Droit immobilier - Fasken Martineau

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Droit immobilier - Fasken Martineau
Droit immobilier
Février 2004
Fasken Martineau DuMoulin s.r.l.
Câblage intérieur des immeubles multi-locataires : Le CRTC rend une décision enjoignant les
propriétaires immobiliers de donner accès à leurs immeubles à toutes les entreprises de téléphonie
locale
Par Stéphanie Beauregard
Le propriétaire d'un immeuble se considère habituellement comme le maître absolu de sa propriété. Il
s'attend à pouvoir décider unilatéralement de permettre – ou non – à des tiers d'y occuper de l'espace,
quitte à négocier les modalités de cette occupation et à les consigner dans des baux, par exemple. Au
cours des dix dernières années, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes
(CRTC) a rendu plusieurs décisions et avis ayant eu pour effet d'effriter peu à peu le principe du
propriétaire maître chez lui. Dans la décision de Télécom CRTC 2003-451 (la « Décision »), rendue le
30 juin 2003, le CRTC a énoncé des principes et émis des lignes directrices qui accentuent la tendance
déjà amorcée et dont l’effet est d’assujettir encore davantage les propriétaires d’immeubles à locataires
multiples du Canada à certains aspects du régime réglementaire applicable aux télécommunications.
Rappelons que le CRTC (dont les pouvoirs relèvent du champ de compétence fédérale) poursuit,
conformément à la mission qui lui est dévolue par la loi, des objectifs qui se heurtent au droit de
propriété (qui relève de la compétence des provinces) et aux pouvoirs de négociation des propriétaires,
qui en sont le corollaire. Ces objectifs sont, notamment, de favoriser la concurrence dans le domaine des
télécommunications et donc de permettre aux consommateurs de services de télécommunication (i.e. les
« utilisateurs finals », selon les termes employés dans la Décision) de choisir parmi le plus grand nombre
possible de fournisseurs. Afin d'atteindre ces objectifs, le CRTC a cherché à faciliter l’accès, pour les
entreprises de téléphonie locale, aux immeubles à locataires multiples (appelés « Immeubles à
Logements Multiples » ou « ILM » dans la Décision2).
Ainsi, le CRTC a inclus dans sa Décision des « lignes directrices » s’adressant aux propriétaires
immobiliers comme aux entreprises de télécommunication, estimant que « pour aider les ESL
(« Entreprises de Services Locaux ») et les propriétaires d'immeubles à conclure des arrangements
d'accès aux ILM, il convient d'établir des lignes directrices sur les conditions que l'on peut estimer justes
et indiquées dans les circonstances.». Afin de se conformer à la Décision et, plus particulièrement, aux
lignes directrices énoncées par le CRTC relativement à la négociation d'ententes d'accès avec les
Entreprises de Services Locaux, les propriétaires d'immeubles à locataires multiples devront évaluer,
modifier et/ou adapter, selon le cas, leurs pratiques de gestion en ce qui concerne l’accès à leurs
immeubles par les Entreprises de Services Locaux, ce qui pourrait inclure les modalités suivantes :
1.
Recenser et réviser toutes les ententes de télécommunication affectant leurs immeubles à
locataires multiples et concernant des « installations filaires de télécommunication » (la décision
du CRTC ne s'appliquant pas à l'équipement de télécommunication sans fil, comme les
antennes).
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2.
Amender, lorsque nécessaire, les ententes ou clauses d'accès exclusif ou préférentiel, lesquelles
ne sont plus permises, selon la Décision.
3.
Amender, lorsque nécessaire, les termes et conditions de nature financière contenus dans les
ententes de télécommunication, dans le but d’harmoniser ces ententes entre elles et de les rendre
conformes à la Décision. Plus précisément, la Décision stipule notamment :
i)
que les frais facturés par les propriétaires aux Entreprises de Services Locaux doivent être
basés sur le principe de recouvrement des coûts;
ii)
que les frais d’admission ou d'entrée dans un immeuble à locataires multiples ne
« conviennent pas », pour reprendre l’expression du CRTC, qui fait ici preuve d’une
certaine réserve;
iii)
que la valeur des espaces occupés par les Entreprises de Services Locaux dans les
immeubles à locataires multiples devrait être déterminée et facturée aux Entreprises de
Services Locaux de manière à refléter les frais qui auraient pu être facturés pour une autre
utilisation des espaces en question (par exemple : stationnement, entreposage, etc.), en
tenant compte de l’emplacement et de la quantité d’espace occupé par les installations de
télécommunication; et
iv)
que si une Entreprise de Services Locaux ne parvient pas à négocier rapidement des
modalités ou des conditions d'accès raisonnables avec le propriétaire d’un immeuble à
locataires multiples, le CRTC « prendra les mesures appropriées, selon les circonstances
propres à chaque situation » de manière à veiller à ce que toutes les Entreprises de
Services Locaux puissent fournir des services de télécommunication dans un immeuble à
locataires multiples. Le CRTC pourrait notamment permettre à une Entreprise de
Services Locaux « de construire, installer, exploiter ou utiliser des installations de
télécommunication » dans un immeuble à locataires multiples ou « enjoindre à un
propriétaire d’immeuble de fournir des installations de télécommunication » à
l’Entreprise de Services Locaux.
On notera par ailleurs que BOMA Canada3 interprète la Décision comme signifiant que les ESLT
(« Entreprises de Services Locaux Titulaires »), telles que Bell et Telus, devront défrayer les
mêmes coûts que les ESLC (« Entreprises de Services Locaux Concurrentes »). Ceci découle de
plusieurs déclarations faites par le CRTC dans la Décision.
4.
Négocier des ententes avec les Entreprises de Services Locaux Titulaires, telles que Bell et
Telus, ou les modifier, selon le cas. À ce sujet, il est à noter que dans le passé les Entreprises de
Services Locaux Titulaires, qui bénéficiaient d'un monopole sur les services locaux de
téléphonie, ne payaient traditionnellement pas de frais aux propriétaires, ni ne signaient de baux
ou autres ententes en ce qui concerne le câblage des immeubles et l'utilisation de locaux pour
leurs équipements. Ces locaux étaient parfois simplement identifiés sur les plans des immeubles
sous des vocables tels que « salle Bell », sans plus.
5.
Consulter les sites Web des Entreprises de Services Locaux, car celles-ci doivent publier leurs
ententes d'accès aux immeubles à locataires multiples, incluant les frais exigibles en vertu de ces
ententes (mais non les plans d’immeubles, les schémas de câblage, ou de l’information
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identifiant un utilisateur final). La compilation des données apparaissant sur ces sites Web
permettra aux propriétaires d'immeubles à locataires multiples de fixer des termes et conditions
et des frais qui soient « équitables, raisonnables et non discriminatoires », pour reprendre
certaines des expressions utilisées par le CRTC dans la Décision. Il est à noter que le CRTC a
émis des ordonnances particulières concernant les immeubles à locataires multiples en
construction, dont le but est de s’assurer que toutes les Entreprises de Services Locaux aient la
même possibilité de mettre en place des installations de télécommunication à l’étape de la
construction d’un immeuble à locataires multiples.
6.
Au besoin, élaborer une entente d’accès type selon les lignes directrices énoncées par le CRTC.
Cet article ne présente qu’un bref aperçu des conséquences de la Décision pour les Entreprises de
Services Locaux et les propriétaires d’immeubles à locataires multiples, celle-ci abordant en outre
plusieurs autres questions, dont nous ne traitons pas ici, dont, notamment :
*
l’accès par « lignes dégroupées louées »;
*
les frais d’utilisation du câblage d’immeubles relevant de la responsabilité et du contrôle
des Entreprises de Services Locaux; et
*
la possibilité pour les propriétaires immobiliers, nonobstant certaines décisions
antérieures du CRTC, de choisir d’assumer la responsabilité et le contrôle du câblage
d’immeubles dans les nouveaux immeubles à locataires multiples ou de conclure un
arrangement avec des Entreprises de Services Locaux concernant l’installation, la
responsabilité et le contrôle du câblage d’immeubles.
De plus, il est à noter que des associations représentant les propriétaires immobiliers (soit BOMA
Canada et CIPPREC4) ont obtenu la permission de porter la Décision en appel devant la Cour d’appel
fédérale. Cet appel vise à déterminer si, en vertu de sa compétence statutaire, le CRTC peut exercer un
contrôle réglementaire direct sur les propriétaires immobiliers en rendant des ordonnances
contraignantes pour ceux-ci (dont le paragraphe 3(iv) ci-haut est une illustration).
Stéphanie Beauregard pratique le droit immobilier. Elle se spécialise dans les domaines de la location, de la
vente et de l'achat de propriétés commerciales, après avoir tout d'abord œuvré en litige, dans les domaines de la
construction et de la responsabilité civile des architectes et ingénieurs. Elle a également été responsable de la
négociation des baux de nombreux immeubles au Québec et en Ontario dont, principalement, la Place VilleMarie, à Montréal. Elle a d’autre part été impliquée dans la vente de portefeuilles immobiliers.
On peut communiquer avec Stéphanie Beauregard au 514 397 7465 ou à l’adresse suivante :
[email protected]
____________________________________
1.
2.
Décision
de
Télécom
CRTC
2003-45,
30
juin
2003,
Référence
8644-C12-03/00.
http://www.crtc.gc.ca/archive/FRN/Decisions/2003/dt2003-45.pdf
Malgré l’emploi du mot « Logements », les immeubles visés par la Décision comprennent tant les immeubles
résidentiels que les immeubles commerciaux (i.e., notamment, les immeubles de bureaux, les immeubles à vocation
industrielle et ceux abritant des commerces de vente au détail).
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3.
4.
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BOMA : Building Owners and Managers Association. http://www.bomacanada.org/
CIPPREC : Canadian Institute of Public and Private Real Estate Companies / L’Institut Canadien des Compagnies
Immobilières Publiques et Privées. http://www.ciprec.ca/