André Glucksmann (1938-2015) - l`Institut d`Histoire sociale

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André Glucksmann (1938-2015) - l`Institut d`Histoire sociale
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HOMMAGES
André Glucksmann (1938-2015)
par Pierre Rigoulot
C
© DR
ES DATES qui, d’être deux,
se parent de deuil, sont, pour
ma génération tout simplement impensables, illisibles.
Ma génération ? Celle de ceux
qui sont sortis du communisme et
de la Révolution en découvrant ou
redécouvrant que derrière les idées
et les systèmes, il y a des individus et
que derrière l’histoire du collectif, il
y a l’éthique de chacun.
Cette génération, André l’a accompagnée. L’a aidée, l’a éclairée, disant parfois les
mots qu’elle avait sur la langue, ouvrant des chemins qu’elle allait emprunter, éclairant
des lectures sur lesquelles elle allait se pencher.
Cette génération, c’était lui. Et reconnaître la mort d’André, c’est reconnaître sa
mort à elle. Si ce deuil d’André est si difficile, c’est qu’il est aussi en quelque sorte le
deuil de nous-mêmes. D’individus inscrits dans un moment de l’histoire mais certainement pas réduits au mouvement d’une histoire mythique.
André Glucksmann, c’est pour nous d’abord La Cuisinière et le mangeur d’hommes
et l’affirmation que le camp était un bon point de vue pour juger du marxisme. C’est
aussi l’initiation à l’importance de Soljenitsyne et le renversement du mythe du prolétariat rédempteur, au nom duquel tout est permis pour asseoir le pouvoir de l’État dit
soviétique. Un renversement effectué au profit de l’individu simple, souffrant : le
détenu des camps, le zek. Et plus largement ce qu’il appelle «la plèbe».
Sans doute André Glucksmann n’a-t-il pas lui-même échappé au mythe: modèle,
référence, idée régulatrice plus que réalité, la plèbe, assure-t-il, a une histoire qui «n’est
pas dominée par le désir de quelque chose – puissance, biens, honneurs – mais tout
entière investie dans le désir de n’être point opprimée».
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AVRIL 2016
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Cette capacité qu’il avait de pointer une positivité totale et inattendue, on la
retrouve quarante ans plus tard, quelques mois avant sa mort, quand il fait, dans
Voltaire contre attaque, l’éloge d’une mondialisation qui lui semble une opportunité
magnifique contre les cloisonnements, les emprisonnements matériels ou idéologiques, en un mot une européanisation, que cherchent pleins d’espoir le migrant et le
«sans papier», loin des prétendus savoirs tout ficelés sur le ciel et la terre qu’ils ont
laissés dernière eux.
* Par un dossier qui lui sera consacré, nous rendrons hommage à André Glucksmann
dans notre prochain numéro.
Pierre Lachaud avait 72 ans quand il a été brutalement terrassé par une crise
cardiaque devant son ordinateur.
Ce dernier détail n’a rien d’étonnant : ingénieur de formation, Pierre
fréquentait encore l’Université, étudiait, participait à des séminaires.
Il était aussi un fidèle parmi les fidèles des dîners-débats et des colloques de
l’Institut d’Histoire sociale.
Souriant, aimable avec tout le monde, il faisait preuve d’un humour qui lui
était propre et chacun, à l’Institut, aura en tête un de ses bons mots en pensant
à lui.
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LIVRES
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