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Transcription

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No.
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999
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(Chanson « Dans le port de Marseille » pour familiariser le public avec la
pièce, sur la musique de « Dans le port d'Amsterdam » de Jacques Brel)
1000
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(Fanny vient à la porte du café, s'appuie à un montant paresseusement et
regarde Marius.)
1001
1002
1003
FANNY.
MARIUS.
FANNY.
« Oou Mariu-us ! »
« Oou Fanni-y ! »
« A quoi tu penses ? »
1004
MARIUS.
« Peut-être à toi. »
1005
FANNY.
« Menteur, va ! »
1006
MARIUS.
« Tu crois que je ne pense jamais à toi ? »
1007
FANNY.
« Tu penses à moi quand tu me vois ! »
1008
-----
1009
FANNY.
« Paye-moi le café. »
1010
MARIUS.
« Profitons que mon père dort. »
1011
-----
1012
FANNY.
« Pourquoi tu n'es pas venu danser hier au soir? »
1013
MARIUS.
« Où donc? »
1014
FANNY.
« A la cascade. On danse tous les dimanches. »
1015
MARIUS.
« Tu y vas, toi ? »
1016
FANNY.
« Oui. Ils y a des gens très bien. »
1017
MARIUS.
« Qui ? »
1018
FANNY.
« André, M. Bouzique, Victor … J'ai dansé toute la soirée avec Victor. »
1019
MARIUS.
« Est-ce qu'il a l'air aussi bête quand il danse que quand il marche ? »
1020
FANNY.
« Que tu es méchant ! Pourquoi ne viens-tu pas là-bas ? »
1021
MARIUS.
« Je ne sais pas danser. »
1022
FANNY.
« Si tu veux, je t'apprendrai. »
1023
MARIUS.
« Je n'y tiens pas. »
1024
FANNY.
« Où tu es allé ? »
1025
MARIUS.
« Me promener, respirer l'air du soir sur la jetée. »
1026
FANNY.
« Tout seul? »
(Fanny entre dans le bar, elle s'approche de Marius en souriant.)
(Marius remplit deux tasses et ils commencent à boire)
No.
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1027
MARIUS.
« Oui, mais j'ai rencontré M. Brun. »
1028
FANNY.
« Il est revenu ? »
1029
MARIUS.
« Hier matin.. »
1030
FANNY.
« Qu'est-ce qu'il est allé faire à Paris ? »
1031
MARIUS.
« Il a suivi des cours dans une école de douanes. »
1032
MARIUS.
« Quand il est parti, il était commis. Maintenant, ils l'ont nommé
vérificateur. »
1033
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1034
CÉSAR.
« Bonjour Fanny. Marius, c'est toi qui lui offre du café ? »
1035
MARIUS.
« Oui. »
1036
CÉSAR.
(impénétrable et froid). « Bon. »
1037
MARIUS.
« Je viens de le faire. Tu en veux une tasse ? »
1038
CÉSAR.
« Non. »
1039
MARIUS.
« Pourquoi ? »
1040
CÉSAR.
« Parce que si nous buvons tout gratis, il ne restera plus rien pour les
clients. »
1041
FANNY.
(Fanny rit). « Oh ! Vous n'allez pas pleurer pour une tasse de café ? »
1042
CÉSAR.
« Ce n'est pas pour le café, c'est pour la manière. »
1043
MARIUS.
« Qué manière ? »
1044
CÉSAR.
« De boire le magasin pendant que je dors. « 1045
MARIUS.
« Si tu voulais me faire un affront, tu as réussi. »
1046
CÉSAR.
« Un affront ! Quel affront ? »
1047
MARIUS.
« Si, à vingt-trois ans, je ne peux pas offrir une tasse de café, alors, qu'estce que je suis ? »
1048
CÉSAR.
« Tu es un enfant qui doit obéir à son père. »
1049
CÉSAR.
« Et toi, Fanny, tu ferais mieux de vendre tes clovisses que de rester là. »
1050
CÉSAR.
« Marius, la vérité c'est que tu est mou et paresseux. »
1051
CÉSAR.
« Tu es tout le portrait de ton oncle Émile. »
1052
CÉSAR.
« Celui-là ne passait jamais au soleil parce que ça le fatiguait de trainer
son ombre. »
(On entend un sifflet. A ce moment, CÉSAR. respire bruyamment, puis il
fait glisser le tablier qui cache le visage. Il s'étire. Il regarde autour de lui)
No.
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1053
CÉSAR.
« Tu es un rêvasseur, voilà ce que tu es. Un rêvasseur. »
1054
CÉSAR.
« Tu es né là, au dessus de ce comptoir, et tu ne connais même pas ton
métier. »
1055
CÉSAR.
« Tu ne sais même pas doser un mandarin-citron-curaçao. Tu n'en fais
pas deux pareils. »
1056
MARIUS.
« Comme les clients n'en boivent qu'un à la fois, ils ne peuvent pas
comparer. »
1057
CÉSAR.
« Ah ! Tu crois ça ! Tiens le père Cougourde, un homme admirable qui
buvait douze mandarins par jour. »
1058
CÉSAR.
« Sais-tu pourquoi il ne vient plus ? Il me l'a dit. ! »
1059
CÉSAR.
« Parce que tes mélanges fantaisistes risquent de lui gâter la bouche. « 1060
MARIUS.
« Lui gâter la bouche ! Un vieux pochard qui a le bec en zinc. »
1061
CÉSAR.
1062
CÉSAR.
1063
CÉSAR.
1064
-----
1065
CÉSAR.
« Tu mets d'abord un tiers de curaçao. Fais attention : Un tout petit
tiers ! Bon. »
1066
CÉSAR.
« Maintenant, un tiers de citron. Un peu plus grand. Bon. »
1067
CÉSAR.
« Ensuite, un BON tiers de Picon. Regarde la couleur. Regarde comme
c'est jolie. »
1068
CÉSAR.
« Et à la fin, un GRAND tiers d'eau. Voilà. »
1069
MARIUS.
« Et ça fait quatre tiers. »
1070
CÉSAR.
« Exactement. J'espère que cette fois, tu as compris. » (César boit une
gorgée du mélange.)
1071
MARIUS.
« Dans un verre, il n'y a que trois tiers. »
1072
CÉSAR.
« Mais, imbécile, ça dépend de la grosseur des tiers ! »
1073
MARIUS.
« Eh non, ça ne dépend pas. Même dans un arrosoir, on ne peut mettre
que trois tiers. »
1074
CÉSAR.
(triomphal) « Alors explique-moi comment j'en ai mis quatre dans ce
verre. »
1075
MARIUS.
« Ça c'est de l'arithmétique. »
1076
CÉSAR.
« Oui, quand on ne sait plus quoi dire, on cherche à détourner la
conversation. »
« C'est ça ! Insulte la clientèle au lieu de te perfectionner dans ton
métier ! »
« Eh bien, pour la dixième fois je vais le l'expliquer, le picon-mandarincuraçao. »
(César s'installe derrière le comptoir). « Approche-toi ! »
(Marius s'avance, et va suivre de près l'opération. César prend un grand
verre, une carafe et trois bouteilles. Tout en parlant, il compose le
breuvage.)
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1077
CÉSAR.
« Et la dernière goutte, c'est de l'arithmétique aussi ? »
1078
MARIUS.
« La dernière goutte de quoi ? »
1079
CÉSAR.
« Toutes les dernières gouttes ! Il y en a toujours une qui reste pendue au
goulot de la bouteille ! »
1080
CÉSAR.
« Et toi, tu n'as pas encore saisi le coup pour la capturer. Ce n'est pourtant
pas sorcier ! »
1081
-----
(César saisit une bouteille sur le comptoir, et tient le bouchon dans l'autre
main. Il verse le liquide en faisant tourner la bouteille.)
1082
CÉSAR.
« Tu verses en faisant un quart de tour, puis avec le bouchon tu remets la
goutte dans le goulot. » (César fait comme il dit, avec un geste de
mastroquet virtuose.)
1083
CÉSAR.
« Tandis que toi, tu fais ça en amateur ; et naturellement, tu laisses couler
la goutte sur l'étiquette. »
1084
CÉSAR.
« Et voilà pourquoi ces bouteilles son plus faciles à prendre qu'à lâcher ! »
(César fait un grand effort pour décoller sa main de l'étiquette.)
1085
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1086
CÉSAR.
« Et tu ris ! »
1087
MARIUS.
« Toi aussi, tu ris ! »
1088
CÉSAR.
« C'est vrai … Mais moi, je ris de ma patience ! » (César va à la porte et
regarde les passants.)
1089
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1090
CÉSAR.
1091
M. BRUN.
1092
CÉSAR.
1093
M. BRUN.
1094
CÉSAR.
1095
M. BRUN.
« Non, pas pour moi. Je viens de déguster ….. »
1096
PANISSE.
« Moi non plus. »
1097
CÉSAR.
1098
M. BRUN.
1099
CÉSAR.
1100
-----
(Marius éclate de rire).
(A ce moment entrent Panisse et M. Brun.)
« Et voici maître Panisse, le maître voilier du port de Marseille ! »
« Bonjour, maître empoisonneur ! » (Il serre la main poisée de César.)
« Oh ! ….. »
« Une invention de Marius. La bouteille attrape-mouches. Alors, Monsieur
Brun, vous êtes vérificateur maintenant ? »
« En titre, cher maître, en titre. »
« On vous sert deux bons cafés ? »
« Alors une bouteille de petit vin blanc ! »
« S'il est frais. »
« S'il est frais ? Touchez-moi ça ? On dirait que ça vient des vignobles du
pôle Nord ! »
(César débouche la bouteille. M. Brun et Panisse se sont assis.)
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1101
CÉSAR.
1102
M. BRUN.
« Ah ! Oui. C'est impressionnant. »
1103
PANISSE.
« Dis donc, il est monté sur la tourifèle. »
1104
CÉSAR.
1105
M. BRUN.
(M. Brun rit, avec un peu de condescendance.) « Peut-être, mais c'est au
moins cinq fois plus haut. »
1106
PANISSE.
(Panisse montre qu'il est ennemi de la tourifèle.) « Ça vous ne l'avez pas
mesuré ! »
1107
CÉSAR.
(catégorique) « Et puis, c'est peut-être plus haut, mais en tous cas, la
largeur n'y est pas. »
1108
CÉSAR.
« Vous vous êtes beaucoup promené là-bas ? »
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M. BRUN.
1110
1111
1112
CÉSAR.
M. BRUN.
CÉSAR.
« Oh ! Oui. Chaque soir, après mes cours, j'allais flâner sur les boulevards
….. »
« Alors, vous avez vu Landolfi ? »
« Qui est-ce, Landolfi ? »
« Un vieil ami ….. »
1113
PANISSE.
« Il avait un petit magasin de tailleur sur le quai ….. »
1114
CÉSAR.
« Et puis, il s'est marié une parisienne, qui l'a entraîné là-haut. »
1115
CÉSAR.
« C'est un grand blond, un peu maigre, avec une paupière qui retombe. »
1116
CÉSAR.
« Allons, vous l'avez sûrement remarqué. »
1117
M. BRUN.
« Eh non ! Je n'ai pas vu Landolfi. »
1118
PANISSE.
« Et vous alliez vous promener tous les soirs ? »
1119
1120
1121
M. BRUN.
CÉSAR.
PANISSE.
1122
CÉSAR.
« Tous les soirs. »
« Alors il est mort. »
« Peuchère ! »
« Et ça ne m'étonne pas ….. Le climat. Il n'avait pas une santé à supporter
ce climat.
1123
CÉSAR.
1124
-----
1125
M. BRUN.
1126
CÉSAR.
1127
PANISSE.
« C'est plus du double de Marseille ! »
1128
M. BRUN.
(ironique) « Je crains que le double ne soit pas assez dire ….. J'ai vu au
moins trente Canebières ! »
« Alors, dites, ce Paris, ça vaut la peine d'être vu ? »
« A ce qu'il paraît que comme largeur, c'est la moitié du Pont Transbordeur
qui est proche de chez nous, dans le port de Marseille. »
« A Marseille on a le soleil et la chaleur, à Paris il pleut et il fait froid. »
(César chante la chanson « Le parapluie » de Georges Brassens.)
« Allons-donc ! Paris est grand ….. On n'y connnaît pas tout le monde,
comme ici. »
« Oui, c'est grand, bien entendu, c'est grand. »
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1129
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1130
CÉSAR.
« O Panisse ! Trente Canebières ! Et après, on dira que nous exagérons !
Et vous êtes vérificateur ! »
1131
CÉSAR.
« Quelle mentalité ! Ah ! On voit bien que vous êtes Lyonnais, vous ! »
1132
-----
1133
CÉSAR.
1134
PANISSE.
(surpris) « Où va-t-il ? »
1135
MARIUS.
« Il va s'habiller. C'est lundi, aujourd'hui.
1136
M. BRUN.
« Qu'y a-t-il de particulier, le lundi ? »
1137
MARIUS.
(confidentiel) « Le lundi, à midi et demi, mon père va voir ses amours. »
1138
PANISSE.
« Une italienne, tout ce qu'il y a de beau : une femme comme ça ! »
1139
-----
1140
M. BRUN.
« C'est charmant. »
1141
MARIUS.
« Surtout, faites semblant de ne rien savoir ….. Il croit que personne ne
s'en doute. »
1142
MARIUS.
« Chaque fois qu'il va la voir, il cherche des prétextes et il me donne des
explications pendant dix minutes. »
1143
M. BRUN.
1144
PANISSE.
1145
M. BRUN.
« Pourtant, ce n'est pas un crime d'avoir une maîtresse quand on est
veuf. »
(dans un cri douloureux) « Veuf ! Ah ! Veuf ! Ah ! pas ce mot devant moi,
M. Brun ! »
« Pourquoi pas ? »
1146
PANISSE.
« Vous n'avez pas su mon malheur ? Tenez, Mr. Brun. »
1147
M. BRUN.
« Quoi, Mme Panisse ? »
1148
PANISSE.
« Oui, M. Brun ! Il y aura trois mois demain ! Elle si forte, si gaillarde ….. »
1149
M. BRUN.
« Oh ! Mon pauvre ami ! »
1150
PANISSE.
« A ce qu'il paraît qu'elle avait une maladie de cœur ….. Ces choses-là
frappent d'un seul coup ….. lâchement. »
1151
PANISSE.
« Le vendredi, elle avait encore mangé un aïoli du tonnaire de Dieu, avec
des escargots et la morue ….. Et le dimanche matin, dernière soupir. »
1152
M. BRUN.
« Si vite ! Quelle catastrophe ! »
1153
PANISSE.
« Oui oui ….. Vous me direz tout ce que vous voudrez, mais il y a des fois
que le bon Dieu n'est pas gentil. »
(César et Panisse éclatent d'un rire joyeux.)
(la sirène des docks siffle. César regarde la pendule.)
« O coquin de sort ! Midi et demi ! » (César sort brusquement en courant.)
(En écartant ses deux mains ouvertes devant sa poitrine, Panisse donne à
entendre qu'elle a des seins comme des pastèques.)
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1154
PANISSE.
« Une brave femme, si dévouée, si travailleuse, qui faisait marcher les
ouvrières comme pas une ….. »
1155
PANISSE.
« Et avec ça, dans l'intimité, elle était gaie et rieuse ….. Il lui fallait tout le
temps des taquineries et des jeux ….. »
1156
PANISSE.
« Le matin, quand elle était en chemise, je m'amusais à lui courir après
autour de la table de la salle à manger. »
1157
PANISSE.
« Je lui donnais de petites tapes, je lui tirais des pinces ….. gentiment pour
rire, et alors, pour se venger, elle me faisait des chatouilles. » (Panisse
étouffe un sanglot.)
1158
M. BRUN.
« Ne remuez pas vos souvenirs, Panisse, ça vous fait du mal ….. »
1159
PANISSE.
« Oui, quand on pense que tout ça ne reviendra plus! A quoi ça me sert,
maintenant, d'être juge au tribunal des prud'hommes ? »
1160
PANISSE.
« Et ce petit cotre que je venais d'acheter pour allez au cabanon, le
dimanche, qu'est-ce que vous voulez que j'en fasse ? » (Panisse pleure.)
1161
M. BRUN.
« Evidemment, c'est un coup terrible ….. Mais il faut réagier. Il faut vous
dire que nous sommes tous mortels, il faut vous faire une raisin. « 1162
PANISSE.
(violent) « Et quand on ne peut pas ? »
1163
M. BRUN.
« Le temps vous aidera, sans doute. »
1164
PANISSE.
« Le temps ? Allons donc ! ….. Plus ça va, plus je descends ….. Je passe
mes nuits à pleurer ….. Voyons monsieur Brun, est-ce que cela peut
durer ? »
1165
M. BRUN.
« Que faire, pourtant ? »
1166
PANISSE.
(sombre) « Oh ! Je le sais bien, allez. »
1167
M. BRUN.
(inquiet) « Voyons, Panisse ? »
1168
PANISSE.
« C'est facile à dire, voyons ….. J'ai bien réfléchi, et c'est tout vu. Des
solutions, il n'y en a pas deux. »
1169
PANISSE.
« Quand on commence à se tromper dans les factures, et même à les
perdre, on n'a plus le droit d'hésiter ….. »
1170
PANISSE.
« Je n'ai pas d'enfant, je suis orphelin, ce qui est bien naturel à mon âge
….. Ça ne fera de tort à personne. »
1171
M. BRUN.
(M. Brun met la main sur l'épaule de Panisse.) « Allons, allons, pas de
bêtises ….. Attendez encore un peu, et vous verrez ….. »
1172
PANISSE.
« Non, non, non. » (Un temps.) « Je préfère me remarier tout de suite. »
1173
M. BRUN.
(interloqué) « Vous préférez vous remarier ? »
No.
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1174
PANISSE.
« Le plus tôt possible, mon bon. C'est bête de rester toujours seul à se
faire du mauvais sang. »
1175
PANISSE.
« Elle est morte ? Elle est morte. Ce n'est pas en maigrissant que je
pourrai la ressusciter, pas vrai ! »
1176
M. BRUN.
« Bien sûr ! »
1177
PANISSE.
« Il y en a peut-être qui trouveront que je n'ai pas attendu assez
longtemps, mais j'ai la conscience tranquille ….. »
1178
PANISSE.
« Parce que moi, je l'ai pleurée bien plus qu'un autre en cinq ans. »
1179
-----
1180
PANISSE.
« Des larmes comme ça, monsieur Brun ….. et de cris terribles ….. Je me
demande comment j'ai fait pour tenir le coup ! »
1181
M. BRUN.
« Pauvre Panisse ! »
1182
PANISSE.
« Ah ! Oui, je suis bien à pleindre. » (Ils trinquent.) « A la vôtre ….. Qu'estce que vous en pensez ? »
1183
M. BRUN.
(narquois) « Je ne serais pas étonné si vous me disiez que vous avez déjà
choisi votre nouvelle femme. »
1184
PANISSE.
« Oh ! Pour ça, oui, naturellement, et je vais présenter ma demande ces
jours-ci, à la première occasion. »
1185
M. BRUN.
(coquin) « Qui est-ce ? »
1186
PANISSE.
(rigolard) « Je ne peux pas encore vous le dire. Mais je vous retiens pour
la noce, qué ! »
1187
M. BRUN.
« J'y compte bien. »
1188
PANISSE.
« Je louerai des autos pour tous les invités. Il y aura les prud'hommes,
ttous mes clients, tous mes amis ….. »
1189
PANISSE.
« Il n'y manquera qu'une seule personne, mais elle manquera bien, allez !
Ma pauvre Félicité, peuchère, elle qui aimait tant les fêtes ! »
1190
PANISSE.
« Mais quoi, le bon Dieu ne l'a pas voulu ! Que faire ? Elle nous verra de
là-haut, où elle est sûrement plus heureuse que nous. »
1191
-----
1192
PANISSE.
1193
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(comment nous continuons?)
1194
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(Marius + M. Brun restent au café, Honorine arrive?)
1300
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(comment nous arrivons ici?)
1301
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(en dehors du café, au stand d'Honorine - ou dans le café ?)
(Panisse montre le bout de son pouce pour montrer la grosseur de ses
larmes.)
(On entend au dehors une voix qui crie « Panisse ! »)
« Que voulez-vous, quand on n'est pas rentier, le travail c'est le travail. »
(Panisse se lève, vide son verre et sort.)
No.
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1302
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1303
HONORINE.
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PANISSE.
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HONORINE.
1307
PANISSE.
1308
HONORINE.
« Oui, il y aura du rouget ….. » (Elle inscrit encore un chiffre, puis elle
referme le carnet.)
1309
PANISSE.
(un peu hésitant) « Dites, Norine, vous viendrez encore au cabanon,
dimanche ? »
1310
HONORINE.
1311
PANISSE.
1312
HONORINE.
1313
PANISSE.
1314
HONORINE.
1315
PANISSE.
1316
HONORINE.
« Dans ma famille, il y a de l'honneur ….. A part ma sœur Zoé, la pauvre,
qui avait l'amour dans le sang et qui est tombée à la renverse sur tous les
sacs du Vieux Port. »
1317
HONORINE.
« Mais sur les autres femmes de ma famille, personne ne peut dire ça. »
(Ongle sur la dent.) « Alors, si ce n'est pas pour le mariage, dites-le-moi ! »
1318
PANISSE.
1319
HONORINE.
1320
PANISSE.
1321
HONORINE.
(Honorine fait ses comptes avec application.)
« Soixante-huit et neuf ? Septante-sept. Et huit ? Quatre-vingt-cinq. Et
six ? Nonante et un. »
(Panisse arrive sur scène.)
« Bonjour, Norine. Ça a marché ce matin ? »
« Comme d'habitude. J'ai fait sept kilos de rougets, un peu de baudroie,
des daurades et un beau fiala ….. Nonante et un et cinq ? Nonante-six
….. »
(désinvolté) « Ce matin, le mistral s'est tué. Demain la pêche sera
bonne. »
« Au cabanon ? Oh ! Dites, Panisse, ça fera deux fois en quinze jours ! »
(galant) « Si ça vous déplaît, c'est deux fois de trop. Mais si ça vous
amuse, ce n'est pas assez. »
« Ça ne me déplaît pas, au contraire. Le bon air, un fin dîner, une bonne
bouteille ….. Mais ça fait parler les gens. »
« Vous savez, Norine, quoi qu'on fasse, les gens parlent toujours. »
(brusquement sérieuse) « Panisse, depuis quelque temps, je vous vois
venir. Mais si la chose n'est pas sérieuse, il vaut mieux l'arrêter tout de
suite. »
« Qu'est-ce que vous appelez sérieuse ? »
« Honorine, vous savez bien que je pense au mariage. Ç a toujours été
mon idée ….. »
« Alors, c'est tout différent. »
« Si vous venez au cabanon dimanche, nous serons bien à l'aise pour
discuter tous les détails. »
« Oui ….. Dimanche ….. Justement Fanny doit aller passer la journée à
Aix, chez ma sœur Claudine, et elle revient que le soir ….. »
No.
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1322
HONORINE.
1323
PANISSE.
1324
HONORINE.
1325
PANISSE.
(perplexe) « Oui, nous serons plus tranquilles. Mais vous auriez pu
l'amener tout de même. »
1326
HONORINE.
(confuse) « La vérité, c'est que j'ai un peu honte devant elle ….. »
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PANISSE.
1328
HONORINE.
« Vous ne comprenez pas ? Ah ! Les hommes, comme c'est peu délicat !
Brigandas ….. va ….. »
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HONORINE.
« Qui m'aurait dit, quand vous faisiez la partie des boules avec mon
pauvre frisé, qu'un jour vous m'emmèneriez au cabanon toute seule ….. »
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PANISSE.
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HONORINE.
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PANISSE.
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HONORINE.
(frappée d'une révélation subite) « C'est peut-être pas la petite ? »
1336
HONORINE.
(ajouté par Mme Zlota?) « La petite. La petite. Ma petite ? Fanny ! Ma fille,
oh mon Dieu, ma fille avec un vieux de cinquante ans ! »
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PANISSE.
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HONORINE.
(se lève furieuse) « Qué, mon âge ? Il y en a de plus jolie que vous qui me
courent derrière ! Mon âge ! »
1339
HONORINE.
« Et il faut s'entendre dire ça par un vieux polichinelle que les dents lui
bougent ! »
1340
PANISSE.
1341
HONORINE.
1342
PANISSE.
1343
HONORINE.
« J'aurai même pas besoin de lui dire où je suis allée. »
(surpris) « Elle ne viendra pas avec nous ? »
« Nous serons plus tranquilles pour discuter. »
« Honte de quoi ? »
(inquiet) « Dites, Norine, je ne sais pas si nous sommes d'accord. »
« Si nous ne sommes pas d'accord, nous pourrons toujours nous
expliquer. Il n'y a qu'une chose que je discuterai, c'est la communauté. Je
veux la communauté. »
« Pour ça, on s'entendra toujours. Mais il me semble qu'il y a une erreur de
votre part ….. Vous croyez peut-être que c'est vous que je veux ? »
« Comment, si je crois ? Vous ne venez pas de me le dire ? »
« Mais non, je ne vous ai jamais dit ça ! Vous n'êtes pas seule dans votre
famille. »
« Voyons, Norine ! Vous ne pensez pas qu'à votre âge ….. »
« Voyons, ma belle, vous savez bien ….. »
« Vous ne vous êtes pas regardé ! Si mes racasses n'étaient pas plus
fraîches que vous, je n'en vendrais guère. »
(condilliant) « Vaï, ne parlons pas de vos racasses ….. Il s'agit de la
petite ! »
(au comble de l'indignation) « La petite ! Qui pourrait imaginer une chose
pareille ! ….. Vous n'en avez pas assez porté avec votre première ? »
No.
1344
acteur
PANISSE.
action
1345
HONORINE.
« Si on vous avait mis une voile entre les cornes, il aurait fallu une brave
quille pour vous tenir d'aplomb. »
1346
PANISSE.
(furieux, se lève) « Vous, qui parlez tant des autres, vous devriez un peu
nous dire ce que vous alliez faire, le soir, dans l'entrepôt de maître
Barbentane, avec Nestor, le premier trombone de l'Opéra ? »
1347
HONORINE.
« Et alors ? Pourquoi une veuve n'aurait pas le droit de parler à un
trombone ? »
1348
HONORINE.
« Mon mari était mort depuis deux ans, et je vous apprendrai qu'au ciel, il
n'y a pas de cocus. » (Honorine fait un signe de croix.)
1349
PANISSE.
1350
HONORINE.
1351
PANISSE.
1352
HONORINE.
1353
PANISSE.
1354
HONORINE.
1355
PANISSE.
(Panisse fait assoir Honorine.) « Honorine, ma belle, venez vous assoir ici,
que je vous dise bien la chose. »
1356
PANISSE.
« Si vous me donnez la petite, je lui fais une dot de cent mille francs, et
une pension de quatre cents francs par mois pour sa mère. »
1357
HONORINE.
« Ah non ! Ça, non. Ça, ce n'est pas mon genre, de vivre aux crochets de
ma fille, jamais. Moi, je ne veux RIEN. »
1358
HONORINE.
« Je ne demande qu'habiter avec vous, voilà tout. »
1359
PANISSE.
1360
-----
1361
HONORINE.
1362
PANISSE.
1363
HONORINE.
« Naturellement, je ne l'empêcherais pas de faire sa vie, mais elle ne
voudra pas. »
1364
1365
PANISSE.
HONORINE.
« Je lui en ai déjà parlé. »
« Quand ? »
« Comment, assez porté ? »
« Oui, ça les gênerait pour mettre l'auréole ….. Allez, zou, Norine, c'est
bête de nous disputer pour un malentendu. Ecoutez-moi. »
(Honorine ricane) « La petite ! Quel toupet ! Fanny ! »
(après un temps) « J'aurais donné cent mille francs à la petite comme
dot. »
(dans un éclat de rire méprisant) « Cent mille francs ! » (Un ton plus bas,
avec un sourire de mépris) « Cent mille francs ! » (Sérieusement, d'un ton
interrogateur) « Cent mille francs ? »
« Oui, je lui constituerais une dot ….. »
(intéressée) « Allez, vaï, ne plaisentez pas. »
(pas très enchanté) « Pour ça, on s'entendra toujours. Elle aura une
bonne. Et je lui laisserai tout par testament. »
(Un temps. Honorine réfléchit. Panisse attend, souriant.)
« Panisse, la petite ne voudra jamais. »
« Si elle voulait, qu'est-ce que vous diriez ? »
No.
acteur
action
« Dimanche dernier, au cabanon. Pendant que vous faisiez la
bouillabaisse. »
1366
PANISSE.
1367
HONORINE.
1368
PANISSE.
1369
HONORINE.
1370
PANISSE.
1371
HONORINE.
1372
PANISSE.
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HONORINE.
1374
PANISSE.
1375
HONORINE.
1376
PANISSE.
1377
HONORINE.
1378
PANISSE.
« Mais elle aura tout ce qu'elle voudra. De l'argent, des robes, des bijoux
….. »
1379
HONORINE.
(Honorine secoue la tête d'un air plein de doute) « Je le sais ! Vous êtes
un brave homme. Mais il ne faudrait pas qu'il lui manque le principal. »
1380
1381
PANISSE.
HONORINE.
« Quel principal ? »
« Je me comprends. »
1382
PANISSE.
1383
HONORINE.
1384
PANISSE.
1385
HONORINE.
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PANISSE.
1387
HONORINE.
1388
PANISSE.
1389
HONORINE.
« Ah ! Mon pauvre Panisse, les chemises de nuit n'ont pas de poches !
Moi, je vous parle dans votre intérêt. »
1390
HONORINE.
« Bien sûr, c'est un beau parti pou ma petite ….. » (Honorine rêve un
instand.)
1391
HONORINE.
« Mais quand je pense à ça et que je vous regarde, je vous vois une paire
de cornes qui va trouer le plafond. »
« Qu'est-ce qu'elle vous a dit ? »
« De m'adresser à sa mère. Ça veut dire qu'elle accepte. »
« Quelle petite masque ! Elle m'a bien trompée celle-là! Vous lui avez
parlé des cent mille francs ? »
« Non. C'est elle qui m'en a parlé. »
(avec fierté) « Elle est magnifique, cette petite. »
« Et je vous signerai des papiers dès que vous aurez dit oui. »
« Dites, Panisse, parlons peu mais parlons bien. Vous avez bien réfléchi à
la chose ? »
« Oui. J'ai réfléchi. »
« Vous avez vu qu'elle a trente ans de moins que vous ? »
(avec un grand bon sens) « Eh ! Oui, mais ce n'est pas de ma faute. »
« Vous savez ce qui arrivera ? »
(Panisse sourit avantageusement, se dedresse et frise ses moustaches.)
« Allons, Norine ….. Parlez pas de ce que vous ignorez ! »
« Je sais qu'il n'y a rien de plus beau que l'amour. »
(même jeu) « Mais je suis bien de votre avis. »
« Mais il vaut mieux avoir dix-huit ans. »
(même jeu) « Eh bien, la petite a dix-huit ans. »
« Et vous, cinquante. »
(malin) « Seulement, j'ai six cents mille francs. »
No.
acteur
action
1392
PANISSE.
1393
HONORINE.
1394
PANISSE.
1395
HONORINE.
1396
PANISSE.
1397
HONORINE.
« Oui, demain, après-demain, je ne suis pas pressée. J'ai confiance. Mais,
té, je vois Fanny qui arrive. Nous pourrons y aller tout de suite ? »
1398
1399
PANISSE.
HONORINE.
(bon enfant) « Si vous voulez ! »
(Honorine se lève) « Marius ! »
1400
MARIUS.
1401
HONORINE.
1402
MARIUS.
(en coulisse) « Bon ! Je viens. »
1403
PANISSE.
(à mi-voix) « Dites, vous ne croyez pas que Fanny et Marius, il y a entre
eux un certain sentiment ? »
1404
HONORINE.
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PANISSE.
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HONORINE.
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PANISSE.
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HONORINE.
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PANISSE.
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HONORINE.
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PANISSE.
1412
-----
1413
FANNY.
1414
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1415
FANNY.
« Qu'est-ce que tu regardes comme ça ? »
1416
MARIUS.
« Tu as une bien jolie chemisette ! »
(vexé) « Encore ! Vous vous trompez, voilà tout. Tout ce que je vous
demande, c'est de me dire oui. Le reste, je m'en charge. »
« Eh bien, je vais lui en parler. Je vous répondrai dans quelques jours. »
« Bon. Dans quelques jours. J'attendrai. »
« Seulement, je voudrais bien regarder les comptes de votre magasin. Ce
n'est pas la curiosité, Panisse. C'est l'amour maternel. »
« Venez demain matin, je vous expliquerai tout. »
(voix en coulisse) « Oui ! »
« Je m'en vais ! S'il vient du monde, occupe-t-oi-z'en ! »
« Ah ! Pour ça, c'est sûr ! Et c'est naturel ! »
« Pourquoi ? »
(froidement) « Parce que, le samedi soir, au cabanon, ils on souvent
couché ensemble. »
(épouvanté) « Ils ont ….. Honorine, qu'est-ce que vous dites ? »
« Eh ! Oui ! Au cabanon, il n'y avait qu'un berceau. »
(en sortant) « Oh ! Coquin de sort que vous m'avez fait peur ! »
« Allons, venez, mon gendre. »
« Je vous suis, maman. »
(Panisse et Honorine sortent, Marius entre, Fanny entre un peu après. Elle
s'approche lentement en chantant.)
« L'amour est enfant de bohème ….. il n'a jamais jamais connu de loi …..
si tu ne m'aimes pas, je t'aime ….. et si je t'aime, prends garde à toi. »
(Fanny s'approche de Marius qui la regarde des pieds à la tête.)
No.
acteur
action
1417
FANNY.
« C'est ma mère qui me l'a faite. » (un temps) « Tu voudras bien voir ce
qu'il y a dedans, qué ! »
1418
MARIUS.
(très gêné) « Ça ne me ferait pas peur, tu sais ! »
1419
FANNY.
« Toi ? Tu partirais en courant jusqu'à la Joliette ! »
1420
MARIUS.
« Tu crois ça ? »
1421
FANNY.
« Oui. Tu es tout le temps à réfléchir et à penser. Si une fille te regarde, tu
baisses les yeux. »
1422
MARIUS.
« Regarde-moi un peu, pour voir ! »
1423
-----
(Fanny s'approche de Marius, elle le regarde bien dans les yeux. Elle
s'approche peu à peu, elle adoucit son regard qui brille cependant d'un
éclat intense.)
1424
-----
(Marius se trouble ….. Il essaie un petit rire, il rougit, il baisse les yeux,
puis il hausse les épaules.)
1425
MARIUS.
1426
-----
1427
MARIUS.
« Qu'est-ce que tu as à rire comme ça ? »
1428
FANNY.
« Rien. Et la fille du café de la Régence, tu oses la regarder ? »
1429
MARIUS.
« Quelle fille ? »
1430
FANNY.
« Avec ça que tu ne la connais pas ! Elle passe ici devant deux fois par
jour pour te faire un coup d'œil ! Si tu crois qu'on ne le voit pas ! »
1431
MARIUS.
« La grande blonde ? Je ne lui ai jamais parlé ! »
1432
FANNY.
« Alors, c'est que tu n'es pas capable de te déclarer à une fille, même si
elle vient te tourner autour ….. »
1433
MARIUS.
« Ça, tu n'en sais rien ! »
1434
FANNY.
« Tu es timide, je le vois bien ! Si une fille venait t'embrasser, tu tomberais
évanoui ! »
1435
MARIUS.
« Je ne me suis pas évanoui quand tu m'as embrassé ! »
1436
FANNY.
« Moi ? Je t'ai embrassé ? »
« Que tu es bête ! »
(Fanny se met à rire, elle va jusqu'à la porte, elle se retourne vers lui, elle
rit encore.)
No.
acteur
action
1437
MARIUS.
« Oui. »
1438
FANNY.
« Quand ? »
1439
MARIUS.
« Il y a longtemps. Un soir que nous jouions aux cachettes sur le port.
J'avais bien quinze ans, et toi, onze ou douze. »
1440
FANNY.
« Je ne me rappelle pas. »
1441
MARIUS.
« Nous étions derrière des sacs de café et, tout d'un coup, tu m'as
embrassé là. » (Marius montre sa tempe.)
1442
FANNY.
« Moi ? »
1443
MARIUS.
« Oui, toi. Et pas qu'une fois. Un autre jour, aussi, sur le quai de RiveNeuve ….. Tu l'as vraiment oublié ? »
1444
FANNY.
« Tu sais, quand on joue aux cachettes, c'est toujours un peu pour
embrasser les garçons. »
1445
MARIUS.
« Ah ! ….. Tu en as embrassé d'autres ? »
1446
FANNY.
« Oui, peut-être ! »
1447
MARIUS.
« Qui ? »
1448
FANNY.
« Victor, Mathieu, Louis ….. Tout ceux qui jouaient avec nous. »
1449
MARIUS.
« Tiens, tiens ….. »
1450
FANNY.
« Et toi, tu n'embrassais pas les autres filles ? »
1451
MARIUS.
« Je ne me souviens pas. « 1452
FANNY.
« Je me souviens très bien que tu avais fait une caresse à Césarine, et
qu'elle t'avait donné des poux. »
1453
MARIUS.
« Et un autre jour, tu l'avais giflé, parce qu'elle se cachait avec moi dans la
cave. »
1454
FANNY.
« Oh ! Pauvre ! Je m'en moquais bien qu'elle se cache avec toi ! Qu'est-ce
que tu vas imaginer ? »
1455
MARIUS.
« Oh ! ….. Je dis ça pour parler. »
1456
FANNY.
« Tu serais bien aimable de ne pas faire des plaisanteries de ce genre.
Surtout maintenant. »
1457
MARIUS.
« Pourquoi « maintenant » ? »
1458
FANNY.
(mystérieuse) « Parce que. »
1459
MARIUS.
« Qu'y a-t-il de changé ? »
No.
1460
acteur
FANNY.
(même jeu) « Des choses. »
action
1461
MARIUS.
« Quelles choses ? »
1462
FANNY.
(Fanny feint de se décider) « Écoute, si tu me promettais de ne le dire à
personne ….. »
1463
MARIUS.
« Tu sais bien que tu peux me faire confiance ! »
1464
FANNY.
« On dit ça, et après on répète tout pour le plaisir de parler. »
1465
MARIUS.
(impatient) « Si tu ne veux pas me le dire, je ne te force pas. »
1466
FANNY.
« Écoute, je crois que je vais me marier. »
1467
MARIUS.
« Toi ? »
1468
FANNY.
« Oui. »
1469
MARIUS.
« Avec qui ? »
1470
FANNY.
« Personne ne le sait encore, mais à toi, je vais te le dire, parce que tu vas
me donner un conseil. »
1471
MARIUS.
« Bon, avec qui ? »
1472
FANNY.
« Je ne suis pas malheureuse, et les coquillages, je ne m'en pleins pas.
Mais j'aimerais mieux faire un travail où on a des employés. »
1473
MARIUS.
« Tu es pratique, toi. »
1474
FANNY.
« J'ai dix-huit ans. C'est le meilleur moment pour choisir, parce que je ne
serai jamais plus jolie que maintenant ….. »
1475
FANNY.
« Et il me semble que si l'occasion se présente ….. Il ne faut pas la laisser
échapper. »
1476
MARIUS.
(nerveux) « Et ….. L'occasion s'est présentée ? »
1477
FANNY.
« Oui. »
1478
MARIUS.
« Qui ? »
1479
FANNY.
« Il m'a demandé à sa mère ….. »
1480
MARIUS.
« Qui ? »
1481
FANNY.
« Je ne sais pas si je fais bien de te le dire. »
1482
MARIUS.
(exaspéré) « Si tu ne veux pas le dire, garde-toi-le. »
1483
FANNY.
« Tu le sauras bientôt, vaï. »
1484
MARIUS.
« Oh ! Je le sais déjà. C'est le petit Victor. Il y a assez longtemps que ça
se comprend. »
1485
FANNY.
« Et toi, tu l'as compris ? »
No.
acteur
action
1486
MARIUS.
« Tout le monde l'a vu. Il venait te parler tous les soirs, sous prétexte de
manger des coquillages ….. »
1487
MARIUS.
« Il en a mangé tellement qu'il a failli mourir de l'urticaire. »
1488
FANNY.
« Qu'est-ce que ça prouve ? »
1489
MARIUS.
« Ça prouve que c'est un imbécile. Et puis, si tu comptes sur le magasin,
son père n'est pas encore mort, tu sais. »
1490
FANNY.
« Oh ! Je n'attends après la mort de personne, et je me moque bien de
Victor ! »
1491
MARIUS.
« Alors, qui c'est ?!
1492
FANNY.
« Panisse. »
1493
MARIUS.
« Panisse ? Le père Panisse ? »
1494
FANNY.
« Oui. Monsieur Panisse. Depuis quelque temps je le voyais venir ….. Et
puis, dimanche dernier, il nous a menées au cabanon, moi et ma mère. »
1495
MARIUS.
« Je le sais, il y avait ta mère ! »
1496
FANNY.
« Oui. Et pendant qu'elle faisait la bouillabaisse, nous sommes allés nous
promener sur les rochers. »
1497
FANNY.
« Et tout d'un coup, il enlève son chapeau et il se met à genoux. »
1498
MARIUS.
(goguenard) « Le père Panisse ? Ha ! »
1499
FANNY.
« Et il me dit qu'il m'aime, que je suis la plus jolie de tout Marseille, et qu'il
me veut. Et puis, il se relève, et il essaie de m'embraser. »
1500
MARIUS.
(goguenard) « Il essaie de t'embrasser. Et alors ? »
1501
FANNY.
« Alors, je lui donne une gifle, parce que c'était le plus sûr moyen qu'il me
demande à ma mère. Et ce matin, il m'a demandée. Voilà. »
1502
MARIUS.
« Eh bien, ma fille, tu es une belle menteuse. »
1503
FANNY.
« Tu ne le crois pas ? »
1504
MARIUS.
« Non. »
1505
FANNY.
« Pourquoi ? »
1506
MARIUS.
« Parce qu'il veut ta mère, je le sais ! J'ai vu la robe d'Honorine, tout à
l'heure. Et j'ai vu comment elle lui parlait ….. »
1507
FANNY.
« Bon. »
No.
acteur
action
1508
MARIUS.
« Tu as beau dire « bon », tu me feras pas croire que tu as pensé une
seconde à épouser Panisse. »
1509
FANNY.
« Bon ! Alors, tu ne veux pas me donner un conseil ? »
1510
MARIUS.
« Oui. Je te conseille, quand tu voudras me faire marcher, de chercher
une histoire monins bête que celle-là ….. »
1511
FANNY.
« Bon. »
1512
MARIUS.
« Allons ! Un homme qui a les yeux plissés comme le côté d'un soufflet
….. »
1513
1514
FANNY.
-----
« Tais-toi, le voilà. »
(Panisse paraît sur la porte, guilleret.)
1515
PANISSE.
1516
FANNY.
1517
PANISSE.
« Tu as bien raison. » (il déclame) « Le soleil est le lieu du jour. Mais
cachez-lui ce frais visage. »
1518
PANISSE.
« Car il pourrait br1uler, dans son ardeur sauvage, les douces roses et
l'amour. »
1519
MARIUS.
« Hé ! Hé ! Panisse, c'est bien envoyé, ça ! »
1520
PANISSE.
(très à son aise) « C'est ma spécialité, mon cher. Filer le madrigal. Les
dames en sont friandes ….. et il n'y a rien de tel que quatre petits vers. »
1521
FANNY.
1522
PANISSE.
« Je te dirais oui si j'étais menteur et si je n'étais pas certain que tu les
verras sur un pot de pommade dans la vitrine du bureau de tabac qui fait
le coin de la rue Victor-Gelu. »
1523
PANISSE.
« D'aillerus, le plus grand mérite d'une poésie, c'est d'1etre bien placée
dans la conversation. Marius, deux anisettes. »
1524
FANNY.
1525
PANISSE.
1526
-----
1527
PANISSE.
1528
FANNY.
1529
PANISSE.
(galant) « Eh bien, ma jolie, tu te reposes ? »
« Je reste un peu au frais en attendant les client. »
« C'est vous qui les avez faits ? »
« Il y en a une pour moi ? »
« Et pour qui serait-elle ? Viens un peu t'asseoir ici. Viens ! »
(Panisse et Fanny vont s'asseoir assez loin du comptoir, sur la banquette.
Panisse parle en baissant le ton pendant que Marius prépare la bouteille
et les verres.)
« Je viens de parler à ta mère. Elle est en train de regarder ma
comptabilié. Et je crois que nous serons d'accord si tu dis oui. »
« Je vous ai demandé quelques jours, Panisse. »
« Et tu as bien fait ….. Il n'est pas mauvais de faire attendre une réponse :
ton oui me fera plus plaisir encore. »
No.
acteur
1530
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1531
FANNY.
1532
PANISSE.
« Vingt-trois, et j'en cherche trois autres, parce que j'ai un commande
importante. » (A Marius) « Eh ! Petit, remplis bien les verres ! »
1533
MARIUS.
« Ils sont pleins ! »
1534
FANNY.
1535
PANISSE.
« Oh ! Menteur !
« Tu comptes ça deux francs vingt-cinq, et il y manque au moins les
sentimes. »
1536
MARIUS.
1537
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1538
PANISSE.
« Fais attention, tu verses à côté ! »
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FANNY.
« Il est un peu fatigué, aujourd'hui. »
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1541
PANISSE.
1542
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PANISSE.
1544
FANNY.
action
(Marius vient disposer les verres et les remplir.)
(Fanny parle pour que Marius l'entende.) « Dites, Panisse, combien c'est
que vous en avez, d'ouvrières ? »
« Tenez, tenez ….. »
(Marius achève de remplir les verres et fait déborder l'anisette dans les
soucoupes.)
(Marius ne dit rien. Il rebouche sa bouteille et retourne au comptoir.
Pendant le répliques suivantes. Panisse prend son verre d'une main, sa
soucoupe de l'autre et boit la liqueur que Marius a répandue dans la
soucoupe.)
(très gentleman) « Vraiment, ce ne sont pas des manières. »
(Panisse a bourré sa pipe et il fouille ses poches depuis un moment.)
« Coquin de sort ! J'ai oublié mes allumettes ! »
« Attendez ! »
1545
-----
(Fanny prend le pyrophore sur la table voisine. Elle allume l'allumette et la
tient elle-m1eme au-dessus du fourneau de la pipe. Marius, qui n'a pas
perdu un mot de la conversation, regarde ce tableau avec une inquiétude
grandissante.)
1546
PANISSE.
« C'est gentil, ce que tu viens de faire. Une allumette tenue par une aussi
jolie main. »
1547
FANNY.
1548
PANISSE.
1549
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PANISSE.
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FANNY.
1552
PANISSE.
« Oh ! Panisse, ne dites pas que j'ai de jolie mains ! »
« Elles sont petites comme tout ! »
(Panisse prend la main de Fanny et la regarde.)
« Elles sont fines, elles sont chaudes ….. Et tu as une bien belle bague
….. »
« Elle vous plaît ? »
« Elle fait très bien. Elle est en or ?!
No.
acteur
action
1553
FANNY.
1554
1555
PANISSE.
FANNY.
« Alors, elle est en cuivre ! »
« Tant pis ! »
1556
PANISSE.
« Tu n'as jamais eu une bague en or ? »
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1558
FANNY.
PANISSE.
1559
FANNY.
1560
PANISSE.
« Non. »
« Et ton collier, il est en or ? »
« Oh ! Mon collier, oui. C'est ma tante Zoé qui me l'a donné pour ma
communion. »
« Il est joli ….. »
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PANISSE.
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FANNY.
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PANISSE.
FANNY.
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MARIUS.
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MARIUS.
« Fanny ! Ta mère te crie ! »
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FANNY.
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« J'ai pas entendu ! »
(Panisse lève la tête. Il est tout rouge.)
1574
MARIUS.
« Je te dis que ta mère t'appelle. Ça fait trois fois. »
1575
FANNY.
« Tu as des rêves ! »
1576
PANISSE.
1577
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1578
PANISSE.
« Je ne crois pas. Je l'ai trouvé dans une pochette-surprise. »
(Panisse prend le collier du bout de ses gros doigts et se raproche peu à
peu, sous prétexte de l'examiner.)
« Il est très joli ….. Il y a une médaille au bout ? »
(Panisse touche légèrement la peau de Fanny pour faire sortir la médaille
qui est entre les seins.)
(Fanny recule) « Oui ….. attendez ….. Je vais la sortir. »
(Panisse prend la médaille et se penche pour lire.)
« Qu'est-ce qu'il y a d'écrit ? »
« C'est ma date de naissance. »
(Panisse se penche, respire fortement. Marius s'agite de plus en plus et
soudain tousse très fort.)
« Hum ! Ahum ! Humhum ! »
(Panisse ne l'a pas entendu. Il est perdu dans sa contemplation oblique.
Alors Marius qui n'y tient plus, parle brusquement.)
« En tout cas, si elle a besoin de toi, elle sait où tu es. »
(Marius se tait, fort agité. Il fait milles gestes incohérentes pour changer de
place diverses bouteilles.)
« Parlons un peu sérieusement. Avec ta mère, nous avons discuté des
chiffres ….. Nous sommes allé chez moi et puis ….. »
No.
acteur
action
1579
-----
(Panisse baisse la voix parce que Marius écoute. On n'entend plus rien.
Panisse et Fanny restent assis sans parler. De temps à autre, elle jette un
regard sur Marius pour voir les effets de son jeu. Marius s'approche d'eux,
sous prétexte d'essuyer la table voisine.)
1580
MARIUS.
(aggresif) « C'est moi qui vous empêche de parler ? »
1581
PANISSE.
« Non. »
1582
MARIUS.
« Vous parlez doucement et parce que je m'approche, vous vous taisez. »
1583
FANNY.
« Peut-être que nous disons des choses personelles. »
1584
MARIUS.
1585
FANNY.
1586
PANISSE.
1587
MARIUS.
1588
PANISSE.
« Tu n'as qu'à tourner l'œil de l'autre côté. »
1589
MARIUS.
« Et puis, je n'aime pas qu'on me regarde d'un air sur deux airs ! »
1590
PANISSE.
« Moi, je te regarde d'un air sur deux airs ? »
1591
FANNY.
1592
PANISSE.
« Un pauvre fou ! »
1593
MARIUS.
« Faites attention ! Il y a des fous dangereux, et j'en connais un que la
main lui démange de vous envoyer un pastisson ! »
1594
FANNY.
1595
PANISSE.
1596
MARIUS.
« Sortez un peu de la banquette, avancez-vous, si vous êtes un homme ! »
1597
PANISSE.
« Si on te pressez le nez, il en sortirait du lait ! »
1598
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1599
MARIUS.
1600
-----
1601
PANISSE.
« Quand on ne veut pas parler devant le monde, c'est qu'on dit des
saletés. »
« Des saletés, dis, grossier ! »
(avec une grande noblesse) « Marius, fait un peu attention à qui tu
t'adresses. »
« Je m'adresse à vous, et je vous dit que ça me fait mal au cœur de vous
voir. »
« Tu deviens fou, mon pauvre Marius ! »
« Marius ! »
« A moi, un pastisson ! » (Avec une commisération infinie.) « O pauvre
petit ! »
(Fanny éclate de rire.)
(tend son nez à Panisse). « Eh bien, essayez donc ! Tenez, le voilà mon
nez ! Vous avez peur, hein ? »
(Marius est penché sur Panisse et le regarde dans les yeu, à trois
centimètres.)
(avec le calme qui précède les tempêtes) « Marius, fais bien attention, tu
ne me connais pas ! »
No.
acteur
action
1602
MARIUS.
« Eh bien, faites-vous connaître ….. C'est le moment ! Malheureux ! »
1603
PANISSE.
(en se levant brusquement) « Malheureux ! C'est à moi que tu dis
malheureux ? »
1604
FANNY.
1605
PANISSE.
1606
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1607
MARIUS.
« Pressez-le-moi un peu le nez ! »
1608
PANISSE.
« Pauvre petit ! »
1609
MARIUS.
« Malheureux ! »
1610
PANISSE.
(avec plus de force) « Pauvre petit ! »
1611
MARIUS.
(de même) « Commerçant ! »
1612
PANISSE.
« Tu parles, tu parles, mais tu n'oses pas commencer ! »
1613
MARIUS.
« Vous faites beaucoup de menaces, mais rien d'autre ! »
1614
PANISSE.
(avec une fureur soudaine) « Oh ! Si je ne me retenais pas ! »
1615
MARIUS.
« Ah ! Si vous n'aviez pas de cheveux gris ! »
1616
PANISSE.
« Tu veux peut-être que je me les arrache pour te faire plaisir ? »
1617
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1618
PANISSE.
1619
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1620
PANISSE.
1621
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1622
1623
PANISSE.
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« Tu as de la chance ! »
(Panisse recule d'un pas.)
1624
PANISSE.
« Fanny, je te quitte, puisque mes affaires l'exigent. Est-ce que tu me feras
le plaisir de venir goûter chez moi, tout à l'heure ? »
1625
FANNY.
1626
PANISSE.
(en se levant pour retenir Panisse) « Panisse ! »
« Laisse. C'est une affaire entre hommes ….. Tiens-moi le chapeau. »
(Panisse donne son chapeau à Fanny. Il s'approche de Marius jusqu'à le
toucher. Tous deux se regardent sous le nez.)
(A ce moment, une voix à la cantonade appelle : « Panisse ! ». Sans
bouger, les yeux toujours fixés sur ceux de Marius, Panisse, d'une vois de
tonnere répond.)
« Vouei ! »
(La voix : « Il y a du monde au magasin ! »
« Je suis occupé ! »
(Panisse quitte son attitude belliqueuse. Il remonte son pantalon à deux
mains et dit simplement)
« Pourquoi pas ici ? »
« Parce que je refuserai, désormais, de mettre le pieds dans une maison,
où les gens ne savent pas se tenir à leur place. »
No.
acteur
action
1627
MARIUS.
« Vous avez beau prendre l'accent parisien, ça ne m'impressionne pas. »
1628
PANISSE.
(Comme s'il n'avait pas entendu) « Alors, Fanny, à tout à l'heure, je
t'attends là-bas. »
1629
PANISSE.
(A Marius) « Deux anisettes à deux francs vingt-cinq font quatre francs
cinquante. Tenez : gardez tout, garçon. »
1630
-----
1631
FANNY.
« Marius, tu n'es par gentil de faire tant de bruit pour des choses qui ne te
regardent pas. »
1632
MARIUS.
(furieux) « Et puis je t'apprendrai qu'ici c'est un bar, ce n'est pas une
maison de rendez-vous. »
1633
FANNY.
« Dis donc, sois un peu poli avec moi, au moins. »
1634
MARIUS.
« Tu ne le mérites pas. »
1635
FANNY.
« Pourquoi ? »
1636
MARIUS.
« Ah ! Si je ne l'avais pas vu, je ne l'aurais jamais cru. C'est honteux ce
que tu fais avec ce pauvre vieux. »
1637
FANNY.
« Quel pauvre vieux ? »
1638
MARIUS.
« Tu ne vois pas que tu risques de le tuer ? »
1639
MARIUS.
« Du temps, qu'il regardait dans ton corsage, il soufflait, il suait, il était
rouge comme un gratte-cul. »
1640
FANNY.
« Tu étais bien plus rouge que lui. Et puis, j'ai un soutien-gorge. Et puis ça
ne te regarde pas. »
1641
MARIUS.
« Au fond, tu as bien raison, et j'ai bien tort de m'en mêler. J'ai d'autres
soucis en tête, heureusement. »
1642
-----
1643
MARIUS.
« Seulement, ça me fait de la peine de voir que tu es en train de devenir
comme ta tante Zoé. »
1644
FANNY.
« Je n'ai pas le droit de me marier ? »
1645
MARIUS.
« Non, tu n'as pas le droit d'èpouser un veuf qui a soixante ans. »
1646
FANNY.
« Pourquoi ? Tu sais qu'il a beaucoup d'argent, Panisse. J'aurai une bonne
…... et il me fait une dot de cent mille francs. »
1647
MARIUS.
« Dis-moi tout de suite que tu te vends. »
1648
FANNY.
« Pourquoi pas ? »
(Panisse sort, laissant Marius pétrifié. Fanny sourit. Un temps de silence
assez lourd.)
(Marius est retourné au comptoir, il rince doux ou trois verres.)
No.
acteur
action
1649
MARIUS.
« Fanny, si tu faisais ça, tu serais la dernière des dernières. »
1650
FANNY.
« Quand on a une bonne, elle est encore plus dernière que vous. »
1651
MARIUS.
1652
FANNY.
1653
MARIUS.
« Tu sais bien que quand on se marie, il ne suffit pas d'aller à la mairie,
puis l'église. »
1654
FANNY.
« On commence par là. »
1655
MARIUS.
« Et après ? »
1656
FANNY.
« Après, il y aura un grand dîner chez Basso. »
1657
MARIUS.
« Oui, mais après ? Quand tu seras seule avec lui ? »
1658
FANNY.
« Je verrai bien ! »
1659
MARIUS.
« Il faudra que tu te laisses embrasser ….. »
1660
FANNY.
« Tant pis. »
1661
MARIUS.
« Il t'embrassera sur la bouche, et puis sur l'épaule ….. »
1662
FANNY.
« Tais-toi, Marius. Ne me parle pas de ces choses ….. »
1663
MARIUS.
« Il faut en parler maintenant, parce qu'après ce sera trop tard ….. Fanny,
pense aux choses que je ne peux pas te dire ….. »
1664
MARIUS.
« Il va te serrer dans ses bras, ce dégoûtant, ce voyou ! »
1665
1666
----MARIUS.
(Marius court à la porte et crie.)
« O saligaud ! »
1667
-----
1668
MARIUS.
« Oh ! Je sais bien pourquoi tu ris, va. Mais ce n'est pas vrai. »
1669
FANNY.
« Qu'est-ce qui n'est pas vrai ? »
1670
MARIUS.
« Tu t'imagines que je suis jaloux, n'est-ce pas ? »
1671
FANNY.
« Oh ! Voyons, Marius ….. Pour être jaloux, il faut être amoureux. »
1672
MARIUS.
« Justement, et je ne suis pas amoureux de toi. »
1673
FANNY.
« Je le sais bien. »
1674
MARIUS.
« Ce n'est pas parce qu'on a joué aux cachettes qu'on est amoureux. »
1675
FANNY.
« Mais bien sûr, voyons ! »
« Mais ce n'est pas possible, voyons ….. Fanny, est-ce que tu as pensé à
tout ? »
« Comment, à tout ? »
(Une vieille dame qui passait reçoit le mot en pleine figure. Elle pirouette et
disparaît. Fanny rit joyeusement.)
No.
acteur
1676
MARIUS.
« Remarque bien, je ne veux pas dire que je te déteste, non ce n'est pas
ça. Au contraire, j'ai beaucoup d'affection pour toi. »
1677
MARIUS.
« Je viens de t'en donner la preuve. Mais de l'amour ? Non. Oh !
Naturellemten, si j'avais voulu, moi aussi, j'aurais pu t'aimer ….. »
1678
MARIUS.
« Jolie comme tu es, ça n'aurait pas été difficile. Mais je n'ai pas voulu …..
Parce que je ne pourrais pas me marier. Ni avec toi, ni avec personne. »
1679
FANNY.
« Tu veux te faire moine ? »
1680
MARIUS.
« Non, mais je ne peux pas me marier. »
1681
FANNY.
« Pourquoi dis-tu une bêtise pareille ? »
1682
MARIUS.
« Oh ! Ce n'est pas une bêtise ! C'est la vérité ! »
1683
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1687
1688
1689
action
(comment est-ce qu'on continue ? C'est quoi, la fin pour applaudir?)

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