Les littoraux antillais : des enjeux de l`aménagement à la gestion

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Les littoraux antillais : des enjeux de l`aménagement à la gestion
Les LITTOraUx aNTILLaIs : Des eNJeUx De L’aMéNaGeMeNT à La GesTION DUrabLe
I.
Les milieux littoraux des îles de
la caraïbe
Introduction
L’arc des antilles s’étend sur près de 4 000 kilomètres de cuba à Trinidad. au Nord, cuba, hispaniola, la Jamaïque et Puerto-rico constituent
l’ensemble des Grandes antilles, au sud le chapelet des petites et
moyennes îles forme les Petites antilles. La mer des caraïbes qui mesure
3 000 km de la Martinique au Yucatan et 1 400 km de cuba à Panama est
une mer chaude (26° à 28° celsius le long des côtes) animée par de vigoureux courants de surface. Les canaux qui séparent les îles sont parcourus
de courants venant de l’atlantique, se dirigeant vers l’ouest. cependant,
c’est le courant des Guyanes remontant le long des Petites antilles pour
ressortir par le détroit de floride et former le Gulf stream qui constitue le
phénomène hydrologique majeur.
Mer faussement calme, la caraïbe peut être animée d’épisodes violents qui menacent alors la circulation maritime, les écosystèmes littoraux
et les aménagements côtiers. Plages, cayes, mangroves ou falaises constituent des paysages remarquables à l’équilibre précaire parce que les processus qui les animent sont complexes. Ilets, îles, petites ou grandes,
l’espace y est réduit et les atteintes aux milieux nombreuses. Les îles de la
caraïbe, s’inscrivent aussi dans le système monde et leurs littoraux
n’échappent pas aux menaces qui pèsent sur tous les rivages de la terre :
la remontée du niveau des mers et des océans.
■ Les paysages littoraux insulaires
Les falaises, les récifs coralliens, les mangroves, les plages et leurs
forêts constituent des écosystèmes riches mais peu étendus, rarement
contigus, supports de nombreuses activités. Ils représentent les moyens
naturels de défense des rivages.
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MIcheL Desse & PascaL saffache
Les plages
Les plages constituent un paysage emblématique des îles de la
caraïbe et le support matériel et idéal des activités de tourisme et de loisir, de pêche à la senne. si les grèves de galets et les plages de sable volcanique attirent moins les nouvelles pratiques ludosportives, les unes
parce qu’elles rendent les déplacements difficiles et les autres parce que
les minéraux sombres constituant l’arène ont tendance à surchauffer, obligeant le touriste à la peau sensible à presser le pas pour finalement courir
jusqu’à la mer... Pour certains, la couleur foncée est aussi synonyme de
saleté. au contraire les plages coralliennes ne surchauffent pas, se marient
mieux, selon les goûts, avec le bleu de la mer, cependant la présence de
blocs de corail en trop grand nombre peut gêner les déplacements.
Les plages connaissent un faible marnage et accueillent des biocénoses peu développées comparées aux récifs coralliens ou aux mangroves.
On notera la présence d’insectes, de crabes et d’échassiers (bécasseaux).
Une certaine richesse apparaît quand l’embouchure des rivières est contrariée en période de carême1, entraînant alors la constitution d’un marais
saumâtre vite transformé en frayère attirant de nombreux échassiers
(bécasseaux, butors, aigrettes). La végétation qui colonise le haut de la
plage fait preuve d’adaptation aux différents trophismes littoraux que sont
la présence du vent, du sel, le mouvement du sable, la sécheresse et la chaleur renforcée sur les plages de sable volcanique. De la mer à la terre se
développent des espèces rampantes comme les patates bord de mer (Ipoméa pes-caprae) et le haricot bord de mer (Canavalia maritima), elles
délimitent l’extrême limite du marnage. en arrière du groupement pionnier croît un rideau arbustif qui occupe le haut de plage constitué de mancenilliers (Hippomane mancinella) et de raisiniers bord de mer
(Coccoloba uvifera). Des arbres d’une quinzaine de mètres s’associent à
ces arbustes ; l’amandier pays (Terminalia catappa), le tamarinier (Tamarindus indica), le catalpa (Thespesia populnéa) et bien évidemment le
cocotier (Cocos nucifera) qui peut constituer une espèce monospécifique
quand il a été planté pour être exploité. L’étendue de ces formations
dépend de la topographie et de leur localisation en côte au-vent (plus
humide) ou sous-le-vent (plus sêche).
Les caractéristiques générales
Les plages sont des zones d’accumulation dont les matériaux sont
plus grossiers que les vases. D’une granulométrie variant de 20 microns à
plus de 20 cm, les sédiments des plages2 voient leur forme varier en fonction de l’orientation des vents. Lorsqu’ils soufflent du large, les plages
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Le carême correspond à la période de plus faibles précipitations qui s’étend de
décembre à avril.
20 microns à 200 microns (sables fins), 0,2 mm à 2 mm (sables grossiers), 2 mm
à 20 mm (graviers), 20 mm à 200 mm (galets ou cailloux), plus de 200 mm
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démaigrissent et s’amenuisent progressivement ; lorsqu’ils soufflent de la
terre, ils sont synonymes d’accumulation sédimentaire. La largeur de la
plage évolue toute l’année. Durant l’hivernage plus propice aux dépressions et à la houle, les plages sont étroites. La charge sédimentaire se rétablit durant le carême. D’une manière générale la largeur est souvent
inférieure à 50 mètres et peut parfois se réduire à un liseré de sable sec.
Les plages constituent des espaces tampon qui amortissent les houles
cycloniques quand le système avant-plage, plage et arrière-plage n’est pas
entravé de constructions ou d’enrochements.
La répartition des matériaux ne se fait pas au hasard : les matériaux
les plus grossiers s’accumulent sur la partie la plus haute du cordon littoral – car seules les vagues les plus fortes sont capables de les y déposer –
alors que les matériaux les plus fins, en cours d’attrition, s’accumulent en
bas de plage sur ou à proximité de la zone de déferlement.
Les plages antillaises présentent traditionnellement la morphologie
suivante : l’avant-côte – dont l’inclinaison est plus prononcée sur la côte
sous-le-vent – est sillonnée de rides de courant appelées ripple mark ; le
bas de plage – plus incliné sous le vent qu’il ne l’est au vent – est traversé
de crêtes et de sillons prélittoraux de faible amplitude. ces derniers sont
circonscrits en amont par des gradins de plage d’inclinaison et d’extension
variables. Il est à noter que le bas de plage est parfois fossilisé par des
beach rocks, de plus en plus dégradés en raison d’un piétinement excessif.
ces caractéristiques morphologiques se retrouvent, par exemple, sur
la plage de rifflet (commune de sainte-rose en Guadeloupe), de sainteLuce (à l’ouest du complexe touristique Pierre et Vacances) et de rivièrePilote (anse figuier) en Martinique.
Toutefois, ces caractéristiques ne se retrouvent pas sur toutes les
plages, puisqu’en Martinique de nombreuses plages du sud-est sont extrêmement planes, alors que celles du Nord-Ouest disposent de monticules
sableux vallonnés dont l’origine résulte des modes de déferlement (saffache et al., 2000 [1]).
La longueur des plages est variée, de quelques dizaines de mètres
dans les petites îles au relief tourmenté (Terre-de-haut des saintes, saintbarthélemy, saint-Thomas, îles Vierges), à quelques kilomètres à cayo
coco au centre nord de cuba ou à Punta cana à saint-Domingue. Les
anses sablonneuses présentent des formes très variées. Lorsqu’elles correspondent à une indentation du rivage, elles adoptent un tracé en arc de
cercle qui épouse le substrat rocheux ayant servi d’appui (baie de saintPierre, anse la Perle en Guadeloupe). Parfois, de véritables flèches
sableuses barrent l’entrée d’une baie ou d’une anse, la transformant progressivement en une lagune (Grande-anse de Deshaies en Guadeloupe,
pointe ouest d’anguilla). Dans le sud de la Martinique lors de la remontée flandrienne (10 000 ans b.P.), les sédiments présents sur les surfaces
exondées ont été progressivement refoulés jusqu’au trait de côte actuel où
ils se sont prioritairement fixés sur trois pointes : catherine, Pic et des
salines. La dérive littorale aidant, une régularisation du trait de côte s’est
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MIcheL Desse & PascaL saffache
opérée entraînant le colmatage de l’étang par la longue plage des salines
(saffache, 2000 [4]).
certains cordons sableux sont rattachés à une île. Ils résultent de la
diffraction des houles qui refoulent sur la face protégée de l’île des sédiments qui s’accumulent sous la forme d’un triangle en phase de progradation, formant une queue de comète. De telles accumulations se rencontrent
sur les îlets hardy à la Martinique et baradal (Tobago cays aux Grenadines).
Lorsque ce saillant triangulaire se fixe au continent ou à une île voisine, on parle de tombolo. Qui peut être double, voire triple et renferme
une ou plusieurs lagunes. certains sont complètement exondés comme la
pointe de cacharou à scott head à la Dominique, formé de galets et le
tombolo de salt Whistle bay à Mayreau aux Grenadines qui offre aujourd’hui une longue plage. c’est au niveau du bourg de la commune de
sainte-Marie (Martinique) que l’on trouve l’un des plus beaux tombolos
de l’île ; il supportait jadis un chemin de fer qui servait de voie de desserte
entre le bourg et une sucrerie. bien qu’ayant été fortement érodé au cours
des dernières décennies, ce tombolo permet toujours de se rendre sur l’île
à pied sec lors de la basse mer.
Dans toutes les îles, les plages présentent des profils, des dimensions
qui s’expliquent en partie par les données structurales.
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Les anses sablonneuses à la Martinique
a la Martinique, les anses septentrionales et méridionales sont très
différentes car si les premières offrent un tracé relativement rectiligne, les
secondes sont particulièrement déchiquetées. cela s’explique par la
genèse de l’île (saffache, 2000 [1] ; saffache, 2000 [2]). Le sud de l’île
(presqu’île de sainte-anne) s’est formé avant le Miocène (plus de 23 millions d’années), alors que le nord, plus récent, date de moins de cinq millions d’années. Les processus érosifs n’ont donc pas affecté ces deux
régions de la même manière. L’altitude est aussi un facteur explicatif ; au
nord, les altitudes sont généralement supérieures à 800 m alors qu’au sud
elles excèdent rarement 250 m. ainsi, les montagnes septentrionales se terminent sur la côte par de grands escarpements taillés à pics, remarquables
entre belle-fontaine et le carbet à la Martinique alors que les mornes
méridionaux se fondent dans les échancrures de la côte.
en dépit de cette opposition Nord-sud, il existe aussi une opposition
est-Ouest. au nord de l’île, la longueur moyenne des anses orientales
(344,8 m) est supérieure à celle des anses occidentales (203,1 m). en
outre, côté caraïbe, les anses présentent un profil bosselé, alors que ce dernier est linéaire sur la côte atlantique.
Les différences de longueur, perceptibles entre les côtes est et ouest,
résultent des différentes formes des planèzes de la montagne Pelée (saffache, 2000 [1] ; saffache, 2000 [2]). en effet, côté atlantique, les planèzes
sont très déliées, alors qu’à l’ouest elles sont beaucoup plus rapprochées.