Mort O. devait mou rir il y a cinq jours, mardi, à l`âge de 82 ans. Il

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Mort O. devait mou rir il y a cinq jours, mardi, à l`âge de 82 ans. Il
23/10/2016
Actualité ­ Le Matin Dimanche
Le recours à Exit pour les aînés fatigués
de vivre se retrouve devant la justice
Mort
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Une a
aire genevoise qui don-
nera lieu ce lundi à une audience au
tribunal relance la polémique autour
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de l association, qui a élargi les
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limites de l assistance au suicide il y a
deux ans.
O. devait mourir il y a cinq jours, mardi, à
l’âge de 82 ans. Il avait choisi de partir avec
l’association d’aide au suicide Exit. Problèmes de vue qui l’empêchaient de faire
de la photo ou de pianoter sur son ordinateur, douleurs à skis, difficultés lors de
marches en montagne en raison de rhumatismes, mais aussi affliction d’avoir
perdu une femme merveilleuse, il ne voulait plus vivre. Il devait partir mardi,
mais ses frères, à qui il avait fait part de sa décision, ont saisi la justice afin qu’il
ne puisse pas prendre la potion létale. Le 7 octobre, le Tribunal civil a interdit à
Exit de lui remette la substance mortelle. Une nouvelle audience aura lieu ce
lundi au tribunal.
«Cette pratique d’Exit qui aide à partir des personnes dont la fin de vie n’est pas
proche est contraire au droit, estime Me François Membrez, l’avocat des frères.
Elle est aussi dangereuse. On se demande jusqu’où cette association veut
repousser les limites de l’aide au suicide. »
La question de la légalité de la démarche d’Exit est ouverte (lire l’encadré). Mais
ce qui fait davantage débat, c’est sa décision, il y a deux ans, d’élargir aux personnes atteintes de «polypathologies invalidantes liées à l’âge» la possibilité de
demander une assistance au suicide. «C’est un concept fourre-tout sans signification clinique, dénonce l’avocat et médecin Philippe Ducor. Le code de déontologie des médecins dit pourtant clairement que l’on ne peut assister une personne dans son suicide que si sa mort est proche, en termes de jours ou de
semaines. »
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Risque identi
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Sophie Pautex, responsable de l’Unité de gériatrie et de soins palliatifs communautaires des Hôpitaux universitaires de Genève, identifie un risque lié à l’élargissement des conditions pour demander une aide au suicide. «Cela peut donner plus facilement des idées de partir à des personnes âgées isolées et dépressives», estime-t-elle.
Plusieurs études montrant que la fatigue de la vie est une réalité chez les personnes âgées permettent de comprendre cette crainte. Dans son rapport de 2013
intitulé «La dépression dans la population suisse», l’Observatoire suisse de la
santé relève ainsi que «la fréquence des symptômes dépressifs, relativement
constants à l’adolescence et à l’âge adulte, augmente à partir de 65 ans. »
Un autre rapport – «La prévention du suicide en Suisse» – diffusé ce printemps par la Conférence des directeurs de la santé cite une enquête réalisée
dans les centres de soins en Suisse en 2012. «Selon le personnel soignant, 28%
des pensionnaires en home souffrent de dépression et 34% présentent des
symptômes dépressifs», indique le document.
Sophie Pautex suggère «un minimum de garde-fou par rapport aux personnes
âgées qui sont isolées et qui souhaitent partir depuis leur domicile. Font-elles
appel à Exit simplement parce qu’elles n’ont pas de familles autour d’elles et
sont seules? Ce sont ces personnes qui m’inquiètent. Pas celles qui, tous les
jours, ont accès à un système de soins, et pour lesquelles on a mis en place des
choses pour lutter contre l’isolement. »
Si Sophie Pautex se dit favorable à un minimum de garde-fou, c’est aussi parce
qu’elle a remarqué qu’en Suisse, le nombre de suicides assistés augmente
chaque année depuis 2009. En six ans, il est passé de 69 à 213, il a triplé. L’an
dernier, 60 des 213 départs étaient liés à des polypathologies invalidantes liées à
l’âge et 183 des 213 suicides assistés ont eu lieu à domicile…
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«Devoir de clari
cation»
Bertrand Kiefer, médecin et rédacteur en chef de la Revue Médicale Suisse, relève
que notre pays est le seul au monde où l’on accepte d’aider au suicide les personnes atteintes de polypathologies invalidantes liées à l’âge. «Cela oblige à se
poser des questions, affirme-t-il. On ne peut pas laisser Exit décider seule dans
son coin de ce qu’on peut faire ou pas. La question des limites à l’aide au suicide
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fixées par cette association devrait faire l’objet d’un débat politique. Les élus
fédéraux ont le devoir de clarifier la situation. »
L’affaire genevoise révélée par la Tribune de Genève, mais aussi le cas fribourgeois – en avril, une octogénaire souffrant de maladies dégénératives qui ne
semblaient pas avoir un impact particulièrement lourd sur sa vie quotidienne,
s’est donné la mort avec Exit – vont-elles inciter les élus à rouvrir le dossier du
suicide assisté et à étudier si la politique menée par Exit depuis deux ans crée
des risques de dérapages? En 2012, après avoir épluché un rapport du Conseil
fédéral de 2011 intitulé «Soins palliatifs, prévention du suicide et assistance
organisée au suicide», ils avaient préféré le statu quo à plusieurs propositions
visant à modifier la loi.
Le Conseil fédéral avait notamment étudié l’idée d’être assisté dans le suicide
uniquement en cas de maladie incurable avec issue fatale imminente. La proposition, considérée comme discriminatoire et contraire au droit à l’autodétermination, n’avait pas été retenue.
Où est la limite?
Il avait aussi été question de bénéficier de l’aide au suicide selon la souffrance
provoquée par la maladie ou l’accident. Cette idée n’a pas passé la rampe non
plus. «Le principe même de tracer une limite entre les vies qui méritent d’être
protégées sans réserve et celles qui ne le méritent plus est extrêmement contestable», précisait le Conseil fédéral dans son rapport.
En 2012, le conseiller national Yves Nidegger (UDC/GE) présidait la Commission des affaires juridiques du Conseil national, qui n’avait pas jugé utile de
durcir ou d’assouplir les conditions d’assistance au suicide. L’élu rappelle un
argument qui avait pesé dans la décision: «L’Etat ne peut pas d’un côté financer
des campagnes de prévention du suicide et, de l’autre, poser le cadre juridique
d’un modèle d’affaires qui aurait permis d’en vivre. En donnant un cadre, il courait le risque que des entreprises se lancent dans le commerce de la mort. »
Pour Samia Hurst, directrice de l’Institut Ethique Histoire Humanité de l’Université de Genève, le fait que le cadre légal entourant l’assistance au suicide
n’ait pas été changé malgré de nombreuses tentatives montre peut-être qu’il
n’est pas si mauvais. «On est en plein paradoxe. Pour accepter que l’aide au suicide soit licite, on veut que ce soit un choix authentiquement libre de la personne elle-même. Mais on souhaite aussi comprendre le geste sur la base de ce
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qu’on appelle une souffrance insupportable dans d’autres pays. Mais il est
impossible de dire dans un texte ce qu’est une souffrance insupportable. Faut-il
que la maladie soit incurable? Qu’il y ait un cumul de pathologies différentes?
On tourne toujours autour de cette question, mais il n’y a pas de réponse définitive. »
L’éthicienne, comme nos autres interlocuteurs, estime que la question des aînés
qui sont fatigués de la vie et qui pourraient se laisser tenter par Exit, ne doit pas
se résumer à pour ou contre une plus grande restriction légale de l’assistance
au suicide. «Le problème est-il vraiment de les autoriser à choisir la mort? a-telle écrit sur son blog. N’est-il pas plutôt de ne pas leur avoir offert d’alternatives acceptables? Peut-on vraiment dire les yeux dans les yeux aux aînés que,
pour leur protection, on les condamne soit à poursuivre cette existence dont ils
ne veulent plus, soit à trouver les moyens de se suicider tout seuls, une fois de
plus tout seuls? (…) Nous devrions saisir cette occasion pour tenter sérieusement d’améliorer le sort des personnes souffrant de «polymorbidités liées à
l’âge». Pour leur offrir, dans les cas les plus difficiles à vivre, un tant soit peu
plus d’alternatives. Ce serait beaucoup plus difficile, évidemment, mais ce
serait tellement plus important. »
Fabiano Citroni [email protected]
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