le désir - Cloudschool

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SUIS-JE CE QUE J’AI CONSCIENCE D’ÊTRE ?
« Mais moi, qui suis-je, maintenant que je suppose qu’il y a quelqu’un qui est extrêmement
puissant et, si je l’ose dire, malicieux et rusé, qui emploie toutes ses forces et toute son industrie à me
tromper ? Puis-je m’assurer d’avoir la moindre de toutes les choses que j’ai attribuées ci-dessus à la
nature corporelle ? Je m’arrête à y penser avec attention, je passe et repasse toutes ces choses en mon
esprit, et je n’en rencontre aucune que je puisse dire être en moi. Il n’est pas besoin que je m’arrête à
les dénombrer. Passons donc aux attributs de l’âme, et voyons s’il y en a quelques uns qui soient en
moi. Les premiers sont de me nourrir et de marcher ; mais s’il est vrai que je n’ai point de corps, il est
vrai aussi que je ne puis marcher ni me nourrir. Un autre est de sentir ; mais on ne peut aussi sentir
sans le corps : outre que j’ai pensé sentir autrefois plusieurs choses dans le sommeil, que j’ai reconnu à
mon réveil n’avoir point en effet senties. Un autre est de penser : et je trouve ici que la pensée est un
attribut qui m’appartient. Elle seule ne peut être détachée de moi. Je suis, j’existe : cela est certain ;
mais combien de temps ? À savoir, autant de temps que je pense ; car peut-être se pourrait-il faire, si je
cessais de penser, que je cesserais en même temps d’être ou d’exister. Je n’admets maintenant rien qui
ne soit nécessairement vrai : je ne suis donc, précisément parlant, qu’une chose qui pense. »
René Descartes, Méditations métaphysiques (1641), II, p.77
« Pour trouver en quoi consiste l’identité personnelle, il faut voir ce qu’emporte le mot de
personne. C’est, à ce que je crois, un Être pensant et intelligent, capable de raison et de réflexion, et
qui se peut consulter soi-même comme le même, comme une même chose qui pense en différents
temps et différents lieux ; ce qu’il fait uniquement par le sentiment qu’il a de ses propres actions,
lequel est inséparable de la pensée, et lui est, ce me semble, entièrement essentiel, étant impossible à
quelque Être que ce soit d’apercevoir sans apercevoir qu’il aperçoit. Lorsque nous voyons, que nous
entendons, que nous flairons, que nous goûtons, que nous sentons, que nous méditons, ou que nous
voulons quelque chose, nous le connaissons à mesure que nous le faisons. Cette connaissance
accompagne toujours nos sensations et nos perceptions présentes ; et c’est par là que chacun est à luimême ce qu’il appelle soi-même. On ne considère pas dans ce cas si le même Soi est continué dans la
même Substance, ou dans diverses Substances. Car puisque la con-science accompagne toujours la
pensée, et que c’est là ce qui fait que chacun est ce qu’il nomme soi-même, et par où il se distingue de
toute autre chose pensante : c’est aussi en cela seul que consiste l’identité personnelle, ou ce qui fait
qu’un Être raisonnable est toujours le même. Et aussi loin que cette con-science peut s’étendre sur les
actions ou les pensées déjà passées, aussi loin s’étend l’identité de cette personne : le soi est
présentement le même qu’il était alors ; et cette action passée a été faite par le même soi que celui qui
se la remet à présent dans l’esprit. »
John Locke, Essai philosophique concernant l’entendement humain (1690), II, 27, § 9, p.264265
« Posséder le Je dans sa représentation : ce pouvoir élève l’homme infiniment au-dessus de
tous les autres êtres vivants sur la terre. Par là, il est une personne ; et grâce à l’unité de la conscience
dans tous les changements qui peuvent lui survenir, il est une seule et même personne, c’est-à-dire un
être entièrement différent, par le rang et la dignité, de choses comme le sont les animaux sans raison,
dont on peut disposer à sa guise ; et ceci, même lorsqu’il ne peut pas encore dire le Je, car il l’a
cependant dans sa pensée ; ainsi toutes les langues, lorsqu’elles parlent à la première personne, doivent
penser ce Je, même si elles ne l’expriment l’as par un mot particulier. Car cette faculté (de penser) est
l’entendement.
Il faut remarquer que l’enfant, qui sait déjà parler assez correctement, ne commence qu’assez
tard (peut-être un an après) à dire Je ; avant, il parle de soi à la troisième personne (Charles veut
manger, marcher, etc.) ; et il semble que pour lui une lumière vienne de se lever quand il commence à
dire Je ; à partir de ce jour, il ne revient jamais à l’autre manière de parler. Auparavant il ne faisait que
se sentir ; maintenant il se pense. »
Emmanuel Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique (1798), p.17
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« Qu’est-ce que le moi ?
Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants ; si je passe par là, puis-je dire qu’il
s’est mis là pour me voir ? Non ; car il ne pense pas à moi en particulier ; mais celui qui aime
quelqu’un à cause de sa beauté, l’aime-t-il ? Non : car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la
personne, fera qu’il ne l’aimera plus. Et si on m’aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m’aimet-on ? moi ? Non, car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même. Où est donc ce moi, s’il
n’est ni dans le corps, ni dans l’âme ? et comment aimer le corps ou l’âme, sinon pour ces qualités, qui
ne sont point ce qui fait le moi, puisqu’elles sont périssables ? car aimerait-on la substance de l’âme
d’une personne, abstraitement, et quelques qualités qui y fussent ? Cela ne se peut, et serait injuste. On
n’aime donc jamais personne, mais seulement des qualités. Qu’on ne se moque donc plus de ceux qui
se font honorer pour des charges et des offices, car on n’aime personne que pour des qualités
empruntées. »
Blaise Pascal, Pensées (1670 - posthume), Fragment 688 (éd. Lafuma)
« La conscience n’est en somme qu’un réseau de communications d’homme à homme, – ce
n’est que comme telle qu’elle a été forcée de se développer : l’homme solitaire et bête de proie aurait
pu s’en passer. Le fait que nos actes, nos pensées, nos sentiments, nos mouvements parviennent à
notre conscience – du moins en partie – est la conséquence d’une terrible nécessité qui a longtemps
dominé l’homme : étant l’animal qui courait le plus de dangers, il avait besoin d’aide et de protection,
il avait besoin de ses semblables, il était forcé de savoir exprimer sa détresse, de savoir se rendre
intelligible – et pour tout cela il lui fallait d’abord la “conscience”, pour “savoir” lui-même ce qui lui
manquait, “savoir” quelle était sa disposition d’esprit, “savoir” ce qu’il pensait. Car, je le répète,
l’homme comme tout être vivant pense sans cesse, mais ne le sait pas ; la pensée qui devient
consciente n’en est que la plus petite partie, disons : la partie la plus médiocre et la plus superficielle ;
– car c’est cette pensée consciente seulement qui s’effectue en paroles, c’est-à-dire en signes de
communication, par quoi l’origine même de la conscience se révèle. »
Friedrich Nietzsche, Le gai savoir (1887), V, § 354
« Tels que l’on nous éduque aujourd’hui, nous recevons d’abord une seconde nature : et nous
la possédons lorsque le monde nous déclare mûrs, majeurs, utilisables. Seuls quelques uns sont assez
serpents pour se dépouiller un jour de cette peau : au moment où, sous cette enveloppe, leur première
nature a mûri. Chez la plupart, le germe s’en dessèche. »
Friedrich Nietzsche, Aurore (1881), V, § 455, p.242
« “Tu crois savoir tout ce qui se passe dans ton âme, dès que c’est suffisamment important,
parce que ta conscience te l’apprendrait alors. Et quand tu restes sans nouvelles d’une chose qui est
dans ton âme, tu admets, avec une parfaite assurance, que cela ne s’y trouve pas. Tu vas même jusqu’à
tenir ‘psychique’ pour identique à ‘conscient’, c’est-à-dire connu de toi, et cela malgré les preuves les
plus évidentes qu’il doit sans cesse se passer dans ta vie psychique bien plus de choses qu’il ne peut
s’en révéler à ta conscience. Tu te comportes comme un monarque absolu qui se contente des
informations que lui donnent les hauts dignitaires de la cour et qui ne descend pas vers le peuple pour
entendre sa voix. Rentre en toi-même profondément et apprends d’abord à te connaître, alors tu
comprendras pourquoi tu vas tomber malade, et peut-être éviteras-tu de le devenir.”
C’est de cette manière que la psychanalyse voudrait instruire le moi. Mais les deux clartés
qu’elle nous apporte : savoir, que la vie instinctive de la sexualité ne saurait être complètement
domptée en nous et que les processus psychiques sont en eux-mêmes inconscients, et ne deviennent
accessibles et subordonnés au moi que par une perception incomplète et incertaine, équivalent à
affirmer que le moi n’est pas maître dans sa propre maison. »
Sigmund Freud, Essais de psychanalyse appliquée, “Une difficulté de la psychanalyse”
(1917), p.144-146
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