Systèmes agricoles écologiquement efficaces
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Systèmes agricoles écologiquement efficaces
S E Q U O I A C L U B D uiss i t ve nt vo l or p er s i end r e era t 3e Forum européen sur le développement rural Palencia, Espagne Du 29 mars au 1er avril 2011 Groupe de travail nº 2 Systèmes agricoles écologiquement efficaces pour les petits exploitants : contributions à la sécurité alimentaire Document d'information Rédigé par Miguel A. Altieri - Université de Californie, Berkeley Fernando Funes, M - Station Expérimentale Indio Hatuey, Cuba Paulo Petersen - AS-PTA, Rio de Janeiro, Brésil Tonci Tomic - SOCLA, Chili Chito Medina - MASIPAG, Philippines Miguel A. Altieri, Professeur d'agroécologie, University of California, Berkeley – 137 Mulford # 3114, Berkeley, California 94720, USA. – phone 510 642 98 02 email: [email protected] – www.agroeco.org Groupe de travail nº 2 Systèmes agricoles écologiquement efficaces pour les petits exploitants : contributions à la sécurité alimentaire Sommaire Résumé 3 1. Introduction 4 2. Agriculture paysanne : les racines de la proposition agroécologique 5 3. L'importance et l'étendue de l'agriculture paysanne dans le monde en développement 6 4. La productivité de l'agriculture paysanne 7 5. Agroécologie et régénération exploitations paysannes de la capacité productive des 8 5.1. Cuba 9 5.2. Philippines 10 5.3 Intensification agricole durable en Afrique 10 6. Conclusions 11 Références 13 Annexes : Étude de cas de Madagascar : Adoption de l'agriculture de conservation parmi les petits exploitants Étude de cas des Philippines : Utilisation et conservation de l'agrobiodiversité par la recherche participative pour la sécurité alimentaire et le développement rural Étude de cas de Cuba : Petits exploitants agroécologiques : vers une agriculture écologiquement efficace Étude de cas du Ghana : Pratiques d'exploitation endogènes pour la sécurité alimentaire Étude de cas du Sud du Brésil : Restauration des processus écologiques dans les agroécosystèmes comme réponse des petits exploitants à la crise de l'agriculture Étude de cas de Grenade-Alpujarra, Espagne : développement de ruralisation agroécologique Exemples de Page 2 de 24 Groupe de travail nº 2 Systèmes agricoles écologiquement efficaces pour les petits exploitants : contributions à la sécurité alimentaire Résumé Dans un contexte de changement climatique et de crise énergétique et économique, la prise de conscience de la contribution de l'agriculture paysanne à la sécurité alimentaire a introduit les concepts de souveraineté alimentaire et de systèmes de production agroécologique, qui ont attiré l'attention dans les pays en développement au cours des deux dernières décennies. Les nouvelles approches et technologies exigent l'application de sciences agricoles modernes et mixtes, ainsi que de pratiques de connaissance indigène détenues par des milliers d'agriculteurs. De ce fait, des ONG, certains gouvernements et des institutions académiques testent la possibilité de renforcer la sécurité alimentaire tout en conservant les ressources naturelles, l'agrobiodiversité, les sols et l'eau dans des centaines de communautés rurales de la région. Compte tenu de la situation actuelle et des prévisions économiques, énergétiques et climatiques dans un avenir proche, l'agroécologie apparaît de nos jours comme l'une des voies disponibles les plus robustes vers un développement durable et équitable. Les études de cas présentées, sur le Brésil, Cuba, les Philippines, le Ghana, Madagascar et l'Alpujarra (Espagne) visent à démontrer que le paradigme de développement agroécologique basé sur la revitalisation de petites exploitations constitue peut-être l'une des options viables pour faire face aux besoins alimentaires. En effet, celles-ci respectent la diversité, les synergies, le recyclage et l'intégration, associés à des processus sociaux valorisant la participation et le renforcement des capacités des communautés. Page 3 de 24 Groupe de travail nº 2 Systèmes agricoles écologiquement efficaces pour les petits exploitants : contributions à la sécurité alimentaire 1. Introduction La forte poussée vers l'industrialisation et la mondialisation, qui s'accompagne de l'exportation de cultures, dont des transgéniques comme les graines de soja pour nourrir le bétail dans des pays comme la Chine, l'Europe, les États-Unis et d'autres, et la demande en forte progression de cultures de biocarburant (canne à sucre, maïs, graine de soja, huile de palme, eucalyptus, etc.) remodèlent sans cesse l'agriculture et la fourniture alimentaire de nombreuses nations en développement. Or, on ignore encore quels en seront les impacts et les risques écologiques, sociaux et économiques (Holt-Gimenez et Patel, 2009). En dépit de ces tendances qui se multiplient, le secteur des paysans ou des petits exploitants, composé d'une grande variété de styles d'agriculture écologique différents, propose des modèles prometteurs pour la promotion de la biodiversité, un rendement durable sans produits agrochimiques et la conservation de l'intégrité écologique, tout en destinant pas moins de 50% de la production agricole à la consommation nationale (Koohafkan et Altieri, 2010). La prise de conscience de la contribution de l'agriculture paysanne à la sécurité alimentaire dans un contexte de changement climatique, de crise énergétique et économique, a introduit les concepts de souveraineté alimentaire et de systèmes de production agroécologique, qui ont attiré l'attention du monde entier depuis vingt ans. Les nouvelles approches et technologies exigent l'application de sciences agricoles modernes et mixtes, ainsi que de pratiques de connaissance indigène détenues par des milliers d'agriculteurs. De ce fait, des ONG, certains gouvernements et des institutions académiques testent la possibilité de renforcer la sécurité alimentaire tout en conservant les ressources naturelles, l'agrobiodiversité, les sols et l'eau dans des centaines de communautés rurales de différentes régions (Altieri et al, 1998). Compte tenu de la situation actuelle et des prévisions économiques, énergétiques et climatiques dans un avenir proche, l'agroécologie apparaît de nos jours comme l'une des voies disponibles les plus robustes vers un développement durable et équitable. La science de l'agroécologie fournit la base scientifique permettant de renforcer durablement la productivité et souligne les capacités des collectivités locales, lesquelles innovent, évaluent et s'adaptent par le biais des recherches d'agriculteur à agriculteur et des approches de diffusion des techniques locales. Les approches technologiques basées sur la diversité, les synergies, le recyclage et l'intégration, associées à des processus sociaux valorisant la participation des communautés, montrent que le développement des ressources humaines est la pierre angulaire de toute stratégie visant à accroître les options disponibles pour les populations rurales, notamment les exploitants aux faibles ressources (Altieri, 2002). L'agroécologie fournit la base méthodologique et scientifique d'une nouvelle révolution agraire dont l'objectif est la transition des systèmes alimentaires actuels, d'une production destinée à l'exportation et de la dépendance des carburants fossiles, vers un paradigme de développement agricole alternatif promouvant la production alimentaire locale et nationale par de petits exploitants et agriculteurs familiaux. À cet effet, il faudra leur garantir l'accès à la terre, aux semences, à l'eau, au crédit et aux marchés locaux par la création de politiques économiques de soutien, de mesures financières, d'opportunités de marché et de technologies agroécologiques. Les systèmes de production agroécologique sont biodiversifiés, résilients, efficaces du point de vue énergétique, socialement équitables et composent la base d'une stratégie de souveraineté alimentaire et productive (Gliessman, 1998). Ils sont profondément enracinés dans le raisonnement écologique de l'agriculture traditionnelle à petite échelle, représentant des exemples de longue date de pratiques agricoles efficaces. Elles se caractérisent par une incroyable diversité d'espèces de cultures et d'animaux domestiques, conservées et développées grâce à d'ingénieux régimes de gestion de la biodiversité et de l'eau, et à de complexes connaissances traditionnelles. Ces systèmes ont alimenté une grande partie de la population de la région pendant des siècles et continuent de le faire dans différentes parties de la planète. Dans ce document, nous analysons les raisons fondamentales expliquant la promotion du paradigme de développement agroécologique axé sur la revitalisation de petites exploitations qui pratiquent la diversité, les synergies, le recyclage et l'intégration, associés à des processus sociaux valorisant la participation et le renforcement des capacités des communautés. C'est la seule option viable pour faire face aux besoins alimentaires de la région à une époque de hausse des prix du pétrole et de changement climatique. Nous analysons aussi les caractéristiques socio-écologiques et l'importance de l'agriculture paysanne, de même que les effets de centaines de projets agroécologiques, à Cuba, au Brésil, au Ghana, à Madagascar et aux Philippines, sur l'environnement et la production alimentaire. Enfin, nous analysons les exigences d'une diffusion et d'une adoption à grande échelle des principes agroécologiques dans des régions plus étendues Page 4 de 24 Groupe de travail nº 2 Systèmes agricoles écologiquement efficaces pour les petits exploitants : contributions à la sécurité alimentaire et par un grand nombre d'agriculteurs, de manière à ce que l'agroécologie transforme substantiellement l'agriculture et renforce la souveraineté alimentaire de la région. 2. Agriculture paysanne : proposition agroécologique les racines de la La plupart des pays en développement possèdent une population paysanne significative, composée de centaines de groupes ethniques ayant une histoire que l'on peut retracer depuis plus de 10 000 ans de pratique de l'agriculture traditionnelle. Au début, les premiers hommes pratiquant la cueillette de plantes sauvages dépendaient de leur connaissance de la nature, qui leur avait permis de se nourrir et constituait le socle sur lequel reposaient leurs techniques agricoles, transmises par des milliers de générations jusqu'à nos jours. Qu'elle soit reconnue ou non par la communauté scientifique, cette connaissance ancestrale pose les bases des innovations et des technologies agricoles actuelles et futures. Les peuples indigènes ont une connaissance des écosystèmes qui se traduit habituellement par des stratégies multidimensionnelles de production (c'est-à-dire des écosystèmes à usages multiples, recourant à de nombreuses espèces). Dans des limites techniques et écologiques, ils génèrent l'autosuffisance alimentaire des agriculteurs de la région (Wilken, 1987). Dans de nombreux secteurs de la région, les agriculteurs traditionnels avaient développé et/ou hérité de complexes systèmes d'exploitation, adaptés aux conditions locales. Ceux-ci leur ont permis de gérer durablement des environnements rudes et de satisfaire leurs besoins de subsistance sans dépendre de la mécanisation, des engrais chimiques, des pesticides et d'autres technologies de la science agricole moderne (Toledo et al, 1985). Le maintien de plus de trois millions d'hectares cultivés de manière traditionnelle, sous forme de champs surélevés et en terrasse, de polycultures, de culture agroforestière, etc., témoigne d'une stratégie agricole indigène efficace et constitue un tribut à la « créativité » des paysans dans le monde. En dépit de leur grand nombre, la plupart des systèmes agroécologiques traditionnels présentent cinq caractéristiques similaires remarquables (Parviz et Altieri, 2010) : (1) des niveaux élevés de biodiversité qui jouent un rôle clé dans la régulation du fonctionnement de l'écosystème et dans la fourniture de services dérivés d'une grande importance locale et mondiale (2) des pratiques et des technologies ingénieuses de maintien des paysages, de gestion de la terre et des ressources en eau, et de conservation que l'on peut utiliser pour améliorer la gestion des agroécosystèmes (3) des systèmes agricoles diversifiés qui contribuent à l'alimentation locale et nationale et à la sécurité des moyens de subsistance (4) des agroécosystèmes qui font preuve de résilience et de robustesse pour affronter les troubles et les changements (humains et environnementaux), réduisant ainsi les risques dus aux fortes variations (5) des agroécosystèmes alimentés par les connaissances traditionnelles et par les innovations et les technologies des agriculteurs (6) un environnement socioculturel réglementé par des valeurs culturelles fortes et des formes collectives d'organisation sociale, incluant des institutions coutumières pour la gestion de l'agroécologie, des accords réglementaires pour l'accès aux ressources et au partage des bénéfices, des systèmes de valeur, des rites, etc. Sur le terrain, une des caractéristiques saillantes des pratiques d'exploitation agricole est leur niveau élevé de diversité dans les types de plantations, sous forme de polycultures et/ou de modèles agroforestiers (Chang, 1977). Cette stratégie de minimisation des risques par la diversification des espèces et des variétés de cultures stabilise les productions à long terme, favorise des régimes alimentaires variés et optimise les retours d'investissement, même dans des cas de niveaux technologiques très faibles et de ressources limitées. Ces exploitations à forte biodiversité sont dotées de plants riches en nutriments, de prédateurs contre les insectes, d'agents pollinisateurs, de bactéries pour la fixation de l'azote et d'autres pour sa décomposition, et d'une grande variété d'autres organismes aux fonctions écologiques bénéfiques. Les agroécosystèmes traditionnels abritent aussi des cultures provenant de types de terrains différents, bien adaptées, de même que des cultures sauvages et voisines des mauvaises herbes. Pour les agriculteurs, une telle diversité génétique est une sécurité contre les maladies, les insectes nuisibles, les Page 5 de 24 Groupe de travail nº 2 Systèmes agricoles écologiquement efficaces pour les petits exploitants : contributions à la sécurité alimentaire sécheresses et autres risques. Elle leur permet aussi d'exploiter la totalité des agroécosystèmes existant dans chaque région, qui présentent des différences dans la qualité du sol, l'altitude, la pente, la disponibilité d'eau, etc. La diversité génétique renforce la stabilité des pratiques de culture et, de ce fait, les agriculteurs peuvent exploiter des microclimats différents et adapter des utilisations nutritionnelles diverses à partir de cette variation génétique des espèces (Clawson, 1985). Les femmes rurales ont traditionnellement pratiqué un grand nombre d'activités liées à la conservation de la biodiversité de la terre. Elles constituent donc une source essentielle de connaissances en matière de conservation des semences, de plantation et de gastronomie dérivées des cultures locales dans leurs communautés respectives. Des facteurs comme la pénétration du marché, la migration, la croissance de la population, les réformes politiques, l'introduction de nouvelles technologies, entre autres, ont accéléré le rythme du changement dans les zones rurales. Cependant, bon nombre de ces systèmes traditionnels témoignent de stratégies agricoles indigènes résistantes, qui sont des modèles de durabilité car ils reposent sur la biodiversité, les cultures sans engrais chimiques et des productions toute l'année au sein d'une instabilité environnementale et de perturbations socioéconomiques. Dans la première décennie du XXIe siècle, on dénombre des millions de petits exploitants, d'entreprises agricoles familiales et de peuples indigènes dans le monde qui pratiquent encore une exploitation de conservation des ressources. Elle témoigne de la remarquable résistance des agroécosystèmes dans un contexte de changement environnemental et économique permanent, tout en contribuant de manière substantielle à la sécurité alimentaire locale, régionale et nationale (Toledo et Barrera-Bassals, 2009). Pour ces différentes raisons, la plupart des agroécologistes reconnaissent que les agroécosystèmes traditionnels peuvent fournir des solutions à un grand nombre d'incertitudes pesant sur l'humanité, à une époque de changement climatique, de crise financière et énergétique. La combinaison de pratiques traditionnelles existant encore dans de nombreux pays d'Amérique latine, d'Asie et d'Afrique, constitue un patrimoine agricole ingénieux d'une importance mondiale. Il illustre la valeur de la diversité des systèmes agricoles adaptés à des environnements différents. Il raconte aussi l'histoire fascinante de la capacité et de la créativité des êtres humains, qui s'adaptent aux aléas d'un environnement matériel et physique changeant d'une génération à l'autre et laissent des empreintes indélébiles d'un engagement constant envers la conservation et le respect de leur patrimoine naturel. Ces pratiques véhiculent un héritage néolithique d'une importance considérable. Or, l'agriculture moderne menace en permanence la durabilité de cet héritage (Altieri et Koohafkan, 2008). 3. L'importance et l'étendue de l'agriculture paysanne dans le monde en développement La recherche récente montre que la production agroécologique des petits exploitants contribue fortement à la sécurité alimentaire, aux moyens de subsistance ruraux et aux économies locales ou même nationales. Cependant, ces contributions n'ont pas été appréciées à leur juste valeur, ni certains bénéfices des écosystèmes comme la conservation de la biodiversité, la protection de la ligne de partage des eaux et la séquestration de carbone, fournis à l'ensemble de la société mondiale. En fait, une grande partie des produits alimentaires consommés de nos jours dans le monde est cultivée à partir de semences de l'agriculture écologique, sans agrochimiques industriels. Les exploitants et paysans indigènes ont cultivé 5 000 espèces de cultures adaptées et ont donné plus de 1,9 million de variétés aux banques des gènes mondiales. Dans le monde, 1,5 milliard de populations rurales vivent de 380 millions d'exploitations ; 410 millions pratiquent la cueillette des plantes dans les forêts et les savanes ; on dénombre 190 millions de personnes pratiquant le pastoralisme et plus de 100 millions de petits pêcheurs. 370 millions au moins de ceux-ci sont des peuples indigènes, occupant environ 92 millions d'exploitations. Tous réunis, ces paysans composent presque la moitié de la population de la planète et ils cultivent, sur des parcelles d'une surface moyenne de 2 hectares, au moins 70% de l'alimentation mondiale. Par conséquent, les petits agriculteurs nourrissent la grande majorité des 712 millions de personnes souffrant de la faim et vivant dans des régions rurales et éloignées, et pas moins d'un tiers des 238 millions de personnes vivant dans des villes moyennes et grandes (ETC, 2009). En Amérique latine, les petites unités de production agricoles s'élevaient à 16 millions à la fin des années 1980, occupant près de 60,5 millions d'hectares ou 34,5% du total de la terre cultivée. La population agricole inclut 75 millions de personnes représentant presque les deux tiers du total de la population rurale de l'Amérique latine (Ortega, 1986). La dimension moyenne de ces exploitations est d'environ 1,8 hectare, Page 6 de 24 Groupe de travail nº 2 Systèmes agricoles écologiquement efficaces pour les petits exploitants : contributions à la sécurité alimentaire alors que la contribution de l'agriculture paysanne à la fourniture alimentaire générale de la région est significative. Dans les années 1980, elle s'élevait à environ 41% de la production agricole pour la consommation nationale et elle produisait, à l'échelle de la région, 51% du maïs, 77% des haricots et 61% des pommes de terre. Au Brésil seulement, on dénombre quelque 4,8 millions d'exploitations familiales (environ 85% du nombre total d'agriculteurs) qui occupent 30% de la terre agricole du pays. Ces exploitations familiales contrôlent environ 33% de la zone ensemencée de maïs, 61% de celle de haricots et 64% de celle de manioc, produisant ainsi 84% du manioc total et 67% de tous les haricots (Altieri, 2004). En Équateur, le secteur paysan occupe plus de 50% de la région consacrée aux cultures alimentaires comme le maïs, les haricots, l'orge et le gombo. Au Mexique, les paysans occupent au moins 70% du secteur consacré au maïs et 60% de celui des haricots. Outre le secteur de l'agriculture familiale et paysanne, environ 50 millions d'individus font partie de quelque 700 groupes ethniques indigènes différents, vivant et utilisant les régions tropicales humides de la planète. Environ deux millions d'entre eux vivent en Amazonie et dans le sud du Mexique. Au Mexique, la moitié des tropiques humides est utilisée par les communautés indigènes et par les « ejidos », systèmes forestiers et agricoles aux caractéristiques intégrées dont la production a pour objectif de subvenir à leurs besoins et vendre sur les marchés locaux et régionaux (Toledo et Barrera-Bassals, 2009). L'Afrique possède environ 33 millions de petites exploitations paysannes, représentant 80% de l'ensemble de celles de la région. La plupart des agriculteurs africains (incluant bon nombre de femmes) sont de petits exploitants qui détiennent les deux tiers de toutes les exploitations de moins de 2 hectares et 90% de celles de moins de 10 hectares. De nombreux petits exploitants pratiquent l'agriculture « à faibles ressources » qui repose essentiellement sur l'utilisation des ressources locales, mais qui peut faire un emploi modéré d'intrants externes. L'agriculture à faibles ressources produit la plus grande partie des céréales, la quasi-totalité des cultures de plantain, de tubercules et de racines, ainsi que la majorité des légumes. Les cultures alimentaires les plus basiques sont réalisées par de petits agriculteurs qui emploient très peu ou pas du tout d'engrais ou de semences améliorées. Cependant, cette situation s'est modifiée au cours des deux dernières décennies en raison de la baisse de la production alimentaire par personne en Afrique. Autrefois auto-suffisante en matière de céréales, l'Afrique doit à présent en importer des millions de tonnes pour combler ce fossé. Malgré cette augmentation des importations, les petits exploitants produisent encore une grande partie des produits alimentaires d'Afrique (Koohafkan et Altieri, 2010). En Asie, la Chine possède à elle seule presque la moitié des petites exploitations du monde (sur 193 millions d'hectares), suivie de l'Inde avec 23%, puis viennent l'Indonésie, le Bangladesh et le Vietnam. Sur la majorité des plus de 200 millions de riziculteurs vivant en Asie, très peu d'entre eux cultivent plus de 2 hectares de riz. La Chine possède probablement 75 millions de riziculteurs qui pratiquent encore des méthodes similaires à celles employées il y a plus de mille ans. Les variétés locales cultivées, essentiellement dans des écosystèmes de terres hautes et/ou dans des conditions climatologiques pluvieuses, constituent la majorité du riz total produit par les petits exploitants asiatiques. 4. La productivité de l'agriculture paysanne Les adeptes de la Révolution verte et d'autres schémas de modernisation estiment que le progrès et le développement dans les agroécosystèmes exigent inévitablement le remplacement des variétés de cultures locales par d'autres, améliorées. Ils pensent aussi que l'intégration technologique et économique des pratiques agricoles traditionnelles dans le système mondial est une étape positive favorisant l'augmentation de la production et des revenus pour plus de bien-être. La sagesse semble indiquer que les petites exploitations familiales sont dépassées et improductives, et que l'agriculture paysanne n'a, en général, aucun potentiel pour produire des excédents significatifs sur le marché. Or, elle permet toutefois de garantir la sécurité alimentaire. De nombreux scientifiques estiment à tort que les pratiques traditionnelles ne produisent pas davantage parce que les outils manuels et les animaux de trait sont un frein à la productivité. Il se peut que la productivité soit faible mais il semblerait que les causes soient davantage sociales que techniques. Lorsque l'agriculteur parvient à produire suffisamment de nourriture grâce à ses cultures, il ne perçoit aucune pression le poussant à innover ou à améliorer les rendements (Rosset, 1999). Malgré ces assertions, certaines petites exploitations familiales sont bien plus productives que les plus grandes si l'on considère le total des cultures plutôt que le rendement d'une culture unique. C'est le cas des systèmes agricoles intégrés, dans lesquels le petit agriculteur produit des céréales, des fruits, des légumes, du fourrage et des aliments pour animaux, par opposition à un rendement par unité de culture unique, comme le blé (monoculture) dans des exploitations à grande échelle. Une grande exploitation peut Page 7 de 24 Groupe de travail nº 2 Systèmes agricoles écologiquement efficaces pour les petits exploitants : contributions à la sécurité alimentaire produire plus de blé à l'hectare qu'une petite, où le blé est un des éléments de la polyculture, laquelle inclut aussi des haricots, des courges, des pommes de terre et du fourrage. Dans les polycultures des petits exploitants, la productivité en termes de produits à récolter par surface unitaire est plus élevée que sur un terrain à culture unique, pour une gestion égale (Dorward, 1999). Les surplus de rendement peuvent aller de 20 à 60% car la polyculture limite les pertes dues aux mauvaises herbes, aux insectes et aux maladies, et permet une meilleure utilisation des ressources disponibles d'eau, de lumière et de nutriments. Au Mexique, il faut une parcelle de 1,73 hectare de maïs en monoculture pour produire autant de nourriture qu'un hectare planté de différentes cultures comme le maïs, les courges et les haricots. De plus, la polyculture maïs-courges-haricots produit jusqu'à 4 t ha-1 de matières sèches à labourer dans le terrain, par rapport à 2 t dans la monoculture de maïs. Au Brésil, les polycultures incluant 12 500 plants de maïs ha-1 et 150 000 plants de haricots ha-1 présentent un surplus de rendement de 28% (Gliessman, 1998). De multiples expériences ont montré que la plupart des petites exploitations sont productives en dépit de leur faible utilisation d'intrants chimiques. En Amazonie, les rendements des Kayapo sont environ 200% plus élevés que ceux des systèmes des colons, et 175 fois plus dans le domaine du bétail. En général, le travail agricole génère un retour énergétique élevé par unité d'intrant. Le retour énergétique du travail déployé dans une exploitation caractéristique maya de maïs cultivé sur un haut plateau est suffisamment élevé pour garantir la continuité du système actuel. 395 heures sont nécessaires pour travailler un hectare de terrain qui produit habituellement 4 230 692 calories. Par conséquent, une heure de travail produit environ 10 700 calories. Une famille de trois adultes et de sept enfants consomme environ 4 830 000 calories de maïs par an. Les systèmes actuels garantissent donc la sécurité alimentaire d'une famille classique de 5 à 7 personnes. De même, ces systèmes permettent des taux de retours énergétiques favorables entre les intrants et la production obtenue. Sur les versants des collines mexicaines, les rendements de maïs dans les systèmes reposant sur le travail manuel sont d'environ 1 940 kg/ha, le ratio des produits/intrants étant de 11:1. Au Guatemala, des systèmes similaires produisent environ 1 066 kg/ha de maïs, avec un ratio d'efficacité énergétique de 4,84. Le rendement par semence plantée varie de 130 à 200. Lorsque la traction animale est employée, les productions n'augmentent pas forcément mais l'efficacité énergétique chute à des valeurs de l'ordre de 3,11 à 4,34. Si l'on utilise des engrais et d'autres produits agrochimiques, les rendements peuvent s'élever de l'ordre de 5 à 7 t/ha, mais les ratios énergétiques sont nettement inefficaces (moins de 2,5). De plus, la plupart des agriculteurs étant pauvres, ils ne peuvent pas acheter ces intrants sauf si les produits agrochimiques sont subventionnés (Pimentel et Pimentel, 1979). À Cuba, les petits agriculteurs employant des méthodes agroécologiques obtiennent des rendements à l'hectare suffisants pour nourrir de 15 à 20 personnes par an, avec des efficacités énergétiques d'au moins 15:1 (Funes Monzote, 2009). Selon Sanders (1957), au milieu des années 1950, les Chinampas au Mexique obtenaient des rendements de maïs de 3,5 à 6,3 tonnes l'hectare. À cette époque, c'étaient les rendements à long terme les plus élevés obtenus au Mexique. En comparaison, les rendements moyens de maïs aux États-Unis en 1955 étaient de 2,6 tonnes l'hectare, et ils n'ont dépassé le seuil des 4 tonnes à l'hectare qu'à partir de 1965 (USDA, 1972). Sanders (1957) a estimé que chaque hectare des Chinampas pourrait nourrir de 15 à 20 personnes par an à des niveaux modernes de subsistance. 5. Agroécologie et régénération de productive des exploitations paysannes la capacité L'analyse de douzaines de projets agroécologiques de recherche participative paysanne et gérés par des ONG montre de manière convaincante que les systèmes agroécologiques ne se limitent pas à la production de faibles rendements, comme l'ont affirmé certaines critiques. Les hausses de production de 50 à 100% sont très courantes dans le cas de la plupart des méthodes alternatives de production. Dans certains de ces systèmes, les rendements des cultures basiques pour les populations -riz, haricots, maïs, manioc, pommes de terre et orge- ont été largement multipliés, davantage grâce à la main-d'œuvre et au savoir-faire qu'à l'achat d'intrants coûteux, et à la mise en œuvre de processus d'intensification et d'utilisation des synergies (Uphoff, 2002). Dans une étude de 208 projets et/ou initiatives agroécologiques réalisés dans les pays en développement, Pretty and Hine (2000) ont attesté de nettes augmentations de production alimentaire sur plus de 29 millions d'hectares. Elles ont permis à presque 9 millions de ménages d'accéder à une plus grande diversité et à la sécurité alimentaire. Dans les régions pluvieuses caractéristiques des petits exploitants vivant dans des environnements isolés, la promotion de pratiques agricoles durables a favorisé des augmentations de 50 à 100% par hectare de production alimentaire (environ 1,71 Mg par an par ménage). Cela représente une surface d'environ 3,58 millions d'hectares, cultivés par quelque 4,42 millions d'agriculteurs. Ces améliorations de la production constituent une Page 8 de 24 Groupe de travail nº 2 Systèmes agricoles écologiquement efficaces pour les petits exploitants : contributions à la sécurité alimentaire véritable percée dans l'accès à la sécurité alimentaire pour de nombreux agriculteurs situés hors de portée des courants des principales institutions agricoles. Ce qui a commencé sous la forme d'efforts localisés dans différentes régions rurales isolées, déployés par le personnel des ONG et par les leaders de collectivités, s'est à présent répandu auprès de centaines de communautés d'agriculteurs dans différents pays. Le succès n'est pas uniquement dû à l'utilisation de différentes améliorations agroécologiques venant s'ajouter à la diversification qui favorise une meilleure utilisation des ressources locales, mais aussi au renforcement du capital humain et des capacités de la communauté au moyen de formations et de méthodes de participation. Il s'explique aussi par un accès accru aux marchés locaux et régionaux, et par des aides gouvernementales comme le crédit, les semences et les technologies agroécologiques. En Amérique latine, le facteur clé dans le développement agroécologique est le résultat de l'action de différents mouvements ruraux et sociaux organisés : au Brésil, Vía Campesina et Mouvement paysan sans terre (MST) et, à Cuba, Association nationale de petits agriculteurs (ANAP), entre autres. Ils ont adopté l'agroécologie comme une bannière de leur approche technologique pour l'accès à la souveraineté alimentaire. En tant que science, l'agroécologie est compatible avec la lutte et la vision des mouvements ruraux car elle ne remet pas en cause le raisonnement paysan mais construit à partir de celui-ci, ne cherchant pas à modifier radicalement les pratiques agricoles locales mais à optimiser leur conception et à utiliser les ressources et les compétences locales. L'agroécologie joue aussi un rôle de moteur social parce qu'elle exige la participation de la communauté et un échange horizontal des méthodes de connaissance pour pouvoir travailler. 5.1 Cuba Au cours des deux dernières décennies, Cuba a connu un processus unique de transformation du système alimentaire, énergétique, technologique et social en réponse à la crise provoquée par l'effondrement de l'Union soviétique. Depuis le début de la révolution et notamment depuis la période spéciale, les Cubains ont participé à des tentatives héroïques pour accéder à la souveraineté alimentaire dans le cadre d'un embargo américain inhumain et après l'effondrement des importations de pétrole, de produits agrochimiques et de machines provenant du bloc soviétique. Dans le livre Agriculture durable et résistance, les chercheurs agricoles cubains de haut niveau précisent : Transformation de la production alimentaire à Cuba (Funes et al, 2002). L'île n'était pas en mesure d'importer les produits alimentaires ou les matériels nécessaires à l'agriculture conventionnelle et s'était donc tournée vers l'auto-dépendance. L'agriculture durable, l'exploitation organique, les jardins urbains, les petites exploitations, la traction animale et le contrôle biologique des insectes nuisibles ont été introduits dans la nouvelle agriculture cubaine. Le développement du mouvement agroécologique peut être en partie lié aux activités de recherche, de vulgarisation et de formation de l'Association cubaine de techniciens agricoles et forestiers (ACTAF) dans son objectif de promouvoir l'agroécologie dans l'île. Cependant, ce qui a constitué une véritable révolution agroécologique, ce sont les efforts d'environ 100 000 familles, environ la moitié des petits exploitants agricoles indépendants de Cuba, membres de l'ANAP (Association nationale de petits agriculteurs). Ils pratiquent des méthodes de diversification agroécologique et produisent davantage de produits alimentaires à l'hectare que toute exploitation agricole, industrielle et commerciale. Ces exploitations familiales, dont bon nombre sont affiliées au mouvement De campesino a campesino (D'agriculteur à agriculteur), produisent plus de 65% des produits alimentaires du pays, sur 25% seulement de la terre (Rosset et al, 2011). L'étude récente de Machin et al, de 2010, a révélé qu'en moins d'une décennie, la participation active des petits exploitants au processus d'innovation technologique et de diffusion par le biais des modèles D'agriculteur à agriculteur, a exercé un impact majeur. Ces modèles sont axés sur le partage d'expériences, le renforcement des compétences et des capacités à résoudre les problèmes. On estime que, selon les régions, les pratiques agroécologiques sont employées dans 46 à 72% des exploitations produisant environ 60% des légumes, du maïs, des haricots, des fruits et de la viande de porc consommée dans l'île. Les évaluations faites à Holguin et à Las Tunas après l'ouragan Ike, en 2008, ont montré que, bien que touchées, les exploitations agroécologiques avaient subi 50% de dégâts en moins par rapport aux monocultures, pour lesquelles ce pourcentage a atteint de 90 à 100%. Il a également été constaté que les exploitations agroécologiques avaient récupéré plus rapidement et que 80% d'entre elles avaient repris leur production 40 jours après l'ouragan. Compte tenu des conditions climatiques, énergétiques et économiques de l'île, l'agriculture cubaine reposant sur les stratégies agroécologiques présente aujourd'hui les taux les plus élevés de productivité, durabilité et résilience. L'agroécologie, telle qu'elle est appliquée par le mouvement D'agriculteur à agriculteur, a démontré qu'elle est la manière la plus stable, efficace et bon marché de produire des denrées alimentaires par unité de terre, d'intrant et de main-d’œuvre. À mesure que ce processus progresse, de nouveaux petits exploitants rejoignent la révolution agroécologique (le gouvernement accorde aujourd'hui jusqu'à 13,5 hectares aux familles souhaitant devenir agriculteurs : à ce jour, il y a 100 000 demandes concernant ces terres). Page 9 de 24 Groupe de travail nº 2 Systèmes agricoles écologiquement efficaces pour les petits exploitants : contributions à la sécurité alimentaire L'objectif est d'atteindre 1,5 million d'hectares en gestion agroécologique, ce qui sera suffisant pour que l'île accède à la souveraineté alimentaire. Les résultats de l'agriculture urbaine cubaine se sont également améliorés et sont vraiment remarquables : 383 000 exploitations urbaines, sur 50 000 hectares inutilisés autrement, produisent plus de 1,5 million de tonnes de légumes (les plus performantes produisent 20 kg au mètre carré par an de produits comestibles, sans utilisation de produits chimiques synthétiques). C'est suffisant pour fournir de 40 à 60%, ou plus, de tous les légumes frais dans des villes comme La Havane, Villa Clara et d'autres (Koont, 2009). Aucun autre pays dans le monde n'a obtenu un tel succès avec un type d'agriculture ne dépendant pas des carburants fossiles. 5.2 Philippines L'étude est centrée sur le travail du MASIPAG, réseau de petits exploitants, d'organisations d'agriculteurs, de scientifiques et d'organisations non gouvernementales. Elle inclut des données concernant 840 exploitations organiques, partiellement organiques ou pas du tout, situées dans l'ensemble du pays. C'est probablement la plus importante réalisée en matière d'agriculture durable en Asie et essentiellement axée sur la production organique de riz au moyen de pratiques agricoles à petite échelle. L'étude compare les résultats de 280 exploitations entièrement organiques, 280 en processus de transformation vers l'agriculture organique et 280 exploitations conventionnelles servant de groupe de référence. L'analyse porte sur la sécurité alimentaire, les revenus et les moyens de subsistance, les rendements et la productivité, les données environnementales, les connaissances des agriculteurs et le renforcement de leurs capacités. Dans les différentes variables analysées, les résultats sont très positifs en matière d'approche de recherche participative paysanne durable (Bachmann et al, 2009). L'étude montre que la sécurité alimentaire est significativement plus élevée dans le cas des exploitations organiques. Celles qui sont entièrement organiques ont un régime alimentaire plus sain, plus nutritif et plus varié. Les données concernant la santé sont également meilleures pour le groupe organique. L'étude révèle que ce groupe bénéficie d'une diversité agricole considérablement plus élevée, avec des résultats moyens de 50% de cultures en plus par rapport aux agriculteurs conventionnels. Les autres avantages sont : meilleure fertilité du sol, moins d'érosion de celui-ci, tolérance accrue des cultures aux insectes et aux maladies et meilleures compétences de gestion agricole. Ce groupe a aussi, en moyenne, des revenus nets plus élevés, en augmentation depuis 2000, par opposition aux revenus qui baissent ou stagnent dans le cas du groupe de référence des exploitants conventionnels. Les revenus nets à l'hectare des exploitations entièrement organiques sont une fois et demie plus élevés que ceux du groupe de référence. En moyenne, les ménages ont un équilibre annuel de trésorerie positif, par comparaison aux agriculteurs conventionnels qui présentent un déficit dans ce domaine. Cela signifie que les exploitations organiques sont moins endettées que les conventionnelles. Les résultats affichent des résultats particulièrement positifs dans les zones rurales les plus pauvres. Les moyens d'existence (définis comme le revenu net plus la subsistance) du quart le plus pauvre des exploitants organiques sont une fois et demie plus élevés que ceux des agriculteurs conventionnels les plus pauvres. Le revenu net plus la valeur de subsistance des cultures, calculé sur la base d'un hectare, montre aussi un avantage statistiquement significatif pour les exploitations organiques, dont la productivité est plus élevée. 5.3 Intensification agricole durable en Afrique Le projet du gouvernement britannique « Prévoyance sur les futurs de l’alimentation et l’agriculture mondiales » avait pour objectif de réaliser une analyse de 40 projets et programmes dans 20 pays africains où l'intensification durable avait été mise en pratique dans les années 1990 à 2000. Les études de cas portaient sur les améliorations des cultures, l'agroforesterie et la conservation des sols, l'agriculture de conservation, la gestion intégrée des insectes nuisibles, l'horticulture, les cultures de fourrage et destinées au bétail, l'aquaculture, les partenariats et les politiques novatrices. Début 2010, ces projets ont montré que 10,39 millions d'agriculteurs et leurs familles avaient réalisé des bénéfices et que les améliorations portaient sur 12,75 millions d'hectares. Les résultats alimentaires dus à l'intensification durable au moyen de l'utilisation de variétés nouvelles et améliorées étaient significatifs, les rendements ayant augmenté en moyenne de 2,13 fois (Pretty et al, 2011). Toutefois, ces bénéfices dépendent du fait que l'agriculteur ait eu accès ou non à des engrais et à d'autres intrants. Il est intéressant de souligner que les produits alimentaires ont également été améliorés par des moyens additionnels. De ce fait, la diversification des exploitations s'est traduite par l'apparition de nouvelles cultures, espèces de bétail ou de poissons, venant s'ajouter aux produits de première nécessité et aux légumes déjà cultivés. Ces nouveaux systèmes Page 10 de 24 Groupe de travail nº 2 Systèmes agricoles écologiquement efficaces pour les petits exploitants : contributions à la sécurité alimentaire d'exploitation ou de culture incluaient : l'aquaculture pour la pêche d'élevage ; les petites parcelles de terrain, morcelées pour la culture surélevée des légumes ; la réhabilitation de sols dégradés ; les herbes de fourrage et les arbustes qui constituent des aliments pour le bétail (et augmentent la productivité du lait) ; l'élevage de poulets, l'élevage de moutons et de chèvres sans pâturage ; de nouvelles cultures ou des arbustes cultivés en alternance avec des produits de base (par exemple, maïs et sorgho) non affectés par cette rotation, comme les pois, les graines de soja et les arbres indigènes ; l'adoption de variétés à maturation rapide (patate douce et manioc) qui permettent deux cultures par an au lieu d'une seule. La promotion de l'agriculture basée sur la foresterie a été l’une des stratégies de diversification les plus réussies. Au Malawi, en Tanzanie, au Mozambique, en Zambie et au Cameroun, l'agroforesterie pratiquée sous forme de maïs associé à des arbustes à croissance rapide et fixateurs d'azote (par exemple, Calliandra et Tephrosia) s'est traduite par une amélioration de la production totale de maïs, qui est passée à 8 tonnes au lieu des 5 tonnes obtenues par la monoculture. Au Malawi, les rendements de maïs ont augmenté jusqu'à 280 pour cent dans la zone située sous la canopée, par comparaison avec celle située en dehors de celle-ci. En Zambie, des résultats récents non publiés à ce jour, concernant 15 ensembles d'observations réalisées par le CFU au cours de la saison de maturation 2008, ont montré que les rendements de maïs non fertilisé dans le voisinage des arbres Faidherbia produisaient 4,1 tonnes à l'hectare, au lieu de 1,3 tonne à proximité mais au-delà de la canopée des arbres. Ces derniers favorisent une fertilisation naturelle grâce à la chute des feuilles au début de la saison des pluies, lorsque les cultures sont plantées. Pour se développer, les arbres ont besoin de la lumière du soleil au cours de la saison sèche et de suffisamment d'humidité, qu'ils obtiennent grâce à leurs racines très profondes après la récolte des cultures. Au Niger, les régions de Maradi et de Zinder abritent actuellement 4,8 hectares d'agroécosystèmes à dominante de Faidherbia, avec des champs incluant jusqu'à 150 arbres à l'hectare. Les agriculteurs nigériens ont déclaré que les arbres ont amélioré les rendements, protégé les cultures des vents secs et évité l'érosion de la terre par le vent et l'eau. Ils expliquent aussi que le feuillage et les cosses ont fourni davantage de fourrage, très demandé par le bétail et les chèvres au cours de la longue saison sèche sahélienne. Encouragés par l'expérience du Niger, plusieurs nouveaux programmes ont été élaborés dans d'autres pays du Sahel pour la promotion de l'agriculture associée à la régénération naturelle de Faidherbia et d'autres espèces. On estime que 500 000 agriculteurs au Malawi et dans les hauts plateaux du sud de la Tanzanie ont introduit des arbustes Faidherbia dans leurs champs de maïs (Reij et Smaling, 2008). À Madagascar, les systèmes les plus importants d'Agriculture de conservation (AC), adoptés par les agriculteurs sur des sols relativement fertiles, associent le maïs et les légumes, suivis du riz à la saison suivante. Guidés par le Groupement Semis Direct de Madagascar, les agriculteurs utilisent, sur les sols pauvres, une association de cultures alimentaires (arachides, haricots Bambara) et Stylosanthes guianensis cv CIAT 184, en alternance avec du riz à la saison suivante. Un des principaux moteurs de l'AC est l'apparition de Striga asiatica dans certaines parties du pays, qui a constitué un point de départ pour son extension. De plus, parmi les raisons justifiant l'adoption de l'AC par les agriculteurs, les principales sont qu'elle leur permet de cultiver du riz en terrasse sur les pentes des collines (riz tanety), après avoir régénéré le sol à partir de la biomasse adéquate, et d'associer les cultures de fourrage (Brachiaria) à des produits alimentaires de base comme le manioc. Les rendements et la productivité des parcelles d'agriculture de conservation augmentent au fil des années mais l'économie de main-d'œuvre n'est pas toujours constatée en raison du besoin important de personnel pour le désherbage ou la protection des cultures. 6. Conclusions Les mouvements ruraux sociaux adoptent le concept de souveraineté alimentaire comme alternative à l'approche néolibérale, laquelle mise plutôt sur un commerce international inéquitable pour résoudre le problème de l'alimentation dans le monde. Au lieu de cela, ces mouvements s'orientent vers l'autonomie locale, les marchés locaux, les cycles locaux de production-consommation, et les réseaux d'agriculteur à agriculteur promouvant les innovations et les idées agroécologiques. L'agroécologie fournit aux communautés rurales les principes qui leur permettent d'accéder à la souveraineté alimentaire, mais aussi à la souveraineté technologique et énergétique, dans un contexte de résilience. La souveraineté énergétique est le droit pour tous les peuples d'accéder à une énergie suffisante, dans les limites écologiques autorisées par les ressources durables locales, comme la biomasse produite dans les exploitations en même temps que les cultures alimentaires. La souveraineté technologique fait référence à la capacité d'accéder aux deux autres formes de souveraineté, par la fourniture des services environnementaux provenant de l'agrobiodiversité existante et de l'utilisation des ressources locales Page 11 de 24 Groupe de travail nº 2 Systèmes agricoles écologiquement efficaces pour les petits exploitants : contributions à la sécurité alimentaire disponibles. Les systèmes agroécologiques mis en œuvre et/ou adoptés par les petits exploitants présentent des caractéristiques clés : (1) Résistance plus élevée aux événements climatiques extrêmes de plus en plus fréquents (ouragans, inondations et sécheresses) (2) Diversification accrue des exploitations et récupération de variétés de semences locales (3) Fertilité des sols et activité de restauration biologique des sols dégradés (4) Production plus élevée de cultures et d'aliments pour les animaux (5) Utilisation plus faible d'intrants externes et à base de produits du pétrole (6) Économies plus importantes grâce à des coûts de production plus bas (7) Renforcement des capacités et de la participation des agriculteurs par leur implication au développement de la collectivité locale et à la prise de décision Complétant ces exemples, des centaines d'autres initiatives sont réalisées dans les pays en développement par des organisations agricoles, des ONG, des gouvernements et certaines institutions académiques. Ces projets incluent l'application de techniques mixtes d'agriculture moderne et de connaissances indigènes et montrent qu'ils peuvent renforcer la sécurité alimentaire, tout en conservant les ressources naturelles, l'agrobiodiversité, les sols et l'eau dans de nombreuses communautés rurales. Ces initiatives agroécologiques réussies constituent des « espaces d'espoir » qui doivent être amplement diffusés par des processus participatifs et horizontaux, conformément aux lignes directives du modèle De campesino a campesino. La construction d'économies rurales fortes à partir de systèmes de production agricole à petite échelle permettra à des millions de populations pauvres du Sud de rester dans les campagnes avec leur famille. On pourra ainsi endiguer la marée de migrations vers les bidonvilles des métropoles qui n'offrent pas d'opportunités d'emploi suffisantes. À mesure que la population mondiale augmente, les systèmes de revitalisation des petites exploitations peuvent devenir essentiels pour l'alimentation de la planète, en particulier dans une situation où l'agriculture à grande échelle consacre de plus en plus ses terres à la production de cultures destinées à l'exportation et/ou aux agrocarburants. Page 12 de 24 Groupe de travail nº 2 Systèmes agricoles écologiquement efficaces pour les petits exploitants : contributions à la sécurité alimentaire Références Altieri, M.A., Rosset, P., Thrupp, L.A., (1998). The potential of agroecology to combat hunger in the developing world. 2020 Brief. IFPRI, Washington, DC. Altieri, M.A. (1999). Applying agroecology to enhance productivity of peasant farming systems in Latin America. Environment, Development and Sustainability 1: 197-217. 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Page 14 de 24 Groupe de travail nº 2 Systèmes agricoles écologiquement efficaces pour les petits exploitants : contributions à la sécurité alimentaire ÉTUDES DE CAS Ce groupe de travail a été organisé et coordonné par SOCLA Page 15 de 24 Groupe de travail nº 2 Systèmes agricoles écologiquement efficaces pour les petits exploitants : contributions à la sécurité alimentaire Étude de cas : Madagascar Adoption de l'Agriculture de conservation parmi les petits exploitants Par Frank ENJALRIC (GSDM) Madagascar est un pays agricole où quasiment 80% de la population est rurale et travaille dans l'agriculture, la production de riz essentiellement. La dégradation des sols est un problème grave dû au relief composé de collines, au climat agressif, aux effets répétés des incendies de buissons, à la longue saison sèche et au manque de pâturages, ce qui pousse à les exploiter à l'extrême. L'Agriculture de conservation (AC) a été introduite dans les principales régions productrices de riz de Madagascar afin de : (i) augmenter les revenus des petits exploitants et (ii) protéger les ressources naturelles. D'après des données nationales, la surface totale destinée à l'AC est à présent de 7 000 hectares, sur lesquels travaillent 10 000 petits exploitants dans les principales régions agroécologiques. La quasi-totalité de l'expansion de l'AC repose sur la donation de terres, destinées à des systèmes de protection au moyen d'infrastructures d'irrigation et de lignes de partage des eaux. L'adoption de l'AC a été possible grâce à : (i) la disponibilité de la culture du riz, (ii) la restauration des sols et la gestion de la fertilité et (iii) le fourrage pour le bétail. Le riz étant le produit de première nécessité, les agriculteurs sont essentiellement intéressés par les systèmes associés à sa culture. Contrairement aux pays africains, les agriculteurs malgaches sont habitués aux pratiques de cultures alternées et, par conséquent, c'était l'occasion d'introduire des légumes afin d'améliorer la fertilité des sols. Les systèmes les plus importants d'AC adoptés par les agriculteurs sur des sols relativement fertiles associent le maïs et les légumes1, suivis par le riz à la saison suivante. Les agriculteurs utilisent, sur les sols pauvres, une association de cultures alimentaires (arachides, haricots Bambara, etc.) et de Stylosanthes guianensis cv CIAT 1842 , en alternance avec du riz à la saison suivante. Un des principaux moteurs de l'AC est l'apparition de Striga asiatica dans certaines parties du pays, qui a constitué un point de départ pour l'extension de l'agriculture de conservation. De plus, parmi les raisons justifiant l'adoption de l'AC par les agriculteurs, les principales sont qu'elle leur permet de cultiver du riz en terrasse sur les pentes des collines (riz tanety) après avoir régénéré le sol à partir de la biomasse adéquate, et d'associer les cultures de fourrage (Brachiaria) à des produits alimentaires de base comme le manioc. Les rendements et la productivité des parcelles d'agriculture de conservation augmentent au fil des années mais l'économie de main-d'œuvre n'est pas toujours constatée en raison du besoin important de personnel pour le désherbage ou la protection des cultures. On constate aussi qu'un nombre important d'agriculteurs abandonnent l'AC au bout d'un an ou deux en raison des fortes contraintes structurelles, financières et sociales. La situation se stabilise au bout de 4 ans d'exercice, avec une stabilisation des revenus et de l'apprentissage à partir de l'expérience des agriculteurs. Même ainsi, il n'est pas certain que les agriculteurs puissent continuer sans aide, surtout au début de sa mise en œuvre en raison des « connaissances intensives » requises par les pratiques de l'AC, des prix élevés et de la faible disponibilité des intrants pour les agriculteurs. 1 2 Dolicos lablab, Vigna unguiculata, Vigna umbellata CIAT 184 est résistant à la principale maladie du Stylosanthes, la maladie d'Anthracnose. i Groupe de travail nº 2 Systèmes agricoles écologiquement efficaces pour les petits exploitants : contributions à la sécurité alimentaire Étude de cas : les Philippines Utilisation et conservation de l'agrobiodiversité par la recherche participative pour la sécurité alimentaire et le développement rural Par Charito P. Medina (MASIPAG) Cette étude de cas des Philippines porte sur l'expérience du MASIPAG (Partenariat agriculteursscientifiques pour le développement), partenariat établi en 1986 entre les agriculteurs et certains scientifiques en réponse aux effets négatifs de la Révolution verte. Le partenariat a évolué vers un réseau qui pratique la recherche et le développement agricole, par le biais de la conservation de l'agrobiodiversité, l'élevage, la création de technologie et la diffusion de technologie d'agriculteur à agriculteur. Le MASIPAG a rassemblé et conservé 1 100 variétés traditionnelles de riz (VTR). Au moyen de la culture participative du riz, 1 085 variétés de riz Masipag ont également été créées. Ainsi, 65 riziculteurs ont pu créer 215 variétés de riz grâce à la recherche participative, ce nombre ne cessant d'augmenter. Les exploitations pilotes gérées par des agriculteurs constituaient le principal outil de conservation du riz, de culture et de sélection des variétés adaptées localement. Dans plus de deux cents exploitations pilotes membres du Masipag, sur 49 provinces du pays, les agriculteurs ont sélectionné les VTR et le riz Masipag qui s'adaptent à certaines conditions agroécologiques comme la fertilité des sols, la tolérance à la sécheresse et à l'eau salée ou aux inondations, et enfin la résistance à la maladie ou aux insectes. Ces variétés ont été sélectionnées par les agriculteurs en raison de leur adaptation au changement climatique ou de leur résistance dans des environnements marginaux. Bon nombre d'autres variétés ont été identifiées en raison de leur rendement élevé, leur arôme, leur couleur ou d'autres paramètres. Les Systèmes agricoles intégrés et diversifiés (DIFS) constituent un autre volet du MASIPAG. Les systèmes de production des exploitations y sont conçus en termes de diversification des cultures et du bétail, d'intégration des fonctions écologiques et des cycles nutritifs. Les éléments du DIFS portent sur la conservation et la culture des variétés de blé, la production de légumes et l'échange de semences, les arbres et les arbres fruitiers, intégrés dans l'élevage de poulets, de ruminants ou de poissons, en fonction de l'agroécosystème appliqué et des choix des agriculteurs. Cela s'est traduit par un surplus de production qui, par défaut, est cultivé organiquement. Par conséquent, le MASIPAG a aussi développé son propre système de garantie participative et de marketing organique. Dans une évaluation en matière de productivité de l'initiative de développement du MASIPAG, les résultats sur les revenus des agriculteurs et la sécurité alimentaire se sont révélés positifs. Elle a montré que le rendement de riz Masipag cultivé organiquement n'est pas différent de celui du secteur formel employant des engrais chimiques. Les agriculteurs MASIPAG ont obtenu 50% de revenus nets à l'hectare de plus que les agriculteurs conventionnels. Les moyens d'existence (revenu net plus la valeur des cultures de subsistance) des agriculteurs MASIPAG les plus pauvres étaient une fois et demie plus élevés que ceux des agriculteurs conventionnels les plus pauvres. La sécurité alimentaire était sensiblement plus élevée dans le cas des agriculteurs MASIPAG, qui avaient un régime alimentaire plus varié et sain, avec une diversité moyenne de 15 cultures de plus que les agriculteurs conventionnels. ii Les points clés du succès associent des facteurs sociaux et technologiques. Les éléments technologiques ne sont pas fixes mais plutôt flexibles, de manière à s'adapter aux besoins culturels, économiques et agroécologiques locaux. Le succès a été possible grâce au renforcement des capacités des agriculteurs, à leurs sens de la propriété et à leur leadership. Les agriculteurs se considéraient euxmêmes comme des innovateurs, capables d'introduire le changement dans l'exploitation au moyen de leurs propres expérimentations et rendant ce changement plus efficace grâce aux efforts collectifs déployés. iii Groupe de travail nº 2 Systèmes agricoles écologiquement efficaces pour les petits exploitants : contributions à la sécurité alimentaire Étude de cas : Cuba Petites exploitations agroécologiques : vers une agriculture écologiquement efficace Par Fernando R. Funes-Monzote et Fernando Funes (ACTAF) Dans les pays en développement, la plupart des petits agriculteurs doivent gagner leur vie dans des circonstances marginales. Ils possèdent moins de terres fertiles, moins de ressources de capitaux et naturelles, ont un faible accès aux nouvelles technologies et souffrent de la marginalisation sociale et de l'absence d'opportunités économiques. Malgré tout, les agriculteurs qui exploitent dans de telles conditions contribuent de manière substantielle à la sécurité alimentaire locale et mondiale, et instaurent des systèmes agricoles plus respectueux de l'environnement. À Cuba, de manière similaire mais dans des conditions d'équité sociale et de droit à l'exploitation, la productivité de la terre et de la main-d'œuvre dans les Systèmes à exploitation mixte (SEM) des petits agriculteurs a démontré qu'elle était sensiblement plus élevée que dans les systèmes spécialisés d'élevage et de culture à grande échelle, gérés de manière centralisée. L'agriculture cubaine a dû réduire sa production. Cependant, les technologies permettant de faire face à la demande du secteur émergent n'étaient pas disponibles à petite et moyenne échelle. Les petits exploitants étaient les fournisseurs de la plupart des technologies conservées depuis des siècles. Les institutions nationales et les organisations de la société civile ont commencé à développer les projets d'innovation agroécologique. De nos jours, vingt ans après la désagrégation du modèle de monoculture industrielle dominant à Cuba depuis des siècles, le secteur de l'agriculture à petite échelle occupe une place vitale dans la sécurité alimentaire. À une époque d'incertitudes économiques, où l'utilisation austère des ressources est la clé pour les agriculteurs et pour la société en général, le renforcement des petits exploitants est une preuve incontestable de leur plus grande efficacité et viabilité visant à une amélioration de la situation économique. Cependant, il est impossible de prévoir la viabilité de cette option de politique pour l'avenir de l'agriculture cubaine. Différents enseignements ont pu être tirés à ce jour : l'agroécologie a constitué la base du développement agricole à Cuba au cours de la période de transformation vers une agriculture durable, ces vingt dernières années. L'innovation agroécologique, reposant sur les principes et les processus d'un modèle agricole durable, a été vitale pour surmonter le problème de la rareté de l'énergie et d'autres facteurs au début de la crise la plus sévère jamais connue sur l'île. La récupération des pratiques paysannes traditionnelles et les connaissances scientifiques ont permis de trouver des solutions aux problèmes nouveaux de production alimentaire, à partir de faibles intrants externes et sur une base résistante. À partir des expériences sur le terrain et de l'analyse du contexte socioéconomique et historique, ce document montre que la diversification, la décentralisation et l'auto-suffisance alimentaire ont été mises iv en place à Cuba. Cet objectif de modes de production plus efficaces permettait de faire face aux menaces environnementales, économiques et politiques, et à l'incertitude de notre monde actuel. Environ 10 000 exploitations familiales, dont bon nombre sont membres du mouvement De campesino a campesino (D'agriculteur à agriculteur), produisent plus de 65% des denrées alimentaires du pays, sur seulement 25% de la terre. L'étude récente réalisée par l'ANAP a révélé qu'en moins d'une décennie, la participation active des petits exploitants au processus d'innovation technologique et de diffusion par le biais des modèles D'agriculteur à agriculteur, a exercé un impact majeur. Ces modèles sont axés sur le partage d'expériences, le renforcement des compétences et des capacités à résoudre les problèmes. On estime que, selon les régions, les pratiques agroécologiques sont employées dans 46 à 72% des exploitations produisant environ 60% des légumes, du maïs, des haricots, des fruits et de la viande de porc consommée dans l'île. Les petits agriculteurs employant les méthodes agroécologiques obtiennent des rendements à l'hectare suffisants pour nourrir de 15 à 20 personnes par an, avec des efficacités énergétiques d'au moins 15. Les évaluations faites à Holguin et à Las Tunas après l'ouragan Ike, en 2008, ont montré que, bien que touchées, les exploitations agroécologiques avaient subi 50% de dégâts en moins par rapport aux monocultures, pour lesquelles ce pourcentage a atteint de 90 à 100%. Il a également été constaté que les exploitations agroécologiques avaient récupéré plus rapidement et environ 80% d'entre elles avaient repris leur production 40 jours après l'ouragan. v Groupe de travail nº 2 Systèmes agricoles écologiquement efficaces pour les petits exploitants : contributions à la sécurité alimentaire Étude de cas : Ghana Pratiques d'exploitation endogènes pour la sécurité alimentaire Par Kabo-Bah Linus (LACERD) Le LACERD est une organisation non gouvernementale locale qui soutient une marque locale, Langmaal, dont la signification littérale est « l'entraide pour atteindre un objectif établi ». Cela implique aussi le concept de développement endogène qui se construit à partir du critère de développement des populations locales, en tenant compte de leur vision de ce que représente le bien-être spirituel, social et matériel. La mission du LACERD est de fournir des interventions de développement, répondant à la demande et aux choix des moyens de subsistance, destinées aux individus, aux familles, aux communautés et aux organisations de la Région ouest supérieure, au moyen d'approches endogènes de développement. Le siège du projet est situé dans le District Lawra de la Région ouest supérieure du Ghana, dont la population est de 97 544 habitants (47 797 hommes et 49 747 femmes). Sur ce chiffre, 14% vivent dans les villes et 86% dans les communautés rurales. L'agriculture est l'économie principale de 95% de la population. La pluviométrie est unimodale entre mai et octobre, avec des précipitations moyennes de 1 050 mm, alors que la température moyenne est de 33Cº. Afin d'améliorer la sécurité alimentaire des familles rurales, le LACERD, en partenariat avec le Centre pour les connaissances indigènes et le développement organisationnel (CIKOD) et avec le parrainage de Comparer et soutenir le développement endogène (COMPAS) ont lancé TICOVAP, en mai 2007, aux Pays-Bas. Sa finalité est de réduire la pauvreté des ménages ruraux au moyen d'une productivité agricole durable et de moyens de subsistance reposant sur une approche de développement endogène. Quant à l'objectif stratégique, il est de promouvoir chez les jeunes la productivité des cultures indigènes menacées, en utilisant les pratiques traditionnelles. Les visites réalisées dans les exploitations de cultures autochtones ont permis d'identifier 21 variétés indigènes existantes (6 céréales, 7 légumes et 8 racines et tubercules), encore cultivées par 325 agriculteurs, et 6 variétés disparues. Des semences ont été recueillies afin de les transmettre à de jeunes agriculteurs intéressés. Différentes réunions de communautés ont été organisées afin de générer une prise de conscience et de l'intérêt. En outre, des campagnes d'éducation ont permis d'expliquer le potentiel des cultures indigènes pour le renforcement de la sécurité alimentaire des familles, appuyées par des émissions éducatives à la radio sous forme de débats et de publicités. Des salons de présentation des semences ont été organisés en collaboration avec la Direction de District de l'Agriculture. Ici, une exposition de cultures indigènes occupait un stand à part réservé aux agriculteurs et aux concepteurs de politiques, de façon à ce qu'ils analysent leur rôle dans la promotion de la vi réduction de la pauvreté rurale. À titre d'encouragement, ces expositions se terminaient par une remise de prix destinée aux meilleurs jeunes agriculteurs : radio, cachet en cire et bottes Wellington. La première année, une banque centrale de semences a été fondée grâce à la contribution des leaders locaux et à l'achat sur les marchés locaux. L'objectif était d'octroyer des crédits en nature (c'est-à-dire paiement de 50% des semences reçues l'année précédente) aux jeunes agriculteurs intéressés. Cela s'est avéré insuffisant en raison du nombre élevé de jeunes intéressés qui les cultivaient l'année suivante. La solution a été de passer à une banque de semences communautaire, au moyen de laquelle chaque leader local stockait une moyenne de 5 types de semences. On a identifié plusieurs exploitations pilotes, qui ont surtout servi de centres d'apprentissage et d'adoption des pratiques traditionnelles des cultures indigènes, dans le but de renforcer les capacités et d'attirer l'intérêt des jeunes. Les pratiques agricoles traditionnelles incluent : les techniques de conservation des sols et de l'eau comme, par exemple, les bandes herbeuses, et la construction de crêtes et de protections en pierre sur les pentes des terres cultivées. 19 communautés ont participé au projet, soit un total de 305 agriculteurs. Sur les 7 variétés cultivées actuellement, la plupart des agriculteurs produisent au moins 3 cultures indigènes, qui sont : gongo, kamazie et zeze (céréales), sonsogli (légume), kurbara, nyuwome et piere (racines et tubercules). L'augmentation moyenne annuelle est de 10% (c'est-à-dire, de 225 kg à 248 kg/0,4 ha) pour les céréales et les légumes, et de 30% (c'est-à-dire, de 1,2 à 1,6 mt/0,4 ha) pour les racines et les tubercules. Les agriculteurs produisant des racines et des tubercules gagnent 10% (c'est-à-dire, GHc 115/US 82 dollars) de revenu en espèces de la vente de l'excédent. Les agriculteurs produisant des légumes et des céréales ont amélioré de 10% en moyenne la sécurité alimentaire de leurs familles, alors que ceux qui cultivent en plus des racines et des tubercules atteignent 20% par an. Grâce aux réunions, aux salons d'exposition des semences et aux visites, les notions d'appartenance à une communauté, d'entraide et d'autoassistance ont acquis une signification plus importante. L'expérience a montré que la fertilité des sols peut être conservée pour la productivité des cultures au moyen des innovations de conservation traditionnelle de l'eau et des sols, plutôt que par l'utilisation d'engrais non organiques. Le renforcement de la sécurité alimentaire des familles peut être atteint et maintenu avec l'adoption des pratiques traditionnelles dans la production des cultures indigènes. La promotion des pratiques traditionnelles et la production des cultures indigènes peuvent faire l'objet d'une stratégie auprès des jeunes, se traduisant par la création de banques de semences communautaires, l'organisation de salons et de remises de prix et les échanges de visites. Les agriculteurs cultivant des racines et des tubercules renforcent la sécurité alimentaire de leurs familles dans une plus grande mesure que ceux qui ne cultivent que des céréales et des légumes, grâce aux conditions élevées de fertilité des sols des terres arables dans les vallées où elles sont cultivées. vii Groupe de travail nº 2 Systèmes agricoles écologiquement efficaces pour les petits exploitants : contributions à la sécurité alimentaire Étude de cas : Sud du Brésil Restauration des processus écologiques dans les agroécosystèmes comme réponse des petits exploitants à la crise de l'agriculture Par Paulo Petersen, AS-PTA La crise alimentaire mondiale a souligné l'absence de durabilité des modèles de production de l'agriculture industrielle, attirant l'attention vers la convergence de trois problèmes majeurs auxquels l'humanité doit faire face : l'augmentation exponentielle des prix du pétrole et ses effets directs sur les coûts agrochimiques ; les conséquences encore inconnues du changement climatique sur la production alimentaire ; la dégradation rapide et la perte d'agrobiodiversité des ressources en sols et en eau en raison de l'utilisation de méthodes prédatrices de production, appliquées pendant des décennies grâce à l'énergie bon marché du pétrole. Compte tenu des relations étroites entre ces trois processus, toute stratégie pour les affronter de manière intégrée inclut inévitablement la nécessité de surmonter la dépendance agricole structurelle vis-à-vis des intrants industriels et des carburants fossiles, sans toutefois perdre sa capacité à faire face aux demandes alimentaires croissantes de la population mondiale. Ces stratégies doivent reposer sur un nouveau concept de fertilité favorisant un développement axé sur des méthodes de production à partir de l'énergie solaire et du recyclage des nutriments biologiques, qui protègent les ressources naturelles et réduisent considérablement les émissions à effet de serre. Les expériences en matière de conversion agroécologique des systèmes de gestion des sols, réalisées par des groupes d'agriculteurs familiaux dans le sud du Brésil, fournissent de nombreux enseignements pour la mise en œuvre de ces stratégies. Entre autres aspects essentiels, elles montrent que la restauration des processus écologiques dans le système de plantation du sol avec des génotypes localement adaptés, combinée à des pratiques de gestion de la fertilité reposant sur la gestion de la biomasse, a des effets positifs sur les systèmes modernisés de production annuelle de cultures, y compris sur une courte période. Bon nombre de ces systèmes en cours de conversion ne dépendent pas des herbicides pour le contrôle des mauvaises herbes mais reposent plutôt sur l'utilisation de cultures mixtes favorisant une couverture été comme hiver, qui laisse une couche épaisse de paillis sur laquelle les semences traditionnelles (maïs, haricots, blé, oignons, tomates, etc.) sont directement semées ou plantées. Il y a donc très peu d'interférences dues au désherbage pendant la saison de la pousse, ce qui leur permet d'atteindre des niveaux de rendement acceptables du point de vue agronomique. Ce fait contredit l'idée amplement répandue selon laquelle les processus de transition agroécologiques impliquent nécessairement une chute initiale des bénéfices économiques. Dans le contexte actuel d'incertitude climatique et de bouleversement de l'agriculture causé par les augmentations des coûts de production associés aux prix des produits alimentaires en baisse, des résultats économiques positifs ont été obtenus y compris au cours de la première année de transition, à mesure que les processus écologiques commencent à être rétablis. Cela permet de réduire fortement la dépendance vis-à-vis des produits agrochimiques, d'augmenter la capacité du système à s'adapter aux extrêmes climatiques et de maintenir des niveaux acceptables de productivité. viii Groupe de travail nº 2 Systèmes agricoles écologiquement efficaces pour les petits exploitants : contributions à la sécurité alimentaire Étude de cas : Grenade-Alpujarra, Espagne Exemples de développement de ruralisation agroécologique Par L. Román Bermejo et G. Guzmán Casado Compte tenu de la tendance visant à l'industrialisation agressive de l'agriculture, plusieurs essais expérimentaux agroécologiques ont pour objectif de la neutraliser au moyen de processus de ruralisation intégrée, qui se sont développés systématiquement en Europe au cours des cinquante dernières années (Van Der Ploeg, 2010). La région de l'Alpujarra, dans la province de Grenade, est un des lieux d'application de ces stratégies de développement résultant de la ruralisation agroécologique. Les entités locales et publiques prennent de plus en plus conscience de la nécessité de préserver le patrimoine historique du site pour le maintien de la vie dans la région de l'Alpujarra de Grenade. Ce patrimoine est intimement lié aux traditions agricoles et il est manifeste qu'une activité de production écologique respecte profondément l'exploitation traditionnelle, tout en fournissant des alternatives rentables aux producteurs locaux. Le Centre de recherche et de formation en agriculture biologique et en développement rural (CIFAED), de Grenade, a réalisé un suivi dans différents secteurs pionniers et a fourni, grâce aux parties prenantes locales, des résultats en matière de production écologique. Le programme de référence et de soutien dans le cadre d'Action de recherche participative, avec l'association « Contraviesa ecológica », a vu le jour à la suite de cette initiative. L'étude de cas présente le processus d'IAP et les outils spécifiques ayant permis d'identifier, de récupérer et de renforcer plusieurs variétés locales de figuiers dans la chaîne de montagnes de la Contraviesa, en combinant le savoir-faire et les traditions sociales à une technologie innovatrice et à des dynamiques sociales. Ce processus a permis d'accéder à l'auto-subsistance et à une meilleure capacité de travail dans un secteur encore demandeur de mécanismes résistants et visionnaires, qui ont évolué ces dernières années et se sont imposés d'eux-mêmes dans le cadre du développement rural. ix