Un troublant garde du corps

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Un troublant garde du corps
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— Je vais très bien, répéta Elsa pour la centième fois depuis
quarante-cinq minutes. Je n’irai pas à l’hôpital. Je suis juste
un peu secouée, c’est tout.
Assis auprès d’elle sur le canapé en cuir de son bureau,
Troy regarda ostensiblement ses bas déchirés.
— Va au moins te passer de l’eau sur les genoux. Tu t’es
brûlée en tombant.
Malgré la situation, Elsa ne put s’empêcher de sourire.
— Je n’aurais jamais pensé que tu prendrais soin de moi
comme ça un jour. Je t’assure, tu es presque maternel.
— Je sais être attentionné, quand je veux. Pourquoi ne
pas suivre mon conseil ? insista-t-il en montrant la porte des
toilettes. Ah oui, et autant te le dire tout de suite, tant que tu
peux encore me crier dessus…
— Qu’est-ce que tu as fait ?
Avant qu’il ait eu le temps de répondre, le Dr Lurleen Patton
surgit dans la pièce, un mug à la main.
— Je t’ai préparé un thé maison, annonça-t-elle en s’asseyant
à côté d’Elsa.
De prime abord, personne n’aurait pu deviner que Lurleen
était psychiatre ; il n’y avait rien de professoral chez elle. A
trente-huit ans, l’animatrice de l’émission de fin de soirée
Parlez-en au Dr Patton ressemblait à un top model. Grande,
mince et glamour, Leenie avait de longs cheveux blond vénitien
et des yeux d’un bleu éclatant. Bref, elle avait tout pour elle :
la beauté, l’intelligence, un caractère enjoué.
— Merci, répondit Elsa en sirotant une gorgée du thé
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délicieux que son amie lui avait concocté. Alors, tu me dis
ce que tu as fait ? demanda-t-elle à son frère.
— Je, euh… J’ai appelé Grace Tyree pour lui dire ce qui
s’était passé.
— Bon sang, Troy, pourquoi…
— Parce qu’elle dirige la WJMM et qu’en plus d’être ta chef,
elle est aussi ton amie. Il fallait qu’elle sache que les choses
n’en sont pas restées à de simples lettres de menaces et coups
de fil anonymes. Enfin, Elsa, quelqu’un a essayé de te tuer !
— Troy a raison, intervint Lurleen. Ma chérie, tu ne peux
plus gérer ça toute seule. Quelqu’un t’en veut, et tu n’as aucune
idée de qui c’est.
Elle jeta un coup d’œil vers la porte, comme pour s’assurer
que personne n’écoutait.
— Le chef Fleming ne peut pas faire grand-chose pour te
protéger, poursuivit-elle. Tu as besoin d’un garde du corps à
plein temps. Et c’est à Grace de t’en fournir un. Après tout, c’est
elle qui t’a donné le feu vert pour mettre toutes les ressources
de la WJMM au profit des Bons Samaritains de Maysville.
— Je sais que vous avez raison, admit Elsa.
Elle détestait reconnaître qu’elle avait besoin d’aide, s’étant
toujours fait un devoir de ne reposer sur personne, quoi qu’il
arrive. Elle était fière de son autonomie et de son indépendance.
Mais il fallait dire qu’en grandissant, elle avait souffert des
nombreuses désertions de ses parents. Lorsqu’on a besoin de
quelqu’un, on devient vulnérable…
— Jed Tyree va contacter son ancien chef, expliqua Troy.
Grace m’a dit de te dire qu’un agent Dundee serait là demain
matin.
— C’est quoi, un agent Dundee ? s’enquit Leenie.
— Un garde du corps privé, répondit Elsa.
Leenie écarquilla les yeux, bouche bée.
— Oh ! mais c’est intéressant, ça ! s’exclama-t-elle. Un
homme grand et fort rien que pour toi. Chérie, ça vaut presque
le coup d’avoir failli se faire tuer…
— Tais-toi, Leenie !
Elsa voulut bondir du canapé, mais elle était plus mal en
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point qu’elle ne le pensait. Avec une grimace de douleur, elle
se leva précautionneusement et se tourna vers Lurleen.
— Excuse-moi, je ne voulais pas te crier dessus comme
ça. Mais franchement, tu me fais parfois plus penser à une
adolescente obsédée par les mecs qu’à un brillant docteur en
psychiatrie !
— Aimer les hommes n’est pas incompatible avec l’intelligence, se défendit Lurleen en lançant un clin d’œil à Troy.
Celui-ci s’éclaircit la gorge et se garda bien de croiser le
regard d’Elsa.
— Si vous voulez tout savoir, je ne déteste pas les hommes,
bougonna celle-ci en se dirigeant vers les toilettes.
— Oh non, chérie, tu ne détestes pas les hommes. C’est
juste que tu les coupes dans leur élan dès l’instant où ils
s’approchent de toi. Un jour, quand tu admettras que tu as un
problème, on pourra peut-être discuter des raisons qui font
que tu ne fais pas confiance aux hommes.
— Ce n’est pas le moment de parler de mes complexes,
rétorqua Elsa avant de s’enfermer dans les toilettes.
Tandis qu’elle quittait ses chaussures à talons et ses bas
tout déchirés, elle tenta de mettre de l’ordre dans ses pensées.
Avant tout, il fallait qu’elle se fasse à l’idée que quelqu’un avait
essayé de la tuer ce soir. Lorsqu’elle avait reçu les premières
menaces par téléphone, elle ne s’était pas inquiétée, croyant
à une mauvaise blague. Après le second coup de fil, qui avait
été suivi d’une lettre lui conseillant de ne pas s’occuper de ce
qui se passait à Honey Town, elle s’était demandé qui pouvait
en être l’auteur. La réponse paraissait évidente : quelqu’un qui
aurait beaucoup à perdre si le crime était éradiqué. Un dealer,
un proxénète, un chef de bande…
Elsa jeta ses bas noirs à la poubelle, prit plusieurs feuilles
de papier et les humidifia pour nettoyer ses genoux écorchés.
L’eau froide apaisa vite ses brûlures.
En relevant les yeux, elle croisa son image dans le miroir et
sursauta. Elle ressemblait à un clown, avec tout ce maquillage.
Elle retira bien vite son rouge à lèvres et son fard à joues avec
un coton humide, puis essuya l’ombre à paupières mauve et
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l’eye-liner. C’est beaucoup mieux ainsi, songea-t-elle. Il ne
lui restait plus qu’à se débarrasser de cette robe tape-à-l’œil.
Elle gardait toujours des vêtements de rechange au bureau,
où il lui arrivait fréquemment de passer la nuit. Les stations
de télé et de radio de la WJMM étaient devenues ses bébés :
elle s’était donné du mal pour les sortir de la crise financière,
lorsque Grace l’avait placée à la direction. Aujourd’hui, l’audimat
était au plus haut, les sponsors réclamaient toujours davantage de spots publicitaires, les bénéfices montaient en flèche.
Même les notables de la petite ville chantaient les louanges
de la WJMM, grâce à l’implication d’Elsa au sein des BSM.
Quand elle se fut débarrassée de sa robe de satin, Elsa
enfila un jean et un gros pull de laine, puis sortit une paire
de chaussettes et ses tennis du placard. Sans accorder un seul
regard à son frère et à son amie, elle marcha tout droit jusqu’à
son bureau, s’assit dans son fauteuil et composa un numéro
sur son téléphone.
— Résidence de M. et Mme Tyree, répondit un homme.
Elsa reconnut la voix du majordome.
— Oui, Nolan, c’est Elsa Leone. Pourrais-je parler à Grace,
s’il vous plaît ?
— Bien sûr, mademoiselle. Si je puis me permettre, nous
espérons sincèrement que vous allez bien.
— Tout va bien, Nolan, merci.
En attendant que Grace prenne le téléphone, Elsa se tourna
vers Troy et Leenie.
— Je vais demander à Grace d’embaucher un ou deux autres
agents Dundee pour nous aider à enquêter sur les personnes
susceptibles de vouloir du mal aux BSM.
— Bien vu, sœurette. Tu ne peux pas arrêter ce type si tu
ne sais pas qui il est.
— Ces agents Dundee regorgent de talents, si je comprends
bien, soupira Leenie. A la fois gardes du corps et enquêteurs…
— Tu sais ce qu’il te faut, Leenie ? Un nouvel homme.
Depuis combien de temps es-tu séparée de Pete ? Cinq mois ?
— Six, mais ça n’a jamais été bien sérieux. Tu as raison.
Si j’avais quelqu’un dans ma vie, j’arrêterais de fantasmer sur
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tes beaux gardes du corps. J’ai vraiment besoin d’un homme
dans mon lit, et très vite.
— Leenie ! gronda Elsa en lançant un regard vers Troy.
— Oh ! ouvre les yeux, ma chérie ! Ton petit frère en connaît
bien plus que toi en matière de sexe.
Ne rougis pas, s’ordonna Elsa, qui ne sut quoi répondre.
— Et comme tu me conseilles de trouver un amoureux,
reprit Leenie, moi je te recommande de décrocher au moins
un rendez-vous avec un homme.
— Puisqu’on en parle, vous serez peut-être contents
d’apprendre que justement, j’ai un rendez-vous vendredi soir,
répliqua Elsa avec un regard triomphant.
— Tu plaisantes ? dit Troy.
— Qui est l’heureux élu ? demanda Lurleen.
— Harry Colburn.
Lurleen poussa un sifflement admiratif.
— Eh bien, quand tu te décides, tu ne fais pas semblant !
Harry Colburn, rien que ça. Mais tu ferais mieux de te méfier.
On dit qu’il sait s’y prendre avec les femmes.
— Qu’il essaye de profiter de ma sœur…, commença Troy.
— Chut ! fit Elsa en entendant la voix de Grace à l’autre
bout du fil.
— Elsa ?
— Bonsoir, Grace, désolée de te déranger…
— Est-ce que tu vas bien ? Troy m’a dit que tu n’avais pas
été blessée, seulement terrorisée. Jed a déjà appelé Sawyer
McNamara, son ancien patron de l’agence Dundee. Il a décidé
de retirer Rafe Devlin de sa mission actuelle pour l’envoyer à
Maysville. Jed pense que Rafe est l’agent idéal pour ce boulot :
déjà, tu le connais, et en plus il a été détective pendant plusieurs
années au sein de la police de Knoxville.
Le mari de Grace avait choisi Rafe Devlin ? Ne panique
pas ! s’exhorta Elsa. D’accord, elle n’arrivait pas à oublier
leur brève rencontre un an plus tôt, lorsqu’il était venu à son
secours alors qu’elle tentait de tirer son frère de sa mauvaise
passe. Mais cela ne signifiait pas qu’elle devait le considérer
comme son sauveur, même si c’était ce qu’elle avait pensé à
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l’époque. Et qui sait, peut-être qu’elle ne réagirait plus aussi
follement à son charme…
Elle avait un rendez-vous avec Harry Colburn vendredi soir
et comptait bien le maintenir. Harry était un très bon parti.
Il était beau, raffiné et riche. Et sans danger — avec lui, elle
n’avait pas peur de perdre ses moyens. Rafe ne faisait pas le
poids face à Harry. Certes, il possédait un charme très viril,
mais il n’était ni raffiné ni riche, et le simple fait de le regarder
la mettait dans tous ses états. Si jamais il l’embrassait… Non,
n’y pense même pas ! s’ordonna-t-elle.
— Elsa ? Tu es toujours là ?
— Oui, excuse-moi, Grace, je réfléchissais. En fait, tu m’as
prise de court, j’appelais justement pour te demander s’il était
possible d’engager des enquêteurs, en plus d’un garde du corps.
— Sawyer forme une équipe en ce moment même. Ils viendront à Maysville demain à bord du jet de l’agence Dundee.
Je te rappelle demain matin pour te dire à quelle heure ils
arriveront.
— D’accord. Merci beaucoup, Grace.
— Au fait, j’ai demandé au chef Fleming de te prévoir une
protection policière, le temps que les agents arrivent. Il m’a
promis qu’il ferait tout son possible pour assurer ta sécurité.
On dirait que tu es devenue un élément indispensable pour la
police de Maysville.
— Très bien. Je ferai de mon mieux pour que cette histoire
n’affecte en rien l’audimat de la WJMM.
— Je crois plutôt que le contraire se produira, répondit
Grace. Si tu expliques ce qui t’arrive et pourquoi…
— Tu veux que je me serve de ces menaces pour faire de
la publicité ?
— Je ne suis pas cynique à ce point, Elsa. Mais les citoyens
de Maysville doivent connaître les faits, et les menaces dont
tu as fait l’objet les intéresseront. Crois-moi, si je n’étais pas
certaine que les agents Dundee sont en mesure de te protéger,
je te conseillerais de quitter la ville immédiatement.
— Tu ne me le demanderais pas, parce que tu sais très bien
que je ne partirais pas. Je me battrai jusqu’au bout.
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— Oui, je sais. C’est bien pour ça que je t’ai engagée.
Bon, je veux que tu me tiennes au courant tous les jours. Et si
jamais tu sens que tu ne peux plus continuer, je comprendrai.
Dès qu’elle eut raccroché, Elsa se tourna vers Troy et Lurleen.
— Tout est réglé, leur dit-elle. La police me protègera cette
nuit, et demain une équipe de l’agence Dundee prendra le relais.
— Dis donc, Rafe Devlin ne ferait pas partie du groupe,
par hasard ? demanda Troy.
— Eh bien si, Jed a tenu à ce qu’il soit de la partie.
— Qui est Rafe Devlin ? s’enquit Lurleen.
— C’est un type bien, répondit Troy. Il a sauvé la vie d’Elsa
l’an dernier et m’a aidé, moi aussi. Ça va être chouette de le
revoir, n’est-ce pas, sœurette ?
— Oui, certainement.
— Voilà un gars pour toi, continua Troy. Un type qui a
les pieds sur terre. Harry Colburn n’a pour lui que sa belle
gueule, son arrogance et ses tonnes de fric.
— Harry n’est pas comme ça, se défendit Elsa.
— Est-ce que tu as eu une relation… personnelle avec ce
Devlin ? s’enquit Lurleen.
— Ça ne te concerne pas. Mais si tu veux vraiment tout
savoir, non.
— Mais il était intéressé, ça, c’est sûr, observa Troy.
— Il ne s’intéressait pas personnellement à moi. Il a fait
son travail, c’est tout.
— Bien sûr, si tu le dis.
— Je le dis, insista Elsa avant de se tourner vers Lurleen.
Et je n’ai pas envie que tu fasses courir des rumeurs sur
M. Devlin et moi. Suis-je claire ?
— Très claire, marmonna Lurleen.
Bien, songea Elsa. Il était hors de question que quelqu’un
imagine autre chose entre Rafe et elle qu’une relation purement
professionnelle. Il ne venait ici que pour la protéger.
Et si, en le voyant, ces maudits papillons se remettaient à
voleter dans son ventre, elle trouverait un moyen de les arrêter
ou de les ignorer.
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— Elle pense que je voulais la tuer, dit l’homme. C’est ce
que vous vouliez, n’est-ce pas ?
— Oui, pour l’instant.
— Quand vous voudrez que je finisse le boulot, prévenezmoi. Le camion que j’ai utilisé est en ce moment à l’arrière
d’un trente-cinq tonnes qui roule vers le nord. On ne le
retrouvera jamais.
— Je n’aurai pas besoin de vous dans les jours qui viennent.
Je n’ai pas l’intention de précipiter les choses avec Elsa Leone.
Elle a besoin de temps pour réaliser ce qui s’est passé ce soir.
Mais je veux maintenir la pression, rien de mortel, juste pour
lui faire peur.
— Ça ne me regarde pas, et c’est vous le patron, mais si
elle pose vraiment problème, pourquoi ne pas vous débarrasser
d’elle une fois pour toutes ?
Pourquoi, en effet ? Il s’était souvent posé la question ces
dernières semaines. Etait-ce simplement parce qu’il trouvait
Elsa Leone intéressante, et même fascinante ? Ou parce qu’il
avait envie de coucher avec elle ?
— Disons que j’ai mes raisons. Et comme vous l’avez dit,
c’est moi le patron.
Sur ces bonnes paroles, il raccrocha, éteignit la lumière
et sortit de la pièce. Au loin, les cloches sonnaient les douze
coups de minuit. Demain, il appellerait Elsa pour prendre de
ses nouvelles ; peut-être même qu’il passerait la voir. Il fallait
lui faire croire qu’elle pouvait compter sur lui, qu’elle pouvait
lui faire confiance.
Rafe Devlin jura entre ses dents en montant dans le jet de
l’agence Dundee. Il était contrarié d’avoir été arraché à sa
mission tranquille à Las Vegas — laquelle consistait à assurer
la protection d’un multimillionnaire. Rafe et Vic Noble s’étaient
partagé le travail sur vingt-quatre heures, six heures chacun à
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tour de rôle, ce qui leur avait permis à la fois de rester reposés
et vigilants, et de profiter de la ville du vice.
Sawyer ne l’avait même pas informé lui-même ; c’était son
assistante, Daisy Holbrook, qui s’en était chargée. D’après
elle, Sawyer s’apprêtait à envoyer un autre agent à Maysville,
mais Jed Tyree lui avait demandé une faveur : que Rafe soit
à la tête de l’équipe.
— Rappelle-moi de remercier Jed personnellement, avait
dit Rafe à Daisy sur un ton plein de sarcasme.
— Frank et Kate te serviront de renforts et d’enquêteurs.
Ils seront dans le jet et te brieferont pendant le trajet jusqu’à
Maysville.
L’avion de l’agence était luxueux et à la pointe de la technologie. Impressionnant pour beaucoup de gens, mais pas
pour Rafe. Très peu de personnes savaient qu’il était né avec
une cuiller en argent dans la bouche, en tant que petit-fils
d’un riche entrepreneur de Knoxville. Son père avait fait
fructifier l’argent familial jusqu’à sa mort prématurée à l’âge
de quarante-deux ans. Les parents de Rafe avaient été tués
dans un accident de la route alors qu’il avait quatorze ans. A
l’époque, il n’était qu’un enfant gâté, toujours à la recherche
des ennuis. Sa sœur aînée, Cassandra — Sandy pour ceux qui
la connaissaient et l’aimaient — avait fait de son mieux pour
s’occuper de lui, mais il lui avait donné bien du fil à retordre.
Il était tombé dans la drogue à quinze ans et s’était frotté aux
mauvaises personnes, faisant de la vie de sa grande sœur un
véritable enfer.
Hormis Sawyer et le grand chef lui-même, Sam Dundee,
personne au sein de l’agence ne connaissait tous ces détails
du passé de Rafe. Pour les autres agents, il était simplement
un ancien flic de Knoxville qui avait pris sa retraite plus tôt
que prévu.
— Bienvenue à bord, lui lança Kate Malone en lui tendant
une tasse de café.
Rafe la salua à son tour, prit la tasse et s’installa dans l’un
des fauteuils en cuir. Il sirota lentement son café, parfait
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comme d’habitude. Noir, avec un sucre. Kate n’oubliait jamais
comment ses collègues aimaient leurs boissons.
Elle s’assit en face de lui et ouvrit la mallette qu’elle avait
posée sur ses genoux.
— Frank est dans le cockpit avec le pilote et le copilote.
Il nous rejoindra bientôt.
Rafe acquiesça. Katherine Malone était une belle femme.
Musclée, blonde, séduisante. Il ne la connaissait pas très bien,
mais ce qu’il savait d’elle lui plaisait.
— Je ne sais pas ce que Daisy t’a dit…
— Pas grand-chose.
— Bien. Est-ce que tu te souviens d’Elsa Leone, l’assistante
de Grace Tyree ?
Kate aurait aussi bien pu lui demander s’il se souvenait
de son propre nom. Bien sûr, qu’il se souvenait de la timide
Elsa aux yeux noirs, Elsa la courageuse qui avait risqué sa
vie pour aider son frère.
— Oui, je me souviens d’elle. Pourquoi ?
— Ta mission est de lui servir de garde du corps. Frank
et moi t’accompagnons en tant qu’enquêteurs.
Rafe termina son café puis posa la tasse sur la petite table
placée à sa droite.
— Pourquoi Elsa Leone a-t-elle besoin d’un garde du corps ?
— Quelqu’un a essayé de la tuer hier soir.
Rafe sentit son estomac se contracter. Un sentiment puissant, primitif, prit naissance au fond de lui à l’idée qu’Elsa
avait été agressée.
— On a une idée de qui ça peut être ? demanda-t-il.
— Pas vraiment. Elsa est responsable des chaînes de télévision
et de radio de la WJMM à Maysville, dans le Mississippi. Elle
est là-bas depuis un peu plus de huit mois, et déjà l’audimat a
explosé. Elle a lancé une guerre ouverte contre la criminalité
dans un quartier de la ville appelé Honey Town — dealers,
proxénètes, immeubles délabrés… Tu vois ce que je veux dire.
Oui, il voyait tout à fait. Il y avait de l’argent en jeu, beaucoup d’argent, de l’argent sale. La belle Elsa avait mis le doigt
là où il ne fallait pas.
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— Combien d’avertissements a-t-elle reçus avant qu’on
essaye de la tuer ?
— Plusieurs. Des coups de téléphone, des lettres anonymes.
Mais hier soir, quelqu’un au volant d’un camion a essayé de
l’écraser sur le parking de la WJMM, en fonçant sur elle alors
qu’elle était en train d’ouvrir la porte. Elle a failli y passer.
C’est en voyant l’expression étonnée de Kate que Rafe
s’aperçut qu’il venait de grogner tout haut. Il lui fit un grand
sourire, espérant couper court à sa curiosité. Peine perdue.
— Est-ce que Jed est au courant ? demanda-t-elle.
— De quoi ?
— De tes sentiments pour Elsa Leone.
— Je ne vois vraiment pas de quoi tu parles. Cette femme,
je la connais à peine. On a dû se croiser trois fois à l’époque
où notre équipe travaillait avec Jed à St Camille, l’an dernier.
— Hum. Apparemment, ça a suffi pour te laisser une forte
impression.
— Tu es folle si tu crois que…
— Je crois que ta vie privée ne me regarde pas, le coupa
Kate.
— Elsa Leone ne fait pas partie de ma vie privée. Je me
souviens à peine d’elle.
— Plus tu protestes, plus je suis persuadée que tu es tombé
amoureux de Mlle Leone, et que cela te gêne.
— Tu te trompes, répliqua-t-il avec impatience. Oublie
ça, tu veux ?
Il tendit la main pour qu’elle lui remette les dossiers de la
mission.
— Je voudrais avoir le temps de parcourir ces papiers
pendant le trajet.
— Il y a beaucoup d’informations sur Elsa Leone dans ces
dossiers, prévint-elle. Des renseignements très personnels.
Rafe lui lança un de ses regards noirs qui auraient fait trembler
n’importe quel type, mais Kate ne cilla pas. Avant qu’il ait eu
le temps de penser à une réplique, Frank Latimer — grand,
mince, l’air d’avoir dormi dans ses vêtements — émergea du
cockpit.
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— Nous décollerons pour le Mississippi dans une vingtaine
de minutes, annonça-t-il en s’asseyant à côté de Kate. Alors,
tu lui as dit qui est notre cliente ?
Kate acquiesça.
— Dommage que tu aies dû abandonner une mission aussi
confortable, mais je crois que Jed savait que tu tiendrais à
t’occuper d’Elsa Leone personnellement.
Kate éclata de rire, ce qui lui valut un autre regard assassin
de la part de Rafe.
Cette mission risquait d’être délicate, et ce à plus d’un titre.