litige - McCarthy Tétrault

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litige - McCarthy Tétrault
CoConseil
CoConseil McCarthy Tétrault :
litige
Volume 2, numéro 3
Novembre 2008 — Février 2009
CoConseil :
litige
Volume 2, numéro 3
Voici le volume 2, numéro 3 du CoConseil McCarthy Tétrault : litige.
Dans le présent numéro, nous présentons les faits nouveaux dans le domaine du litige : des articles sur
des sujets allant des recours collectifs, de l’arbitrage et des délits civils à la propriété intellectuelle
et au litige fiscal, ainsi que des articles portant sur des décisions récentes dans les domaines du
droit relatif au respect de la vie privée, du droit de l’emploi et du droit administratif. Nous sommes
également fiers de vous présenter le premier guide canadien complet sur le droit relatif à l’utilisation
du courrier électronique.
Notre article relatif aux recours collectifs aborde la question de savoir si un défendeur peut présenter
une requête visant à rejeter un recours collectif une fois que le recours a été autorisé — ou si une
telle requête constitue un appel déguisé. Dans notre article relatif aux délits civils, nous abordons
l’obligation de diligence des médecins envers les enfants à naître de leurs patientes. En ce qui
concerne le domaine de la propriété intellectuelle, nous présentons un commentaire d’arrêt dans
lequel nous discutons des limites des recours dans le secteur pharmaceutique. Et dans le domaine du
litige fiscal, nous discutons d’un cas important qui permet l’accès au contrôle judiciaire de certaines
décisions ministérielles.
La présente édition contient également une discussion d’une affaire dans le cadre de laquelle
la Cour suprême du Canada impose des limites à une exclusion qui se trouve dans un grand nombre
de polices d’assurance, ainsi que deux articles où nous abordons la façon dont les tribunaux ont suivi
d’importantes décisions de la Cour suprême du Canada. Dans le domaine du droit administratif, nous
examinons la façon dont l’arrêt Dunsmuir a été appliqué au pays. Dans le domaine de l’arbitrage et
des recours collectifs, nous vous fournissons une mise à jour sur le traitement de deux cas célèbres,
Dell et Rogers.
Nous vous présentons également trois articles portant sur un sujet qui semble préoccuper beaucoup de
monde : le droit à la vie privée et les limites relatives à la production de documents. Un article porte
sur les événements récents dans le domaine du droit relatif au respect de la vie privée, et aborde la
façon dont les tribunaux réconcilient les préoccupations concernant le respect de la vie privée et les
règles relatives à la production de documents. Le deuxième article traite d’une décision récente qui
confirme le privilège d’enquête par rapport à la production de documents. Le troisième article porte
sur le droit de l’environnement et aborde la question du respect de la vie privée, et examine la légalité
des ordonnances obligeant un témoin à fournir une preuve.
Nous présentons également des articles relatifs à l’importance fondamentale de rédiger attentivement
des ententes. L’honorable James M. Farley, c.r., dans sa chronique régulière, discute de décisions
récentes traitant des activités concurrentielles d’anciens employés, qui démontrent la façon dont une
décision d’un tribunal peut être liée à la rédaction de la clause. Un autre article, qui aborde un point
semblable concernant la rédaction, traite du droit d’un propriétaire de résilier un bail. Finalement,
nous présentons un article qui s’adresse aux prêteurs, qui traite de la question des dispositions
relatives au changement défavorable important du marché, et fournit des conseils à l’égard de la
négociation et de la rédaction d’une entente afin d’améliorer l’opposabilité de celle-ci.
Nous nous efforçons de publier des articles qui vous sont utiles et qui illustrent notre connaissance
des besoins diversifiés, et partagés, de nos clients. Nous aimons recevoir vos commentaires et nous
nous ferons un plaisir de répondre à vos questions. Si vous n’êtes pas actuellement abonné à cette
publication mais souhaitez faire ajouter votre nom à la liste, n’hésitez pas à communiquer avec nous.
Bonne lecture!
Geoff R. Hall (Toronto)
Rédacteur en chef
Shaun Emery Finn (Montréal), Kara L. Smyth (Calgary), Miranda Lam (Vancouver)
Marie Maron
Avocate, Gestion des connaissances, groupe de litige
Mars 2009
CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
Table des matières
Publications......................................................................................... 1
Parution du premier guide canadien complet sur le droit relatif à l’utilisation
du courrier électronique .........................................................................................1
Droit administratif ................................................................................ 2
Analyse de l’arrêt Dunsmuir .....................................................................................2
Arbitrage ............................................................................................ 4
Évolution du paysage de l’arbitrage — Répercussions des arrêts Dell et Rogers ........................4
Recours collectif................................................................................... 7
Appel au pragmatisme ............................................................................................7
Communication préalable ......................................................................10
Protection des renseignements personnels et règles des tribunaux relatives
à la production de documents : quelques décisions récentes ............................................ 10
Privilège ............................................................................................15
La Cour suprême de la Colombie-Britannique maintient le privilège de l’enquête interne ......... 15
Litige en propriété intellectuelle .............................................................16
Décision rendue par la Cour fédérale dans le cadre de la première cause portant sur
les dommages-intérêts prévus à l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés
(avis de conformité) : le recours prévu aux termes de l’article 8 ne comprend pas
les profits de l’innovateur ..................................................................................... 16
CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
Droit des assurances .............................................................................20
La Cour suprême du Canada restreint la portée de l’exclusion relative à la conception
défectueuse dans les polices d’assurance tous risques et des constructeurs .......................... 20
Locateur et locataire ............................................................................22
Orbus Pharma Inc. v. Kung Man Lee Properties Inc. — La résiliation du bail commercial
« de préférence » au consentement à la cession : tout est dans la rédaction du bail ............... 22
Droit de l’environnement ......................................................................25
L’affaire Michael Branch v. Her Majesty the Queen (Minister of the Environment) : La Cour
supérieure de justice de l’Ontario règle la question de la légalité des ordonnances contraignant
des témoins à fournir des preuves dans le cadre d’enquêtes du ministère de l’Environnement ... 25
Valeurs mobilières ...............................................................................27
Changements défavorables importants du marché......................................................... 27
Litiges fiscaux .....................................................................................29
L’affaire Chrysler Canada Inc. v. Canada : Les contribuables sont autorisés
à demander un contrôle judiciaire des décisions ministérielles aux termes
de la Convention fiscale entre le Canada et les États-Unis (1980)...................................... 29
Délits civils.........................................................................................31
Les médecins ont-ils une obligation de diligence envers les enfants à naître
de leurs patientes? .............................................................................................. 31
Observations de Me Farley......................................................................33
Leçons récentes : Concurrence loyale d’anciens employés............................................... 33
CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
Publications
Parution du premier guide
canadien complet sur le droit
relatif à l’utilisation du courrier
électronique
Le premier guide canadien complet sur
le droit relatif à l’utilisation du courrier
électronique vient de paraître. E-mail Law,
rédigé par les avocats Charles Morgan et
Julien Saulgrain du groupe du droit de
la technologie, au bureau de Montréal,
donne une vue d’ensemble des principales
conséquences juridiques de l’utilisation du
courrier électronique, soit l’application
technologique la plus utilisée dans le
monde. L'ouvrage renferme des analyses
systématiques des courants actuels et
à venir, de l'information de pointe sur
les contrats électroniques, les pourriels,
la surveillance de l'utilisation du courrier
électronique, la conservation des documents
et le courriel comme élément de preuve.
E-mail Law s’adresse aux conseillers
juridiques, aux professionnels en ressources
humaines et aux chefs d’entreprise. Il renvoie
à la jurisprudence, aux législations et aux
orientations canadiennes et américaines. En
outre, les auteurs ont su tirer parti de leurs
nombreuses années d’expérience pratique
dans ce domaine.
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CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
Communiquez avec :
Charles S. Morgan à Montréal à
[email protected]
ou
Julien Saulgrain à Montréal à
[email protected]
Droit administratif
Analyse de l’arrêt Dunsmuir
Nous avons commenté l’arrêt Dunsmuir c.
Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (CanLII) dans
notre édition de juin 2008, et avons prédit
qu’à la suite de la nouvelle approche fondée
sur deux normes de la Cour suprême à l’égard
du contrôle judiciaire et des limites imposées
à la norme de la décision correcte, une plus
grande importance pourrait être accordée
aux décisions des tribunaux administratifs.
Quelques mois se sont écoulés et nous
sommes maintenant en mesure de vérifier
notre prédiction et d’examiner de quelle façon
les tribunaux de première instance traitent
la nouvelle approche à l’égard du contrôle
judiciaire. Nous sommes fiers d’affirmer que
nous avions raison, ou presque.
Au début de l’année, et seulement dix mois
après la publication de l’arrêt Dunsmuir,
nos recherches électroniques ont révélé
qu’environ 700 décisions publiées en anglais
tenaient compte de l’arrêt Dunsmuir. Après
avoir examiné ces décisions, nous avons
constaté qu’elles appuyaient généralement
les deux normes. Bien qu’un certain nombre
de décisions rendues après l’arrêt Dunsmuir
aient appliqué la norme de la décision correcte,
ces décisions se limitaient, pour la plupart,
aux questions touchant à la compétence
ou à la constitutionnalité, aux questions
d’équité procédurale et aux questions de
droit d’importance générale et qui étaient
manifestement étrangères au domaine
d’expertise des tribunaux administratifs.
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CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
Les questions de fait, les questions mixtes de
droit et de fait ainsi que les questions touchant
au pouvoir discrétionnaire ont été réglées,
presque invariablement, en se fondant sur la
norme de la raisonnabilité.
Nous notons qu’il y avait place à l’interprétation
et que les tribunaux de première instance
pouvaient appliquer divers degrés de déférence
d’après un commentaire formulé par la majorité
dans l’arrêt Dunsmuir, selon lequel il peut y
avoir des « degrés de déférence » (Dunsmuir,
au par. 135) et le commentaire du juge Binnie
selon lequel il peut y avoir un « degré de
déférence distinct […] à l’intérieur d’une seule
norme de raisonnabilité » (Dunsmuir, au par.
139). Toutefois, les cours d’appel de l’Alberta
et de l’Ontario ont clairement rejeté cette
approche et ont affirmé qu’il n’existe qu’une
seule norme de raisonnabilité : voir (versions
anglaises seulement) International Assn. of
Machinists and Aerospace Workers, Local Lodge
No. 99 v. Finning International Inc., [2008] A.J.
No. 1311, 2008 ABCA 400; et Mills v. Ontario
(Workplace Safety and Insurance Appeals
Tribunal), 2008 ONCA 436 au par. 18, [2008]
O.J. No. 2150.
L’arrêt Dunsmuir a manifestement modifié la
norme du contrôle judiciaire en common law.
Mais cet arrêt a créé une certaine incertitude
pour les cours fédérales et les cours de la
Colombie-Britannique lorsqu’il s’agit d’examiner
des décisions qui sont assujetties à l’alinéa
18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales,
L.R. 1985, ch. F-7, et aux articles 58 et 59
de la loi de la Colombie-Britannique intitulée
Administrative Tribunals Act, S.B.C. 2004,
ch. 45 (l’« ATA »). Ces deux lois ont codifié
essentiellement les normes adoptées par la
Cour suprême. Elles font en sorte que certains
types de décisions administratives doivent être
examinés en fonction de la norme de la décision
manifestement déraisonnable, c’est-à-dire la
norme qui a été abolie par la Cour suprême
parce qu’elle était dénuée de sens (Dunsmuir,
aux par. 34 à 45). Cela a donc entraîné un
partage des décisions des tribunaux.
En Colombie-Britannique, la plupart des juges
ont continué à appliquer la norme de la décision
manifestement déraisonnable dans les décisions
des tribunaux assujettis aux dispositions
relatives à la norme de contrôle de l’ATA : voir
par exemple (versions anglaises seulement)
Evans v. University of British Columbia, 2008
BCSC 1026 aux par. 6 à 12; Brown v. British
Columbia (Residential Tenancy Act), 2008 BCSC
1538 au par. 37; Carter v. Travelex Canada Ltd.,
2008 BCSC 405 aux par. 14 et 26; et Lavigne v.
British Columbia (Workers Compensation Review
Board), 2008 BCSC 1107 au par. 98. Dans ces
affaires, les juges ont conclu que la législation
l’emporte sur la common law. Fait intéressant,
le juge Macaulay dans l’affaire Evans a fondé la
norme de la décision manifestement
déraisonnable sur le jugement du juge Binnie
dans l’affaire Dunsmuir et a conclu qu’il existe
certaines « dimensions distinctes relativement à
la déférence qui s’impose à l’intérieur d’une
norme de la raisonnabilité » (Evans, au par. 14,
renvoi à la décision Dunsmuir, au par. 149).
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CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
D’autres juges de la Colombie-Britannique ont
appliqué la nouvelle norme de la raisonnabilité
aux conclusions de fait ou de droit assujetties
à l’alinéa 58(2)a) de l’ATA : voir (versions
anglaises seulement) Howe v. 3770010 Canada
Inc., 2008 BCSC 330 aux par. 9, 16 à 19 et 35;
et British Columbia (Securities Commission) v.
Burke, 2008 BCSC 1244 aux par. 104 à 110.
Il existe également une division semblable au
sein des cours fédérales. En effet, bon nombre
de juges continuent à appliquer la norme de
la décision manifestement déraisonnable en
vertu de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les
Cours fédérales : voir par exemple Da Mota c.
Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008
FC 386, [2008] C.F.J. No. 509 au par. 14
(version anglaise seulement); Obeid c. Canada
(Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 503,
[2008] C.F.J. No. 633 au par. 9; et Bielecki c.
Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008
CF 442, [2008] C.F.J. No. 524 au par. 21.
Toutefois, d’autres juges ont établi que les
conclusions de fait de ces tribunaux peuvent
être examinées en fonction de la norme de
la raisonnabilité : voir par exemple Sukhu c.
Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009
CF 427, [2008] C.F.J. No. 515 au par. 15;
Barm c. Canada (Citoyenneté et Immigration),
2008 CF 893, [2008] C.F.J. No. 1106 au
par. 12; et Nasir c. Canada (Citoyenneté et
Immigration), 2008 CF 504, [2008] C.F.J.
No. 634 aux par. 14 et 15 (version anglaise
seulement).
Remarques de McCarthy Tétrault
La décision portée en appel devant
la Cour suprême dans l’affaire Canada
(Citoyenneté et Immigration) c. Khosa
(No de dossier 31952), qui a été entendue
et dont le prononcé de la décision a été
reporté au 20 mars 2009 pourrait permettre
d’éclaircir cette division parmi les décisions
rendues par les cours fédérales concernant
la norme de la décision manifestement
déraisonnable. Nous ne pouvons toujours
pas déterminer si cette décision mettra
un terme aux décisions partagées en
Colombie-Britannique. Toutefois, nous
pouvons affirmer avec certitude que la
norme de la décision manifestement
déraisonnable n’a pas été totalement
éliminée, du moins pas encore.
Le présent article a été écrit par Kara
Smyth, associée, et s’appuie sur les
recherches menées par Dallas Romeril,
stagiaire.
Communiquez avec :
Kara L. Smyth à Calgary à
[email protected]
ou
Andrew Wilkinson, c.r. à Vancouver à
[email protected]
ou
Geoff R. Hall à Toronto à
[email protected]
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CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
Arbitrage
Évolution du paysage de
l’arbitrage — Répercussions
des arrêts Dell et Rogers
Le paysage juridique relatif à l’application des
clauses d’arbitrage continue d’évoluer à la suite
des arrêts Dell et Rogers rendus en juillet 2007
par la Cour suprême du Canada. Voir Dell
Computer Corp. c. Union des consommateurs,
2007 CSC 34 (CanLII) et Rogers Sans-fil inc. c.
Muroff, 2007 CSC 35 (CanLII). Dans ces deux
cas, la Cour suprême a conclu qu’en vertu des
lois du Québec un arbitre peut se prononcer
sur sa propre compétence à moins que cela ne
nécessite principalement de statuer sur des
questions de droit, auquel cas un tribunal serait
davantage indiqué afin de trancher la question
de compétence. Le juge a conclu que le principe
s’appliquait même dans le contexte d’une
requête en autorisation d’exercer un recours
collectif. Le régime québécois des recours
collectifs est essentiellement procédural et ne
modifie pas le droit fondamental, notamment
celui qui découle d’une clause d’arbitrage. Par
conséquent, conformément aux arrêts Dell et
Rogers, l’intimé dans le cadre d’une requête
en autorisation d’exercer un recours collectif
peut contester la compétence du tribunal en se
fondant sur une clause d’arbitrage, et, à moins
que la clause ne soit manifestement invalide, le
tribunal devrait renvoyer l’affaire à l’arbitrage.
Les arrêts Dell et Rogers se sont penchés
également sur le champ d’application de la
récente interdiction réglementaire du Québec
à l’égard des clauses d’arbitrage et des clauses
excluant les recours collectifs fondés sur
des contrats de consommation. Le tribunal
a conclu que la loi n’a pas d’effet rétroactif.
En l’espèce, la condition d’application de la
clause d’arbitrage était fondée sur le fait
qu’une poursuite doit être intentée contre
Dell ou qu’une réclamation, un conflit ou une
controverse doit survenir entre le client et Dell.
La controverse ou la réclamation est survenue
avant l’entrée en vigueur de la loi et celle-ci,
par conséquent, ne s’applique pas.
Certaines décisions ayant été rendues
récemment au Québec ont appliqué les arrêts
Dell et Rogers à quelques nuances près. Les
décisions canadiennes rendues en common
law ont soulevé certaines questions en ce qui
a trait à l’application de ces arrêts de la Cour
suprême à l’extérieur du Québec.
Au Québec, les affaires Storex Industries Corp.
c. Dr Byte USA LLC 2008 QCCA 100 (CanLII)
et 9064-1622 Québec Inc. c. Société Telus
Communications 2008 QCCS 2975 (CanLII)
ont confirmé qu’un arbitre peut statuer sur sa
propre compétence, sauf lorsque cela nécessite
de statuer sur des questions de droit. Ces
décisions indiquent que les tribunaux de droit
civil peuvent avoir à établir la nature des
questions relevant de la compétence d’un
arbitre. La décision dans l’affaire 9064-1622
Québec Inc. confirme également qu’un arbitre
peut statuer sur sa propre compétence peu
importe s’il doit se prononcer sur l’existence,
la validité ou l’applicabilité de la clause
d’arbitrage.
Dans l’affaire Dens Tech-Dens, KG c. NetdentTechnologies Inc. 2008 QCCA 1245 (CanLII),
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CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
l’une des parties a fait parvenir un avis
d’arbitrage à un centre d’arbitrage commercial
aux termes d’une clause d’arbitrage dans le
cadre d’une convention unanime des
actionnaires. L’autre actionnaire a présenté une
requête pour jugement déclaratoire devant la
Cour supérieure en vue de faire déclarer nul
l’avis d’arbitrage. Tant la Cour supérieure que
la Cour d’appel ont accueilli la requête visant à
rejeter le jugement déclaratoire, leurs décisions
étant en partie fondées sur la compétence de
l’arbitre de statuer sur sa propre compétence de
la façon décrite dans les arrêts Dell et Rogers.
En réponse à l’argument selon lequel les
questions liées à la compétence de l’arbitre
sont essentiellement des questions de droit,
la Cour d’appel a conclu que l’exception
s’applique uniquement lorsqu’un tribunal a
été initialement saisi de l’affaire et qu’on lui
demande de renvoyer les parties à l’arbitrage.
En revanche, lorsqu’un processus d’arbitrage a
été entamé, l’arbitre doit décider des questions
relevant de sa propre compétence, y compris les
questions de droit. La décision de l’arbitre peut
par la suite être revue en fonction des règles
provinciales concernant l’arbitrage, y compris
celles relatives à l’homologation ou à
l’annulation d’une sentence arbitrale.
Dans l’affaire Fortin c. Rogers Communications
Sans-Fil inc. 2008 QCCS 3855 (CanLII), la Cour
supérieure a examiné les règles transitoires
aux fins de l’application de l’interdiction
réglementaire au Québec à l’égard des clauses
d’arbitrage dans les contrats de consommation.
La cour a cité les arrêts Dell et Rogers et
a conclu qu’une clause d’arbitrage produit
son effet juridique uniquement lorsqu’une
réclamation, un conflit ou un différend survient
et qu’il est visé par la clause. Notamment,
la cour a noté que la requête en autorisation
d’exercer un recours collectif par le requérant
et la signification de l’intérêt de l’intimé de
soumettre l’affaire à l’arbitrage, ainsi que
la conclusion du contrat, sont survenues
avant l’entrée en vigueur de la loi au Québec.
La cour a souligné qu’une fois le processus
d’arbitrage enclenché, le fait que des
dommages découlent de ce processus n’est pas
pertinent à l’application de la modification
réglementaire. À la suite de la décision Fortin,
ainsi que des arrêts Dell et Rogers, une situation
juridique relative à l’interdiction réglementaire
des clauses d’arbitrage peut être considérée
comme étant « en cours » jusqu’à ce qu’une
réclamation ne soit présentée ou qu’un litige ne
soit soumis à l’arbitrage. De cette façon, il peut
être possible de faire valoir que l’interdiction
réglementaire s’applique aux clauses d’arbitrage
dans les contrats conclus avant la date d’entrée
en vigueur des modifications dans la mesure où
la réclamation ou le processus d’arbitrage a été
entamé après cette date, et ce, même si la
récente législation n’a aucun effet rétroactif.
Dans les provinces et les territoires de common
law au Canada, on tente de déterminer si
le raisonnement des arrêts Dell et Rogers
s’applique à l’extérieur du Québec, de façon
à permettre à une clause d’arbitrage d’avoir
priorité sur les recours collectifs. Dans les
affaires MacKinnon v. National Money Mart 2008
BCSC 710 et Seidel v. Telus Communications Inc.
2008 BCSC 933 (versions anglaises seulement),
les tribunaux ont conclu que les arrêts Dell
et Rogers ne s’appliquent pas en Colombie-
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CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
Britannique vu les différences entre les lois de
la Colombie-Britannique et du Québec en ce qui
a trait à l’arbitrage, et en particulier, en ce qui
a trait à la capacité des tribunaux de refuser
de soumettre un différend à l’arbitrage. À cet
égard, ces affaires confirment des décisions
ayant déjà été rendues en Colombie-Britannique
et selon lesquelles une certification de recours
collectif et une demande de sursis de l’instance
fondée sur une clause d’arbitrage devraient
faire partie d’une même décision. S’il a
été déterminé qu’un recours collectif est
préférable, il devient donc impossible de
soumettre le différend à l’arbitrage car la
clause d’arbitrage devient sans effet. Dans
la décision Seidel, le tribunal a accepté le
témoignage d’un expert en droit du Québec
et a conclu qu’il n’existe aucune différence
fondamentale entre le Québec et la ColombieBritannique en ce qui a trait aux critères de
certification des recours collectifs. En revanche,
la législation en matière d’arbitrage de la
Colombie-Britannique permet au tribunal
d’établir la compétence d’un arbitre, alors que
la loi du Québec autorise l’arbitre à statuer sur
sa propre compétence dans la plupart des cas.
Remarques de McCarthy Tétrault
Les décisions dans les affaires Seidel et
MacKinnon ne mettent pas fin au débat.
Dans la décision Frey v. Bell Mobilité Inc.
2008 SKQB 79 (version anglaise seulement),
un tribunal de la Saskatchewan a adopté un
point de vue tout à fait opposé et a conclu
qu’aux termes des arrêts Dell et Rogers,
une instance introduite en vue d’un recours
collectif devait faire l’objet d’un sursis et
que celle-ci devait être soumise à l’arbitrage
si la réclamation est visée par une clause
d’arbitrage valide.
Communiquez avec :
Martin Boodman à Montréal à
[email protected]
ou
Stephen G. Schenke à Montréal à
[email protected]
Recours collectif
Appel au pragmatisme
À la suite de l’autorisation d’un recours
collectif, le tribunal peut-il entendre et
accueillir une requête en irrecevabilité?
Ne serait-ce pas un appel déguisé? Voilà
deux des questions qui sont abordées dans
Popovic c. Ville de Montréal, 2008 QCCA 2371
(CanLII), un arrêt qui marque une autre
étape dans l’évolution d’une jurisprudence
davantage pragmatique.
Dans cette affaire, la Cour d’appel du Québec
a dû statuer sur le pourvoi d’un jugement
rendu par la Cour supérieure qui a accueilli
deux requêtes en irrecevabilité, rejetant ainsi
le recours collectif introduit par l’appelant,
Alexandre Popovic. La première requête en
irrecevabilité a été présentée par la Ville
de Montréal et ses policiers, alléguant la
prescription de l’action. La deuxième requête a
été présentée par Me John Donovan, représenté
par Mes Marie Audren et Marc-André Grou de
BLG, invoquant les principes de l’immunité
relative du poursuivant.
Le 1er mai 2000, lors d’une manifestation
dans le cadre de la Fête internationale des
travailleurs et travailleuses, 127 personnes
ont été arrêtées et traduites en justice. Ces
manifestants ont été accusés d’avoir troublé
la paix, d’attroupement illégal et de méfaits.
Alexandre Popovic a alors entrepris un recours
collectif en responsabilité extracontractuelle
pour dommages-intérêts moraux et exemplaires
à la suite de ces arrestations. Le recours a été
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CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
autorisé et après avoir obtenu signification de
la requête introductive d’instance, les parties
défenderesses ont respectivement déposé en
Cour supérieure les actions en irrecevabilité
décrites précédemment. La Cour supérieure
a accueilli les deux requêtes en irrecevabilité
et a rejeté le recours collectif dans son
ensemble. Alexandre Popovic en appelle
de cette décision.
Selon l’appelant, les deux requêtes en
irrecevabilité étaient en soi irrecevables et
constituaient un appel déguisé à l’encontre du
jugement d’autorisation. En premier lieu, la
Cour d’appel conclut que le juge de la Cour
supérieure pouvait se saisir des requêtes en
irrecevabilité, notamment parce qu’il serait
contraire aux intérêts de la justice de laisser
perdurer un débat judiciaire non fondé en droit
en tenant pour avérés tous les faits allégués.
À cet égard, la Cour d’appel reprend les propos
de Me Donald Bisson de McCarthy Tétrault
à l’effet que les requêtes visant le rejet
préliminaire du recours collectif ne doivent pas
toutes être refusées. Lorsque, par exemple,
l’autorisation repose sur une base fragile, il
n’est pas toujours souhaitable qu’on exige la
tenue d’un procès. Même si les requêtes en
irrecevabilité présentées après l’autorisation
d’un recours collectif sont rejetées dans la
majorité des cas, la Cour d’appel ne croit
pas qu’elles doivent toutes être rejetées
systématiquement; un devoir de prudence
s’impose. Selon la Cour, les fondements de
l’interdiction implicite de moyens préliminaires
après l’introduction et l’autorisation du recours
collectif sont fragiles.
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CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
La Cour d’appel s’est ensuite penchée sur
les deux requêtes en irrecevabilité.
a) Prescription
L’appelant soumet que les 99 manifestants
qui ont plaidé coupable aux infractions dont
ils étaient accusés doivent bénéficier de la
suspension de la prescription puisqu’ils ont
pris une décision d’affaire en enregistrant
leur plaidoyer. Puisque ce moyen n’a aucun
fondement en droit, la Cour d’appel le rejette.
Selon elle, la suspension de la prescription d’un
recours civil en responsabilité pour poursuite
criminelle abusive n’est pas applicable pour
deux raisons : aucune allégation de fait relatif
à une arrestation ou poursuite abusive n’a
été faite, et même si une allégation de
cette nature avait été faite, les plaidoyers
de culpabilité qu’ont faits les manifestants
anéantissent toute prétention quant à
l’existence d’une poursuite abusive, et quant
à l’existence d’une suspension de prescription.
Le recours était également prescrit pour les
autres manifestants qui n’ont pas plaidé
coupable et qui ne bénéficient pas non plus
de la suspension de la prescription.
b) Immunité relative
L’appelant soumet que la Cour supérieure
aurait dû référer cette question au juge du
fond en raison de la complexité du moyen. La
Cour d’appel cite la décision Nelles c. Ontario,
1989 CanLII 77 de la Cour suprême du Canada
qui établit que le Procureur général et les
procureurs de la Couronne doivent bénéficier
d’une immunité relative et que leur
responsabilité ne peut être engagée que
si le demandeur prouve quatre conditions
cumulatives : 1) les procédures ont été
engagées par le défendeur, 2) le tribunal a
rendu une décision favorable au demandeur,
3) l’absence de motif raisonnable et probable,
et 4) l’intention malveillante ou un objectif
principal autre que celui de l’application
de la loi.
Bien que Me Donovan ne soit pas procureur
de la Couronne, il bénéficie néanmoins de
l’immunité relative en raison des fonctions
qu’il assume; il a une responsabilité assimilable
à celle d’un procureur de la Couronne. Les
allégations de l’appelant satisfont aux deux
premiers critères, mais aucune allégation de
fait ne permet de conclure ou d’établir les
deux derniers critères.
Remarques de McCarthy Tétrault
Outre l’application de l’arrêt Nelles à
un mandataire municipal québécois qui
assimile les fonctions d’un procureur de
la Couronne, l’affaire Popovic démontre
qu’une requête en irrecevabilité peut être
accordée à la suite de l’autorisation d’un
recours collectif et ne constitue pas pour
autant un appel déguisé. Bref, la décision
souligne que le pragmatisme, et non le
dogmatisme procédural, devrait alimenter
la pensée des tribunaux, avant, après et
durant le déroulement d’un recours
collectif.
Page 9
CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
Communiquez avec :
Shaun Emery Finn à Montréal à
[email protected]
ou
Donald Bisson à Montréal à
[email protected]
ou
Warren B. Milman à Vancouver à
[email protected]
ou
Sean S. Smyth à Calgary à
[email protected]
ou
Harry C.G. Underwood à Toronto à
[email protected]
Communication
préalable
Protection des renseignements
personnels et règles des tribunaux
relatives à la production de
documents : quelques décisions
récentes
Même si les règles relatives à la production
de documents varient d’un territoire à l’autre,
les préoccupations relatives à la protection des
renseignements personnels sont universelles.
Récemment la Cour fédérale, la Cour d’appel
de l’Alberta et la Cour supérieure de justice
de l’Ontario se sont fait demander de concilier
les exigences de leurs règles particulières
relatives à la production des documents et
les préoccupations en matière de protection
des renseignements personnels des parties
s’opposant dans le cadre d’un litige. Même si
les circonstances, la nature de l’information
et les règles pertinentes en matière de
production de documents en cour varient, les
trois tribunaux ont été capables de tenir compte
des préoccupations des parties en matière
de protection des renseignements personnels
dans trois des quatre causes décrites ci-après
en se fondant sur la Loi sur la protection des
renseignements personnels et les documents
électroniques1 (LPRPDE) ou la règle de
l’engagement implicite — ou en faisant la
distinction entre les renseignements pertinents
et non pertinents au moment de décider quels
renseignements doivent être déposés. Dans la
quatrième cause toutefois, les règles relatives
1
Lois du Canada, 2000, c. 5 [LPRPDE]
Page 10
CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
à la production de documents régissant
la Cour supérieure de justice de l’Ontario a
donné au protonotaire R. Dash peu de latitude
pour conclure que les renseignements contestés
devaient être déposés en cour et seraient
accessibles au public.
La Cour fédérale : DataTreasury
Corporation v. Royal Bank of Canada
Dans l’affaire DataTreasury Corporation v.
Royal Bank of Canada, 2008 FC 955 (CanLII)
(version anglaise seulement), il a été demandé
au protonotaire Aalto d’arrêter les conditions
d’une ordonnance conservatoire. Les parties —
DataTreasury Corporation et les membres
du groupe bancaire — avaient envisagé une
telle ordonnance dans le but de préserver la
confidentialité de la technologie brevetée se
trouvant au cœur de l’action en contrefaçon
de brevet et d’invalidation de brevet, ainsi
que des autres renseignements confidentiels
des parties. Les parties ont été incapables
de s’entendre relativement à la « clause du
Canada uniquement » qui aurait permis à
la partie qui produit les renseignements de
signifier et déposer un avis dans le but de
demander une ordonnance empêchant la
divulgation des renseignements à l’extérieur
du Canada. Le receveur n’aurait pas pu
transmettre les renseignements à l’extérieur
du Canada avant l’audition finale de la
requête, y compris les appels.
DataTreasury a insisté sur le fait que certains
renseignements devaient être transmis
aux États-Unis pendant le déroulement
de la poursuite étant donné que sa base
de documents centrale, ses conseillers en
gestion de documents, le conseiller juridique
américain, les témoins et les experts se
trouvaient tous aux États-Unis. Le groupe
bancaire se préoccupait du fait que les
renseignements produits renfermaient des
renseignements personnels concernant des
clients et que l’envoi de ces renseignements
de l’autre côté de la frontière entreraient
en conflit avec la loi des États-Unis intitulée
PATRIOT Act et la LPRPDE, ainsi qu’avec
les politiques de la banque en matière de
protection des renseignements personnels.
Le tribunal a reconnu que la préoccupation
exprimée par le groupe bancaire était légitime
et qu’une fois les renseignements sortis
du Canada, ils pourraient être produits de
manière non prévue par les parties.2 Toutefois,
le tribunal a aussi conclu que la « clause du
Canada uniquement » entraînerait des requêtes
interminables et qu’elle pourrait limiter la
capacité du conseiller juridique à montrer des
documents pertinents à son client qui se trouve
aux États-Unis et à recevoir des directives.3
Le tribunal a trouvé un certain nombre de
façons de veiller à ce que les règles de
production du tribunal soient appliquées de
manière équitable de part et d’autre, tout
en atténuant les préoccupations du groupe
bancaire en matière de protection des
renseignements personnels. Dans un premier
temps, même si les documents en question
étaient pertinents et devaient donc être
produits en vertu de la loi, les renseignements
personnels contenus dans les documents
n’étaient pas pertinents et n’avaient pas
besoin d’être produits.
Le tribunal a aussi tenu compte des
préoccupations de la Banque relatives à
la LPRPDE. En vertu de l’alinéa 7(3) de la
LPRPDE, une organisation ne peut recueillir
de renseignements personnels à l’insu d’une
personne et sans son consentement que dans
des cas particuliers, notamment dans le cas où
la communication est exigée par assignation,
mandat ou ordonnance d’un tribunal, d’une
personne ou d’un organisme ayant le pouvoir de
contraindre à la production de renseignements,
si elle est exigée par des règles de procédure
se rapportant à la production de documents4 ou
si elle est exigée par la loi5. Cette disposition
s’appliquait à la communication en cause
dans la présente affaire, étant donné que les
documents devaient être produits conformément
aux dispositions des Règles des Cours fédérales6,
ce qui élimine les préoccupations du groupe
bancaire relativement à la LPRPDE.
Enfin, le tribunal a aussi fait remarquer
que le receveur était régi par la règle de
l’engagement implicite que le tribunal a
en fin de compte demandé d’inclure dans
l’ordonnance conservatoire.7
4
5
2
3
DataTreasury, paragraphe 10.
DataTreasury, paragraphes 10, 16.
Page 11
CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
6
7
LPRPDE article 7(3)(g).
LPRPDE article 7(3)(g).
DORS/98-106.
DataTreasury, paragraphe 23.
La Cour d’appel de l’Alberta : Innovative
Health Group Inc. v. Calgary Health Region
Le litige dans l’affaire Innovative Health Group
Inc. v. Calgary Health Region, 2008 ABCA 219
(CanLII) (version anglaise seulement) a résulté
de la tentative de Calgary Health Region (CHR)
de procéder à une vérification ponctuelle des
activités d’Innovative Health Group. Innovative
a prétendu avoir subi des dommages et CHR
a fait une demande reconventionnelle dans
laquelle elle a allégué des violations de contrat
et du devoir fiduciaire.
CHR fournissait un traitement financé par
les deniers publics dans le cadre d’une série
de contrats conclus avec Innovative, alors
qu’Innovative fournissait un traitement à la
fois financé par l’État et par le privé. Lorsque
CHR a procédé à une vérification ponctuelle,
Innovative s’est inquiétée des incidences en
matière de protection des renseignements
personnels qu’aurait la diffusion de
renseignements confidentiels concernant un
patient sans son consentement. Elle a permis
que les disques durs de ses ordinateurs soient
copiés et que les copies soient déposées à
la Cour du banc de la Reine, d’ici à ce que
survienne une entente ou que soit délivrée une
ordonnance du tribunal. Les parties se sont
entendues quant à la diffusion des dossiers
financés par l’État mais aucune entente n’est
survenue à l’égard des dossiers visant des
patients ayant reçu un traitement dont le
financement était à la fois public et privé (les
dossiers hybrides). Innovative se préoccupait
de la protection de la confidentialité des
renseignements personnels concernant ses
Page 12
CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
patients dans le cadre de la production de la
totalité des documents et dossiers pertinents
et importants lors du litige.
CHR a obtenu une ordonnance enjoignant
à Innovative de déposer un affidavit plus
précis des documents. Le juge a ordonné
la production des disques durs d’Innovative
détenus par le tribunal ainsi que des copies
sous forme matérielle et électronique des
dossiers hybrides. Le juge a estimé que la
protection des renseignements personnels et
de la confidentialité pouvait être assurée par
l’engagement implicite de l’avocat que les
dossiers ne seraient pas utilisés ailleurs que
dans le cadre du litige.
Innovative a continué à s’opposer à la
production intégrale des disques durs et en
a appelé de cette décision. La Cour d’appel
a annulé la décision du juge de l’instance.
Elle a conclu que le disque dur n’était pas un
dossier au sens attribué au mot « record » dans
la Rule 186 des règles de la Cour d’Alberta et
il ne pouvait pas être produit en l’espèce. Les
doutes d’Innovative quant à la protection des
renseignements personnels ont été dissipés
lorsque le tribunal a conclu que les dossiers
hybrides, en particulier, n’avaient pas à être
produits puisqu’ils n’étaient ni pertinents ni
importants en ce qui concerne les causes
d’action alléguées.
La Cour supérieure de justice de l’Ontario :
Royal Bank of Canada v. Welton and
Moore v. Bertuzzi
Dans l’affaire Royal Bank of Canada v. Welton,
2008 CanLII 6648 (ON S.C.) (version anglaise
seulement), les demandeurs ont allégué que
la Banque Royale du Canada (RBC) avait violé
l’article 8 de la Charte canadienne des droits
et libertés8 dans le cadre de son enquête
portant sur une présumée fraude hypothécaire.
RBC s’était appuyée sur les sous-alinéas
7(3)d)i) et (h.2) de la LPRPDE lors de son
échange de renseignements avec La Banque
Toronto-Dominion, des renseignements que
RBC entendaient utiliser dans le cadre d’une
action civile en dommages-intérêts contre
les présumés fraudeurs. L’alinéa 7(3)d)
autorise une organisation à communiquer des
renseignements personnels à un organisme
d’enquête si elle a des motifs raisonnables de
croire que le renseignement est afférent à la
violation d’un accord ou à une contravention
au droit fédéral, provincial ou étranger qui a
été commise ou est en train ou sur le point
de l’être. Le sous-alinéa 7(3)(h.2) autorise
l’organisme d’enquête à communiquer ce
renseignement si la communication est
raisonnable à des fins liées à une enquête sur
la violation d’un accord ou la contravention
du droit fédéral ou provincial.
Les demandeurs, au nombre des présumés
fraudeurs, ont estimé que leurs attentes en
matière de respect de la vie privée étaient
violées et ont tenté de faire déclarer les
alinéas 7(3)d) et (h.2) comme étant inopérants
et, par conséquent, d’empêcher que les
renseignements recueillis soient utilisés dans
le cadre de l’action civile en instance et de
faire en sorte que soit annulée l’injonction
conservatoire auparavant obtenue par RBC.
Le juge Cumming de la Cour supérieure de
justice de l’Ontario a conclu que la Charte ne
s’appliquait pas et a rejeté les requêtes des
demandeurs. Il a conclu que même si la LPRPDE
s’appliquait à RBC, la banque n’exerçait pas
une fonction gouvernementale inhérente.
Il a aussi conclu que le fait que les fraudeurs
prenaient part à une activité qui aurait bien pu
constituer une infraction criminelle ne faisait
pas de la banque un prolongement de l’état.
La conclusion du juge Cumming a neutralisé les
allégations des demandeurs selon lesquelles les
renseignements recueillis devraient être exclus
dans le cadre de l’action civile pour des raisons
de protection de la vie privée.
Dans l’affaire Moore v. Bertuzzi, 2007 CanLII
57934 (ON S.C.) (version anglaise seulement),
les défendeurs étaient préoccupés par
l’attention suscitée par la poursuite ainsi que
des répercussions de cette attention ou de
cette publicité sur le droit au procès impartial
des défendeurs. La poursuite a découlé d’un
incident survenu pendant un match de la Ligue
nationale de hockey. Bertuzzi, qui jouait alors
pour l’équipe des Canucks de Vancouver, avait
semble-t-il frappé par derrière Steve Moore,
qui jouait pour l’Avalanche du Colorado, et
il lui avait cogné le visage contre la glace,
causant à Moore une grave blessure. Moore
a intenté une action en dommages-intérêts
ainsi qu’en dommages-intérêts punitifs.
8
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituent
l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982,
ch. 11 [Charte]. L’article 8 protège une personne contre les
fouilles, perquisitions ou saisies abusives par une autorité
publique ou gouvernementale.
Page 13
CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
Au cours de l’interrogatoire au préalable,
Bertuzzi et une autre personne visée par
l’examen ont refusé de répondre à certaines
questions et ont demandé de mettre certaines
autres questions en délibéré. Le demandeur a
signifié une requête pour modifier les plaidoyers
et contraindre Bertuzzi et l’autre personne
à se présenter de nouveau pour répondre aux
questions auxquelles ils avaient refusé de
répondre au moment de l’interrogatoire au
préalable. Bertuzzi a présenté une requête en
vue d’obtenir une ordonnance enjoignant au
demandeur de ne pas déposer les transcriptions
de l’interrogatoire préalable à l’appui de
sa requête. Il estimait que le dépôt des
transcriptions augmenterait la couverture
médiatique et compromettrait son droit à un
procès impartial en influençant les membres
éventuels du jury.
[traduction] et qu’il exige d’équilibrer l’intérêt
public de découvrir la vérité d’une part et la
protection de la vie privée et des renseignements
confidentiels d’autre part, la Rule 31.1.01(5)
prévoit une dérogation à la présomption
d’engagement lorsque des preuves sont déposées
au tribunal. De plus, les Rules 37.10(5) et
34.18(2) exigent que les transcriptions soient
déposées au tribunal puisqu’elles sont
légitimement requises aux fins d’une requête
visant à exiger des réponses aux questions
auxquelles les défendeurs avaient refusé de
répondre au moment de l’interrogatoire
préalable.
Le défendeur a tenté d’invoquer la règle de
présomption d’engagement, qui fait partie
intégrante de la Rule 30.1.01, laquelle
empêcherait les parties et leurs conseillers
juridiques d’utiliser des preuves ou des
renseignements obtenus dans le cadre de
la communication des documents et de
l’interrogatoire au préalable autrement
qu’aux fins de la poursuite. Même si le
protonotaire R. Dash s’est dit préoccupé de
la perte de confidentialité de l’interrogatoire
préalable, il a refusé d’interdire le dépôt
des transcriptions et d’ordonner que les
transcriptions soient mises sous scellés.
Même si le fondement de la présomption
d’engagement est la « reconnaissance du droit
général au respect de la vie privée dont dispose
une personne à l’égard de ses documents »9
Les questions relatives à la protection de
la vie privée vont sans doute continuer de
compliquer la vie des parties à un litige,
particulièrement lorsqu’elles doivent
composer avec les différentes règles des
tribunaux, mais les affaires DataTreasury,
Innovative et Welton démontrent qu’il y a
souvent des moyens de concilier ces règles
et les préoccupations des parties en
matière de protection des renseignements
personnels. Même le protonotaire R. Dash
dans l’affaire Moore a reconnu qu’il
pouvait exister d’autres mesures mais
qu’aucune des parties n’avait suggéré une
solution de remplacement réalisable et
raisonnable.
9
Goodman c. Rossi (1995), 24 O.R. (3d) 359 (C.A.), page
367, selon la citation faite l’affaire Moore au
paragraphe 10.
Page 14
CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
Remarques de McCarthy Tétrault
Communiquez avec :
Barbara A. McIsaac, c.r. à Ottawa à
[email protected]
Privilège
La Cour suprême de la ColombieBritannique maintient le privilège
de l’enquête interne
•
le litige était en cours ou était
raisonnablement envisagé au moment
où le document a été créé; et
HMTQ v. Canadian National Railway Company,
2008 BCSC 1677 (lien vers CanLII en anglais
seulement)
•
le document a été créé principalement
en préparation pour ce litige.
La Cour suprême de la Colombie-Britannique a
accueilli récemment une demande portant sur
le privilège reconnu en common law invoqué
par la Compagnie des chemins de fer nationaux
du Canada (le « CN ») à l’égard de documents
créés dans le cadre de l’enquête interne sur
une collision entre deux trains.
La décision dans l’affaire HMTQ v. CN fournit
des indications importantes sur la façon de
maintenir un privilège sur des documents
produits à l’interne. Cette décision semble
également assouplir les exigences en matière
de preuve afin de maintenir ce privilège
et d’éviter la divulgation de l’information
contenue dans ces documents saisis lors de
l’exécution d’un mandat de perquisition.
Pour que l’on puisse s’opposer à la divulgation
de l’information contenue dans des documents
en se fondant sur le privilège, les deux
conditions suivantes doivent être remplies10 :
10
Keefer Laundry Ltd. v. Pellerin Milnor Corp. et al 2006
BCSC 1180
Page 15
CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
L’affaire HMTQ v. CN énumère des
circonstances dans lesquelles ces exigences
sont remplies et précise l’étendue de la preuve
nécessaire afin de maintenir ce privilège.
Avant cette affaire, la jurisprudence stipulait
qu’il était nécessaire de faire la preuve que ces
deux conditions étaient remplies pour chaque
document pour lequel on tentait d’appliquer
le privilège et que l’on devait, notamment,
fournir une preuve de la raison pour laquelle
l’auteur avait créé chaque document.11 Dans
l’affaire HMTQ v. CN, le tribunal a statué
qu’il n’est pas nécessaire de fournir une
preuve pour chaque document lorsque les
facteurs sous-jacents sont suffisants pour
établir que les deux conditions sont remplies.
En l’espèce, il a été décidé que l’incident était
d’une telle ampleur (une collision de trains
entraînant la rupture des voitures chargées de
produits chimiques toxiques) qu’il était
probable qu’il fasse l’objet d’un litige, que ce
soit d’ordre réglementaire ou autre. En outre,
le tribunal a conclu, en l’absence de preuves
de la part de l’auteur de chaque document,
11
Supra, aux paragr. 96 à 101
que les documents produits dans le cadre
de l’enquête interne du CN ont été créés
principalement afin de regrouper rapidement
les preuves disponibles dans le but de
présenter une défense dans l’éventualité
où un litige serait initié par un ou plusieurs
organismes de réglementation.
Dans sa décision, le tribunal a accordé de
l’importance au fait que l’avocat du CN a
demandé la tenue d’une enquête interne, par
écrit, le jour même où l’incident est survenu,
en précisant que l’enquête était menée en
prévision des recours et des litiges possibles
et qu’elle était nécessaire afin de fournir
au CN des conseils juridiques dans le cas
de tels recours.
Toute entreprise faisant face à un incident qui
pourrait raisonnablement entraîner un litige
aurait tout intérêt à suivre cette approche
pour la tenue d’une enquête interne menée
à l’égard de l’incident.
Communiquez avec :
Nicholas R. Hughes à Vancouver à
[email protected]
Page 16
CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
Litige en propriété
intellectuelle
Décision rendue par la Cour fédérale
dans le cadre de la première cause
portant sur les dommages-intérêts
prévus à l’article 8 du Règlement sur
les médicaments brevetés (avis de
conformité) : le recours prévu aux
termes de l’article 8 ne comprend
pas les profits de l’innovateur
Apotex Inc. c. Merck & Co., Inc. et al.
(21 octobre 2008), Ottawa, T-1144-05 (C.F.)
Dans le cadre d’une première décision rendue
relativement à une poursuite intentée aux
termes de l’article 8 du Règlement sur les
médicaments brevetés (avis de conformité)
(le « Règlement »), le juge Hughes de la
Cour fédérale a conclu que la Cour fédérale
a compétence pour entendre et juger des
actions intentées aux termes de l’article 8 du
Règlement, que l’article 8 est valide et que le
Parlement fédéral a l’autorité constitutionnelle
voulue pour adopter l’article 8. Les sociétés
pharmaceutiques innovatrices s’intéresseront
particulièrement à la décision de la Cour
fédérale selon laquelle, aux termes du
paragraphe 8(4) du Règlement, les fabricants
de médicaments génériques n’ont pas droit
à la restitution des profits réalisés par la
société innovatrice pendant la période des
procédures intentées aux termes de l’article 6
du Règlement en cas de désistement, de retrait
ou de rejet de la demande. Le juge Hughes
a également décidé que le fabricant de
médicaments génériques pourrait recouvrer
les dommages et les pertes de profits subis
pendant la période où il n’a pu vendre ses
produits sur le marché, et qu’il pourrait
également demander le recouvrement
des dommages subis au cours de la même
période et après cette période pour la perte
permanente de sa part du marché si les
dommages n’ont pas pu ou n’ont pas été
rectifiés au cours de la même période.
Contexte de l’adoption du Règlement sur les
médicaments brevetés (avis de conformité)
Le Règlement a été adopté initialement en
1993 et remplacé par un régime de licence
obligatoire pour la vente de médicaments
brevetés au Canada. Aux termes du Règlement,
un fabricant de médicaments génériques
peut faire une demande pour un avis de
conformité en comparant son produit à un
produit innovateur, mais doit aviser la société
innovatrice que son produit ne constituera pas
une contrefaçon du produit innovateur, ou que
le brevet est invalide, entre autres choses
(article 5). La société innovatrice peut alors
déposer une demande aux termes de l’article 6
du Règlement pour empêcher la délivrance
d’un avis de conformité à l’égard du
médicament générique, entraînant ainsi
une suspension automatique de 24 mois.
Si la demande de la société innovatrice est
retirée, abandonnée ou rejetée, le fabricant
de médicaments génériques peut intenter
une action aux termes de l’article 8 du
Règlement en vue de recouvrer ses pertes.
Cette affaire traite uniquement de la version
de l’article 8 du Règlement qui était en vigueur
Page 17
CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
avant les modifications qui ont été apportées
au Règlement en octobre 2006. Le paragraphe
8(4) de cette version antérieure prévoit que
dans le cadre de toute procédure intentée
en vue d’obtenir réparation pour cette perte,
« le tribunal peut rendre l’ordonnance qu’il
juge indiquée pour accorder réparation
par recouvrement de dommages-intérêts
ou de profits à l’égard de la perte visée au
paragraphe (1) [les italiques ont été ajoutés
par les auteurs] ». La version actuelle de
l’article 8 limite expressément la réparation
comme suit : « il peut rendre l’ordonnance
qu’il juge indiquée pour accorder réparation
par recouvrement de dommages-intérêts à
l’égard de cette perte ».
L’action
Dans le cas de cette action, Apotex demandait
un recouvrement à l’encontre de Merck en
vertu de l’article 8 en raison du délai du
lancement de l’Apo-alendronate en raison
de la procédure aux termes de l’article 6
instituée par Merck le 29 mai 2003. Cette
procédure a été rejetée par la Cour fédérale
le 27 mai 2005. Le ministre a immédiatement
délivré un avis de conformité à Apotex lui
permettant de vendre sa version générique
d’alendronate au Canada.
Le juge Hughes a rendu sa décision après un
procès sur le fond au cours duquel les parties
ont soumis une entente se rapportant aux faits
et aux documents ayant trait aux questions
préliminaires à trancher. La cause a été jugée
uniquement sur l’entente se rapportant aux
faits et aux documents.
Bien que Merck & Co., Inc. ait été désignée
comme défenderesse dans cette affaire, une
ordonnance sur consentement a été rendue
peu avant le procès aux termes de laquelle
l’action contre cette entité a été abandonnée.
L’action ne visait donc que deux sociétés
canadiennes de Merck.
Les questions
Merck a soulevé les questions suivantes à
titre de décisions préliminaires :
a) Est-ce que la Cour fédérale a la
compétence nécessaire pour instruire
une action aux termes de l’article 8 du
Règlement?
b) Est-ce que l’article 8 du Règlement
invalide l’article 55.2(4) de la Loi sur
les brevets, L.R.C. 1985, c. P-4, dans
sa version modifiée; et
c) Est-ce que l’article 8 se situe en dehors
des pouvoirs du Parlement d’établir des
lois relativement aux brevets d’invention,
et est-ce que l’article 8 constitue une
intrusion illégitime dans la compétence
exclusive des provinces aux termes de
l’article 92(13) de la Loi constitutionnelle
de 1867, L.R.C. 1985, App. II, no 5?
Apotex a soulevé les questions suivantes à titre
de questions préliminaires :
a) Est-ce que Apotex est autorisée à choisir
entre les dommages qu’elle a subis, le cas
échéant, et les profits réalisés par Merck,
le cas échéant?
Page 18
CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
b) Quel est le délai au cours duquel Apotex
peut demander un recouvrement?
c) Est-ce que Apotex est autorisée à recouvrer
des dommages-intérêts qui se poursuivent
après l’expiration du délai?
La décision
Le juge Hughes a jugé que la Cour fédérale a
la compétence pour entendre une action aux
termes de l’article 8, que l’article 8 est valide
aux termes de l’article 55.2(4), et que l’article
8 respecte tous les critères exigés pour une
législation fédérale valide, le tout par rapport
aux dispositions spécifiques du Règlement, de
la Loi sur les brevets et de la Loi sur les Cours
fédérales. Selon le juge Hughes, le Règlement
est, de par son caractère véritable, un
règlement se rapportant aux brevets, et le
Règlement doit être lu dans son ensemble.
Il est à noter que le juge Hughes a rejeté
la prétention d’Apotex selon laquelle cette
dernière était autorisée à choisir entre les
dommages-intérêts d’Apotex ou les profits
de Merck pendant le délai pertinent. Apotex
soutenait qu’elle avait droit à un tel choix sur
le fondement, notamment, que le paragraphe
8(4) prévoit « réparation par recouvrement
de dommages-intérêts ou de profits ». En se
fondant sur le contexte de l’article dans son
ensemble, le juge Hughes a déterminé que
l’article prévoyait une ordonnance visant
à indemniser un fabricant de médicaments
génériques relativement à ses pertes.
Le juge Hughes a conclu qu’un fabricant de
médicaments génériques ne pouvait demander
des dommages-intérêts ou une restitution des
profits pour contrefaçon. S’il a été exclu
du marché pendant une certaine période, il
peut demander une compensation pour pertes.
Dans de telles circonstances, la compensation
prend la forme de « dommages-intérêts ou
de profits », et le juge Hughes a conclu que
l’interprétation raisonnable de ces termes à
l’article 8 est que le fabricant de médicaments
génériques peut demander, en tant que mesure
de ses dommages-intérêts, « les profits qu’il
aurait réalisé s’il avait été en mesure de
commercialiser son produit plus tôt ».
Par ailleurs, le juge Hughes a conclu que la
période au cours de laquelle Apotex devait être
indemnisée ne devait pas être réduite à cause
du retard d’Apotex de signifier son avis de
conformité, et a autorisé Apotex à demander
des dommages-intérêts pour les ventes perdues
et la perte permanente de parts du marché en
raison du retard dans le lancement, période
au cours de laquelle deux autres fabricants de
médicaments génériques se sont implantés sur
le marché « à condition que le marché ne se
soit pas redressé ou qu’Apotex n’ait pas pu
corriger ce désavantage lié au marché avant
le 26 mai 2005 ». Le juge Hughes a clairement
fait savoir que ces questions d’évaluation
quantitative devront être réglées au cours
du procès subséquent.
Les deux parties ont porté la décision en appel.
On s’attend à ce que cette question importante
connaisse de nombreux développements.
Page 19
CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
Communiquez avec :
Glynnis P. Burt à Toronto à
[email protected]
ou
Steven Mason à Toronto à
[email protected]
ou
William H. Richardson à Toronto à
[email protected]
ou
Andrew J. Reddon à Toronto à
[email protected]
Droit des assurances
La Cour suprême du Canada restreint
la portée de l’exclusion relative à
la conception défectueuse dans les
polices d’assurance tous risques et
des constructeurs
clause d’exclusion relative à la conception
défectueuse, l’assureur peut nier couverture
au motif que la perte faisant l’objet de la
réclamation est attribuable à une conception
défectueuse ou inadéquate.
Compagnie des chemins de fer nationaux du
Canada c. Royal et Sun Alliance du Canada,
Sociétés d'assurances, 2008 CSC 66 (CanLII)
Avant que la Cour suprême du Canada ne
rende sa décision dans l’affaire du CN, les
tribunaux canadiens n’ont pas été constants
dans leur interprétation de l’exclusion relative
à la « conception défectueuse ou inadéquate ».
Deux normes concurrentes ont été appliquées.
Dans le premier courant jurisprudentiel,
une conception était considérée comme
défectueuse si elle ne permettait pas d’utiliser
le bien pour l’usage auquel il était destiné.
Dans le deuxième courant jurisprudentiel,
une conception était considérée comme
défectueuse si elle ne prévoyait pas tous
les risques prévisibles et n’y résistait pas.
Une récente décision de la Cour suprême du
Canada a restreint la portée de l’exclusion
relative à la « conception défectueuse ou
inadéquate » comprise dans bon nombre de
polices d’assurance tous risques et des
constructeurs. Cette décision est pertinente
pour toutes les réclamations pour lesquelles
les assureurs ont nié couverture au motif que
la perte découle d’un défaut de conception.
Dans la décision relative au CN, la Cour suprême
du Canada a créé une nouvelle norme pour les
assureurs qui tentent d’invoquer cette exclusion.
La nouvelle norme est plus favorable aux assurés
que les deux autres normes ayant été appliquées
auparavant par les tribunaux canadiens.
Dans une police tous risques typique, tous les
risques de pertes ou de dommages matériels
directs aux biens assurés sont couverts, sauf
si la perte encourue est visée par l’une des
exclusions énumérées dans la police. L’une de
ces exclusions, connue sous le nom d’exclusion
relative à la conception défectueuse, exclut
toute couverture pour les « coûts engagés pour
remédier à une conception défectueuse ou
inadéquate ». Lorsqu’une police contient une
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CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
Dans l’affaire du CN, la Cour suprême du
Canada a rejeté ces deux normes les jugeant
trop vastes. Afin d’invoquer une exclusion
relative à une conception défectueuse,
un assureur doit maintenant établir que la
conception ne satisfaisait pas à une norme
« réaliste ». Une telle norme ne peut exiger
rien de plus que la preuve de la conformité de
la conception avec l’« état de la technique ».
L’expression « état de la technique » désigne
« l’état actuel de développement d’un
domaine pratique ou technique qui implique
souvent l’utilisation des techniques les plus
récentes pour un produit ou une activité ».
La conception n’a pas besoin d’être parfaite.
La Cour suprême du Canada a reconnu qu’il y a
inévitablement un écart entre l’état actuel de la
technique et l’omniscience. Le fait qu’un risque
imprévisible soit ultérieurement identifié grâce
à l’avantage du regard rétrospectif ne rend pas
une conception défectueuse ou inadéquate.
Cependant, une norme de l’industrie pourra
ne pas nécessairement respecter l’état de la
technique. La Cour suprême du Canada a cité à
titre d’exemple le cas des nombreuses maisons
en copropriété de Vancouver ayant subi des
infiltrations d’eau et a reconnu que la norme
de l’industrie peut être influencée par les
entrepreneurs et les concepteurs qui essaient de
prendre des raccourcis pour réduire les coûts.
Les faits de l’affaire du CN peuvent être résumés
de façon simple. Au début des années 1990, le CN
a établi une procédure pour la conception et la
construction du plus gros tunnelier sur mesure en
son genre au monde, en vue de la construction
d’un tunnel sous une rivière reliant l’Ontario au
Michigan. Les ingénieurs du CN avaient prévu
que le tunnelier en cause devait résister à une
pression de 6 000 tonnes métriques exercée par
le poids de la terre et de l’eau qui se trouvaient
au-dessus de celui-ci. L’appareil était conçu pour
supporter ces pressions conformément à l’« état
de la technique » au moment où il a été achevé.
Toutefois, des déblais ont atteint les chambres
internes et l’appareil a cédé. Le CN a perdu plus
de 20 millions de dollars en raison des frais de
réparation ou des retards du projet. Le CN a
présenté une réclamation en vertu de sa police
d’assurance tous risques, mais s’est vue opposée
un déni de couverture en raison de l’exclusion
relative à la conception défectueuse.
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CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
La Cour suprême du Canada a conclu que
les pertes subies par le CN n’avaient pas été
causées par une conception défectueuse ou
inadéquate. Le tunnelier avait été conçu selon
les caractéristiques de l’état de la technique
au moment où il a été achevé. Le défaut de
tenir compte d’un risque qui fut identifié
uniquement grâce à l’avantage du regard
rétrospectif ne rendait pas sa conception
défectueuse. Les dommages causés par le
défaut de conception étaient, par conséquent,
couverts par la police d’assurance.
La décision rendue dans l’affaire du CN touche
tous les assurés qui subissent une perte que
l’assureur attribue à un défaut de conception.
Dans de tels cas, l’assureur niera couverture
en invoquant la clause d’exclusion relative
à la conception défectueuse. Le droit stipule
maintenant clairement qu’une conception
ne sera pas considérée comme défectueuse
simplement parce qu’elle ne permet pas
d’utiliser le bien pour l’usage auquel il était
destiné ou parce qu’elle ne résiste pas à tous
les risques prévisibles. Une conception sera
considérée comme défectueuse uniquement
si elle ne respecte pas l’état de la technique
au moment où elle a été achevée.
Les assurés devraient savoir que bon nombre
de polices d’assurance tous risques contiennent
une exception à l’exclusion relative à la
conception défectueuse appelée l’exception
pour « dommages ou pertes financières en
résultant ». Aux termes de cette exception,
même si un assureur est en mesure d’établir
qu’une conception est défectueuse, il est
possible qu’il y ait une couverture pour les
pertes se rapportant aux biens assurés, pouvant
être considérées comme séparées et distinctes
de l’« objet » dont la conception était
défectueuse.
La portée de la protection offerte aux termes
de toute police d’assurance est établie en
fonction des clauses particulières comprises
dans le contrat que vous avez négocié avec
votre compagnie d’assurances. Les polices
ne comportent pas toutes les mêmes clauses.
Bien que les décisions des tribunaux, comme
celle dans l’affaire du CN, permettent de
mieux interpréter le libellé de polices
d’assurance similaires, la couverture aux
termes de chaque police devrait être examinée
au cas par cas. En outre, les assurés devraient
être conscients du fait que le libellé des
futures polices d’assurance pourrait être
rajusté en réaction aux décisions des
tribunaux, comme celle du CN, ou à tout
autre changement apporté aux lois.
Communiquez avec :
Aidan L. Cameron à Vancouver à
[email protected]
ou
Ariel DeJong à Vancouver à
[email protected]
ou
William G. Scott à Toronto à
[email protected]
ou
Christopher Hubbard à Toronto à
[email protected]
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CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
Locateur et locataire
Orbus Pharma Inc. v. Kung Man Lee
Properties Inc. — La résiliation du
bail commercial « de préférence »
au consentement à la cession : tout
est dans la rédaction du bail
Il arrive très souvent que les baux commerciaux
renferment des clauses apparemment
contradictoires à propos des droits et
obligations du locateur relativement à la
demande de cession de bail ou de sous-location
faite par le locataire. La clause de cession/
sous-location d’un bail oblige souvent le
locateur à ne pas refuser indûment son
consentement à une demande de cession de
bail ou de sous-location du locataire. Les baux
commerciaux renferment aussi souvent une
clause d’option qui offre au locateur l’option
de résilier le bail lorsque le locataire lui fait
une telle demande.
Il est généralement intéressant pour le locateur
de se prévaloir d’une telle clause d’option
lorsque les taux de location du marché sont
supérieurs à celui que paie le locataire aux
termes du bail. Dans de tels cas, le locateur
peut faire valoir la clause et résilier le bail
afin de négocier un nouveau bail directement
avec le nouveau sous-locataire ou cessionnaire
proposé (ou une autre partie), un bail
permettant au locateur de bénéficier de taux
plus élevés. Mais si le locateur agit de la sorte,
il donne l’impression de refuser indûment son
consentement à la demande de cession ou de
sous-location du locataire et semble ainsi
manquer à ses obligations prévues dans la
clause de cession/sous-location du bail.
Comment ces dispositions apparemment
conflictuelles du bail peuvent-elles être
réconciliées? C’est là la question sur laquelle
la Cour du banc de la Reine de l’Alberta
a dû se pencher dans sa récente décision
rendue dans l’affaire Orbus Pharma Inc. v.
Kung Man Lee Properties Inc., 2008 ABQB 754
(lien vers CanLII en anglais seulement).
Le bail en question renfermait une clause
de cession/sous-location stipulant que le
locateur ne pouvait pas refuser indûment son
consentement à une demande écrite de cession
ou de sous-location par le locataire. Le bail
renfermait aussi une autre clause d’option
stipulant que dans le cas où le locataire ferait
une telle demande, le locateur aurait l’option :
i) de consentir à la demande, ii) de ne pas y
consentir, ou iii) de choisir de résilier le bail
plutôt que d’accorder un tel consentement.
La clause d’option stipulait également que :
[traduction] « si le locateur n’exerce pas son
option de résilier le présent bail, alors la
clause 17.01 [la clause de cession/souslocation] continue de s’appliquer ».
Le locataire demandeur a demandé par écrit
au locateur défendeur de consentir à la cession
du bail. Le locataire voulait céder le bail dans
le cadre d’un contrat de vente intervenu entre
lui et le tiers cessionnaire proposé en vue de
l’acquisition et de la vente de l’entreprise du
locataire. Le locateur a choisi d’exercer son
option de résilier le bail plutôt que d’accorder
son consentement à la cession demandée. Le
locateur n’a donné au locataire aucun motif
d’opposer un tel refus (même s’il était notoire
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CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
que les taux de location du marché étaient
alors considérablement plus élevés que le taux
prévu dans le bail du locataire). Le locateur
a simplement remis au locataire une lettre lui
indiquant qu’il exerçait son option de résilier
le bail plutôt que d’accorder son consentement
conformément à la clause d’option. En
exerçant son option, le locateur a empêché
le locataire de procéder à la cession de son
bail conformément à son obligation prévue
dans le contrat de vente conclu avec le
tiers cessionnaire proposé et cela a eu pour
effet que le locataire a reçu un prix d’achat
inférieur. Le locataire a intenté contre le
locateur une poursuite dans laquelle il alléguait
que le locateur n’avait pas respecté son
obligation prévue à la clause de cession/souslocation du bail en refusant indûment son
consentement à la cession demandée.
En vertu du droit régissant le consentement à
la cession de baux commerciaux, un locateur
est généralement considéré comme agissant
déraisonnablement s’il refuse d’accorder son
consentement de manière à pouvoir bénéficier
de taux de location plus élevés. La défense
du locateur s’articulait donc autour de
l’interprétation du bail et de la question de
savoir si le bail offrait au locateur l’option
de résilier le bail plutôt que d’accorder son
consentement à la cession demandée.
Après avoir examiné en profondeur les
principes de l’interprétation des contrats, le
juge Brooker de la Cour du banc de la Reine
de l’Alberta a tranché en faveur du locateur,
en concluant que ce dernier disposait, aux
termes du bail, d’un droit contractuel selon
lequel il pouvait se prévaloir d’une option de
résiliation de préférence à un consentement à
la cession demandée. Sa décision s’est fondée
sur les mots « de préférence à » dans la clause
d’option, le juge concluant qu’une telle
formulation donnait au locateur [traduction]
« une solution de rechange indépendante
ne se limitant pas à donner ou à refuser
le consentement ». Le juge Brooker a fait
remarquer que cette conclusion était étayée
par la dernière phrase de la clause d’option,
laquelle précisait que c’est uniquement
dans le cas où l’option de résilier n’est pas
exercée que la clause de cession/sous-location
(et l’obligation du locateur de ne pas refuser
indûment son consentement) continue
de s’appliquer. Il a de plus indiqué que
l’interprétation du locateur était la seule qui
était conforme à la formulation claire du bail
et qui donnait un sens à l’ensemble du libellé
du bail (et était donc compatible avec les
principes d’interprétation des contrats).
Le juge Brooker a aussi rejeté un argument
du locataire selon lequel l’adoption de
l’interprétation du locateur se traduirait par
une issue commerciale absurde. Il a conclu
que l’inverse est vrai, indiquant que la clause
d’option constituait simplement [traduction]
« un élément de négociation astucieux de la
part du défendeur », donnant au locateur,
plutôt qu’au locataire, la possibilité de
bénéficier des variations touchant les taux
de location du marché.
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CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
Remarques de McCarthy Tétrault
Cette cause se révèle particulièrement
utile pour les locateurs et les personnes qui
rédigent des baux commerciaux, car elle
confirme et harmonise des clauses d’option
de résiliation dans le contexte d’une
clause de consentement apparemment
concurrente. Il ressort que si le bail,
et en particulier les clauses d’option de
résiliation, est bien rédigé, le locateur
peut disposer d’un bail qui lui donne la
possibilité de bénéficier des variations
des taux de location du marché tout en
continuant d’offrir au locataire l’assurance
qu’il peut se départir du bail s’il trouve
un locataire de remplacement convenable.
Les clauses d’option de résiliation peuvent
être valables mais, bien entendu, tout est
dans la façon de les rédiger.
Dean A. Hutchison, avocat du cabinet
McCarthy Tétrault a représenté Kung Man
Lee Properties Inc., le locateur défendeur
ayant eu gain de cause dans la poursuite
décrite ci-dessus.
Communiquez avec :
Dean A. Hutchison à Calgary à
[email protected]
Droit de
l’environnement
L’affaire Michael Branch v.
Her Majesty the Queen (Minister
of the Environment) : La Cour
supérieure de justice de l’Ontario
règle la question de la légalité
des ordonnances contraignant des
témoins à fournir des preuves dans
le cadre d’enquêtes du ministère
de l’Environnement
Le 7 janvier 2009, la Cour supérieure de
justice de l’Ontario (Cour divisionnaire) a
accueilli une demande de contrôle judiciaire
contestant le caractère licite d’une ordonnance
visant à obtenir des renseignements qui avait
été obtenue par un enquêteur du ministère
de l’Environnement aux termes de l’article
163.1(2) de la Loi sur la protection de
l’environnement (la « Loi »). L’enquêteur avait
obtenu l’ordonnance auprès d’un juge de paix
dans le but d’obliger le gérant d’une société
faisant l’objet d’une enquête à répondre à
des questions et à produire des documents.
La Cour supérieure de justice de l’Ontario a
annulé l’ordonnance en concluant que l’article
163.1(2) ne confère pas le pouvoir d’ordonner
à une personne de comparaître pour répondre
à des questions ou produire des documents.
L’article 163.1(2), ajouté à la Loi en 1998,
prévoit qu’un juge de paix « peut rendre
une ordonnance par écrit autorisant un
agent provincial… à utiliser un dispositif ou
une technique ou méthode d’enquête, ou
à accomplir tout acte qui y est mentionné,
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CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
s’il est convaincu, sur la foi des preuves
présentées sous serment, qu’il existe des
motifs raisonnables de croire qu’une infraction
à la présente loi a été ou sera commise et
que des renseignements relatifs à l’infraction
seront obtenus par l’utilisation du dispositif,
de la technique ou de la méthode ou par
l’accomplissement de l’acte ».
Par suite des commentaires formulés par le
juge en chef McMurtry de la Cour d’appel de
l’Ontario dans sa décision rendue en 2001
dans l’affaire R. v. Inco Ltd., 2001 CanLII 8548
(ON C.A.) (version anglaise seulement), le
ministère de l’Environnement a déterminé
que l’article 163.1(2) autorise l’émission
d’une ordonnance visant à obliger un employé
ou un autre témoin à répondre à des questions
ou à fournir des documents, et a obtenu
plusieurs ordonnances visant à obtenir des
renseignements à cette fin. Ces ordonnances
ont communément été appelées des
« ordonnances Inco ».
Dans l’affaire R. v. Inco Ltd., le juge en
chef McMurtry a indiqué, dans une remarque
incidente, qu’un agent qui a des motifs
raisonnables et probables de croire qu’une
infraction environnementale a eu lieu pourrait
demander l’autorisation judiciaire de procéder
à un interrogatoire aux termes de l’article
163.1(2) de la Loi. Toutefois, tel qu’il a été
noté par cette Cour, les commentaires du
juge en chef McMurtry dans l’affaire Inco ne
visaient pas à établir l’interprétation définitive
de l’article 163.1(2). Par conséquent, la Cour
a déclaré qu’elle n’était pas liée par les
déclarations formulées dans l’affaire Inco
concernant l’article 163.1(2) « en raison de
l’absence d’un examen minutieux des mots
de la disposition dans leur contexte ».
La Cour a donné raison au demandeur et a
conclu que le sens grammatical et ordinaire du
libellé de l’article 163.1(2) ne conférait pas à
un juge de paix le pouvoir de prononcer une
ordonnance visant à contraindre un témoin à
comparaître et à répondre à des questions ou
à produire des documents. Le juge Swinton a
invoqué le libellé de diverses autres lois de
l’Ontario lesquelles, contrairement à l’article
163.1(2) de la Loi, sont formulées de sorte à
prévoir spécifiquement et explicitement le
pouvoir de contraindre des personnes à
répondre à des questions, et il a indiqué que
la plupart de ces lois permettent aux témoins
de revendiquer un privilège de non-divulgation
et offrent une protection contre l’autoincrimination (contrairement aussi à l’article
163.1(2) de la Loi, qui ne prévoit aucune telle
protection). La Cour a conclu que l’absence
de cette formulation explicite dans l’article
163.1(2) et le contexte législatif se rapportant
à cet article suggèrent que l’assemblée
législative n’avait pas l’intention d’inclure les
pouvoirs de contrainte dans l’article 163.1(2).
La Cour a annulé l’ordonnance visant à obtenir
des renseignements.
Cette décision est importante puisqu’elle
clarifie le fait que les enquêteurs du ministère
de l’Environnement ne peuvent se servir de
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CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
l’article 163.1(2) pour contraindre des
témoins à répondre à des questions et à
fournir des documents.
Communiquez avec :
Douglas Hamilton à Toronto à
[email protected]
ou
Joanna Rosengarten à Toronto à
[email protected]
ou
Douglas R. Thomson à Toronto à
[email protected]
Valeurs mobilières
Changements défavorables
importants du marché
En raison de la crise du crédit, les prêteurs se
fient de plus en plus aux dispositions relatives
aux changements défavorables importants
du marché (CDI du marché) dans les lettres
d’engagement. De telles dispositions n’ont
pas encore été examinées par les tribunaux
canadiens, mais il est très probable qu’une
obligation de bonne foi s’applique. Néanmoins,
en négociant et en exerçant attentivement une
clause relative aux CDI du marché, les prêteurs
peuvent améliorer de façon importante son
opposabilité.
Une clause relative aux CDI du marché
(appelée également « clause de sauvegarde »)
dispense un prêteur de ses obligations aux
termes d’une lettre d’engagement dans le cas
d’un « changement défavorable important »
à l’égard du financement, des opérations
bancaires ou des marchés des capitaux.
Une telle clause vise à protéger les prêteurs
du risque qu’un prêt ne puisse pas être
consortialisé (du moins selon ses modalités
initiales) en raison de changements imprévus
au sein des marchés en général.
Habituellement, une clause de sauvegarde
prévoit expressément que le prêteur a le pouvoir
discrétionnaire d’établir si un « changement
défavorable important » a eu lieu. Diverses
expressions peuvent être utilisées pour décrire
le pouvoir discrétionnaire du prêteur, notamment
« opinion » ou « seul avis ».
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CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
Peu importe la façon dont son pouvoir
discrétionnaire est énoncé, le langage employé
pour décrire le pouvoir discrétionnaire du
prêteur sera interprété comme nécessitant
l’exercice de la bonne foi. La Cour d’appel de
l’Ontario a déclaré de façon constante que le
pouvoir discrétionnaire contractuel doit être
exercé honnêtement et de bonne foi. Selon
les modalités contractuelles et les faits,
l’exercice de la bonne foi peut être évalué
selon une combinaison de normes subjectives
et objectives.
En plus de la jurisprudence générale
concernant le pouvoir discrétionnaire
contractuel, un tribunal qui tranche une
affaire concernant une clause de sauvegarde
peut également tenir compte de la nouvelle
jurisprudence américaine. Les arrêts de
principe américains dans ce domaine
comportent des dispositions visant les
changements dans le cadre d’une fusion ou
d’une acquisition, il s’agit donc d’un contexte
différent. Néanmoins, un tribunal de l’Ontario
pourrait être influencé par les décisions
américaines concluant que les parties qui
désirent invoquer une disposition relative
aux « changements défavorables importants »
portent un très lourd fardeau.
Lorsque le prêteur négocie une clause de
sauvegarde, il devrait tenir compte des faits
suivants :
•
Un « changement défavorable important »
peut être défini objectivement de façon à
ce que l’emprunteur ne puisse nier la
survenance de celui-ci, et de façon à ce
que les difficultés liées à l’obligation de
bonne foi soient évitées.
•
Si le « changement défavorable important »
ne peut être défini de façon objective,
utilisez des expressions fortes pour décrire
le pouvoir discrétionnaire du prêteur,
comme « discrétion exclusive ».
•
Si les marchés ne sont pas favorables,
comme c’est le cas actuellement,
assurez-vous que la situation réponde à
la définition de « changement défavorable
important » de façon à ce que même une
légère détérioration soit suffisante.
•
Évitez les déclarations précontractuelles
selon lesquelles la clause de sauvegarde
n’est qu’un paragraphe passe-partout,
et intégrez une clause d’intégralité
du contrat, afin de réduire le risque
que l’emprunteur ne se fie qu’à ces
déclarations dans le cadre d’un litige.
Remarques de McCarthy Tétrault
Lorsque vous évaluez si vous devez exercer
une clause de sauvegarde, souvenez-vous
qu’une obligation de bonne foi s’appliquera
certainement; vous devriez entreprendre une
analyse rigoureuse et bien documentée. Les
prêteurs devraient pouvoir invoquer en toute
confiance le document en cour, si nécessaire.
Heureusement, le fait d’invoquer une clause
de sauvegarde donne souvent lieu à une
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CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
renégociation des modalités, plutôt qu’à un
litige. Il est toujours mieux d’espérer que
tout s’arrangera mais d’être prêt au pire.
Communiquez avec :
Andrew Matheson à Toronto à
[email protected]
ou
R. Paul Steep à Toronto à
[email protected]
Litiges fiscaux
L’affaire Chrysler Canada Inc. v.
Canada : Les contribuables sont
autorisés à demander un contrôle
judiciaire des décisions ministérielles
aux termes de la Convention fiscale
entre le Canada et les États-Unis
(1980)
La Cour fédérale a récemment rendu une
importante décision qui permettra aux
contribuables de demander des contrôles
judiciaires des décisions du ministre
du Revenu national visant à établir de
nouvelles cotisations aux termes à la fois de
la Convention fiscale entre le Canada et les
États-Unis (1980) et de la Loi de l’impôt sur le
revenu. Voir Chrysler Canada Inc. v. Canada,
2008 D.T.C. 6452 (Fed. Proth.), confirmée
dans 2008 D.T.C. 6654 (C.R.) (version anglaise
seulement).
Par le passé, certaines incertitudes entouraient
la compétence de la Cour fédérale d’entendre
les pourvois de contrôle judiciaire émanant des
décisions ministérielles, lesquelles entraînaient
l’établissement de nouvelles cotisations fiscales
aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu.
La Cour a souvent estimé que sa compétence
en matière de contrôle judiciaire aux termes
de l’article 18.5 de la Loi sur les Cours
fédérales ne s’appliquait pas à ces questions
puisque la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit
une procédure d’appel exhaustive devant
la Cour canadienne de l’impôt qui permet
aux contribuables de contester le bien-fondé
d’une cotisation.
Page 29
CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
Toutefois, dans l’arrêt Canada c. Addison &
Leyen Ltd., [2007] 2 R.C.S. 793, la Cour
suprême du Canada a confirmé que la Cour
fédérale peut contrôler par voie judiciaire
l’exercice du pouvoir discrétionnaire du
ministre même si le pouvoir discrétionnaire
se rapporte à l’établissement d’une cotisation
fiscale, à condition que la façon d’exercer le
pouvoir discrétionnaire ne soit pas autrement
susceptible d’appel. En fait, la décision de la
Cour suggère qu’il est possible de recourir au
contrôle judiciaire relativement aux allégations
selon lesquelles le ministre a abusé du pouvoir
discrétionnaire conféré par la loi puisque
cette inconduite ne peut faire l’objet d’un
appel devant la Cour canadienne de l’impôt
(dont la compétence d’appel est limitée au
bien-fondé d’une cotisation). Un certain degré
d’incertitude persiste au sujet de l’étendue
exacte de la compétence de la Cour fédérale
en matière de contrôle judiciaire après l’arrêt
Addison. Toutefois, la question a récemment
été clarifiée dans l’affaire Chrysler.
Dans l’affaire Chrysler, le contribuable a
demandé un contrôle judiciaire de la décision
du ministre visant à établir de nouvelles
cotisations pour augmenter l’impôt sur le
revenu de la société pour plusieurs années
d’imposition au moyen de redressements de
prix d’opérations entre le contribuable et sa
société mère américaine (redressements de
prix). Il a été allégué dans la demande que
les nouvelles cotisations constituaient un
abus du pouvoir discrétionnaire du ministre
aux termes du paragraphe 4 de l’article IX
de la Convention fiscale entre le Canada
et les États-Unis (1980). Le contribuable
demandait, entre autres mesures de
réparation, une déclaration selon laquelle
les nouvelles cotisations étaient invalides.
Aux termes du paragraphe 4 de l’article IX,
l’Agence du revenu du Canada (ARC) a le
pouvoir discrétionnaire d’accorder au
contribuable une exonération unilatérale de
la double imposition si elle n’a pas avisé le
contribuable des redressements de prix dans
les six ans à compter de la fin de l’année
d’imposition touchée. L’ARC a par le passé
exercé son pouvoir discrétionnaire de façon
préventive au moyen de l’application d’une
« politique en matière d’avis en temps
opportun » aux termes de laquelle elle
n’établira pas de nouvelles cotisations à l’égard
d’un redressement de prix si le contribuable
n’a pas reçu un avis adéquat du redressement
de prix proposé dans la période de six ans.
Dans l’affaire Chrysler, l’ARC n’a pas suivi la
politique en matière d’avis en temps opportun.
Par conséquent, le contribuable a soutenu que
la décision de l’ARC d’établir les nouvelles
cotisations constituait un abus de son pouvoir
discrétionnaire aux termes du paragraphe 4 de
l’article IX.
La Couronne a présenté une requête pour
obtenir le rejet de la demande au motif que
la demande ne relevait pas de la compétence
de la Cour fédérale. Toutefois, la requête
présentée par la Couronne a été rejetée.
Le protonotaire, en se fondant sur le
raisonnement énoncé dans l’arrêt Addison,
a conclu que la décision du ministre d’établir
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CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
les nouvelles cotisations constituait
éventuellement un exercice inapproprié,
injuste et discriminatoire de son pouvoir
discrétionnaire aux termes de la Convention
fiscale entre le Canada et les États-Unis
(1980). Puisque cette décision discrétionnaire
ne pouvait pas faire l’objet d’un appel
devant la Cour de l’impôt, le protonotaire a
conclu qu’elle devait pouvoir faire l’objet d’un
contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. La
Cour fédérale a rejeté un appel de la décision
du protonotaire. La demande fait actuellement
l’objet d’un contrôle judiciaire.
Remarques de McCarthy Tétrault
Cette décision clarifie la portée de la
décision rendue dans l’arrêt Addison, selon
laquelle les décisions discrétionnaires du
ministre peuvent faire l’objet de contrôles
judiciaires devant la Cour fédérale, même si
elles entraînent l’établissement de nouvelles
cotisations aux termes de l’article 152(4) de
la Loi de l’impôt sur le revenu, dont le bienfondé peut faire l’objet d’un appel devant
la Cour canadienne de l’impôt. Le fait
que le contribuable dans l’affaire Chrysler
a demandé une déclaration de l’invalidité
de la nouvelle cotisation n’a pas eu d’effet
déterminant quant à la compétence de la
Cour fédérale en matière de contrôle
judiciaire.
Thomas B. Akin, Douglas A. Cannon, Jeffrey
E. Feiner et Brandon Kain de McCarthy
Tétrault ont agi à titre de conseillers
juridiques de Chrysler dans le cadre de la
procédure devant la Cour fédérale.
Communiquez avec :
Thomas B. Akin à Toronto à
[email protected]
ou
Douglas A. Cannon à Toronto à
[email protected]
ou
Jeffrey E. Feiner à Toronto à
[email protected]
ou
Brandon Kain à Toronto à
[email protected]
Délits civils
Les médecins ont-ils une obligation
de diligence envers les enfants à
naître de leurs patientes?
Les médecins ont-ils une obligation de diligence
envers les enfants à naître de leurs patientes
et si oui, quand? Dans l’arrêt Paxton v. Ramji
(2008), 92 O.R. (3d), 401 (version anglaise
seulement), la Cour d’appel de l’Ontario a
conclu que les médecins n’avaient jamais une
telle obligation envers les futurs enfants de
leurs patientes, étant donné que l’imposition
d’une telle obligation pourrait donner lieu à
des conflits insolubles entre la mère et son futur
enfant et empiète sur l’autonomie de la femme.
Les demandeurs ont présenté une demande de
pourvoi à la Cour suprême du Canada.
Les demandeurs ont fait valoir que le
docteur Ramji avait agi de façon négligente
en prescrivant de l’Accutane, un médicament
contre l’acné ayant des effets tératogéniques,
à Dawn Paxton. L’Accutane a causé de graves
anomalies à son futur enfant, Jaime Paxton.
Jaime n’était pas conçu lorsque l’Accutane a
été prescrit à sa mère. Le juge de première
instance a conclu que le docteur Ramji avait
une obligation de diligence envers Jaime, aux
termes de laquelle il était tenu de s’assurer
que Dawn Paxton ne tomberait pas enceinte
pendant qu’elle prenait l’Accutane. Le juge
de première instance a conclu que le docteur
Ramji s’était acquitté de cette obligation,
étant donné qu’il était au courant que l’époux
de Dawn Paxton avait subi une vasectomie
presque cinq ans plus tôt.
Page 31
CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
Les demandeurs ont fait appel de la décision
du juge de première instance selon laquelle le
docteur Ramji s’était acquitté de son obligation
envers Jaime. Le docteur Ramji a porté en
appel la conclusion selon laquelle il avait une
obligation de diligence envers Jaime Paxton.
La cour a conclu à l’unanimité que [traduction]
« tant que l’enfant n’est pas né vivant, le
médecin doit agir dans l’intérêt véritable
de la mère [la patiente]. »
La cour a conclu que les médecins n’ont
jamais d’obligation de diligence envers les
enfants futurs, qu’ils soient conçus ou non,
de leurs patientes. Le médecin aurait souvent
à choisir entre l’intérêt de la mère et de celui
de l’enfant à naître, ce qui pourrait faire
en sorte que les médecins fassent passer les
besoins de l’enfant avant ceux de la patiente.
De plus, la cour a conclu qu’en droit, les
femmes n’ont pas d’obligation envers leur
futur enfant. Par exemple, une femme peut
abuser de substances toxiques lorsqu’elle est
enceinte de sept mois. Si son enfant naît avec
des déficiences congénitales en raison de l’abus
de ces substances, l’enfant ne peut poursuivre
sa mère. L’imposition d’une obligation aux
médecins envers un enfant futur restreint
la capacité de la mère de faire librement
des choix concernant son corps en ce qui
concerne l’enfant futur.
Remarques de McCarthy Tétrault
La décision dans l’arrêt Ramji pourrait
avoir une incidence profonde sur les
professions médicales et juridiques.
Page 32
CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
Si un médecin a une obligation envers la
mère seulement jusqu’à ce que l’enfant
soit né vivant, seuls les parents pourront
être indemnisés pour la conduite qui a
causé un préjudice à leur enfant avant sa
naissance. Les cas-problèmes sont ceux où un
enfant futur est blessé pendant la naissance,
en raison de l’utilisation agressive des
forceps par exemple. Dans un tel cas, la
magistrature sera probablement réticente
à refuser une compensation à l’enfant.
Actuellement, les enfants qui subissent un
préjudice avant leur naissance peuvent être
dédommagés des dépenses en soins futures
et de la perte de revenu pendant la durée
de leur espérance de vie. En général, les
parents peuvent être dédommagés des coûts
de soins futurs jusqu’à l’âge de la majorité
de l’enfant. Évidemment, les médecins et les
avocats continueront de suivre attentivement
l’arrêt Ramji.
Les associés de McCarthy Tétrault Darryl
Cruz et Sarit Batner ainsi que la sociétaire
Cecilia Hoover représentent les défendeurs
dans cette affaire.
Communiquez avec :
Darryl A. Cruz à Toronto à
[email protected]
ou
Sarit E. Batner à Toronto à
[email protected]
ou
Cecilia Hoover à Toronto à
[email protected]
Observations de
Me Farley
Leçons récentes : Concurrence
loyale d’anciens employés
Les deux décisions récentes H.L. Staebler
Co Ltd. v. Allan, 2008 ONCA 576 (version
anglaise seulement) et RBC Dominion valeurs
mobilières Inc. c. Merrill Lynch Canada Inc.,
2008 CSC 54, comprennent des renseignements
utiles quant aux comportements dont on peut
raisonnablement s’attendre d’anciens employés
et quant aux restrictions acceptables à leurs
activités concurrentielles.
Dans l’affaire Staebler, deux vendeurs
d’assurances commerciales sont passés à une
société de courtage d’assurances malgré une
clause de non-concurrence dans leur contrat
d’emploi. Le courtier demandeur abandonné
a été débouté. L’arrêt Dominion valeurs
mobilières ne comportait pas une telle
restriction, mais des dommages-intérêts
significatifs ont été accordés à Dominion
valeurs mobilières (DVM). Les faits et les
principes appliqués sont des éléments
importants de l’apparente incohérence entre
les deux décisions. Dans Staebler, la juge
Gillese de la Cour d’appel de l’Ontario a
souligné — s’appuyant sur l’arrêt Elsley c. J.G.
Collins Ins. Agencies, [1976] 2 R.C.S. 916 —
qu’une clause restrictive ne peut être
exécutoire « que si elle est raisonnable
vis-à-vis des parties et de l’intérêt public ».
Dans l’arrêt Elsley, la Cour suprême du Canada
a indiqué que « [d]ans l’intérêt public, il est
Page 33
CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
important de décourager les restrictions à
la liberté du commerce et de maintenir une
concurrence exempte des entraves que
constituent les clauses restrictives ». L’arrêt
Elsley n’était pas qu’une simple affaire en
matière de droit du travail. Dans l’espèce,
l’employé qui avait signé l’entente de
non-concurrence était également l’ancien
propriétaire et tête dirigeante de la société
de courtage; il représentait essentiellement
« l’entreprise ». Bien que les tribunaux aient
désapprouvé les restrictions aux droits des
employés n’ayant pas de responsabilité
extraordinaire de livrer concurrence après
avoir quitté leur emploi, ils ont certainement
été plus tolérants à l’égard de clauses de nonconcurrence visant un droit de propriété qui
a été échangé moyennant contrepartie.
Dans l’affaire Staebler, il s’agissait d’une
restriction selon laquelle, pendant une période
de deux ans après la cessation d’emploi, les
anciens employés devaient [traduction]
« s’abstenir de se livrer à quelque activité
commerciale avec des clients [du demandeur]
dont ils s’occupaient à la date de la cessation
d’emploi ». Les employés démissionnaires
n’ont pas perdu de temps : dans les deux
semaines qui ont précédé la délivrance d’une
injonction contre la sollicitation au demandeur,
118 clients avaient changé de société de
courtage. Bon nombre d’entre eux avaient
été « donnés » aux employés démissionnaires
lorsqu’ils ont commencé à travailler pour le
demandeur. Fait intéressant, ils ont chacun
Une clause de non-concurrence empêche
l’employé démissionnaire de se livrer
à des activités commerciales avec
d’anciens clients, tandis qu’une clause
de non-sollicitation interdit simplement
à l’employé démissionnaire de solliciter
leur clientèle.
signé des ententes renfermant une clause de
non-concurrence et de non-sollicitation
avec leur nouvel employeur. La société de
courtage du demandeur avait une clause
moins restrictive pour ses autres représentants
commerciaux. La Cour d’appel a statué que la
clause restrictive large était déraisonnable et
par conséquent inexécutoire.
•
La juge Gillese a souligné l’importance de
l’arrêt Elsley en tant que cadre pour établir si
une clause restrictive particulière est ou non
« déraisonnable ». On doit d’abord procéder
à « une évaluation générale de cette clause,
du contrat où elle est insérée et de toutes
les circonstances qui l’entourent ». Ensuite,
on doit prendre en considération un certain
nombre de facteurs et de principes. Dans
l’espèce, les facteurs étaient :
•
L’employeur avait-il un droit de propriété
qu’il pouvait protéger?
•
Est-ce que les stipulations temporelles
et territoriales sont trop larges?
•
Est-ce que la clause n’est pas exécutoire
parce qu’elle vise la concurrence d’une
façon générale et ne se limite pas à
interdire la sollicitation des clients de
l’ancien employeur?
La juge Gillese a évoqué deux autres principes
applicables en la matière :
•
Le premier de ces principes a trait
à la nature de la clause restrictive.
Une clause restrictive peut restreindre
soit la concurrence, soit la sollicitation.
Page 34
CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
L’autre principe juridique digne de mention
est le suivant : le fait qu’une clause aurait
pu être exécutoire si elle avait été rédigée
en termes plus étroits ne la sauvera pas. La
question n’est pas de savoir si un contrat
valide aurait pu être conclu, mais si le
contrat effectivement conclu était valide.
La juge Gillese a fait remarquer que,
contrairement à l’arrêt Elsley, il y avait un
déséquilibre du pouvoir de négociation lorsque
le demandeur obligeait les représentants à
signer la clause de non-concurrence.
Elle a souligné la remarque du juge McPherson
dans l’affaire Lyons v. Multari (2000), 50 O.R.
(3d) 526 (C.A.) : [traduction] « En général,
les tribunaux ne feront pas droit à une
clause de non-concurrence si une clause de
non-sollicitation protège adéquatement les
intérêts d’un employeur ».
Elle a également examiné s’il existait des
[traduction] « circonstances exceptionnelles »
justifiant une conclusion différente de celle
de l’affaire Lyons.
Elle a examiné si les anciens employés
avaient des compétences ou des connaissances
particulières pouvant justifier une clause
de non-concurrence et a conclu qu’ils ne
possédaient pas de telles compétences ou
connaissances et n’étaient que des employés
sans responsabilité extraordinaire. Le fait que
les autres employés du demandeur n’étaient
empêchés de faire des affaires avec des
clients à la cessation de leur emploi que
s’ils demeuraient dans un rayon de 50 km
de Waterloo a influencé la juge Gillese.
(La question de savoir si, en cette ère
électronique, une activité de cette nature
pouvait être exercée à distance n’a pas été
abordée.) Elle a incidemment fait remarquer
que le nouvel employeur avait une clause
combinée de non-concurrence/nonsollicitation, dont le volet non-concurrence
pouvait en être dissocié, ne laissant qu’une
clause de non-sollicitation. Il est d’autant plus
important de bien rédiger la clause de nonconcurrence que « l’activité », si elle n’y est
pas définie, sera interprétée défavorablement
comme une interdiction de livrer concurrence
dans un secteur d’activité auquel les anciens
employés n’ont jamais été associés lorsqu’ils
étaient au service du demandeur. À titre
d’exemple, il leur serait par ailleurs interdit de
vendre du café à un client pour sa cantine. Le
fait qu’un document commercial négligemment
rédigé n’a pas été interprété en contexte
illustre l’hostilité sentie envers les clauses
de non-concurrence. Le don de clients
ne constitue pas non plus, selon elle, des
« circonstances exceptionnelles » justifiant la
clause de non-concurrence (avec, semble-t-il,
pour résultat que les représentants et leur
nouvel employeur ont bénéficié gratuitement
de l’actif du demandeur). Pour ces motifs,
le demandeur a perdu en appel son jugement
de première instance de 2 millions de dollars.
Page 35
CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
Dans l’autre affaire, la Cour suprême du
Canada, dans un jugement majoritaire de
six contre un, a restitué à DVM ses 2 millions
de dollars (y compris 250 000 $ de dommagesintérêts exemplaires). Dans cette affaire, une
douzaine de représentants d’une firme de
courtage en valeurs mobilières de Cranbrook
(Colombie-Britannique), dont le directeur de
succursale, ont « traversé la rue », laissant
littéralement derrière eux un bureau vide
près de l’effondrement.
Il n’existait aucune condition d’emploi ni,
notamment, aucune clause restrictive écrite
en cas de cessation d’emploi. DVM aurait
semble-t-il éprouvé de la difficulté à recruter
si elle avait insisté sur des clauses restrictives
et avait privilégié « l’embauche d’employés
[d’autres firmes concurrentes] ». Le juge de
première instance a conclu que le niveau
décisionnel du directeur de succursale ne lui
conférait pas le statut d’employé ayant une
obligation fiduciaire, mais a établi que ce
dernier avait l’obligation implicite de retenir
les employés qu’il supervisait. Il a toutefois
été souligné au procès qu’il était un ami intime
et de longue date du directeur de Merrill Lynch
qui l’a incité à manquer à son obligation
implicite de ne pas se livrer à une concurrence
déloyale. Au lieu de préserver l’intégrité
des effectifs, le directeur de succursale a
organisé le transfert auprès de Merrill Lynch
et a subrepticement coordonné la reproduction
de dossiers confidentiels qui ont été envoyés,
après les heures de bureau, à Merrill Lynch
avant le transfert.
La juge en chef McLachlin pour la majorité
a tenu les propos suivants :
On n’interdit généralement pas à l’employé
démissionnaire de faire concurrence à son
ancien employeur pendant la période de
préavis et l’employeur ne peut réclamer
des dommages-intérêts qu’en raison du
défaut de l’employé de donner un avis
raisonnable... [sous réserve de cette
affirmation générale] que l’ex-employé
peut être tenu responsable de certaines
fautes, comme l’utilisation irrégulière
de renseignements confidentiels pendant
la période de préavis... [e]n l’espèce, on
a conclu que les obligations auxquelles
étaient assujettis tous les employés
défendeurs étaient les obligations
implicites de chacun d’exécuter de bonne
foi ses fonctions et de donner un préavis
raisonnable de la cessation d’emploi.
La juge Abella, dissidente, a tenu
les propos suivants que les procureurs
s’empresseront sans doute de citer dans de
prochaines causes dans le but de tenter de
minimiser la responsabilité des employés
démissionnaires :
Élargir ainsi la portée de l’obligation
d’agir de bonne foi peut faire peser sur
les employés une responsabilité nouvelle
et potentiellement énorme. J’estime que
cette évolution présente non seulement
une incertitude malvenue et crée un effet
punitif, elle risque également d’élargir
ce que cette Cour a longtemps reconnu
comme une inégalité de pouvoir dans
les relations employeur-employé en
Page 36
CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
consolidant davantage la vulnérabilité
inhérente des employés.
Elle convient toutefois que, conformément
à l’arrêt Elsley, les parties à des contrats
d’emploi peuvent négocier une clause
restrictive raisonnable.
Les employés démissionnaires avaient envoyé
un avis à leurs clients pour leur annoncer « une
nouvelle occasion d’affaire extraordinaire ».
Le juge de première instance a souligné que
cette occasion ne pouvait s’adresser qu’aux
transfuges et non aux clients, mais a refusé,
à terme, d’établir si l’avis constituait une
sollicitation.
Nous pouvons tirer certaines leçons de ces
deux affaires, notamment se rappeler qu’il
est difficile de faire exécuter des clauses de
non-concurrence, mais que les tribunaux
adoptent une attitude plus conciliante à
l’égard des clauses de non-sollicitation. Des
« circonstances exceptionnelles » doivent les
justifier et l’employé doit reconnaître au
moment de la signature de la clause que, eu
égard à ces circonstances, la violation de la
clause causera un grave préjudice exigeant
réparation entière et immédiate (y compris
une possible restitution) pour rendre justice
à l’employeur. Les clauses ne doivent pas
être trop larges, mais raisonnables dans les
circonstances. Il semblerait approprié de
convenir qu’un contact de quelque nature de la
part d’un employé démissionnaire pendant une
certaine période constitue une sollicitation, à
l’exception d’une annonce générale dans les
médias, qui ne cible pas les clients de l’ancien
employeur. En ce qui a trait aux clients qui ont
été « donnés » à l’employé démissionnaire, il
serait approprié d’établir à l’avance la manière
dont l’employeur pourrait être indemnisé en
cas de défection à court terme. Il n’y a pas de
solution miracle : certaines relations de travail
peuvent exiger une clause différente, mais
cette différence devrait être justifiée par
écrit au moment de la signature de la clause.
Une rédaction imprécise a coûté 2 millions
de dollars à l’ancien employeur dans l’arrêt
Staebler; les pratiques commerciales
déplorables des défendeurs ont valu à DVM
une indemnisation de 2 millions de dollars.
Il convient donc d’établir avec soin les
paramètres des relations avec les employés,
faute de quoi, l’employeur pourrait assister
à une triste adaptation de « sitôt arrivé,
sitôt parti ».
Communiquez avec :
L’honorable James M. Farley, c.r.,
à Toronto à [email protected]
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Page 37
CoConseil : litige, volume 2, numéro 3
CoConseil McCarthy Tétrault :
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droit des affaires
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