Québec solidaire desservirait la cause de l

Transcription

Québec solidaire desservirait la cause de l
Québec solidaire desservirait la cause de
l’indépendance en menottant l’Assemblée
constituante avec un mandat prédéterminé
par Paul Cliche
Ainsi, le prochain congrès de Québec solidaire réexaminera la nature du
mandat confié à l’Assemblée constituante, l’instrument que le parti s’est
engagé à mettre sur pied une fois au pouvoir pour permettre au peuple
québécois d’exercer sa souveraineté en décidant de son avenir politique
et constitutionnel ainsi qu’en fixant les règles qui régiront son nouvel
État.
Comme je m’intéresse à cette question depuis la campagne électorale de
Mercier en 2001 où j’ai été candidat de la gauche unie, permettez-moi
d’intervenir dans un débat qui se corse de plus en plus au sein du parti.
Pour l’éclairer je crois qu’il est opportun de commencer par un rappel du
contenu du programme actuel et de la Déclaration de principes que
Québec solidaire a adopté lors de son congrès de fondation.
C’est à son congrès de novembre 2009 que Québec solidaire s’est engagé
à lancer une démarche menant à un référendum sur l’indépendance du
Québec par le biais de la tenue d’une Assemblée constituante. Le
programme statue que cette dernière, créée par une loi de l’Assemblée
nationale, «aura la responsabilité de mener un vaste exercice de
démocratie participative visant à consulter la population du Québec sur
son avenir politique et constitutionnel, de même que sur les valeurs et les
institutions politiques qui y sont rattachés. En fonction des résultats de
cette démarche –qui devront être connus de la population et dont
l’Assemble constituante aura l’obligation de tenir compte- cette dernière
élaborera un projet de constitution».
Le programme ajoute: «Les propositions issues de l’Assemblée
constituante, y compris celle sur le statut politique du Québec, seront
soumises au choix de la population, ce qui marquera la fin du
processus » Et il précise: «Tout au long de la démarche constituante,
Québec solidaire défendra son option indépendantiste et fera la
promotion de ses valeurs écologistes, égalitaires, féministes,
démocratiques, pluralistes, sans toutefois présumer de l’issue des
débats».
La participation citoyenne, clef de voûte du processus constituant
Abordant l’aspect stratégique de la question le programme explique que
«parler d’Assemblée constituante c’est proposer de discuter de la
manière la plus démocratique et la plus large possible des mécanismes
essentiels pour articuler le projet d’indépendance politique et les
revendication sociales».
Aussi «la stratégie de Québec solidaire consistera-t-elle à mettre en route
et à développer une véritable démarche citoyenne afin que toutes et tous
soient associés à la détermination de notre avenir collectif.» Ainsi, pour
populariser l’idée de constituante on mettra sur pied à la grandeur du
Québec, aussi bien au niveau local que régional, «une démarche de
démocratie participative qui permettra aux citoyen-ne-s de s’exprimer et
de discuter ensemble de manière à ce que se constitue peu à peu un large
appui au sein de la population». Le programme conclut : «Pour être
légitime le processus devra être profondément démocratique, transparent
et transpartisan».
La question nationale appartient à la population; non à un parti ni à
l’Assemblée nationale
Rappelons d’abord que le programme actuel est le prolongement de la
Déclaration de principes adoptée au congrès de fondation de Québec
solidaire en 2006 pour énoncer ses principales orientations. C’est sur la
base de ce document fondamental, pierre d’assise de notre parti, que le
programme a ensuite été élaboré. Or la Déclaration est explicite au sujet
de la question nationale:
«La question nationale n’appartient pas à un seul parti politique ni même
à l’Assemblée nationale. Elle appartient à toute la population du Québec.
C’est pourquoi notre parti propose que le débat sur l’avenir du Québec se
fasse au moyen d’une vaste démarche de démocratie participative. Toute
la population pourra ainsi se prononcer sur des changements politiques et
constitutionnels, de même que sur les valeurs qui y seront associées. Un
référendum clôturera cette démarche qui favorisera la réflexion la plus
large et la plus inclusive possible».
Une proposition inacceptable aussi bien pour des raisons de
principes que de stratégie
Des militant-e-s, regroupé-e-s dans la Commission stratégie pour la
souveraineté, ont fait campagne depuis quelques temps pour modifier le
programme actuel. Ils (elles) estiment que cette dernière laisse trop
d’autonomie à l’Assemblée constituante en lui confiant un mandat ouvert
et proposent plutôt que son mandat l’oblige à développer exclusivement
un projet de constitution pour un Québec indépendant. Ils (elles)
reprochent à la position actuelle ce qu’ils (elles) appellent son «flou
artistique» et sa «naïveté» parce que le processus prévu ne présume pas
de l’issue des débats au sein de la l’Assemblée constituante. C’est de
cette proposition que sera saisi le congrès qui aura lieu à la fin de mai.
Cette position se veut radicale mais, à mon avis, elle découle plutôt de la
logique nationaliste traditionnelle qui veut qu’un parti se prétendant
indépendantiste ne l’est réellement que s’il garantit l’accession du
Québec à l’indépendance. Prédéterminer ce qui se retrouvera dans la
future constitution québécoise se rapproche en effet beaucoup de la
stratégie péquiste.
Ce sont d’abord des raisons de principes qui justifient mon opposition à
ce qu’une Assemblée nationale, où Québec solidaire serait majoritaire,
oblige l’Assemblée constituante en vertu de sa loi constitutive à
présenter exclusivement un projet de constitution indépendantiste
comme option au référendum qui clôturera le processus. En effet, la
modification proposée par la Commission sur la souveraineté irait
directement à l’encontre de la Déclaration des principes de notre parti
qui établit que « la question nationale n’appartient ni à un parti ni à
l’Assemblée nationale mais à toute la population».
Elle tronquerait aussi «la vaste démarche de démocratie participative »
au moyen de laquelle la Déclaration de principes veut que le débat sur
l’avenir du Québec se fasse afin de « favoriser la réflexion la plus large
et la plus inclusive possible». On orienterait ainsi le cours de l’Histoire
par le haut plutôt que de mettre en place des éléments permettant au
peuple de déterminer par lui-même ce qui est bon pour lui.
L’indépendance de l’Assemblée constituante par rapport au pouvoir
partisan est un enjeu fondamental. Confier à cette dernière un mandat
prédéterminé équivaudrait à le repousser sous le tapis.
D’un point de vue stratégique, il faut être naïf pour penser que des
citoyen-ne-s n’étant pas pas a priori indépendantistes seraient disposé-e-s
à participer nombreux à une consultation dont l’issue serait scellée à
l’avance. Comment voudriez-vous également que des fédéralistes, même
de bonne foi, acceptent de devenir députés d’une Assemblée constituante
qui aurait pour mandat de soumettre une question en faveur de
l’indépendance au référendum qui mettra fin au processus constituant?
Ils verraient plutôt la consultation effectuée par la Constituante comme
une ‘mascarade’ dont ils boycotteraient les travaux. Ce procédé
rabaisserait malheureusement Québec solidaire au niveau des
manœuvres éculées utilisées par les partis traditionnels.
De plus, les fédéralistes ne resteraient pas les bras croisés en attendant le
référendum. Ils ne feraient pas que discréditer le processus. Passés
maitres dans l’art de jouer sur les peurs et les appréhensions des gens ils
en profiteraient pour mettre sur pied une redoutable contre-offensive
visant à leur faire gagner le référendum. Le Québec aurait ainsi loupé sa
dernière chance d’en venir à un règlement démocratique de la question
nationale.
Imposer une position à une instance de délibération démocratique
est un gage d’échec
Comme le soulignent Raphaël Langevin et al dans un texte qui vient
d’être publié sur le site Presse-toi à gauche et dont je m’inspire ici, la
posture de la Commission sur la souveraineté, qu’on peut qualifier de
‘radicalisme formel’ ne tient pas compte du fait qu’il ne suffit pas
d’imposer une position dans une instance de délibération démocratique
pour augmenter les chances que cette dernière soit adoptée et comprise
par la population. Il est même probable que l’imposition de certaines
positions dans un tel type d’instance ne nuise à leur approbation
populaire car la partie de la population n’étant pas d’accord avec elles y
verra automatiquement un rétrécissement de son espace délibératif.
Il faut aussi se rappeler que, selon le programme actuel de Québec
solidaire, le rôle des constituants sera essentiellement de dégager les
consensus les plus solides qu’ils auront observés durant la consultation.
Ils pourront proposer un statut politique précis et un projet unique de
constitution en fonction de leur évaluation du consensus dominant. Il ne
faut pas oublier non plus que l’exercice constituant ne sera pas un
sondage ni une campagne électorale. Il devra être un exercice de
démocratie participative où toutes les opinions peuvent s’exprimer sans
être rejetées à l’avance par un mandat restrictif confié à l’Assemblée
constituante. Il y aurait en effet une contradiction flagrante entre le fait
de présenter cette dernière comme l’outil démocratique par excellence
alors que le mandat sur le statut politique du Québec serait prédéterminé
avant le début du processus constituant.
Savoir relever les défis que pose l’exercice de la souveraineté
populaire
La démocratie est en soi instable et incertaine. Mais en bon démocrate il
faut savoir relever les défis que pose l’exercice de la souveraineté
populaire.
Comme le soulignent Raphaël Langevin et al dans leur texte, la formule
d’une Assemblée constituante sans mandat prédéterminé qu’a choisie
Québec solidaire à son congrès de 2009 constitue un pari. Mais ce pari,
j’en suis convaincu, nous pourrons le remporter si nous ne répétons pas
les erreurs du passé en forçant l’étiquetage des acteurs sur la question
nationale avant même que le processus constituant ne soit officiellement
enclenché. Les chauds débats résultant d’un tel contexte de mobilisation
ne sont donc pas à éviter, au contraire. Ce sont justement ces débats qui
nous permettront de mettre à nu l’ensemble des peurs et arguments
utilisés par le camp fédéraliste afin de faire croire à la population qu’elle
n’a pas d’autres options que le statu quo constitutionnel.
Une démarche constituante ne doit donc pas servir à faire des débats
entre indépendantistes afin de se convaincre que notre option est la
meilleure. Elle doit favoriser la confrontation avec les nonindépendantistes, mais sur un mode civilisée en s’inspirant, par exemple
de L’éthique de la discussion du philosophe allemand Habermas.
Comme le souligne Michel Venne, directeur général de l’Institut du
Nouveau Monde (INM), dans un texte que vient de publier Le Devoir,
«au Québec en 2016 on ne sait plus dialoguer sereinement, de façon
féconde sur les enjeux essentiels qui nous confrontent. Pourtant
l’expérience de l’INM prouver que lorsqu’on adopte les bonnes
méthodes le dialogue social est fécond et apaisant, et ce même s’il repose
au départ sur un conflit. Il crée de la confiance en soi-même et dans les
autres, mais dans la possibilité que les choses aillent mieux».
Les Québécoises et les Québécois n’ayant jamais eu l’opportunité de
discuter ensemble des contours d’un pays indépendant il s’est créé au
sein de la population au fil du temps un clivage en deux camps qui au
lieu d’échanger se lancent des qualificatifs aussi péjoratifs les uns que les
autres (fédérastes, séparatisses, destructeurs de la nation canadienne,
traitres à la nation québécoise, etc.)
En tant que membres de Québec solidaire il faudra faire en sorte de
mettre de l’avant dès le début notre vision des choses et la défendre
jusqu’à la fin du processus constituant pour s’assurer qu’elle soit
adoptée, comprise et intériorisée par une majorité de citoyen-ne-s.
Toutefois l’Assemblée constituante ne doit pas être vue prioritairement
comme un moyen de mobiliser les troupes indépendantistes, mais bien
de procéder à un grand exercice d’éducation populaire où l’ensemble des
idées pourraient être discutées et remises en question, y compris
l’indépendance. Il ne s’agit certes pas dune option facile mais je suis
convaincu que c’est celle qui offre les plus grandes chances de succès.
Le vrai radicalisme passe donc par la mobilisation des militant-e-s sur le
terrain, la confrontation idéologique et la conscientisation individuelle et
collective; non par l’affirmation sur papier de certains principes qui
compliqueront la possibilité de dialogues avec l’ensemble des acteurs de
la société. Je crois donc que la position actuelle du parti est celle qui est
la plus radicale car elle tente de dépasser les clivages historiques en
grande partie responsables des deux derniers échecs référendaires.
Sortir de notre cocon à la rencontre des autres
Il est essentiel de sortir du milieu indépendantiste pour accroitre la
crédibilité de notre démarche et maximiser nos chances de réussite.
Concrètement il s’agit de faire comprendre, autant aux convaincu-e-s
qu’aux non convaincu-e-s que, malgré des décennies de cynisme et de
manipulation des élites politiques notre désir est de remettre le pouvoir
entre les mains de la population. Il ne s’agit pas d’imposer l’option
indépendantiste mais de permettre aux gens de s’y convertir en discutant
avec eux.
Comme l’a écrit Roméo Bouchard dernièrement, un référendum sur un
projet de constitution proposé par une Assemblée constituante avec un
mandat ouvert (non prédéterminé) apparait de plus en plus comme la
seule alternative possible au référendum péquiste et comme la meilleure
façon de sortir le projet de souveraineté de l’ornière où il s’est enfoncé
en le replaçant dans le cadre d’une réforme en profondeur de nos
institutions démocratiques.
Québec solidaire doit donc rejeter la proposition d’une Constituante
pipée d’avance. Il ne doit pas avoir peur de prendre le risque de la
souveraineté du peuple. Vouloir une Constituante ouverte ce n’est pas
être naïf mais réaliste, car c’est la seule option respectueuse de la
souveraineté des citoyen-ne-s , celle qui leur permettra de se réapproprier
leur pays. Une Constituante qui ne serait pas entièrement libre de ses
délibérations ne serait qu’une mascarade supplémentaire venant s’ajouter
à toutes celles que nous avons connues dans ce domaine.
Montréal, 13 avril 2016