le hainaut français et la biere

Transcription

le hainaut français et la biere
LE HAINAUT FRANÇAIS ET LA BIERE
Par Pierre-André DUBOIS
La région de Valenciennes, capitale du Hainaut français se révèle d'un grand intérêt sur les
plans de l'histoire, de la tradition et du patrimoine brassicole. Nous allons jeter un coup d'œil sur
cette contrée exceptionnelle par le nombre et la quantité des brasseries recensées, berceau, il y a
quelques décennies, de la renaissance des Bières de Noël et des Bières de Garde.
LA GEOGRAPHIE
Le Hainaut français, désormais inclus dans les arrondissements de VALENCIENNES et
d'AVESNES, constitue, avec la Flandre et le Cambrésis, une des trois entités de notre département
du Nord.
Ses limites géographiques lui ont conféré une forte identité :
- A l'ouest : frontière naturelle remarquable, limite occidentale de la Lotharingie (Traité de Verdun.
843) puis du St Empire romain germanique.
- Au sud : le comté épiscopal de Cambrai.
- A l'est, lorsque le Hainaut devient vert et bocageux, aux confins des Ardennes : le duché de
Luxembourg.
- Tandis qu'au nord une frontière, artificielle celle-là, résultat des traités de NIMEGUE (1678) et
d'UTRECHT (1713) le sépare du Hainaut belge resté culturellement très proche.
N'oublions pas, entre Scarpe et Hainaut, deux vieux cantons carolingiens : le Pagus de la Scarpe
et celui d'Ostrevant ballottés entre Flandre et Hainaut jusqu'au rattachement définitif au Hainaut au
10è siècle.
L'Ostrevant, c'est le fief du dernier brasseur artisanal, issu d'une longue tradition, de
l'arrondissement de Valenciennes : Alain DHAUSSY "La Choulette" à HORDAIN.
L'HISTOIRE
Entre l'Escaut et la Sambre s'étendait, quelques siècles avant l'ère chrétienne, la terre des
Nerviens combattants redoutables qui, lors de la conquête de la Gaule, semèrent bien souvent la
panique dans les légions de César.
Trouvaient-ils leur courage et leur force dans les boissons des dieux et des guerriers?
Ils usaient certainement comme leurs voisins les Atrébates et les autres peuples de la Gaule
belge, de cervoises brassées de façon domestique.
Au temps des brasseries monacales, nos abbayes, notamment celles de Saint-Saulve,
Maroilles, Saint Amand, Hasnon et Crespin, possédaient toutes une ou plusieurs brasseries.
Aux 12e et 13e siècles, dans nos districts ruraux, la brasserie domestique s'étoffe et devient
agricole, tandis qu'en ville un artisanat brassicole prend son essor.
Jusqu'à l'annexion du territoire par les Français, lorsque Louis XIV voulu sécuriser les
frontières nord du royaume (Valenciennes se rendit en 1677), les brasseries poursuivent dans le
Hainaut une évolution semblable à celle des autres provinces bourguignonnes alors sous
domination espagnole.
© Contribution de M. Pierre André Dubois
Brasserie artisanale la Choulette à Hordain, France
Maître Brasseur, Président d’honoraire
www.Lachoulette.com
de l’Association des Amis de la Bière
Les textes présentés sont extraits de la Gazette des Eswards
avec l’autorisation de l’Association des Amis de la bi!ères. Ils ont été relus et actualisés par l’auteur
1/5
Une lecture attentive et comparée des trois thèses qui font référence en la matière : celle de
Louis DUBOIS et de Marie Martine JANICOT pour LILLE, celle d'Achille TROTTIN pour
VALENCIENNES permet de confirmer la similitude des parcours.
On y découvre le rapport de force qui existait entre les autorités le magistrat (assemblée formée
du prévôt et de douze échevins jurés qui réunit les pouvoirs législatifs, administratifs et judiciaires)
et les brasseurs. Ce qui favorisera la naissance des corporations de brasseurs comme contrepouvoir. Celle de VALENCIENNES fût reconnue au XVIe siècle.
Le magistrat fixe le nombre des brasseries, le prix de la bière et le montant des taxes. Sur ce
dernier point, VALENCIENNES a été particulièrement "choyé"!
En 1673, les taxes représentaient 67 % du prix de vente de la bière. Il fallait, en outre, de
temps à autre, y ajouter des "prélèvement exceptionnels" tel le financement de l'Hôpital Général, en
1774, qui provient d'un impôt de 2 liards le pot de bière cabaretière.
Un tel niveau d'imposition rendait la fraude inévitable. D'autant qu'il existait des exemptions
d'impôts pour les militaires et les religieux et qu'en plus, hors de la Ville close en banlieue, les bières
appelées "manantes" ne subissaient pas de taxes d'octroi. Il y avait donc grand intérêt à se
ravitailler "duty free" aux cantines militaires ou chez les chanoines … ou bien encore à boire un
verre à la campagne.
Pour éviter la fraude si tentante, une réglementation complexe et tatillonne, a été
promulguée au fils des ans. A noter que certaines pratiques telle que la déclaration de mise au feu
resteront en vigueur jusqu'en 1945.
Enfin les trois catégories de bières autorisées : la bourgeoise destinée à la clientèle
particulière, la cabaretière destinée à la vente au détail et la petite bière (issue du lavage des
drêches) avaient des taux d'imposition différents. Ce qui obligeait à séparer et à suivre jusqu'au
consommateur le parcours des différentes sortes de bière; de nos jours, on dirait : assurer la
traçabilité.
La petite bière, par exemple, était consommée dans des cabarets de 2e zones appelés
"sacries".
Une telle complexité dans la fiscalité eut au moins un avantage, celui de créer des emplois.
Près d'une centaine de commis, généralement assermentés, visitaient, à Valenciennes, les
brasseries et les cabarets traquant la nuit les transports illicites. Ajouter à cela les égards (appelés
en Flandre ESWARDS, contrôleurs assermentés par le magistrat), les mesureurs, les jaugeurs.
Bref, tout un monde plutôt folklorique, pas toujours aussi honnête qu'il aurait fallu.
Toujours pour éviter la fraude, il est interdit au brasseur de transporter le grain braisé (malt),
un moment obligatoirement moulu au moulin à brai (de la Citadelle). Cette manipulation était confiée
au "porte-sacqs". De même, les bières ne pouvaient être transportées et encavées que par la
corporation des "brouteux" et seule la corporation des tonneliers avait le monopole de façonner et
de réparer la futaille.
Le rattachement à la France de la partie Sud du Hainaut (1678) va provoquer d'importantes
modifications politiques : un pouvoir autoritaire et centralisé va succéder à une administration plus
libérale vis-à-vis des provinces et des cités affaiblissant la puissance des magistrats et par contre
coup celle des corporations.
Toujours à court d'argent, le pouvoir royal, qui ne peut augmenter les impôts sur la bière déjà
à la limite du supportable (près de 60% du prix de la bière), va trouver une astuce : créer des offices
héréditaires de brasseurs qu'il faudra, bien sûr, acheter à l'Etat.
© Contribution de M. Pierre André Dubois
Brasserie artisanale la Choulette à Hordain, France
Maître Brasseur, Président d’honoraire
www.Lachoulette.com
de l’Association des Amis de la Bière
Les textes présentés sont extraits de la Gazette des Eswards
avec l’autorisation de l’Association des Amis de la bi!ères. Ils ont été relus et actualisés par l’auteur
2/5
Jusqu'alors, et à Valenciennes depuis 1656, le droit de brasser était délivré par le magistrat
sous couvert de la corporation. Le brasseur devait, après apprentissage et "chef d'œuvre", avoir été
reconnu Maître brasseur.
La nouvelle disposition (1693) se résumait tout simplement à faire acheter par les brasseurs
un droit qu'ils possédaient déjà ! Ils entrèrent en résistance, continuèrent à brasser (sans
autorisation) refusant d'acheter les offices.
Un compromis est trouvé en 1694, la ville rachète les 28 offices et amortira sur sept années
son investissement par une imposition de sept patars et demi sur chaque sac de grain braisé.
Puis vint la révolution de 1789.
Concrétisant un courant d'idées individualistes issues des "lumières", la loi Le Chapelier
(1791) supprime toute association de gens d'un métier. Exit les corporations.
Par contre les impôts ne sont pas supprimés. Il ne faut pas rêver !
En ce début du XIXe siècle, la révolution qui nous intéresse n'est pas politique mais
technique et économique; c'est la révolution industrielle.
Grâce à quelques inventions fondamentales : machines textiles, machines à vapeur, hauts
fourneaux, mais surtout grâce à la découverte de nouvelles sources d'énergie : houille puis pétrole
et électricité, cette révolution va, en un siècle changer les rapports de l'homme avec la nature et de
façon de vivre. Elle va démultiplier la production, faciliter les transports et créer d'énormes richesses
malheureusement inégalement partagées.
Dans ce contexte, le Hainaut français va bénéficier d'un atout exceptionnel, un vrai filon… un
filon de houille découvert en 1716 à Fresnes par le verrier DESANDROUINS. L'extraction, modeste
au départ, mettra longtemps à se développer mais explosera au milieu du 19e siècle.
La richesse du sous-sol va permettre, en surface, un essor industriel considérable, textile
d'abord, puis à partir de 1880, métallurgique; lorsque la liaison ferroviaire avec la Lorraine permettra
l'échange charbon - minerai de fer.
Concentrée autour de deux pôles : Valenciennes, Anzin, Denain et Maubeuge, Hautmont,
Jeumont, l'industrie bouleverse le paysage, l'habitat et le mode de vie. De modestes bourgs vont
devenir en quelques décennies de véritables villes.
Il faut loger, nourrir, vêtir ces paysans venus chercher du travail et devenus prolétaires. Il faut
aussi assouvir leur soif. Car ils aiment, après leur dur labeur, se retrouver à l'estaminet pour fumer
une pipe autour de quelques chopes. Et ils aiment faire la fête à la ducasse, à la Ste Barbe, à la St
Eloi.
Malgré leur faible pouvoir d'achat, c'est bon pour le commerce.
Période faste pour les artisans brasseurs du coin. Le nombre des brasseries décuple dans les
régions en cours d'industrialisation. A Denain, il y eu jusqu'à 32 brasseries pour ce village devenu
ville de 20000 habitants.
En cette fin du 19e siècle, le paysage brassicole va changer considérablement. Bien sûr, il
reste des zones rurales qui n'ont guère évoluées avec leurs paysans brasseurs, mais on y sent un
frémissement. Certains songent s'agrandir et à se moderniser.
Les villes se sont ouvertes, les murs sont tombés; quelques agglomérations sont devenues
tentaculaires, on va de Valenciennes à Condé par une très longue rue bordée de corons et d'usines.
© Contribution de M. Pierre André Dubois
Brasserie artisanale la Choulette à Hordain, France
Maître Brasseur, Président d’honoraire
www.Lachoulette.com
de l’Association des Amis de la Bière
Les textes présentés sont extraits de la Gazette des Eswards
avec l’autorisation de l’Association des Amis de la bi!ères. Ils ont été relus et actualisés par l’auteur
3/5
Des artisans dynamiques s'installent dans ces cités, à coté des anciens, suscitant
l'émulation. Tous brassent encore en fermentation haute et fermentent en fûts d'expédition, mais
certains adoptent le chauffage et la force motrice "à la vapeur".
Une minorité va plus loin. Ces entrepreneurs, plus hardis, ambitionnent d'étendre leur
clientèle en se modernisant et en améliorant la qualité de leur production. Ils songent à la
fermentation basse, au conditionnement en bouteilles, à la filtration des bières voire à la
pasteurisation.
Pour investir, ces brasseurs ambitieux ont besoins de capitaux; certains les trouvent en
formant une société anonyme. Parallèlement dans le contexte des luttes sociales, on assiste à la
création de brasseries coopératives dont certaines sont déjà importantes.
C'est ainsi que, peu à peu, se crée le lent processus de concentration de l'industrie brassicole qui
va caractériser le XXe siècle.
Au cours du XXe siècle, le Hainaut français a vécu des événements semblables à ceux
des autres terroirs de notre région. L'évolution brassicole n'y a pas été différente (1).
(1)voir les gazettes Spécial Noël 1994 pages 7 à 15 «!Les Brasseurs du Douaisis!» et Spécial Noël
1997 pages 5 à 8 «!Les Brasseurs du Pas de Calais!»
Les progrès techniques nécessitent d'importants investissements sans cesse renouvelés, les
destructions et pillages des deux guerres mondiales, la concurrence de plus en plus vive, tous ces
facteurs de concentration ont pesé ici comme ailleurs. Ils se concrétisent dans les chiffres du
tableau suivants : (arrondissements de Valenciennes et Avesnes).
Année
1910
Nombre de
brasseries
1926
1938
1948
1960
1980
1998
489
247
181
71
22
13
6
© Contribution de M. Pierre André Dubois
Brasserie artisanale la Choulette à Hordain, France
Maître Brasseur, Président d’honoraire
www.Lachoulette.com
de l’Association des Amis de la Bière
Les textes présentés sont extraits de la Gazette des Eswards
avec l’autorisation de l’Association des Amis de la bi!ères. Ils ont été relus et actualisés par l’auteur
4/5
Un amour de bière brune
L'évolution technique a entraîné, parallèlement, des changements dans les habitudes et dans les
goûts des consommateurs.
Entre les deux guerres, malgré les périodes de crise, le pouvoir d'achat a augmenté, surtout dans
ces régions industrialisées.
La bouteille d'un litre à bouchon mécanique est apparue sur la table du bourgeois et aussi sur
celle de l'ouvrier souvent actionnaire d'une brasserie coopérative. On boit au cours du repas de la
bière de table (2°) mais aussi de la bière bock (3°). Au travail, on boit de la petite bière (1°) en
grande quantité; il fait terriblement chaud au pied du haut - fourneau ou du four à verre.
«!Après l'effort, le réconfort!», la détente – au café , le bourgeois trouve son plaisir avec des
bières venues de l'Est : de Lorraine, d'Alsace, voire de Munich désormais «!à la pression!». Tandis
qu'à l'estaminet, le travailleur se refait des forces auprès de bières denses (5 à 6°) conditionnées en
canettes de 33 cl. Ces types de bières sont venus, eux, d'Angleterre ou d'Irlande en passant par la
Belgique toute proche où les transfrontaliers pouvaient en faire la promotion.
Elles obtinrent un tel succès que les brasseurs - de Maubeuge à Valenciennes – décidèrent de
s'adapter au goût du jour.
C'est ainsi que naissent nombre de «!Scotch!» (ambrée), de «!Porter!» (plus foncée) et de
«!Stout!» à la couleur du café.
Stout : Alliance (Dumont) - Impérial (Gouvion) - Cordia (Mandron) - Asport (Gillet) – Forta et
Nectar (Lecq) – de l'Abbaye (Bouchart) – Val'stout (Baré) etc ...
Porter : Porter 39 (Maubeuge) – Sup'Porter (Corbeau) etc ...
Scotch : Auld Scotch (Lecq) – Sambre Scotch (Solesme) – Scotch 39 (Maubeuge) etc ... et la
série des suffixes «!brau!» pour des brunes plus légères : Vilbrau (Dubois-Vaast) – Valbrau et
Starbrau (Baré) – Stenn-Brau (Gouvion) etc ...
Les marques les plus célèbres furent la CROWN de Bouchart, la PORTER 39 (Maubeuge), la
VILFORTH de Dubois-Vaast.
Après la 2ème guerre mondiale, et ses restrictions, il reste dans les esprits, la nostalgie de ces
bières fortes brunes et aromatiques. On pouvait les trouver en Belgique, devenue vis à vis de nous,
un pays de cocagne aussitôt la libération. Il nous a fallu attendre longtemps un ravitaillement normal
en grain, pour songer à brasser à nouveau des bières denses. C'est ce que tentèrent quelques
brasseurs du Valenciennois vers 1960. Ils le firent au moment de Noël pour un ou deux brassins et
ainsi renouer avec une tradition.
Ce fut un très grand succès, on connaît la suite ...
Vous voyez, cher lecteur, le Hainaut français n'a pas usurpé son titre de : «!Terre de
Brasseries!».
© Contribution de M. Pierre André Dubois
Brasserie artisanale la Choulette à Hordain, France
Maître Brasseur, Président d’honoraire
www.Lachoulette.com
de l’Association des Amis de la Bière
Les textes présentés sont extraits de la Gazette des Eswards
avec l’autorisation de l’Association des Amis de la bi!ères. Ils ont été relus et actualisés par l’auteur
5/5