telerama sortir mars 2012 L`opéra en mode jeu vidéo (72)
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telerama sortir mars 2012 L`opéra en mode jeu vidéo (72)
Télérama Sortir 14 mars 2012 L'opéra en mode jeu vidéo Transfigurée par le plasticien Nicolas Buffe, l'oeuvre de Haydn s'offre une nouvelle jeunesse, vaisseau spatial et lasers inclus. Décors, acte 2, scène 2 - © Maquette Nicolas Buffe Des “oh !” et des “ah !”… En découvrant Orlando paladino, la nouvelle production du Théâtre du Châtelet, les spectateurs ne pourront pas cacher leur surprise. Tour majestueuse comme sortie d'un conte japonais, mer démontée façon Fellini et Cinecittà, vaisseau spatial, duels au sabre laser, monstres surgis des abysses, acteurs transformés en superhéros aux couleurs pétantes : cette version de l'opéra que Haydn a composé en 1782 télescope les époques et les genres pour susciter des émotions visuelles. “Plus qu'une renaissance, c'est une transfiguration”, déclare Jean-Luc Choplin, le directeur du théâtre. En montant cette oeuvre peu connue, adaptée du Roland furieux de l'Arioste, il voulait faire du “grand spectacle”. Fidèle à son credo, cet administrateur atypique s'est employé, une fois encore, à “rendre la culture accessible et populaire”. Pour cela, il a confié toute la scénographie, les décors, les costumes et même l'affiche, à un jeune plasticien, Nicolas Buffe. Installé à Tokyo depuis quelques années, ce trentenaire a développé un style unique, hybride, qui mélange allègrement les Anciens et les Modernes, la Renaissance italienne et les jeux vidéo. Ce petit Français aux airs de mousquetaire s'est fait connaître en composant des fresques monumentales à la craie ou en montant d'imposantes constructions en carton peint et découpé, toujours en noir et blanc. Inspiré par les “grotesques”, ces peintures ornementales qui couvraient les murs des villas antiques et ont beaucoup influencé les peintres du XVIe siècle, Buffe en maîtrise aussi parfaitement la technique. Mais dans ces inextricables entrelacs, dans cette jungle d'arabesques et de fioritures, l'enfant des années 80 glisse son propre panthéon : Popeye, Mario, Mickey, Goldorak, Pacman, Gaston Lagaffe et tant d'autres. “Je dessine des grotesques que les gens du début du XXIe siècle peuvent comprendre”, dit-il. Avec Orlando paladino, un opéra déjà considéré à son époque comme déjanté, grand roman d'aventures et vrai film hollywoodien où les duos d'amour d'Angelica et de Medoro cèdent souvent le pas à l'action, aux combats et aux rodomontades, Nicolas Buffe s'en est donné à coeur joie. Pour cette histoire tout-terrain qui se déroule en forêt, sur la mer, aux enfers ou dans les grottes enchantées de la magicienne Alcina, ce fils caché de Raphaël et de Tex Avery a imaginé des décors époustouflants, empruntés aussi bien au théâtre baroque qu'à Star Wars. Sans oublier d'incroyables tenues de scène tirées de l'univers du manga et des Power Rangers, qu'il a fallu parfois adapter aux besoins des acteurs. “Je ne suis ni musicien ni costumier. J'ai seulement appris que, pour chanter, le thorax et les oreilles devaient être dégagés et surtout que le port d'un casque n'était pas idéal.” Décors, acte 2, scène 4 - © Maquette Nicolas Buffe Dans les soupentes voisines du Théâtre de la Ville, les répétitions battent leur plein. Une douzaine de danseurs et les neuf chanteurs s'ébattent sur ce qui ressemble plus à un terrain de basket qu'à une scène de théâtre. Au sol, un ensemble de bandes de couleur figure l'emplacement des futurs décors. Malgré la complexité vocale de cet opéra où les personnages se coupent souvent la parole et se répondent du tac au tac, la troupe donne l'impression de s'amuser. La musique subtile et pétillante de Haydn n'est pas étrangère à l'agréable légèreté qui flotte dans l'air. Kamel Ouali apprécie. Fort d'une première expérience dans l'opéra avec Pastorale, de Gérard Pesson, le transfuge de la Star academy a accepté de se charger de la mise en scène et de la chorégraphie. “Il y a beaucoup d'allées et venues, de déplacements,explique-t-il. Les personnages sont attachants, mais un peu dingues ; Orlando, lui, est totalement fou. Cela donne au final une écriture assez moderne. Je n'ai eu aucun mal à mettre ma patte urbaine. Il y a même deux ‘street dancers' dans la troupe.” A grandes enjambées, Jean-Christophe Spinosi traverse la salle de répétitions. Débordé mais souriant, le chef d'orchestre est venu voir où en sont les chanteurs. Alors qu'il disserte sur la beauté d'Orlando, trop vite éclipsé par les opéras de Mozart, il s'interrompt pour rectifier le tempo ou expliquer aux danseurs la “théorie des dominos” : un petit décalage sur scène et c'est l'orchestre tout entier qui tangue ! Sa rigueur, pourtant, s'accommode bien des extravagances de Nicolas Buffe. Il n'hésite pas, d'ailleurs, à intégrer les siennes. Certains thèmes de jeux vidéo seront ainsi “ajoutés” à la partition originale. Est-ce Mozart qu'on assassine ? “Non, c'est Haydn que l'on violente, mais c'est pour son bien, plaisante le musicien. C'est juste un clin d'oeil, mais je ne vois pas pourquoi on se l'interdirait. Nous cherchons à rendre de nouveau contemporain un opéra qui l'était lorsqu'il a été créé. Pour faire revivre Orlando, et espérer toucher un public plus large que le petit cercle habituel, il faut trouver des références et des résonances actuelles, réduire la durée, dépoussiérer et prendre quelques risques. En dépit des apparences, dans cette mise en scène, rien n'est gratuit.” De fait, pendant plus d'un an, Nicolas Buffe a joué les rats de bibliothèque. Le choix des accessoires, la couleur des costumes, les signes sur les armures, les surnoms : tout a un rapport précis avec l'oeuvre originale ! Un rébus fascinant qu'il n'est pas besoin de résoudre pour apprécier, mais qui en dit long sur l'esprit du projet. “Les artistes de la Renaissance pratiquaient le serio ludere (le jeu sérieux), préciset-il. Ils pensaient, comme Montaigne, que le savoir sous sa forme la plus stricte est inintéressant et que c'est en s'amusant que l'esprit est le plus vif. Ils ont alors inventé des tas de stratagèmes, d'énigmes, de doubles sens… Aujourd'hui encore, il n'y a rien de mieux que le jeu pour stimuler le spectateur et l'amener à se poser des questions. Mais ça nécessite beaucoup de préparation, de rigueur, et mieux vaut avancer masqué. Il n'est pas si facile de mettre une moustache à Haydn.” Stéphane Jarno | 17 mars 2012 - Télérama Sortir n°3244