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Roberto Scarpinato ou le dernier des juges
Livre étrange que le dernier né de Roberto Scarpinato, magistrat italien spécialisé dans la lutte anti mafia, Roberto Scarpinato ou
le dernier des juges : où il est bien question de la mafia mais à travers des grilles de lecture multiples qui témoignent de l’ampleur
de sa culture et de sa réflexion ; la mafia, c’est bien autre chose qu’un phénomène criminel et pour l’appréhender, mieux vaut
chausser d‘autres lunettes que celles du pur juriste ou de l’éminent criminologue.
Le procureur Scarpinato, lui, a plongé dans ce monde depuis plus de vingt ans ; il a reçu les « confessions » des mafieux en prison et
entendu des milliers d’écoutes téléphoniques, chroniques de la vie mafieuse, qui témoignent de la gravité du mal qui ronge la société
italienne. En suivant la trace des assassins, il a « souvent, trop souvent cotoyé les salons de la finance internationale et les cabinets
capitonnés du pouvoir, des premiers ministres, ministres et sénateurs ».
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De cette expérience, émerge une réflexion sur le droit qu’il conçoit comme un outil au service de la reconstruction d’une vérité collective ;
car l’histoire de l’Italie, depuis le 16ème siècle, est une histoire criminelle ; or, « le mode d’évolution de cette criminalité influe sur la nature
de l’Etat et de la démocratie ». De là, surgit une interrogation sur le pouvoir qui « conditionne la construction du savoir social et sélectionne
la mémoire collective » ; les enjeux de mémoire l’obsèdent : « tout dictateur, tout assassin rêve d’effacer la mémoire commune ».
Mais s’agit- il seulement d’une histoire italienne ? Les Italiens sont souvent persuadés que leur pays fait figure d’anomalie en Europe ;
Scarpinato n’échappe pas totalement à cette lecture même s’il met en garde notamment la France contre les infiltrations de mafieux et
surtout d’argent sale dans notre économie et exhorte à européaniser le modèle de la magistrature italienne dont l’indépendance statutaire
préserve du «conditionnement occulte » qui menace les magistrats français.
Plus étonnante est la partie du livre consacrée à l’Eglise catholique et ses compromissions avec la culture mafieuse; Scarpinato ne parait
pourtant pas un mangeur de curés ou un athée radical, lui qui réinterprète à sa façon le message du Christ : « un défi aux puissants de
prendre acte de leur complicité dans la souffrance des hommes » ; message que peinent encore à entendre certains « ecclésiastiques qui
fréquentent sans complexe les salons de la bourgeoisie mafieuse (…) réduisant Dieu au seul rôle de gardien des conduites à tenir dans les
chambres à coucher ».
Emouvants enfin les propos plus philosophiques sur son métier de justice qu’il conçoit aussi pour protéger le droit à la fragilité humaine, ce
droit dénié aux jeunes italiens vivant dans les quartiers dégradés de Palerme ou … de nos banlieues : un contexte où « il faut avoir honte de
sa fragilité pour s’endurcir et devenir des machines de combat ». Cette défense de la vulnérabilité en tant qu’elle révèle une « humanité
intacte » fait étonnamment résonnance avec le propos d’une philosophe française Elisabeth de Fontenay dans un récent ouvrage [i].
Pessimiste, Scarpinato ? disons plutôt qu’il réhabilite l’importance du choix dans nos vies de tous les jours et de citer Sartre : « nous
sommes nos propres choix » ; Palerme lui apparait alors comme le lieu éthique par excellence car la ligne de démarcation entre le bien et
le mal y est plus nette qu’ailleurs , et de citer l’exemple suivant : « si vous êtes curé, vous aurez à choisir entre vous contenter d’être le
bureaucrate de Dieu, ou bien d’arracher les jeunes de votre paroisse à la culture mafieuse comme le père Puglisi qui fut assassiné pour
cette raison ».
Le livre reposé, on se prend à rêver : et si les véritables armes contre la mafia, c’étaient justement cela : l’éthique, la culture et la
réhabilitation du droit à la fragilité humaine ?
Anne Crenier magistrate France
Deux ou trois choses dont je me souviens …
J’ai connu Roberto Scarpinato dans les annees 80 alors qu’il était un jeune magistrat très engagé à «Magistratura Democratica» (MD),
l’association des magistrats progressistes en Italie. A l’époque, il ressentait la difficulté de faire comprendre la spécificité palermitaine aux
dirigeant de MD et il devait affronter ceux qui, à gauche, ne comprennaient pas les enjeux de la lutte contre le crime organisé au sud de
l’Italie et en Sicile en particulier.
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Roberto Scarpinato ou le dernier des juges
Nous avons eu l’occasion de nous parler longuement en juin 1992, lors d’un colloque a Palerme, peu après l’attentat contre Giovanni
Falcone et son escorte. Triste et préoccupé, il disait que l Etat les avait abandonnés et il présageait un nouvel attentat contre les autres
juges animafia dont il faisait partie. Il me confiait leur angoisse d’avoir si peu de temps pour avancer dans les investigations sur la mort de
Falcone et sur d’autres dossiers cruciaux avant le prochain attentat, me disant que le nouveau procureur Borsellino « marchait avec la
mort à côté » travaillant comme un fou pour recueillir certaines preuves avant que l’irréparable ne survienne.
Après l’attentat contre Borsellino et son escorte, tout semblait perdu comme le disait Caponetto, l’ancien chef du bureau d’instruction et
père spirituel de l’antimafia aux funérailles de Borsellino. Mais avec l’arrivée de Giancarlo Caselli à Palerme comme nouveau chef du
parquet, c’est « la nouvelle saison de l’anti-mafia » avec d’énormes résultats entre 1993 et 1998.
La guerre contre Cosa nostra était en train de remporter des avancées significatives, vite remises en cause avec le retour de Silvio
Berlusconi en 2001 (voir les livres de G.Caselli e Ingroia « Le difficile héritage » et de Giancarlo e Stefano Caselli « Les deux guerres »).
Dans son dernier livre « Le retour du prince », Roberto Scarpinato cherche à expliquer cette situation par des raisons historiques plus
profondes : cette incapacité de se libérer de l’emprise de la mafia procèderait d’une « corruption des esprit » en Italie qui remonte aux
conditions dans lesquelles s’est formé l’Etat unitaire en Italie.
On peut être partiellement d’ accord sur ce point à condition de ne pas s’aveugler sur les dérives mafieuses qui menacent d’autres pays
européens (France, Allemagne, Espagne …) dans une indifférence quasi-totale des classes politiques et des opinions publiques.
Mario Vaudano (magistrat Italie)
Quelques éléments biographiques :
Aujourd’hui, Roberto Scarpinato est procureur général de la cour d’appel de Caltanissetta (Sicile); mais l’essentiel de sa carrière s’est
déroulé à Palerme où il fait partie dès 1988 du pool des magistrats anti mafia avec Falcone et Borsellino ; il instruit de grands procès sur des
assassinats politico-mafieux (ceux de Matarella le président de la région, du député communiste La Torre, du célèbre préfet de Palerlme
Dalla Chiesa …); Après l’arrivée du procureur Caselli, il instruit le procès de Giulio Andreotti qui échappe à la condamnation pour des motifs
liés à la prescription, la cour de cassation reconnaissant qu’il a eu des rapports avec la mafia jusqu’en 1980. Scarpinato obtient la
condamnation du n°3 des services secrets civils Bruno Contrada pour concours externe à une association mafieuse. Il devient procureur
adjoint et s’occupe de nombreux procès impliquant de hautes sphères économiques, parvenant à confisquer des biens mafieux d’une
valeur de 3 milliards d’euros.
Il collabore à de nombreuses revues comme Microméga [ii] où il rédige des articles tels que : « Le dieu des mafieux » ou « Cosa Nostra et le
mal obscur de la dispersion de soi » ou encore « Bourgeoisie mafieuse » ; son dernier livre s’intitule "Le retour du Prince".
Anne CRENIER et Mario VAUDANO magistrats
[i] Actes de naissance, entretiens avec Stéphane Bou Seuil 2011
[ii] Revue italienne dirigée par le célèbre philosophe Paolo Florès d’Arcais
Le dernier des juges, Roberto Scarpinato et Anna Rizello Editions 48 pages, La Contre Allée, Collection Un singulier pluriel 2011 - 7 €
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