1 Luc 13,18-21 [Jésus] disait donc : A quoi le règne de Dieu est

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1 Luc 13,18-21 [Jésus] disait donc : A quoi le règne de Dieu est
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Luc 13,18-21
[Jésus] disait donc : A quoi le règne de Dieu est-il semblable ?
A quoi le comparerai-je ?
Voici à quoi il est semblable : une graine de moutarde
qu'un homme a prise et jetée dans son jardin ;
elle grandit, elle devient un arbre, et les oiseaux du ciel habitent dans ses branches.
Il dit encore : A quoi comparerai-je le règne de Dieu ?
Voici à quoi il est semblable : du levain
qu'une femme a pris et a enfoui dans trois mesures de farine,
jusqu'à ce que tout ait levé.
Je voudrais partager avec vous 5 remarques concernant ces deux petites paraboles.
1) Première remarque : le règne de Dieu est comparé à des événements capables de transformer une
situation. C’est essentiel ! Cela signifie que le règne de Dieu n’est pas quelque chose de statique,
une forme de statut quo sacralisé, mais au contraire quelque chose de dynamique. Le règne de Dieu
est un processus de création, de transformation, il se conjugue au futur. Quand il est question du
règne de Dieu, il est question d’un mouvement de devenir.
Et donc, vivre en fonction de ce règne, c’est vivre dans une dynamique de transformation, de
renouvellement, être au bénéfice de quelque chose qui agit en nous pour nous faire grandir et lever,
pour nous conduire vers la plénitude de la vie. Comme la graine qui pousse, comme la pâte qui lève,
le règne de Dieu agit en nous pour que nous prenions de l’ampleur, que nous croissions, que nous
mûrissions. Il ne s’agit pas de rester ce que nous sommes, de nous replier sur nous-mêmes et sur
nos acquis, de reproduire encore et toujours la même chose, il s’agit d’évoluer, d’aller de l’avant, de
nous dépasser en quelque sorte.
2) Et pourtant, cela, nous ne pouvons pas l’accomplir par nous-mêmes, et c’est ma deuxième
remarque : à chaque fois, c’est une intervention extérieure qui permet au processus de commencer.
Un homme qui a pris une graine de moutarde et qui l’a jetée dans le jardin, une femme qui a pris du
levain et qui l’a enfoui dans la farine. Nous sommes comme le jardin et la farine : sans un apport
extérieur, sans un geste accompli par un autre, rien ne pousse, rien ne lève. Le règne de Dieu passe
toujours par l’autre, par ce qui ne vient pas de moi. En ce sens, le règne de Dieu est bien de l’ordre
du don : quelque chose m’est donné, quelqu’un sème quelque chose en moi. Le premier geste à
accomplir pour entrer dans la dynamique du règne, c’est accepter de recevoir.
Ce n’est pas évident, d’accepter de recevoir, car donner est beaucoup plus valorisant ! Si j’ai besoin
de recevoir, c’est que j’ai en moi une pauvreté, un manque. Je ne me suffis pas à moi-même, je suis
fondamentalement incomplet. Ce n’est pas facile à admettre, mais c’est essentiel, et tant que je ne
reconnais pas en moi ce manque, cette incomplétude, cette pauvreté, je suis fermé à toutes les
chances qui peuvent m’être offertes de grandir dans la vie. En réalité, laisser place en soi à ce
manque, c’est laisser place en soi à l’altérité. C’est donc rendre possible le fait qu’il me soit donné
ce qui me permettra de vivre en plénitude.
3) Vivre en plénitude, pourtant, ça n’est pas immédiat, ça demande du temps. C’est ma troisième
remarque : la vie en plénitude, la vie en abondance (manières de traduire ce qu’on appelle
habituellement la « vie éternelle »), ce n’est pas « tout tout de suite ». Justement, grandir, mûrir,
croître grâce à ce qui nous est donné ne signifie pas être comme des enfants gâtés, colériques et
capricieux qui exigent que tout leur tombe tout cuit dès lors qu’ils en expriment le désir. Au
contraire, entrer dans la dynamique du règne de Dieu, c’est entrer dans une durée, dans une histoire,
dans une temporalité.
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Cela implique une bonne dose de patience, de ténacité, de persévérance, de sorte que la graine
tombée dans le jardin prenne racine, se développe petit à petit en arbrisseau aux rameaux fragiles,
puis au fil du temps en arbre plus solide aux branches suffisamment résistantes pour accueillir les
nids d’oiseaux. Idem pour le levain dans la farine : la boulangerie est un art de la patience, la pâte
ne lève qu’après plusieurs phases de pétrissage et de repos. Autrement dit, il y a dans nos vies les
événements, les rencontres, les paroles, les gestes qui déclenchent quelque chose en nous, qui
rendent une histoire possible. Mais encore faut-il s’armer de courage et soutenir l’effort au
quotidien, progressivement, pour que l’histoire ouverte puisse continuer et aboutir à son terme. Le
règne de Dieu n’est pas compatible avec une culture du zapping, de l’instantané, de l’événementiel
à tout bout de champ.
4) Et c’est ma quatrième remarque : il importe de développer une constance dans l’épreuve du
quotidien. La dynamique du règne de Dieu est celle d’une réceptivité à ce qui vient, à ce qui est
donné, mais elle est aussi une attitude de fidélité qui permet l’enracinement, pour que ce qui a été
semé prenne de l’ampleur, de la consistance, du corps. Il est plus important d’être tortue que lièvre,
si vous voulez ! La capacité du règne de Dieu à transformer nos existences, à nous faire grandir et
lever jusqu’à la plénitude de la vie, est aussi une invitation à ne pas céder au découragement quand
nous avons le sentiment que les choses ne vont pas assez vite, ou qu’elles sont arrêtées.
Il y a des périodes, immanquablement, où on a l’impression que ce qui nous avait saisi et émerveillé
autrefois a depuis perdu de son éclat, s’est terni, voire même s’est éteint. Des moments où on se dit
« tout ça paraît si loin, et finalement est-ce que ça valait le coup ? ». C’est dans ces moments-là,
quand on doute et qu’on déchante, qu’il est bon d’avoir à l’esprit que le règne de Dieu agit et
travaille en nous de manière souterraine et secrète. Et ce n’est pas parce qu’on ne le voit pas, parce
qu’on n’en perçoit pas toujours immédiatement les effets, que ce travail a cessé en nous et a été
vain.
5) Et j’en arrive à ma cinquième et dernière remarque : il en va de la nature même du règne de Dieu
de travailler dans nos vies et dans le monde de manière mystérieuse, c’est-à-dire cachée. Ce n’est
d’ailleurs pas un hasard si Luc place dans la bouche de Jésus ces deux paraboles en précisant que la
graine de moutarde a été jetée en terre et que la pincée de levain a été enfouie dans la farine. On a
bien là l’idée de quelque chose qui agit dans l’ombre, de manière invisible, dérobée aux regards…
mais ce n’est pas parce qu’on ne le voit pas, en tout cas pas immédiatement, que ça n’a pas d’effet !
C’est ça qui est étonnant et vivifiant avec le règne de Dieu : tout part de presque rien. Une graine
minuscule, une infime pincée de levure ! Souvent j’entends dire : « Si Dieu en faisait un peu plus, le
monde s’en porterait mieux ». C’est que nous sommes prisonniers de la logique du quantitatif : nous
croyons que ce qui est efficace, c’est le « plus, toujours plus ». Mais la logique du règne est autre :
Dieu n’intervient pas dans des démonstrations grandiloquentes de puissance, il intervient dans le
don d’un presque rien. Mais un presque rien qui peut agir, s’il est reçu en confiance et entretenu
avec fidélité, comme un agent transformateur pour nos vies et pour le monde.
Une graine minuscule, une infime pincée. Une parole risquée, une amitié offerte. Un geste tendre,
une promesse murmurée. Pas grand chose, presque rien ! Mais ça peut faire toute la différence entre
la vie et la mort, entre le malheur et la joie.
Une graine minuscule, une infime pincée. Un Christ crucifié. Ça ne pèse pas bien lourd dans la
balance, c’est vrai. Mais Dieu a choisi de ne pas choisir d’autre chemin que celui de l’amour,
l’amour risqué et offert, pour transformer ma vie, la vôtre, et le monde entier.
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Une graine minuscule, une infime pincée. La seule vraie puissance, celle qui permet de
recommencer, celle qui permet de tenir bon, celle qui permet de persévérer dans l’espérance et de
ne pas plier le genou devant la fatalité. Amen.

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