l`acces a la terre un defi commun pour les femmes et les hommes

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l`acces a la terre un defi commun pour les femmes et les hommes
L’ACCES A LA TERRE
UN DEFI COMMUN POUR LES FEMMES ET LES HOMMES
Document élaboré sur la base du document “RAPPORT DE CAPITALISATION DES PROCESSUS
DEVELOPPES ET CONNAISSANCES ACQUISES PAR IFETE/RNA DANS L’ACCES DES FEMMES A LA
TERRE“ élaboré par Marthe Diarra en collaboration avec le staff IFETE/CARE, HIMMA et AREN
Marthe Diarra & Lisette Caubergs
INTRODUCTION
Capitalisation du projet IFETE
Maradi, un contexte spécifique
L’ACCES DES FEMMES A LA TERRE, UNE PROBLEMATIQUE COMPLEXE
Clivage entre droit coutumier, droit religieux et droit moderne
Clivage entre riches et pauvres
Clivage entre femmes et hommes
Clivage entre groupes ethniques
Clivage entre femmes
IFETE, UNE DEMARCHE EVIDENTE, PRUDENTE ET DISCRETE
Les éléments clés – Facteurs de succès – Opportunités
Les groupements MMD – Les femmes défendent les intérêts des femmes
Rôle émancipateur de l’Islam – Débat entre droit moderne et religieux
Nouveaux défis à relever
CONCLUSIONS
1
CARE Niger - South Research CVBA - VSO
1
INTRODUCTION
Capitalisation du projet IFETE
CARE souhaite valoriser la capitalisation sur " l'Initiative Femmes et Terroirs" (IFETE) réalisée en
août 2013 en partageant les connaissances acquises à l’occasion du Colloque sur le Foncier organisé
par le Danish Institute for International Studies (DIIS). Il s’agit premièrement des connaissances
acquises par rapport à la problématique même d’accès des femmes à la terre et deuxièmement des
connaissances acquises par rapport à la démarche d’une intervention telle que l’IFETE.
IFETE est un projet de 4 ans (2010 – 2013) conduit par CARE Niger dans la région de Maradi qui vise
à faciliter l'accès à la propriété foncière des femmes vulnérables en milieu rural. En effet, l’idée du
projet est née de la volonté d’inverser la tendance naissante de déféminisation de l’agriculture
dans le sud du Niger.Il est prévu qu’en fin 2013, d’une part que 3000 femmes de 30 communautés
de la région de Maradi auront amélioré et sécurisé leur accès à la terre (communautaire et privée)
et d’autre part, qu’un environnement favorable à l’accès des femmes à la terre soit créé. Les
femmes, actrices du projet, font parti de trois groupes ethniques, habitants de villages (à
dominante Hausa), de zongos (à dominante Touarègue) et de rouggas, (à dominante Peulh).
Deux spécificités caractérisent le projet. Premièrement, le projet se construit sur les acquis des
premiers projets et programmes de CARE Niger, notamment les groupements MMD (Mata Masu
Dubara - Femmes Ingénieuses) qui constituent une porte d’entrée pour atteindre les femmes. Les
MMD sont des groupements d’épargne et de crédit initiés en 1991 mais qui évoluent vers un
mouvement social pour l’émancipation des femmes.
Deuxièmement, pour la mise en œuvre du projet, CARE collabore avec deux ONG nationales, ADL
HIMMA (Association de Développement Local “Courage”) et AREN (Association pour la
Redynamisation de l’Eleveage au Niger) qui ont une longue expérience dans la région de Maradi et
qui se sont alliées aux instances coutumières, religigieuses et étatiques pour porter le plaidoyer
pour un changement des pratiques foncières. Les deux ONG partagent le souci de la déféminisation
de l’agriculture dans les parties sud de la région. HIMMA porte son attention sur l’émancipation des
femmes et des hommes pour la réduction de la pauvreté au niveau communautaire. AREN oeuvre
pour un accès équitable aux ressources naturelles particulièrement pastorales.
Maradi, un contexte spécifique
La région de Maradi est l’une des régions les plus pauvres dans le sud du Niger avec un taux
d’incidence de la pauvreté de 73.4% contre 59.5 % au niveau national1. La région qui fait frontière
avec le Nigéria, est caractérisée actuellement par une forte islamisation accompagnée d’un désir de
respecter les prescriptions islamiques.
Quant à la situation foncière, la région abrite plus de 20% de la population totale mais elle
constitue seulement 3.3% de sa superficie totale du pays (41.796 km2)2 avec une forte pression
démographique. Suite à la situation foncière précaire, les champs attribués aux femmes par le mari
(gamana3) sont de très petits lopins de terre, rendant les femmes dépendantes de l’accès aux
terrains communautaires pour le bois de chauffage, les herbes et feuilles pour la vente ou la
cuisine. Ceci a accru la compétition sur les ressources des terres communautaires et entrainé leur
mauvaise gestion.
1
“Initiative Femmes et Terroirs – Un combat contre la Déféminisation de l’Agriculture”, Document de projet IFETE,
M.Diarra, M. Monimart, 2009, 31p.
2
3
Idem
Portion du champ famililal donné à la femme par le mari
2
CARE Niger - South Research CVBA - VSO
2
En plus, beaucoup de jeunes femmes sont dépossédées de leur droit naturel à la terre face à cette
pression foncière. Les jeunes hommes utilisent l’Islam pour justifier leur refus d’attribuer un champ
à leurs épouses et soeurs, soutenant que le Coran définit l’homme comme le soutien de la famille.
Certaines de ces jeunes femmes sans terre vivent même en claustration4 (kuble), quittant rarement
la maison et seulement avec la permission de leur mari. Traditionnellement, la claustration était
seulement pratiquée par les ménages riches où le mari avait les moyens de subvenir aux besoins de
la femme sans avoir besoin de sa force de travail au champ. Depuis environ une quinzaine d’années
un nouveau type de claustration se manifeste, notamment une claustration de champ5 (kublin
gona) empêchant les femmes d’aller au champ, un phénomène qui est plutôt lié à la rareté de la
terre qu’à l’application des lois islamiques.
Effectivement la restriction de la mobilité des femmes est une question très complexe au Niger et
est intimement liée à la pression foncière. Ainsi, plus on va vers le nord, moins les femmes sont
restreintes parce qu’ici les champs y sont plus grands et souvent très pauvres. La force de travail
des femmes est nécessaire, donc elles sont plus mobiles.
L’ACCES DES FEMMES A LA TERRE, UNE PROBLEMATIQUE COMPLEXE
L’accès à la terre et la sécurisation foncière sont des défis importants et complexes dans des
sociétés à caractère agro-pastorale comme le Niger. La complexité se traduit par le fait qu’il s’agit
des acteurs différents avec des intérêts divergents et gérés par des systèmes (institutions) parfois
en compétition.
Le projet IFETE a permis une meilleure connaisance des clivages existants entre les différents types
de droits, de milieux et d’acteurs. Malgré ces clivages, il y a un intérêt – à favoriser la collaboration
et le dialogue entre acteurs et institutions au lieu d’entrer dans une logique d’opposition. En effet,
les expériences démontrent qu’il n’y a pas uniquement des défis mais également des opportunités
de changement en faveur de solutions plus équitables et durables des questions foncières.
Vu la situation préoccupante des femmes paysannes dans la région du projet par la masculinisation
du foncier, leurs intérêts sont au cœur de l’IFETE. Cependant, l’initiative a mis en évidence la
nécessite de travailler sur la problématique dans sa globalité et d’adresser les intérêts de tous les
groupes vulnérables – femmes, jeunes, groupes ethniques - dont les droits fonciers sont menacés.
Clivage entre droit coutumier, droit religieux et droit moderne
L’accès à la terre au Niger s’inspire de trois sources de droit : coutumier, religieux et formel. En
effet, le code rural laisse une grande ouverture aux droits coutumier et islamique.
Droit coutumier
La plupart des terrains sont encore distribués selon le droit coutumier. Il en résulte aujourd’hui que
l’homme chef de ménage est le propriétaire du champ familial (gandu6). En cas de mariage il est
obligé de donner une portion de ce terrain à sa femme (gamana7). Mais il est important de
rappeller que ce droit coutumier a porté jusqu’à une date récente une certaine équité dans l’accès
au foncier: le droit coutumier en effet ne prevoyait pas d’appropriation du foncier, mais un accès
equitable aux differents membres de la famille, la terre étant un patrimoine indivis. Mais les
grandes sécheresses passées et particulierement celle de 1984 ont acceléré le phénomene de
dislocation des grandes exploitations familiales, les jeunes demandant leur émancipation et leur
4
Interdiction des femmes de sortir de la maison par le mari
Interdiction des femmes d’aller au champ par le mari
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Champ familial
7
Portion du champ familial donné aux épouses et aux fils
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retrait du gandu pour enfin prendre en charge leur propre destinée. Les femmes n’ont pas exigé
leur part, et sont demeurées dans l’accès et non l’appropriation des terres de gandu. Les jeunes qui
ont quitté avec leurs épouses ont reconstruit le système de fonctionnement des gandu en
octroyant aux epouses et fils des lopins de terres.
Aujourd’hui on assiste à une rupture du système foncier traditionnel avec l’exixtence d’une
multiplicité de pratiques foncières localisée. Le gamana est prêt, ou don, ou prêt du vivant de la
femme qui devient don après son décès et donné en heritage à ses fils. Compte tenu de la diversité
des systèmes fonciers, il deveint urgent que le Code Rural propose des textes d’application plus
précis pour gérer et réguler ce dysfonctionnement du système foncier.
Droit religieux
Le Coran stipule que la part à l’héritage de la femme est la moitié de celle de l’homme y compris le
foncier. De plus en plus de femmes sans terre réclament leur part de l’héritage en faisant référence
aux lois religieuses. Cependant, ce point reste sensible et la réticence de partager les parcelles avec
les femmes est inspirée par le souci des hommes de préserver le patrimoine foncier au sein de la
famille.
Droit moderne
Selon la législation formelle au Niger (le Code Rural), la terre peut être achetée, louée ou
empruntée librement. La législation vise à formaliser la propriété foncière en délivrant des actes
fonciers. Des Commissions Foncières ont été mises en place à trois niveaux: départemental,
communal et communautaire pour mettre en œuvre la politique foncière, pour non seulement
délivrer des actes fonciers mais aussi instituer des protocoles d’utilisation et de gestion pour les
terrains communautaires. Cependant, ce dispositif institutionnel n'a pas produit tous les effets
attendus sur la gestion du foncier rural par manque d’expériences des gestionnaires et pour des
raisons de méconnaissance des textes législatifs par les ruraux. Le dysfonctionnement des systèmes
traditionnels de gestion de terre perdure et occasionne l’exclusion des couches les plus vulnérables
à savoir les femmes, les jeunes, les allochtones, etc. Par exemple, différentes études préalables8 au
démarrage du projet IFETE ont fait ressortir que les enregistrements des transactions foncières
étaient effectués sous les noms des hommes. Mentionnons également la très faible représentation
des femmes dans les commissions foncières car les questions foncières sont considérées comme
l’affaire des hommes.
Dans le département de Guidan Roumji de 2001 à 2010 : 418 ventes, 59 gages, 42 donations, 12
prêts et 16 locations sont enregistrés dans les anciennes communautés couvertes par des projets de
CARE au Niger et de la Coopération suisse. Selon ces données, aucune femme n’a eu recours à la
sécurisation foncière pendant les dix dernières années, malgré le fait établi qu’elles achètent
effectivement des terres.9
Il y a une compétition entre les systèmes fonciers traditionnel et moderne. De même il y a un
clivage entre institutions, notamment l’Etat, les organisations traditionnelles et la société civile.
Les chefs traditionnels se reconnaissent comme les chefs de la terre et certains ont commencé à
délivrer des actes fonciers officiels comme un moyen de faire la compétition avec le système
formel. En plus, dans le système foncier moderne, toutes les réclamations foncières doivent être
rendues publiques pendant un moment avant la délivrance des titres, ainsi elles peuvent être
contestées par d’autres prétendant avoir un droit sur cette même portion de terrain. Beaucoup
8
Etudes de CARE Niger dans le cadre de IFETE : Analyse genre (2009), Etude de base (2010), Situation socio foncière
(2010)
9
Rapport de capitalisation des processus developpés et connaissances acquises par IFETE/RNA dans l’accès des femmes à
la terre, M.Diarra, 2013, 17p.
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hésitent à passer par les Commissions Foncières quand ils doivent céder leur terrain parce que c’est
une honte si tout le monde sait que vous êtes obligés de céder votre terrain. Cette situation de
honte peut être évitée en passant par le système traditionnel où les transferts de terrain peuvent
être faits sous une base confidentielle.
Clivage entre riches et pauvres
Un constat indéniable est que la pression démographique intense a fait grimper le prix du
foncier, le rendant objet de spéculation. Le fait que les transactions soient officialisées renforce
encore cette tendance. La compétition acharnée sur la terre qui a fait monter les prix de 130 à 200
euros par hectare dans certaines zones. Par conséquent, beaucoup de villageois et particulièrement
les femmes ne peuvent pas accéder à la terre à travers le marché.
D’autre part, ce phénomène amène les agriculteurs pauvres à vendre ou mettre en gage leurs
terres pendant les périodes difficiles. La mise en gage – utiliser son terrain comme garantie pour
avoir un prêt - se fait par exemple pour financer l’exode d’un fils, pour financer un mariage, acheter
de la nourriture ou payer une dette. Beaucoup n’arrivent pas à honorer le remboursement et
perdent ainsi leurs terres au profit de non membres de la famille. En 2005, sept pour cent des plus
pauvres dans les villages ont perdu leurs terrains de cette façon pendant la crise alimentaire et sont
devenus sans terre10.
Il y a aussi un marché pour la location des terrains des commerçants urbains qui investissent dans
les zones rurales mais ne cultivent pas eux-mêmes. Ainsi les villages perdent de plus en plus leurs
terres au profit des urbains.
Les femmes qui ont des moyens ont ainsi pu acheter des terrains des jeunes – qui étaient dans le
besoin - ou elles ont octroyé un prêt en prenant leur terrain en gage. D’autres femmes ont saisi
l’opportunité de louer des champs d’un commerçant – même en dehors de leur village - pour les
mettre en valeur.
Clivage entre femmes et hommes
Devant une rareté de plus en plus croissante des ressources de base, les jeunes hommes essaient
d’obtenir un terrain supplémentaire à travers deux stratégies qui, toutes les deux, réduisent l’accès
à la terre aux femmes en plus du fait qu’elles n’ont pas accès à la terre par héritage.
La première stratégie est d’essayer de persuader leurs mères de "se reposer" de leur travail
agricole (hutun gona) et leur donner/prêter leurs gamanas à condition qu’ils assurent les moyens
d’existence de leurs mères.
La seconde stratégie c’est de ne pas donner de gamana à leurs femmes et même de les mettre en
claustration pour le champ (Kublin gona). La source de la claustration est religieuse et elle est
seulement recommandée si l’homme peut subvenir aux besoins du ménage. Elle était
traditionnellement vue comme un signe de richesse au Niger, avec des femmes mobiles
généralement pauvres, divorcées ou veuves. Les femmes deviennent généralement plus mobiles
avec l’âge tandis que les jeunes mariées ont une mobilité sévèrement restreintes. La nouvelle
claustration naissante liée à la pauvreté est en fait pratiquée dans la partie sud de Maradi (la zone
du projet), où la pression sur la terre est particulièrement aigue.
Or dans la réalité, les jeunes hommes ne peuvent subvenir aux besoins de leurs femmes cloîtrées
et de leurs mères car leurs propriétés foncières restent de toute façon trop petites. Les femmes
sont donc chargées de prendre soin elles-mêmes de leurs enfants. Certaines femmes vendent
l’animal qu’elles ont reçu comme cadeau de mariage pour acheter un lopin de terre. Ces femmes
sont généralement soumises à une intense pression pour céder leur terrain aux hommes de la
10
Beyond And Drought – root cause of chronic vulnerability in the Sahel – The Sahel Working Group. June, 2007.
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famille.
Clivage entre groupes ethniques
L’héritage est un mode d’accès au foncier important pour les femmes de la zone du projet et
constitue un droit, pour les héritiers de recevoir une partie du patrimoine laissé par un parent. Les
femmes acquièrent l’héritage, suite au décès du père ou de la mère, où le patrimoine foncier est
partagé entre les ayants droits selon les règles islamiques. Cependant, ces droits ne sont pas
toujours respectés. Dans plusieurs communautés hausa de la région du projet, nombreuses sont les
femmes qui n’héritent pas et qui ne savaient pas qu’elles pouvaient hériter avant l’IFETE. L’étude
de base (2010) mentionne que dans la zone du projet, seulement 4% des femmes héritent.
Pour ce qui est des communautés d’éleveurs Peuls sédentariés (rougga), l’exploitation familiale
(gandu) est encore en survivance où plusieurs ménages parfois quatre à cinq frères et leurs
ménages continuent à exploiter le même champ après le décès de leur père, préservant l’accès à la
terre aux membres de façon collective et individuelle. Il n’existe donc pas de règles communément
appliquées pour le partage de l’héritage ni entre les frères ni avec les sœurs. Le partage n’intervient
que lorsqu’un frère insiste mais même dans ce cas, les autres frères restent ensemble. Concernant
les femmes, les frères peuvent, dans le cas où elles exigent leur part, leur octroyer ‘’un petit
quelque chose’’ mais aucun principe régissant le partage des champs avec les femmes n’existe
encore.
En effet, chez les Peuls sédentaires n’étant pas de culture agricole, les modes d’accès à la terre sont
en voie de construction et l’agriculture représente toujours une seconde activité. Cela explique sans
doute que les femmes soient encore peu enclin à réclamer leur part de terre. Les Peuls sédentaires
semblent en fait peu enclin à partager leurs terres avec leurs soeurs car ils sont d’installation
agricole plus récente et ayant acquis des terres qui sont sujettes à des convoitises de la part des
communautés voisines qui les leur avaient autrefois cédées. La précarité de leur appropriation
foncière par la communauté peule peut être à l’origine de la réticence observée quant au partage
des terres entre les ayants droits. Dans la réalité du droit selon le Code Rural, ils sont propriétaires
au même titre que les sédentaires.
Cette analyse démontre que la sécurisation globale des droits fonciers des communautés les plus
vulnérables (rouggas) est un préalable à la sécurisation des droits fonciers des femmes dans cette
même communauté.
Clivage entre femmes
La déféminisation du foncier conduit à la marginalisation économique et sociale des femmes vis à
vis des hommes mais contribue également au clivage entre les femmes, notamment celles qui sont
propriétaires de terres et celles qui n’ont pas accès aux champs ou ont un accès mais sans en être
sécurisées.
Les femmes qui se retrouvent sans champs ou avec de très petits lopins de terre sont
particulièrement vulnérables économiquement parce qu’elles doivent subvenir à leurs propres
besoins. Les femmes sans terre ont besoin d’entreprendre des activités génératrices de revenus
comme elles ne peuvent pas récolter. Elles sont donc dépendantes de l’accès aux ressources
naturelles sur les terrains communautaires pour accéder au bois de chauffage, aux plantes et aux
herbes sauvages. Les femmes mariées qui sont cloitrées doivent conduire leurs activités à la
maison: élever du bétail de case qui sera vendu par leur mari, préparer de la nourriture vendue à la
maison ou par de jeunes filles. Elles ont un contrôle limité sur ces activités et les frais des
intermédiaires empiètent sur sa petite marge bénéficiaire.
Une conséquence inquiétante de la déféminisation du foncier est la perte de connaissances des
pratiques agricoles. Les jeunes femmes mises en claustration savent aujourd’hui comment cultiver
6
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comme elles ont aidé leurs mères dans les champs quand elles étaient jeunes filles. Cependant,
leurs filles nées dans la claustration n’auront aucune connaissance des travaux champêtres. Même
si elles obtiennent l’accès à la terre, elles ne pourront pas l’exploiter convenablement pour en tirer
un revenu.
A part la marginalisation économique il y a également la marginalisation sociale et politique qui
s’en ajoute. Travailler dans le champ, se tenir hors de la concession familiale pour piler le mil et
aller chercher l’eau au puits sont tous des événements très sociaux. Les femmes cloîtrées n’ont pas
accès aux rencontres sociales journalières avec les autres femmes du village. Leur principale
interaction sociale se fait avec les autres membres de la concession familiale. Elles ont très peu
connaissances du fonctionnement de la communauté et encore moins par rapport au rôle de
l’administration locale et leur rôle en tant que citoyennes.Le taux élevé d’analphabétisme et la
norme de socialisation des filles dans l’infériorité rendent la tâche difficile aux jeunes femmes
d’exprimer leur opinion dans les discussions publiques.
IFETE, UNE DEMARCHE EVIDENTE, PRUDENTE ET DISCRETE
Les éléments clés – Facteurs de succès - Opportunités
Pour s’assurer d’une bonne compréhension des dynamiques sociales en matière foncière le projet a
réalisé une analyse genre (2009) dans la région de Maradi et une étude socio-foncière (2010)
concernant la zone du projet. Ensuite IFETE a fait des choix appropriés quant aux outils de
communication (sketchs qui portent des messages vivants sur la base des expériences d’autres
femmes), quant aux canaux pour porter les messages (la radio par la voix des supposés
opposants11) et quant aux activités pour accompagner le processus (l’alphabétisation, les centres
d’écoute, les caravanes de ‘’Communication pour un Changement de Comportements’’ CCC).
Les connaissances acquises par rapport à l’approche de l’IFETE font dire que le projet a développé
une démarche évidente, prudente et discrète. Ce sont d’ailleurs des facteurs de succès du projet.
Une démarche évidente car le projet a ciblé des associations de femmes en tant que groupes
d’intérêt de la société civile rurale qui traduit l’importance donnée à la revendication par les
femmes elles-mêmes de leurs droits. Effectivement, personne ne peut mieux défendre ses droits
que sois-même.
La démarche est considérée prudente, car la stratégie clé du projet est le plaidoyer dont
l’argumentaire est basée sur le Code Rural qui, à défaut d’être spécifiquement favorable aux
femmes, est demeuré neutre et globalement ouvert et sur l’Islam, qui rend l’argumentaire
irréfutable dans une région comme Maradi où le désir de respecter les prescriptions islamiques est
très présent.
La démarche est discrète car CARE a opté pour le faire faire par les ONG locales (AREN et HIMMA)
qui ont à leur tour collaboré avec des acteurs locaux notamment les religieux, les autorités
coutumières, les services techniques- pour porter le plaidoyer en respectant les structures et
dynamiques locales. Les capacités des ONG ont été renforcées et assurent l’encadrement dans ce
partenariat basé sur le faire faire sous forme de prestation de service (alphabétisation, formation,
appuis conseils).
Les groupements MMD – les femmes défendent les intérêts des femmes
Les groupements MMD ont été la porte d’entrée de IFETE pour collaborer avec les femmes. Le
11
Acteurs de partage de l’héritage foncier: chefs de villages, marabouts qui n’ont pas partagé le patrimoine avec les
femmes même s’ils savent qu’elles y avaient droit.
7
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projet a ainsi valorisé les acquis du travail de longue haleine de CARE par rapport à l’empowerment
des femmes, notamment le fait que les femmes soient organisées, qu’elles aient des capacités
économiques et sociales/ politiques renforcées avec des leaders souvent capables et engagés.
Par ailleurs, l’approche participative est bien intégrée et fort appréciée par les communautés, les
autorités administratives et traditionnelles et les leaders locaux. Les activités prévues sont
conformes aux besoins et intérêts du groupe cible qui sont des femmes. Les groupes féminins
apprécient cette démarche responsabilisante dans laquelle elles s’inscrivent et reconnaissent y
jouer un rôle actif dans les instances de gestion et de décision. L’avenir appartenant à des
communautés organisées, l’existence des structures de gestion et d’accompagnement (Commission
Foncière, groupements MMD, Comité de Gestion du Comptoir) est un atout majeur. En effet,
l’existence sur place des Commissions Foncières à la base donne une réelle légitimité aux femmes
MMD pour accéder à la gestion communautaire des terres individuelles et à la gestion des conflits
fonciers jusque là inaccessible.
La participation effective des femmes leaders MMD dans les Commissions Foncières confirme que
les groupements MMD ont évolué du statut d’associations d’épargne et de crédit vers un
mouvement social qui défend les droits des femmes et contribue à les garantir à travers la
participation à des espaces de concertation mise en place par l’Etat.
Données par rapport à l’accès à la terre par les femmes
-
De l’étude de base, il ressort que seules 4% des femmes héritent la terre dans la zone
d’intervention du projet.
-
L’étude sur les dynamiques locales mentionne un taux de 8% des femmes qui héritent,
deux années plus tard, soit une augmentation de 100%.
-
Aujourd’hui une élévation de ce taux est réalisée mais pas encore estimée.
Les femmes membres des Commissions Foncières au niveau village dépassent le taux de 10%
pratiqué, et atteignent 20 à 40%. La grande majorité des ces Commissions Foncières ont au moins
30% de femmes en leur sein, et ont ainsi atteint la masse critique permettant l’expression libre des
femmes lors des rencontres.
Et les résultats sont déjà visibles. A travers les débats, les sketchs, les émissions à la radio, les
centres d’écoute les femmes connaissent leurs droits ainsi que les voies de recours pour la
réclamation des terres et exercent leurs droits en cas de nécessité, d’abord en famille, puis chez le
chef en lien avec les membres de la Commission Foncière. Actuellement au moins 3325 femmes
des groupements MMD, partenaires du projet, sont informées et ont fait valoir leurs droits.
Nombreuses sont les femmes non membres qui détiennent les mêmes informations mais dont le
nombre ne peut être estimé.
IFETE a aussi développé l’accès collectif des femmes au foncier agricole. A plusieurs endroits, elles
ont acheté des terrains avec l’appui du projet et elles pratiquent de l’agriculture traditionnelle
comme les cultures de mil et d’arachide ainsi que la plantation pour les espèces à haute valeur
nutritives (moringa olifera). A d’autres endroits les femmes ont reçu des champs collectifs en
donation de la part de chefs ou de la commune. Néanmoins, souvent les groupes féminins
manquent de fonds pour passer à l’achat même lorsque les rares opportunités se présentent.
Les femmes pratiques également de l’agroforesterie sur les champs collectifs. Il s’agit de
promouvoir l’introduction et la réapparition des espèces recherchées, disparues ou en voie de
l’être. Cependant, la faisabilité de ce type d’actions est limitée par la difficulté d’avoir une clôture
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pour les champs des femmes, mais l’expérience demeure favorable pour les femmes qui
expérimentent l’agroforesterie comme une source certaine de revenus. Cependant les femmes
n’ont pas encore commencé ces pratiques dans leurs champs individuels.
Rôle émancipateur de l’Islam –Débat entre droit moderne et religieux
Comme déjà souligné, le débat sur le foncier rural devrait se faire - et continue à être mené - dans
un contexte local (communautaire) particulièrement défavorable à l’accès et le contrôle de la terre
par les femmes. Dans son plaidoyer IFETE s’est basée sur la politique foncière et des préceptes
islamiques qui permettent l’accès des femmes à la terre en tant qu’héritière. Il a cherché à s’allier
aux partenaires crédibles et stratégiques pour porter le plaidoyer, notamment les religieux et les
autorités coutumières - en fait ceux même qui étaient les acteurs principaux de la discrimination
foncière. Le projet a adopté une démarche discrète en facilitant le débat entre droit moderne et
droit religieux. Il a rassemblé les acteurs principaux représentants des institutions étatiques
(commission foncières), réligieuses (marabouts) et de la société civile (ONG, groupements de
femmes) pour débattre la problématique, pour écouter les témoignages, pour analyser les
avantages et les risques et pour proposer des solutions. Ainsi IFETE s’est inscrit dans des
dynamiques locales et les renforce, contribuant ainsi à des changements durables.
Il est évident que la transition des pratiques traditionnelles aux nouvelles pratiques connaît
beaucoup de résistances aussi bien des frères cohéritiers que de certains religieux. Il est donc
important de bien choisir ses alliés et de collaborer avec des marabouts crédibles et instruits ayant
plus d’ouverture d’esprit. Les marabouts qui se sont engagés dans le plaidoyer pour sécuriser
l’accès à la terre par les femmes ont avancé qu’à travers le projet IFETE, ils sont mieux outillés et
motivés pour jouer le rôle qui a été toujours le leur.
Un marabout témoigne : ‘‘Nous avons commencé à accorder aux femmes leur droit à l’héritage
foncier, face à leur manque d’accès au gamana. Un marabout de Tsofon Gari12, le premier
marabout qui avait résisté à cette idée en déclarant lors d’un partage des champs, je n’ai jamais
partagé un héritage foncier avec les femmes, je ne vais pas commencer maintenant, je ne leur
donne rien … et il lui avait été rétorqué par un autre marabout : Ce n’est pas toi qui donne aux
femmes une part d’héritage, mais le Coran… On te demande simplement d’appliquer un ordre de
Dieu.’’
‘‘Grace aux prêches nous femmes de ce village accédons aujourd’hui à la propriété foncière pleine ;
nous sommes des héritières comme les hommes. Cela je ne le savais pas avant que les marabouts ne
l’expliquent. D’autres femmes ont aussi fait reprendre des partages de terres effectués il y a 20 ans.
Le Coran nous a donné des droits et nous les prenons. ‘‘ Une femme de Tabarawa
Le projet a démontré qu’il est possible d’améliorer le statut foncier de la femme par une démarche
discrète de plaidoyer visant les acteurs locaux, particulièrement les leaders religieux et coutumiers.
On peut dire que dans le contexte du projet, l’application de la loi islamique a permis une grande
avancée concernant l’accès à la terre par les femmes et que l’Islam a été dans ce cas un facteur de
changement et d’émancipation des femmes rurales dont la majorité n’a pas été scolarisée.
De nouveaux défis à relever
Lors de l’exercice de la capitalisation des défis supplémentaires issue de la mise en œuvre ont été
relevés pour IFETE.
Malgré les effets encourageants du projet, le défi demeure pour les groupements MMD et leurs
leaders de susciter davantage l’engouement dans la mobilisation de toutes les femmes à l’échelle
nationale en matière de revendication de leur droits fonciers. En plus, il est important d’appuyer
12
Quartier du village de BOUZEY
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financièrement les femmes des groupements féminins à acheter la terre pour une exploitation
collective et ainsi réduire le clivage entre les femmes qui ont des terres sécurisées et celles qui n’en
ont pas. Dans cet objectif, les autres (futurs) projets de CARE offrent des opportunités pour
multiplier les efforts et les résultats.
Par ailleurs, le suivi de l’impact de la sécurisation des terres des femmes s’impose afin de connaître
les effets sur l’accroisement de leurs revenus et les nouvelles ouvertures et opportunités qui
s’offrent suite aux changements.
Lors de l’exercice de capitalisation des faiblesses ont été démontré dans le fonctionnement des
Commissions Foncières et d’autres institutions comme la police et la justice. Quant aux
Commissions Foncières, le fait que ces structures n’existent pas dans tous les villages limite l’accès
des femmes aux instances de gestion foncière. Aussi la forte demande des actes impose une
réflexion sur la possibilité de créer des structures intercommunautaires, permettant ainsi un
élargissement de la couverture des terroirs à partir d’un centre ou communauté donnée.
Les rôles à jouer par les femmes et les hommes – représentants des agriculteurs ou des pasteurs
dans les Commissions Foncières sont à mieux déterminer pour qu’ils/elles puissent réellement
jouer leur rôle de représentants/tes. Il importe également de former tous ces acteurs et de mettre
tout le monde au même niveau de compréhension sur le Code Rural et plus particulièrement sur les
droits fonciers de chaque partie prenante, femmes et hommes, ruraux et urbains, agriculteurs et
pasteurs. Il est bien d’insister sur ce point car la sécurisation globale des droits fonciers des
communautés vulnérables est un préalable à la sécurisation des droits fonciers des femmes dans
ces mêmes communautés.
Toujours dans la démarche d’accompagnement les femmes à participer de façon efficace à la
gestion foncière la réflexion sur la mise en réseau des femmes membres des Commissions
Foncières de base au niveau départemental est à poursuivre.
La politique foncière nigérienne est toujours ouverte à des adaptations. Et IFETE qui vise la mise en
application des textes selon une démarches genre sensible, pourrait aussi à termes influencer la
politique foncière dans la prise en considération du genre, conformément à la politique nationale
genre et à la Constitution du pays. Dans cette démarche c’est indiqué de s’allier au Ministère de la
Popultion, de la Promotion de la Femme et de la Protection de l’Enfant qui a pour mission de
défendre les intérêts des femmes et de redresser les déséquilibres en matière d’accès au foncier.
D’autres opportunités sont à saisir pour renforcer la position des femmes par rapport aux questions
foncières notamment les aménagements des terres en cours dans le cadre de l’I3N (l’Initiative des 3
N, les Nigériens qui Nourissent les Nigériens).
Finalement, des questions fondamentales restent à débattre :
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la question de la sortie de la terre de la famille qui constitue clairement un frein à l’accès
des femmes à la terre notemment au moment de l’héritage
les conséquences de la division des champs et leur morcellement accélérée qui met en
danger la rentabilité des activités agricoles et la survie des ménages ruraux
un plaiodyer faisant le lien entre problématique foncière et les questions démographiques.
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CONCLUSIONS
Suite à ce travail de capitalisation par rapport aux connaissances acquises sur la problématique et
sur la démarche du projet IFETE les conclusions majeures sont :
Quelque soit le niveau d’inégalité et d’inéquité dans une communauté humaine, elle
renferme toujours des agents de changements en son sein. Il faut se donner le temps et les
moyens de les identifier et de les aider à jouer leur rôle dans les actions de développement.
Quelque soit l’apparence figée d’une communauté humaine elle comporte toujours en son
sein des dynamiques locales porteuses. Il faut savoir les identifier, les analyser et les
comprendre dans le but de savoir ce qu’elles offrent comme porte d’entrée.
Lorsqu’on arrive à combiner des dynamiques porteuses avec des agents de changement, la
transformation sociale devient plus rapide et de plus grand impact avec aussi plus
d’opportunité pour la perpétuation des bonnes pratiques.
Quelque soit la façon de sécurisation de l’accès à la terre par les femmes, individuelle ou
collective, l’amélioration du statut foncier des femmes conduit à une transformation des
rapports sociaux en milieu rural à travers le renforcement du pouvoir économique. Les
femmes qui ont leur propre champ ont la possibilité de décider d’y cultiver et d’en avoir un
revenu leur permettant d’assurer leurs responsabilités dans le ménage et d’être partenaire
économique de l’homme.
C’est à travers ces approches et dynamiques que IFETE peut contribuer à la réduction des clivages
entre les institutions coutumières, étatiques et société civile, entre différents groupes ethniques,
entre hommes et femmes permettant de conjuguer les efforts et l’énergie pour un développement
équitable et durable.
Bibliographie
"Comment les droits fonciers des femmes peuvent-ils être garantis?" Synthèse d’une discussion en
ligne, International Land Coalition, 2013, 4p.
Initiative Femmes et Terroirs – IFETE (Mata Da Karkara) - Un combat contre la Déféminisation de
l’Agriculture, M. Diarra, M. Monimart, 2009, 31p.
Landless women, hopeless women? Gender, land and decentralization in Niger, Making
Decentralisation Work, IIED, M. Monimart, M. Diarra, 2006
Rapport annuel 2011, IFETE/RNA, CARE Niger
Rapport annuel 2010, IFETE/RNA, CARE Niger
Rapport de capitalisation des processus developpés et connaissances acquises par IFETE/RNA
dans l’accès des femmes à la terre, M.Diarra, Staff CARE IFETE, HIMMA, AREN, 2013, 17p.
Rapport d’étude : Evaluation genre de la situation socio-foncière dans six communautés de la
région de Maradi, Projet IFETE/RNA, M. Diarra, 2010, 43p.
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