de l`exception culturelle à l`exemple culturel
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DE L’EXCEPTION CULTURELLE À L’EXEMPLE CULTUREL ? Baptiste MEUR ETAT DE LA QUESTION Decembre 2015 Editeur responsable : Gilles Doutrelepont - 13 Bd de l’Empereur - 1000 Bruxelles IEV 1. Introduction.............................................................................................. 4 2. Principes et historique de l’exception culturelle................................... 4 2.1. La naissance de l’exception culturelle ............................................ 4 2.2. Quelles conséquences de l’application des principes du libre-échange à la culture ? ........................................................ 7 2.3. La Convention UNESCO de 2005 et la notion de diversité culturelle........................................................................ 8 3. Dix ans après : comment renforcer la Convention UNESCO de 2005 ? 9 3.1. Saisir les opportunités offertes par le numérique ......................... 10 3.2. Assoir la neutralité technologique de la Convention...................... 11 4. De l’exception culturelle à l’exemple culturel ?.................................... 13 1. Introduction L’année 2015 marque le dixième anniversaire de la Convention UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (infra la « Convention UNESCO de 2005 »).1 Dix ans après son adoption, il est utile de s’interroger sur l’avenir de cette convention au regard, notamment, des évolutions technologiques. La première partie de cet Etat de la question balaiera les débats qui ont eu cours avant et après l’adoption de la Convention. Cette partie rappellera également les principes fondateurs de l’exception culturelle. Elle permettra aussi d’illustrer qu’une constante traverse la récente histoire de l’exception culturelle : les rapports entre la culture et le commerce. La deuxième partie s’interrogera sur les outils à mobiliser pour déployer, le plus efficacement possible à l’heure du numérique et dans un contexte de multiplication des accords de libre-échange, les principes repris dans la Convention UNESCO de 2005. Enfin, dans la dernière partie, nous questionnerons le rôle du concept de l’exception culturelle dans un contexte de négociations d’accords de libreéchange. Au vu des rapports de force actuels, faut-il in fine se contenter de l’exception culturelle ? Ne faut-il pas se servir du chemin ouvert par l’exception culturelle pour préparer un changement plus global et tenter de glisser vers l’exemple culturel ? 2. Principes et historique de l’exception culturelle 2.1. La naissance de l’exception culturelle L’exception culturelle se définit comme « un principe en vertu duquel la culture doit être soustraite à la logique de marchandisation et de libéralisation des biens et des services. Ce principe constitue dès lors une condition fondamentale de la préservation de la diversité culturelle. »2 Il faut remonter au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et aux premières négociations internationales concernant l’Accord général Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, disponible sur le site internet de l’UNESCO à l’adresse http://unesdoc.unesco.org/images/0022/002253/225383F.pdf, dernière consultation le 20/11/15. 2 L’exception culturelle, Etat de la question, Institut Emile Vandervelde, Bruxelles, juin 2004, p. 1. 1 4 ETAT DE LA QUESTION - Décembre 2015 - Institut Emile Vandervelde - www.iev.be - [email protected] sur les tarifs douaniers et le commerce pour comprendre la portée de l’exception culturelle. Le GATT de 1947 (General Agreement on Tariffs and Trade ou Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) concrétise la restructuration d’un ordre juridique libéral international au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Le GATT devait initialement constituer une partie seulement de la Charte de la Havane.3 Complémentairement à la mise en place du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, la Charte de la Havane posait les fondations du troisième pilier de cet ordre juridique libéral international, l’Organisation mondiale du commerce (OMC).4 A l’issue de plusieurs phases de négociations, la Charte fut rejetée par les Etats-Unis. La Charte était, il est vrai, très ambitieuse. Elle rassemblait des dispositions portant sur les politiques de l’emploi, sur l’aide au développement économique ou encore sur le régime des investissements étrangers.5 Plusieurs facteurs permettent d’expliquer ce rejet des Etats-Unis. Certains membres du Congrès américain l’estimaient trop protectionniste vu le nombre élevé d’exceptions aux principes de libre-échange qu’elle comportait. D’autres membres du Congrès considéraient au contraire que la Charte n’offrait pas suffisamment de mécanismes pour protéger les producteurs américains. Une Organisation mondiale du commerce sans participation des Etats-Unis, première puissance économique mondiale, n’avait guère de sens. Aussi, les autres pays signataires quittèrent peu à peu le processus de négociation. Au final, la Charte ne fut finalement ratifiée que par le Libéria, la Suède et l’Australie.6 Néanmoins, avant cette ratification avortée de la Charte, vingt-trois Etats contractants avaient conclu des négociations commerciales en 1946. Ces négociations avaient abouti à 45.000 concessions tarifaires. Cet ensemble de concessions tarifaires et de levées des barrières douanières fut désigné sous le nom de GATT. Le GATT entrera en vigueur en janvier 1948 et restera jusqu’à la création de l’OMC l’instru- Bref historique du GATT disponible sur le site internet de l’OMC à l’adresse https://www.wto.org/french/tratop_f/ gatt_f/gatt_f.htm, dernière consultation le 20/11/15. 4 Jean-Marc Siroën, L’OMC et la mondialisation des économies, disponible sur le site internet de l’Université de Paris-Dauphine à l’adresse http://www.dauphine.fr/siroen/TexteCGC.pdf, dernière consultation le 9/12/15, p. 4. 5 Philippe Vincent, Institutions économiques internationales, Bruxelles, Larcier, 2009, p. 29. 6 Ibid., pp. 29-30. 3 De l’exception culturelle à l’exemple culturel ? 5 ment multilatéral organisant le commerce mondial.7 Pour transformer le GATT en un accord global, il fut décidé de le compléter via des « rounds », des cycles de négociations. C’est ainsi qu’en 1986 fut ouvert le « cycle de l’Uruguay ». Ce cycle avait notamment pour but d’étendre les principes du libre-échange, jusqu’alors applicables simplement aux marchandises, au domaine des services c’està-dire aux biens du commerce « invisible » (en opposition au commerce visible des marchandises). Nombre de biens culturels, dont l’audiovisuel et le cinéma, figuraient parmi ces biens invisibles. 8 L’application des principes du libre-échange à la culture était, bien entendu, un souhait des Etats-Unis. Les industriels de l’entertainment américain exerçaient une forte pression sur leurs dirigeants pour imposer une libéralisation de ces secteurs, en particulier l’audiovisuel et le cinéma, afin d’accentuer leur domination économique. La possibilité pour les Etats de soutenir la culture par des subventions et de soutenir les créations locales par des quotas de diffusion freinaient en effet l’accroissement des parts de marché des sociétés de production américaines.9 Pour d’autres Etats, notamment des Etats européens, la libéralisation réclamée par les Etats-Unis aurait entrainé la fin des systèmes de financement et d’aide à la création culturelle et audiovisuelle. La solution dégagée fut de déterminer que les services culturels ne sont pas des services comme les autres et qu’il y a une exception à l’application des principes du libre-échange pour les biens et services culturels. C’est ce qu’on appelle l’exception culturelle.10 En 1993, le Parlement européen a voté deux résolutions réclamant tour à tour un traitement spécifique des questions audiovisuelles, puis une « exception ». Le Conseil des ministres, présidé à cette époque par la Belgique, adopta plusieurs principes qui resteront comme « les six points de Mons ». Citons pour exemple l’exemption à la clause de la nation la plus favorisée, le maintien et le développement des régimes de subventions ou encore l’absence de soumission du secteur audiovi- Jean-Marc Siroën, op. cit, pp. 4-5. Serge Regourd, A propos de l’ « exception culturelle », Les cahiers de l’éducation permanente, 2002, p. 63. 9 Joseph Stiglitz, L’exception culturelle, p. 1, article disponible sur internet à l’adresse https://www.google.com/ search?q=stigltz%20exception%20culturelle&oq=stigltz%20exception%20culturelle&sourceid=chrome&from=coli&gws_rd=ssl, dernière consultation le 26/11/15. 10 Ibid., p. 2. 7 8 6 ETAT DE LA QUESTION - Décembre 2015 - Institut Emile Vandervelde - www.iev.be - [email protected] suel au principe de libéralisation progressive.11 Le traité d’Amsterdam, dans son chapitre consacré à la culture, stipule également que « la Communauté tient compte des aspects culturels dans son action au titre d’autres dispositions du présent traité, afin notamment de respecter et de promouvoir la diversité de ses cultures. »12 Ces éléments marquent l’intégration des principes de l’exception culturelle dans les textes européens. 2.2. Quelles conséquences de l’application des principes du libreéchange à la culture ? Les applications des principes du libre-échange auraient pour conséquence de priver la capacité de nombreux Etats à mener leur propre politique culturelle. En effet, les principes du libre-échange impliquent que les Etats sont contraints de traiter leurs produits et services nationaux (en l’occurrence les créations culturelles) de la même manière que les productions étrangères.13 Grâce à l’exception culturelle, les Etats peuvent adopter des dispositifs de soutien à leur création culturelle. Subventionner le théâtre ou le cinéma, mettre en place des quotas de diffusion de films, imposer des financements à la création aux différents services de médias audiovisuels sont autant d’exemples de soutien au secteur culturel. En Fédération Wallonie-Bruxelles, le décret sur les services médias audiovisuels stipule par exemple que : « L’éditeur de services télévisuels doit contribuer à la production d’œuvres audiovisuelles. Cette contribution se fait soit sous la forme de coproduction ou de pré-achat d’œuvres audiovisuelles, soit sous la forme d’un versement au Centre du cinéma et de l’audiovisuel. »14 Le décret précise également que : « La RTBF et les éditeurs de services doivent assurer dans leurs ser Jean-Michel Baer, « La bataille européenne pour sauvegarder l’exception culturelle », De l’exception à la diversité culturelle, La Documentation française, dossier réalisé par Serge Regourd, Paris, 2004, p. 33. 12 Traité d’Amsterdam, modifiant le traité sur l’Union européenne, les traités instituant les Communautés européennes et certains actes connexes, tel qu’il a été signé le 2 octobre 1997 à Amsterdam, disponible sur internet à l’adresse http://europa.eu/eu-law/decision-making/treaties/pdf/treaty_of_amsterdam/treaty_of_amsterdam_ fr.pdf, dernière consultation le 11/12/15. 13 Serge Regourd, op. cit., p. 65. 14 Art. 41 §1 du décret sur les services de médias audiovisuel (coordination officieuse réalisée par le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel), disponible sur internet à l’adresse http://www.csa.be/system/documents_files/1440/ original/D%C3%A9cret%20SMA%20coordonn%C3%A9%20au%2012%20mars%202015.pdf?1431957507, dernière consultation le 24/11/2015. 11 De l’exception culturelle à l’exemple culturel ? 7 vices télévisuels linéaires, une proportion majoritaire de leur temps de diffusion (…) à des œuvres originales d’auteurs relevant de la Communauté française (…) et (…) une part de 10% du temps de diffusion (…) à des œuvres européennes émanant de producteurs indépendants, en ce compris les producteurs indépendants de la Communauté française (…).»15 De la même manière, la Fédération Wallonie-Bruxelles s’est dotée de divers décrets qui garantissent l’octroi de subventions à des opérateurs culturels dans le champ des arts de la scène, des arts plastiques, des centres culturels, des bibliothèques publiques, etc. 2.3. La Convention UNESCO de 2005 et la notion de diversité culturelle Malgré l’importance du concept d’exception culturelle lors des différentes négociations internationales pour la mise en place de l’OMC, aucune référence au concept d’exception culturelle ne figure au sein de la Convention UNESCO de 2005. Plusieurs éléments permettent d’expliquer cette absence et l’émergence du concept de diversité culturelle. Le concept de diversité culturelle s’est imposé au détriment de celui d’exception culturelle car il était plus fédérateur, principalement pour deux raisons. Premièrement, il permettait de concilier les deux préoccupations des dirigeants des grands Etats : la première étant de ne pas faire capoter la reprise des négociations concernant l’OMC ; la seconde étant d’éviter une crispation autour du concept d’exception culturelle. La notion de diversité culturelle et l’adoption d’un traité en tant que tel permettaient de sortir l’exception culturelle des débats entourant la libéralisation des échanges et de ne plus en faire un facteur de division.16 Comme l’explique bien David Atkinson : « Le besoin d’élargir le nombre des ‘alliés’ susceptibles d’appuyer un statut particulier pour la culture, dans le cadre des accords internationaux de commerce, demande une approche plus souple que celle exigeant une clause interdisant radicalement l’inclusion de la culture dans ces accords. Si des pays ont des politiques culturelles qu’ils aimeraient préserver, Art. 44. du décret sur les services de médias audiovisuel (coordination officieuse réalisée par le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel), op. cit. 16 Jean Musitelli, La Convention sur la Diversité culturelle : anatomie d’un succès diplomatique, article disponible sur internet à l’adresse http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/LaConventionsurladiversiteculturelle_anatomiedunsuccesdiplomatiqueJeanMusitelli-2.pdf, dernière consultation le 25/11/15, pp. 1-2. 15 8 ETAT DE LA QUESTION - Décembre 2015 - Institut Emile Vandervelde - www.iev.be - [email protected] d’autres hésitent à épouser une ligne dure pour des raisons d’ordre stratégique. »17 Deuxièmement, outre cette double préoccupation, l’exception culturelle n’emportait apparemment pas un consensus suffisamment large. En effet, « l’exception culturelle était perçue, par les pays en voie de développement, comme une digue érigée par les européens contre l’invasion de leur marché audiovisuel et cinématographique par l’industrie américaine (…) Ils se sentaient peu concernés par cette guerre des images entre ‘nantis’ (…). »18 C’est pour sortir de cette impasse que certains responsables internationaux ont lancé en 1998 l’idée du concept de diversité culturelle.19 En octobre 2003, les Etats membres sollicitaient l’UNESCO afin qu’elle poursuive son action pour défendre la création et la diversité culturelle. La Conférence générale de l’UNESCO confiait au Directeur général le mandat de soumettre un avant-projet de convention. Suite à plusieurs réunions d’experts entre 2003 et 2005, le Directeur général a soumis à la Conférence générale un avant-projet de convention. Cette convention, nommée « Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles » a été adoptée par la 33e session de la Conférence générale le 20 octobre 2005.20 3. Dix ans après : comment renforcer la Convention UNESCO de 2005 ? Dix ans après l’adoption de la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, ce sont toujours les rapports entre commerce et culture qui constituent le centre des différents débats. David Atkinson, De « l’exception culturelle » à la « diversité culturelle » : les relations internationales au cœur d’une bataille planétaire, 2002, p. 668, article disponible sur internet à l’adresse http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/ IMG/pdf/FD001190.pdf, dernière consultation le 25/11/15. 18 Jean Musitelli, op. cit., p. 2. 19 L’expression fut utilisée la première fois lors de la Déclaration franco-mexicaine sur la diversité culturelle du 12 novembre 1998 : « Et je me suis réjouis que nous puissions signer la déclaration franco-mexicaine sur la diversité culturelle (…) Donc le respect de la diversité culturelle est un élément essentiel au progrès de l’humanité. », Déclaration de Jacques Chirac sur la coopération franco-mexicaine en matière politique, économique et culturelle, les relations financières internationales, la lutte contre les trafics de drogue et la libéralisation des échanges entre l’Union européenne et le Mexique, Mexico, 12 novembre 1998. 20 Historique de la Convention de 2005 disponible sur le site internet de l’Unesco à l’adresse http://fr.unesco.org/ creativity/convention/historique, dernière consultation le 25/11/15. 17 De l’exception culturelle à l’exemple culturel ? 9 Cet enjeu est aujourd’hui renforcé par l’importance croissante du numérique. Internet et le numérique sont, en effet, des accélérateurs de mondialisation. Les œuvres circulent plus vite, les possibilités d’accès sont également démultipliées. La concurrence entre les opérateurs, entre les services culturels et entre les créations s’en trouve exacerbée. Cette évolution vers le numérique implique plusieurs conséquences. Elle fragilise les ressources des créateurs. Elle affaiblit aussi les dispositifs particuliers mis en place par les Etats pour rétribuer, mais surtout pour perpétuer la création. Le bouleversement de la chronologie des médias remet également en cause les flux financiers du secteur.21 Face aux nouveaux défis posés par le numérique, dans un contexte de négociation de plusieurs accords de libre-échange, face à une pression de libéralisation de plus en plus croissante, comment appliquer les principes de la Convention UNESCO de 2005 aux nouveaux modes de diffusion ? Comment assurer le respect de la diversité culturelle et garantir l’application de la Convention ? 3.1. Saisir les opportunités offertes par le numérique Le numérique présente de nombreuses opportunités pour la diversité culturelle. Nous citerons par exemple la plus grande accessibilité des œuvres que permettent les nouvelles technologies. Le numérique offre, notamment via internet, des possibilités de diffusion plus directes et plus simples qu’une diffusion classique dans une salle de cinéma, une salle de concert, un musée ou une bibliothèque. Ces potentialités d’accès à la culture s’avèrent très utiles au sein de pays qui ne disposent pas d’infrastructures culturelles en suffisance.22 C’est en cela que certains estiment que le numérique permet de « faire des bonds dans Les médias doivent aussi faire face à cette mutation vers le « tout à l’écran ». Avant l’avènement de la révolution technologique, chaque média exerçait généralement son activité sur un seul support, celui sur lequel l’entreprise s’était historiquement déployée. Les quotidiens et les hebdomadaires revenaient aux éditeurs et aux entreprises de presse, tandis que les médias audiovisuels se chargeaient de l’exploitation des ondes. La répartition des rôles était claire. Chacun agissait sur un seul support. C’était le temps des médias « monosupport ». L’émergence des nouvelles technologies de l’information et de la communication, la révolution numérique remettent en cause l’existence de la logique « mono-support » en permettant la réunion des différentes formes médiatiques (l’écrit, l’audio, le visuel) sur un seul support multi fonction, l’écran. Pour plus d’information voir F. Antoine, F. Heinderyckx, État des lieux des médias d’information en Belgique francophone, disponible sur le site des États généraux des médias d’information à l’adresse http://egmedia.pcf.be/wpcontent/uploads/2011/03/EGMI_EDL_fullv6_5.pdf., dernière consultation le 25/11/15. 22 Exemple évoqué par Nabil Ayouch (réalisateur du film Much loved) lors du Forum international organisé dans le cadre de la célébration du 10e anniversaire de la Convention de l’Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, L’exception culturelle face aux enjeux du numérique : comment mettre les nouvelles technologies au service de la diversité des expressions culturelles ?, Mons, 25 ocotobre 2015. 21 10 ETAT DE LA QUESTION - Décembre 2015 - Institut Emile Vandervelde - www.iev.be - [email protected] l’espace et de s’affranchir de la construction d’infrastructures culturelles couteuses. »23 3.2. Assoir la neutralité technologique de la Convention Sans évoquer en tant que tel les impacts du numérique sur la diversité culturelle, le précédent Président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, proposait concernant le mandat de négociation du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) de « fixer des lignes rouges, clairement définies, garantissant le maintien de subventions et des quotas pour les biens culturels et d’ouvrir parallèlement une négociation plus large sur les services audiovisuels. Il y a des questions qui méritent une discussion, par exemple l’imposition fiscale sur le numérique. »24 Le Président de la Commission européenne posait ici clairement la question de savoir si les principes fondateurs de la diversité culturelle devaient pleinement s’appliquer aux évolutions technologiques. Il semble donc indispensable de proclamer l’application pleine et entière de la Convention à l’heure du numérique. Le point 12 de l’ordre du jour de la cinquième session de la Conférence des Parties25 traitait d’ailleurs du numérique et de son impact sur la promotion de la diversité des expressions culturelles. Le rapport relatif à ce point précisait clairement : « L’absence de référence explicite au numérique ne signifie pas que les droits et obligations des Parties, (…) doivent être mis en œuvre uniquement dans l’univers physique des biens et services culturels. Les Parties sont amenées à réfléchir sur la manière d’appliquer la Convention pour les biens et services culturels dans l’environnement numérique. »26 L’élargissement des principes, des exceptions accordées aux champs culturels repris dans la Convention était d’ailleurs un des thèmes centraux de la déclaration de Mons, adoptée suite au forum international organisé dans le cadre des dix ans de la Convention UNESCO. Propos de Jean-Paul Philippot (Administrateur général de la RTBF) lors Forum international organisé dans le cadre de la célébration du 10e anniversaire de la Convention de l’Unesco, op. cit. 24 Propos de José Manuel Barroso disponibles sur le site internet du journal Le Monde à l’adresse http://www. lemonde.fr/economie/article/2013/06/27/barroso-juge-artificiel-son-conflit-avec-paris-sur-l-exception-culturelle_3437296_3234.html#8LmaF2fsCAsimk3U.99, dernière consultation le 25/11/15. 25 La Conférence des parties est « (…) l’organe plénier et suprême de la présente Convention », art. 22 1. de la Convention UNESCO de 2005, op. cit. 26 Le numérique et son impact sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, Conférence des Parties à la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, Cinquième session ordinaire, 10 et 12 juin 2015, Paris, rapport disponible sur internet à l’adresse http://en.unesco.org/creativity/sites/creativity/files/5CP_12_digital_issues_and_their_impact_fr.pdf, dernière consultation le 26/11/2015. 23 De l’exception culturelle à l’exemple culturel ? 11 La déclaration précisait très clairement que « les soussignés reconnaissent que la Convention de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles et les directives opérationnelles qui lui sont attachées, s’appliquent pleinement dans l’univers numérique (…). »27 Cette précision suppose clairement que les évolutions technologiques, les nouveaux modes de diffusion et de création culturelle n’ont pas d’influence sur la portée de la Convention et de ses principes. Par ailleurs, la déclaration de Mons stipulait également que les signataires « soutiennent, à cet effet, l’élaboration d’une ou de directives opérationnelles concernant le numérique afin d’accompagner les Parties et les acteurs culturels, particulièrement ceux des pays du Sud, dans la mise en œuvre de la Convention. »28 En effet, la Convention permet l’adoption par la Conférence des Parties de directives opérationnelles relatives à la mise en œuvre et à l’application des dispositions de la Convention.29 La clarification totale de l’application de la Convention à l’heure du numérique passe en effet peut-être par l’adoption d’une directive opérationnelle visant à accompagner les Etats Parties dans l’application de la Convention à l’ère numérique. Quels outils pour renforcer la Convention UNESCO de 2005 ? Aujourd’hui, la Convention et les principes d’exception et de diversité culturelle font face à de nombreuses attaques. Les différents accords de libre échange (CETA30/TTIP) menacent gravement l’exception culturelle et vise toujours à appliquer les principes du libre-échange à certains services culturels. La position défendue à cet égard par les Etats-Unis n’a pas évolué par rapport aux négociations entourant la mise en place de l’OMC. Ceuxci réclament toujours la libéralisation des biens et services culturels dans le but de soutenir l’industrie audiovisuelle américaine. Face à cette situation et afin de renforcer le poids de la Convention UNESCO de 2005, plusieurs pistes sont possibles. Le Réseau Déclaration de Mons disponible sur le site de la Fédération internationale des coalitions pour la diversité culturelle, disponible sur internet à l’adresse http://cdc-ccd.org/IMG/pdf/DECLARATION_DE_MONS_25_10_15.pdf, dernière consultation le 25/11/15. 28 Ibidem. 29 Art. 23, 6) de la Convention UNESCO de 2005, op. cit. 30 L’accord économique et commercial global établi entre l’Union européenne et le Canada. 27 12 ETAT DE LA QUESTION - Décembre 2015 - Institut Emile Vandervelde - www.iev.be - [email protected] international de juristes pour la diversité des expressions culturelles (RIJDEC) a d’ailleurs émis plusieurs propositions. L’une d’entre elles est de faire adopter par la Conférence des parties des directives opérationnelles qui obligent les Etats parties à la Convention UNESCO de 2005 à impliquer la société civile lors de négociations d’accords de libre-échange. Le rôle de pression et de soutien joué par la société civile est souvent crucial dans ce genre de combat. Or, ces négociations se déroulent souvent dans la plus grande opacité.31 D’autres recommandations du RIJDEC permettraient également de renforcer l’application de la Convention. Certaines références (par exemple le droit des Etats d’adopter les politiques culturelles qu’ils estiment nécessaires, la reconnaissance de la double nature des biens et des services culturels) à la Convention de 2005 pourraient être incorporées au sein des textes des accords commerciaux. En outre, une autre piste suggère d’introduire dans les différents accords commerciaux une clause de renvoi au chapitre des accords traitant du règlement des conflits. Cette clause permettrait aux Etats parties de la Convention UNESCO de 2005 d’appliquer le mécanisme de cette Convention aux litiges qui portent à la fois sur l’application des règles commerciales et sur la mise en œuvre de politiques culturelles. Le but étant que ces conflits soient traités par des experts culturels (et non des experts commerciaux) conformément à l’article 25 de la Convention UNESCO de 2005.32 4. De l’exception culturelle à l’exemple culturel ? Lors du passage du concept d’« exception culturelle » au concept de « diversité culturelle », de nombreux commentateurs ont regretté ce changement. Le principal argument développé par les défenseurs du concept de l’exception culturelle résidait dans le fait que celui-ci avait une portée précise, dans le sens où il excluait l’application des principes du libre-échange à la culture. Propos de Véronique Guévremont (Professeur à l’Université de Laval) lors du Forum international organisé dans le cadre de la célébration du 10è anniversaire de la Convention de l’Unesco, op. cit. 32 Véronique Guèvremont, Ivan Bernier, Mira Burri, Marie Cornu, Lilian Richieri Hanania, Hélène Ruiz Fabri, Rapport présenté au Comité intergouvernemental de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, Septième session ordinaire, Paris, disponible sur internet à l’adresse http://www.diversite-culturelle.qc.ca/fileadmin/documents/pdf/Rapport_du_RIJDEC_-_Version_francaise_-_4_decembre_2013. pdf, dernière consultation le 25/11/15. 31 De l’exception culturelle à l’exemple culturel ? 13 S’il est vrai que les termes « diversité culturelle » sont moins clairs dans leur portée, ceux-ci ont en tout cas eu le mérite de faire naitre une convention internationale, ratifiée par de nombreux Etats et reprenant de nombreuses obligations juridiques. Néanmoins, outre ce débat, il semble aujourd’hui nécessaire d’essayer d’aller plus loin. En effet, tant l’exception culturelle que la diversité culturelle sont mises en cause régulièrement. Les négociations sur les traités de libreéchange en sont les manifestations les plus récentes. Sous couvert du numérique et des évolutions technologiques, certains tentent de déforcer les principes de l’exception culturelle. Or, comme le remarque à juste titre Thomas Piketty, « la technologie, de même que le marché, ne connait ni limite ni morale.»33 Il est donc du ressort du politique de se saisir de ces enjeux et de faire face aux nouveaux défis pour continuer à faire vivre l’exception culturelle. Même si le débat entre les tenants de l’exception et de la diversité a ses raisons d’être et son intérêt, il détourne parfois l’attention des vrais enjeux. Le débat mérite en tout cas d’être remis dans un contexte plus global. Depuis les années 70 et le premier choc pétrolier, c’est la pensée néolibérale qui domine les politiques économiques. Reagan et Thatcher ont saisi l’opportunité pour traduire politiquement les thèses économiques de Friedrich Hayek et de Milton Friedman. L’école de Chicago est parvenue à imposer ses vues politiques. Ils réactivent la thèse des vertus des échanges débarrassés de toute entrave économique.34 C’est dans cet environnement où domine la pensée néolibérale que se déroulent les négociations autour des accords de libre-échange. Dans ce contexte, la culture pourra-t-elle encore résister seule longtemps aux lois du marché ? Doit-on vraiment préserver uniquement la culture ? D’autres acquis sont eux aussi menacés par les lois du marché : la santé, l’éducation, les pensions, les services publics, ou encore l’environnement. Le TTIP, au même titre que d’autres traités de libre-échange, vise la suppression des barrières non tarifaires, c’est-à-dire les réglementations, les Thomas Piketty, Le capital au XXIè siècle, Paris, Editions du Seuil, 2013, p. 370. « Crise : le procès d’une perversion du capitalisme. » Entretien de Daniel Cohen sur le site internet du journal Le Monde, disponible sur internet à l’adresse http://www.lemonde.fr/la-crise-financiere/article/2008/10/17/crisele-proces-d-une-perversion-du-capitalisme_1108292_1101386.html, dernière consultation le 20/11/15. 33 34 14 ETAT DE LA QUESTION - Décembre 2015 - Institut Emile Vandervelde - www.iev.be - [email protected] normes sociales, sanitaires ou environnementales qui feraient obstacle aux échanges commerciaux et à l’investissement. L’idée des négociateurs est de mettre en place une réglementation commune transatlantique en matière de normes et de standards. Faut-il accepter a priori l’application des principes de la libéralisation à tous les services, exception faite des services culturels ? Ne faut-il pas plutôt changer de paradigme, et préserver nos services publics, notre protection sociale, nos normes environnementales ? Malgré cette lecture et cette nécessaire évolution, il est évidemment indispensable de défendre à court et moyen terme l’exception et la diversité culturelle. Il en va de la sauvegarde de notre culture. Mais il est tout aussi impératif de se projeter plus loin. En refusant la marchandisation en vertu de la nature des biens culturels, l’exception culturelle renverse le paradigme de la libéralisation massive. A plus long terme, il s’agit de saisir cette opportunité pour faire en sorte que l’exception culturelle devienne le point de départ d’une évolution plus globale et devienne l’exemple culturel. Changement de paradigme, adoption de directives opérationnelles pour la Convention UNESCO de 2005, volonté politique couplée à une implication forte de la société civile, sont finalement les ingrédients qui permettront de déployer au mieux les principes de l’exception culturelle. De l’exception culturelle à l’exemple culturel ? 15 L’année 2015 marque le dixième anniversaire de la Convention UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Dix ans après son adoption, il est utile de s’interroger sur l’avenir de cette convention au regard, notamment, des évolutions technologiques. A cette fin, le présent Etat de la question de l’IEV retrace les différents débats qui ont eu cours avant et après l’adoption de la Convention. Il s’interroge également sur les outils à mobiliser pour déployer, à l’heure du numérique, les principes repris dans la Convention UNESCO de 2005. Enfin, dans un contexte de négociations d’accords de libre-échange et au vu des rapports de force actuels, cet Etat de la question propose de se servir du chemin ouvert par l’exception culturelle pour préparer un changement plus global et tenter de glisser vers l’exemple culturel. Institut Emile Vandervelde Bd de l’Empereur, 13 B-1000 Bruxelles Téléphone : +32 (0)2 548 32 11 Fax : + 32 (02) 513 20 19 [email protected] www.iev.be