C-109-CROCE-SPINELLI H
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Communication C-109 au 21e colloque de l'ADMEE-Europe, p. 1 Communication C-043 au 21e colloque de l’Admee-Europe « Evaluation et développement professionnel » Louvain-la-Neuve, Université catholique de Louvain, 21-23 janvier 2009 (Le contenu de ce texte est publié sous la seule responsabilité de l’auteur) UN PROCESSUS DE RECONNAISSANCE PROFESSIONNELLE PROVOQUE PAR UN DISPOSITIF DE RECHERCHE OU LE CAS D’UN PROCESSUS EVALUATIF GENERATEUR DE DEVELOPPEMENT PROFESSIONNEL Crocé-Spinelli, Hélène, IUFM de Basse Normandie-CERSE RESUME : Cette recherche s’intéresse aux modalités d’autoévaluation génératrice de développement professionnel. Elle rend compte de la participation à une recherche de deux professeures des écoles de cycle 3. Nous cherchons à comprendre le rôle joué par leur participation à un dispositif de recherche dans leur développement professionnel. Nous formulons l’hypothèse que la participation à un tel dispositif peut, dans certaines conditions, déclencher un processus évaluatif qui n’est autre qu’un processus de reconnaissance professionnelle et générer un développement professionnel. Nous mettons la focale sur l’étude du processus de reconnaissance professionnelle fondé théoriquement dans le sillage de Jorro (2009) sur les travaux de Honneth (2000) et de Ricoeur (2003) afin de mettre au jour les facteurs de la participation au dispositif de recherche qui ont permis aux professeures de se reconnaître comme professionnelles et développer des transformations identitaires dans le contexte professionnel. TEXTE : Cette recherche s’intéresse aux modalités d’autoévaluation génératrices de développement professionnel. Elle rend compte de la participation à une recherche collaborative longitudinale sur l’agir professionnel de deux professeures de cycle 3. Nous cherchons à comprendre le rôle joué par la participation à un dispositif de recherche de ces deux professeures dans leur « développement professionnel » (au sens de Barbier, Chaix & Demailly, 1994). En termes d’hypothèses, nous formulons que la participation à un tel dispositif peut, dans certaines conditions, déclencher un processus évaluatif qui n’est autre qu’un processus de reconnaissance professionnelle et générer un développement professionnel. Nous mettons la focale sur l’étude du processus de reconnaissance professionnelle de soi par soi dans son lien avec la reconnaissance professionnelle par autrui afin de mettre au jour les facteurs de la participation à l’ensemble du dispositif de recherche qui ont permis aux professeures de se reconnaître comme professionnelles, et développer de nouvelles compétences professionnelles ainsi que des transformations identitaires dans le contexte professionnel. À la suite de Jorro (2009), nous fondons cette étude du processus de reconnaissance professionnelle, sur les théorisations de la reconnaissance dans les champs de la sociologie et de la phénoménologie de Honneth (2000) et de Ricoeur (2003). Et aussi en Communication C-109 au 21e colloque de l'ADMEE-Europe, p. 2 nous référant aux travaux de Jorro (2009) nous pensons le processus de reconnaissance comme processus évaluatif. 1. Préalables méthodologiques Dans cette partie, nous présenterons le recueil de données, les acteurs de la recherche, le dispositif de recherche, la posture du chercheur. 1.1 Le recueil des données Notre recueil est volontairement pluriel puisque nous cherchons à identifier des traces du développement professionnel des enseignantes et du processus de reconnaissance ainsi que les facteurs de ce processus de reconnaissance dans le processus de la recherche. Ce protocole comprend un double niveau : - un premier recueil se rapporte à la recherche à laquelle ont participé les professeures dont nous ne retenons qu’une partie des données : les transcriptions des cinq séries d’entretiens conduits avec les professeures à l’issue des séances en classe - les entretiens comme les séances ont fait l’objet d’enregistrement vidéo. Le protocole des entretiens d’autoconfrontation prend appui sur les travaux de Clot (2001) pour pouvoir prendre en compte les significations attribuées par les acteurs à leurs actions ; - un second recueil est spécifiquement constitué pour la présente recherche. Il se compose des certifications obtenues pour les deux enseignantes à l’issue de la recherche à laquelle les professeures ont collaboré. Il comprend également la transcription de l’entretien conduit par le chercheur avec les deux professeures, une année après le terme de la première recherche pour recueillir le point de vue des acteurs sur les facteurs du dispositif de recherche qui ont pu favoriser le développement d’un processus de reconnaissance professionnelle et le croiser avec celui du chercheur. 1.2 Deux acteurs : deux évolutions parallèles Caractérisons les deux professeures qui participent à cette recherche. Nous les nommons respectivement P1 et P2. P1 enseigne au moment de la recherche à mi-temps dans un cycle 3 et P2, dans une classe unique, elles sont toutes deux engagées dans la recherche portant sur les gestes de l’enseignant avec leur groupe d’élève de cycle 3. Toutes deux ne débutent pas dans le métier ; on peut les qualifier d’expérimentées. P1, âgée de 40 ans a 15 ans d’ancienneté. P2 âgée de 32 ans a une ancienneté de 7 ans. Après avoir été nommées sur des postes fractionnés sur différents niveaux, P1 enseigne, au moment de la recherche, depuis deux ans, dans un CM2 d’une grosse école du moyen Var alors que P2 en est à sa troisième année de classe unique d’une école d’un village du haut Var. Ces deux professeures présentent une évolution parallèle : elles se sont lancées après la recherche dans des activités certifiantes (oral de directeur d’école, concours interne PE, inscription au CAFIPEMF) dont on peut imaginer le rapport avec leur engagement dans la recherche. Cependant, c’est moins la réussite à ces certifications que le fait que ces deux professeures se soient senties capables de s’y présenter qui nous intéresse dans cette recherche car participant d’un mouvement de reconnaissance professionnelle où les professeures ont leur part. Communication C-109 au 21e colloque de l'ADMEE-Europe, p. 3 Etudier les facteurs d’un dispositif de recherche nécessite au préalable de le présenter. Cette recherche comprend comme nous l’avons précisé ci-dessus un dispositif à deux niveaux. C’est le dispositif de la recherche initiale à laquelle ont collaboré les professeures que nous développons ci-dessous. 1.3 Un dispositif de recherche favorable au développement du processus de reconnaissance professionnelle La recherche à laquelle ont participé de façon volontaire ces deux professeures avait pour but d’étudier les gestes professionnels qui favorisent les processus interprétatifs des élèves dans un débat littéraire au cycle 3 de l’école élémentaire. Le dispositif comprenait cinq débats littéraires filmés conduits de façon hebdomadaire par les professeures sur cinq passages d’un texte de littérature de jeunesse. Chacun des débats était suivi de deux entretiens entre le chercheur et le professeur : un premier entretien avait pour visée de recueillir les impressions « à chaud » du professeur sur le vécu de sa séance, pour le second, il s’agissait alors d’un entretien d’« autoconfrontation » pour recueillir les propos du professeur confronté à l’enregistrement vidéo de sa séance. Ce protocole a duré cinq semaines. Nous allons détailler ci-dessous la situation didactique, la méthodologie de recueil de données et les deux formes d’entretiens, en justifiant ces choix méthodologiques. 1.3.1 La situation didactique, ses principes La situation didactique de conduite de débat littéraire telle qu’elle est réfléchie dans cette recherche est une situation innovante pour les professeurs et nouvellement proposée par les programmes de l’école élémentaire de 2002 ; elle se démarque d’une conception traditionnelle de l’enseignement de la littérature. Le dispositif des débats se fonde sur les travaux de Terwagne et Vanhulle (2001). Cette situation nécessite, chez le professeur, des gestes professionnels inédits, afin d’accompagner dans l’interaction les processus interprétatifs des lecteurs. 1.3.2 Les enregistrements vidéos des débats Les objets de recherche que sont les gestes langagiers verbaux et non verbaux du professeur nécessitent que chaque séance soit filmée afin de percevoir ce que l’observation de visu empêche de saisir finement. 1.3.3 Les entretiens Deux types d’entretiens sont conduits à l’issue des séances : des « entretiens à chaud, d’évocation » et des « entretiens d’autoconfrontation » pour recueillir le point de vue de l’acteur sur la situation vécue. Ces deux entretiens font également l’objet d’enregistrement vidéo et de transcriptions. Les entretiens d’évocation L’entretien d’évocation conduit, auprès des professeurs, à l’issue de chacune des séances, a pour but de recueillir un retour réflexif du sujet sur la situation vécue. L’entretien débute par une question ouverte qui stimule ce retour réflexif chez le professeur : / alors comment as-tu vécu cette séance ? /. Le chercheur se laisse guider par la recherche de compréhension de ses dires au cours de l’entretien et peut demander des éclaircissements. Communication C-109 au 21e colloque de l'ADMEE-Europe, p. 4 Les entretiens d’autoconfrontation Le visionnage de la séance filmée va permettre au praticien un retour sur les traces de son activité à partir d’une nouvelle médiation entre le professeur et son expérience vécue. Il est question de lui faire verbaliser sa pratique à partir de son observation. Les travaux de Linard et Prax (Linard & Prax, 1984) ont mis au jour les dangers que la confrontation à la vidéo peut engendrer quant au rapport à l’image de soi et les précautions méthodologiques à prendre. Ainsi, un climat de confiance est recherché. De plus, les professeurs conservent, pour chacune des séances, la liberté d’y participer mais aussi celle de l’interrompre. Cette double possibilité d’intervention sur la progression dans le visionnage par le chercheur et le professeur est également régie la visée de cette forme d’entretien : la mise au jour de la valeur que l’acteur accorde à ses faits et gestes. Lors des entretiens on laisse s’exprimer l’acteur sur sa propre activité. Dans un second temps, le chercheur peut collaborer à la recherche de significations en soumettant ses commentaires du film au professeur. 2. Analyse du rôle du dispositif de recherche dans le processus de reconnaissance professionnelle Nous commencerons cette partie par l’analyse du point de vue des acteurs sur les liens qu’entretiennent leur participation à la recherche et le développement de leur processus de reconnaissance professionnelle et nous la poursuivrons par celle des facteurs du dispositif de recherche ayant favorisé le développement du processus de reconnaissance professionnelle. 2.1 Une confirmation du lien entre la participation à la recherche et le développement d’un processus de reconnaissance professionnelle Rappelons que P1 et P2 se sont engagées, dès la fin de la recherche, dans des certifications, avec pour l’une, la préparation du concours interne de professeure des écoles et l’inscription au CAFIPEMF et, pour l’autre, la présentation à l’oral de directeur d’école. Que disent les acteurs sur les liens entre leur participation à la recherche et leur engagement dans la présentation de certifications ? P1 : / aujourd’hui j’ai plus confiance en moi / je crois que mon évolution vient de plusieurs facteurs / peut-être le niveau / je suis plus à l’aise avec des CM / et le travail effectué pendant la recherche m’a donné confiance en moi / m’a amenée à me positionner différemment / avant je ne me serai jamais présentée au CRPE / je ne m’en serai pas sentie capable /. Les propos tenus par les deux enseignantes lors des entretiens confirment l’existence du lien entre la participation à la recherche et leur engagement dans la présentation de certification. Il semble que la participation à la recherche ait eu des incidences sur la confiance en soi en tant que professionnelle de deux professeurs, ce qui les a amenées à adopter un autre positionnement professionnel, en s’inscrivant à des examens donnant lieu à des promotions dans la carrière d’un professeur. Cette constatation amène à vouloir comprendre ce qui dans ce dispositif de recherche a provoqué ce processus. Communication C-109 au 21e colloque de l'ADMEE-Europe, p. 5 2.2 Quels paramètres du dispositif ont permis ce développement du processus de reconnaissance professionnelle ? Dans cette partie, nous dégageons les facteurs du processus de recherche qui ont eu des incidences sur le processus de reconnaissance professionnelle. Nous croisons notre analyse avec le point de vue des acteurs sur les raisons qu’ils donnent de l’évolution de ce processus ; point de vue recueilli lors des entretiens. Notre analyse pointe cinq facteurs : une demande de collaboration d’un chercheur, « la mise à l’épreuve de soi » (Jorro, 2009) dans un dispositif innovant, le retour réflexif sur sa séance dans l’interaction avec le chercheur, l’épreuve de l’image vidéo, l’inscription dans une temporalité. 2.2.1 Echanges avec un chercheur Le premier facteur du processus de reconnaissance professionnelle énoncé par les deux professeures est le fait qu’un « expert » se soit intéressé à leur pratique au point d’engager une recherche avec elles, ce dont témoignent les propos ci-dessous : P2 : le fait qu’un chercheur vienne dans ma classe / pas pour te dire c’est bien ou c’est mal / mais pour travailler avec moi sur ma pratique / déjà pour moi / ça a été quelque chose de très important / ça se passe jamais ça normalement / là on cherchait ensemble à l’amélioration de ma pratique pour la lecture des élèves / et ma pratique l’intéressait il avait pas une position haute mais / un peu quand même un regard d’expert il me disait pas ce que j’avais à faire / il me posait des questions après qui me faisaient réfléchir /. Ces propos montrent que le premier facteur du processus de reconnaissance qui permet à la professeure de développer son pouvoir d’agir naît d’une situation de reconnaissance mutuelle, valorisante et inhabituelle pour un professeur en exercice, sorti depuis plusieurs années de la formation. Outre l’intérêt porté pour sa pratique par un autre reconnu en l’occurrence comme « expert », il semble que cela soit la nature de la relation chercheur / praticien qui permette au praticien de retirer du travail collaboratif un sentiment de reconnaissance. Le chercheur ne prescrit pas, ne juge pas, ne valorise pas outre mesure, ne fait pas montre de complaisance, mais adopte une posture que je nommerai de « collaborative questionnante ». Si le chercheur manifeste une confiance dans les potentialités du praticien, le dispositif didactique et l’enjeu de la recherche constituent en eux-mêmes d’autres facteurs du développement du processus de reconnaissance professionnel. 2.2.2 Se mettre à « l’épreuve de soi » en tant que professionnel Nous avons vu que la visée de la recherche est le repérage de gestes professionnels propices au développement du processus interprétatif d’un groupe d’élève dans une situation de débat littéraire. La situation didactique est nouvelle pour les professeures ; elles ont à délaisser le confort des traditionnelles questions de compréhension pour prendre le risque d'accompagner, dans l'échange, l'activité de lecture empirique de ses élèves. Donnons la parole à une professeure : P1 : / cette recherche m’a demandé d’aller au-delà de ce que j’avais l’habitude de faire dans ma classe avec mes élèves / ça m’a demandé de nouvelles façons de faire / car suivre les élèves dans le cheminement de leur lecture en essayant de les faire se déplacer à partir de ce qu’ils disent a été très nouveau pour moi / mais j’étais en confiance / je crois que la confiance venait de la présence du chercheur / et je pensais pas que j’étais capable de développer ce que j’ai développé / . Communication C-109 au 21e colloque de l'ADMEE-Europe, p. 6 Les propos recueillis chez P2 reprennent de façon très similaire les mêmes données. Participer à cette recherche a entraîné chez les professeures le fait de se mettre à « l’épreuve de soi » (Schwartz, 1999, cité par Jorro, 2007) en tant que professionnelle pour relever, pourrait-on dire, le défi de la recherche auquel elles adhéraient pleinement. Elles ont eu à développer l’amplitude de leurs gestes professionnels d’ajustement agis dans le vif des interactions, en mobilisant, en situation, de multiples ressources. Soulignons l’importance de la présence rassurante du chercheur dans cette prise de risque exprimée par les deux professeures. Cependant, s’éprouver en situation, dans le vif de l’action, ne peut suffire à faire naître de l’estime de soi professionnelle, de la confiance en soi chez le praticien et ne peut suffire à ce que la « mise à l’épreuve de soi » puisse se transformer en « pouvoir d’agir » et en « capabilité à dire ». Nous allons étudier dans les deux paragraphes suivants le rôle qu’ont joué les entretiens puis la confrontation à l’image vidéo dans le développement de ce processus. 2.2.3 Un retour réflexif sur son agir professionnel Les entretiens ont été l’occasion pour les professeures d’exprimer les pensées, les affects éprouvés et de revenir sur des comportements de lecteurs qui les ont surprises, déstabilisées ou satisfaites. Ont été également exprimées les difficultés rencontrées, les décalages entre les manières d’agir souhaitées et celles réalisées, les dilemmes éprouvés et les choix privilégiés. Ces entretiens ont également amené les professeures à clarifier les visées recherchées mais également leurs façons de faire, ce qui se traduit chez elles par un discours « méta » sur leur activité et leur ont permis d’ouvrir des perspectives d’amélioration. Pour conclure, ces entretiens ont été le lieu d’un processus de réflexion critique qui n’est autre qu’un processus de réflexion éthique avec la recherche de la justesse et de la congruence de leurs différents gestes professionnels. Ci-après quelques extraits d’entretiens révèlent certains des aspects pointés ci-dessus : Dans ce premier extrait, à partir des difficultés exprimées se dessinent les attentes de P1 quant à l’activité tant lectrice que communicative des élèves. P1 : j’ai pas très bien vécu cette séance! / j'ai trouvé que souvent ils partaient dans des conversations entre guillemets philosophiques / sinon après il y a eu des choses intéressantes qui ont été dites dans tous les domaines / je trouve euh ils ont eu un sens intéressant au niveau de l'écriture du changement de points de vue / des personnages / des rapports entre les personnages j'ai trouvé que ça ça avait été intéressant et je trouve qu'ils ont assez bien communiqué entre eux / ils prennent bien l'avis les uns des autres / parfois ils arrivent pas bien à exprimer ce qu'ils ressentent / Voici l’exemple d’un dilemme auquel a été confrontée P2. Celle-ci livre à la fois une règle de gestion de la parole qu’elle se donne et la difficulté qu’elle lui pose dans la nuance de son application pour se trouver en congruence avec le rapport à la littérature qu’elle veut privilégier, elle en arrive à dégager une règle minimale : la participation de tous au cercle, par une recherche de « la juste mesure » (Jorro, 2009) : P2 : j’ai du mal / aussi / je dois à la fois inciter tous les enfants à prendre la parole et à la fois respecter le silence / il y a des enfants qui parlent peu mais je sais par leur sourire et puis par un petit signe de tête / ils me prouvent qu'ils sont dedans donc enfin vu le contrat du cercle / il n'y a pas non plus de contreindication à pas trop prendre la parole / ils sont là / et c'est aussi le rôle d'écouter /. Dans cet autre extrait, P1 exprime l’évolution des élèves avec un sentiment de satisfaction : /là j’étais contente/. Dans le lien qu’elle établit avec sa propre évolution, Communication C-109 au 21e colloque de l'ADMEE-Europe, p. 7 se construit un sentiment de « capabilité » qu’elle renforce dans la verbalisation de son travail d’accompagnement : P1 : je trouve qu’ils ont passé un cap dans leur lecture / ils arrivent à avoir un regard sur leur façon de lire / / ils arrivent à s’observer en tant que lecteurs / là j’étais contente / P1 : c’est-à-dire / ben j’y vois plus clair / moi aussi je passe au niveau supérieur / quand ils me disent quelque chose / j’arrive à dégager / mieux le sens de ce qu’ils me disent /oui par rapport au début en même temps qu’ils parlent / en plus de l’écoute que j’avais / moi je fais le travail de / de me dire euh // bon ça //là il est en train de parler de ça / de quoi est-ce qu’il veut parler exactement je fais ce travail où / là il a ressenti ça / je pense que c’est dû à ça /je fais ce travail / et je lui pose la question / j’ai pas toujours la même réponse que j’attendais / Ainsi le retour sur sa pratique, avec ces dispositifs d’entretien post séance dans l’interaction avec le chercheur, permet à l’acteur de remonter de l’éprouvé de la séance, de l’explicitation des actes agis dans l’interaction, à leurs origines, et lui fait énoncer les intentions visées, interroger les valeurs agies qui transforment cette « mise à l’épreuve de soi » vécue en situation en « une puissance d’agir » conscientisée. Les deux professeures confirment cette analyse du rôle des entretiens ; voici les propos de P2 : P2 : ce qui a été très formateur pour moi dans le dispositif ce sont les entretiens avec le chercheur / vraiment c’est ça qui m’a permis d’évoluer / avec les questions qui m’étaient posées et qui m’obligeaient à remonter très loin dans la prise de conscience de ce que je faisais / de ce que je voulais faire / de l’évolution des élèves / et de chercher à m’améliorer / des façons de faire plus appropriées à l’évolution de mes élèves et à mes intentions /. Chacun des entretiens a été suivi d’une autoconfrontation. Nous allons étudier le rôle qu’a eu la confrontation à l’image vidéo des séances dans le processus de reconnaissance professionnelle des professeures, dans le développement de leur « pouvoir d’agir ». 2.2.4 L’épreuve de l’image vidéo Chaque entretien d’évocation a donc été suivi d’autoconfrontation où les professeures ont revisionné la séance vécue. Ces autoconfrontations ont-elles contribué au processus de professionnalisation des deux professeures ? Si oui en quoi ? Nous ne pouvons pas répondre de manière identique pour les deux professeures. Pour P1, la confrontation à l’image vidéo lui a fait redécouvrir, avec plus de distance et sous un autre angle, la situation vécue. Elle se découvre avec intérêt agir en situation, réécoute les propos échangés dans l’interaction et se montre sensible au timbre de sa voix, à sa gestuelle, aux moindres mouvements, à sa posture corporelle, autant de dimensions langagières auxquelles le souvenir seul ne lui avait pas donné accès relevant en grande partie d’un processus non conscient. Elle dépasse très vite le moment d’adaptation et recherche la signification qu’elle revêt dans le contexte précis de la situation didactique vécue. En remontant aux sentiments, aux pensées éprouvés en situation auxquels l’image la fait accéder, elle découvre l’intentionnalité préréflexive qui irrigue son agir de façon non consciente et non moins ajustée en situation. L’autoconfrontation permet, pour P1, un élargissement du rôle joué par l’entretien à chaud. Les autoconfrontations participent pour P1 au développement de son « pouvoir d’agir », elles constituent un des facteurs du processus de reconnaissance professionnelle. Voici l’analyse d’un extrait : Communication C-109 au 21e colloque de l'ADMEE-Europe, p. 8 Face au visionnement d’un passage, P1 s’arrête sur un sourire, et lui donne une signification, ce qui la conduira à mettre au jour la valeur qui traverse ce sourire : /j’ai accueilli avec un sourire parce que ça me touche/, elle ira encore plus loin, en exprimant l’émotion ressentie : / j’étais vraiment heureuse de l’entendre/. C’est la reconnaissance de l’expression d’une émotion et de sa signification qui conduit le professeure à affirmer ses valeurs, à préciser sa finalité didactique : le plaisir du récit et de son écriture ; ceci se traduit par l’emploi de l’expression / je veux / et de l’adverbe / surtout / : / je veux leur faire éprouver/, / je veux arriver à leur transmettre /, / mais surtout le plaisir de comment il est écrit /. Elle livre également le lien entre sa visée didactique et son propre rapport à la lecture : / c’est ça pour moi lire un texte littéraire / c’est le désirer et ressentir différents plaisirs mais surtout le plaisir de comment il est écrit / de son écriture /. Les propos de P1 mettent en lien ses priorités didactiques et son expérience lecturale. Ce faisant elle saisit le fil conducteur qui lie son propre rapport à la littérature et ses gestes professionnels en énonçant les valeurs essentielles qui le portent. Chez P2, la confrontation à l’image vidéo ne constitue pas un facteur aussi important du processus de reconnaissance professionnelle. Elle n’investit pas la confrontation à la vidéo de la même manière que P1. Se voir en images la gêne. Elle interrompt souvent le visionnement pour poursuivre ses propos sans regarder l’image vidéo. Il est à noter que sur les cinq séances filmées, elle n’accepte qu’une fois de vivre la situation d’autoconfrontation. Sa gêne transparaît dans l’extrait suivant : P2 : / c’est dur / je sais pas quoi dire à me voir là / ça fait vraiment une relation privilégiée avec un enfant et les autres sont exclus donc je sais pas si c’est très très bien / je sais pas / je me touche de partout / c’est sûr je me reconnais bien / c’est gênant à voir je trouve / Il est à noter que malgré sa gêne, P2 porte un regard critique sur les valeurs agies, et réfléchit sur le bien fondé de l’action, sur « sa juste mesure » (Jorro, 2009) ce qui permet de penser que très certainement ce regard sera réinvesti en situation, mais lors de l’entretien P2, figée par la situation, n’ouvre pas sur des perspectives d’amélioration. Elle exprime de façon très explicite sa gêne lors d’un entretien : P2 : pour moi ça a été très difficile / même si c’est très intéressant de se voir c’est très gênant / mais c’est très affectif / c’est difficile ma voix / mon image / c’est brouillé par les émotions de se voir / et elles sont pas toujours positives /. L’analyse des différences de comportement face à l’image vidéo confirme les travaux de Linard et Prax (1984). Ils montrent que cet outil profitable sous certaines conditions au développement des compétences professionnelles des sujets peut se révéler être un obstacle au développement des compétences. Ce dispositif a inégalement profité à la reconnaissance professionnelle des deux professeures. Une des facteurs de la recherche des plus propices au développement de ce processus est la temporalité. 2.2.5 La temporalité Le caractère longitudinal de la recherche a permis aux professeures d’établir des liens, au fil des séances vécues, des entretiens et des autoconfrontations partagés avec le chercheur. Elles ont comparé leur agir professionnel, l’activité de lecture des élèves, repéré des récurrences et des changements, elles ont questionné les valeurs essentielles de leur agir, leur pertinence, elles ont défini des perspectives d’amélioration, dans la recherche d’une « juste mesure » (Jorro, 2009) et ont éprouvé leur évolution, et l’étendue de leur pouvoir d’agir. Communication C-109 au 21e colloque de l'ADMEE-Europe, p. 9 La temporalité est donc un facteur essentiel pour que le processus de reconnaissance professionnelle se développe dans l’interaction avec le chercheur, dans un climat de confiance et de réciprocité, à partir de vécus expérientiels, de leur analyse réflexive et critique, et de leur mise en perspective et pour que se transforme la « mise à l’épreuve de soi » en « pouvoir d’agir » et en « capabilité à dire » (Jorro, 2009). 3. Conclusion Cette recherche a permis d’interroger le rôle d’un dispositif de recherche sur le développement du processus de reconnaissance professionnelle de deux professeures. Nous avons mis au jour cinq facteurs en interaction qui ont permis différemment aux professeures, selon leur singularité, de développer un processus de reconnaissance professionnelle. Elles ont pris conscience de leur pouvoir d’agir dont elles ignoraient le potentiel pour développer une posture professionnelle au-delà de la recherche. Si, par ailleurs, l’analyse a mis en évidence que les entretiens d’autoconfrontation ont participé aux processus de reconnaissance professionnelle, ils n’ont cependant pas été investis de façon identique par les deux professeures et ne constituent qu’un facteur parmi d’autres favorable à ce processus ; autrement dit, l’analyse révèle la nécessaire interaction entre ces différents facteurs pour que ce processus se développe. Compte tenu de la dimension réduite de cette recherche, les résultats ne peuvent qu'être liés à la singularité des personnes des enseignantes, du chercheur ainsi qu’au contexte. Si elle constitue en cela une recherche exploratoire, les facteurs qu’elle a permis de dégager nous paraissent transférables dans le cadre de la formation et ouvrir de nouvelles perspectives de recherche. Une analyse des interactions entre les professeures et le chercheur dans les situations d’entretien serait nécessaire pour affiner la compréhension du rôle joué par les interactions dans le processus de reconnaissance au sein de ces dispositifs. Communication C-109 au 21e colloque de l'ADMEE-Europe, p. 10 Références bibliographiques Barbier, J.M., Chaix, M.L., & Demailly, L. (1994). Recherche et développement professionnel : pour une étude de la place de la recherche dans le processus de professionnalisation. Recherches et formation, 17. Bardin, L. (1977). L'analyse de contenu. Paris : P.U.F. Clot, Y. (2000). Entretiens en autoconfrontation croisée: une méthode en clinique de l'activité. Pistes, 2(1). www.pistes.uqam.ca/v2n1/articles/v2n1a3.htm . Honneth, A. ( 2000). La lutte pour la reconnaissance. Paris : Le cerf. Jorro, A. (ed.) (2009). Les défis de la reconnaissance professionnelle : évaluer, valoriser, légitimer. Ottawa : Presses Universitaires d’Ottawa. Linard, M. & Prax, I. (1984). Images vidéo, images de soi ou Narcisse au travail. Paris : Dunod. Ricoeur, P. (2004). Parcours de la reconnaissance. Paris: Seuil. Terwagne, S., Vanhulle, S. & Lafontaine, D. (2001). Les cercles de lecture à l'école. Bruxelles : Deboeck Duculot.