en beau joualvert

Transcription

en beau joualvert
« En beau joual-vert »
ça nous a traversé l'esprit
ça nous a travesti le corps
de part en part
faire le grand saut
de port en port
quitter le berceau
d'averses en fous de bassan
gosier sec défier le ressac
le ventre à pas d'heure
à vomir son quatre-heures
essuyer la tempête et les plâtres
d'un continent de plein fouet
puis au matin s'écarquiller les yeux
se tendre à toucher Terre-Neuve
Quatre siècles plus tard on parle encore
la langue de nos ancêtres
de Molière en La Bolduc
on se tricotte des vers
des mots d'exquis
métissés d'esquimeau
« peace » à Vigneault Miron Leclerc
tout de crocs et de crinières
révérence au verbe haut
des Lévesque et Papineau
et s'il faut qu'au Bic j'inscrive le mot Québec
y'a pas de hic voilà c'est fait
alors entre les pros de la rime et les prix de Rome
on fait nos gammes en usant de la gomme
mais l'idiome à Shakespeare
comme un ver est dans la pomme
on badgueule en joual à cheval
entre fleur de lys et feuille d'érable
vis à vis bouche à bouche
avec un grand frère qui nous chicane
mais notre idéal a longue haleine
à pas de loup souffle
des grands lacs aux plaines innues
« tshi nuitshewan tshutshi shekmen
tshima nantem nantem nouatmen »
Je m'appelle Usheki et voici mon indienne
Tishkweshkwès « petite fofolle » pour les intimes
elle m'appelle son p'tit orignal
coudonc c'est original
elle sa peau sent la poudre
m'assène des coups de foudre
chasseur je me souviens de ma première nuit sur la montagne sacrée
l'esprit du téwéken avait envie de jaser
car aujourd'hui le Plan Nord
menace nos terres
de barrages en mines d'or
le colon ne manque pas d'air
exit le droit du sol
il nous reste le droit de réserve
mais de voir Natassinan assassinée
désormais la sève nous monte au nez
le printemps fleurit de bouquets de nerfs
au cri d'alouettes en colère
et si par chez toi l'air se corse
sache qu'il y a de l'écorce dans l'air
les narcisses ricanent ?
nos racines s'arbacanent
foi d'épinette nos lyres en bandoulière
nous faisons feu de tout bois !
Camarade plante des arbres à nous assaisonner les saisons
les branches comme des sabres
à nous couper des tranches de mistral
plante des arbres dans le sillon des paquebots
dans la traîne des avions
de ces palétuviers cognassiers plaqueminiers
arbres zarbs s'il en est
et vous autres macadamiers lauriers micocouliers
élaguez les hlm de nos cités
craquelez le macadam dessous nos pieds
contre le bulldozer
soufflez des bulles d'ozone
car le vert a la vie dure
nos feuilles sont à bout de nervures
et nos aisselles sentent la sciure
frère d'écorce et de moelle pépinière
si d'aventure le bûcheron entaille tes veines
fais-toi violon d'ingres fais-toi lippe en bois
quant à toi cousin animal
inscris dans ton code pénal tout crime contre le végétal
et comme au Liban le cèdre
au Guatémala le céïba
dans ton pays
élis un arbre national
(Louis-Noël Bobey)

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