulièrement si aucun incident n’est survenu et l’entrée du parking est payante. En revanche, la surveillance des écrans de contrôle est assurée par des employés municipaux – de jour comme de nuit – qui peuvent transmettre les images au poste central de police et/ou solliciter par radio l’intervention d’agents mobiles de sécurité. À noter encore l’existence d’un « code de conduite » qui définit les règles d’usage du dispositif (confidentialité des données, conditions de transmission des images aux services de police, etc.). Sept mois après l’installation des caméras, N. Tilley a pu constater une diminution significative des vols de voitures (- 89 %) et des vols dans les voitures (- 76 %) alors que, sur l’ensemble de la ville, les premiers ont diminué légèrement (- 6 %) et les seconds augmentés légèrement (+ 3 %) 57. Autre évolution notable : la fréquentation de ce parking a augmenté dans la journée depuis la mise en œuvre du système, alors que celle des autres parkings municipaux a diminué au cours de la même période. Selon N. Tilley, il est possible d’avancer l’hypothèse que l’emploi de la vidéosurveillance a réduit le sentiment d’insécurité des usagers de ce parking. Pour le reste, l’auteur demeure prudent : les données brutes collectées auprès des services de police ne permettent pas d’établir l’existence d’un déplacement de la criminalité vers d’autres lieux, ni d’expliciter les raisons pour lesquelles la vidéosurveillance a contribué à la baisse de la délinquance dans ce parking. À Lewisham, où un parking a été placé sous surveillance vidéo depuis avril 1991, le dispositif diffère sensiblement des deux cas précédents. Il s’agit d’un parking privé. Le poste de contrôle est installé non pas sur (56) BERRY (G.), CARTER (M.), 1992 cité par TILLEY (N.), op. cit., p. 9. (57) L’enquête couvre la période qui va de novembre 1990 à juin 1991, et de novembre 1991 à juin 1992. Les données brutes collectées sont publiées dans le rapport. Reproduction interdite © INHES 2007 37 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 38 Vidéosurveillance et prévention de la criminalité place mais au siège de l’association de commerçants qui exploite le système. Les caméras ne couvrent pas toute la surface du parking. Parmi les quatre caméras installées, une est un leurre, les trois autres ne disposent pas de zoom — dans la pratique il est impossible d’identifier par ce canal les numéros d’une plaque d’immatriculation — et fournissent des images de qualité médiocre. Des panneaux indiquent l’existence des caméras. Le contrôle des écrans est occasionnel. Les enregistrements vidéo ne sont pas directement accessibles aux services de police qui, au demeurant, sont rarement sollicités. De façon laconique, N. Tilley souligne qu’aucune arrestation n’a jamais été effectuée grâce à ce système durant les cinq mois qui ont suivi son installation 58. Si les vols (toutes catégories confondues) enregistrés par les exploitants ont sensiblement diminué, passant de vingt-quatre à six au cours des périodes de référence, l’auteur n’en tire aucune conclusion décisive, faute d’avoir pu disposer de données comparables sur l’ensemble de la ville. Il formule simplement l’hypothèse que cette baisse est peut-être liée à la diffusion d’informations sur l’existence de la vidéosurveillance, via les panneaux installés sur place ou les articles publiés à ce sujet dans la presse locale. À Bradford, la vidéosurveillance a été installé dans un parking du centre-ville depuis juillet 1991. Le parking a toujours été payant. Des panneaux indiquent l’existence des caméras. L’éclairage a été amélioré et les murs repeints. Comme à Hartlepool, l’équipement est perfectionné, les images sont effacées régulièrement sauf incident, et le personnel de sécurité spécialement affecté au poste de contrôle surveille les écrans en journée et une partie de la nuit. Aucune arrestation n’a résulté de l’exploitation de ce système. Douze mois après l’installation du système, une réduction sensible des vols dans les voitures (- 68 %) et des vols de voitures (- 43 %) a été constatée 59. Durant la même période de référence, N. Tilley remarque (58) L’enquête couvre la période qui va d’avril à juillet 1990 et d’avril à juillet 1991. (59) L’enquête couvre la période qui va de juillet 1990 à juin 1992. Les données brutes collectées sont publiées dans le rapport. 38 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 39 Chapitre 2 – L’efficacité de la vidéosurveillance que les vols dans les véhicules ont légèrement augmenté dans deux parkings voisins (+ 6 %) et dans l’ensemble de la ville (+ 10 %), quant aux vols de véhicules, l’augmentation est plus importante dans les parkings voisins (+ 32 %) que dans l’ensemble de la ville (+ 8 %). Curieusement, N. Tilley n’évoque pas ici l’hypothèse d’un déplacement de la criminalité vers les parkings et les espaces non-équipés de vidéosurveillance pour expliquer l’augmentation des vols constatés par ailleurs. Il note simplement que les travaux réalisés (équipement vidéo, éclairage, peinture, etc.) ont permis de dissuader les auteurs d’infraction potentiels. À Coventry, la vidéosurveillance a été installée au fil des ans dans cinq parkings par la municipalité qui a également mis en œuvre d’autres mesures de prévention dans ces lieux : coupe régulière du feuillage pour améliorer la surveillance, réfection des peintures et des éclairages, installation de panneaux pour informer les usagers de la présence de caméras, érection de hautes clôtures pour restreindre et canaliser l’accès des piétons 60. Le dispositif vidéo lui-même comprend des écrans de contrôle observés en permanence le jour et en soirée. Les enregistrements sont conservés en cas d’incidents. Les données collectées entre 1987 et 1992 montrent que les vols de véhicules ont sensiblement diminué, et de façon continue, dans les cinq parkings visés par l’enquête (191 en 1987, 54 en 1992), de même dans tous les parkings de la ville durant cette période (300 en 1987, 72 en 1992). En revanche, dans l’ensemble de la ville, l’évolution est différente : après une nette diminution (3 269 en 1987, 2 102 en 1989), les vols de voitures ont régulièrement augmenté (2 696 en 1992). Concernant les vols dans les voitures, la tendance globale est à la baisse mais les chiffres reflètent d’importantes fluctuations d’une année à l’autre quelle que soit la zone de référence. Ainsi, dans les cinq parkings sélectionnés, les vols dans les voitures sont passés de 390 en 1987, à 192 en 1989, 268 en 1990, 170 en 1991 et 301 en 1992. N. Tilley conclue logiquement que (60) L’enquête couvre la période qui va de janvier 1987 à août 1992, les cinq parkings ayant été progressivement équipés de caméras au cours de cette période. Reproduction interdite © INHES 2007 39 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 40 Vidéosurveillance et prévention de la criminalité l’impact des mesures de prévention varie selon le type de vol mais qu’il est impossible de savoir quelle mesure précise a pu avoir un effet dans chacun des parkings étudiés. À Wolverhampton, la vidéosurveillance a été installée dans le parking d’un centre de loisirs en février 1991 61. Le dispositif est perfectionné et des panneaux informent les usagers de son existence. Les images sont enregistrées en permanence et communiquées aux services de police en cas d’incident. Aucune arrestation n’a résulté de l’exploitation du système. Douze mois après l’installation de la vidéosurveillance, une faible réduction des vols de voitures a été constatée (de 11 à 9). Quant aux vols dans les voitures, la baisse est plus sensible (de 28 à 15). Dans le reste de la ville, les premiers ont également diminué (- 3 %) et les seconds légèrement augmentés (+ 3 %). N. Tilley conclut que le système a pu jouer un rôle dans l’inhibition de la délinquance mais il note aussi que la fréquentation du centre de loisirs a diminué de 28 % durant la période de référence… REMARQUES FINALES N. Tilley clôt son rapport en formulant les observations suivantes. L’installation de la vidéosurveillance dans les parkings peut servir à prévenir la commission d’infractions relatives aux véhicules [car crime] mais son impact n’est jamais durable. L’efficacité de la vidéosurveillance est d’autant plus grande que son implantation est associée à d’autres mesures complémentaires (éclairage, clôture, peinture, etc.). L’impact de la vidéosurveillance n’est pas le même selon qu’il s’agisse de vols de voitures ou de vols dans les voitures. Très peu d’arrestations ont suivi la mise en œuvre de la vidéosurveillance, en raison de la pauvre qualité des images fournies par les systèmes et du nombre limité d’agents de sécurité disponibles pour intervenir après la constatation d’un incident. (61) L’enquête couvre la période qui va de février 1990 à février 1992. 40 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 41 Chapitre 2 – L’efficacité de la vidéosurveillance À N EWCASTLE , B IRMINGHAM ET K ING ’ S LYNN (B. B ROWN , 1995) Au moment où il rédige son rapport, Ben Brown est membre du Home Office Police Research Group. Son enquête a pour objectif d’étudier comment la police utilise la vidéosurveillance pour traiter du problème de la délinquance et des atteintes à l’ordre public 62. L’auteur analyse dans le détail l’impact des systèmes sur l’évolution du nombre de délits recensés dans trois villes anglaises, Newcastle, Birmingham et King’s Lynn. Sur le plan méthodologique, B. Brown inscrit sa réflexion dans le cadre théorique élaboré par Pawson et N. Tilley et s’attache plus particulièrement à l’examen du contexte dans lequel la vidéosurveillance a été mise en œuvre et des mécanismes par lesquels elle a eu un effet sur la prévention des comportements déviants. LES USAGES DE LA VIDÉOSURVEILLANCE Pour établir de quelle façon les services de police emploient les systèmes dans la pratique, B. Brown a effectué plusieurs visites sur le terrain et des entretiens avec les agents en poste dans des villes qui en sont équipées. Selon l’auteur, les usages policiers de la vidéosurveillance relèvent de quatre types d’activités. La première concerne l’aide au déploiement des forces de police sur la voie publique. Intégrées à un réseau plus large de communication, qui mobilise notamment des liaisons radio, les caméras fournissent des informations utiles pour coordonner l’action des agents sur le terrain. Le système permet en particulier d’apporter des réponses appropriées et rapides aux incidents ou aux alertes dont les opérateurs prennent connaissance. B. Brown donne quelques exemples d’opérations coordonnées grâce à la (62) BROWN (B.), 1995. Reproduction interdite © INHES 2007 41 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 42 Vidéosurveillance et prévention de la criminalité présence des caméras : faciliter l’évacuation d’un lieu suite à une menace d’attentat, observer le comportement de supporters de football, contrôler le trafic routier, commander l’intervention d’un nombre adéquat de policiers pour résoudre tel ou tel conflit survenu sur la voie publique, etc. La deuxième concerne l’aide apportée à l’identification et à l’arrestation de suspects. Le système permet par exemple de suivre les déplacements d’un délinquant qui se dissimulerait au sein d’un groupe de personnes ou derrière des obstacles pour échapper à la police. B. Brown souligne toutefois que les arrestations interviennent plus souvent lorsque la vidéosurveillance est utilisée en direct pour piloter l’action des agents sur le terrain. « Tenter d’utiliser l’information enregistrée pour identifier les suspects rétroactivement est bien moins efficace » précise-t-il. La troisième concerne la prévention des comportements déviants. Les vertus dissuasives des systèmes reposent sur un principe simple : l’existence de la vidéosurveillance et la publicité faite autour de son utilisation doivent amener les individus à se conformer à un certain type de (bonne) conduite dès l’instant où ils pénètrent dans le champ des caméras. Cela étant, la nature de l’infraction (« impulsive » lors d’une bagarre à la sortie d’un pub ou « planifiée » lors d’un cambriolage par exemple) a une incidence sur l’efficacité de la vidéosurveillance, le comportement de son auteur potentiel étant plus ou moins influencé par la présence des caméras avant de passer à l’acte 63. La quatrième concerne la constitution d’éléments de preuve. L’enregistrement vidéo d’un incident permet non seulement de confondre un délinquant mais aussi, souligne B. Brown, de localiser/identifier des témoins et de conserver une trace filmée de la « réponse policière ». LES ÉTUDES DE CAS À la suite du constat établi par B. Webb et G. Laycock dans le métro londonien – l’efficacité des caméras varie selon la nature de (63) Dans le même sens, Clive Norris écrit à ce propos : « When young men have had between five and 10 pints of lager and their honour is challenged, the presence of a camera makes no diffrences » (The Guardian, 8 décembre, 1999). 42 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 43 Chapitre 2 – L’efficacité de la vidéosurveillance l’environnement placé sous surveillance et des actes délinquants visés – B. Brown, pour mener son enquête, a sélectionné des villes où les caméras couvrent des espaces très différents, et exploité des données statistiques qui englobent une large variété d’infractions constatées par les services locaux de police. À Newcastle-upon-Tyne, cité du nord-est de l’Angleterre 64, le centreville possède une population de résidents peu importante, mais compte de nombreux établissements publics, night-clubs, restaurants, pubs, commerces et bureaux. Les rues, qu’elles soient piétonnes ou affectées à la circulation automobile, sont larges et rectilignes. À noter également, à proximité du centre, la présence du Park Saint James, stade de football où l’équipe locale accueille régulièrement les clubs du championnat de première division. Toutes ces activités, souligne B. Brown, sont génératrices de nombreux problèmes de sécurité. Seize caméras perfectionnées – panoramiques et équipées d’un zoom – ont été installées en décembre 1992 pour surveiller les principales artères du centre-ville. L’équipement a été financé par une agence locale de développement – the City Centre Partnership Security Initiative – qui a réuni des fonds publics et privés. Les coûts de son fonctionnement (maintenance et salaires des opérateurs) sont à la charge exclusive de l’autorité de police locale 65. Les images sont transmises au PC vidéo du commissariat central qui est équipé de quatre écrans de contrôle observés 24 heures sur 24. Le système permet l’enregistrement des images et l’impression de copies sur papier. Les opérateurs vidéo peuvent communiquer directement par radio avec les agents qui patrouillent sur le terrain. Une liaison radio spécifique est affectée aux communications entre les opérateurs et les agents de sécurité d’un important centre commercial qui dispose de son propre système de vidéosurveillance. (64) La ville compte environ 205 000 habitants. (65) Selon Stephen Graham et John Brooks, le coût de l’équipement s’élevait à 4 millions de francs (dont 2,7 millions de fonds privés) et le coût annuel de fonctionnement à 1,2 million de francs, cf. GRAHAM (S.) et al., op. cit., 1996, p. 8. Reproduction interdite © INHES 2007 43 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 44 Vidéosurveillance et prévention de la criminalité Pour analyser l’impact du dispositif en matière de délinquance, B. Brown a étudié les données collectées par la police durant les 26 mois qui ont précédé son fonctionnement effectif (mars 1993) et les 15 mois qui ont suivi. Une vingtaine d’infractions différentes ont été retenues pour l’enquête (cambriolage, vol de voiture, trafic de drogue, désordre public, etc.) qui porte en réalité sur quatre espaces géographiques spécifiques : une zone couverte par 14 des 16 caméras installées dans le centre-ville (zone 1), une zone située à proximité immédiate de la première mais non-équipée de caméras (zone 2), un quartier résidentiel (Byker) situé à l’est de la ville et non-équipé de caméras (zone 3) et l’ensemble du comté (Northumbria) pour fournir des données à l’échelle régionale (zone 4). L’analyse des données indique que la présence des caméras peut avoir un impact déterminant pour lutter contre certaines formes de criminalité 66. Ainsi, le nombre des cambriolages est tombé de 57 % dans la zone 1 (39 % dans la zone 2, 3 % dans la zone 3, 2 % dans la zone 4) durant la période de référence. B. Brown remarque toutefois que cette tendance au déclin était déjà observable avant l’installation des caméras. Il note en particulier que la période où la baisse des cambriolages a été la plus forte est celle qui va de décembre 1992 à mars 1993, c’est-à-dire entre le moment où l’installation du système est annoncée et celui où sa mise en œuvre est effective… S’agissant des vols de ou dans les véhicules, la tendance est également à la baisse durant la période de référence. Là encore, B. Brown souligne que cette tendance à la baisse était déjà observable dans les zones 1, 2 et 3 avant mars 1993. Il relève surtout que cette tendance se renverse après quelques mois dans la zone 1 pour les vols de véhicule : les données enregistrées connaissent une forte hausse à partir de juillet 1993 de telle sorte qu’au terme de la période de référence aucune différence tendancielle ne subsiste entre les différentes zones. (66) Parmi toutes les infractions étudiées, seules les plus significatives – c’est-à-dire ayant connu une nette augmentation ou réduction en terme statistique durant la période de référence – ont été présentées et analysées dans le détail par B. Brown dans son rapport. 44 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 45 Chapitre 2 – L’efficacité de la vidéosurveillance Concernant les vols sur les personnes et les atteintes à l’ordre public commises par la jeunesse (juvenile disorder), B. Brown souligne que les données enregistrées ne permettent pas de conclure à un quelconque effet des caméras sur leur évolution. Ainsi par exemple, si les vols sur les personnes ont légèrement diminué sur l’ensemble de la période de référence, la baisse la plus sensible (18 %) concerne la zone 2 nonéquipée de caméra. En définitive, B. Brown souligne que la vidéosurveillance a surtout eu un impact positif dans la lutte contre les atteintes à la propriété durant les premiers mois qui ont suivi son installation à Newcastle. L’analyse des données semble même indiquer qu’il y a une certaine « diffusion des bénéfices » liés à la présence de la vidéosurveillance vers des espaces non-équipés de caméras, en particulier pour les cambriolages. Mais force est de constater que les effets des caméras s’atténuent après un certain temps. À Birmingham, deuxième cité d’Angleterre en terme d’habitants 67, le centre-ville connaît une baisse de la population des résidents et compte de nombreux établissements publics et financiers, commerces, bureaux, restaurants et pubs. Il accueille également un nombre important de manifestations populaires (réunions sportives, marches de protestation, etc.) tout au long de l’année. La configuration des rues de Birmingham est beaucoup plus complexe que celle de Newcastle ; de même, le centre-ville couvre un espace géographique beaucoup plus vaste que celui de Newcastle. La décision d’y implanter un système de vidéosurveillance a été prise à la fin des années quatre-vingt dans le cadre d’un programme Citywatch financé par des fonds publics (Home Office) et privés (City Centre Assocciation). Le projet élaboré à cette époque est ambitieux puisqu’il prévoit l’installation en plusieurs étapes d’une cinquantaine de caméras. Le système qui est opérationnel en janvier 1991 ne compte que (67) La ville compte près de 935 000 habitants et l’agglomération plus de 2,5 millions d’habitants. Reproduction interdite © INHES 2007 45 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 46 Vidéosurveillance et prévention de la criminalité neuf caméras. D’autres viendront s’y ajouter. Et en 1994, lorsque B. Brown mène son enquête, seules quatorze caméras sont installées. Dans son rapport, il souligne d’ailleurs que plusieurs d’entre elles ont été implantées en dépit du bon sens : le champ de vision est obstrué, ici par du mobilier urbain, là par des arbres au feuillage abondant jusqu’à l’automne… Les images sont transmises au PC vidéo du commissariat central équipé de dix écrans de contrôle. Elles sont visionnées 24 heures sur 24 et peuvent être enregistrées sur disque dur ou faire l’objet de copies sur papier. Grâce à des liaisons radio, les opérateurs sont en contact permanent avec les agents qui patrouillent sur le terrain. L’ensemble du dispositif est donc aussi perfectionné qu’à Newcastle sur le plan technique. Les statistiques étudiées par B. Brown concernent les données enregistrées par la police locale durant les douze mois qui ont précédé son fonctionnement effectif (janvier 1991) et les trente-six mois qui ont suivi. Une dizaine d’infractions différentes ont été retenues pour l’enquête qui porte sur trois espaces géographiques de référence : une zone couverte par neuf des quatorze caméras installées dans le centre-ville (zone 1), la même zone légèrement élargie pour tenir compte d’un changement intervenu dans l’organisation administrative de la police locale qui a affecté le traitement des données criminelles (zone 2) et une zone couvrant l’ensemble de l’agglomération à l’exclusion des deux précédentes (zone 3 où la couverture vidéo est quasi-inexistante). L’analyse des données indique que la présence des caméras a eu un fort impact sur l’évolution des vols commis sur les personnes (en particulier les vols à l’arraché). Avant l’installation du système, elle est similaire dans les trois zones étudiées. Au terme de la période de référence, le nombre de vols recensés a légèrement augmenté dans les zones 1 et 2 alors qu’il a triplé dans la zone 3. Concernant les cambriolages, les statistiques indiquent que leur nombre est resté relativement stable tout au long de la période de référence dans les zones 1 et 2 alors qu’il a nettement augmenté dans 46 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 47 Chapitre 2 – L’efficacité de la vidéosurveillance la zone 3 quelques mois après l’installation du système. De même, s’agissant des agressions, leur nombre est resté stable après l’installation des caméras dans les trois zones mais une augmentation sensible a affecté la zone 3 durant les seize derniers mois de la période de référence. L’évolution des vols de ou dans les véhicules est plus contrastée. Les vols de véhicules avaient fortement augmenté durant les douze mois précédant l’installation des caméras, puis ils ont régulièrement décliné dans les zones 1 et 2 durant les quinze mois qui ont suivi la mise en œuvre effective du système, alors qu’ils augmentaient à nouveau après cette période dans la zone 3. Dans la mesure où les caméras ne visaient pas spécialement des espaces affectés au stationnement des voitures 68, B. Brown explique cette baisse par les changements intervenus (fin 1991) en matière de circulation automobile dans le cœur de la cité où plusieurs rues ont été transformées en voies piétonnes. Dans le même temps, le nombre de vols dans les véhicules a fortement augmenté dans les zones 1 et 2 alors qu’il demeurait stable dans la zone 3. Ces derniers éléments confortent l’analyse de B. Brown : l’aménagement de rues piétonnes – qui a modifié les « conditions d’accès » des véhicules aux délinquants – a joué un rôle plus important que la présence des caméras dans l’évolution de ce type de vols. B. Brown conclut que la vidéosurveillance a surtout eu un impact positif à Birmingham dans la lutte contre les vols commis sur les personnes dans les espaces couverts par des caméras. Cependant les statistiques indiquent que ce type de vols a augmenté dans les espaces où la couverture vidéo est partielle ou inexistante. La même observation est formulée à propos des cambriolages. Il est donc fort probable, souligne-t-il, que l’implantation de la vidéosurveillance ait été suivie par un « déplacement géographique » de la criminalité vers des zones peu ou non équipées de caméras. Plus sûrement encore, selon B. Brown, la mise en œuvre du système a été suivie par un « déplacement (68) Aucun parking n’est équipé de caméras de surveillance à Birmingham au moment de l’enquête. Reproduction interdite © INHES 2007 47 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 48 Vidéosurveillance et prévention de la criminalité fonctionnel » de la criminalité : là où une couverture vidéo existe, les auteurs de vols sur les personnes ou de cambriolages ont reporté leurs activités sur les vols dans les véhicules ; là où elle est inexistante, le phénomène est inverse 69. Un dernier enseignement peut être tiré des développements consacrés par B. Brown à Birmingham dans son rapport. Il a étudié en effet, au cours d’une même année (1994), le type d’incidents détectés par la vidéosurveillance dont la survenance a déclenché ensuite une intervention policière. 458 incidents ont ainsi été traités par la police locale, parmi lesquels 173 ont débouché sur des arrestations. Et de relever que 45 % de ces incidents concernent des problèmes de désordre public (état d’ivresse, mendicité, nuisances diverses, etc.), 20 % des cambriolages et des vols, 16 % la surveillance d’individus au comportement suspect, 7 % des problèmes de circulation automobile… B. Brown en conclut que la présence des caméras a surtout facilité le travail de la police pour traiter de problèmes liés à des atteintes à l’ordre public et, dans une moindre mesure, à des atteintes à la propriété. À King’s Lynn, petite cité médiévale et marchande, les premières caméras ont été installées en 1987 pour lutter contre le cambriolage dans une zone industrielle située à la périphérie de la ville 70. En février 1992, dix-neuf caméras sont implantées dans les parkings du centre-ville et les espaces avoisinants qui englobent un marché, des commerces, des automates bancaires, des établissements publics et quelques logements collectifs. D’autres caméras seront encore installées par la suite pour couvrir des rues piétonnes (dans le centre), un grand complexe sportif et un lotissement d’habitations (à proximité du centre), le parking et les (69) Selon une typologie dressée par T. A. Repetto, les « déplacements de criminalité » peuvent prendre cinq formes : un déplacement « géographique » (un même délit est commis dans un lieu différent), un déplacement « temporel » (un même délit est commis à un autre moment de la journée), un déplacement « tactique » (un même délit est commis selon une méthode différente), un déplacement de « cible » (un même délit est commis sur une catégorie différente de personnes), un déplacement « fonctionnel » (le même délinquant commet un délit de nature différente) ; Cf. REPETTO (T. A.), 1976, p. 166-167 ; voir aussi BARR (R.), PEASE (K.), 1990. (70) La ville compte près de 30 000 habitants. 48 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 49 Chapitre 2 – L’efficacité de la vidéosurveillance accès d’un hôpital (à la périphérie). Au total, l’ensemble du système compte soixante caméras au moment où B. Brown conduit son enquête. Les fonds qui ont servi au financement de ces opérations ont des origines multiples : contributions d’associations réunissant des industriels et des commerçants, taxes prélevées sur chaque ticket d’entrée aux parkings, taxes d’habitation plus élevées pour les personnes dont les habitations font l’objet d’une couverture vidéo, subventions du Home Office. Toutes les caméras sont perfectionnées, quelques-unes disposant même de dispositifs infrarouges pour faciliter la vision de nuit. Les images sont transmises via un réseau de fibres optiques à un PC vidéo équipé de vingt-trois moniteurs, situé dans un bâtiment municipal. Les écrans sont contrôlés 24 heures sur 24 par l’équipe d’une agence de sécurité privée. Une ligne téléphonique directe relie ces opérateurs à la salle de contrôle du commissariat de police qui dispose aussi d’un moniteur. Pour étudier l’efficacité du système en matière de lutte contre la criminalité, B. Brown a analysé les données collectées par la police locale de février 1991 – c’est-à-dire douze mois avant l’installation de caméras dans les parkings du centre – à octobre 1993. Quatre infractions différentes et trois espaces géographiques ont été pris en compte pour les besoins de l’enquête : une zone couverte par les dix-neuf caméras installées dans les parkings et leurs alentours (zone 1), l’ensemble de l’agglomération à l’exclusion de la zone précédente (zone 2) et l’ensemble du comté (Norfolk) pour fournir des données à l’échelle régionale (zone 3). Vu le nombre peu élevé d’infractions enregistrées dans la zone 1 (moins d’une vingtaine dans chaque catégorie) durant la période de référence, B. Brown annonce d’emblée qu’il est impossible de tirer des conclusions quelconques sur d’éventuels phénomènes de déplacement de la criminalité à King’s Lynn. Les statistiques montrent tout d’abord que la délinquance relative aux véhicules a fortement chuté et de façon continue durant la période de Reproduction interdite © INHES 2007 49 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 50 Vidéosurveillance et prévention de la criminalité référence : vingt-quatre vols dans les véhicules étaient recensés dans la zone 1 en février 1991, treize en février 1992 et quatre en octobre 1993 (dans la zone 2, ces vols ont diminué de moitié ; dans la zone 3, leur nombre est demeuré stable) ; quinze, sept puis deux vols de véhicules étaient recensés aux mêmes dates dans la zone 1 (dans les zones 2 et 3, ces vols ont sensiblement diminué). Cette évolution laisse penser que la vidéosurveillance n’est pas le seul facteur susceptible d’expliquer cette tendance quasi générale à la baisse. Concernant les cambriolages, les statistiques indiquent que leur nombre a diminué de moitié après l’installation des caméras dans la zone 1 (de dix à quatre) et augmenté de façon continue dans les zones 2 et 3 au cours de la période de référence. S’agissant des agressions, l’évolution est plus contrastée : leur nombre a fortement chuté (de sept à deux) dans la zone 1 avant l’installation des caméras, puis augmenté durant les neuf mois suivants (de deux à cinq), pour chuter à nouveau de façon continue jusqu’au terme de la période de référence (de cinq à un). Dans le même temps, leur nombre a sensiblement augmenté dans les deux autres zones (de quarante à soixante-cinq dans la zone 2). Pour expliquer cette évolution en dents de scie dans la zone 1, B. Brown avance l’hypothèse que la présence des caméras a sans doute permis d’accroître le nombre d’incidents portés à la connaissance des policiers (et augmenter en conséquence les statistiques criminelles) avant d’avoir un effet dissuasif sur des délinquants potentiels. Dans la seconde partie de son enquête, B. Brown a étudié de quelle façon le système est utilisé au jour le jour à King’s Lynn. Chaque incident étant reporté par écrit sur une sorte de « main courante », il a pu analyser le type d’incidents traités par les opérateurs vidéo durant trente-deux mois (de février 1992 à septembre 1994). Plus de quatre mille incidents ont ainsi été recensés au cours de la période de référence. Ces informations proviennent de deux sources différentes : soit les opérateurs relèvent eux-mêmes un incident sur les écrans, soit leur attention est attirée par des policiers qui ont reçu un appel au commissariat et demandent une surveillance immédiate. 50 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 51 Chapitre 2 – L’efficacité de la vidéosurveillance Parmi les incidents relevés par les opérateurs eux-mêmes (environ deux mille), plus des deux tiers concernent la surveillance d’« individus suspects » (huit cents) – il s’agit généralement, souligne B. Brown, de jeunes gens dont le comportement a attiré leur attention – et des atteintes à l’ordre public (six cents). Au total, 16 % de ces incidents ont conduit à des interventions de la police dont la moitié (cent quarante exactement) ont été suivies par des arrestations. Dans la grande majorité des cas, la police a donc choisi de ne pas répondre aux sollicitations des opérateurs. Parmi les incidents portés à l’attention des opérateurs, plus de la moitié concerne la surveillance d’un lieu où un incident est signalé (huit cents) et la poursuite d’individus suspects (quatre cents). Une autre catégorie importante concerne le visionnage d’un enregistrement vidéo en vue de l’identification d’un individu (trois cents) 71. Au total, 6 % de ces incidents ont conduit à des interventions de la police dont trenteneuf ont été suivis par des arrestations 72. Selon B. Brown, ces résultats illustrent combien la vidéosurveillance peut être utile à la police pour évaluer la pertinence et l’urgence d’une intervention et apporter le cas échéant une réponse appropriée aux faits constatés sur les écrans. De ce point de vue, si l’efficacité du système n’est pas contestée à King’s Lynn, il n’en reste pas moins que sa mise en œuvre s’est traduite par une extension considérable de la surveillance des citoyens (1 caméra pour 500 habitants !) de cette petite ville de province, et plus particulièrement des plus jeunes de ses habitants. REMARQUES FINALES L’enquête confirme que la vidéosurveillance a des effets complexes et distincts selon la nature des délits et des espaces visés par les caméras. (71) Dans ce dernier cas, B. Brown relève que seules trois identifications (sur 300 demandes) ont pu être réalisées grâce à la vidéosurveillance… (72) Parmi ces interventions, cinq concernent des atteintes à l’ordre public et dix-huit des atteintes à la propriété. Reproduction interdite © INHES 2007 51 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 52 Vidéosurveillance et prévention de la criminalité Dans certains cas, la présence des caméras s’est accompagnée d’un phénomène de « déplacement de la criminalité », dans d’autres cas, elle a permis de « diffuser les bénéfices » de la surveillance – durant une période de temps plus ou moins longue – vers des zones non-équipées. Les données collectées semblent également indiquer que les interventions de la police ont eu plus de succès dans la lutte contre les atteintes à la propriété que celle contre les atteintes aux personnes dans les espaces disposant d’une couverture vidéo. Dans tous les cas, l’efficacité des dispositifs techniques repose moins sur leur vertu dissuasive (ou supposée telle) que sur la capacité des opérateurs à soutenir et à coordonner l’action des agents sur le terrain. À B RIGHTON (P. S QUIRES , L. M EASOR , 1996) Chercheurs auprès du Département des sciences sociales de l’université de Brighton, Peter Squires et Lynda Measor ont mené une étude sur les usages et l’impact de la vidéosurveillance à Brighton, cité balnéaire située au sud de l’Angleterre, ainsi qu’une enquête d’opinion auprès de la population 73. La décision d’implanter des caméras de surveillance dans le centreville est prise au début des années quatre-vingt-dix, à un moment où les autorités locales s’inquiètent de la recrudescence de la délinquance liée à l’automobile et des agressions contre les personnes, en particulier des étudiants étrangers qui fréquentent l’université pour suivre des stages linguistiques durant la période estivale. Le système qui compte quatorze caméras perfectionnées est opérationnel en novembre 1994. Les images sont transmises à un PC vidéo installé dans le commissariat central où des agents en civil surveillent les écrans de contrôle 24 heures sur 24. Grâce à des liaisons radio, ces derniers sont en contact permanent avec les policiers qui patrouillent sur le terrain. L’équipement a été financé (73) La ville compte près de 135 000 habitants. 52 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 53 Chapitre 2 – L’efficacité de la vidéosurveillance par des fonds publics (Brighton Borough Council & Sussex Police Authority) et privés (un « consortium » de commerçants et de sociétés locales). Les données collectées par P. Squires et L. Measor pour mesurer l’impact de la vidéosurveillance sur l’évolution de la délinquance à Brighton relèvent de deux catégories différentes : la première concerne les délits commis contre des personnes ou des biens, de 1992 à juillet 1995, qui ont fait l’objet d’un dépôt de plainte auprès des services de police ; la seconde concerne les incidents enregistrés quotidiennement, de 1993 à juillet 1995, sur la « main courante » tenue par ces mêmes services de police. Leur analyse est complétée par une série d’entretiens avec les opérateurs et les responsables policiers locaux 74. Les auteurs de l’enquête reconnaissent eux-mêmes que la période de référence retenue – moins d’un an après l’installation du dispositif dans le centre-ville – est trop courte pour tirer des conclusions définitives en la matière. Qui plus est, ils ne fournissent aucune donnée permettant de comparer l’évolution de la délinquance entre les espaces couverts ou non couverts par les caméras de surveillance. Il n’en reste pas moins que P. Squires et L. Measor formulent quelques observations précieuses pour mieux saisir les enjeux associés à l’implantation d’un tel système dans un espace urbain. OBSERVATIONS STATISTIQUES S’agissant des incidents reportés quotidiennement sur la « main courante », les auteurs relèvent que leur nombre a augmenté de façon sensible durant la période qui a suivi l’installation du système. Chaque mois, entre 6 000 et 8 000 incidents sont enregistrés par la police dans l’ensemble de l’agglomération (Brighton Division) et près de 40 % de ces incidents surviennent dans le centre-ville. Or, en comparant les données collectées durant les six premiers mois de l’année 1994 avec celles recueillies durant les six premiers mois de l’année 1995, P. Squires et L. Measor constatent que le nombre d’incidents a augmenté de 23 % (74) Cf. SQUIRES (P.), MEASOR (L..), 1996, op. cit. Reproduction interdite © INHES 2007 53 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 54 Vidéosurveillance et prévention de la criminalité dans l’agglomération (soit 900 incidents supplémentaires). Durant la même période de référence, cette hausse est beaucoup moins importante dans le centre-ville (+ 3 %) si l’on suit l’évolution de l’ensemble des incidents (toutes catégories confondues). En revanche, elle est plus sensible s’agissant des incidents commis avec violence ou ayant entraîné des désordres publics (+ 24 %). En étudiant plus en détail les incidents traités par la police en juin 1995, c’est-à-dire sept mois après l’installation des caméras, P. Squires et L. Measor constatent que les opérateurs vidéo ont été sollicités pour examiner près de six cents incidents et qu’ils ont eux-mêmes révélé un peu plus de cinquante incidents à leur collègue en service sur le terrain. Une centaine au total ont été suivis par des arrestations. Au regard des données fournies par B. Brown à King’s Lynn, deux observations peuvent être formulées ici : les agents en patrouille sont plus rarement sollicités par les opérateurs vidéo à Brighton (moins d’un cas sur dix) qu’à King’s Lynn (un cas sur deux) et le nombre d’arrestations liées à l’exploitation des enregistrements vidéo est proportionnellement beaucoup plus élevé à Brighton qu’à King’s Lynn (179 arrestations en 32 mois). Cela dit, dans les deux villes, les auteurs s’accordent pour affirmer que le principal usage de la vidéosurveillance consiste à ajuster en permanence le déploiement des forces de police en fonction des réalités du terrain afin d’y mener essentiellement des activités de routine. S’agissant des délits ayant fait l’objet du dépôt d’une plainte, leur nombre s’élève en moyenne à deux mille par mois dans l’ensemble de l’agglomération. Leur nombre (toutes catégories confondues) a diminué de façon continue de 1992 à 1994 (de 1 à 3 % par an) et la tendance s’est maintenue au cours des six premiers mois de l’année 1995. Dans le centre ville, l’évolution est sensiblement identique si l’on compare les données collectées durant la première moitié de l’année 1994 avec celles recueillies durant la première moitié de l’année 1995 : la baisse est de 3 % durant cette période de référence pour l’ensemble des délits enregistrés. En revanche, s’agissant des délits commis avec violence sur des personnes ou des biens, leur 54 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 55 Chapitre 2 – L’efficacité de la vidéosurveillance nombre a connu une forte hausse (plus de 20 %) qu’il faut mettre en relation avec le nombre d’incidents constatés dans la même catégorie et durant la même période de référence. REMARQUES FINALES Faut-il en conclure que la présence des caméras n’a eu aucun effet déterminant sur l’évolution de la délinquance à Brighton ? Les auteurs demeurent prudents à ce sujet et formulent la même observation que B. Brown à propos des agressions commises à King’s Lynn : la vidéosurveillance a sans doute eu pour effet immédiat d’accroître le nombre d’incidents portés à la connaissance des forces de police et d’augmenter en conséquence les statistiques criminelles. Et d’ajouter que les autorités locales avaient précisément donné pour consigne aux agents en poste à Brighton de porter plus spécialement leur attention sur les violences commises contre les personnes (voir infra) 75. C’est dire que l’on se retrouve ici face à un paradoxe déjà évoqué en France à propos du développement de la « police de proximité » et de ses effets sur l’évolution des statistiques criminelles. Par ailleurs, P. Squires et L. Measor soulignent qu’ils ont poursuivi leur enquête au cours de l’été 1995 afin de suivre l’impact d’un programme d’action visant à réduire les vols et les agressions contre les personnes durant cette période estivale où la ville accueille de nombreux touristes et étudiants étrangers. En comparant les données collectées durant l’été 1994 et l’été 1995, les auteurs constatent que le nombre de délits a diminué de façon sensible (- 44 %). Si l’utilisation de la vidéosurveillance n’est pas étrangère au succès de cette opération, ils soulignent toutefois que la présence policière avait été renforcée sur le terrain à cette occasion, et qu’une campagne d’information ciblée avait été conduite auprès des populations concernées. Là encore, les auteurs rejoignent les conclusions formulées par d’autres chercheurs (N. Tilley, (75) P. Squires et L. Measor notent au passage que, si les incidents de ce type ne représentent guère plus de 5 % de l’ensemble des incidents constatés dans le centre de Brighton, ils alimentent néanmoins un fort sentiment d’insécurité auprès de la population. Reproduction interdite © INHES 2007 55 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 56 Vidéosurveillance et prévention de la criminalité B. Webb et G. Laycock) avant eux : l’efficacité de la vidéosurveillance est d’autant plus grande que son utilisation est associée à d’autres mesures préventives. À D ONCASTER (D. S KINNS , 1998) Au moment où il publie son rapport d’étude, David Skinns est chercheur en criminologie au Doncaster College 76. Cette enquête a pour objectif d’évaluer l’efficacité de la vidéosurveillance à Doncaster, cité située au nord-est de l’Angleterre, dans une région industrielle fortement marquée par la crise économique et sociale qui a suivi la fermeture de mines de charbon dans les années quatre-vingt 77. Le projet d’installer un système de vidéosurveillance est d’abord défendu par des entrepreneurs privés et des commerçants (business community) soucieux de stimuler l’économie locale en attirant les consommateurs dans un environnement sécurisé. Par la suite, souligne D. Skinns, ce projet est soutenu par la population qui voit avant tout dans ce dispositif un moyen de mettre fin aux désordres (tapage nocturne, état d’ivresse, etc.) qui troublent la vie quotidienne des habitants. Le système est opérationnel en octobre 1995. Il compte soixante-trois caméras perfectionnées implantées dans les rues commerçantes, les parkings et les principales artères du centre-ville. Les images sont transmises à trois PC vidéo dont le plus important est installé dans les locaux du commissariat central, celui-ci étant le seul à être connecté à toutes les caméras et habilité à enregistrer des séquences vidéo. Une équipe d’agents en civil y surveille les écrans de contrôle 24 heures sur 24. Les opérateurs peuvent communiquer par radio avec les policiers qui patrouillent sur le terrain, mais aussi être alertés par de simples citoyens (76) Pour une synthèse voir : SKINNS (D.), 1998, p. 175-188. (77) La ville compte près de 85 000 habitants et l’agglomération plus de 250 000 habitants. (78) Cf. SKINNS (D.), 1997. 56 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 57 Chapitre 2 – L’efficacité de la vidéosurveillance qui actionneraient l’une des quarante-sept bornes d’appel (help points) installées la même année dans les rues du centre-ville 78. Les données collectées par D. Skinns proviennent de quatre sources différentes : les statistiques criminelles établies par les services de police, des enquêtes de victimation menées auprès de certaines catégories de population (usagers des parkings, lycéens, commerçants, etc.), des entretiens avec des personnes en charge des problèmes de sécurité (policiers, magistrats, etc.) et une autre série avec des jeunes délinquants. S’agissant des statistiques criminelles, l’auteur a étudié tous les délits enregistrés par la police locale durant les douze mois qui ont précédé et suivi la mise en œuvre effective du système. Une dizaine d’infractions différentes ont été analysées dans le détail pour les besoins de l’enquête qui porte en réalité sur sept espaces géographiques différents : les rues commerçantes placées sous surveillance vidéo (zone 1) ; le centre-ville à l’exclusion de la zone précédente (zone 2) ; des quartiers résidentiels (zone 3) et des centres d’activités commerciales (zone 4) situés à proximité du centre-ville et non-équipés de caméras ; deux « districts » situés à la périphérie du centre-ville où la couverture vidéo est inexistante (zones 5 et 6) à l’exclusion des deux zones précédentes ; l’ensemble de l’agglomération (zone 7) à l’exclusion de toutes les zones précitées 79. Ce découpage, conçu pour des raisons d’ordre méthodologique, s’apparente à un jeu subtil de « poupées russes » et permet à D. Skinns de comparer assez finement l’évolution de la délinquance dans les divers espaces couverts (zones 1 et 2) ou non couverts (zones 3, 4, 5, 6 et 7) par les caméras de surveillance. L’analyse des données indique que le nombre de délits enregistrés (toutes catégories confondues) est tombé de 16 % durant la période de référence dans les rues placées sous surveillance (zone 1) et de 11 % dans le reste du centre-ville (zone 2), alors que leur nombre est resté stable dans les deux autres districts (+ 0,1 %) et le reste de l’agglomération (+ 3 %). D. Skinns souligne toutefois que l’impact de la vidéosurveillance (79) En réalité, sur le plan administratif, la police locale est compétente pour agir dans huit « districts » dont trois couvrent spécifiquement la ville de Doncaster (les zones 2, 5 et 6 de l’enquête). Reproduction interdite © INHES 2007 57 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 58 Vidéosurveillance et prévention de la criminalité dans la zone 1 varie sensiblement selon le type de délits. La baisse est particulièrement nette pour les vols dans les véhicules (- 50 %), les vols de véhicules (- 45 %) et les cambriolages (- 25 %). Elle est moins sensible pour les vols à l’étalage (- 11 %). Le nombre de vols à la tire est relativement stable (+ 2 %) et il est à la hausse pour les agressions (+ 7 %) et les atteintes à l’ordre public (+ 26 %). Concernant les cambriolages, D. Skinns établit l’existence d’un phénomène de « diffusion des bénéfices » liée à la présence des caméras dans la mesure où la baisse des délits de ce type est également sensible dans le reste du centre-ville (- 26 %). Mais d’ajouter aussitôt que le redéploiement des forces de police qui a accompagné l’implantation du dispositif technique dans le cœur de la cité n’est sans doute pas étranger à cette évolution des statistiques. Dans le même sens, il souligne que la forte baisse des délits liés à l’automobile s’explique aussi en partie par la politique engagée par la municipalité qui a restreint les espaces dédiés au stationnement des véhicules dans le centre-ville. Plus sûrement, D. Skinns constate que le nombre de délits (toutes catégories confondues) a fortement augmenté dans les zones d’activités commerciales situées à la périphérie de la ville (zone 4) : la hausse est de 31 % durant la période de référence. Ce phénomène de « déplacement de la criminalité » est particulièrement net pour les vols à la tire (+ 42 %), les vols à l’étalage (+ 30 %), les vols de véhicules (+ 30 %), les cambriolages (+ 26 %) et les vols dans les véhicules (+ 19 %). Au total, le nombre de délits (toutes catégories confondues) enregistrés dans les trois districts de police qui couvrent la ville, n’a que légèrement diminué (- 6 %) durant la période de référence. D. Skinns souligne finalement que l’implantation de la vidéosurveillance a eu un impact paradoxal sur l’évolution de la délinquance dans la ville de Doncaster : pour certains délits, dans certaines zones, la tendance est à la baisse ; pour d’autres délits, dans d’autres zones, la tendance est à la hausse. Par ailleurs, l’analyse des données montre que le dispositif technique n’apporte pas une aide décisive dans la lutte contre les agressions et les atteintes à l’ordre public, alors même que les 58 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 59 Chapitre 2 – L’efficacité de la vidéosurveillance attentes de la population étaient grandes en la matière. Notons qu’une observation similaire avait déjà été formulée par d’autres auteurs comme B. Brown à Newcastle. C’est dire aussi, ajoute D. Skinns, que les autorités locales ne pourront pas longtemps faire l’économie d’une réflexion sur le redéploiement des forces de police dans la cité et la définition des priorités à accorder dans la lutte contre la criminalité. À A IRDRIE ET G LASGOW (J. DITTON ET E. SHORT, 1993/1999) Professeur de criminologie à l’université de Sheffield, Jason Ditton dirige le Scottish Centre for Criminology et a publié de nombreux articles et ouvrages dans le champ des sciences criminelles. Assisté par Emma Short, il a mené en particulier plusieurs études pour évaluer l’impact de la vidéosurveillance 80. On peut affirmer que, pour la communauté scientifique britannique, ces recherches comptent parmi les travaux de référence en la matière, notamment sur le plan méthodologique. Elles ont été conduites au cours des années quatre-vingt-dix dans deux villes écossaises : à Airdrie, petite cité de 35 000 habitants située à quelques kilomètres à l’est de Glasgow, puis à Glasgow même, métropole commerciale et industrielle qui compte plus de 750 000 habitants. LES ÉTUDES DE CAS À Airdrie, première ville écossaise à être équipée d’un système de vidéosurveillance, l’implantation d’un tel dispositif est due à l’initiative du chef de la police locale à la suite d’une réunion organisée en 1991 avec les membres d’un foyer de jeunes. J. Ditton et E. Short ont rapporté le contenu de la discussion, plutôt surprenante, qui s’est tenue ce jour-là et décrit le processus qui a conduit (80) DITTON (J.), SHORT (E.), 1995 ; 1998, p. 404-428 ; 1999 ; DITTON (J.), 1998, p. 221-228 ; 2000a, p. 692-709. Reproduction interdite © INHES 2007 59 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 60 Vidéosurveillance et prévention de la criminalité in fine à l’installation des caméras. On peut les résumer ainsi : le sentiment exprimé lors de la réunion par les jeunes est que la surveillance policière est injustement braquée sur eux ; de nombreux incidents et actes de vandalisme leur sont attribués à tort ; après plusieurs heures de débat, une jeune fille lance l’idée d’installer une caméra dans le quartier qui doit servir à témoigner de leur bonne foi et à identifier les vrais coupables ; l’idée est reprise par le chef de la police qui élabore un projet plus ambitieux et le soumet à l’ensemble de la population au cours de plusieurs réunions publiques ; parallèlement, un groupe de travail est constitué au sein du commissariat pour analyser les statistiques criminelles et définir les espaces devant faire en priorité l’objet d’une surveillance vidéo ; une campagne d’information est ensuite engagée en direction des commerçants en vue d’obtenir leur aide pour financer l’opération. En définitive, douze caméras sont implantées dans le centre-ville et le système est opérationnel en novembre 1992. Le commissariat central abrite le PC vidéo où des opérateurs surveillent les écrans de contrôle 24 heures sur 24. Pour analyser l’impact de la vidéosurveillance sur l’évolution de la délinquance, les auteurs ont étudié les données collectées par la police de novembre 1990 à octobre 1994, c’est-à-dire 24 mois avant et après l’installation des caméras, dans six zones de référence : les rues du centre-ville placées sous surveillance vidéo (zone 1), les autres quartiers du centre-ville non équipés de caméras (zone 2), puis des zones de plus en plus larges (à l’exclusion des deux précédentes) qui correspondent à des circonscriptions administratives de police (division, district, etc.). Sept catégories différentes d’infractions – préalablement définies par le Scottish Office – ont été prises en compte. L’analyse des données indique que le nombre de crimes et délits (toutes catégories confondues) a diminué de 21 % dans les espaces couverts par les caméras (zone 1) durant les 24 mois qui ont suivi leur installation 81. Ditton et Short relèvent toutefois que l’impact de la vidéosurveillance varie sensiblement selon le type d’infractions : (81) Toutes les données brutes recueillies auprès des services de police ont été corrigées pour tenir compte des variations saisonnières et autres. 60 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 61 Chapitre 2 – L’efficacité de la vidéosurveillance – la catégorie qui inclut les cambriolages, les vols de (ou dans les) véhicules, les vols à l’étalage et les fraudes (crimes of dishonesty), a connu le taux de réduction le plus élevé (- 48 %), ce qui représente près de 1 230 délits en moins par rapport aux 24 mois qui ont précédé l’installation du système ; – le nombre d’actes de vandalisme a chuté de 19 % au cours de la période de référence, ce qui représente 42 délits en moins ; – les deux catégories qui incluent les infractions les plus graves comme les homicides, les crimes sexuels, les agressions violentes ou les attaques à main armée (crimes of violence & crimes of indecency), n’ont pas connu d’évolution notable, leur nombre étant demeuré stable (une centaine avant et après l’installation des caméras) ; – le nombre de délits relatifs à l’usage de drogues a augmenté de 106 % au cours de la période de référence, ce qui représente 180 délits supplémentaires ; – le taux des infractions relatives à l’usage de véhicules (conduites en état d’ivresse, excès de vitesse, etc.) a augmenté de 126 %, ce qui représente 128 délits supplémentaires ; – la catégorie qui regroupe les atteintes à la paix publique (bagarre, état d’ivresse, nuisances diverses, etc.) a connu le taux de croissance le plus élevé (+ 133 %), ce qui représente 194 délits supplémentaires. Concernant les trois dernières catégories d’infractions, J. Ditton et E. Short soulignent que la forte augmentation de leur nombre ne signifie pas nécessairement que la vidéosurveillance n’a pas eu d’effet dans ce domaine. Comme d’autres auteurs (B. Brown, P. Squires et L. Measor), ils avancent l’hypothèse que la présence des caméras a pu accroître le nombre d’incidents détectés par les opérateurs et augmenter en conséquence les statistiques criminelles. Par ailleurs, rien n’indique que l’implantation du système ait été suivie par un phénomène de déplacement (fonctionnel ou géographique) de la criminalité. Dans les deux zones les plus proches du centre-ville où la couverture vidéo est inexistante, le nombre d’infractions enregistrées Reproduction interdite © INHES 2007 61 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 62 Vidéosurveillance et prévention de la criminalité (toutes catégories confondues) a légèrement augmenté au cours de la période de référence, mais cette hausse est presque entièrement due à l’augmentation des délits liés à la possession et au commerce de drogues (+ 161 % dans la zone 2 et + 215 % dans la zone 3). Dans la mesure où les délits de ce type ont aussi augmenté de façon sensible dans les espaces placés sous surveillance (zone 1), J. Ditton et E. Short considèrent qu’il n’y a aucune « évidence statistique » permettant d’établir l’existence d’un déplacement de criminalité. C’est dire aussi qu’ils n’écartent pas cette hypothèse mais suggèrent plutôt d’utiliser d’autres méthodes d’investigation – comme des entretiens avec des délinquants pour connaître leur motivation et leur mode d’action – afin de saisir la réalité du phénomène 82. L’enquête conduite par J. Ditton et E. Short à Airdrie est complétée par une analyse comparée des taux de résolution des infractions (crimes cleared-up) portées à la connaissance de la police locale 83. Les auteurs établissent que ce taux de résolution (toutes catégories confondues) est passé de 50 % à 58 % durant les vingt-quatre mois qui ont suivi l’installation des caméras. Là encore, ils soulignent que ce taux varie sensiblement selon le type d’infraction : il est resté inchangé (31 % avant et après l’installation du système) pour les délits dits de déloyauté (crimes of dishonesty), c’est-à-dire la catégorie qui inclut le plus grande nombre d’infractions commises au cours d’une année sur le plan statistique (38 % des délits enregistrés par la police en Écosse) ; il est passé de 20 % à 27 % en ce qui concerne les actes de vandalisme ; il a faiblement augmenté s’agissant des atteintes à l’ordre public (de 82 % à 87 %) et des délits relatifs à la drogue (de 95 % à 97 %) ; il a légèrement diminué en ce qui concerne les infractions relatives à l’usage de véhicules (de 98 % à 94 %). (82) Dans le même sens, T. Gabor affirme : «Our inability to detect displacement from statistics does not mean that the phenomenon is not present» ; GABOR (T.), 1990, p. 60. (83) Selon les autorités judiciaires écossaises, un crime ou un délit est considéré comme « résolu » si au moins un des auteurs (impliqués dans une affaire donnée) est arrêté, cité ou poursuivi en justice. 62 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 63 Chapitre 2 – L’efficacité de la vidéosurveillance À Glasgow, c’est dans le cadre d’un programme de prévention de la délinquance (City Watch) que les autorités locales prennent la décision d’installer un dispositif de vidéosurveillance dans le centre-ville, souvent assimilé à un lieu « dangereux » et « sinistre » dans l’opinion publique. L’objectif prioritaire affiché par les autorités est de rendre la cité plus attractive aux investisseurs potentiels. Une agence de développement (Glasgow Development Agency) est spécialement créée pour améliorer l’image de la ville et lever les fonds nécessaires au financement des opérations destinées à accroître le sentiment de bien-être – le fameux feel-good factor – de la population 84. Le système est opérationnel en novembre 1994 et compte trente-deux caméras perfectionnées reliées à un PC vidéo où des opérateurs scrutent en permanence douze écrans de contrôle. L’analyse des statistiques criminelles est réalisée suivant la même méthode que précédemment (définition de plusieurs zones de référence, prise en compte de sept catégories de crimes et délits). Seule différence notable, la période de référence est plus courte puisqu’elle couvre les vingt-quatre mois qui ont précédé et les douze mois qui ont suivi l’installation de la vidéosurveillance 85. Sans entrer dans les détails chiffrés, on retiendra les deux principales conclusions formulées par J. Ditton et E. Short à Glasgow. L’analyse des données indique que le nombre de crimes et délits (toutes catégories confondues) a légèrement augmenté (+ 9 %) dans les espaces couverts par les caméras et que le taux de résolution des infractions (toutes catégories confondues) est passé de 64 % à 60 %, durant les douze mois qui ont suivi leur installation 86. C’est dire que l’on aboutit au résultat exactement inverse à celui observé à Airdrie où le nombre de crimes et (84) Voir supra chapitre 1. (85) Les auteurs expliquent que le recueil des données ne pouvait se poursuivre au-delà de l’année 1995 dans la mesure où les résultats de leur enquête devaient être publiés quelques mois plus tard. (86) J. Ditton et E. Short constatent une fois encore que l’impact de la vidéosurveillance varie sensiblement selon le type d’infraction : les crimes violents (crimes of violence), les actes de vandalisme, les atteintes à l’ordre public et les délits relatifs à l’usage de véhicules ont diminué ; les crimes et délits de nature sexuelle (crimes of indecency), les délits de déloyauté (crimes of dishonesty) et les délits relatifs à l’usage de drogue ont augmenté. Reproduction interdite © INHES 2007 63 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 64 Vidéosurveillance et prévention de la criminalité délits avait diminué (- 21 %) et le taux d’élucidation augmenté (de 50 % à 58 %) ! Qui plus est, les auteurs montrent que si le nombre d’incidents portés à la connaissance des opérateurs a augmenté durant les douze mois qui ont suivi l’installation du système, leur intervention n’a pas été suivie par un nombre conséquent d’arrestations : près de 290 ont été comptabilisées au cours de cette période, soit une arrestation par caméra tous les quarante jours… J. Ditton et E. Short concluent cette partie de l’étude en une phrase lapidaire : « Open street CCTV can “work” in limited ways but it is not a universal panacea ». Dans la mesure où l’un des objectifs des autorités locales était de réduire le sentiment d’insécurité (fear of crime) de la population, J. Ditton et E. Short ont également mené une enquête auprès des citoyens de la ville pour les questionner sur ce sujet. Près de 3 000 personnes furent interrogées neuf mois avant, puis trois et quinze mois après la mise en œuvre du système. Les entretiens ont été conduits de huit heures du matin à minuit de façon à constituer un échantillon représentatif de la population locale. On retiendra surtout ici que seuls 33 % des personnes interrogées ont conscience de la présence des caméras trois mois après leur installation – 41 % quinze mois après – alors même que les médias ont largement couvert l’événement. J. Ditton et E. Short soulignent au passage le rôle ambigu joué par la télévision en la matière : à plusieurs reprises, les chaînes locales ont diffusé des enregistrements vidéo pour montrer la capacité du dispositif à repérer des incidents, à orienter l’intervention des forces de police et in fine à venir au secours des victimes, mais la diffusion de telles scènes, parfois extrêmement violentes, sur le petit écran a pu également alimenter le sentiment d’insécurité des habitants et conforter l’image négative qu’ils ont de leur cité. Par ailleurs, le nombre de personnes qui préfèrent éviter de parcourir le centre-ville à certaines heures, n’a cessé d’augmenter au fil du temps : 50 % avant l’installation des caméras, 59 % trois mois après leur installation et 65 % quinze mois après 87. Enfin, deux tiers des personnes (87) Les auteurs relèvent que les femmes sont plus nombreuses à exprimer cette opinion que les hommes. 64 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 65 Chapitre 2 – L’efficacité de la vidéosurveillance interrogées considèrent que le renforcement de la présence policière (police patrolling) sur le terrain est plus utile pour rassurer la population que l’installation de caméras. Autant d’éléments qui semblent indiquer que la vidéosurveillance n’a pas réduit le sentiment d’insécurité des habitants. REMARQUES FINALES Dans deux articles publiés récemment dans la revue professionnelle CCTV Today, Ditton a prolongé sa réflexion et tenté d’expliquer pour quelles raisons la vidéosurveillance semble avoir apporté de meilleurs résultats à Airdrie qu’à Glasgow 88. Il relève tout d’abord que les objectifs poursuivis par les autorités locales sont radicalement différents dans les deux villes. À Airdrie, comme on l’a vu, l’initiative est venue du chef de la police en réponse à un problème précis posé par les jeunes de la ville qui se défendent d’être les auteurs d’actes de vandalisme et de vols à l’étalage. Et lorsque l’officier avance l’idée d’étendre le dispositif de surveillance à l’ensemble de la ville, la population lui apporte son soutien. J. Ditton rappelle à ce propos que, dans les jours qui ont suivi la mise en œuvre du système, des centaines de personnes ont fait la queue durant plusieurs heures à l’entrée du PC vidéo pour jeter un œil à l’intérieur. C’est dire que les habitants d’Airdie sont « fiers de leurs caméras », comme le souligne J. Ditton, mais aussi que les objectifs poursuivis sont clairs, limités et réalistes. À Glasgow, rien de tel. La vidéosurveillance est présentée d’abord comme un moyen de restaurer l’image de cette vaste métropole dont l’activité industrielle est en déclin, objectif ambitieux mais à bien des égards irréaliste. Peu d’habitants résident dans le centreville et la majorité ignore la présence des caméras. De façon plus pragmatique, J. Ditton souligne ensuite que les conditions d’exploitation des deux systèmes n’ont rien de commun, si ce n’est le nombre d’opérateurs en charge de la surveillance vidéo : deux (88) Cf. DITTON (J.), 2000b, op. cit., p. 20 ; 1999, p. 10. Reproduction interdite © INHES 2007 65 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 66 Vidéosurveillance et prévention de la criminalité agents assurent en permanence cette tâche à Airdrie comme à Glasgow. Or, faut-il le rappeler, le dispositif compte douze caméras à Airdrie et trente-deux à Glasgow ! Il relève encore que les opérateurs en poste à Airdrie connaissent la plupart des personnes qui passent dans le cadre des écrans de contrôle, ce qui n’est pas le cas à Glasgow qui compte vingt fois plus d’habitants. Ditton souligne enfin que les circonstances dans lesquelles la vidéosurveillance a été introduite dans les deux villes sont différentes. En novembre 1994, le système est mis en œuvre à Glasgow à un moment où le nombre de crimes et délits enregistrés en Écosse repart à la hausse après avoir décliné durant vingt-quatre mois consécutifs. À l’inverse, les résultats plutôt positifs obtenus par la police à Airdrie s’inscrivent dans une période beaucoup plus favorable dans la mesure où le système est opérationnel en novembre 1992, c’est-à-dire exactement deux ans plus tôt. Pour conclure, J. Ditton affirme que la vidéosurveillance, si l’on veut bien la débarrasser de ses « qualités magiques », peut jouer un rôle utile dans la gestion des désordres urbains. Et il invite les chercheurs à s’intéresser à l’avenir à la question de savoir non pas « si ça marche » mais « comment ça marche »… 66 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 67 Chapitre 3 L ES OPÉRATEURS VIDÉO ET LES DÉLINQUANTS EN ACTION « What’s that guy with dreadlocks going into Watches of Switzerland for ? » Un opérateur vidéo devant son écran Reproduction interdite © INHES 2007 67 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 68 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 69 L ES OPÉRATEURS VIDÉO ET LES DÉLINQUANTS EN ACTION « C’est quoi ce type [devant la vitrine d’une boutique] avec des dreadlocks qui s’intéresse à des montres suisses ? ». Ces propos cités en exergue sont rapportés par Stephen Graham dans un article où il s’interroge sur les menaces que fait peser le développement de la vidéosurveillance sur les libertés individuelles 89. Il s’inquiète en particulier de l’absence d’un cadre juridique protecteur et de l’étendue du pouvoir que détiennent désormais les agents privés de sécurité et leurs employeurs pour définir quelles sont les personnes autorisées à circuler ou à accéder librement à tel ou tel espace urbain placé sous surveillance. Comme d’autres auteurs, dont l’inquiétude s’exprime parfois avec plus de véhémence, il souligne le caractère sélectif et discriminatoire du travail des opérateurs 90. Les suspects sont désignés à l’avance, comme les jeunes et les étrangers dont l’apparence permet facilement aux agents de les faire entrer dans ces catégories : les jeunes n’ont-ils pas tous des dreadlocks – ou des cheveux rasés, tout dépend de l’époque – et les étrangers la peau colorée ? Si l’on veut bien admettre que ces remarques ont quelque pertinence, il est intéressant de rendre compte des travaux réalisés par des chercheurs qui ont étudié de près le travail quotidien des opérateurs vidéo. C’est précisément le cas de Clive Norris et Garry Armstrong qui ont mené leurs investigations, durant près de six cents heures (!) dans les PC vidéo (89) GRAHAM (S.) et al., op. cit., 1996, p. 19. (90) Cf. notamment DAVIES (S.), 1996 ; FISKE (J.), 1998, p. 67-88 ; FYFE (N.R.), BANNISTER (J.), 1998, op. cit., p. 254-267 ; KOSKELA (H.), 2000, p. 243-265 ; LYON (D.), 1994 ; WILLIAM (K.), JOHNSTONE (C.), 2000, p. 183-210. Reproduction interdite © INHES 2007 69 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 70 Vidéosurveillance et prévention de la criminalité de plusieurs villes différentes. La première partie de ce chapitre est consacrée à cette étude qui, à bien des égards, est unique en son genre. Dans une même perspective méthodologique, se référant aux travaux déjà cités de T. A. Repetto et T. Gabor pour étudier le phénomène de « déplacement de la criminalité » 91, J. Ditton et E. Short ont mené une série d’entretiens avec trente délinquants jugés à Airdrie. Cette étude est précieuse pour comprendre les motivations et l’attitude des personnes situées de « l’autre côté de la caméra » 92. La seconde partie de ce chapitre y est consacrée. L E TRAVAIL DES OPÉRATEURS (C. NORRIS, G. ARMSTRONG, 1999) Chercheurs en criminologie, respectivement à l’université de Hull et à l’université de Reading, Clive Norris et Garry Armstrong ont étudié les pratiques des opérateurs dans une enquête conduite entre mai 1995 et avril 1996 dans trois villes différentes (dont les noms ne sont pas révélés par les auteurs) 93. De fait, le contexte d’implantation et les caractéristiques des PC vidéo varient sensiblement d’un lieu à l’autre : – le premier est implanté dans les locaux de la police locale et couvre le centre commerçant d’une grande métropole (Metro City) qui compte plus de 500 000 habitants. Trente-deux caméras y sont implantées. Le coût de l’installation s’élevait à 1 million de livres ; son coût moyen de fonctionnement est de 200 000 livres par an. L’exploitation est assurée par les agents d’une compagnie privée de sécurité ; (91) REPETTO (T.A.), 1976, op. cit., p. 166-167 ; GABOR (T.), 1978, p. 100-107. (92) Signalons que cette enquête n’est pas la première du genre réalisée en Grande-Bretagne. Dans un article de recension, C. J. Horne souligne l’existence d’un mémoire de recherche (non publié) qui traite du même sujet ; FRENCH (P.), 1995. (93) Cf. NORRIS (C.), ARMSTRONG (G.), 1999, op. cit., p. 89-201. La deuxième partie de leur ouvrage, intitulée «The Unforgiving Eye», est entièrement consacrée à cette enquête. 70 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 71 Chapitre 3 – Les opérateurs vidéo et les délinquants en action – le second est abrité dans des bâtiments municipaux et couvre le centre d’une ville de province prospère (County Town) qui compte près de 200 000 habitants. Une centaine de caméras y sont implantées. Le coût de l’installation s’élevait à 500 000 livres ; le coût moyen de fonctionnement est de 120 000 livres par an. L’exploitation du système est assurée par les employés d’une société privée de sécurité ; – le troisième est situé dans une ville (Inner City), marquée par le déclin économique, qui compte près de 250 000 habitants dont les origines ethniques sont très variées. Seize caméras assurent la surveillance des artères principales et de leurs alentours. Le coût de l’installation s’élevait à 450 000 livres ; le coût moyen de fonctionnement est de 100 000 livres par an. Comme dans le cas précédent, la salle de contrôle est abritée dans les bâtiments municipaux où des agents d’une société privée assurent l’exploitation du dispositif. Au total, C. Norris et G. Armstrong ont passé près de six cents heures à observer le travail quotidien des opérateurs en charge de la manipulation des caméras. Ces derniers ont eu à traiter 888 incidents au cours de la période de référence. SURVEILLANTS / SURVEILLÉS Quelles sont les personnes en charge de la surveillance ? Vingt-cinq opérateurs au total dont C. Norris et G. Armstrong dressent le portrait. On retiendra surtout ici qu’ils sont mal payés pour effectuer un travail fastidieux et que la plupart d’entre eux ne sont pas diplômés et ont choisi d’exercer ce métier après une période de chômage. Aucune des personnes interrogées n’évoque une quelconque vocation pour expliquer son entrée dans ce secteur d’activités. Ils ont entre 20 et 40 ans, seulement deux sont des femmes. Si l’on retient la configuration du système implanté à Inner City, le travail quotidien d’un opérateur peut être décrit de la façon suivante. Il Reproduction interdite © INHES 2007 71 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 72 Vidéosurveillance et prévention de la criminalité est installé devant seize moniteurs couleurs reliés aux caméras implantées dans la ville, chaque caméra étant munie d’un zoom et d’une tête pivotante. S’il sélectionne l’une d’entre elles, l’image est retransmise sur un moniteur placé au centre des autres écrans. À l’aide d’une manette, il peut alors activer le zoom et la tête pivotante de la caméra pour suivre plus précisément les mouvements d’un individu qui circule sous ses yeux. De la même façon, quelques secondes lui suffisent, le temps de sélectionner une nouvelle caméra, pour parcourir l’ensemble des zones placées sous surveillance et observer un individu différent. L’image retransmise sur le moniteur central est enregistrée sur un magnétoscope et, en cas de doute, l’agent peut immédiatement visionner la bande vidéo, passer l’image au ralenti, et répéter ces opérations à volonté. Une caméra traitant 24 images par seconde, c’est-à-dire plus de 2 millions d’images en 24 heures, dans une ville qui compte seize caméras, le système enregistre plusieurs dizaines de millions d’images au cours d’une journée ! Face un tel « bombardement d’images », pour reprendre l’expression de C. Norris et G. Armstrong, les opérateurs sont nécessairement amenés à sélectionner les personnes qui défilent sur les écrans. Quelles sont leurs cibles privilégiées ? Les statistiques établies par les auteurs montrent que les agents visent en priorité des adolescents : ils représentent 47 % des personnes ciblées (mais seulement 15 % de la population locale). Les individus âgés de 30 ans et plus ne constituent qu’une part minime des personnes visées (11 %). Et les hommes (89 %) le sont bien plus souvent que les femmes (11 %). L’appartenance à un groupe ethnique semble également être un critère sélectif déterminant dans deux villes : à County Town, 15 % des personnes visées sont des Noirs alors que cette catégorie représente seulement 6 % de la population locale ; à Inner City, 84 % des personnes visées sont des Noirs alors que cette catégorie représente seulement 18 % de la population locale. Parmi toutes les cibles désignées par les opérateurs, 30 % sont des personnes suspectées (à tort ou à raison) d’être impliquées dans un crime ou un délit, 22 % des individus soupçonnés de porter atteinte à 72 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 73 Chapitre 3 – Les opérateurs vidéo et les délinquants en action l’ordre public. Pour les autres, aucune raison évidente (no obvious reason) ne permet de justifier a priori l’intervention des opérateurs. Afin de pousser plus loin leurs investigations, les auteurs ont dressé une typologie des motifs de suspicion en distinguant : celle qui est fondée sur les caractéristiques des personnes comme l’âge ou la couleur de peau (categorical suspicion), celle qui est initiée par un tiers comme un policier qui patrouille sur le terrain (transmitted suspicion), celle qui est basée sur des comportements anormaux observés à l’écran comme une bagarre ou une conduite en état d’ivresse (behavioural suspicion), sur la situation géographique d’une victime potentielle (locational suspicion), sur des connaissances personnelles de l’opérateur (personalised suspicion), sur la crainte de voir une personne exposée à un danger (protectional suspicion) ou sur le voyeurisme (voyeuristic suspicion). Il ressort de l’enquête que les motifs les plus fréquemment invoqués pour justifier la surveillance relèvent des trois premiers types de suspicion : – Categorical suspicion (34 %) : dans ce cas, un individu est visé par les caméras, non pas pour ce qu’il fait, mais pour ce qu’il est. Les catégories de population les plus surveillées pour ce motif sont les adolescents (67 %) et les Noirs (74 %) ; – Transmitted suspicion (31 %) : les interventions sollicitées par un tiers visent principalement les personnes âgées de 30 ans et plus (26 %) et les Blancs (23 %), de façon bien moindre les adolescents (15 %) et les Noirs (7 %) ; – Behavioural suspicion (24 %) : les interventions basées sur la détection d’un comportement anormal concernent avant tout les personnes âgées de 30 ans et plus (46 %) et les Blancs (36 %), de façon bien moindre une fois encore les adolescents (12 %) et les Noirs (13 %). Notons enfin que le voyeurisme concerne 1 % des cas étudiés mais 10 % des opérations qui ont des femmes pour cible. Et les seules personnes exclues de manière systématique par les opérateurs vidéo sont celles qui portent un uniforme. Reproduction interdite © INHES 2007 73 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 74 Vidéosurveillance et prévention de la criminalité REMARQUES FINALES C. Norris et G. Armstrong soulignent en définitive que le travail des opérateurs repose essentiellement sur des « stéréotypes grossiers ». Et dans la mesure où la suspicion des agents est rarement fondée sur une base concrète et objective, il n’est pas étonnant de constater que parmi les 888 incidents recensés au cours de l’étude, seuls 49 ont débouché sur une intervention de la police… et 12 sur des arrestations. Dans un contexte différent, à King’s Lynn, B. Brown avait souligné un phénomène semblable. D’une certaine façon, C. Norris et G. Armstrong confirment ce que l’on savait déjà. Les opérateurs se retrouvent dans une situation quasiment identique à celle de policiers en patrouille qui, comme l’avait montré en particulier H. Sacks dans ses recherches, scrutent l’apparence d’une personne pour y déceler des caractéristiques dont l’existence leur indique qu’ils sont bien en présence d’un individu suspect 94. Une pratique communément désignée par l’expression populaire : le « délit de sale gueule ». Cela dit, les opérateurs sont-ils vraiment les seuls à définir les principes supposés gouverner leur action ? Contrairement à ce que C. Norris et G. Armstrong laissent entendre, on peut avancer l’hypothèse que les compagnies privées qui les emploient, les policiers avec lesquels ils travaillent quotidiennement et les autorités locales qui ont financé l’ensemble des opérations, jouent également un rôle en la matière. Et l’un des problèmes auxquels les opérateurs sont confrontés en permanence, n’est-il pas précisément d’avoir à faire le choix d’une pondération entre des principes contradictoires ? (94) Cf. SACKS (H.), 1978, p. 190 et suivantes. 74 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 75 Chapitre 3 – Les opérateurs vidéo et les délinquants en action L A PAROLE DES DÉLINQUANTS (J. DITTON, E. SHORT, 1998) Pour mener leur enquête, J. Ditton et E. Short ont conduit une série d’entretiens au cours de l’année 1996 avec trente délinquants qui ont comparu devant le tribunal de grande instance (Sheriff Court) d’Airdrie 95. Comme on l’a vu, un système de vidéosurveillance a été installé dans cette petite ville écossaise quatre ans plus tôt. Parmi les personnes interrogées, seize sont alors en liberté surveillée, onze effectuent un travail d’intérêt général et trois sont libres 96. Le plus jeune a 16 ans et le plus âgé 41 ans. Seulement trois sont des femmes, toutes en liberté surveillée. La majorité d’entre eux vivent dans des quartiers pauvres et ont des revenus très faibles, voire inexistants. Dix-sept ont été condamnés pour des délits mineurs concernant des atteintes à l’ordre public (bagarre, état d’ivresse, possession de drogue, etc.), neuf autres pour des affaires de vol (vol de voiture, vol à l’étalage, cambriolage, etc.) et les quatre derniers pour des affaires où ces différentes infractions étaient mêlées. Parmi eux, quinze ont déclaré que l’alcool et/ou les drogues ont joué un rôle dans le fait qu’ils ont commis des délits. La plupart des personnes interrogées avaient déjà été confrontées à la police et à la justice. Toutes affirment ne pas avoir renoncé à commettre de nouveaux délits. L’EXISTENCE DU SYSTÈME ET SES FINALITÉS Tous les délinquants disent qu’ils connaissaient l’existence du système de vidéosurveillance au moment de commettre une infraction, par le (95) Cf. DITTON (J.), SHORT (E.), 1998, op. cit., p. 404-428. Notons que chaque observation formulée par les auteurs dans cet article est illustrée par des citations de leurs interlocuteurs. Et, selon une convention qui semble être partagée par les chercheurs écossais, celles-ci ne sont pas traduites en anglais ; seules quelques expressions populaires locales sont expliquées en note. (96) En Ecosse, la durée de la période de liberté surveillée est habituellement de douze mois et ne dépasse jamais trois ans. Reproduction interdite © INHES 2007 75 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 76 Vidéosurveillance et prévention de la criminalité biais de la presse locale en particulier 97. Lorsque le fonctionnement du dispositif et le nombre de caméras sont évoqués, les réponses sont plus évasives. Seules quatre personnes savent que douze caméras sont en fonction. Ils sont plus nombreux à savoir que les écrans de contrôle sont abrités dans le commissariat de police. La majorité d’entre eux ont une idée des secteurs de la ville surveillés. Deux délinquants pensent que de fausses caméras sont installées, car la survenance de certains incidents n’a pas provoqué de réaction policière. La plupart des délinquants ont une idée précise de la finalité du dispositif. Une femme (en liberté surveillée) déclare que le système sert à protéger la population et à faciliter le travail de la police. Un homme de 25 ans (condamné à un travail d’intérêt général pour une infraction relative à la drogue) cite la protection des biens et des marchandises détenus par les commerçants, ces derniers, précise-t-il, ayant certainement participé au financement du dispositif. D’autres évoquent plutôt l’effet dissuasif des caméras, en particulier pour prévenir les bagarres dans les rues, les vols de (ou dans les) voitures et plus largement les atteintes à la propriété. Un homme de 20 ans (effectuant un travail d’intérêt général après une condamnation pour atteinte à l’ordre public et agression d’un agent de police) affirme que les caméras sont là, moins pour rassurer les gens, que pour arrêter les auteurs d’infractions. Quelques-uns regrettent même que les caméras ne visent que les auteurs de « petites » infractions, et non pas ceux qui commettent des agressions « plus graves » sur les personnes. J. Ditton et E. Short soulignent en définitive que « la plupart des délinquants interviewés ne sont ni idéalistes, ni cyniques, juste réalistes au sujet des probables effets des caméras ». Interrogés sur le point de savoir si la présence des caméras les rassure, les délinquants paraissent plutôt partagés. Dix personnes prétendent se (97) L’un d’entre eux dit même avoir été présent lors de l’inauguration du PC vidéo. (98) Certains délinquants évoquent parfois une expérience personnelle pour justifier leur réponse. Ainsi, un homme de 25 ans affirme que la police avait « débranché la caméra » puisque les agents ont mis un certain temps pour se rendre sur le lieu de l’infraction. Un autre, âgé de 20 ans, raconte que la police n’est pas intervenue alors qu’il avait lui-même été agressé dans le champ de vision d’une caméra. 76 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 77 Chapitre 3 – Les opérateurs vidéo et les délinquants en action sentir plus en sécurité, en se référant généralement à leur statut de victime potentielle d’infractions. Dix-sept autres pensent au contraire que les caméras n’ont rien changé à la situation, certaines affirmant pour justifier leur réponse que « si quelqu’un doit commettre une infraction, il la commettra de toutes façons », d’autres affirmant simplement que « la vidéosurveillance est inefficace » 98. S’agissant de la protection des libertés, certains délinquants conçoivent qu’elle puisse être contrebalancée par le souci de repousser la délinquance. La plupart pense qu’ils sont surveillés régulièrement, parfois sans bonne raison. Quelques-uns acceptent la situation passivement. D’autres désapprouvent que les « gens ordinaires » soient surveillés 99. En outre, si la majorité ne suspecte aucun abus de la part des opérateurs ou de la police, aucun n’écarte ce risque. Toutes les personnes interrogées ont une foi importante dans le pouvoir légal des vidéocassettes, spécialement lorsqu’elles sont utilisées dans le cadre d’un procès. LA VIDÉOSURVEILLANCE ET LES CHANGEMENTS DE COMPORTEMENT Huit délinquants affirment que la présence des caméras n’a pas entamé leur volonté de commettre des infractions. L’un d’entre eux, âgé de 17 ans et condamné pour des atteintes à l’ordre public et des vols, précise qu’il est toujours possible de commettre des infractions hors de la vue des caméras. Sept autres disent qu’ils ont cessé de commettre des infractions à Airdrie, mais que cette décision n’a rien à voir avec l’existence de la vidéosurveillance. Douze délinquants affirment que la vidéosurveillance a pu affecter leur comportement – « avec des caméras dans le coin, on réfléchit à deux fois avant d’agir », dit l’un d’entre eux – (99) Ainsi un homme de 18 ans (condamné à un travail d’intérêt général pour une tentative de vol) déplore que tous les habitants de Airdrie, où qu’ils aillent, soient surveillés alors même qu’ils ne peuvent pas être tous soupçonnés de vol… Reproduction interdite © INHES 2007 77 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 78 Vidéosurveillance et prévention de la criminalité mais la présence des caméras ne les a pas empêchés par la suite de commettre une infraction. En fait, seule une petite minorité prétend avoir renoncé à mener une action répréhensible 100. Mais d’ajouter un peu plus tard que si une opportunité se présentait, ils renoueraient avec la délinquance… Force est de constater que les vertus dissuasives de la vidéosurveillance sont loin d’être établies ! Curieusement, soulignent J. Ditton et E. Short, la plupart des personnes interrogées ont l’impression que l’impact de la vidéosurveillance sur les infractions à l’ordre public est important alors que les statistiques policières montrent une augmentation de 133 % par rapport aux données recueillies avant l’installation du dispositif. Parmi les infractions de ce type, les combats de rue entre « bandes opposées » suscitent le plus de commentaires. Certains pensent que la vidéosurveillance a convaincu les agresseurs potentiels d’utiliser les voies en retrait des caméras ou de retourner vers les cités et de continuer les hostilités hors des quartiers sous surveillance. D’autres ont le sentiment que les combats de rue ont changé de nature : aux grandes rixes, causées par la consommation d’alcool, ont succédé des petites bagarres plus dangereuses car alimentées par le trafic de drogue. De façon plus pragmatique, d’autres affirment encore qu’ils ont pris en compte les rotations de la caméra afin d’agir pendant les quelques minutes où elle est tournée vers un autre angle. Mais l’un d’entre eux ajoute que si les individus, tant qu’ils sont sobres, sévissent hors de la vue des caméras, ils oublient vite cette précaution lorsqu’ils ont bu… S’agissant des atteintes à la propriété, les commentaires recueillis sont plus contrastés 101. La plupart des délinquants affirment que la vidéosurveillance a eu un impact sur leur comportement dans la mesure où ils ont agi avec plus de prudence… mais sans pour autant renoncer à (100) Ainsi un homme de 20 ans (en liberté surveillée à la suite d’un cambriolage) dit avoir été tenté de commettre un vol à l’étalage puis d’y avoir renoncé « à cause des caméras installées dans la rue ». (101) Il s’agit essentiellement de cambriolages, de vols de (et dans les) véhicules et de vols dans les commerces (crimes of dishonesty). 78 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 79 Chapitre 3 – Les opérateurs vidéo et les délinquants en action commettre des délits. D’autres prétendent qu’ils ont abandonné ce type de délinquance, d’autres encore que la présence des caméras n’a rien changé à leur manière d’agir. Quelques personnes interrogées – mais peu – reconnaissent s’être déplacées ailleurs, la ville la plus souvent mentionnée étant celle de Glasgow (située à 15 miles d’Airdrie). J. Ditton et Short ajoutent au passage que les délinquants qui étaient soupçonnés de voyager dans l’autre sens, c’est-à-dire de Glasgow à Airdrie, pour commettre des vols, semblaient désormais voyager encore plus loin… REMARQUES FINALES D’un point de vue méthodologique, les auteurs remarquent qu’il serait utile de mener ce genre d’enquête sur une période plus longue (avant et après l’installation du dispositif) et avec un éventail plus large de personnes, c’est-à-dire en tenant compte des délinquants « retirés », « actifs » et « potentiels ». J. Ditton et E. Short relèvent par ailleurs que les observations formulées par les délinquants à propos des atteintes à l’ordre public semblent contredire les analyses statistiques dans la mesure où l’impact (supposé) de la vidéosurveillance paraît être plus grand aux dires des personnes interrogées. Concernant les atteintes à la propriété, ils concluent que la baisse enregistrée par la police locale (- 48 %) n’a pas été suivie par un déplacement important de la criminalité vers des zones non-équipées de caméras. C’est dire une fois encore que la vidéosurveillance n’est pas un instrument univoque et que sa mise en œuvre a des effets « complexes et imprévisibles », pour reprendre les termes des criminologues écossais, sur l’évolution de la criminalité. Reproduction interdite © INHES 2007 79 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 80 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 81 Conclusion « B EAUCOUP DE BRUIT POUR RIEN ? » Dans le titre de la pièce de William Shakespeare, « Much ado about nothing », le point d’interrogation ne figure pas. Si nous l’ajoutons ici, c’est pour signifier qu’au terme de ce parcours dans la littérature criminologique consacrée à la vidéosurveillance en Grande-Bretagne, la question de son efficacité demeure entière. Au début des années quatre-vingt-dix, il ne fait pas de doute que le gouvernement britannique, en soutenant massivement l’implantation de caméras de surveillance dans les espaces urbains, est convaincu qu’il détient là une arme efficace pour lutter contre la criminalité. Dix ans plus tard, les enquêtes conduites par des chercheurs professionnels semblent plutôt indiquer que l’enthousiasme originel mériterait d’être fortement tempéré. Tous les auteurs s’accordent en effet pour souligner Reproduction interdite © INHES 2007 81 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 82 Vidéosurveillance et prévention de la criminalité que la vidéosurveillance n’a que des effets limités sur l’évolution de la délinquance. On peut résumer leurs principales observations en quelques lignes : – la vidéosurveillance n’a pas un impact déterminant sur le volume de la délinquance dans les espaces complexes et étendus (B. Webb et G. Laycock, B. Brown) ; – elle a des effets distincts selon la nature des délits, c’est-à-dire un impact relatif sur certaines atteintes à la propriété et quasiment aucun s’agissant des atteintes aux personnes (N. Tilley, B. Brown, D. Skinns, J. Ditton et E. Short) ; – l’impact des dispositifs est plus significatif lorsque leur implantation est associée à d’autres mesures de prévention (N. Tilley, B. Webb et G. Laycock, P. Squires et L. Measor) mais il est rarement durable même dans ces circonstances ; – l’installation de caméras s’accompagne souvent d’un phénomène de déplacement géographique ou fonctionnel de la criminalité (N. Tilley, B. Brown, D. Skinns). Par ailleurs, si on établit un parallèle entre le montant des investissements consentis – qui s’élève à plusieurs millions de livres dans chaque ville étudiée – et le nombre d’arrestations opérées par les agents sur le terrain, la question de l’efficacité de la vidéosurveillance exige une réponse dénuée de toute ambiguïté : l’aide apportée par les caméras à l’identification et à l’arrestation de suspects est négligeable. « Une arrestation par caméra tous les quarante jours » écrit J. Ditton à propos de Glasgow… et ce chiffre est encore plus faible si l’on reprend les données fournies par C. Norris et G. Armstrong dans leur enquête. Dans le même sens, à King’s Lynn, B. Brown relève que sur trois cents demandes d’identification adressées aux opérateurs en trente-deux mois, seules trois ont abouti à un résultat tangible. Que l’accent soit mis sur la prévention (baisse du volume de la délinquance) ou sur la répression (augmentation du taux d’élucidation), 82 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 83 Conclusion la vidéosurveillance n’apporte donc pas véritablement la preuve de son efficacité. Mais est-ce vraiment surprenant ? Si la vidéosurveillance peut soutenir plusieurs types d’activités (aide au déploiement des forces de police, prévention des comportements déviants, aide à l’identification et à la constitution de preuve) comme le souligne B. Brown dans son rapport, il paraît inconcevable qu’un même système puisse servir durablement tous ces objectifs en même temps, avec la même intensité et avec les mêmes opérateurs placés aux commandes. D’autant que dans la pratique, s’y ajoutent encore des objectifs éminemment politiques, ceux des autorités locales qui soutiennent les implantations pour restaurer l’image de leur cité, stimuler l’économie et apporter une réponse au sentiment d’insécurité des électeurs. Or rien n’indique dans les rapports étudiés ici – sauf dans un cas, nous y reviendrons tout de suite – qu’un choix des priorités et des stratégies d’action ait été formulé au préalable par les acteurs concernés. Si les marchands de biens de sécurité ont tout intérêt à entretenir l’idée que la vidéosurveillance est en quelque sorte une « machine à tout faire » pour faciliter la mobilisation des bailleurs de fonds potentiels autour des projets d’équipement, cette confusion des genres a des effets plutôt désastreux une fois les caméras en place : les opérateurs se retrouvent finalement seuls, contraints de discriminer jour après jour des personnes et des évènements, pour définir un ordre de priorité et trancher entre des principes contradictoires. C’est dire aussi que ces enquêtes confirment ce que l’on savait déjà depuis plusieurs décennies, en particulier depuis les travaux conduits au cours des années soixante-dix par des chercheurs nords-américains sur l’efficacité des patrouilles motorisées. À Kansas City par exemple, G. L. Kelling et son équipe avaient montré qu’une présence renforcée de véhicules de police dans certains quartiers de la ville n’avait pas d’« effet discernable » sur les taux de criminalité et, de façon plus générale, sur le maintien de l’ordre 102. Ceci ne veut pas dire que ces patrouilles (ou (102) KELLING (G. L.), 1978, p. 173-184. Reproduction interdite © INHES 2007 83 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 84 Vidéosurveillance et prévention de la criminalité la vidéosurveillance) ne sont d’aucune utilité dans la gestion des désordres urbains. Mais simplement que des objectifs précis et réalistes doivent être définis et les efforts engagés ciblés, pour obtenir des résultats significatifs. Dans un cas seulement, à Airdrie, une stratégie de ce type a été suivie par le chef de la police locale après consultation et avec l’appui de la population. Et c’est là sans doute l’un des principaux enseignements de ces enquêtes : l’efficacité de la vidéosurveillance dépend autant (sinon plus) de la capacité des promoteurs des systèmes à mobiliser les populations autour de leur projet que des moyens techniques et humains mis en œuvre. J. Ditton et E. Short laissent en effet entendre que les habitants, les opérateurs et leurs employeurs doivent construire ensemble une destination sociale à l’objet technique. En l’absence d’une telle négociation, les usages policiers de la vidéosurveillance risquent fort d’être incompris et rejetés. 84 Reproduction interdite © INHES 2007 HeilmannMornet:HeilmannMornet 14/09/07 8:23 Page 85 RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES AMSTRONG (G.), GIULIANOTTI (R.), 1998, «From another angle: police surveillance and football supporters», in NORRIS (C.) et al., p. 113-135. BARR (R.), PEASE (K.), 1990, «Crime Placement, Displacement and Deflection», in TONRY (M.), MORRIS (N.) 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