Télécharger l`article au format PDF
Transcription
Télécharger l`article au format PDF
L’Encéphale (2009) 35, 234—240 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep CAS CLINIQUE Pronostic social des schizophrénies en Tunisie : étude transversale à propos de 60 cas Social outcome of schizophrenics in Tunisia: A transversal study of 60 patients R. Rafrafi, L. Zaghdoudi ∗, M. Mahbouli, R. Bouzid, R. Labbane, Z. El Hechmi Service de psychiatrie F, hôpital Razi, 12, rue des Orangers, 2010 Manouba, Tunis, Tunisie Reçu le 15 octobre 2007 ; accepté le 7 mai 2008 Disponible sur Internet le 23 septembre 2008 MOTS CLÉS Schizophrénie ; Social ; Pronostic ; Évolution KEYWORDS Schizophrenia; Social; Prognosis; Outcome ∗ Résumé Des études transculturelles suggèrent que le pronostic des schizophrénies est meilleur dans les pays en voie de développement. L’objectif de ce travail était d’étudier le degré de l’handicap social et les facteurs pronostiques des schizophrénies dans une population tunisienne et de comparer cette évolution à celle constatée dans les pays industrialisés. Notre étude a inclus 60 patients répondant aux critères diagnostiques des schizophrénies selon le DSM IV et traités depuis au moins cinq ans. L’adaptation sociale a été évaluée à partir d’un entretien semi-structuré, de la cotation de l’échelle globale du fonctionnement (EGF) et des données recueillies à partir des dossiers médicaux. Il ressort, de cette étude, cinq ans après le début du traitement, 67,9 % avaient un pronostic social défavorable. Tous les indicateurs sociaux, sauf la sexualité et le statut matrimonial, suivaient globalement le même cours : une aggravation statistiquement significative entre la phase prémorbide et l’état évolutif à deux ans. Il y a peu de variabilité entre deux et cinq ans puis une stabilisation statistiquement significative au-delà de cinq ans d’évolution. En conclusion, l’échantillon étudié ne semble pas confirmer la fréquence élevée des évolutions favorables des schizophrénies, sur le plan social, dans les pays en développement. © L’Encéphale, Paris, 2008. Summary Introduction. — Transcultural studies suggest that the social outcome of schizophrenia might be better in developing countries than in industrialized ones. This study aims to check this hypothesis and attempted to identify prognostic indicators of schizophrenia among Tunisian patients. Methods. — This study included all the outpatients responding to DSM IV criteria of schizophrenia for at least five years, during the study period. The assessment tools were: an interview with the Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (L. Zaghdoudi). 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2008. doi:10.1016/j.encep.2008.05.001 Pronostic social des schizophrénies en Tunisie 235 patients and their families, data from medical records and the Global Assessment of Functioning scale (GAF) applied for the premorbid period, at two years after onset, at five years, and during the interview (current assessment). The social outcome was assessed by marital and labour market status, social network, sexuality and the GAF score. The outcome was considered to be good, if the current GAF > 60, intermediate if GAF was between 31 and 60 and severe if GAF ≤ 30. The three prognostic subgroups were compared in order to look for prognostic indicators. Results. — Informed consent was obtained from 60 patients (85.7% of outpatients) and from 56 families. The sex-ratio was 4 (48 men/12 women), the mean age of patients was 39.3 years; the mean follow-up was 14.7 years ([5—45]). School level was six years primary school in the majority of cases, and the living conditions were poor in 48.3% of cases (n = 29). During the interview, only 21.6% (n = 13) of patients were married. The majority of patients, who were working before the first episode, had lost their job. 76.6% (n = 46) did not have any social contacts and only 23.3% (n = 14) had any sexual activity. Thus, the social outcome was good in 21% of patients, intermediate in 11.1% and severe in 67.9%. Most social indicators (GAF score, labour market status, social network) revealed a fairly similar progress: a significant decline between the premorbid period and two years after the onset. The course reached a plateau after two years. According to current GAF scores, outcome was good in 25% (n = 15) of cases, intermediate in 55% (n = 33) of them and severe in 20% (n = 12). Some indicators were found to be correlated with this outcome: patient related factors; late language development (correlated with intermediate prognosis [p = 0.03]); a comorbid axis II diagnosis (correlated with poorer outcome p = 0.04); a poor premorbid global functioning (higher premorbid GAF scores were correlated with a better outcome [p < 0.03]); family history related factors; consanguinity in parents (correlated with intermediate-severe prognosis [p = 0.04]); elderly father at birth (correlated with severe prognosis [p = 0.04]). Conclusion. — Even if these results are limited in their generalisation, this Tunisian sample argues that schizophrenia’s prognosis is not better in such a developing country. © L’Encéphale, Paris, 2008. Introduction Les schizophrénies sont un groupe de psychoses graves touchant les adultes jeunes avec une prévalence sur la vie entière de 0,6 à 1,9 % [13]. Leur évolution est chronique et leurs conséquences sont majeures : l’OMS classe la schizophrénie parmi les dix premières causes de handicap dans le monde ; c’est aussi la troisième cause d’années de vie perdues par incapacité des 15—45 ans [6]. Cette pathologie contribue fortement à l’alourdissement de la charge familiale et des dépenses de santé. Bien que l’évolution épisodique des troubles soit constatée et la guérison reconnue pour près de 10 % des cas, le pronostic demeure réservé : l’évolution est chronique dans 50 % des cas et est résistante dans 10 % des cas [10]. Par ailleurs, des études transculturelles suggèrent que le pronostic des schizophrénies serait meilleur dans les pays en voie de développement [19,21,22]. Le but de ce travail était d’étudier le pronostic social des schizophrénies dans une population tunisienne et de comparer cette évolution à celle constatée dans les pays industrialisés. Les facteurs pronostiques, considérés comme tels dans des populations appartenant aux pays développés, ont été réexaminés dans le but de déterminer leur validité « locale ». Patients et méthodes Ce travail a consisté en une étude rétrospective avec interview des patients et de leur famille. L’étude s’est déroulée dans le service de psychiatrie « F » de l’hôpital psychiatrique Razi de Tunis. Ce service couvre un secteur d’un million d’habitants constitué par le gouvernorat de Nabeul et une partie de Tunis ville. Le gouvernorat de Nabeul est une zone côtière à forte migration interne dont les principales activités sont touristiques et agricoles. Le recrutement des patients s’est fait d’une manière ponctuelle. Tous les malades ayant consulté durant le mois d’août 2004 et répondant aux critères ci-dessous ont été inclus dans l’étude : • les patients ayant reçu le diagnostic de schizophrénie selon les critères du DSM IV (manuel statistique et diagnostique dans sa quatrième édition) ; • ce diagnostic de schizophrénie doit avoir été porté depuis au moins cinq ans ; • les patients consentant à participer à l’étude et à se présenter aux rendez-vous qui leur ont été fixés accompagnés des membres de leurs familles. L’étude s’est basée sur : • un entretien semi-structuré reprenant l’histoire personnelle, familiale et clinique du patient qui a été conduit auprès de chaque participant (le patient et le(s) membre(s) de sa famille). L’accent a été mis sur le fonctionnement psychosocial prémorbide et l’état évolutif à deux ans, à cinq ans et au jour de l’entretien (état actuel ou terme évolutif ou « outcome »des anglophones) ; 236 R. Rafrafi et al. • l’échelle globale du fonctionnement (EGF), permettant d’attribuer des scores en prémorbide, à deux ans d’évolution, à cinq ans d’évolution et au jour de l’entretien. La date de début de la maladie a été arbitrairement considérée comme la date du premier contact avec un psychiatre. L’évaluation sociale a été basée sur la moyenne des évaluations des statuts professionnels et matrimoniaux, de la fréquence et de la qualité des relations interpersonnelles et de la sexualité (en prémorbide, à deux ans d’évolution, à cinq ans d’évolution et au jour de l’entretien). Le score EGF actuel a permis de définir trois groupes pronostiques : l’état évolutif était considéré comme bon, si ce score était strictement supérieur à 60, intermédiaire si ce score était compris entre 31 et 60 et mauvais si ce score était strictement inférieur à 31. Les trois groupes pronostiques ont été comparés au vu des différentes variables de l’histoire personnelle et clinique étudiées, à la recherche de facteurs statistiquement discriminants. Le traitement des données s’est fait par : les tests khi-2, de Student, de Barlett, ou de Kruskal-Wallis selon la nature des variables et des distributions. Le taux de significativité a été fixé à p < 0,05. Résultats Description de la population étudiée La description de la population étudiée est la suivante : • 60 patients parmi les 70 ayant consulté durant la période de l’étude ont accepté de participer à l’étude soit 85,7 % de l’ensemble des consultants atteints de schizophrénie ; • le sex-ratio (hommes/femmes) était égal à quatre ; • la moyenne d’âge était de 39,3 ans (écart-type = 8,7 ans) ; • 33,3 % (n = 20) des patients vivaient selon un mode rural, 66,7 % (n = 40) sur un mode urbain ; • 21,6 % des patients étaient mariés au moment de l’étude. L’adaptation à la vie conjugale était jugée, de façon subjective, comme « bonne » dans huit mariages parmi 17 (actuels et antérieurs). Quatorze patients étaient parents d’en moyenne 2,8 enfants ; • 85 % des patients recevaient une aide financière de leurs parents, indépendamment de leur statut professionnel. Un seul patient était marginalisé et cinq vivaient dans une famille autre que leurs propres familles nucléaires ; Figure 1 Évaluation du fonctionnement global par le score EGF en prémorbide, à deux ans, à cinq ans et à l’évaluation actuelle. Figure 2 Figure 3 Évolution du taux de nuptialité. Évolution du statut professionnel. • 48,3 % (n = 29) des patients ont jugé leur niveau socioéconomique comme étant faible et 50 % (n = 30) comme moyen ; • le nombre moyen d’années d’étude était de 7,9 années avec des extrêmes allant de zéro à 17 années d’étude et une valeur modale de six années ; • la durée totale du suivi depuis la première consultation en psychiatrie jusqu’au jour de l’interview était en moyenne de 176,3 mois (écart-type 98 mois) soit 14,7 ans, avec des extrêmes allant de cinq à 45 ans. Cette période a, arbitrairement, été considérée comme étant l’ancienneté des troubles. Progression des indicateurs sociaux Les Fig.1—5 résument respectivement, la progression depuis la phase prémorbide jusqu’au jour de l’entretien, des indicateurs suivants. Le score EGF La Fig. 1 rend compte de la progression du score EGF depuis la période prémorbide jusqu’à l’évaluation actuelle. Il existe une détérioration du fonctionnement global, entre la période prémorbide et après deux ans d’évolution (p = 0,004). Le score EGF ne varie statistiquement pas Figure 4 Évolution de la fréquence des relations amicales. Pronostic social des schizophrénies en Tunisie 237 Le Tableau 1 résume la progression des indicateurs sociaux à deux ans, à cinq ans et au terme évolutif. Tous les indicateurs, sauf la sexualité et le statut matrimonial, suivaient globalement le même cours : une aggravation statistiquement significative entre la phase prémorbide et l’état évolutif à deux ans, peu de variabilité entre deux et cinq ans (différence statistiquement non significative) et une stabilisation au-delà de cinq ans. Figure 5 sexuelles. Évolution de la fréquence des relations hétéro- entre deux et cinq ans (p = 0,08), ni au-delà de cinq ans (p = 0,6). Le statut matrimonial La Fig. 2 rapporte la progression du taux de nuptialité. Il n’y avait pas de différence statistiquement significative entre les périodes prémorbide (sept patients mariés), à deux ans (sept patients mariés), à cinq ans (huit patients mariés) et actuelle (13 patients mariés). Le statut professionnel La Fig. 3 rapporte l’évolution du statut professionnel : la moitié des sujets initialement actifs quel que soit la régularité du travail ont perdu leur emploi au bout des deux premières années d’évolution (p = 0,00). Le statut professionnel n’a statistiquement pas changé au-delà de deux ans. La fréquence des relations amicales La Fig. 4 décrit l’évolution de la fréquence des relations amicales des patients. Le réseau amical s’est statistiquement rétréci (p = 0,00) entre la période prémorbide et deux ans après le début de la maladie pour se stabiliser par la suite. La fréquence des relations sexuelles hétérosexuelles La Fig. 5 rend compte de l’évolution de la fréquence des relations hétérosexuelles des patients : 12 rapportaient l’existence de relations hétérosexuelles en prémorbide. Ce taux est resté statistiquement stable à deux ans, à cinq ans et au moment de l’étude. Facteurs pronostiques Le Tableau 2 résume parmi les variables étudiées celles qui sont statistiquement discriminantes entre les trois groupes pronostiques. Ainsi, un mauvais fonctionnement prémorbide, le retard d’acquisition du langage, l’existence d’un diagnostic sur l’axe II, la consanguinité parentale et l’âge tardif du père à la naissance du patient ont été corrélés à un mauvais pronostic global. Discussion Les aspects culturels peuvent moduler plusieurs aspects des schizophrénies : définition des troubles, reconnaissance morbide, demande de soins. . .Il semblerait même que ses facteurs soient partiellement responsables du meilleur pronostic des schizophrénies dans les pays en développement [19]. En effet, l’International Pilot Study of Schizophrenia (IPSS) [22] rapportait qu’à cinq ans d’évolution, deux tiers des patients étaient asymptomatiques en Inde et au Nigeria alors que 60 % étaient en phase psychotique active au Danemark. Hopper et al. [19] en réévaluant les cohortes initiales avec un recul de 13 à 26 ans signalaient la possibilité de biais, spécialement ceux qui se cachent sous l’étiquette de « facteurs culturels ». Par ailleurs, des études menées dans les pays en développement trouvaient au Nigeria [11] une majorité d’évolutions sociales défavorables (évaluée selon le statut professionnel, le lieu de résidence et les contacts sociaux) et 4 % de patients désocialisés (sans domicile fixe) ce qu’ils trouvaient comme frappant pour cette société traditionnellement basée sur la structure familiale. Par ailleurs, Rahman notait 65 % d’évolutions sociales défavorables au bout de 11 ans de suivi d’une population malaisienne [11]. Notre étude s’accorde avec ses dernières et souligne que plus des deux tiers des patients avaient une évolution sociale défavorable évaluée par un ensemble d’indicateurs : les situations matrimoniales et professionnelles, les relations interpersonnelles et la sexualité. En étudiant chaque indicateur à part, notre population rejoint celles des pays développés. La fréquence des contacts sociaux La situation matrimoniale Le terme de « contacts sociaux » désignait les relations interpersonnelles extrafamiliales nucléaires telles qu’une sortie entre amis, une discussion avec un groupe d’habitués du café, une visite chez des voisins, etc. Dans notre série, 56,6 % des patients (n = 34) n’avaient presque plus de contacts sociaux à l’évaluation actuelle. Le réseau social s’étant significativement appauvri entre les périodes prémorbides et après deux ans d’évolution (p = 0,00) pour se stabiliser par la suite. Dans notre série, plus des trois quarts des patients ne vivaient pas en couple. Une étude danoise [1] comparant 5341 patients atteints de schizophrénie à 53 410 sujets témoins trouvait que les patients atteints de schizophrénie étaient significativement plus souvent célibataires que les témoins de la population générale même 25 ans après la première hospitalisation. De même, en Tunisie, Ben Nasr [3], en étudiant un groupe de 99 patients schizophrènes DSM III R, 238 Tableau 1 R. Rafrafi et al. Évolution des indicateurs sociaux à deux ans, à cinq ans et au terme évolutif. Critère évolutif Statut matrimonial Bon : marié Mauvais : autre Statut professionnel Bon : travail régulier Intermédiaire : travail irrégulier Mauvais : pas de travail Amitiés (du même sexe) Bon : existent Mauvais : n’existent pas Sexualité Bon : il existe une sexualité hétérodirigée Intermédiaire : ni bon ni mauvais Mauvais : aucune sexualité (même masturbatoire) Fréquence des contacts sociaux Bon : au moins une fois par semaine Intermédiaire : moins d’une fois par semaine Mauvais : très rarement ou jamais Combinaison globale des facteurs sociaux Pronostic social Bon Intermédiaire Mauvais Évolution à 2 ans (%) Évolution à 5 ans (%) Terme évolutif (actuel) (%) 11,7 88,3 13,3 86,7 21,7 78,3 28,3 16,7 55 21,6 18,4 60 20 16,7 63,3 28,3 71,7 21,7 78,3 23,4 76,6 20 51,6 28,4 20 55 25 23,3 70 6,7 23,3 16,7 60 25 11,7 63,3 33,4 10 56,6 20,4 28,3 51,3 17,8 18,4 63,8 21 11,1 67,9 recrutés à l’hôpital Razi à Tunis, en consultation comme en hospitalisation, et évoluant depuis au moins cinq ans, notait que seuls 17,2 % étaient mariés soit significativement moins qu’un groupe témoin. Statut professionnel En tenant compte de la régularité de l’activité professionnelle, 63,3 % de nos patients ont évolué défavorablement (aucun travail) et 55 % des sujets initialement actifs ont perdu leur travail. En France, une étude menée par l’Inserm [5], dans une population de schizophrènes âgés de 18 à 65 ans, montrait que 12 % seulement des patients, en âge de travailler, avaient une activité professionnelle salariée dans le cadre d’emplois non protégés. Au Danemark, Agerbo et al. [1] montraient que les schizophrénies étaient statistiquement liées à un risque élevé d’exclusion du marché du travail même 25 ans après la première hospitalisation. Selon ces auteurs, il existe une association forte et durable entre les schizophrénies, le célibat, la précarité du statut socioéconomique et le chômage [1]. Autonomie, lieu de résidence : le rôle de la famille La majorité des patients (n = 54) vivaient avec leur famille nucléaire et bénéficiaient d’un soutien (logement, etc). L’Inserm [5] trouvait que seule la moitié des patients, en âge de travailler, vivaient en famille ou en couple. Les autres étaient en institution ou sans domicile fixe. Olfson et al [16] ont étudié une population de 263 patients new-yorkais atteints de schizophrénie et de trouble schizoaffectif âgés de 18 à 64 ans, stabilisés et suivis en ambulatoire. Sur une période de trois mois de suivi, 7,6 % des patients ont rapporté avoir erré sans foyer. Le risque de clochardisation était corrélé à une symptomatologie sévère et à une comorbidité avec l’abus de substance. Les travaux tunisiens, le nôtre y compris, font ressortir l’importance de la place qu’occupe la cellule familiale au sein du réseau social où évolue le Tableau 2 Comparaison des trois groupes pronostiques définis selon le score EGF actuel : description des variables statistiquement discriminantes (p < 0,05). Variables Groupe à bon pronostic (n = 15) Groupe à moyen pronostic (n = 33) Groupe à mauvais pronostic (n = 12) Taux de consanguinité parentale Age du père à la naissance (en années) Existence d’un diagnostic sur l’axe II (n) Âge d’acquisition du langage (en mois) Score EGF prémorbide 6,7 % 19,8 2 18 87 54,5 % 35,5 17 36 73,8 58,3 % 37,3 10 26 73 Pronostic social des schizophrénies en Tunisie patient [7]. En effet, les liens familiaux seraient plus solides qu’en Occident. Ainsi les patients restent en famille non pas qu’ils aient un meilleur fonctionnement (puisque le score EGF actuel est bas) mais parce que la famille continue à les accueillir. Ben Nasr [3], en Tunisie, trouvait un taux de clochardisation de 5,25 %. Dans d’autres pays émergeants, le taux de clochardisation était de 4 % au Nigeria et de 8 % en Ethiopie (deux enquêtes épidémiologiques en population générale) et concernait presque exclusivement les patients de sexe masculin [11,13]. Il faut donc relativiser le rôle « protecteur » des familles dans les pays en développement. La famille serait d’un bon soutien, mais en l’absence de structures sanitaires de relais, et avec les nouvelles exigences des modes de vie en mutation, le support familial s’épuise. La famille peut, elle même, être source de mauvais pronostic. Cependant, l’impact de la maladie sur la famille du schizophrène est lourd même dans les pays émergeants. Il est d’ordre financier en premier lieu puis d’ordre social (stigmatisation. . .) [17,20]. Dans notre étude, la sexualité et le taux de nuptialité sont initialement insatisfaisants dès la période prémorbide et demeurent bas. En somme, tous les autres indicateurs sociaux étudiés séparément aussi bien que le pronostic social global ainsi que le fonctionnement global évalué par l’EGF montrent que le pronostic social des patients est lourdement grevé au bout des deux premières années d’évolution de la maladie, varie peu entre deux et cinq ans et se stabilise audelà de cinq ans. Ce profil évolutif est partagé par plusieurs études [2,3]. Ce travail a tenté de retrouver des facteurs corrélés au pronostic global de la maladie, nous n’avons rapporté que certains facteurs significatifs et concordants avec les données de la littérature. Ainsi, l’inadéquation sociale prémorbide a été considérée par plusieurs auteurs comme l’un des principaux facteurs prédictifs de l’évolution des schizophrénies [1,4,8,9,11,12,14,16,18]. De même, le retard d’acquisition du langage a été retrouvé par Cannon et al. [4]. Le taux de consanguinité parentale dans l’ensemble de l’échantillon étudié était de 44,1 % et était significativement plus bas dans le groupe à bon pronostic. Cette forte consanguinité dépasse celle de la population générale qui est de 38 % selon l’office national de la famille et de la population. Ce résultat mérite certainement d’être plus développé. L’âge du père à la naissance du patient était plus avancé en cas de pronostic défavorable et n’était pas expliqué par un éventuel décès survenant précocement dans la vie du patient. L’association entre l’âge paternel avancé et la survenue de troubles congénitaux par mutations de Novo a été établie [15]. De récentes études ont établi un lien avec un risque accru de schizophrénie dans la progéniture. La valeur pronostique de l’âge de paternité avancé n’a pas été décrite. Conclusion En conclusion, le devenir social des patients étudiés était au moins comparable sinon plus grave que celui des patients des pays développés. Les résultats de cette étude ne sont pas généralisables à l’ensemble de la population de patients souffrant de schizophrénie en Tunisie. Ce travail contribue néanmoins à la description de l’évolution et du pronostic 239 des schizophrénies dans une population de patients suivis en milieu hospitalier. Parmi les facteurs pronostiques, une place particulière est accordée au fonctionnement prémorbide qui semble être déjà altéré chez une proportion non négligeable de patients et serait le marqueur d’une vulnérabilité « constitutionnelle » aux schizophrénies. Références [1] Agerbo E, Byrne M, Eaton WW, et al. Marital and labor market status in the long run in schizophrenia. Arch Gen Psychiatry 2004;61:28—33. [2] Ammar S, Lejri H. Les conditions familiales de développement de la schizophrénie. Paris: Masson Cie Editeurs; 1972, 445. [3] Ben Nasr S. Évolution et pronostic de la schizophrénie: revue de la littérature et étude d’un échantillon de 99 patients. Mémoire de psychiatrie. Tunis: Faculté de Médecine et de Pharmacie de Tunis; 1997, 47. [4] Cannon M, Caspi A, Moffitt TE, et al. Evidence for earlychilhood, pan-developmental impairment specific to schizophreniform disorder. Arch Gen Psychiatry 2002;59:449—56. [5] Casadebaig F, Philippe A, Lecomte T et al. Accès aux soins somatiques et morbidité physique de patients schizophrènes. Groupe français d’épidemiologie psychiatrique et Inserm U302, 1994, rapport inédit. [6] Douki S, Nacef F, Ben Zineb S, et al. Schizophrénie et culture: réalités et perspectives. L’Encéphale 2007;33-1:21—9. [7] Essâafi T. Contribution à l’évaluation du devenir des schizophrènes. Etude de suivi sur cinq ans. Thèse pour le diplôme d’état de doctorat en médecine. Monastir: Faculté de Médecine de Monastir; 1992, 81. [8] Fenton WS, McGlashan TH. Natural history of schizophrenia subtypes: II-Positive and negative symptoms and long-term course. Arch Gen Psychiatry 1991;48:978—86. [9] Fenton WS, McGlashan TH. Prognostic scale for chronic schizophrenia. Schizophr Bull 1987;13:277—85. [10] Guilland-Bataille JM, Terra JL. Épidémiologie de la schizophrénie. Dans : Scotto JC, Bougerol T, eds. Les schizophrénies. Aspects actuels. Paris : Flammarion, 1997:61—69. [11] Gureje O, Bamidele R. Thirteen-year social outcome among Nigerian outpatients with schizophrenia. Soc Psychiatry Psychiatr Epidemiol 1999;34:147—51. [12] Hafner H, Loffler W, Maurer K, et al. Depression, negative symptoms, social stagnation and social decline in the early course of schizophrenia. Acta Psychiatr Scand 1999;100:105—18. [13] Kebede D, Alem A, Shibre T, et al. Onset and clinical course of schizophrenia in Butajira-Ethiopia, a community-based study. Soc Psychiatry Psychiatr Epidemiol 2003;38:625—31. [14] Llorca PM. Aspects épidémiologiques. Dans : Llorca PM. eds. Les psychoses. Paris : John Libbey Eurotext ; 2001; 76—84. [15] Malaspina D, Brown A, Goetz D, et al. Schizophrenia and paternal age: a potential role for de novo mutations in schizophrenia vulnerability genes. CNS Spectr Jan; 2002;7(1):26—9. [16] Olfson M, Mechanic D, Hansell S, et al. Prediction of homelessness within 3 months of discharge among inpatients with schizophrenia. Psychiatr Serv 1999;50:667—73. [17] Ran MS, Xiang MZ, Li SX, et al. Prevalence and course of schizophrenia in a chinese rural area. Aust NZ J Psychiatry 2003;37:452—7. [18] Robinson DG, Woerner MG, Alvir JM, et al. Predictors of relapse following response from a first episode of schizophrenia or schizoaffective disorder. Arch Gen Psychiatry 1999;56:241—7. [19] Hopper K, Wanderling J. Developed vs developing country distinction in schizophrenia. Schizophr Bull 200; 6: 835—47. 240 [20] Shibre T, Kebede D, Alem A, et al. Schizophrenia: illness impact on family members in a traditional society — rural Ethiopia. Soc Psychiary Psychiatr Epidemiol 2003;38: 27—34. R. Rafrafi et al. [21] Thara R. Twenty-year course of schizophrenia: The Madras longitudinal study. Can J Psychiatry 2004;49:564—9. [22] World Health Organization. The International Pilot Study of Schizophrenia. New York: John Wiley and Sons, 1973:642.