l`acces a la terre un defi commun pour les femmes et les hommes
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l`acces a la terre un defi commun pour les femmes et les hommes
L’ACCES A LA TERRE UN DEFI COMMUN POUR LES FEMMES ET LES HOMMES Document élaboré sur la base du document “RAPPORT DE CAPITALISATION DES PROCESSUS DEVELOPPES ET CONNAISSANCES ACQUISES PAR IFETE/RNA DANS L’ACCES DES FEMMES A LA TERRE“ élaboré par Marthe Diarra en collaboration avec le staff IFETE/CARE, HIMMA et AREN Marthe Diarra & Lisette Caubergs INTRODUCTION Capitalisation du projet IFETE Maradi, un contexte spécifique L’ACCES DES FEMMES A LA TERRE, UNE PROBLEMATIQUE COMPLEXE Clivage entre droit coutumier, droit religieux et droit moderne Clivage entre riches et pauvres Clivage entre femmes et hommes Clivage entre groupes ethniques Clivage entre femmes IFETE, UNE DEMARCHE EVIDENTE, PRUDENTE ET DISCRETE Les éléments clés – Facteurs de succès – Opportunités Les groupements MMD – Les femmes défendent les intérêts des femmes Rôle émancipateur de l’Islam – Débat entre droit moderne et religieux Nouveaux défis à relever CONCLUSIONS 1 CARE Niger - South Research CVBA - VSO 1 INTRODUCTION Capitalisation du projet IFETE CARE souhaite valoriser la capitalisation sur " l'Initiative Femmes et Terroirs" (IFETE) réalisée en août 2013 en partageant les connaissances acquises à l’occasion du Colloque sur le Foncier organisé par le Danish Institute for International Studies (DIIS). Il s’agit premièrement des connaissances acquises par rapport à la problématique même d’accès des femmes à la terre et deuxièmement des connaissances acquises par rapport à la démarche d’une intervention telle que l’IFETE. IFETE est un projet de 4 ans (2010 – 2013) conduit par CARE Niger dans la région de Maradi qui vise à faciliter l'accès à la propriété foncière des femmes vulnérables en milieu rural. En effet, l’idée du projet est née de la volonté d’inverser la tendance naissante de déféminisation de l’agriculture dans le sud du Niger.Il est prévu qu’en fin 2013, d’une part que 3000 femmes de 30 communautés de la région de Maradi auront amélioré et sécurisé leur accès à la terre (communautaire et privée) et d’autre part, qu’un environnement favorable à l’accès des femmes à la terre soit créé. Les femmes, actrices du projet, font parti de trois groupes ethniques, habitants de villages (à dominante Hausa), de zongos (à dominante Touarègue) et de rouggas, (à dominante Peulh). Deux spécificités caractérisent le projet. Premièrement, le projet se construit sur les acquis des premiers projets et programmes de CARE Niger, notamment les groupements MMD (Mata Masu Dubara - Femmes Ingénieuses) qui constituent une porte d’entrée pour atteindre les femmes. Les MMD sont des groupements d’épargne et de crédit initiés en 1991 mais qui évoluent vers un mouvement social pour l’émancipation des femmes. Deuxièmement, pour la mise en œuvre du projet, CARE collabore avec deux ONG nationales, ADL HIMMA (Association de Développement Local “Courage”) et AREN (Association pour la Redynamisation de l’Eleveage au Niger) qui ont une longue expérience dans la région de Maradi et qui se sont alliées aux instances coutumières, religigieuses et étatiques pour porter le plaidoyer pour un changement des pratiques foncières. Les deux ONG partagent le souci de la déféminisation de l’agriculture dans les parties sud de la région. HIMMA porte son attention sur l’émancipation des femmes et des hommes pour la réduction de la pauvreté au niveau communautaire. AREN oeuvre pour un accès équitable aux ressources naturelles particulièrement pastorales. Maradi, un contexte spécifique La région de Maradi est l’une des régions les plus pauvres dans le sud du Niger avec un taux d’incidence de la pauvreté de 73.4% contre 59.5 % au niveau national1. La région qui fait frontière avec le Nigéria, est caractérisée actuellement par une forte islamisation accompagnée d’un désir de respecter les prescriptions islamiques. Quant à la situation foncière, la région abrite plus de 20% de la population totale mais elle constitue seulement 3.3% de sa superficie totale du pays (41.796 km2)2 avec une forte pression démographique. Suite à la situation foncière précaire, les champs attribués aux femmes par le mari (gamana3) sont de très petits lopins de terre, rendant les femmes dépendantes de l’accès aux terrains communautaires pour le bois de chauffage, les herbes et feuilles pour la vente ou la cuisine. Ceci a accru la compétition sur les ressources des terres communautaires et entrainé leur mauvaise gestion. 1 “Initiative Femmes et Terroirs – Un combat contre la Déféminisation de l’Agriculture”, Document de projet IFETE, M.Diarra, M. Monimart, 2009, 31p. 2 3 Idem Portion du champ famililal donné à la femme par le mari 2 CARE Niger - South Research CVBA - VSO 2 En plus, beaucoup de jeunes femmes sont dépossédées de leur droit naturel à la terre face à cette pression foncière. Les jeunes hommes utilisent l’Islam pour justifier leur refus d’attribuer un champ à leurs épouses et soeurs, soutenant que le Coran définit l’homme comme le soutien de la famille. Certaines de ces jeunes femmes sans terre vivent même en claustration4 (kuble), quittant rarement la maison et seulement avec la permission de leur mari. Traditionnellement, la claustration était seulement pratiquée par les ménages riches où le mari avait les moyens de subvenir aux besoins de la femme sans avoir besoin de sa force de travail au champ. Depuis environ une quinzaine d’années un nouveau type de claustration se manifeste, notamment une claustration de champ5 (kublin gona) empêchant les femmes d’aller au champ, un phénomène qui est plutôt lié à la rareté de la terre qu’à l’application des lois islamiques. Effectivement la restriction de la mobilité des femmes est une question très complexe au Niger et est intimement liée à la pression foncière. Ainsi, plus on va vers le nord, moins les femmes sont restreintes parce qu’ici les champs y sont plus grands et souvent très pauvres. La force de travail des femmes est nécessaire, donc elles sont plus mobiles. L’ACCES DES FEMMES A LA TERRE, UNE PROBLEMATIQUE COMPLEXE L’accès à la terre et la sécurisation foncière sont des défis importants et complexes dans des sociétés à caractère agro-pastorale comme le Niger. La complexité se traduit par le fait qu’il s’agit des acteurs différents avec des intérêts divergents et gérés par des systèmes (institutions) parfois en compétition. Le projet IFETE a permis une meilleure connaisance des clivages existants entre les différents types de droits, de milieux et d’acteurs. Malgré ces clivages, il y a un intérêt – à favoriser la collaboration et le dialogue entre acteurs et institutions au lieu d’entrer dans une logique d’opposition. En effet, les expériences démontrent qu’il n’y a pas uniquement des défis mais également des opportunités de changement en faveur de solutions plus équitables et durables des questions foncières. Vu la situation préoccupante des femmes paysannes dans la région du projet par la masculinisation du foncier, leurs intérêts sont au cœur de l’IFETE. Cependant, l’initiative a mis en évidence la nécessite de travailler sur la problématique dans sa globalité et d’adresser les intérêts de tous les groupes vulnérables – femmes, jeunes, groupes ethniques - dont les droits fonciers sont menacés. Clivage entre droit coutumier, droit religieux et droit moderne L’accès à la terre au Niger s’inspire de trois sources de droit : coutumier, religieux et formel. En effet, le code rural laisse une grande ouverture aux droits coutumier et islamique. Droit coutumier La plupart des terrains sont encore distribués selon le droit coutumier. Il en résulte aujourd’hui que l’homme chef de ménage est le propriétaire du champ familial (gandu6). En cas de mariage il est obligé de donner une portion de ce terrain à sa femme (gamana7). Mais il est important de rappeller que ce droit coutumier a porté jusqu’à une date récente une certaine équité dans l’accès au foncier: le droit coutumier en effet ne prevoyait pas d’appropriation du foncier, mais un accès equitable aux differents membres de la famille, la terre étant un patrimoine indivis. Mais les grandes sécheresses passées et particulierement celle de 1984 ont acceléré le phénomene de dislocation des grandes exploitations familiales, les jeunes demandant leur émancipation et leur 4 Interdiction des femmes de sortir de la maison par le mari Interdiction des femmes d’aller au champ par le mari 6 Champ familial 7 Portion du champ familial donné aux épouses et aux fils 5 3 CARE Niger - South Research CVBA - VSO 3 retrait du gandu pour enfin prendre en charge leur propre destinée. Les femmes n’ont pas exigé leur part, et sont demeurées dans l’accès et non l’appropriation des terres de gandu. Les jeunes qui ont quitté avec leurs épouses ont reconstruit le système de fonctionnement des gandu en octroyant aux epouses et fils des lopins de terres. Aujourd’hui on assiste à une rupture du système foncier traditionnel avec l’exixtence d’une multiplicité de pratiques foncières localisée. Le gamana est prêt, ou don, ou prêt du vivant de la femme qui devient don après son décès et donné en heritage à ses fils. Compte tenu de la diversité des systèmes fonciers, il deveint urgent que le Code Rural propose des textes d’application plus précis pour gérer et réguler ce dysfonctionnement du système foncier. Droit religieux Le Coran stipule que la part à l’héritage de la femme est la moitié de celle de l’homme y compris le foncier. De plus en plus de femmes sans terre réclament leur part de l’héritage en faisant référence aux lois religieuses. Cependant, ce point reste sensible et la réticence de partager les parcelles avec les femmes est inspirée par le souci des hommes de préserver le patrimoine foncier au sein de la famille. Droit moderne Selon la législation formelle au Niger (le Code Rural), la terre peut être achetée, louée ou empruntée librement. La législation vise à formaliser la propriété foncière en délivrant des actes fonciers. Des Commissions Foncières ont été mises en place à trois niveaux: départemental, communal et communautaire pour mettre en œuvre la politique foncière, pour non seulement délivrer des actes fonciers mais aussi instituer des protocoles d’utilisation et de gestion pour les terrains communautaires. Cependant, ce dispositif institutionnel n'a pas produit tous les effets attendus sur la gestion du foncier rural par manque d’expériences des gestionnaires et pour des raisons de méconnaissance des textes législatifs par les ruraux. Le dysfonctionnement des systèmes traditionnels de gestion de terre perdure et occasionne l’exclusion des couches les plus vulnérables à savoir les femmes, les jeunes, les allochtones, etc. Par exemple, différentes études préalables8 au démarrage du projet IFETE ont fait ressortir que les enregistrements des transactions foncières étaient effectués sous les noms des hommes. Mentionnons également la très faible représentation des femmes dans les commissions foncières car les questions foncières sont considérées comme l’affaire des hommes. Dans le département de Guidan Roumji de 2001 à 2010 : 418 ventes, 59 gages, 42 donations, 12 prêts et 16 locations sont enregistrés dans les anciennes communautés couvertes par des projets de CARE au Niger et de la Coopération suisse. Selon ces données, aucune femme n’a eu recours à la sécurisation foncière pendant les dix dernières années, malgré le fait établi qu’elles achètent effectivement des terres.9 Il y a une compétition entre les systèmes fonciers traditionnel et moderne. De même il y a un clivage entre institutions, notamment l’Etat, les organisations traditionnelles et la société civile. Les chefs traditionnels se reconnaissent comme les chefs de la terre et certains ont commencé à délivrer des actes fonciers officiels comme un moyen de faire la compétition avec le système formel. En plus, dans le système foncier moderne, toutes les réclamations foncières doivent être rendues publiques pendant un moment avant la délivrance des titres, ainsi elles peuvent être contestées par d’autres prétendant avoir un droit sur cette même portion de terrain. Beaucoup 8 Etudes de CARE Niger dans le cadre de IFETE : Analyse genre (2009), Etude de base (2010), Situation socio foncière (2010) 9 Rapport de capitalisation des processus developpés et connaissances acquises par IFETE/RNA dans l’accès des femmes à la terre, M.Diarra, 2013, 17p. 4 CARE Niger - South Research CVBA - VSO 4 hésitent à passer par les Commissions Foncières quand ils doivent céder leur terrain parce que c’est une honte si tout le monde sait que vous êtes obligés de céder votre terrain. Cette situation de honte peut être évitée en passant par le système traditionnel où les transferts de terrain peuvent être faits sous une base confidentielle. Clivage entre riches et pauvres Un constat indéniable est que la pression démographique intense a fait grimper le prix du foncier, le rendant objet de spéculation. Le fait que les transactions soient officialisées renforce encore cette tendance. La compétition acharnée sur la terre qui a fait monter les prix de 130 à 200 euros par hectare dans certaines zones. Par conséquent, beaucoup de villageois et particulièrement les femmes ne peuvent pas accéder à la terre à travers le marché. D’autre part, ce phénomène amène les agriculteurs pauvres à vendre ou mettre en gage leurs terres pendant les périodes difficiles. La mise en gage – utiliser son terrain comme garantie pour avoir un prêt - se fait par exemple pour financer l’exode d’un fils, pour financer un mariage, acheter de la nourriture ou payer une dette. Beaucoup n’arrivent pas à honorer le remboursement et perdent ainsi leurs terres au profit de non membres de la famille. En 2005, sept pour cent des plus pauvres dans les villages ont perdu leurs terrains de cette façon pendant la crise alimentaire et sont devenus sans terre10. Il y a aussi un marché pour la location des terrains des commerçants urbains qui investissent dans les zones rurales mais ne cultivent pas eux-mêmes. Ainsi les villages perdent de plus en plus leurs terres au profit des urbains. Les femmes qui ont des moyens ont ainsi pu acheter des terrains des jeunes – qui étaient dans le besoin - ou elles ont octroyé un prêt en prenant leur terrain en gage. D’autres femmes ont saisi l’opportunité de louer des champs d’un commerçant – même en dehors de leur village - pour les mettre en valeur. Clivage entre femmes et hommes Devant une rareté de plus en plus croissante des ressources de base, les jeunes hommes essaient d’obtenir un terrain supplémentaire à travers deux stratégies qui, toutes les deux, réduisent l’accès à la terre aux femmes en plus du fait qu’elles n’ont pas accès à la terre par héritage. La première stratégie est d’essayer de persuader leurs mères de "se reposer" de leur travail agricole (hutun gona) et leur donner/prêter leurs gamanas à condition qu’ils assurent les moyens d’existence de leurs mères. La seconde stratégie c’est de ne pas donner de gamana à leurs femmes et même de les mettre en claustration pour le champ (Kublin gona). La source de la claustration est religieuse et elle est seulement recommandée si l’homme peut subvenir aux besoins du ménage. Elle était traditionnellement vue comme un signe de richesse au Niger, avec des femmes mobiles généralement pauvres, divorcées ou veuves. Les femmes deviennent généralement plus mobiles avec l’âge tandis que les jeunes mariées ont une mobilité sévèrement restreintes. La nouvelle claustration naissante liée à la pauvreté est en fait pratiquée dans la partie sud de Maradi (la zone du projet), où la pression sur la terre est particulièrement aigue. Or dans la réalité, les jeunes hommes ne peuvent subvenir aux besoins de leurs femmes cloîtrées et de leurs mères car leurs propriétés foncières restent de toute façon trop petites. Les femmes sont donc chargées de prendre soin elles-mêmes de leurs enfants. Certaines femmes vendent l’animal qu’elles ont reçu comme cadeau de mariage pour acheter un lopin de terre. Ces femmes sont généralement soumises à une intense pression pour céder leur terrain aux hommes de la 10 Beyond And Drought – root cause of chronic vulnerability in the Sahel – The Sahel Working Group. June, 2007. 5 CARE Niger - South Research CVBA - VSO 5 famille. Clivage entre groupes ethniques L’héritage est un mode d’accès au foncier important pour les femmes de la zone du projet et constitue un droit, pour les héritiers de recevoir une partie du patrimoine laissé par un parent. Les femmes acquièrent l’héritage, suite au décès du père ou de la mère, où le patrimoine foncier est partagé entre les ayants droits selon les règles islamiques. Cependant, ces droits ne sont pas toujours respectés. Dans plusieurs communautés hausa de la région du projet, nombreuses sont les femmes qui n’héritent pas et qui ne savaient pas qu’elles pouvaient hériter avant l’IFETE. L’étude de base (2010) mentionne que dans la zone du projet, seulement 4% des femmes héritent. Pour ce qui est des communautés d’éleveurs Peuls sédentariés (rougga), l’exploitation familiale (gandu) est encore en survivance où plusieurs ménages parfois quatre à cinq frères et leurs ménages continuent à exploiter le même champ après le décès de leur père, préservant l’accès à la terre aux membres de façon collective et individuelle. Il n’existe donc pas de règles communément appliquées pour le partage de l’héritage ni entre les frères ni avec les sœurs. Le partage n’intervient que lorsqu’un frère insiste mais même dans ce cas, les autres frères restent ensemble. Concernant les femmes, les frères peuvent, dans le cas où elles exigent leur part, leur octroyer ‘’un petit quelque chose’’ mais aucun principe régissant le partage des champs avec les femmes n’existe encore. En effet, chez les Peuls sédentaires n’étant pas de culture agricole, les modes d’accès à la terre sont en voie de construction et l’agriculture représente toujours une seconde activité. Cela explique sans doute que les femmes soient encore peu enclin à réclamer leur part de terre. Les Peuls sédentaires semblent en fait peu enclin à partager leurs terres avec leurs soeurs car ils sont d’installation agricole plus récente et ayant acquis des terres qui sont sujettes à des convoitises de la part des communautés voisines qui les leur avaient autrefois cédées. La précarité de leur appropriation foncière par la communauté peule peut être à l’origine de la réticence observée quant au partage des terres entre les ayants droits. Dans la réalité du droit selon le Code Rural, ils sont propriétaires au même titre que les sédentaires. Cette analyse démontre que la sécurisation globale des droits fonciers des communautés les plus vulnérables (rouggas) est un préalable à la sécurisation des droits fonciers des femmes dans cette même communauté. Clivage entre femmes La déféminisation du foncier conduit à la marginalisation économique et sociale des femmes vis à vis des hommes mais contribue également au clivage entre les femmes, notamment celles qui sont propriétaires de terres et celles qui n’ont pas accès aux champs ou ont un accès mais sans en être sécurisées. Les femmes qui se retrouvent sans champs ou avec de très petits lopins de terre sont particulièrement vulnérables économiquement parce qu’elles doivent subvenir à leurs propres besoins. Les femmes sans terre ont besoin d’entreprendre des activités génératrices de revenus comme elles ne peuvent pas récolter. Elles sont donc dépendantes de l’accès aux ressources naturelles sur les terrains communautaires pour accéder au bois de chauffage, aux plantes et aux herbes sauvages. Les femmes mariées qui sont cloitrées doivent conduire leurs activités à la maison: élever du bétail de case qui sera vendu par leur mari, préparer de la nourriture vendue à la maison ou par de jeunes filles. Elles ont un contrôle limité sur ces activités et les frais des intermédiaires empiètent sur sa petite marge bénéficiaire. Une conséquence inquiétante de la déféminisation du foncier est la perte de connaissances des pratiques agricoles. Les jeunes femmes mises en claustration savent aujourd’hui comment cultiver 6 CARE Niger - South Research CVBA - VSO 6 comme elles ont aidé leurs mères dans les champs quand elles étaient jeunes filles. Cependant, leurs filles nées dans la claustration n’auront aucune connaissance des travaux champêtres. Même si elles obtiennent l’accès à la terre, elles ne pourront pas l’exploiter convenablement pour en tirer un revenu. A part la marginalisation économique il y a également la marginalisation sociale et politique qui s’en ajoute. Travailler dans le champ, se tenir hors de la concession familiale pour piler le mil et aller chercher l’eau au puits sont tous des événements très sociaux. Les femmes cloîtrées n’ont pas accès aux rencontres sociales journalières avec les autres femmes du village. Leur principale interaction sociale se fait avec les autres membres de la concession familiale. Elles ont très peu connaissances du fonctionnement de la communauté et encore moins par rapport au rôle de l’administration locale et leur rôle en tant que citoyennes.Le taux élevé d’analphabétisme et la norme de socialisation des filles dans l’infériorité rendent la tâche difficile aux jeunes femmes d’exprimer leur opinion dans les discussions publiques. IFETE, UNE DEMARCHE EVIDENTE, PRUDENTE ET DISCRETE Les éléments clés – Facteurs de succès - Opportunités Pour s’assurer d’une bonne compréhension des dynamiques sociales en matière foncière le projet a réalisé une analyse genre (2009) dans la région de Maradi et une étude socio-foncière (2010) concernant la zone du projet. Ensuite IFETE a fait des choix appropriés quant aux outils de communication (sketchs qui portent des messages vivants sur la base des expériences d’autres femmes), quant aux canaux pour porter les messages (la radio par la voix des supposés opposants11) et quant aux activités pour accompagner le processus (l’alphabétisation, les centres d’écoute, les caravanes de ‘’Communication pour un Changement de Comportements’’ CCC). Les connaissances acquises par rapport à l’approche de l’IFETE font dire que le projet a développé une démarche évidente, prudente et discrète. Ce sont d’ailleurs des facteurs de succès du projet. Une démarche évidente car le projet a ciblé des associations de femmes en tant que groupes d’intérêt de la société civile rurale qui traduit l’importance donnée à la revendication par les femmes elles-mêmes de leurs droits. Effectivement, personne ne peut mieux défendre ses droits que sois-même. La démarche est considérée prudente, car la stratégie clé du projet est le plaidoyer dont l’argumentaire est basée sur le Code Rural qui, à défaut d’être spécifiquement favorable aux femmes, est demeuré neutre et globalement ouvert et sur l’Islam, qui rend l’argumentaire irréfutable dans une région comme Maradi où le désir de respecter les prescriptions islamiques est très présent. La démarche est discrète car CARE a opté pour le faire faire par les ONG locales (AREN et HIMMA) qui ont à leur tour collaboré avec des acteurs locaux notamment les religieux, les autorités coutumières, les services techniques- pour porter le plaidoyer en respectant les structures et dynamiques locales. Les capacités des ONG ont été renforcées et assurent l’encadrement dans ce partenariat basé sur le faire faire sous forme de prestation de service (alphabétisation, formation, appuis conseils). Les groupements MMD – les femmes défendent les intérêts des femmes Les groupements MMD ont été la porte d’entrée de IFETE pour collaborer avec les femmes. Le 11 Acteurs de partage de l’héritage foncier: chefs de villages, marabouts qui n’ont pas partagé le patrimoine avec les femmes même s’ils savent qu’elles y avaient droit. 7 CARE Niger - South Research CVBA - VSO 7 projet a ainsi valorisé les acquis du travail de longue haleine de CARE par rapport à l’empowerment des femmes, notamment le fait que les femmes soient organisées, qu’elles aient des capacités économiques et sociales/ politiques renforcées avec des leaders souvent capables et engagés. Par ailleurs, l’approche participative est bien intégrée et fort appréciée par les communautés, les autorités administratives et traditionnelles et les leaders locaux. Les activités prévues sont conformes aux besoins et intérêts du groupe cible qui sont des femmes. Les groupes féminins apprécient cette démarche responsabilisante dans laquelle elles s’inscrivent et reconnaissent y jouer un rôle actif dans les instances de gestion et de décision. L’avenir appartenant à des communautés organisées, l’existence des structures de gestion et d’accompagnement (Commission Foncière, groupements MMD, Comité de Gestion du Comptoir) est un atout majeur. En effet, l’existence sur place des Commissions Foncières à la base donne une réelle légitimité aux femmes MMD pour accéder à la gestion communautaire des terres individuelles et à la gestion des conflits fonciers jusque là inaccessible. La participation effective des femmes leaders MMD dans les Commissions Foncières confirme que les groupements MMD ont évolué du statut d’associations d’épargne et de crédit vers un mouvement social qui défend les droits des femmes et contribue à les garantir à travers la participation à des espaces de concertation mise en place par l’Etat. Données par rapport à l’accès à la terre par les femmes - De l’étude de base, il ressort que seules 4% des femmes héritent la terre dans la zone d’intervention du projet. - L’étude sur les dynamiques locales mentionne un taux de 8% des femmes qui héritent, deux années plus tard, soit une augmentation de 100%. - Aujourd’hui une élévation de ce taux est réalisée mais pas encore estimée. Les femmes membres des Commissions Foncières au niveau village dépassent le taux de 10% pratiqué, et atteignent 20 à 40%. La grande majorité des ces Commissions Foncières ont au moins 30% de femmes en leur sein, et ont ainsi atteint la masse critique permettant l’expression libre des femmes lors des rencontres. Et les résultats sont déjà visibles. A travers les débats, les sketchs, les émissions à la radio, les centres d’écoute les femmes connaissent leurs droits ainsi que les voies de recours pour la réclamation des terres et exercent leurs droits en cas de nécessité, d’abord en famille, puis chez le chef en lien avec les membres de la Commission Foncière. Actuellement au moins 3325 femmes des groupements MMD, partenaires du projet, sont informées et ont fait valoir leurs droits. Nombreuses sont les femmes non membres qui détiennent les mêmes informations mais dont le nombre ne peut être estimé. IFETE a aussi développé l’accès collectif des femmes au foncier agricole. A plusieurs endroits, elles ont acheté des terrains avec l’appui du projet et elles pratiquent de l’agriculture traditionnelle comme les cultures de mil et d’arachide ainsi que la plantation pour les espèces à haute valeur nutritives (moringa olifera). A d’autres endroits les femmes ont reçu des champs collectifs en donation de la part de chefs ou de la commune. Néanmoins, souvent les groupes féminins manquent de fonds pour passer à l’achat même lorsque les rares opportunités se présentent. Les femmes pratiques également de l’agroforesterie sur les champs collectifs. Il s’agit de promouvoir l’introduction et la réapparition des espèces recherchées, disparues ou en voie de l’être. Cependant, la faisabilité de ce type d’actions est limitée par la difficulté d’avoir une clôture 8 CARE Niger - South Research CVBA - VSO 8 pour les champs des femmes, mais l’expérience demeure favorable pour les femmes qui expérimentent l’agroforesterie comme une source certaine de revenus. Cependant les femmes n’ont pas encore commencé ces pratiques dans leurs champs individuels. Rôle émancipateur de l’Islam –Débat entre droit moderne et religieux Comme déjà souligné, le débat sur le foncier rural devrait se faire - et continue à être mené - dans un contexte local (communautaire) particulièrement défavorable à l’accès et le contrôle de la terre par les femmes. Dans son plaidoyer IFETE s’est basée sur la politique foncière et des préceptes islamiques qui permettent l’accès des femmes à la terre en tant qu’héritière. Il a cherché à s’allier aux partenaires crédibles et stratégiques pour porter le plaidoyer, notamment les religieux et les autorités coutumières - en fait ceux même qui étaient les acteurs principaux de la discrimination foncière. Le projet a adopté une démarche discrète en facilitant le débat entre droit moderne et droit religieux. Il a rassemblé les acteurs principaux représentants des institutions étatiques (commission foncières), réligieuses (marabouts) et de la société civile (ONG, groupements de femmes) pour débattre la problématique, pour écouter les témoignages, pour analyser les avantages et les risques et pour proposer des solutions. Ainsi IFETE s’est inscrit dans des dynamiques locales et les renforce, contribuant ainsi à des changements durables. Il est évident que la transition des pratiques traditionnelles aux nouvelles pratiques connaît beaucoup de résistances aussi bien des frères cohéritiers que de certains religieux. Il est donc important de bien choisir ses alliés et de collaborer avec des marabouts crédibles et instruits ayant plus d’ouverture d’esprit. Les marabouts qui se sont engagés dans le plaidoyer pour sécuriser l’accès à la terre par les femmes ont avancé qu’à travers le projet IFETE, ils sont mieux outillés et motivés pour jouer le rôle qui a été toujours le leur. Un marabout témoigne : ‘‘Nous avons commencé à accorder aux femmes leur droit à l’héritage foncier, face à leur manque d’accès au gamana. Un marabout de Tsofon Gari12, le premier marabout qui avait résisté à cette idée en déclarant lors d’un partage des champs, je n’ai jamais partagé un héritage foncier avec les femmes, je ne vais pas commencer maintenant, je ne leur donne rien … et il lui avait été rétorqué par un autre marabout : Ce n’est pas toi qui donne aux femmes une part d’héritage, mais le Coran… On te demande simplement d’appliquer un ordre de Dieu.’’ ‘‘Grace aux prêches nous femmes de ce village accédons aujourd’hui à la propriété foncière pleine ; nous sommes des héritières comme les hommes. Cela je ne le savais pas avant que les marabouts ne l’expliquent. D’autres femmes ont aussi fait reprendre des partages de terres effectués il y a 20 ans. Le Coran nous a donné des droits et nous les prenons. ‘‘ Une femme de Tabarawa Le projet a démontré qu’il est possible d’améliorer le statut foncier de la femme par une démarche discrète de plaidoyer visant les acteurs locaux, particulièrement les leaders religieux et coutumiers. On peut dire que dans le contexte du projet, l’application de la loi islamique a permis une grande avancée concernant l’accès à la terre par les femmes et que l’Islam a été dans ce cas un facteur de changement et d’émancipation des femmes rurales dont la majorité n’a pas été scolarisée. De nouveaux défis à relever Lors de l’exercice de la capitalisation des défis supplémentaires issue de la mise en œuvre ont été relevés pour IFETE. Malgré les effets encourageants du projet, le défi demeure pour les groupements MMD et leurs leaders de susciter davantage l’engouement dans la mobilisation de toutes les femmes à l’échelle nationale en matière de revendication de leur droits fonciers. En plus, il est important d’appuyer 12 Quartier du village de BOUZEY 9 CARE Niger - South Research CVBA - VSO 9 financièrement les femmes des groupements féminins à acheter la terre pour une exploitation collective et ainsi réduire le clivage entre les femmes qui ont des terres sécurisées et celles qui n’en ont pas. Dans cet objectif, les autres (futurs) projets de CARE offrent des opportunités pour multiplier les efforts et les résultats. Par ailleurs, le suivi de l’impact de la sécurisation des terres des femmes s’impose afin de connaître les effets sur l’accroisement de leurs revenus et les nouvelles ouvertures et opportunités qui s’offrent suite aux changements. Lors de l’exercice de capitalisation des faiblesses ont été démontré dans le fonctionnement des Commissions Foncières et d’autres institutions comme la police et la justice. Quant aux Commissions Foncières, le fait que ces structures n’existent pas dans tous les villages limite l’accès des femmes aux instances de gestion foncière. Aussi la forte demande des actes impose une réflexion sur la possibilité de créer des structures intercommunautaires, permettant ainsi un élargissement de la couverture des terroirs à partir d’un centre ou communauté donnée. Les rôles à jouer par les femmes et les hommes – représentants des agriculteurs ou des pasteurs dans les Commissions Foncières sont à mieux déterminer pour qu’ils/elles puissent réellement jouer leur rôle de représentants/tes. Il importe également de former tous ces acteurs et de mettre tout le monde au même niveau de compréhension sur le Code Rural et plus particulièrement sur les droits fonciers de chaque partie prenante, femmes et hommes, ruraux et urbains, agriculteurs et pasteurs. Il est bien d’insister sur ce point car la sécurisation globale des droits fonciers des communautés vulnérables est un préalable à la sécurisation des droits fonciers des femmes dans ces mêmes communautés. Toujours dans la démarche d’accompagnement les femmes à participer de façon efficace à la gestion foncière la réflexion sur la mise en réseau des femmes membres des Commissions Foncières de base au niveau départemental est à poursuivre. La politique foncière nigérienne est toujours ouverte à des adaptations. Et IFETE qui vise la mise en application des textes selon une démarches genre sensible, pourrait aussi à termes influencer la politique foncière dans la prise en considération du genre, conformément à la politique nationale genre et à la Constitution du pays. Dans cette démarche c’est indiqué de s’allier au Ministère de la Popultion, de la Promotion de la Femme et de la Protection de l’Enfant qui a pour mission de défendre les intérêts des femmes et de redresser les déséquilibres en matière d’accès au foncier. D’autres opportunités sont à saisir pour renforcer la position des femmes par rapport aux questions foncières notamment les aménagements des terres en cours dans le cadre de l’I3N (l’Initiative des 3 N, les Nigériens qui Nourissent les Nigériens). Finalement, des questions fondamentales restent à débattre : - la question de la sortie de la terre de la famille qui constitue clairement un frein à l’accès des femmes à la terre notemment au moment de l’héritage les conséquences de la division des champs et leur morcellement accélérée qui met en danger la rentabilité des activités agricoles et la survie des ménages ruraux un plaiodyer faisant le lien entre problématique foncière et les questions démographiques. 10 CARE Niger - South Research CVBA - VSO 10 CONCLUSIONS Suite à ce travail de capitalisation par rapport aux connaissances acquises sur la problématique et sur la démarche du projet IFETE les conclusions majeures sont : Quelque soit le niveau d’inégalité et d’inéquité dans une communauté humaine, elle renferme toujours des agents de changements en son sein. Il faut se donner le temps et les moyens de les identifier et de les aider à jouer leur rôle dans les actions de développement. Quelque soit l’apparence figée d’une communauté humaine elle comporte toujours en son sein des dynamiques locales porteuses. Il faut savoir les identifier, les analyser et les comprendre dans le but de savoir ce qu’elles offrent comme porte d’entrée. Lorsqu’on arrive à combiner des dynamiques porteuses avec des agents de changement, la transformation sociale devient plus rapide et de plus grand impact avec aussi plus d’opportunité pour la perpétuation des bonnes pratiques. Quelque soit la façon de sécurisation de l’accès à la terre par les femmes, individuelle ou collective, l’amélioration du statut foncier des femmes conduit à une transformation des rapports sociaux en milieu rural à travers le renforcement du pouvoir économique. Les femmes qui ont leur propre champ ont la possibilité de décider d’y cultiver et d’en avoir un revenu leur permettant d’assurer leurs responsabilités dans le ménage et d’être partenaire économique de l’homme. C’est à travers ces approches et dynamiques que IFETE peut contribuer à la réduction des clivages entre les institutions coutumières, étatiques et société civile, entre différents groupes ethniques, entre hommes et femmes permettant de conjuguer les efforts et l’énergie pour un développement équitable et durable. Bibliographie "Comment les droits fonciers des femmes peuvent-ils être garantis?" Synthèse d’une discussion en ligne, International Land Coalition, 2013, 4p. Initiative Femmes et Terroirs – IFETE (Mata Da Karkara) - Un combat contre la Déféminisation de l’Agriculture, M. Diarra, M. Monimart, 2009, 31p. Landless women, hopeless women? Gender, land and decentralization in Niger, Making Decentralisation Work, IIED, M. Monimart, M. Diarra, 2006 Rapport annuel 2011, IFETE/RNA, CARE Niger Rapport annuel 2010, IFETE/RNA, CARE Niger Rapport de capitalisation des processus developpés et connaissances acquises par IFETE/RNA dans l’accès des femmes à la terre, M.Diarra, Staff CARE IFETE, HIMMA, AREN, 2013, 17p. Rapport d’étude : Evaluation genre de la situation socio-foncière dans six communautés de la région de Maradi, Projet IFETE/RNA, M. Diarra, 2010, 43p. 11 CARE Niger - South Research CVBA - VSO 11