«Nous ne sommes pas là pour battre des records d`aide au suicide»
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«Nous ne sommes pas là pour battre des records d`aide au suicide»
Reportage A Riddes, en Valais, les amateurs de fondue sont à la fête ce week-end 17 Acteurs Le Matin Dimanche | 27 novembre 2016 Ma semaine Par Bertrand Kiefer, du Salon Planète Santé 18 Elites Adolf Ogi, Luc Barthassat ou Denis de la Reussille ont eu ou ont des responsabilités politiques. Même avec «seulement» un CFC 19 Alessandro della Bella/Keystone «Nous ne sommes pas là pour battre des records d’aide au suicide» Exit Un Genevois de 82 ans s’est suicidé, seul, à son domicile alors que ses frères avaient saisi la justice pour l’empêcher de partir avec Exit. Jérôme Sobel, président de l’association, se confie sur ce cas exceptionnel. Fabiano Citroni et Fabian Muhieddine L’affaire genevoise Plus de 200 personnes partent chaque année avec Exit. Pourquoi, tout à coup, une affaire provoque-t-elle autant d’émotions dans la population? Parce que c’est la première fois que la justice bloque une assistance au suicide préparée par Exit. Cette décision satisfait nos détracteurs, et leur vision religieuse de la société, mais provoque l’incompréhension de nos défenseurs. Ils estiment qu’elle va à l’encontre de l’autodétermination et de la responsabilité individuelle. Cette affaire met surtout en lumière le fait que nous aidons des seniors qui n’ont pas de maladies incurables. Et cela peut interpeller les gens qui ne nous connaissent pas très bien. 1er octobre 2016 Un Genevois de 82 ans annonce par courrier à ses frères et sœurs qu’il va partir avec Exit le 18 octobre. Il se dit «inconsolable» depuis le décès de sa compagne. Deux de ses frères décident de saisir la justice pour l’en empêcher. 7 octobre Statuant sur mesures superprovisionnelles, c’est-à-dire sans avoir entendu les parties, le Tribunal civil de Genève interdit à Exit de prescrire à l’aîné la potion létale. Comprenez-vous les attaques à l’encontre d’Exit? Oui, elles ne me surprennent pas. Nos détracteurs ont du mal à admettre qu’il y a un changement de paradigme profond dans notre société. Les gens ont d’abord voulu gérer le début de la vie avec la procréation médicalement assistée, la contraception et l’avortement. A présent, ils souhaitent gérer leur sortie de la vie. En la matière, la morale n’est pas celle des Eglises. Chacun peut réfléchir et apporter la réponse qu’il veut. 24 octobre Après avoir entendu les parties, le Tribunal civil garde la cause à juger. En attendant qu’il tranche sur le fond, Exit a l’interdiction d’aider l’octogénaire à partir. Dans l’affaire genevoise, un homme de 82 ans se dit «inconsolable» depuis la mort de son amie et vous demande de l’aider à mourir. Ses frères saisissent la justice pour l’en empêcher. Comprenez-vous qu’ils refusent de perdre leur aîné? Bien sûr. La situation est difficile. C’est pourquoi nous avons insisté pour que l’aîné informe sa famille de sa décision. Lui ne le voulait pas. Il a finalement envoyé une lettre à ses proches pour expliquer son choix. Nous encourageons toujours ceux qui veulent partir avec nous à préparer leur famille et à profiter de l’occasion pour dire au revoir. 11 novembre L’octogénaire se suicide, seul, à son domicile. Quels sont les droits de la famille? La famille a le droit de discuter, d’essayer de convaincre la personne de ne pas partir. Mais le véritable amour respecte le choix de l’autre même s’il fait mal. Il y a la douleur liée à la perte, mais il ne faut pas oublier la douleur de celui qui veut partir. Cela me fait penser à une vieille dame qui m’a dit: «Le Bon Dieu m’a oubliée. Tous ceux que j’ai aimés sont déjà partis. C’est le moment, maintenant, que je me rappelle à son souvenir.» Pour certains, le dernier grand projet de vie est de rejoindre ceux qui sont morts et de retrouver leur amour. Ne faudrait-il donc jamais saisir la justice pour empêcher un départ? Si la personne qui souhaite mourir a sa capacité de discernement, on ne devrait pas. Dans une société qui accepte l’autodétermination, on respecte la décision de l’autre. Sinon, la personne appartient à un clan et c’est lui qui décide à sa place. Dans une société clanique, le père d’une fille qui voudrait avorter pourrait le lui interdire. Vous imaginez la situation? Contrôle qualité Jérôme Sobel préside l’Association Exit depuis 2000. François Wavre/Lundi13 «Le véritable amour respecte le choix de l’autre même s’il fait mal» Jérôme Sobel L’octogénaire genevois vous a dit qu’il était «fatigué de vivre». Pourquoi ne l’avez-vous pas envoyé chez le psy? Cet homme était membre d’Exit depuis vingt ans et il était suivi depuis un an par les accompagnateurs de notre association. Il n’a donc pas décidé de partir sur un coup de tête. Sa demande n’était pas émotionnelle. Il a jugé que, dans sa situation, il préférait mettre un terme à sa vie. C’est une philosophie stoïcienne de l’existence. Nous ne sommes pas là pour faire gonfler les chiffres et atteindre des records en matière d’aide au suicide, mais il ne s’agit pas non plus de mettre des barrières que nous n’aimerions pas avoir nous-mêmes. Qu’aviez-vous à perdre en l’incitant à consulter un psychiatre? Rien du tout. Ce monsieur avait abordé cette question avec son médecin traitant, mais aussi avec nous, et il n’en voulait pas. A travers les nombreuses discussions que nous avons eues avec lui, nous sommes arrivés à la conclusion qu’il était triste, qu’il ne voulait plus de cette vie-là, et que personne ne le ferait changer d’avis. Nous avons respecté ce choix. Un arrêt du Tribunal fédéral dit que chaque personne capable de discernement a le droit de choisir le moyen et le moment de sa propre mort. Si vous imposiez une consultation chez un spécialiste, vous ne pourriez plus être soupçonné de pousser les gens vers la sortie, non? Si nous trouvons qu’une personne présente des signes de démence ou de problèmes psychiatriques, nous lui demandons un certificat psychiatrique. Mais imposer à chaque personne de consulter revient à diminuer sa liberté, alors qu’elle a pris une décision conforme à son système de valeurs. Un traitement psychiatrique dans ce genre de cas, c’est comme une camisole de force chimique. La psychiatrie n’est pas là pour cela, elle est là pour soigner des gens malades qui demandent à être aidés. Imposeriez-vous à une jeune fille qui va avorter d’aller voir un psy avant son interruption de grossesse? Notre société ne fonctionne plus comme ça. Vous vous méfiez des psychiatres? Je me méfie de ceux qui assimilent automatiquement une demande d’assistance au Suite en page 16 16 Acteurs Le Matin Dimanche | 27 novembre 2016 Suite de la page 15 suicide à une dépression et qui diront que la capacité de discernement est altérée, pour empêcher le patient de partir. D’autres psychiatres sont plus ouverts. Exit s’accompagne d’une diminution du nombre de suicides non assistés. Pour être plus clair, plutôt que de se jeter sous un train, de se pendre ou de se défenestrer, des seniors préfèrent demander une aide au suicide. Comment vous assurez-vous qu’un candidat au départ possède bien son discernement? Nous avons élaboré un questionnaire. Chacun doit raconter son histoire, son parcours. Nous vérifions qu’il est à même de comprendre les informations reçues de son médecin traitant et nous évoquons avec lui les options alternatives, comme l’EMS ou les soins palliatifs. Nous ne faisons pas les choses à la légère. L’accompagnement est long. Il n’est pas question de donner la potion létale une semaine après le premier rendez-vous. Un senior, ça a toujours des bobos. Voulez-vous devenir pourvoyeur de mort pour les aînés? Je ne suis pas un Terminator, ce robot qui est là pour tuer tous les êtres humains. Et puis, la demande d’assistance au suicide n’est pas un virus ou une bactérie qui se transmet. Pour convoquer sa mort, il faut avoir une philosophie particulière, un chemin de vie. Pour ces personnes, la vie n’est pas une prison de laquelle on ne peut pas s’échapper. Mais ceux qui veulent continuer à vivre ont bien raison de vouloir encore en profiter. Chacun fait ce qu’il veut. Il y a deux semaines, le vice-président d’Exit vous apprend que l’octogénaire genevois s’est suicidé sans l’aide de votre association. Quelle est alors votre réaction? Cette annonce m’a fait mal. Il aurait pu mourir entouré de ceux qu’il aimait, mais l’action en justice menée par ses frères l’a contraint à partir seul, avec une méthode plus violente que celle que nous proposons. Je ne veux accabler personne, mais quel gâchis. Trouvez-vous normal que votre association assouplisse les règles d’assistance au suicide, dans son coin, sans le moindre débat de société? Nous n’imposons rien à personne. Notre pratique est faite pour nos membres et elle est compatible avec l’ordre juridique suisse. Je rappelle que le Parlement fédéral n’a pas tranché la question et qu’il a décidé de ne rien décider, mais aussi que les associations de médecin ont toujours dit qu’elles ne voulaient pas être impliquées dans un processus d’aide au suicide. Vous n’avez pas hésité à médiatiser son geste dans un communiqué de presse. Vous vouliez vous approprier sa mort? Pas du tout. En se suicidant de façon violente, il a voulu taper du poing sur la table, rappeler que chacun est libre de choisir quand et comment il veut mourir. J’ai voulu donner de l’écho à ce coup de poing. A la lumière de votre nouvelle pratique, les élus doivent-ils de nouveau se pencher sur la question et légiférer? Un débat public aide à la réflexion et fait évoluer la société. Mais, pour ma part, j’estime qu’on ne pourra jamais mettre dans la loi toutes les situations imaginables. Si nous adoptons une loi très rigide, qui ne permet d’assister que les personnes en situation terminale d’une maladie incurable, les personnes souffrant de maladies neurologiques dégénératives resteraient sur le carreau. Elles risqueraient de se suicider de façon violente. L’actuelle zone grise permet de gérer au mieux les demandes de chacun. Avec un peu de recul, n’était-il pas indécent de rendre sa mort publique quelques heures après son suicide? On peut discuter du timing. Mais si les frères n’avaient pas médiatisé leur action en justice, nous n’aurions pas été contraints de publier un communiqué. Vous vous en tirez à bon compte. De quel droit tancez-vous les frères et accusez-vous la justice genevoise et sa lenteur d’avoir poussé l’aîné au suicide? Notre message était le suivant: une telle situation ne doit plus se reproduire. C’est terrible. Un homme, qui souhaitait mourir entouré de ses proches, a dû partir seul. Les frères ont attaqué le vice-président d’Exit, Pierre Beck, pour «incitation au suicide». Est-ce une première? Oui et c’est ubuesque. Tout d’abord parce que nous avons pris en charge ce monsieur pendant un an. Ensuite, parce que nous avons demandé au défunt d’attendre que la justice se prononce sur son cas. J’espérais que cette affaire ferait jurisprudence et que plus personne ne subisse ce qu’il a vécu. Il m’a dit qu’il réfléchirait, mais sa souffrance personnelle a été la plus forte. Cette affaire est révélatrice: jusqu’en 2014, il fallait être atteint d’une maladie incurable pour bénéficier d’une assistance au suicide. Pourquoi Exit a-t-elle élargi sa pratique aux personnes atteintes de «polypathologies invalidantes liées à l’âge»? Nous avons 30% de membres qui sont dans le quatrième âge. Ils ont donc plus de 75 ans. Année après année, ils nous demandaient pourquoi nous ne les aidions pas à partir dignement alors que leur avenir était derrière eux. Dans un premier temps, nous avons pris en charge de telles situations en tenant compte des souffrances morales qui finissaient par invalider ces personnes. Selon le principe «on fait ce qu’on dit, on dit ce qu’on fait», nous avons pensé qu’il valait mieux fixer ces critères dans nos statuts. Cette décision a été plébiscitée à l’assemblée générale. En 2015, vous avez aidé 60 seniors à partir parce qu’ils présentaient des polypathologies invalidantes. L’octogénaire genevois souffrait aussi de cela. Au fond, de quoi parle-t-on? D’un cocktail de plusieurs pathologies qui rendent l’existence plus difficile à des personnes qui sont dans l’hiver de leur vie. Cela peut-être des parkinsons qui comContrôle qualité Exit fait la une des médias depuis plusieurs semaines. Que vous disent les gens? Avez-vous reçu beaucoup de lettres d’insulte? Une seule carte d’insulte. Elle me disait que «mon enfer serait éternel». Sinon, les gens ont envoyé des lettres de soutien ou ont appelé notre secrétariat pour dénoncer les plaintes pénales contre Exit. Des personnes ont même demandé des bulletins de versement pour nous soutenir financièrement dans le combat juridique. motrices) et de souffrances psychologiques importantes suite au décès de son fils et de sa compagne. Des membres ont-ils démissionné? Non. Paradoxalement, les demandes d’adhésion ont augmenté. D’ailleurs, le phénomène est le même depuis de nombreuses années. Quand j’ai commencé en 2000, il y avait 8000 membres. Nous sommes aujourd’hui près de 24 000. Cela démontre que le travail de l’association répond à une demande de la société. Chaque année, il y a toujours plus de suicides assistés avec Exit. Pourquoi? Nous sommes une société vieillissante. Et puis, nous avons tous appris à prendre des responsabilités, à devenir autonomes, à gagner notre indépendance. Avec de telles habitudes, nous souhaitons aussi prendre en charge notre fin de vie. Par ailleurs, je précise que l’augmentation des suicides avec Pour apaiser la situation, quel message adressez-vous à vos détracteurs? Je leur dis qu’ils n’ont rien à craindre. Nous vivons dans une société où la justice contrôle tous les cas de suicides assistés avec Exit. Et surtout nous avons la chance de vivre dans une société où chacun est libre de faire ce qu’il veut. Jusqu’à choisir sa propre mort. U Jérôme Sobel précise que l’augmentation des suicides avec Exit s’accompagne d’une diminution du nombre de suicides non assistés. François Wavre/Lundi13 «Nous avons la chance de vivre dans une société où chacun est libre de faire ce qu’il veut. Jusqu’à choisir sa propre mort» Jérôme Sobel mencent, une malvoyance, des douleurs articulaires, arthrosiques, donc de la peine à se déplacer, des problèmes d’incontinence. Elles ont aussi des souffrances psychologiques parce que les gens qu’elles ont aimés sont morts. Elles sont sereines et tranquilles, elles n’ont pas peur de mourir. Elles choisissent une qualité de vie plutôt qu’une quantité de survie. Elles sont fatiguées de ces petites souffrances à répétition qui ne vont pas s’arrêter. Ainsi, l’octogénaire genevois souffrait de problèmes physiques (notamment des douleurs loco- «Je ne suis pas un gourou, je n’ai aucun pouvoir» Votre pouvoir est énorme, vous donnez la mort. Comprenez-vous que ça puisse faire peur? Je n’ai aucun pouvoir. Je suis un instrument au service de celui qui fait appel à nous et qui nous convainc de l’aider. Je rappelle qu’Exit se bat pour que tous les médecins reçoivent une formation afin de gérer eux-mêmes les demandes d’aide au suicide de leurs patients. Exit n’aurait alors plus aucune raison d’être et cela ne me poserait aucun problème. Malheureusement, les demandes au parlement fédéral allant dans ce sens, notamment de Luc Recordon, ont été balayées par Pascal Couchepin. Que ressentez-vous en aidant quelqu’un à mourir? Je me dis que cette personne m’a convaincu de lui donner la potion létale et que c’est un service majeur que je lui rends. On vous qualifie souvent de gourou. Que répondez-vous? Je réfute ce mot. Au mieux, j’ai libéré la parole en matière d’aide au suicide et posé les éléments d’un débat sociétal sain. On dit gourou, mais tout seul, je ne fais rien. J’ai la chance d’être entouré de personnalités incroyables à Exit. Faire progresser les libertés individuelles, c’est ça votre combat? Disons qu’Exit a contribué à faire réfléchir la société. Nous nous sommes aussi battus pour que, dans plusieurs cantons, Exit puisse entrer dans les hôpi- taux et les EMS. Moi, j’ai pris conscience du problème grâce à ma grand-maman que j’adorais. Lorsque j’étais étudiant en médecine, elle était atteinte d’une maladie neurologique dégénérative. Elle m’a dit à plusieurs reprises: «Mon chéri, aide-moi à retrouver grand-papa. Aidemoi à aller chez le bon dieu.» À l’époque, je ne comprenais pas. Elle est décédée dans des conditions difficiles. Je souhaite éviter à d’autres grands-papas et grands-mamans de subir ce qu’elle a vécu.