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ASSOCIATION POUR LA CONSERVATION, LA PROMOTION DE LA
PROPRIÉTÉ ET DES ARCHIVES DES FRÈRES CHAMPOLLION
Association culturelle régie par la Loi du 1er juillet
1901, ayant pour but : la mise en valeur, l’étude et la
protection de la propriété et des archives des Frères
Champollion à Vif, ainsi que la création d’un centre
international d’Egyptologie, réunissant et conservant
les archives des grands égyptologues disparus.
Siège social :
Musée Dauphinois – 60, rue Maurice Gignoux – 38031 GRENOBLE CEDEX 1
Comité d’honneur :
Président d’honneur : Son Excellence Fathy SALEH (Egypte)
Les égyptologues :
Madame Christiane ZIEGLER, Conservateur Général des Antiquités Egyptiennes (Musée du
Louvre).
Messieurs les Professeurs James ALLEN, Vice-Président de l’Association Internationale des
Egyptologues (U.S.A .), Jan ASSMANN (Allemagne), Charles BONNET (Suisse), Herman
DE MEULENAERE (Belgique), Philippe DERCHAIN (Allemagne), Christophe EYRE,
Président de l’Association Internationale des Egyptologues (Grande-Bretagne), Jean-Claude
GOYON, Président de l’Association CCPA Champollion (France), Erik HORNUNG
(Allemagne et Suisse), Joseph PADRO PARCERISA (Espagne), Alessandro ROCCATI
(Italie), Dirk VAN DER PLAS (Pays Bas), Claude VANDERSLEYEN (Belgique), Pascal
VERNUS (France), Jean YOYOTTE (France).
Le maire de Vif :
Madame Brigitte PERILLIÉ
Membres du Conseil d’Administration :
Mesdames Christine CARDIN, Jacqueline CHAMARIER, Françoise FABRE, Magali
FRANCOU-CARRON, Véronique GAY, Marie-Christine GRABER, Annie MOUCHET,
Françoise MOYEN.
Messieurs Jean-Claude GOYON, Henri PERRIN.
Composition du bureau :
Président : Jean-Claude GOYON
Vice- président : Henri PERRIN
Trésorière : Christine CARDIN
Secrétaire : Annie MOUCHET
En couverture : la stèle du Vizir OUSER (Musée de Grenoble)
-2-
SOMMAIRE
Résumés de conférences
Page 4
Les villes et les ports immergés de la côte alexandrine
Découvertes récentes et recherches en cours.
D’après la conférence de Jean Yoyotte
Page 8
La stèle du vizir Ouser-Amon : un haut fonctionnaire
de la XVIIIe dynastie.
Stèle d’Uriage n° 10, musée des Beaux-Arts de Grenoble
D’après la conférence de Christine Cardin
Page 15
Pêcher, chasser, passer une belle journée,
ou les loisirs de saison dans la vieille Egypte.
D’après la conférence de Jean-Claude Goyon
Page 18
A l’approche d’un centenaire :
la découverte de la cachette de Karnak.
D’après la conférence de Herman De Meulenaere
Vie de l’association
Page 22
Compte-rendu de l’Assemblée Générale
du 19 janvier 2002
Page 23
Programme des activités pour 2002-2003 :
Conférences et visites de musées.
Rédaction du bulletin : Gisèle et Serge Maldivi, Annie Mouchet.
-3-
Les villes et les ports immergés de la côte alexandrine
Découvertes récentes et recherches en cours.
D’après la conférence de M. Jean Yoyotte,
professeur honoraire d’égyptologie au Collège de France.
Samedi 17 novembre 2001. Salle de la Maison du Tourisme. Grenoble
L’essentiel des travaux de Jean Yoyotte se situe à Tanis et, de façon plus générale, en Basse
Egypte. Cette région du delta du Nil est la moins connue car les sites, peu spectaculaires, se
réduisent à des vestiges, le plus souvent à l’état de décombres.
Pourtant elle est intéressante à plus d’un titre : de manière anecdotique, puisque Champollion
a pu déchiffrer les hiéroglyphes grâce à la fameuse «Pierre de Rosette» trouvée à
l’embouchure de la branche du Nil de Rosette, mais surtout parce que cette région a été le
centre de la vie politique, économique et spirituelle de l’Egypte au cours du 1 er millénaire
avant notre ère. Après une période difficile (dite : la Troisième Période Intermédiaire),
l’Egypte reconstitue son unité et sa puissance et connaît une véritable renaissance des arts et
de la culture : c’est l’époque saïte, la capitale étant Saïs dans le Delta.
Or, les recherches relatives aux villes et aux ports immergés de la côte alexandrine de l’équipe
de Franck Goddio s’inscrivent dans le contexte des précédentes fouilles à Tanis, et dans
l’étude de cette période essentielle. A cela s’est ajouté l’intérêt pour les méthodes
scientifiques de prospection topographique sous-marine mises au point par Franck Goddio
(par ailleurs fondateur de l’Institut Européen d’Archéologie sous-marine). Cet ingénieur en
archéologie sous-marine spécialisé dans les relevés topographiques ayant découvert, lors de
ses premières fouilles dans le port oriental d’Alexandrie, des inscriptions hiéroglyphiques,
contacta Jean Yoyotte qui, dès cet instant, participa aux démarches méthodologiques
concernant les deux secteurs explorés : l’un dans le port oriental d’Alexandrie, l’autre dans la
baie d’Aboukir (connue pour les batailles livrées par Bonaparte) dont le nom ancien est
Canope.
Depuis 1991, l’équipe de Franck Goddio a obtenu une masse considérable d’informations que
plusieurs conférences ne suffiraient pas à exposer. C’est pourquoi la présente conférence se
limite aux découvertes les plus récentes, celles d’avril mai 2001. Des objets sont présentés
avec des commentaires accompagnés d’hypothèses prudentes, bien loin des conclusions
hasardeuses qu’affectionnent certains médias épris de sensationnel…
Le site étudié, localisé et dûment cartographié grâce aux auteurs grecs anciens, se trouvait
dans la baie d’Aboukir et portait le nom d’Héracléion en raison d’un temple consacré à
Héraclès qui y était bâti. Pour les Egyptiens, ce lieu s’appelait Thôné, d’après le nom du
gardien de la Bouche du Nil : Thônis. Les Grecs y situaient un certain nombre de leurs
légendes, illustrant ainsi, dans le domaine imaginaire, leurs contacts réels et économiques
avec les Egyptiens. Les recherches de l’équipe de Franck Goddio ont permis d’atteindre le
niveau du sol et de dater, du VIIIe siècle avant notre ère au moins, les restes d’un culte encore
contemporain d’Hérodote, au Ve siècle avant notre ère. Il fut surtout prospère du IVe siècle
avant notre ère jusqu’à l’époque ptolémaïque, et perdit son importance à l’époque romaine.
La prospection s’est effectuée sur un site de 2 km de côté, occupé par une sorte de péninsule
où était construit un temple avec de gros blocs (probablement abattu par une secousse
sismique, avant son immersion) et une sorte de lac naturel alimenté par une branche du Nil et
comportant des installations portuaires. La découverte de nombreux monuments et
inscriptions hiéroglyphiques témoigne des rapports étroits, tant économiques que culturels
qu’entretenaient Grecs et Egyptiens, ce dont les diapositives projetées donnent une idée.
-4-
▬ Une première vue d’un fond sous-marin, avec un quadrillage tendu, permet de juger des
conditions de travail de ces fouilles : la visibilité ne dépasse pas 2 m et nécessite l’utilisation
de puissants projecteurs. Le quadrillage en place est l’opération préliminaire indispensable
pour effectuer les relevés topographiques par relais satellitaires et pratiquer la détection
magnétométrique pour le repérage de concentrations d’objets sous des sédiments.
▬ Deux autres diapositives montrent la remontée de 2 statues : celle d’une reine, de 5 m
de haut, et celle du torse colossal d’un roi ptolémaïque. C’est la preuve de la présence de
grands monuments en excellent état de conservation sur le site. Le Service Egyptien des
Antiquités a souhaité faire émerger quelques pièces exceptionnelles, opérations spectaculaires
fort appréciées des médias…
▬ Une série de photographies montre ensuite des poteries (certaines intactes, d’autres à
l’état de tessons) et des récipients de métal qui constituent un ensemble cohérent puisqu’il
s’agit d’objets consacrés à l’équipement rituel d’un temple, notamment une louche en bronze
à manche vertical semblable à d’autres louches découvertes dans des caches de temple à
l’intérieur du pays. Un sistre (instrument de musique à vocation religieuse) et des situles
(grands vases à libation) confirment la destination rituelle de l’ensemble.
▬ Des figurines votives en bronze représentant des dieux ont été retrouvées, dont deux ont
été identifiées comme les représentations d’Harpocrate (nom grec tiré de l’égyptien « Horus
l’enfant ») et de Khonsou (fils du « roi des dieux » Amon-Rê et de son épouse Mout). Le
temple d’Héracléion étant consacré à Héraclès, on ne peut manquer de voir le rapprochement
entre Khonsou et Héraclès, fils de Zeus, le roi des dieux grecs.
▬ Sur les diapositives suivantes, des objets ont une décoration évidemment inspirée de
l’art grec : un brûle-parfum de bronze en forme de sphinge (sphinx à buste de femme pourvu
de deux ailes), une céramique ornée d’une panthère, animal typiquement dionysiaque, un vase
avec une ménade (compagne du dieu Dionysos). On peut s’interroger sur l’origine exacte de
ces pièces : s’agit-il de copies ou d’objets d’origine grecque ?
▬ La présentation des grands monuments de pierre de style égyptien, débute avec
l’examen de l’un des deux naos de pierre qui ont été retrouvés (le naos étant le tabernacle en
pierre qui en contenait un autre plus petit, en bois, où était placé une statue du dieu). Sur ce
naos, figure une inscription particulièrement intéressante car il s’agit du décret de Canope
par lequel un synode de prêtres égyptiens votait, en quelque sorte, des remerciements et des
félicitations au roi Ptolémée III Evergète. Cette pratique caractéristique de la civilisation
grecque consistait à remercier solennellement des mécènes (les Evergètes) pour le
financement de biens publics. D’autre part, dans le texte il est fait allusion au temple
d’Héracléion comme le temple d’Amon-gereb. Il semblerait que ce terme gereb désigne
l’étui-mekes (étui de cuir contenant l’inventaire écrit des biens du pharaon) symbole de la
royauté. Le dieu d’Héracléion est Celui-qui-préside-au-mekes, et c’est Amon-Rê lui-même
qui remet au roi son titre de propriété sur l’univers.
▬ Viennent ensuite les statues colossales :
-La tête de l’un des 7 ou 8 sphinx de grande taille découverts sur le site.
-La statue d’une reine ptolémaïque avec sa coiffure nattée, l’uraeus, la robe d’Isis, datée
probablement du IIIe siècle avant notre ère, sans qu’il soit possible de déterminer avec
précision de quelle reine il s’agit.
-5-
-Une statue de granite rose représentant à coup sûr Hâpy, le dieu de la fécondité qui fait
monter la crue ; des détails incontestables le prouvent, le bouquet de trois papyrus (symbole
de la Basse Egypte) sur la tête, les seins tombants signe non pas de féminité, mais de
prospérité. Il présente sur ses deux bras étendus, un plateau d’offrande. Une photo de sa
remontée au côté d’un plongeur permet d’apprécier la dimension considérable de ce colosse.
-La statue d’un roi coiffé du pschent (la couronne de Haute et de Basse Egypte).
Ces trois dernières statues mesurent toutes plus de 5 m de haut et sont d’une facture
particulièrement soignée ; plusieurs diapositives en font apprécier la beauté. L’un de ces
colosses, celui du roi, est photographié couché sur la barge, entouré de l’équipe de plongeurs,
et surtout posé à côté d’une stèle de la même hauteur.
Cette première stèle représente sur une moitié, un tableau du roi faisant offrande à Amon,
Mout et Khonsou avec, derrière lui, les ancêtres des Ptolémées. L’autre partie, écrite, est très
abîmée. Cependant les trois cartouches sont lisibles. Le premier est celui de Ptolémée III
Evergète II, pharaon connu pour son œuvre politique et législative remarquable malgré les
troubles engendrés par le scandale familial de son mariage avec sa fille. Le second est celui de
Cléopâtre, sa sœur épouse. Le troisième est celui de Cléopâtre, sa fille, qu’il épousa. La partie
écrite qui suit ces cartouches est composée d’une quarantaine de lignes en égyptien
hiéroglyphique et d’un nombre égal de lignes en grec. Une zone plus lisible fait allusion à
l’état du temple d’Héracléion en l’an 44 du règne d’Amasis, pharaon de l’époque saïte. Mais
il faut attendre le déchiffrage complet pour en savoir davantage.
Une deuxième stèle, dans un état exceptionnel de conservation, rappelle au premier coup
d’œil la fameuse stèle de Naucratis, énorme stèle de 2 m de haut, trouvée en 1890 sur le site
de fouilles de Naucratis, elle aussi en parfait état. Dans sa partie supérieure, le tableau
représente Nectanébo I présentant à la déesse Neith de Saïs un plateau d’offrandes et un
collier d’or. Quant au texte, écrit dans un système graphique sophistiqué, il annonce que 10 %
des impôts prélevés pour l’état sur les commerçants grecs seront attribués au temple de Neith
à Saïs. Or, voici que fin avril 2001 est découverte cette deuxième stèle, dans la zone portuaire
d’Héracléion et elle se révèle strictement identique à la stèle de Naucratis : même dimension,
même composition du tableau, même texte et même nombre de colonnes, à croire que les
deux ont été fabriquées en même temps. La seule différence est la phrase finale :
celle de Naucratis : « Sa Majesté dit : que ceci soit établi sur cette stèle dans Naucratis »
celle d’Héracléion : « Sa Majesté dit : que ceci soit établi sur cette stèle à la Bouche de la
mer ». Ainsi la localisation de Thônis, la Bouche de la mer , est devenue une certitude.
▬ Les dernières diapositives montrent de petits objets, certains en or : quelques bijoux
(boucle d’oreille avec un bélier-lion, anneau torsadé) et surtout des pièces de monnaie. Deux
pièces sont l’une à l’effigie de Ptolémée I, l’autre à celle de Ptolémée II. Le revers est souvent
intéressant ; la chouette d’Athènes y figure parfois (comme sur beaucoup de monnaies du
monde antique grec), Héraclès également, avec sa peau de lion, sa massue, son arc et un signe
ânkh.
Ainsi, Héraclès, omniprésent sur ce site, semble bien être assimilé au dieu égyptien Khonsou,
le trait qui les unit étant leur naissance ; comme Héraclès est le fils de Zeus, roi des dieux
grecs, Khonsou est le fils d’Amon, grand dieu solaire égyptien. De tels rapprochements entre
le monde grec et le monde égyptien, suffisent à comprendre l’importance des découvertes
faites à Héracléion.
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« A la bouche de la mer des Grecs, dans la ville dont le nom est La Hôné de Saïs »
Ligne 13 et 14 de la stèle d’Héracléion. D’après Jean Yoyotte, «Le second affichage du décret
de l’an 2 de Nekhtnebef et la découverte de Thônis-Héracléion » Egypte, Afrique & Orient
n° 24, décembre 2001
Carte du Delta (d’après Jean Yoyotte, L’Egypte du Delta : les Capitales du Nord, Dossiers
d’Archéologie n° 213, 1996)
-7-
« La stèle du vizir Ouser-Amon :
un haut fonctionnaire de la XVIIIe dynastie.
Stèle d’Uriage n° 10, musée des Beaux-Arts de Grenoble »
D’après la conférence de Mme Christine Cardin,
professeur d’Egyptologie à l’UIAD de Grenoble.
Samedi 8 décembre 2001, salle de conférence des Archives Départementales de l’Isère.
Cette stèle fut acquise par le Comte de Saint-Ferriol lors de son passage à Louxor en février
1842. Exposée d’abord dans le château familial d’Uriage, elle fut ensuite cédée à la
municipalité de Grenoble lors de la dispersion de la collection.
A cette époque, l’archéologie méthodique n’en était qu’à ses balbutiements et les fouilles se
réduisaient le plus souvent à une « cueillette » sur les sites tandis que les pilleurs et les
marchands-recéleurs alimentaient le marché de l’art.
De ce fait, nous ignorons à quel endroit précis se trouvait la stèle dans le complexe funéraire
d’Ouser qui, au 15ème siècle avant J.-C., administra la ville de Thèbes et toute la Haute
Egypte.
Ses deux hypogées (TT 61 et TT 131) sont situés sur la rive ouest, dans la partie
septentrionale de la colline de Cheikh Abd el-Gourna, près de ceux de grands dignitaires de la
XVIIIe dynastie dont son père Âmtou (TT 83), l’intendant de son père Iamounedjeh (TT 84)
et son propre intendant Amenemhat (TT 82).
En l’an V du règne du jeune Thoutmosis III, le vizir Âmtou, au terme d’une longue carrière,
est remplacé par son fils Ouser-Amon, un théophore signifiant « Amon est puissant ».
« Scribe du Trésor d’Amon » sous Thoutmosis II, Ouser possède toutes les qualités
nécessaires pour accomplir sa mission : c’est un excellent gestionnaire, un serviteur dévoué et
un bon diplomate puisqu’il est non seulement choisi officiellement par le jeune roi mais aussi
officieusement par sa tante et belle-mère, Hatshepsout, qui assure la tutelle et gouverne
l’Egypte.
Le vizir jouit ainsi de la confiance des deux souverains et, vingt-trois ans durant, va exercer sa
fonction: pendant la tutelle du roi, puis pendant la corégence à partir de l’an VI, quand
Hatshepsout prend une titulature royale Maât-ka-Re, enfin après l’an XX lorsque Thoutmosis
règne seul.
En l’an XXVIII, Thoutmosis accorde une retraite bien méritée à son vizir qui dirigea en son
nom la Haute Egypte alors qu’il guerroyait. Puis il nomme vizir de Haute et de Basse Egypte,
le neveu d’Ouser, Rekhmirê, propriétaire de la célèbre tombe TT 100.
Si, de fait, la plupart des fonctions étaient héréditaires en Egypte (le texte de notre stèle nous
le prouve), le vizirat le fut rarement. Nous devons donc expliquer cette lignée de vizirs :
Âmtou vizir de Haute Egypte, son fils Neferoubenef vizir de Basse Egypte, son autre fils
Ouser-Amon vizir de Haute Egypte, puis Rekhmirê vizir de Haute et de Basse Egypte, par
leur compétence, leur loyauté et les liens affectifs très forts les unissant à la famille royale.
Le vizirat apparaît dès la IIe dynastie et se divise en un double vizirat à la XIIe dynastie avec
Memphis ou Licht au nord et Thèbes au sud.
-8-
Le vizir (terme emprunté à la langue administrative de l’empire Ottoman et tjaty en égyptien)
est le plus haut personnage de l’Etat après le roi. En qualité de « prêtre de Maât » (Maât étant
la fille de Rê, l’ordre cosmique et social généré par le Créateur lorsqu’il conçut le monde), il
doit faire régner l’ordre, la vérité et la justice.
Le vizir est donc le juge suprême et le responsable de tous les grands corps de l’Etat ; il
domine l’administration dont il nomme les gouverneurs des provinces et les fonctionnaires ; il
gère les finances, contrôle l’armée, la police, la marine et tout ce qui concerne l’agriculture ; il
surveille les chantiers de construction des monuments et des tombes ; il doit assurer aussi le
bon fonctionnement des ateliers d’Etat.
Pour ce faire, il délègue ses charges, les dispersant en une nébuleuse paperassière de scribes
omniprésents.
La stèle nous énumère une partie des titres religieux et civils d’Ouser :
« préposé aux Pât et gouverneur», « maire de la Ville (Thèbes) et vizir », « préposé à (la ville
de) Nekhen (Hiéraconpolis) », « prêtre de Maât », « juge suprême », « celui du Rideau
(Taity) », « supérieur aux affaires confidentielles du Domaine Royal », « bouche qui apaise
dans le pays tout entier », « surintendant du Double Trésor », « directeur du Double Grenier
d’Amon », « chancelier de toutes les richesses dans Karnak », « directeur des Six Grands
Châteaux ».
Les égyptologues s’interrogent toujours sur le sens et la sphère d’action de certains titres.
Ceux d’Ouser, hérités pour la plupart de son père, en font une sorte de chef de gouvernement
de Haute Egypte, face à ses souverains Thoutmosis III et Hatshepsout.
Le complexe funéraire d’Ouser est exceptionnel. En effet, il est composé de deux hypogées
proches l’un de l’autre.
La tombe n° 61, creusée au Moyen Empire, pillée puis abandonnée, fut récupérée par Ouser
qui fit décorer son long couloir et sa petite chapelle axiale de scènes uniquement funéraires.
Un puits de quinze mètres mène au caveau peint de deux livres funéraires royaux :
- d’une part, la plus ancienne version, chez un particulier, de l’Amdouat ( en égyptien,
« Livre de l’espace caché »),
- d’autre part, des fragments des « Litanies du soleil » ( en égyptien « Livre d’adorer Rê
dans l’Occident »).
Thoutmosis accorda à son fidèle serviteur le privilège de se fondre en l’Energie universelle
Rê, grâce à des images et à des textes normalement dévolus au souverain.
La tombe n° 131 fut prise à son intendant Amenemhat que l’on dota d’une nouvelle sépulture
(n° 82). Elle consiste en une salle d’accueil transverse et en un loculus axial. Les parois sont
décorées de scènes de la vie quotidienne ou professionnelle du vizir.
Premièrement, si l’on juxtapose les deux hypogées d’Ouser, nous obtenons le plan d’une seule
tombe, de type classique de la XVIIIe dynastie, dit en « T renversé ».
Deuxièmement, les différents tableaux se trouvent alors bien situés sur les parois, suivant les
conventions de l’époque. Ils sont malheureusement très dégradés.
Chaque tombe est précédée d’une cour excavée où se déroulaient, comme à l’intérieur de la
chapelle de surface, les cérémonies de la nécropole.
Il est possible que la stèle ait été placée dans l’une des deux cours, puisqu’elle comporte un
« appel aux vivants ».
La façade de la TT 131 présente un décor à redans, « en façade de palais », de fonction
apotropaïque, destiné à protéger la tombe contre toute incursion du Mal.
Elle est sommée d’une pyramide aujourd’hui effondrée, réplique de la pyramide naturelle de
la montagne thébaine, « la Cime », qui domine la nécropole.
-9-
La stèle, d’une hauteur de 64,5 cm et d’une largeur de 44, 5 cm, est en granodiorite provenant
du sud d’Assouan.
Pour les Egyptiens, la pierre est le matériau d’éternité par excellence.
Elle peut être le don d’un roi à un serviteur zélé. Il est probable que le vizir Ouser, grand
directeur de tous les travaux, suivit avec un soin particulier le chantier de son complexe
funéraire et choisit, pour sa stèle et ses statues, des roches d’excellente qualité.
La couleur sombre évoque le noir limon fertile où s’accomplit, en conjonction avec l’eau de la
crue, le miracle de la vie renouvelée.
Le jaune (ocre ou orpiment) qui remplit la gravure de l’inaltérable éclat de l’or, « chair des
dieux », assure en outre une excellente lisibilité.
Comme pour toutes les sculptures en roches dures, la stèle fut travaillée avec un outillage
uniquement lithique : percussion directe pour le dégrossissage puis polissage au frotteur en
pierre. Seuls les travaux de finition pouvaient être effectués, par piquetage, en percussion
posée.
Les artisans hautement qualifiés qui la sculptèrent étaient tous des fonctionnaires d’Etat,
entretenus par l’Administration pharaonique, donc, dépendant de notre vizir.
Maîtrisant parfaitement leur technique, ils produisaient, en équipes, des œuvres de qualité
dont le but premier était pourtant l’efficacité :
le signifiant pictural comme le signifiant linguistique procède du divin et possède une vertu
performative et magique. Représenter ou nommer, c’est faire exister. Ainsi, la stèle d’Ouser
est-elle le support d’un processus de création permanente.
Cernée d’une incision, elle se divise en trois parties : un cintre, une scène de culte funéraire
avec dix huit colonnes de hiéroglyphes et un texte composé de douze lignes de hiéroglyphes.
La deuxième ligne fut martelée dans l’Antiquité en vue d’un réemploi après fracture mais,
pour une raison inconnue, elle ne fut pas brisée. L’usure par une corde est bien une légende.
Le cintre, de type abydénien, montre le cosmos en réduction à travers des symboles
parfaitement compréhensibles pour les Egyptiens.
Il s’articule autour d’un axe vertical sud-nord, le cours du Nil, avec à droite l’Orient et à
gauche l’Occident.
Sa courbure est la voûte du ciel.
Les signes qui le composent sont certes identiques aux hiéroglyphes mais ils interviennent ici
comme symboles et non comme éléments d’écriture.
Les deux yeux-oudjat, qui dessinent un œil de faucon humanisé et fardé, sont ceux du grand
dieu du ciel, l’Horus cosmique.
Jusqu’à l’époque gréco-romaine, ils seront assimilés aux « Deux Luminaires » le soleil et la
lune.
L’œil droit est l’astre diurne dont la puissance d’embrasement est incarnée par l’uraeus,
l’Oeil-de-Rê.
L’œil gauche est l’astre nocturne ; blessé pendant sa phase décroissante, il est ensuite
reconstitué et retrouve tous ses éléments et sa plénitude.
- L’éclat des deux disques a le pouvoir de disperser les ténèbres générées par Seth et ses
suppôts ( l’oudjat est une amulette bénéfique contre le « mauvais œil »).
- Les deux astres garantissent, grâce à leur course sans défaillance, le fonctionnement
cyclique du monde ainsi que le règne de Maât.
Ils représentent le temporel.
- 10 -
Le signe-shenou, une corde liée formant un cercle, signifie « orbe, circuit ». Il exprime
l’espace de la création que circonscrivent les deux yeux-astres du Démiurge et représente
donc le spatial.
L’eau-mou, provient du Noun, l’Océan primordial d’où émergea le Créateur. Matière
inépuisable de la Création, elle est essentielle à la vie et à la survie des Egyptiens qui en ont
fait l’offrande première aux défunts. Le culte funéraire prévoit de nombreuses libations et
lustrations, entre autre avec l’eau régénérante des prémices de la crue.
La coupe contenant cette eau de jouvence, reproduit, par sa forme évasée la vallée même du
Nil.
Dès lors, une image du monde se matérialise dans la pierre.
La scène de culte funéraire est une scène en miroir et, sans les noms, il serait impossible
d’identifier les personnages car leurs représentations, leurs titres et leurs épithètes
sont identiques:
- à droite, Âmtou et Ta-Âmtou, le père et la mère d’Ouser devant lesquels officie leur
fils, Mery-Maât,
- à gauche, Ouser et Touiou, son épouse, ainsi que leur autre fils Sa-Menekhet.
Le choix d’une image duelle est l’expression voulue de la continuité qui repose sur trois
principes:
1) la transmission de la vie à travers la famille,
2) la nécessité d’une descendance qui se charge du culte funéraire,
3) la transmission de la fonction qui confirme l’idée de durée et de lignée.
Images et écrits, fixés dans un matériau que le temps n’a pas altéré, ont pris le relais du culte
abandonné.
Au centre, dos à dos, deux fils d’Ouser dans leur fonction de prêtres-purs (ouâb), rasés et
pieds nus, invoquent le nom (ren) des défunts en levant le bras suivant le modèle de
l’idéogramme « appeler, invoquer ».
La chapelle est le lieu de la perpétuation du nom des morts, par la famille.
Prononcer le nom d’un homme équivaut à le maintenir en vie, grâce à la vertu performative
du Verbe, et à lui garantir son souvenir et son renom parmi les vivants.
L’appel du nom est aussi associé à l’énoncé du menu d’offrande qui a peu varié depuis
l’Ancien Empire, mille étant la quantité requise pour chaque produit indispensable dans l’Audelà. La voix du prêtre récitant l’offrande d’invocation « sortie à la voix » (peret-kherou)
l’actualise en lui conférant son aspect divin.
L’image des époux siégeant sur l’antique chaise à pattes de lion, devant un guéridon chargé
de tranches de pain, ne s’est pas non plus modifiée depuis l’Ancien Empire.
Le respect des scènes cultuelles anciennes est une garantie de leur efficacité et, de ce fait,
l’anecdotique et le portrait, parfaite expression de la singularité, en sont absents.
Hommes et femmes sont représentés suivant le canons égyptien, idéalement beaux et jeunes,
ayant franchi glorieusement les portes de la Douat.
L’image conventionnelle est alors le réceptacle des éléments de la personnalité du mort ainsi
que de son individualité que proclament le nom et les titres.
Le père et le fils sont vêtus de la robe, signe distinctif de leur fonction, une ample étoffe
enroulée sous les seins et maintenue autour du cou par un cordonnet.
- 11 -
Figés dans leur vêtement officiel, les vizirs ne perdront donc pas leurs prérogatives dans le
domaine d’Osiris.
Ils portent à leur narine un lotus bleu, fleur « parfaite », nefer en égyptien qui a donné le
vocable « nénuphar ». Le lotus s’enfonçant dans les eaux le soir et surgissant le matin est, en
effet, le symbole de la renaissance.
Son parfum suave revigore le nez et son cœur épanoui, berceau de l’enfant-soleil Rê dans la
cosmogonie hermopolitaine, illumine le visage des défunts.
Leurs épouses les enlacent tendrement dans une étreinte codifiée, car l’amour conjugal est
non seulement la base de la cellule familiale mais aussi celle de la société égyptienne. Pour se
conformer à Maât, il faut procréer sans rompre le cycle des générations.
Ces dames ne sont pas individualisées mais représentées sous l’aspect d’un idéal féminin. Une
robe-fourreau de type archaïque moule leur corps juvéniles ; elles sont parées d’une perruque
tripartite et d’un collier-ousekh « large ».
La Campagne des Félicités accueille des époux unis que la mort et la re-naissance ont rendu à
une jeunesse immarcescible.
Le texte s’articule en trois parties :
1. la formule d’offrande
2. une courte autobiographie
3. l’appel aux vivants.
1. La formule d’offrande (hetep di nesout) « Une offrande que donne le roi ».
Seul le roi, premier prêtre d’Egypte, peut en théorie effectuer une offrande, même si, dans la
pratique, il délègue son pouvoir à de multiples substituts.
La finalité de l’offrande aux dieux par le roi est, après sacralisation et passage sur leur autel,
le virement sur celui du défunt.
Les récipiendaires de l’offrande royale sont Amon que sert Ouser en son temple de Karnak,
Ptah-Sokar-Osiris et Anubis, divinités chthoniennes, qui l’accueilleront après la mort.
Au terme du do ut des, le bénéficiaire est le ka du défunt, constituant la réserve d’énergie et la
force vitale de l’individu, lequel se nourrit de la quintessence active des provendes qu’elles
soient réelles, représentées ou énoncées.
2. L’autobiographie, en un court monologue, relate la carrière d’Ouser, mêlant vie cléricale
et civile.
En aucun cas il ne s’agit d’autosatisfaction mais de l’énoncé rigoureux des préceptes moraux
qu’il respecta pour « satisfaire Maât ».
Pretre-pur (ouâb) du corps sacerdotal d’Amon, ou d’Amon-Min en sa forme de dieu
ithyphallique, il accéda au saint des saints du temple de Karnak et participa à la toilette et à la
parure de la statue du dieu.
Lors des panégyries, il eut le privilège de mener en procession la barque sacrée contenant
l’effigie d’Amon et de porter la statue de Min.
Le grand intérêt de cette stèle réside en l’énoncé d’interdits qui seront largement développés
dans les temples gréco-romains.
Membre éminent du clergé, il se soumit aux règles fondamentales de la demeure du dieu :
- se courber en signe d’humilité et de crainte respectueuse,
- ne pas imiter la posture divine : le bras levé en équerre de Min,
- ne pas élever la voix, ni dans le temple d’Amon, ni dans l’abaton, « la place pure »
d’Osiris (son tombeau),
- 12 -
-
ne pas proférer de mensonges,
ne pas consommer les offrandes divines hormis celles qui sont distribuées après
virement.
Comme dans la « déclaration d’innocence » du chapitre 125 du Livre des Morts il s’agit de se
conformer à Maât en niant toute action « abominable aux dieux ».
Prêtre-pur pendant ses mois de service et fonctionnaire irréprochable lorsqu’il retournait à la
vie laïque, Ouser pratiqua une vertu essentielle pour les Egyptiens : savoir écouter sans rien
répéter.
Confident et conseiller, il bénéficia des faveurs royales et accéda enfin à la plus haute dignité,
vizir.
3. « L’appel aux vivants », connu dès la VIe dynastie, est destinée aux éventuels passants
afin qu’ils récitent la formule d’offrande pour le ka du mort.
Derrière cette « incitation à agir » se profilent les angoisses des Egyptiens : la cessation du
culte funéraire familial, l’interruption de l’approvisionnement et l’oubli du nom.
Une habile négociation promet au lecteur, en contrepartie de quelques paroles émanées du
« souffle de la bouche », l’intercession d’Ouser auprès des dieux. Car parler ne requiert ni
peine ni privation et le passant loquace verra sa conduite récompensée.
Qui serait insensible à la promesse de faveurs divines ici-bas ou dans l’Au-delà, à celle d’une
vie renouvelée après la mort, à la transmission de sa (ses) fonction(s) à ses enfants ?
D’autant que le défunt fut sur terre un homme éminent, serviteur d’Amon et prêtre de Maât.
Dans la Douat, il est devenu un être divinisé grâce au lait d’Isis, la mère du rejeton royal
Horus.
Homme puissant, Ouser récompense la fidélité et l’attention qu’on lui porte, en dispensant la
richesse et en éloignant les désagréments de l’existence. Il fait même graver une formule dont
seuls les rois font usage « Je ne cesse d’accorder des faveurs à celui qui se tient dans mon
ombre ».
Enfin, la prière au lecteur se fait véhémente, voire exigeante : « Ne soyez pas réticents pour
parler ! Je suis un noble défunt qui mérite d’être écouté. »
Dans le domaine d’Osiris, le vizir est demeuré un homme d’autorité et sans nul doute, sa
prestigieuse carrière, qui fit de lui sur terre un être d’exception, se poursuit-elle parmi les
courtisans du dieu.
TEXTE DE LA STELE DU VIZIR OUSER
1)Une offrande que donne le roi à Amon, Seigneur des Trônes du Double Pays, à Ptah-SokarOsiris, le dieu grand, à Anubis, Seigneur de Ro-setaou, afin qu’ils accordent une offrande
d’invocation (« sortie à la voix » peret-kherou) consistant en bœufs, volailles, étoffes, résine
de térébinthe, huile, offrande-hetepet et provendes, toutes choses bonnes et pures offertes
2) [là au dieu ///] 3) c’est pur,
pour le ka du préposé aux Pât et gouverneur, préposé à Nekhen, prêtre de Maât, juge
suprême, Celui du Rideau (Taity), supérieur aux affaires confidentielles du Domaine Royal,
bouche qui apaise dans le pays tout entier, surintendant du Double Trésor, directeur du
Double Grenier d’Amon, chancelier de toutes les richesses dans Karnak (Ipet-sout), 4) maire
de la Ville et vizir, directeur des Six Grands Châteaux,
Ouser, il dit :
« Je suis un noble défunt excellent.
J’ai servi comme prêtre-pur (ouâb) qui pénétrait dans le temple d’Amon ;
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j’ai présenté l’onguent aux membres du dieu ;
j’ai paré Amon-Min ;
5) j’ai porté Amon pendant sa fête ;
j’ai soulevé Min vers son estrade ;
mon épaule ne s’est pas haussée dans la demeure du Seigneur des prosternations ;
mon bras ne s’est pas levé dans la demeure de Celui qui lève le bras ;
6) ma voix ne s’est pas élevée dans la demeure du Maître du silence ;
je n’ai pas proféré de mensonges dans la demeure du Seigneur de Maât ;
je n’ai pas crié dans la place pure de mon dieu ;
ma bouche ne s’est pas portée sur ses offrandes.
7) J’ai servi comme prêtre-pur (ouâb) prêtant attentivement l’oreille lorsque j’étais seul en
(audience) privé(e)
mais je n’ai pas divulgué les affaires du Domaine Royal.
J’ai bénéficié d’un avancement et ma situation été excellente,
ayant été investi de cette fonction éminente de maire de la Ville et vizir. »
8) Ouser, il dit :
« Ô vivants, ceux qui sont sur terre, scribes, prêtres-lecteurs (kheryou-hebet), prêtres
funéraires (hemou-ka),
qui viendront à voir cette stèle conforme à moi-même,
alors que mon héritier est sur terre
et que le souvenir de moi est dans la nécropole (« le Domaine du dieu » kheret-netjer),
9) vos dieux vous favoriseront et vous aimeront,
vos nez rajeuniront de vie,
vous transmettrez vos charges à vos enfants,
si vous dites :
« Une offrande que donne le roi à Amon-Re-Atoum pour le ka du 10) du maire de la Ville et
vizir, Ouser, juste de voix. »
Il sert son seigneur Amon,
et il prodigue Maât quotidiennement.
Il sera nourri au sein qui nourrit Horus ;
son nom ne disparaîtra pas, à jamais !
11) Le souffle de la bouche est chose utile au noble défunt,
ce n’est pas ce dont on se lasse.
Je ne cesse d’accorder des faveurs celui qui se tient dans mon ombre
et la richesse qui en résulte à 12) celui qui prononce mon nom.
Si vous faites cela, ce sera profitable pour vous,
vous serez prospères et exempts de dommages.
Ne soyez pas réticents pour parler !
Je suis un noble défunt qui mérite d’être écouté. »
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Pêcher, chasser, passer une belle journée
ou les loisirs de saison dans la vieille Egypte
D’après la conférence de M. Jean Claude Goyon Professeur émérite
de l’université de Lyon II, Président de l’Association C.P.P.A. Champollion
Samedi 19 janvier 2002. Salle de la Maison du Tourisme. Grenoble
Les représentations de scènes de chasse et de pêche dans les fourrés du Nil abondent dans les
tombes des anciens Egyptiens, (par exemple, celle de Nakht) et malgré leur aspect séduisant,
mais conventionnel, elles sont bien loin de ce que pouvait être la réalité de ces activités. Un
papyrus datant de 2500 ans, nous donne une idée plus précise sur « Les plaisirs de la pêche et
de la capture de la sauvagine » (Papyrus Pouchkine 111 de Moscou)
« C’est un beau jour quand nous gagnons le marais, pour piéger les oiseaux et
attraper les poissons. Je m’installe près d’un gué et je prépare un écran. Sitôt que j’ai
disposé mon appât, je vois sans être vu. Ma foëne perce un poisson, je ne manque
aucune cible et mes prises se succèdent. Je fais des brochettes de boulti blanc… »
(Le boulti blanc est le tilapia nilotica)
La pêche
Le texte décrit avec véracité un partie de pêche, pour le plaisir, où il est question de piège,
d’appât et d’un instrument : la foëne (ou fouëne, ou encore fouine) ; ce harpon à deux pointes
était utilisé dans les basses eaux, les mares résiduelles après l’inondation. La chasse et la
pêche pour les anciens Egyptiens n’étaient pas un combat, mais une ruse permanente, d’autant
plus que le gibier à cette époque n’était pas effarouché. La pêche pour le plaisir, pour la
détente, existait, ainsi que nous pouvons l’appréhender à travers le texte qui précède, mais la
pêche utilitaire semblait plus répandue : dans les mastabas de l’Ancien Empire on peut
observer les bateaux de roseaux chargés de plusieurs pêcheurs qui s’activent avec des foënes
et des nasses, pratiquant une pêche en eau peu profonde. Il est vrai que cette pêche n’était pas
gratifiante car les poissons capturés étaient peu, ou pas mangeables du tout, comme le
tétrodon fahaka (poisson qui se gonfle comme un ballon), le clarias (une sorte de poissonchat), le maloptère électrique (le poisson-torpille du Nil).
En revanche, la pêche au haveneau permettait de ramener quantité de petite friture, au nez des
concurrents qu’étaient les cormorans (qui mangent chaque jour 5 à 7 kilos de poissons) et les
pélicans. Les Egyptiens faisaient ensuite macérer dans le sel ce menu fretin, le transformant
en une sorte de Nuoc-man (comme dans les pays asiatiques) servant à assaisonner le brouet
d’orge quotidien auquel il apportait un supplément de protéines. Ils pêchaient aussi les muges
(ou mulets), sans valeur gustative intéressante, qui remontaient le Nil jusqu’à Assouan, après
avoir frayé sur le littoral. Mais leurs œufs servaient à préparer la boutargue (sorte de caviar),
mets recherché et peu coûteux. Le filet ramenait aussi de gros poissons, consommés sur place
ou préparés pour être conservés. Certains étaient plus intéressants que d’autres : à côté du
pétrocéphale (sans épine), on trouvait le batensoda, qui possède deux énormes épines de
chaque côté de la tête, ce qui le rendait extrêmement dangereux lorsqu’il était pris dans le
filet, et le mormyre banné d’un goût plus raffiné.
Un autre type de pêche s’organisait pour aller vers le milieu du fleuve de façon collective,
avec de grands filets qui nécessitaient deux bateaux et deux équipages. Les peintures nous
montrent les fourrés de papyrus et autres plantes qui jouaient un rôle de mangrove protectrice
de la vie aquatique. De nos jours les rives du Nil sont ravagées et il n’y a plus guère de
poissons… Cette pêche permettait d’attraper d’autres espèces, comme le synodonte, le cyprin,
le silure, le tilapia, les délicieuses aloses du Nil. Par contre, il y avait peu ou pas de poissons
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carnivores comme les brochets ou les sandres. Dans la tombe d’Ipouy, un ouvrier de Deir elMedineh, on assiste à l’arrivée du pêcheur, avec ses poissons dans une couffe qu’il vide dans
une pièce d’eau, devant un saule, donc assez loin de la source de la pêche1. Ce plan d’eau
artificiel, un vivier ou un étang, permettait d’avoir du poisson frais ce qui changeait
l’ordinaire de l’ouvrier de La Place de Vérité : pain, bière et poissons salés constituaient en
effet sa ration quotidienne. Dans les ateliers de conservation, les poissons fendus sur le dos,
suspendus en plein air étaient séchés, ou bien salés (sel de cuisine et natron), afin de
constituer une réserve de nourriture appréciable, car la hantise de la famine, «l’année des
hyènes », poussait à être prévoyant. Tandis que le poissonnier travaillait, le pêcheur réparait
ses filets. Il s’agit d’une activité économique bien structurée et redistribuée par l’état. Mais on
peut imaginer que le pêcheur professionnel trouvait aussi plaisir à son métier !
La chasse
La chasse dans les marais se pratiquait sans quitter ce milieu luxuriant de la végétation du
bord du fleuve et des canaux, dans les fourrés de papyrus et de lotus pleins d’oiseaux. Bien
sûr, la chasse est représentée aussi de façon idéalisée. La chasse sportive, au boomerang, était
également pratiquée, mais certainement pas comme nous le montrent de fameuses scènes
complètement irréalistes. Dans la tombe de Nébamon2, le chasseur en grande tenue est
accompagné de sa fille qui lui tient le mollet et d’un chat-civette qui n’effraie même pas les
oiseaux. A la cime des papyrus, les nids sont pleins d’œufs ! D’autres scènes existent, plus
crédibles celles-là, où le chasseur porte son arc fragile dans un étui, ainsi qu’un boomerang.
Mais ce n’est pas encore la véritable chasse à la sauvagine comme le prouve la suite du
texte cité :
« On va dans les roselières inondées, les piquets sont sur mon épaule, et je porte les
panneaux ; j’ai dans la main la corde de 5 coudées qui commande le piège.
Les rabatteurs tendent une étoffe…et derrière le fourré les oiseaux d’eau rappellent…
Mais ils sont pris au piège. »
La chasse réelle consistait à approcher et à surprendre le gibier qui rappelait dans le fourré, et
à rabattre les panneaux du piège. Celui-ci figure dans de nombreuses représentations, avec le
panneau se rabattant, les piquets et la corde de traction, ainsi que l’écran qui dissimule les
chasseurs. La traction sur la corde referme le panneau, c’est l’action appelée sekhet.
Les espèces chassées étaient des sarcelles, d’hiver ou d’été, des canards (pilet, col-vert,
parfois tadorne, en période de migration), des pigeons et des oies. Bien entendu tout ce gibier
n’était pas consommé aussitôt, mais mis en volière, ainsi que nous le voyons sur une scène
reconstituée avec des talatates d’Akhénaton. Les Egyptiens en effet avaient la volonté de
domestiquer et d’engraisser ces animaux : des scènes de gavage des oies en témoignent.
Notons que les oies égyptiennes ne se capturaient pas comme les canards en milieu aquatique,
mais quand elles « viandaient », c’est à dire qu’elles mangeaient de l’herbe, et qu’elles étaient
alors plus faciles à attraper. Les Egyptiens les avaient domestiquées, et nos oies actuelles sont
leurs descendantes ; elles étaient gardées en volière, où elles s’acclimataient très bien. Quant à
leur gavage il était connu depuis l’Ancien Empire. Ensuite, la volaille était tuée, plumée et
parée avant d’être rôtie sur un feu activé par un petit éventail. En effet toute viande, sauf la
chèvre préalablement bouillie, était rôtie.
1
2
Scène peu réaliste : le poisson ne pouvait rester vivant dans un panier. En réalité, les étangs étaient alevinés.
Peinture exposée au British Museum.
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L’hippopotame : chasse ou pêche ?
Le harponnage de l’hippopotame se pratiquait à bord d’un bateau, au moyen d’un harpon à
tête détachable, muni de flotteurs attachés à des couffes de vannerie pour marquer la position
de l’animal quand il avait plongé. L’hippopotame était recherché car il fournissait toutes
sortes de produits utilisables comme la peau, au cuir particulièrement résistant, pour fabriquer
boucliers et sandales ; la mandibule inférieure, une fois garnie de dents de silex, servait de
faucille (Flinders Pétrie avait découvert un puits rempli de mandibules dont les dents avaient
été soigneusement ôtées pour la fabrication de faucilles) ; les incisives inférieures
constituaient la source principale de l’ivoire égyptien employé pour la marqueterie et la
confection de différents objets. Enfin la viande devait être mangée dans l’immédiat car elle ne
supportait ni le séchage, ni la salaison.
La chasse dans le désert.
C’était la chasse aux mammifères : oryx, gazelles dorcas, addax … La chasse à l’arc, pour
tuer le gibier, était moins pratiquée que la chasse aux chiens courant, dont le but était de
capturer des animaux pour constituer des parcs d’élevage. Ici encore, les représentations sur
les murs des mastabas, donnent une idée peu réaliste de ce type de chasse : ichneumons,
gerboises, addax, dorcas, lions et taureaux sauvages serrés les uns contre les autres peuplent le
désert ! La chasse aux chiens courant se pratiquait avec des sloughis. Les animaux poursuivis
étaient ensuite capturés au lasso, ainsi les bouquetins, présents encore en Egypte dans le
Ouadi Allaqi où se trouvaient les mines d’or pharaoniques : au Moyen Empire, on pouvait
encore s’en approcher à pied. Le véritable but de la chasse était la capture en vue de la
domestication, comme le montre un relief d’Abydos, où le jeune Ramsès II assiste son père
Séthi Ier pour s’emparer d’un taureau sauvage. Cette scène correspond aux origines de
l’élevage des bovins tel que nous le connaissons. Le delta du Nil devait ressembler à notre
Camargue, avec ses taureaux sauvages. Les Egyptiens avaient déjà appris à sélectionner les
animaux pour obtenir des races différentes. Ils ont même essayé de domestiquer la hyène
(lycaon pictus) et le caracal. A la XVIIIe dynastie, cette chasse au désert se transforme avec
l’introduction des chevaux, du char et du grand arc puissant : on assiste à partir de ce moment
à une raréfaction du gibier et il faut s’éloigner de plus en plus dans le désert pour trouver
encore des lièvres, des petites gazelles destinées à devenir des animaux familiers et des
hyènes considérées alors comme comestibles. Les autruches ont disparu d’Egypte au XVIIe
siècle avant notre ère, alors qu’elles étaient familières dans le paysage prédynastique, 3500
ans avant notre ère, comme le prouve la décoration de certains vases de cette époque. Une
scène du mobilier funéraire de Toutankhamon montre une chasse à l’autruche, dans le désert
voisin d’Héliopolis. Les plumes étaient utilisées pour garnir le flabellum et la tête du cheval,
et la viande devait sans doute être consommée.
A travers ces pratiques de chasse et de pêche, Jean-Claude Goyon nous a donné une idée des
activités auxquelles se livraient les anciens Egyptiens, pour leur plaisir comme pour leurs
besoins alimentaires, en s’intégrant totalement à la nature environnante.
Scène du mastaba d’Akhethetep (musée du Louvre)
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A l’approche d’un centenaire :
La découverte de la cachette de Karnak
D’après la conférence de M. Herman de Meulenaere
Directeur de la Fondation Egyptologique Reine Elisabeth (Bruxelles)
Samedi 18 mai 2002. Salle de la Maison du Tourisme. Grenoble
Dans le courant des XIXe et XXe siècles, l’exploration archéologique du sol égyptien a atteint
des sommets, attirant l’attention du monde entier sur la splendeur de la civilisation
pharaonique, le tombeau inviolé de Toutankhamon en étant le meilleur exemple.
Cependant, des découvertes moins éblouissantes par le nombre de chefs-d’œuvre révélés au
monde, mais éminemment plus fertiles en données, ont permis de contribuer à reconstituer
l’histoire de l’Egypte Ancienne. C’est le cas pour le Sérapéum fouillé par Auguste Mariette en
1850 et 1851, pour la cachette royale de Deir El Bahari explorée de 1875 à 1881, pour la
nécropole royale de Tanis exhumée par Pierre Montet de 1939 à 1945. La découverte de la
Cachette de Karnak par Georges Legrain en 1903 s’inscrit dans cette série, et l’approche
du centenaire explique le choix de cette conférence. A cela s’ajoute l’intérêt suscité par la
préparation, à l’initiative de Jean Claude Goyon, d’un ouvrage sur l’activité de Georges
Legrain par une équipe de chercheurs.
Appelé en 1895 par Jean Marie de Morgan, alors directeur du Service des Antiquités, à la
direction des travaux de Karnak, Georges Legrain avait déjà réalisé d’appréciables
découvertes lorsque Gaston Maspéro, ayant entre temps succédé à Jean Marie de Morgan, lui
enjoignit, en 1901, d’entreprendre des fouilles en un lieu soigneusement choisi : la cour nord
du pylône VII.
Au cours du mois de décembre 1903, après avoir extrait du sous–sol, les blocs qui composent
la superbe chapelle jubilaire d’Amenhotep Ier, Georges Legrain étendit le terrain de ses
recherches et rencontra, exactement au milieu de la cour, une large dalle d’albâtre qui,
retournée, s’avéra être une stèle de Séthi Ier. Quelques centimètres plus bas apparurent trois
merveilleuses statues d’une taille considérable, dont celle d’Amenemhat. Elles inauguraient
une série de plus de 700 statues, de 16000 bronzes, et de nombreux autres objets qui, à la
clôture du chantier le 25 juillet 1905, avaient été arrachés aux entrailles du temple de Karnak,
au prix d’un travail pénible et dangereux. Il est regrettable que Georges Legrain ne nous ait
laissé que des rapports préliminaires sur le déroulement et le résultat de ses fouilles : ses notes
au jour le jour, si elles ont réellement existé, ne nous sont point parvenues. Par chance, nous
possédons quelques archives photographiques qui forment la base des recherches entreprises.
Lorsque Georges Legrain, le 25 juillet 1905, fut obligé de mettre fin à ses travaux en raison
d’une poussée des eaux d’infiltration, la Cachette n’avait pas livré son dernier secret, et elle
attend toujours une tentative d’envergure pour descendre jusqu’au fond et la vider de tout son
contenu.
Des dispositions furent prises par Georges Legrain pour mettre à l’abri de la convoitise des
curieux, ce flot ininterrompu d’objets qui, chaque jour, furent emmagasinés et mis sous haute
surveillance ; cela n’empêcha pas le vol de quelques pièces. Dans la mesure du possible les
statues furent acheminées régulièrement au musée du Caire, où cependant elles ne figurent
pas toutes. En effet, il n’existe aucun musée égyptien d’une certaine importance en Europe ou
aux Etats Unis, qui ne possède quelque objet de la Cachette disparu, soit au cours des travaux,
soit au cours du transport et même après l’arrivée au Musée du Caire. Cependant toutes les
statues n’ont pas été volées ; certaines ont été acquises, à la Salle des Ventes du musée ;
Georges Legrain lui-même a cédé quelques pièces à des visiteurs de son chantier en échange
de services compensatoires.
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Une première série de diapositives donne une idée de la richesse de la statuaire dans la
Cachette.
Le plan du temple de Karnak, tout d’abord, permet de situer l’emplacement de la Cour de la
Cachette, dans l’axe Nord-Sud, devant le pylône VII..Une des rares photos prises durant les
travaux de Georges Legrain, par Pierre Lacau, montre les ouvriers en train de sortir une très
belle statue.
Les différentes photographies qui se succèdent permettent de constater la présence de
nombreuses inscriptions, précieuses pour dater les pièces et aussi pour reconstituer celles dont
les fragments ont été dispersés. Herman de Meulenaere a fait un travail systématique de
reconstitution de statues dont une partie se trouvait au Caire, l’autre dans un musée étranger.
C’est ainsi qu’une tête célèbre du musée de Brooklyn à New York a pu être réunie au reste du
corps entreposé au musée du Caire, grâce à l’inscription gravée sur la statue et aux autres
renseignements techniques comme les dimensions et la matière.
Un nombre important de statues-blocs de périodes différentes ont rendu possible l’étude de
leur évolution depuis le Nouvel Empire jusqu’à la XXXe dynastie. Cette remarque s’applique
également aux statues naophores (le personnage représenté tient devant lui un naos contenant
l’effigie du dieu) : au début le naos était posé au sol ; vers la XXVIe dynastie il repose sur un
petit socle, ensuite sur un pilier un peu plus haut ; enfin il est seulement tenu dans les mains
du personnage sans le moindre support au sol ; les Grecs se contenteront de modifier la
position des doigts qui seront repliés sous le naos. Grâce à la masse des informations obtenues
de la sorte, il est à présent possible d’être catégorique sur la datation d’une pièce.
La projection de cette première série s’achève avec une statue célèbre du Métropolitan
Muséum de New York , acquise de manière tout à fait légale en 1919. Lors de sa découverte
par Georges Legrain, une baronne anglaise était présente sur le chantier et lui proposa de
l’échanger contre une grande partie des papyrus en araméen que son mari venait de mettre au
jour à Eléphantine : l’échange fut jugé équitable par Georges Legrain qui l’accepta.
L’anecdote n’est pas le seul intérêt de cette pièce : elle représente en effet le dernier des rois
figurant dans la Cachette : il s’agit de Psammétique II de la XXVIe dynastie dont le cartouche
est placé sur l’épaule du pharaon.
L’intérêt égyptologique de la Cachette :
Les égyptologues n’ont cessé de s’interroger sur les raisons qui ont poussé le clergé de
Karnak à accumuler tant d’objets en une gigantesque fosse qui était apparemment destinée à
n’être plus jamais ouverte. L’hypothèse d’une cachette de guerre réalisée au cours d’un siège
a été rapidement écartée. Reste la possibilité d’une catastrophe naturelle, ou tout simplement
le besoin de mettre les objets consacrés en sécurité en vue de procéder à des travaux de
restauration. Quoi qu’il en soit, il est manifeste, selon les rapports de Georges Legrain, que la
cachette de Karnak fut aménagée en une seule fois, et que l’entassement des objets eut lieu
sans grand soin, et sans souci d’ordre chronologique. N’ayant identifié aucune statue qui lui
semblait postérieure au Ier siècle avant notre ère, l’archéologue estime, sans doute avec raison,
que les dépôts datent « de la fin de la période grecque ou, au plus tard, du commencement de
la domination romaine ». Il est toutefois regrettable que Georges Legrain n’ait publié que
deux cent cinquante statues dans le Catalogue Général du Musée du Caire et que ses
découvertes aient sombré dans l’oubli (mis à part une quarantaine de sculptures récemment
publiées par notre conférencier). C’est d’autant plus à déplorer que, du point de vue
chronologique, elles couvrent à peu près toutes les périodes de l’histoire égyptienne de
l’Ancien Empire jusqu’à la Basse Epoque ptolémaïque.
Il est intéressant de constater que cette abondante documentation reflète fidèlement la
grandeur et la décadence de Thèbes au travers de sa longue histoire. Le rôle discret que joua
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la Ville à l’Ancien et au Moyen Empire explique pourquoi ces époques sont moins bien
représentées que le Nouvel Empire, la Troisième Période Intermédiaire et la XXV e dynastie,
lorsque la Ville fut devenue capitale de l’Egypte.
L’avènement de la XXVI e dynastie, dont les rois transférèrent le pouvoir central au nord du
pays, marque un net recul des sources disponibles, qui ne commencent à se multiplier à
nouveau qu’à partir de la XXXe dynastie et durant toute la Période Ptolémaïque. Jusqu’au
début de la XXVIe dynastie, non seulement des dizaines de dignitaires religieux, mais aussi
des rois, des fonctionnaires civils et militaires ont fait ériger leurs statues dans le temple de
Karnak.
Quand le centre de gravité du pays s’est déplacé vers le Nord, et que l’étoile de Thèbes a
commencé à pâlir, cette nombreuse société s’est réduite à des notables locaux et des
desservants du temple d’Amon.
L’Ancien Empire est médiocrement représenté à Karnak ; Georges Legrain y a cependant
trouvé la partie inférieure d’une statue figurant le roi Niouserrê de la Ve dynastie.
Les personnages royaux du Moyen Empire sont nettement plus nombreux, notamment
Sésostris Ier, Sésostris III et Amenemhat III (sept statues d’une exceptionnelle qualité).
La XIIIe dynastie est présente avec quelques statues, de même que l’obscure période séparant
le Moyen Empire du Nouvel Empire (quoique les œuvres produites manquent d’originalité).
Il faut attendre la XVIIIe dynastie pour voir la sculpture royale s’épanouir à nouveau et
atteindre un niveau rarement égalé auparavant : Thoutmosis III avec dix neuf statues est
particulièrement bien représenté, mais aussi Amenhotep II et Amenhotep III. Pour des raisons
qui s’expliquent aisément le réformateur Akhénaton n’a laissé que relativement peu de traces,
contrairement à ses successeurs, Toutankhamon, Aï et Horemheb.
L’époque ramesside, par rapport à la XVIIIe dynastie, n’a fourni à Georges Legrain qu’un
nombre assez faible de véritables œuvres d’art. Séthi Ier a usurpé une statue colossale qui
appartenait probablement à Amenhotep IV ; Ramsès II, Ramsès III et Ramsès VI offrent des
statues d’intérêt mineur.
Les époques de domination étrangère n’ont laissé que peu de témoignages : une effigie
d’Osorkon III prosterné (XXIIIe dynastie) et une tête colossale du roi Chabaka (XXVe
dynastie).
Autour des rois de toutes ces époques viennent se grouper des statues de leurs familles et de
leurs sujets. Les manifestations de cette sculpture privée abondent à partir du Nouvel Empire.
Ainsi, Senenmout, architecte de la reine Hatshepsout, est particulièrement bien représenté
avec trois statues d’une exceptionnelle beauté. Le rythme de la production s’accélère de façon
saisissante au cours de la Troisième Période Intermédiaire et se maintient durant la
domination des rois kouchites car ceux-ci installent une administration fortement hiérarchisée
à Thèbes, discrètement supervisée par la « Divine Adoratrice » (une princesse célibataire
symboliquement offerte en mariage au dieu Amon). C’est ainsi que toute la noblesse de cette
époque se retrouve dans la Cachette, de telle sorte que leurs familles ont pu être reconstituées
sur plusieurs générations. A leur tête figure la « Divine Adoratrice », Chepenoupet II,
accompagnée de ses grands majordomes.
Après la main mise des rois saïtes sur la principauté tous ces illustres personnages
disparaissent les uns après les autres et leurs postes restent, pour la plupart, vacants. Thèbes
entame une lente décadence dont elle ne se relèvera jamais. Les statues saïtes sorties de la
Cachette sont peu nombreuses. A partir de la XXXe dynastie et durant toute la Période
Ptolémaïque, leur nombre augmente, mais elles ne concernent plus que le personnel
sacerdotal du temple d’Amon.
L’intérêt de cette copieuse documentation réside essentiellement dans les inscriptions qui
décorent la grande majorité des sculptures. Quel genre d’informations livrent ces textes ?
Quelques séquences autobiographiques de style traditionnel ; des noms propres en abondance,
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accompagnés de titres divers qui donnent une idée de la grande variété des cultes s’exerçant
dans le célèbre sanctuaire d’Amon ; des généalogies, parfois élaborées, dont l’étude permet de
créer une véritable stratigraphie des générations ; enfin des passages de textes religieux ou
funéraires. L’étude chronologique de cette masse de sources est malheureusement entravée
par l’absence de noms royaux. Pour mettre cette documentation au service de la science, il
n’existe qu’un seul moyen efficace : dépouiller soigneusement toutes les sources
contemporaines bien datées, particulièrement les papyrus démotiques, dans l’espoir d’y
retrouver l’un ou l’autre des personnages qui ont dédié des statues.
La dernière série de diapositives montre des exemples de chacune des périodes citées cidessus, depuis l’Ancien Empire (Niouserrê) jusqu’à la Période Ptolémaïque, 200 ans avant
notre ère. Signalons, entre autre, une statue remarquable : celle de Pétaménophis, représenté
en position de scribe tenant un papyrus sur son pagne. Beaucoup de mystères entourent ce
personnage, simple prêtre-lecteur en chef, qui ne nomme jamais, sur les nombreuses autres
statues connues le représentant, le nom du roi sous lequel il a servi, qui ne cite jamais le nom
de son père, mais toujours celui de sa mère, qui n’a laissé aucune progéniture, mais qui est le
propriétaire du plus grand tombeau souterrain de toute l’Egypte.
En conclusion, grâce à la découverte de la Cachette de Karnak, Georges Legrain s’est acquis
une gloire immortelle. Aujourd’hui, avec le recul du temps, chacun peut mesurer son apport
considérable à la science égyptologique : la riche moisson d’œuvres d’art qu’il a sauvées de
l’oubli a profondément transformé notre connaissance de la sculpture thébaine.
Jean-Claude Goyon remercie chaleureusement Herman de Meulenaere qui nous a fait
l’honneur de venir à Grenoble pour cette conférence et qui a accepté de se joindre au projet
actuel de sauvetage de ce qui reste des archives extrêmement précieuses de cette découverte,
(beaucoup de photos étant sur plaques de verre sont hélas définitivement perdues).
Herman de Meulenaere, qui a déjà publié des statues (seules publications disponibles sur la
Cachette) participe ainsi, avec Jean-Claude Goyon et Michel Azim, à cette entreprise qui
rendra justice à l’œuvre de Georges Legrain.
Le scribe Petamenophis
(Cf. Trésors de l’Egypte. Les merveilles du musée égyptien du Caire. Ed Gründ, p 334 à353)
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COMPTE-RENDU DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DU 19 JANVIER 2002
Le rapport moral et financier est présenté par Mme Christine CARDIN et résumé par la
secrétaire de séance Annie Mouchet
Rapport moral :
Il est rappelé que l’association a déjà permis, en se mobilisant, le classement et l’acquisition
par le Conseil Général de l’Isère de la propriété Champollion à Vif, archives et mobilier
compris, ce qui permettra ainsi de perpétuer le souvenir des « deux Frères » (notre logo
senouy en hiéroglyphes).
Elle a aussi obtenu que le prochain congrès international des égyptologues se tiennent à
Grenoble, en septembre 2004.
En effet, l’un des buts de l’association est la création d’un Centre International
d’Egyptologie réunissant et conservant les archives des grands égyptologues disparus.
Ainsi, les archives de Charles Kuentz nous sont déjà été parvenues, et le Conseil Général a
acquis la bibliothèque du Professeur Quaegebeur. Il reste à les faire venir de Belgique.
Malheureusement, à notre grande consternation, et à celle de tous les égyptologues, l’achat
promis des archives d’Alexandre Varille et de celles de son maître Victor Loret a été annulé
par le Conseil Général. Le fond, morcelé, est parti à l’étranger. C’est là une perte irréparable.
D’autres promesses faites par le Conseil Général, lors de notre dernière Assemblée Générale,
le 20 janvier 2001 sont en attente:
- la création d’une chaire d’Egyptologie fonctionnant avec une riche bibliothèque.
- La fouille d’un site thébain (Louxor, rive occidentale) concédé par le Conseil
Suprême des Antiquités Egyptiennes comprenant surtout la splendide sépulture du
dignitaire Amenemhat (TT 53)
[Depuis l’Assemblée Générale du 19/01/02, grâce à l’intervention généreuse du Conseil
Général, une campagne de fouilles est programmée au début de l’année 2003, avec une équipe
dont feront partie Jean-Claude Goyon et Christine Cardin.]
Outre les cours dispensés par Christine Cardin, au sein de l’IUAD, l’Association organise
chaque année des cycles de conférences données par d’éminents égyptologues :
-2000-2001 : Pascal Vernus, Charles Bonnet, Jean-Claude Goyon, Vincent Rondot.
-2001-2002 : Jean Yoyotte, Christine Cardin, Jean-Claude Goyon, Herman De Meulenaere.
Des visites de musée sont aussi proposées. Malheureusement , le voyage à Berlin a du être
annulé, car certaines salles du musée égyptologique étaient fermées.
[Lors de notre voyage à Turin le 15 mai 2002, nous avons eu la désagréable surprise de
trouver le flux de visiteurs restreints pour des raisons de sécurité, ce qui ne nous a pas permis
de pouvoir entrer dans le musée égyptologique dans le temps imparti…]
Projets :
Les conférences sont enregistrées sur cassette et prêtées pendant 15 jours moyennement 1
Euro (pour les frais d’expédition par la poste dans une enveloppe matelassée).
Le bulletin Senouy sera diffusé par l’association en octobre 2002, et remis gratuitement aux
adhérents à jour de leur cotisation, lors des conférences. Son expédition n’est pas prévue pour
le moment, mais pourra être envisagée ultérieurement. Précisons que ce n’est pas une revue
d’égyptologie, qui demanderait un tout autre travail et des moyens financiers plus importants.
Rapport financier (en francs) :
Année 2000-2001 (du 1/10/00 au 31/09/01) : Entrées : 28 277,92 F
Dépenses : 14 846,39 F
Actif : 13431,53 F
Solde Crédit Agricole au 30/09/01 : 47 090,33
Caisse : 732,90
Total report : 47 823,20
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L’association compte plus de 300 adhérents début 2002. La cotisation passera à 10 € pour une
année ; l’entrée des conférences sera de 3,5 € pour les adhérents et les étudiants de moins de
26 ans, et de 7 € pour les non adhérents.
Le rapport moral et financier est voté à l’unanimité. Le conseil d’administration est réélu à
l’unanimité, Annie Mouchet remplaçant Lilian Postel, démissionnaire.
Le C.A procède à l’élection du bureau, où Annie Mouchet remplace Magali Francou-Carron
au poste de Secrétaire. Les autres membres restent inchangés.
La prochaine assemblée générale aura lieu le 11 janvier 2003 à 15h à la Maison du Tourisme.
Correspondance administrative :
Christine CARDIN. Les Jardins de Combe-Queyrel, 38970 CORPS
PROGRAMME DES ACTIVITÉS POUR 2002-2003
CONFÉRENCES
16 novembre 2002, à 15h45 : Marc GABOLDE, Maître de conférence à l’université Paul
Valéry, Montpellier III, aux Archives départementales : « Histoires d’Amarna »
11 janvier 2003, à 16h : Jean-Claude GOYON, Professeur émérite de l’université de Lyon II,
Président de notre association :
« L’éternel, la pierre et le maçon au temps des pharaons :
simple savoir-faire et ingéniosité »
(précédé à 15h de notre assemblée générale)
29 mars 2003, à 15h : Eric GADY, Agrégé d’histoire «La vie de Pierre Lacau, égyptologue »
12 avril 2003, à 15h : Patrizia PIACENTINI, Professeur d’égyptologie à l’université de
Milan :
« Les scribes dans l’Egypte ancienne »
Les 3 dernières conférences auront lieu à la Maison du Tourisme, à Grenoble.
Prix d’entrée : adhérents et étudiants de moins de 26 ans : 3,5 € ; non adhérents : 7 €.
VISITES DE MUSÉES
9 décembre 2002 : Musée d’Arles Antique.
Voyage Grenoble-Arles aller-retour en autocar (départ à 8h), visite libre de la ville antique et
du musée, visite guidée de l’exposition « Pratiques funéraires dans l’Egypte des Ptolémées ».
Participation : 28 € (tarif unique)
S’inscrire avant le 4 novembre2002
13 mars 2003 :
Musée égyptien de Turin et exposition des « Artistes de Pharaon »
Voyage Grenoble-Turin aller-retour en autocar (départ à 7h), visite de l’exposition avec
guide-conférencier, et du musée avec Christine Cardin.
Participation : 47 € (- 18 et + 65 ans : 40,50 € . 18 à 25 ans : 43,50 €)
S’inscrire avant le 1er janvier 2003
20 mai 2003 : Musée des Antiquités classiques de Bâle. Voyage Grenoble-Bâle aller-retour
en autocar (départ à 7h), visite de la section égyptologique avec Christine Cardin. Exposition
temporaire sur la Perse comprise dans l’entrée du musée.
Participation : 43 € (tarif unique)
S’inscrire avant le 1er janvier 2003
Inscription à ces visites :
Adresser un courrier, avec une enveloppe timbrée à votre adresse pour la réponse à :
Annie MOUCHET Le Villard 38320 HERBEYS, et joindre un chèque du montant de la
participation demandée , à l’ordre de : « Association CPPA Champollion ».
Le nombre de places dans le car étant limité à 50, nous procéderons à un tirage au sort au
cas où nous devrions refuser des inscriptions et nous renverrons les chèques aux personnes
qui ne pourront être prises et qui seront prioritaires lors d’un prochain voyage.
Mme Christine Cardin assure bénévolement les conférences pendant ces visites.
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SENOUY
Bulletin distribué gratuitement aux membres de l’Association pour la Conservation, la
Promotion de la Propriété et des Archives des Frères Champollion

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