L`avant-projet français de réforme du droit des obligations et du droit

Transcription

L`avant-projet français de réforme du droit des obligations et du droit
L’avant-projet français de réforme du droit
des obligations et du droit de la prescription
Bénédicte Fauvarque-Cosson / Denis Mazeaud
*
1. En 2004, lors des nombreuses célébrations du bicentenaire du Code civil
français, deux questions furent vivement débattues : celle de la place du Code civil
dans l’ordre juridique privé (le Code civil constitue-t-il encore le droit commun par
excellence, la “Constitution civile” de la nation, selon la célèbre expression du doyen
CARBONNIER), et celle de l’avènement, dans un avenir proche ou lointain, nul ne le
sait, d’un éventuel code européen des contrats, voire d’un code civil européen. Si l’on
ajoute à cela l’annonce officielle, par le Président de la République 1, de la nécessité
de recodifier le droit des contrats et des sûretés “deux institutions nécessaires au bon
fonctionnement d’une société” et qui doivent être réformées pour prendre en compte
les progrès technologiques, la mondialisation et le “besoin accru de sécurité dans
notre société”, on comprend que les universitaires, depuis longtemps conscients de
l’importance de l’enjeu, désormais soutenus par une volonté politique forte, aient
donné l’impulsion.
2. Les résultats ne se firent pas longuement attendre. Sous le parrainage de
l’Association Henri Capitant, une vaste réforme du droit économique fut entreprise. Le
31 mars 2005, un groupe de travail sur les sûretés, présidé par Monsieur Michel
GRIMALDI, remettait son rapport au garde des Sceaux (depuis, la loi n° 2005-842 du 26
juillet 2005 “pour la confiance et la modernisation de l’économie” a autorisé le
Gouvernement à réformer le droit des sûretés par ordonnances 2). Six mois plus tard,
le 22 septembre 2005, Monsieur Pierre CATALA remettait au garde des Sceaux un
*
Professeurs à l’Université Panthéon-Assas (Paris II). L’avant-projet peut être consulté sur le site de
l’Association Henri Capitant : <http://www.henricapitant.org/IMG/pdf/Avant-projet_de_reforme_du_droit_
des_obligations_et_de_la_prescription_et_expose_des_motifs.pdf>.
Les abréviations suivantes sont utilisées dans les notes : Ass. Plén.: Cour de cassation, assemblée
plénière; Cass. civ.: Cour de cassation, chambre civile; Cass. com.: Cour de cassation, chambre commerciale;
Bull. civ.: Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, chambres civiles; Bull. Cridon: Bulletin du Cridon;
Contrats, conc., consomm.: Contrats concurrence consommation; D.: Dalloz; Defrénois: Répertoire du notariat
Defrénois; Gaz. Pal.: Gazette du palais; JCP: Semaine juridique (JurisClasseur périodique) - éd. G : édition
générale ; éd. E : édition entreprises; RDC: Revue des contrats; RJDA: Revue de jurisprudence de droit des
affaires; RTDciv.: Revue trimestrielle de droit civil.
1
Intervention de Monsieur Jacques Chirac, lors du colloque qui s’est tenu les 11 et 12 mars 2004
dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne pour la célébration du bicentenaire du Code civil organisé par
l’Association Henri Capitant et la Cour de cassation.
2
Loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de l’économie publiée
au Journal Officiel du 27 juillet 2005 (sur le site Légifrance : <http://www.legifrance.gouv.fr>).
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avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription
(domaines actuellement régis par le Titre III, livres III, IV et XX du Code civil). L’avantprojet fut élaboré en trente mois par trente-six auteurs ; un record de vitesse qui
impressionne ou inquiète, selon la sensibilité de chacun. Toujours est-il que le travail
réalisé est considérable : le Titre III du Livre troisième du Code civil comportait 286
articles en 1804 et seulement dix de plus en 2004 (en raison des nécessités liées à
l’électronique) 3. En 2005, l’avant-projet en contient près d’un tiers de plus. L’œuvre est
monumentale. Un colloque qui s’est tenu à la Sorbonne lui a déjà été consacré 4.
3. Sur la forme, l’avant-projet se compose d’une présentation générale de
Monsieur Pierre Catala, suivie d’une introduction de Monsieur Gérard CORNU (qui fut
également la plume finale inspirée des textes remis par leurs auteurs). Viennent
ensuite les textes relatifs aux contrats, précédés à chaque fois d’un exposé des motifs,
rédigé par les auteurs respectivement chargés, par petits groupes, de l’élaboration de
telle ou telle subdivision. Un schéma identique se retrouve pour les textes relatifs à la
responsabilité civile, élaborés par un groupe de travail présidé par Madame
Geneviève VINEY et Monsieur Georges DURRY, ainsi que pour ceux relatifs à la
prescription et la possession, œuvre de Monsieur Philippe MALAURIE, unique auteur
de la réforme sur ce point. On se limitera, dans cet article, à l’étude de la partie de
l’avant-projet consacrée à la source des obligations, au contrat et aux obligations
conventionnelles (articles 1101 à 1326-2 nouveaux).
4. “Restaurer, réformer et résister” : telle aurait pu être la devise du groupe de
travail.
“Restaurer”. Il s’agissait, d’abord et surtout, de redonner au Code civil le statut de
droit commun qui lui revenait 5. Car notre Code, dans sa partie relative aux
obligations conventionnelles, n’est plus le reflet du droit vivant : la lettre du Code est
restée immobile, figée, alors même que le droit français des contrats a profondément
évolué. Cette profonde évolution s’est produite hors la loi commune que constitue le
Code civil, à savoir, d’une part, dans d’autres codes, progressivement devenus
concurrents, tels le Code de commerce et le Code de la consommation. Ces codes
contiennent des règles si essentielles du droit contractuel contemporain que les
plumes les plus prestigieuses n’ont pas hésité à écrire qu’ils constituaient le ”nouveau
droit des obligations” 6. Cette évolution s’est, d’autre part, produite en dehors des
3
Dans un article sur “Les difficultés de la recodification pour la théorie générale du contrat”, in Le
Code civil 1804-2004, Livre du Bicentenaire, Dalloz, Litec, 2004, 231, M.J. MESTRE constate que “plus de 90%
des articles ont conservé leur rédaction de 1804”.
4
Les actes de ce colloque sont publiés dans le n°1 de la Revue des Contrats de l’année 2006, qui
comporte la version écrite des interventions de Mmes FAUVARQUE-COSSON, FENOUILLET, ROCHFELD et de MM.
ANCEL, AYNES, BEALE, BENABENT, CABRILLAC, CATALA, CORNU, DELEBECQUE, FAGES, HUET, LANDO, MALAURIE,
MAZEAUD, REVET, STOFFEL-MUNCK,TALLON.
5
En ce sens, D. MAZEAUD, rapport cité supra note 4. Sur la méthode à suivre dans cette perspective, v. Th. REVET, “La recodification, entre tentation et illusion”, in Le Code civil … supra note 3, 453.
6
J. CARBONNIER, Droit civil, Les obligations, PUF, 20ème éd., sp. n°12.
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codes et des lois, grâce à l’œuvre de la Cour de cassation, qui a d’abord créé, dans le
silence du Code civil, des règles fondamentales, telles celles relatives à la formation
du contrat 7, qui n’a pas hésité, ensuite, à procéder à une réécriture de certains textes
du Code devenus inadaptés aux évolutions économiques et sociales, comme ceux
relatifs à la détermination du prix 8, et qui, enfin, a innové, en l’absence de texte
précis, en consacrant des concepts imaginés par la doctrine ou la pratique, tels que la
distinction des obligations de moyens et de résultat ou les clauses de responsabilité 9.
Notre Code civil a donc vieilli et, plus grave encore, sa lecture donne à ses utilisateurs
une image en trompe l’œil du droit français des contrats ; il a perdu sa prééminence
pour ne plus constituer, en droit des contrats, qu’un code ancien parmi d’autres
modernes. Le droit français des contrats est éclaté, disséminé et par conséquent,
largement imprévisible.
Aussi, afin de redonner au Code civil le statut de droit commun, l’avant-projet
établit-il, à son profit, une hiérarchie entre les diverses sources du droit des contrats,
notamment entre les différents codes. D’une part, des dispositions jusqu’alors insérées
dans des codes spécialisés, en particulier dans le Code de la consommation, sont
rapatriées dans le Code civil, ce qui emporte une généralisation des règles en
question et leur confère le statut de règles de droit commun. Il en va ainsi, notamment
du délai de réflexion, du droit de repentir et de l’obligation de sécurité 10 ; les codes
spéciaux ne pourront donc plus comporter, à leur égard, que des règles qui, soit
précisent la loi commune, soit y dérogent. D’autre part, et d’une façon générale, la
suprématie du Code civil s’induit de l’article 1103 de l’avant-projet qui dispose que
c’est dans ce Code que se trouvent les règles qui ont vocation à s’appliquer en cas de
silence ou de lacune des lois spéciales.
5. Mais restaurer le Code civil, ce n’est pas seulement lui redonner le premier
rang qui lui revient dans les sources juridiques internes françaises, c’est aussi assurer son
retour dans le concert européen et international. Vieilli, notre Code civil ne peut plus,
en effet, prétendre constituer un modèle susceptible d’influencer les législateurs
étrangers et, en particulier, le législateur européen. L’éventualité, si ce n’est
l’imminence, d’une harmonisation, voire d’une unification par la voie d’un code, des
droits du contrat des pays membres de l’Union européenne a donné une impulsion
décisive à la réalisation de l’avant-projet piloté par M. Pierre Catala. En réalité, l’objectif
des promoteurs de l’avant-projet était double : à l’échelon européen, permettre au droit
français d’inspirer davantage le processus d’harmonisation européenne du droit des
contrats ; à l’échelle internationale, recomposer un droit susceptible d’influencer les
législateurs étrangers. Car si l’époque des exportations massives est aujourd’hui révolue,
elle a laissé place aux phénomènes d’hybridation, d’influences réciproques, de
7
8
9
10
Pour d’autres illustrations, v. infra, passim.
Idem.
Idem.
Idem.
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fertilisations croisées ; la tradition juridique française, longtemps prédominante, doit
retrouver son éclat d’antan et constituer, non plus le modèle, mais un modèle juridique.
6. “Réformer et résister” : cette double ambition peut apparaître contradictoire.
Pourtant, la révision d’ensemble du droit des obligations est bel et bien placée sous le
signe de la fidélité et de l’innovation. Fidélité au Code, à son style législatif, à ses
valeurs fondamentales, à l’esprit du droit français, aux sources jurisprudentielles et
doctrinales. Innovations de grande ampleur, tant en la forme qu’au fond. Sur le fond,
à s’en tenir au seul droit des contrats, la modernité de l’avant-projet s’exprime d’abord
à travers la recherche constante d’un équilibre entre la liberté contractuelle et la force
obligatoire du contrat d’une part, et les aspirations grandissantes à la justice contractuelle d’autre part. Un plus grand rayonnement est ainsi donné à la bonne foi, sans
pour autant l’ériger en principe directeur du droit des contrats. La modernité
s’exprime encore dans des règles nouvelles qui consacrent des évolutions jurisprudentielles parfois récentes (ainsi par exemple la résolution unilatérale est-elle autorisée
aux côtés de la résolution judiciaire). A certains endroits, droit comparé et codifications
doctrinales (Principes d’UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international 11 ou
Principes du droit européen du contrat 12) ont largement été pris en considération 13.
7. L’avant-projet déploie ses nombreux textes, parmi lesquels certains reproduits
tels qu’ils ont été écrits en 1804 et d’autres créés de toutes pièces. Il reflète, dans une
langue concise et claire, littéraire également, l’évolution sans révolution du droit
français contemporain des contrats, pris en tenaille entre innovation et tradition.
I.
–
LES INNOVATIONS
8. Les innovations de l’avant-projet sont nombreuses ; elles concernent aussi
bien la structure que la substance des règles qu’il contient.
A.
La structure
9. Plusieurs auteurs avaient plaidé pour l’amélioration du plan du Code, en
vue d’assurer non seulement une plus forte cohérence structurelle mais aussi une
11
Sur lesquels voir M.J. Bonell, An International Restatement of Contract Law, The UNIDROIT
Principles of International Commercial Contracts, 3rd ed. 2005, Transnational Publishers.
12
Sur ces Principes, v. entre autres, G. ROUHETTE, I. DE LAMBERTERIE, D. TALLON, C. WITZ, Principes
du droit européen du contrat, collection “Droit privé comparé et européen” dirigée par B. Fauvarque-Cosson,
Société de législation comparée, 2003 ; P. Corlay et D. Fenouillet (ss. la dir. de), Les concepts contractuels
français à l’heure du droit européen des contrats, Dalloz, 2003 ; C. Jamin et D. Mazeaud, (ss. la dir. de)
L’harmonisation européenne du droit des contrats, Economica, 2001 ; C. Prieto, (ss. la dir. de), Regards croisés
sur les principes du droit européen du contrat et sur le droit français, PUAM, 2003.
13
C’est probablement la partie relative à la prescription qui fut la plus inspirée par les tendances
récentes, telles qu’exprimées par les Principes d’UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international ou
par les Principes du droit européen du contrat. Ainsi, par exemple, le délai de prescription de droit commun,
voit sa durée de vie raccourcie de … 27 ans (article 2274 de l’avant-projet : “Toutes les actions sont prescrites
par trois ans (…)”.
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meilleure intelligibilité de ses dispositions, en particulier pour les profanes et les
juristes étrangers 14. C’est désormais chose faite.
Le Titre III “Des Obligations” s’enrichit d’un chapitre préliminaire sur la source des
obligations. Il se compose par ailleurs de trois sous-titres dont le premier, fidèlement
intitulé “Du contrat et des obligations conventionnelles en général” (articles 1102-13262) 15 sera seul, à quelques exceptions près 16, étudié dans cette contribution.
10. Quelques mots, à titre liminaire, du chapitre préliminaire intitulé “De la
source des obligations”. L’article 1101 pose la distinction cardinale entre les actes et
faits juridiques : “Les obligations naissent d’actes ou de faits juridiques” (alinéa 1) et
“également de l’autorité seule de la loi” (alinéa 2). Puis l’article 1101-1 définit l’acte
juridique et en énumère les trois catégories : actes conventionnels, unilatéraux et
collectifs. L’alinéa 4 érige ensuite le contrat au rang de modèle des actes juridiques
puisqu’il dispose que “L’acte unilatéral et l’acte collectif obéissent, en tant que de
raison, aux règles qui gouvernent les conventions”.
L’article 1101-2 définit les faits juridiques comme “des agissements ou des
évènements auxquels la loi attache des effets de droit” ; cette catégorie inclut les
quasi-contrats et la responsabilité civile.
11. Le sous-titre I (article 1102 et s.) intitulé “Du contrat et des obligations conventionnelles en général” se compose de sept chapitres qui reprennent pour l’essentiel les
subdivisions du Code civil : Dispositions générales, Conditions essentielles pour la
validité des conventions, Effet des conventions, Modalités, Extinction et Preuve des
obligations. Un nouveau chapitre VI intitulé “Des opérations sur créances” est consacré
à la cession de créance, la subrogation personnelle, la novation et la délégation.
Par souci de clarté, on examinera les chapitres les uns après les autres. Sans
pouvoir en présenter toutes les sections et dispositions, on insistera sur certains
changements majeurs.
12. Le chapitre 1, intitulé “Dispositions générales”, est composé de deux sections.
La première, intitulée “Définitions“, comporte les définitions des différentes
catégories de contrats. Il faut souligner, toujours dans la perspective de l’amélioration
de l’intelligibilité du Code, l’apport essentiel de cette section. Celle-ci permet, en
effet, de moderniser certaines figures contractuelles classiques, telles les contrats
aléatoires et à titre gratuit. Elle introduit par ailleurs de nouvelles définitions, en
donnant forme de loi à des pratiques contractuelles éprouvées, comme le contrat
d’adhésion et le contrat cadre. Ces dispositions, de nature non normative, ajoutent à
14
Ph. Rémy, “Réviser le titre III du livre troisième du Code civil ?”, RDC, 2004, 1169 ; D. Tallon, “La
rénovation du titre III, livre III du Code civil : une approche comparative”, RDC, 2004, 1190 ; “Grandeur et
décadence du Code civil français”, in Mélanges M. Fontaine, 279 et s.
15
Comp. l’actuel Titre III du Livre III, intitulé : “Des contrats ou des obligations conventionnelles en
général”.
16
Quelques règles relatives à la responsabilité civile seront évoquées, en raison de leur lien avec
certaines questions intéressant le droit des contrats. V. infra, n°23 et 31.
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la clarté de notre droit ; elles s’inscrivent dans une tendance européenne et internationale qui consiste à définir les termes utilisés.
La seconde section, intitulée “De la formation du contrat”, établit le régime de la
période précontractuelle, jusqu’alors passée sous silence dans le Code. On se
contentera ici d’exprimer un regret, d’ordre structurel. Pourquoi ces dispositions qui
régissent la formation du contrat ont-elles été insérées dans ce chapitre ? La période
précontractuelle n’aurait-elle pas mérité, au regard de son importance théorique et
pratique, une subdivision autonome ? A notre sens, cela s’imposait même d’autant
plus que le lien qui unit cette phase contractuelle aux définitions des différents types
de contrats est loin d’être évident.
13. Le chapitre 2 sur la validité du contrat se caractérise, en premier lieu, par
d’importantes innovations d’ordre structurel. Des subdivisions apparaissent, qui
contiennent des dispositions sur des questions que le Code civil avait négligées,
ignorées ou abordées de façon disséminée. On relèvera notamment l’apparition d’un
corps de règles régissant, comme dans les Principes du droit européen du contrat et
dans les Principes d’UNIDROIT, la représentation, et qui vient s’ajouter aux quatre
conditions traditionnelles de validité des conventions (consentement, capacité, objet,
cause). Une véritable théorie générale de la représentation est ainsi introduite, lors
même que les textes sur la représentation sont actuellement disséminés dans d’autres
livres ou titres du Code civil. La lésion est, quant à elle, très heureusement, déplacée
de la section sur le consentement à celle qui porte sur l’objet.
On relèvera encore l’introduction, dans ce chapitre sur la validité du contrat, de
dispositions relatives à la forme des contrats mais il importe avant tout de rappeler
combien l’avant-projet demeure attaché au consensualisme. En atteste l’article 1127
qui dispose : “En principe, les conventions sont parfaites par le seul consentement des
parties, sous quelque forme qu’il soit exprimé”. Un paragraphe détaillé, spécifique à
la forme des contrats électroniques, est intégré dans cette section (article 1128 et s.).
Certaines de ses dispositions auraient pu être insérées dans la section relative à la
formation du contrat car elles concernent davantage la question de la rencontre des
volontés de ceux qui concluent un contrat par voie électronique (révocabilité de
l’offre, émission de l’acceptation, date de formation du contrat), que celle de la forme
dans laquelle les volontés des contractants doivent, impérativement ou non, se
manifester. D’ailleurs, de manière plus générale, on peut observer que, fort souvent,
la distinction entre les règles relatives à la formation et à la validité du contrat manque
de netteté. En particulier, les règles sur l’obligation précontractuelle d’information, le
délai de réflexion et le droit de repentir relèvent plus, comme la lettre des articles de
l’avant-projet le révèle suffisamment, de la formation que de la validité du contrat.
Inspiré par la jurisprudence, ce chapitre s’enrichit par ailleurs de règles nouvelles
sur des questions classiques. Les vices du consentement, par exemple, bénéficient
d’un important “raffinement d’analyse” 17 : ainsi, alors que quatre textes sont, dans le
17
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G. CORNU, rapport cité supra note 4.
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Code actuel, consacrés à l’erreur spontanée ou provoquée, quatorze lui sont
consacrés dans l’avant-projet (d’importants ajouts sont relatifs aux conditions de
l’erreur vice du consentement, aux cas dans lesquels l’erreur spontanée peut emporter
la nullité du contrat, au régime de l’action en nullité et aux sanctions qui peuvent
êtres prononcées contre celui à qui l’erreur est imputable). Un constat semblable peut
être fait à propos de la capacité de contracter, réduite à quatre textes dans le Code,
objet de dix-sept articles dans l’avant-projet.
On trouve encore, dans ce chapitre, une nouvelle section sur les différentes
sanctions qui peuvent être prononcées lorsqu’une des conditions de validité du
contrat n’a pas été respectée (elles figurent aujourd’hui parmi les causes d’extinction
de l’obligation).
14. Le chapitre 3 relatif à l’effet des conventions, laisse la numérotation et la lettre
des fameux articles 1134 et 1135 pratiquement inchangées. Chacun de ces articles
s’enrichit de dispositions supplémentaires portant, les unes sur la faculté d’insérer une
clause de dédit (article 1134-1) et, les autres, notamment, sur la renégociation du contrat
lorsque l’équilibre contractuel initial est perturbé par l’effet des circonstances (1135-1).
Des textes relatifs à l’interprétation et la qualification sont introduits dans une section 2.
La section 3 intitulée “De diverses espèces d’obligations” est nouvelle. Les sections 4 et
5 sont respectivement consacrées à l’exécution, et à l’inexécution et à la résolution des
obligations. La section 4 intègre les règles sur la perte de la chose due, actuellement
régies par les articles 1302 et 1303 car il apparaissait logique de placer ces règles dans le
paragraphe sur l’obligation de donner (articles 1152-1 et 1152-2).
Grâce à la nouvelle section 6 sur les “restitutions après anéantissement du contrat”
un même corps de règles régit les restitutions après anéantissement du contrat (article
1161). Toutefois, lors du colloque précité (supra para. 2 in fine), le contenu de cette
nouvelle section a été l’objet d’appréciations plus ou moins nuancées de la part de MM.
ANCEL et BENABENT 18, qui ont regretté notamment l’absence de lien entre ces
dispositions et la répétition de l’indu et de façon plus générale, avec les quasi-contrats.
On observera par ailleurs que les articles 1146 à 1153 qui composent
actuellement l’essentiel de la section du Code civil sur “les dommages et intérêts
résultant de l’inexécution de l’obligation” ont été sensiblement modifiés et sont
désormais déplacés dans le sous-titre relatif à la responsabilité civile. Pourtant,
certains auteurs avaient insisté pour que les règles relatives à la responsabilité
contractuelle soient maintenues dans le sous-titre relatif au contrat, ceci afin d’assurer
une présentation rationnelle des remèdes en cas d’inexécution.
Enfin, s’agissant de la section 7 sur les effets du contrat à l’égard des tiers, on
saluera les grands progrès que l’avant-projet réalise au regard du plan actuel du Code
civil de 1804. Ainsi, entre autres, les dispositions relatives à la promesse pour autrui, à
la promesse de porte-fort et aux ayants cause sont beaucoup plus logiquement
18
En ce sens, v. leurs rapports cités supra note 4.
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intégrées dans la section relative aux effets du contrat à l’égard des tiers, alors qu’elles
sont curieusement aujourd’hui insérées dans la section qui régit le consentement.
15. Le chapitre IV sur les modalités de l’obligation reste structurellement assez
semblable à la présentation du Code actuel. Toutefois, les dispositions sur les
obligations divisibles, séparées de celles relatives aux obligations indivisibles, sont
désormais absorbées par la section 1 du Chapitre V, consacrée au paiement.
Le chapitre V sur l’extinction des obligations traite des différentes causes
d’extinction : paiement, remise de dette, compensation, confusion (mais exclut la
novation et la prescription, “qui font l’objet de dispositions particulières”, article
1218). Ce chapitre ne contient plus les règles sur les nullités, ni du reste celles sur la
subrogation, la novation et la délégation (intégrées dans le nouveau chapitre VI).
Le chapitre VI sur les opérations sur créances regroupe, comme il a déjà été dit,
les règles relatives à la cession de créance, la subrogation personnelle, la novation et
la délégation.
Il est précisé, dans une note en tête du chapitre VII sur la preuve des obligations,
que si la théorie générale des preuves gouverne l’ensemble du droit privé et aurait
donc sa place naturelle dans le Titre préliminaire du Code civil, non seulement la
solution est “actuellement hors de portée” mais le Titre des obligations “mérite d’en
accueillir une bonne partie, d’abord en raison de la généralité inhérente à la matière
(…) et aussi pour ne pas bouleverser le travail des praticiens, préoccupation
essentielle”. Contrairement à d’autres, ce chapitre ne contient pas de modifications
majeures (mis à part quelques modifications de plan et dispositions nouvelles). Cela
s’explique en raison du fait que les règles ont été récemment modernisées par la loi
du 13 mars 2000 sur l’écriture et la signature électroniques.
B.
La substance
16. Plus de la moitié des règles édictées par l’avant-projet consacrent des
innovations. Certaines sont d’origine interne tandis que d’autres ont été inspirées des
droits étrangers ou du droit européen en gestation
1.
Influences internes
17. Un nombre important des dispositions de l’avant-projet consacrent les
règles de notre droit contractuel positif, qu’elles soient issues de la jurisprudence, de
la pratique ou de la doctrine.
a)
La réception de la jurisprudence
18. Tout d’abord, on relèvera que la période précontractuelle, très importante
en pratique, suscite maintes difficultés. Il a donc fallu que les praticiens, les juges et
d’autres codes (Code de la consommation) suppléent au silence du Code civil qui ne
comportait aucune disposition relative à la procédure de la rencontre des volontés.
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L’avant-projet consacre une section à cette phase absolument cruciale 19. Ainsi, des
règles précises régissent désormais la négociation contractuelle, l’obligation
précontractuelle d’information, l’offre, l’acceptation, les contrats préparatoires et la
date de formation du contrat. Elles reprennent le plus souvent certaines règles créées
par la Cour de cassation 20. Ainsi, entre autres, on retiendra que le silence du
destinataire de l’offre ne vaut pas, à lui seul, acceptation (article 1105-6).
D’une façon générale, on relèvera la forte inspiration européenne qui irrigue les
règles de la section relative à la formation du contrat. Ainsi, à l’instar des Principes du
droit européen du contrat, l’avant-projet énonce que la négociation du contrat est
placée sous l’égide de la bonne foi (article 1104, al. 1). De même, l’obligation
précontractuelle d’information, créée voici plusieurs décennies par la Cour de
cassation et partiellement régie par le Code de la consommation, fait son entrée dans
l’avant-projet, avec un régime détaillé. En vertu de l’article 1110, al. 1, une telle
obligation pèse sur chaque négociateur qui détient ou aurait dû détenir une
information dont il connaît l’importance déterminante pour son partenaire 21. Encore
faut-il que ce dernier ait été dans l’impossibilité de se renseigner ou que la confiance
qu’il plaçait dans son cocontractant ait pu légitimement le conduire à ne pas
s’informer par lui-même. En outre, la preuve de l’exécution de cette obligation
précontractuelle d’information pèse sur le contractant qui en est débiteur, ainsi que
l’avait décidé, le 25 février 1997, la première chambre civile de la Cour de cassation 22.
Enfin, l’inexécution de cette obligation, lorsqu’elle n’était pas mue par l’intention de
tromper le négociateur qui a été privé d’une information déterminante de son
consentement, est sanctionnée par la responsabilité civile de celui qui en était tenu.
19. Pour ce qui concerne la validité du contrat, on doit aussi souligner l’étroite
parenté des dispositions de l’avant-projet et de la jurisprudence de la Cour de
cassation. On retiendra notamment la consécration des solutions de la Cour de
cassation relatives à l’influence d’un aléa sur l’existence d’une erreur (article 1112-1,
al. 3), à l’exigence du caractère excusable de l’erreur spontanée pour que celle-ci
puisse provoquer la nullité du contrat (article 1112-3), au caractère intentionnel du dol
(article 1113-1), au caractère toujours excusable de l’erreur provoquée par un dol
(article 1113-3), au caractère relatif de la nullité fondée sur un vice du consentement
(article 1115, al. 1), au régime de la nullité fondée sur une cause immorale ou illicite
(article 1126), etc… En outre, comme l’a finalement décidé la Cour de cassation
19
Certains congrès de notaires donnent même à penser que tout se joue dans l’avant-contrat (in
utero), la formalisation du contrat ne lui étant guère que ce que l’acte d’état civil est au mariage.
20
On songe aux règles énoncées par la Cour de cassation en matière de négociation contractuelle
(sur ce point, v. infra), de silence et d’obligation précontractuelle d’information.
21
A vrai dire, le texte ne nomme pas l’obligation mais l’article 1110-1 le fait indirectement, en
évoquant la sanction du “manquement à l’obligation de renseignement”, à savoir la responsabilité. Ainsi, si le
champ d’application de l’article 1110-1 ne se limite pas à la seule obligation précontractuelle d’information ou
de renseignement, il porte principalement sur elle puisque c’est généralement avant la conclusion du contrat
qu’il convient de donner cette information.
22
Bull. civ. I, n°75.
Rev. dr. unif. 2006
111
Bénédicte Fauvarque-Cosson / Denis Mazeaud
depuis près d’un demi-siècle, la réticence constitue un dol : en atteste l’article 1113-1
aux termes duquel : ”Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par
un contractant d’un fait qui, s’il avait été connu de son cocontractant, l’aurait
dissuadé de contracter, au moins aux conditions convenues”. Le silence d’un
contractant qui aurait dû informer son contractant mais qui se tait avec l’intention de
provoquer une erreur déterminante du consentement de son cocontractant est
sanctionné par la nullité relative du contrat, et peut conduire à la mise en jeu de la
responsabilité civile du contractant “taiseux”.
20. Le chapitre relatif aux effets du contrat s’inspire lui aussi fortement des arrêts
rendus, depuis plus de deux siècles, par la Cour de cassation.
Quant aux effets du contrat entre les parties, deux illustrations particulièrement
édifiantes peuvent être évoquées. La première concerne la question de l’exécution
forcée des obligations de faire. Sur ce point, il existe une discordance entre la lettre
du Code civil et le droit positif. En effet, l’article 1142 qui dispose que “Toute
obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts, en cas
d’inexécution de la part du débiteur”, énonce le principe de l’exécution forcée par
équivalent de ce type d’obligations. Or, la Cour de cassation a depuis fort longtemps
“abrogé” cette règle légale pour lui substituer le principe de l’exécution forcée en
nature des obligations de faire et de ne pas faire, principe qui ne fléchit que si sa mise
en œuvre emporte une atteinte intolérable à l’intégrité physique du débiteur. L’article
1154 de l’avant-projet, qui énonce que “L’obligation de faire s’exécute si possible en
nature (…) sauf si la prestation attendue a un caractère éminemment personnel”,
consacre cette évolution jurisprudentielle fondamentale par laquelle la Cour de
cassation avait purement et simplement réécrit la loi. Cette réception de la
jurisprudence par l’avant-projet témoigne parfaitement du souci de ses rédacteurs de
moderniser le Code civil en y intégrant les règles du droit vivant des contrats.
Dans un ordre d’idées extrêmement proche, mais il s’agit alors d’une réforme de
notre droit positif et non d’une simple adaptation du Code par le biais d’une réception
de la jurisprudence, la solution très controversée de la troisième chambre civile de la
Cour de cassation 23, qui sanctionnait par de simples dommages et intérêts la
rétractation du promettant pendant le délai d’option accordé au bénéficiaire d’une
promesse unilatérale de contrat, est “abrogée”. Cette jurisprudence était notamment
fondée sur le fait que l’engagement souscrit par le promettant s’analysait en une simple
obligation de faire, précisément l’obligation de maintenir son offre de contrat, et que
l’inexécution de celle-ci ne pouvait donc, en vertu de l’article 1142 du Code civil, se
résoudre qu’en dommages et intérêts. Logiquement, l’article 1106 de l’avant-projet
dispose que “La rétractation du promettant pendant le temps laissé au bénéficiaire pour
exprimer son consentement ne peut empêcher la formation du contrat”. Par
23
Cass. civ. 3ème, 15 déc. 1993 : Bull. Cridon, 1995, n°21.II.215, note J.-M. Olivier ; D. 1994, 507,
note F. Bénac-Schmidt et somm. comm., 507, obs. O. Tournafond ; D. 1995, somm. comm., 230, obs L.
Aynès ; Defrénois, 1994, 795, obs. Ph. Delebecque ; JCP 1995.II.22366, obs. D. Mazeaud ; RTDciv.1994, 588,
obs. J. Mestre.
112
Unif. L. Rev. 2006
L’avant-projet français de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription
conséquent, en dépit d’une telle rétractation, l’acceptation du bénéficiaire pendant ce
même délai d’option, se soldera par la formation et l’exécution forcée du contrat
promis. Et c’est une solution identique que l’avant-projet retient en cas d’inexécution
d’un pacte de préférence, lorsque le promettant conclut le contrat, objet dudit pacte,
avec un tiers de mauvaise foi (article 1106-1, al. 3). Ce faisant, l’avant-projet redonne
une certaine vigueur à la force obligatoire de ces contrats préparatoires et leur restitue la
vitalité qu’ils avaient perdue, leur conférant ainsi à nouveau une réelle utilité pratique.
L’avant-projet admet par ailleurs, à l’image de la jurisprudence de la chambre
commerciale de la Cour de cassation, qu’une renégociation conventionnelle des
contrats devenus profondément déséquilibrés, au cours de leur exécution par la suite
d’un changement de circonstances, puisse être ordonnée par le juge. Par deux arrêts,
rendus respectivement les 3 novembre 1992 et le 24 novembre 1998, la Cour de
cassation 24 a décidé, en substance, qu’avait manqué à son obligation d’exécuter le
contrat de bonne foi, le contractant qui avait refusé de renégocier un contrat devenu
profondément déséquilibré au cours de son exécution et empêché, ainsi, son
partenaire de pratiquer des prix concurrentiels. Si le contrat, tel qu’initialement
conclu, ne permet plus à l’un des contractants d’affronter la concurrence en raison du
changement de circonstances économiques survenu en cours d’exécution, une
obligation de renégocier s’impose alors au cocontractant. Au nom du devoir de
loyauté (article 1134, al. 3 du Code civil), le principe de la force obligatoire doit alors
fléchir, sans rompre pour autant puisqu’il n’est pas question ici de révision judiciaire
du contrat 25. L’avant-projet contient une série de dispositions nouvelles sur la
renégociation conventionnelle. Aux termes de l’article 1135-2, en l’absence de clause
de renégociation, un contractant qui a conclu un contrat à exécution successive ou
échelonnée devenu, par l’effet des circonstances, déséquilibré à un point tel qu’il
perd tout intérêt pour lui, peut saisir le président du Tribunal de grande instance pour
que celui-ci ordonne une telle renégociation. En cas d’échec de bonne foi de la
renégociation, chaque contractant peut alors résilier unilatéralement le contrat, faculté
qui présente essentiellement un intérêt dans les contrats à durée déterminée.
21. La réception des évolutions d’origine jurisprudentielle se manifeste
également encore quant aux effets du contrat à l’égard des tiers. Ainsi, l’avant-projet
entérine la jurisprudence de la Cour de cassation relative à la cession conventionnelle
de contrat. En vertu de l’article 1165-4, un contractant peut céder sa situation
contractuelle à un tiers, mais la cession de sa qualité de partie suppose, pour être
efficace, l’accord exprès ou tacite de son cocontractant initial 26. Toutefois, au regard
24
Cass. com., 3 novembre 1992 : JCP 1993.II.22164, obs. G. Virassamy ; RTDciv.1993, 124, obs. J.
Mestre ; 24 novembre 1998 : Contrats, conc., consomm., 1999, comm. n°56, obs. M. Malaurie-Vignal ;
Defrénois, 1999, 371, obs. D. Mazeaud ; JCP 1999.I.143, obs. Ch. Jamin et II.12210, obs. Y. Picod;
RTDciv.1999, 98, obs. J. Mestre et 646, obs. P.-Y. Gautier.
25
V. infra, la deuxième partie.
26
En ce sens, Cass. com., 6 mai 1997 : Contrats, conc., consomm., 1997, comm. n°146, obs. L.
Leveneur ; D. 1997, 588, note M. Billiau et Ch. Jamin ; Defrénois, 1997, 977, obs. D. Mazeaud ; RTDciv.1997,
936, obs. J. Mestre.
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Bénédicte Fauvarque-Cosson / Denis Mazeaud
de la lettre de ce texte qui subordonne la substitution du nouveau contractant à
l’ ”accord” du contractant cédé, on peut regretter que l’avant-projet ne se prononce
pas sur la question pourtant fondamentale de savoir si une telle substitution suppose
le consentement de celui-ci, ce qui emporte la création d’un nouveau contrat plutôt
que la cession du contrat préexistant entre le cédant et le cédé, ou une simple
autorisation de sa part, qui laisse alors la porte ouverte à une cession pure et simple
du contrat dont le contenu et les effets demeurent inchangés, de même que les
garanties souscrites en vue de son exécution restent intactes.
b)
La réception d’innovations d’origine doctrinale
22. En premier lieu, l’avant-projet consacre certaines innovations doctrinales
qui avaient d’ores et déjà complété les dispositions du Code civil et pris place dans
notre droit positif contractuel. Sont, par exemple, couronnées par ce texte, la distinction des obligations de moyens et de résultat 27 que l’on doit à DEMOGUE, exportée
avec succès dans plusieurs droits étrangers, la théorie dite moderne des nullités forgée
par JAPIOT et Eugène GAUDEMET 28 et fondée sur la nature de l’intérêt, privé ou
général, protégé par la règle de validité violée lors de la conclusion du contrat.
De façon plus spectaculaire, l’avant-projet consacre la notion d’obligation
essentielle, dont la thèse de Ph. DELEBECQUE 29 avait dessiné les contours et sur le
fondement de laquelle la Cour de cassation a, lors de ces trente dernières années,
rendu des arrêts extrêmement remarqués. En se fondant sur cette notion, elle a ainsi
neutralisé des clauses d’allégement d’obligation et des clauses élusives de
responsabilité ou limitatives de réparation, qui permettent au débiteur qui a souscrit
une obligation essentielle 30, fondamentale 31 ou substantielle 32, d’échapper aux
conséquences de son inexécution en l’exonérant purement et simplement ou en fixant
un plafond dérisoire d’indemnisation. Par exemple, dans le fameux arrêt
“Chronopost”, rendu le 22 octobre 1996, la chambre commerciale de la Cour de
cassation 33 a, au nom de la cause, réputé non écrite la clause limitative de réparation
stipulée dans le contrat de transport rapide conclu entre la société Chronopost et l’un
de ses clients, en vertu de laquelle le transporteur rapide était simplement tenu
d’indemniser l’expéditeur en lui versant, quelle que soit l’importance de son
préjudice, l’équivalent du prix qu’il avait versé lors de la conclusion du contrat. Elle a
27
28
29
30
31
32
Article 1149 C. civ.
Articles 1129 et suivants C. civ.
Les clauses allégeant les obligations dans les contrats, thèse ronéotypée., Aix-Marseille III, 1981.
En ce sens, v. Cass. civ. 1ère, 18 janv. 1984 : RTDciv.1984, 727, obs. J. Huet.
En ce sens, v. Cass. civ. 1ère, 15 mars 1988 : RTDciv.1990, 666, obs. P. Jourdain.
En ce sens, v. Cass. com., 9 mai 1990 : RTDciv.1990, 667, obs. P. Jourdain ; civ. 1ère, 2 déc. 1997 ;
D. 1998, somm. comm., 200, obs. D. Mazeaud ; JCP 1998.I.144, obs. G. Viney.
33
Cass. com., 22 oct. 1996 : Contrats, conc., consomm.,1997, comm. n°24, obs. L. Leveneur; D.
1997, 121, note A. Sériaux; somm. comm., 175, obs. P. Delebecque ; Defrénois, 1997, 333, obs. D. Mazeaud ;
JCP 1997.I.4002, obs. M. Fabre-Magnan et 4025, obs. G. Viney et II.22881, obs. D. Cohen ; RTDciv. 1997, 418,
obs. J. Mestre.
114
Unif. L. Rev. 2006
L’avant-projet français de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription
donc décidé que cette clause devait être “effacée” du contrat, parce qu’en réduisant
excessivement la sanction de l’inexécution de l’obligation essentielle de ponctualité
souscrite par le transporteur, dans laquelle était cristallisée l’économie du contrat,
“elle contredisait la portée de l’engagement pris”. C’est encore sur le fondement de
l’obligation essentielle que la première chambre civile de la Cour de cassation 34 a, le
22 juin 2004, neutralisé une clause de non-garantie d’horaire qu’une compagnie
aérienne opposait à son client qui se plaignait du retard excessif qu’il avait subi en
affirmant que dans un tel cas de figure “le transporteur ne saurait s’exonérer à l’avance
de toute responsabilité sans porter atteinte à l’essence du contrat de transport aérien
de personnes”.
Les nouveaux articles 1121, al. 3 et 1125, al. 2 de l’avant-projet consacrent
clairement cette jurisprudence. Ils disposent respectivement que sont réputées non
écrites “toute clause inconciliable avec [les] éléments essentiels” qui composent
l’objet du contrat, ainsi que “toute clause inconciliable avec la réalité de la cause”. Est
ainsi confirmée l’idée qu’une clause qui ruine la cohérence interne du contrat parce
qu’elle contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur, en
neutralisant la sanction de son inexécution, doit être supprimée du contrat.
23. Ultime illustration des évolutions du Code civil réalisées par l’avant-projet
en s’inspirant de propositions doctrinales déjà intégrées par le droit positif, la règle de
l’opposabilité du contrat, systématisée dans sa thèse par A. Weill 35. Cette règle se
subdivise en deux principes, que la jurisprudence a consacrés depuis des lustres dans
le silence du Code, et aux termes desquels le contrat est non seulement opposable
aux tiers, mais encore opposable par les tiers. En vertu du premier principe, un tiers
qui se rend complice de l’inexécution de ses obligations contractuelles par le
débiteur, engage sa responsabilité délictuelle. En vertu du second, le débiteur qui
n’exécute pas ou exécute mal ou tardivement ses obligations contractuelles et qui, de
ce fait, cause un dommage à un tiers au contrat, engage, à l’égard de ce dernier, sa
responsabilité délictuelle. Ces règles sont reprises par l’article 1165-2 de l’avantprojet : “Les conventions sont opposables aux tiers ; ceux-ci doivent les respecter et
peuvent s’en prévaloir, sans être en droit d’en exiger l’exécution”.
Tout en consacrant cette règle, l’avant-projet crée une très importante innovation
qui, quant à elle, est énoncée dans le Titre consacré à la responsabilité civile. En vertu
de l’article 1342, lorsqu’un tiers subit un dommage causé par l’inexécution d’une
obligation contractuelle, il dispose désormais d’un choix. Ainsi, il peut opter pour une
action en responsabilité contractuelle (article 1342, al. 1) contre le débiteur auquel ce
dommage est imputable et qui, par hypothèse, n’est pas son cocontractant. En ce cas,
le défendeur à cette action pourra lui opposer toutes les exceptions, toutes les clauses
qu’il aurait pu opposer à son propre cocontractant, c’est-à-dire au créancier de
34
RDC 2005, 270, obs. D. Mazeaud. Dans le même sens, v. Cass. com., 17 juill. 2001 : JCP
2001.I.148, obs. G. Loiseau.
34
La relativité des conventions en droit privé français, thèse Strasbourg, 1938.
Rev. dr. unif. 2006
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Bénédicte Fauvarque-Cosson / Denis Mazeaud
l’obligation contractuelle inexécutée. Avec cette règle, fondée sur l’idée de la double
nécessité de respecter les prévisions contractuelles des parties au contrat inexécuté et
de ne pas mieux traiter le tiers victime que le créancier contractuel, l’avant-projet se
démarque très sensiblement du droit positif. En effet, si la Cour de cassation avait
admis que, dans les chaînes de contrats translatifs de propriété, l’action du tiers, sousacquéreur ou maître de l’ouvrage, exercée contre le fabricant, était de nature
nécessairement contractuelle 36, elle avait opté, dans le fameux arrêt “Besse” 37, pour
la nature délictuelle de l’action exercée par le maître de l’ouvrage contre le soustraitant, ainsi que, implicitement, pour l’action entre deux membres d’un même
ensemble contractuel. Or, non seulement l’avant-projet admet, dans ce genre de cas
de figure, que le tiers victime peut exercer une action en responsabilité fondée sur le
contrat, mais il ajoute que celui-ci peut préférer exercer une action en responsabilité
extra contractuelle, à la condition de démontrer que son dommage a été causé par
une faute du débiteur, ou par le fait d’une chose dont il avait la garde, ou par le fait
d’une personne dont le débiteur devait contrôler le mode de vie ou l’activité (article
1342, al. 2), en somme par un des faits générateurs de responsabilité extra-contractuelle.
En revanche, le cumul des deux actions n’est pas possible. Avec cette seconde branche
de l’option, l’avant-projet tranche, par ailleurs, une difficulté actuelle qui résulte d’une
opposition entre la première chambre civile et la chambre commerciale de la Cour de
cassation et qui porte sur le point de savoir si le tiers, pour agir en responsabilité
délictuelle, doit seulement prouver que son dommage procède d’une inexécution
contractuelle 38 ou démontrer que celle-ci constitue, en outre à son égard, une faute de
négligence ou d’imprudence au sens de l’article 1383 du Code civil 39.
24. L’avant-projet consacre, en second lieu, des innovations d’origine doctrinale
qui emportent une réforme de notre droit positif en ajoutant des concepts ou des
règles qui étaient jusqu’alors inconnues du Code civil et qui n’avaient pas encore été
intégrées en droit positif.
D’abord, on retiendra l’obligation de donner à usage imaginée par J. HUET 40 que
l’article 1146 ajoute à la trilogie classique des obligations de donner, de faire et de ne
36
En ce sens : – pour l’action du sous-acquéreur contre le fabricant, v. Cass. civ. 1ère, 9 oct. 1979 :
RTDciv.1980, 354, obs. G. Durry. – pour l’action du maître de l’ouvrage contre le fabricant, v. Ass. plén., 7
févr. 1986 : D. 1986, 293, note A. Bénabent ; JCP1986.II.20616, obs. Ph. Malinvaud ; RTDciv. 1986, 364, obs. J.
Huet, 594, obs. J. Mestre, 605, obs. Ph. Rémy.
37
Ass. plén., 12 juill. 1991 : D. 1991, 549, note J. Ghestin ; Defrénois, 1991, 1301, obs. J.-L. Aubert ;
JCP II.21743, obs. G. Viney; RTDciv.1991, 750, obs. P. Jourdain.
38
Cass. civ. 1ère, 18 mai 2004 : D.2005, 187, obs. D. Mazeaud ; RTDciv.2004, 502, obs. J. Mestre et
516, obs. P. Jourdain.
39
Cass. com., 5 avril 2005 : Contrats, conc., consomm.,2005, comm. n°149, obs. L. Leveneur ;
D.2005, panorama, 2848, obs. B. Fauvarque-Cosson ; RDC 2005, 687, obs. D. Mazeaud ; RTDciv. 2005, 602,
obs. P. Jourdain.
40
“Des différentes sortes d’obligations et plus particulièrement de l’obligation de donner, la mal
aimée”, in Mél. J. Ghestin, LGDJ, 2001, 426.
116
Unif. L. Rev. 2006
L’avant-projet français de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription
pas faire, et qui “a pour objet la concession de l’usage d’une chose à charge de
restitution, comme dans le bail ou le prêt à usage”.
Ensuite, on relèvera que l’avant-projet officialise la notion de contrat d’adhésion,
créée par SALEILLES, et défini par l’article 1102-5 comme “celui dont les conditions,
soustraites à la discussion, sont acceptées par l’une des parties telles que l’autre les
avait unilatéralement déterminées à l’avance”. Au demeurant, certaines des règles
énoncées par l’avant-projet constituent autant d’applications de cette figure
contractuelle contemporaine. Il en va ainsi, par exemple, de l’article 1122-2 qui étend
le champ de la protection contre les clauses abusives à tous les contractants, lorsque
le contrat dans lequel la clause litigieuse a été stipulée n’a pas été négocié 41. Autre
manifestation concrète de la notion de contrat d’adhésion, la règle de l’interprétation
du contrat en faveur de la partie faible édictée par l’article 1140-1 de l’avant-projet. Si
cette disposition mérite d’être relevée, c’est, d’une part, parce qu’elle illustre le souci
de rapatrier dans le Code civil des règles importantes de notre droit des contrats 42.
Auparavant, en effet, cette règle était énoncée dans le Code de la consommation 43 au
profit du seul consommateur. Elle prendra désormais place dans le droit commun des
contrats que le Code civil a vocation à redevenir et bénéficiera donc à tous les
contractants en situation de faiblesse ou de dépendance, au jour de la conclusion du
contrat. D’autre part, elle témoigne encore du souci de l’avant-projet de promouvoir
la justice contractuelle, et dans cette perspective de prendre en compte, dans les
règles qu’il énonce, l’inégalité qui préside parfois à la conclusion du contrat.
Enfin, on remarquera que l’avant-projet admet l’existence d’une action directe en
paiement qui peut prospérer indépendamment d’une loi spéciale dans laquelle une
telle action aurait été reconnue. Selon l’article 1168, al. 2, en effet, dans le silence de
toute loi spécifique, un créancier peut exercer une action directe contre un débiteur
avec lequel il n’est pas contractuellement lié, à la double condition qu’il existe un lien
entre les contrats auxquels ils sont respectivement parties et que cette action constitue
le seul moyen d’éviter son appauvrissement injustifié. Cette règle avait été proposée
par plusieurs auteurs, mais la jurisprudence ne l’avait pas encore adoptée de sorte
qu’elle emporte une modification de notre droit positif.
c)
La réception des innovations de la pratique
25. L’avant-projet réalise une réception importante de certaines créations de la
pratique contractuelle, dont la plupart avaient déjà acquis droit de cité dans notre
droit positif.
Sont ainsi consacrés, d’une part, des types de contrats que le Code avait ignorés
et que la pratique a imaginés pour répondre aux besoins spécifiques des agents
économiques et adapter les instruments contractuels aux nouvelles exigences du
41
42
43
Sur ce point, v. infra, n°30.
Sur ce point, v. supra, n°4.
Art. 133-2, al. 2.
Rev. dr. unif. 2006
117
Bénédicte Fauvarque-Cosson / Denis Mazeaud
monde des affaires. D’abord, les divers contrats qui anticipent et préparent la
conclusion d’un contrat définitif sont codifiés. Ainsi, l’article 1104-2 définit et esquisse
le régime de l’accord de principe, tandis que la promesse unilatérale de contrat et le
pacte de préférence sont l’objet des articles 1106 et suivants. En outre, le concept de
contrats interdépendants dont le lien économique qui les unit rejaillit sur leur régime
juridique est appréhendé par différents textes de l’avant-projet. Ainsi, l’article 1172
énonce clairement que “Les contrats concomitants ou successifs dont l’exécution est
nécessaire à la réalisation d’une opération d’ensemble à laquelle ils appartiennent
sont regardés comme interdépendants (…)”. Par application de ce texte général,
l’article 1172-2 énonce que certaines clauses, telles les clauses limitatives ou
exclusives de responsabilité, les clauses compromissoires et les clauses d’attribution
de compétence, stipulées dans un contrat du groupe de contrats interdépendants
économiquement sont opposables aux parties d’un autre contrat de cet ensemble, à la
seule condition qu’elles en aient connu l’existence et qu’elles n’aient pas formulé de
réserves à leur égard. De plus, l’article 1172-3 prévoit que “Lorsque l’un des contrats
interdépendants est atteint de nullité, les parties aux autres contrats du même
ensemble peuvent se prévaloir de leur caducité”. Enfin, en vertu de l’article 1137
“Dans l’ensemble contractuel qu’ils forment, les contrats interdépendants s’interprètent
en fonction de l’opération à laquelle ils sont ordonnés”. On saluera, comme il se doit,
cette adaptation des règles contractuelles aux réalités économiques qu’incarne la
consécration de la notion de contrats interdépendants.
26. La réception des créations de la pratique se traduit, d’autre part, par
l’intégration dans l’avant-projet de textes nouveaux relatifs à certaines clauses
fréquemment stipulées dans les contrats.
Ainsi, la clause de dédit, qui constitue une exception conventionnelle au
principe de l’irrévocabilité unilatérale du contrat, est désormais régie par l’article
1134-1 qui dispose que “Les parties peuvent, aux conditions de leur convention, de
l’usage ou de la loi, se réserver la faculté de se dédire ou l’accorder à l’une d’elles”.
Outre le droit conventionnel de repentir, l’article 1135-1 de l’avant-projet intègre
dans le Code la clause de renégociation. Dans les contrats dont l’exécution s’inscrit
dans la durée, autrement dit dans les contrats à exécution successive ou échelonnée,
les contractants peuvent stipuler une telle clause, pour aménager les conséquences
néfastes d’un déséquilibre contractuel, survenu lors de l’exécution du contrat, suite à
un changement de circonstances, tellement important que le contrat qu’ils ont conclu
a perdu son intérêt pour l’un d’entre eux. Dans un premier mouvement, on peut se
féliciter que l’avant-projet donne une assise légale à cette pratique contractuelle et
qu’il stimule ainsi la liberté contractuelle. Mais en disposant que de telles clauses
peuvent être stipulées dans les contrats à exécution successive ou échelonnée,
l’article 1135-1 semble cantonner leur validité à ces seuls contrats. Solution dont
l’opportunité est discutable, si l’on veut bien admettre qu’un déséquilibre contractuel
provoqué par un changement de circonstances peut aussi se produire lorsqu’un
118
Unif. L. Rev. 2006
L’avant-projet français de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription
contrat à exécution instantanée engendre des obligations affectées d’une condition ou
d’un terme suspensifs.
Dernière création de la pratique contractuelle, à laquelle on fera allusion, la
clause résolutoire expresse, déjà dotée d’un régime assez précis par la jurisprudence.
L’article 1159 précise simplement que ces clauses doivent, pour être efficaces,
désigner les engagements dont l’inexécution entraînera la résolution du contrat,
laquelle ne sera, en principe, possible que si le créancier adresse au créancier une
mise en demeure qui rappelle la clause résolutoire en termes apparents.
De manière plus générale et fondamentale, si ces nouvelles dispositions sur les
clauses de dédit, de renégociation, ou encore celles relatives aux clauses résolutoires
expresses, aux conventions relatives à la preuve et à la prescription dotent la liberté
contractuelle d’une puissance symbolique qui faisait auparavant défaut, à la réflexion,
une autre lecture peut en être faite. On peut tout d’abord s’étonner que les rédacteurs
de l’avant-projet aient éprouvé le besoin de graver dans le marbre de la loi ces
manifestations de la liberté contractuelle, comme si celle-ci en avait besoin pour se
déployer dans l’univers contractuel. On peut encore et surtout s’inquiéter du fait que
ces règles, qui consacrent en apparence la liberté, l’encadrent et, par conséquent, la
restreignent. Lors même qu’elles consacrent une liberté (celle d’insérer telle ou telle
clause), ces dispositions sont impératives en ce sens que les parties ne peuvent y
déroger en sortant du cadre légal institué. Or, ce que les parties recherchent le plus
souvent, c’est la liberté de rédiger et de mettre en oeuvre leurs clauses comme elles
l’entendent et, sauf raison particulière, il n’y a pas lieu de les en empêcher.
Les sources de la réforme du Code civil et du droit positif dans lesquelles l’avantprojet a puisé ne sont pas exclusivement d’origine française. Certaines évolutions
fondamentales du droit des contrats sont inspirées d’idées venues d’ailleurs.
2.
Influences externes
27. S’il est demeuré résolument fidèle au modèle contractuel français, l’avantprojet n’est pas pour autant hermétique aux idées venues d’ailleurs. Objectivement, il
est délicat de rendre précisément compte de la part du droit comparé dans l’élaboration
des textes, laquelle a sans doute considérablement varié selon les thèmes retenus et les
auteurs auxquels les textes étaient confiés. Aussi, et sans aucunement prétendre à
l’exhaustivité, nous nous contenterons de recenser quelques règles, dont il nous paraît
raisonnable de penser qu’elles sont probablement inspirées d’autres droits contractuels
et des projets d’harmonisation européenne du droit des contrats, en particulier des
Principes du droit européen du contrat.
28. Au rebours de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui sanctionne la
révocation abusive d’une offre par des dommages et intérêts accordés à son
destinataire, dont la confiance légitime dans le maintien de l’offre a été ainsi trahie,
l’article 1105-4 de l’avant-projet énonce que la révocation d’une offre à personne
déterminée, pendant le délai durant lequel l’offrant s’est engagé à la maintenir, ne
peut empêcher la formation du contrat. Il en va de même, toujours en dépit des
Rev. dr. unif. 2006
119
Bénédicte Fauvarque-Cosson / Denis Mazeaud
solutions jurisprudentielles assez confuses sur ce point, lorsque l’offrant décède
pendant le délai exprès d’acceptation et que le destinataire de l’offre l’accepte
pendant ce délai. On relèvera que la première de ces règles se retrouve quasiment à
l’identique dans l’article 2 :202 des Principes du droit européen du contrat et que,
comme la seconde, elle consacre implicitement la reconnaissance de l’engagement
unilatéral de volonté, comme source d’obligation.
Par ailleurs, à l’inverse de notre droit positif, en vertu duquel, faute de
disposition contraire, un contrat est réputé formé dès que le destinataire d’une offre a
émis son acceptation 44, l’article 1107 de l’avant-projet dispose, à l’instar de l’article
2 :205 des Principes du droit européen du contrat, que “Faute de stipulation contraire,
le contrat devient parfait par la réception de l’acceptation”.
29. D’autres dispositions de l’avant-projet, relatives cette fois aux conditions de
validité du contrat, témoignent elles aussi de la réception par celui-ci de solutions
venues d’ailleurs.
Même si comme nous aurons l’occasion de le constater 45, l’avant-projet dénie
toute influence à la lésion objective, c’est-à-dire au défaut d’équivalence des
prestations contractuelles, sur la validité ou l’efficacité des contrats, il n’en reste pas
moins qu’à l’instar de certaines législations étrangères et des Principes du droit
européen du contrat, il n’est pas hostile à toute forme de lésion. En droits allemand et
suisse, ainsi que dans les Principes du droit européen du contrat, le déséquilibre
contractuel excessif des prestations contractuelles peut emporter la révision ou la
nullité du contrat lorsqu’il est le produit de l’exploitation abusive d’une situation de
dépendance économique, morale ou psychologique. Ainsi, l’article 4 :109 de ces
Principes dispose qu’ ”Une partie peut provoquer la nullité du contrat si, lors de la
conclusion du contrat, elle était dans un état de dépendance à l’égard de l’autre
partie (…) alors que l’autre partie en avait ou aurait dû en avoir connaissance et que,
étant donné les circonstances et le but du contrat, elle a pris avantage de la situation
de la première avec une déloyauté évidente ou en a retiré un profit excessif». Cette
sanction de la lésion qualifiée, entendue comme l’exploitation abusive d’une situation
de dépendance, n’était pas totalement inconnue du droit positif français, antérieur à
l’avant-projet. Dans deux arrêts du 30 mai 2000 et du 3 avril 2002 46, la première
chambre civile de la Cour de cassation a, en effet, admis, sous forme de principe, la
nullité du contrat pour violence économique, tout en précisant que “Seule l’exploitation abusive d’une situation de dépendance économique faite pour tirer profit de la
crainte d’un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne peut
vicier le contrat de violence économique”. Ce faisant, la Cour a donc décidé que la
nullité pour violence économique suppose qu’un contractant ait abusé d’une situation
de dépendance, au stade de la conclusion du contrat, pour en retirer un profit
44
45
46
120
Cass. com., 7 janv. 1981 : RTDciv.1981, 849, obs. F. Chabas.
Infra, n°39.
Cass. civ. 1ère, 30 mai 2000 : Bull. civ. I, n°169 ; 3 avril 2002 : Bull. civ. I, n°108.
Unif. L. Rev. 2006
L’avant-projet français de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription
contractuel excessif. D’une façon similaire, l’avant-projet énonce, dans son article
1114-3, al. 1, qu’ ”Il y a également violence lorsqu’une partie s’engage sous l’empire
d’un état de nécessité ou de dépendance, si l’autre partie exploite cette situation de
faiblesse en retirant de la convention un avantage manifestement excessif”.
On ne peut que constater l’étroite parenté qui existe entre cette règle et celle des
Principes du droit européen du contrat. Certes, l’avant-projet, comme la Cour de
cassation avant lui, intègre pudiquement la disposition qui la formule dans la subdivision relative aux vices du consentement et la rattache formellement à la violence.
Mais plutôt que de violence proprement dite, il s’agit ici, comme dans les Principes et
les droits européens susvisés, de lésion qualifiée. En conséquence, cette règle, qui
permet de combattre les injustices contractuelles lorsqu’elles procèdent d’un abus
d’inégalité en prononçant la nullité des contrats pour exploitation abusive d’une
situation de dépendance économique, inscrit le droit français dans une perspective
européenne. On ne peut que s’en réjouir, avec tous ceux qui considèrent que l’isolement de notre droit sur la scène européenne et internationale constitue un important
handicap, non seulement pour son rayonnement mais aussi pour ses utilisateurs.
30. Il est un autre point particulièrement important sur lequel l’avant-projet
réalise une réforme de notre droit, en s’inspirant des Principes du droit européen du
contrat, à savoir la protection contre les clauses abusives. En droit positif, cette
protection est organisée par le Code de la consommation et ne profite, en principe,
qu’aux consommateurs qui sont victimes de telles clauses lorsqu’elles sont stipulées
dans des contrats conclus par ceux-ci avec des professionnels. En revanche, les
professionnels auxquels sont opposées de telles clauses ne peuvent se prévaloir des
dispositions protectrices du droit de la consommation, sauf lorsque le contrat dans
lequel une telle clause est stipulée n’a pas de rapport direct avec leur activité 47. Mais
la Cour de cassation n’a, jusqu’à présent, jamais considéré, dans les différentes
espèces qu’elle a eu à trancher sur ce point particulier, qu’il n’existait pas un rapport
direct entre l’activité du contractant professionnel et son activité, tant et si bien que
l’hypothèse apparaît fort théorique et que l’on peut penser que la Cour est en réalité
très réticente à l’idée de protéger, sur le fondement du droit de la consommation, les
contractants professionnels, victimes de clauses abusives. En revanche, les Principes
du droit européen du contrat n’établissent aucune distinction quant au statut du
contractant victime d’une clause abusive. Pour être protégé contre une telle clause et
obtenir sa nullité, il suffit que le contractant auquel on l’oppose démontre qu’elle n’a
pas fait l’objet d’une négociation individuelle et qu’elle crée à son détriment un
déséquilibre contractuel significatif 48. Manifestement, les rédacteurs de l’avant-projet
se sont inspirés de ce texte puisqu’aux termes de l’article 1122-2 “la clause qui crée
dans le contrat un déséquilibre significatif au détriment de l’une des parties peut être
révisée ou supprimée à la demande de celle-ci, dans les cas où la loi la protège par
47
En ce sens, v. entre beaucoup d’autres, Cass. civ. 1ère, 24 janv. 1995 : Contrats, conc., consomm.,
1995, comm. n°84, obs. L. Leveneur ; D. 1995, 327, note G. Paisant.
48
Art. 4 :110.
Rev. dr. unif. 2006
121
Bénédicte Fauvarque-Cosson / Denis Mazeaud
une disposition particulière, notamment en sa qualité de consommateur ou encore
lorsqu’elle n’a pas été négociée”. Ainsi, l’avant-projet étend, lui aussi, la protection
contre les clauses abusives à tous les contractants, victimes d’un déséquilibre
contractuel significatif provoqué par une clause qu’ils n’ont pas pu négocier. La
protection n’est donc plus réservée, à l’inverse du droit positif, aux seuls
consommateurs. Ce faisant, l’avant-projet, conformément au dessein poursuivi par ses
promoteurs, rapatrie dans le droit commun du contrat, autrement dit dans le Code
civil, une règle qui était jusqu’alors édictée dans le seul droit de la consommation. La
mise en œuvre de cette règle protectrice est subordonnée à la preuve, apportée par le
contractant victime d’une clause abusive, de l’absence de négociation de la clause en
question. Ainsi, cette règle constitue une nouvelle consécration de la notion de
contrat d’adhésion et s’inscrit dans une des tendances lourdes de notre droit
contemporain des contrats : la lutte contre les déséquilibres contractuels excessifs.
Désormais, en tout cas, tous les contractants qui pourront démontrer qu’une clause
abusive leur a été imposée par leur contractant dans le contrat d’adhésion qu’ils ont
conclu, pourront être protégés contre le déséquilibre significatif qu’elle engendre.
31. La responsabilité contractuelle, quoique reléguée dans le sous-titre relatif à
la responsabilité civile, comporte elle aussi quelques règles qui constituent autant
d’emprunts à des droits contractuels étrangers, ainsi qu’aux projets d’harmonisation
européenne du droit des contrats. D’une part, l’article 1371, s’inspirant des droits nord
américains, notamment, retient la technique des dommages-intérêts punitifs dont elle
soumet le prononcé à un régime rigoureux. Le juge doit, en effet, constater l’existence
d’une faute délibérée, motiver spécialement sa décision et les distinguer, dans sa
décision, des dommages-intérêts compensatoires. En outre, de par leur raison d’être
(réprimer et non réparer), ces dommages-intérêts ne sont logiquement pas assurables.
D’autre part, à l’image de plusieurs droits européens, de la Convention de Vienne,
des Principes d’UNIDROIT et des Principes du droit européen du contrat, l’article 1373
admet l’obligation de minimiser le dommage, que la Cour de cassation avait pourtant
sèchement repoussée dans deux arrêts rendus en 2003 49. Ce texte dispose que:
“Lorsque la victime avait la possibilité, par des moyens sûrs, raisonnables et
proportionnés, de réduire l’étendue de son préjudice ou d’en éviter l’aggravation, il
sera tenu compte de son abstention par une réduction de son indemnisation, sauf
lorsque les mesures seraient de nature à porter atteinte à son intégrité physique”.
32. Une dernière illustration de l’influence exercée par des systèmes
contractuels étrangers sur les règles édictées par l’avant-projet, mais non des
moindres, peut être puisée dans la résolution unilatérale du contrat. Par exception au
principe de la résolution judiciaire du contrat inexécuté, la Cour de cassation a admis,
depuis 1998, que lorsque le débiteur se rend coupable d’un comportement grave, le
49
Cass. civ., 2ème, 19 juin 2003 : D. 2003, 2326, note J.-P. Chazal, et somm. comm., 1346, obs. D.
Mazeaud ; JCP I.101, obs. G. Viney ; RTDciv. 2003,716, obs. P. Jourdain.
122
Unif. L. Rev. 2006
L’avant-projet français de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription
créancier peut rompre unilatéralement le contrat, à ses risques et périls 50. On peut
légitimement penser que déjà, le souci d’aligner le droit français sur la plupart des
droits européens (droits allemand, anglais, italien et néerlandais etc …), avait pesé
dans l’évolution de la jurisprudence, laquelle reprenait ainsi à son compte la règle
posée par l’article 9:301 des Principes européens du droit du contrat, en vertu duquel
“Une partie peut résoudre le contrat s’il y a inexécution essentielle de la part d’un
contractant”.
Inspiré par ces idées venues d’ailleurs, l’avant-projet s’en démarque néanmoins
quelque peu sur le point étudié. En vertu de l’article 1158, lorsque le créancier est
victime d’une inexécution, il a le choix entre l’exécution, la résolution du contrat et
des dommages-intérêts (lesquels peuvent aussi s’ajouter à l’exécution ou la
résolution). En vertu de l’article 1158, al. 1, s’il opte pour la résolution du contrat
inexécuté, un nouveau choix s’offre à lui entre les deux modes de résolution,
judiciaire ou unilatérale. Ainsi, si l’avant-projet supprime toute hiérarchie entre eux, il
n’en continue pas moins, contrairement à d’autres modèles, de se référer à la
résolution judiciaire. Cependant, il se rapproche de nombreux droits étrangers dans la
mesure où la résolution sans juge ne constitue plus un simple tempérament au
principe de la résolution judiciaire supposant l’existence d’un comportement grave du
débiteur mais devient un principe concurrent, qui peut du reste être mis en œuvre
quelle que soit la gravité de l’inexécution imputable au débiteur. En effet, de manière
assez surprenante, la résolution unilatérale n’est plus soumise à une condition de fond
tenant à la nature du manquement ou au comportement grave du débiteur. En
revanche, elle est désormais subordonnée à de lourdes exigences de forme, de
motivation et de délai. Ainsi, le créancier doit, dans un premier temps, mettre en
demeure le débiteur d’exécuter le contrat dans un délai raisonnable. Puis, si celui-ci
ne s’exécute pas dans un tel délai, il peut lui notifier la résolution du contrat en lui
expliquant les motifs de sa décision. Si le débiteur conteste cette décision prise
unilatéralement par son créancier, il doit saisir le juge afin que celui-ci apprécie si les
motifs avancés par le créancier pour résoudre unilatéralement le contrat sont ou non
justifiés. Le juge a alors le pouvoir, soit de valider la résolution prononcée par le
créancier, soit de neutraliser cette résolution si elle est injustifiée, en prononçant le
maintien forcé du contrat illégitimement résolu et en ordonnant la poursuite de son
inexécution (et en octroyant éventuellement encore un délai à cet effet). En définitive,
la différence entre le régime de la résolution unilatérale, tel qu’il existe en droit positif
français et celui prévu par l’avant-projet n’est pas si radicale : en effet, si l’absence de
comportement grave du débiteur n’est plus une condition de l’existence du pouvoir
de la résolution sans juge, ce critère sera nécessairement pris en compte par le juge,
lorsqu’à la demande du débiteur, il se prononcera sur la légitimité de la résolution
50
Cass. civ. 1ère, 13 oct. 1998 : D. 1999, 197, note C. Jamin; somm. comm., 115, obs. Ph.
Delebecque ; Defrénois, 1999, 374, obs. D. Mazeaud ; JCP 1999.II.10133, obs. N. Rzepecki ; RTDciv.1999 ,
394, obs. J. Mestre ; 20 févr. 2001 : D. 2001, 1568, note C. Jamin ; somm. comm., 3239, obs. D. Mazeaud ;
Defrénois, 2001, 705, obs. E. Savaux ; RDC 2003, 149, obs. Y. Lequette ; RTDciv.2001, 363, obs. J. Mestre et B.
Fages ; 14 janv. 2003 : Contrats, conc., consomm., 2003, comm., n°87.
Rev. dr. unif. 2006
123
Bénédicte Fauvarque-Cosson / Denis Mazeaud
unilatérale. En revanche, d’importantes différences subsistent avec les Principes du
droit européen du contrat qui exigent une inexécution essentielle pour autoriser la
résolution unilatérale, ou bien encore avec le droit allemand qui assouplit
considérablement les conditions de forme requises ainsi que l’exigence d’un délai,
surtout lorsqu’il apparaît inutile. Enfin, du côté britannique, on aurait tendance à
relever le pouvoir étonnant et contre-productif laissé au juge : ordonner l’exécution
du contrat après sa résolution unilatérale, est-ce bien réaliste ? La faculté d’octroyer
des dommages-intérêts n’aurait-elle pas suffi ? Mais il y aurait eu là une grande entorse
au principe de l’exécution en nature lequel, profondément ancré dans la tradition
juridique française, est renforcé par l’avant-projet.
De nombreuses règles ou institutions imprégnées de notre tradition juridique
française et qui, à leur tour, viennent alimenter celle-ci, subsistent dans l’avant-projet,
contre vents et marées. Il est temps de les examiner et, parfois, d’en critiquer certaines.
II.
–
LA TRADITION
33. L’examen des dispositions de l’avant-projet Catala révèle clairement, pardelà toute une série d’innovations, sa fidélité à la tradition contractuelle française. La
réforme du droit des contrats qu’il réalise n’emporte pas, en effet, une révolution
générale et fondamentale de notre droit des contrats dont l’esprit, la philosophie, ainsi
que certains concepts, principes et règles traditionnels, qui le charpentent depuis
deux siècles, demeurent inchangés. Cette résistance du droit français, en dépit de la
recodification dont il est l’objet, se traduit concrètement, d’une part, par un
attachement de l’avant-projet à certaines exceptions contractuelles françaises, d’autre
part, par le rejet de certaines tendances contractuelles européennes.
A.
Le maintien de certaines exceptions contractuelles françaises
34. Si l’une de ces exceptions se manifeste sur un plan structurel, les autres
portent sur des aspects substantiels.
1.
Une exception structurelle : la distinction entre contrats civils et commerciaux
35. L’avant-projet maintient la distinction traditionnelle entre les contrats civils
et les contrats commerciaux. En effet, aux termes de l’article 1103, si les contrats sont,
en principe, soumis aux règles générales qu’énoncent l’avant-projet, “Des règles
particulières à certains contrats sont établies, soit sous les titres du présent Code
relatifs à chacun d’eux, soit par d’autres codes et lois, notamment dans les matières
touchant (…) aux opérations commerciales (…)”. Ce maintien d’un dualisme droit
civil-droit commercial a été relevé par M. LANDO qui l’a jugé “fort malheureux”, dans
la mesure où il “pourrait avoir empêché les rédacteurs de proposer des règles
exclusivement ou à forte dominante commerciales” 51. La critique n’est pas dénuée de
51
“L’avant-projet de réforme du droit des obligations et les principes du droit européen du contrat.
Analyse de certaines différences”, cité supra note 4.
124
Unif. L. Rev. 2006
L’avant-projet français de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription
pertinence, tant il est vrai que cette singularité française prive, dans une certaine
mesure au moins, le code nouveau d’une perspective économique, pourtant
indispensable à son effectivité. Pourtant, certains auteurs français, parmi lesquels M.
Mestre dans un article consacré à l’éventuelle recodification du droit des contrats,
avaient déjà très opportunément proposé de profiter de la réforme pour repenser la
distinction traditionnelle entre les contrats civils et commerciaux 52. En effet, comme
l’avait relevé cet auteur, ces derniers contrats ont, durant le dernier quart du siècle
passé, constitué le ferment des évolutions les plus remarquables de la théorie générale
du contrat et ce mouvement continue de nos jours encore. Pourtant, cette
recommandation n’a finalement pas reçu l’assentiment des auteurs de l’avant-projet.
2.
Des exceptions d’ordre substantiel
36. Sur un plan substantiel, la résistance du droit français se caractérise, d’une part,
par le maintien de concepts traditionnels dont on aurait pourtant pu croire que l’avantprojet ferait désormais l’économie et, d’autre part, par le maintien de certaines règles
qui constituent autant d’options fondamentales de politique juridique.
a)
Le maintien de concepts traditionnels
37. L’avant-projet maintient au rang des obligations qui peuvent être
engendrées par un contrat, l’obligation de donner, en clair l’obligation de transférer la
propriété. Maintien que l’on peut regretter, avec la majorité de la doctrine française,
dans la mesure où il est aujourd’hui acquis que “le transfert de propriété est un effet
purement légal du contrat et non l’exécution d’une obligation” 53. En effet, le transfert
de propriété d’un corps certain s’opère instantanément et automatiquement dès
l’accord des volontés, si celui-ci porte sur un corps certain, dès l’individualisation du
bien si celui-ci est une chose de genre, et dès le paiement du prix si le transfert de
propriété a été conventionnellement retardé. Aussi bien, le transfert de propriété ne
procède jamais de l’exécution d’une prétendue obligation de donner, mais constitue
toujours un effet légal du contrat. On peut dès lors s’étonner, notamment, dans une
perspective d’internationalisation et d’européanisation du droit des contrats, que les
rédacteurs de l’avant-projet n’aient pas saisi l’occasion de tordre le cou à ce mythe
que constitue l’obligation de donner.
38. Autre concept traditionnel auquel l’avant-projet reste fidèle : la cause. La
cause demeure donc un des piliers de l’ordre contractuel français. Pourtant, c’est peu
de dire que beaucoup d’arguments pouvaient être développés en faveur de sa
suppression. Outre le fait que cette notion est inconnue dans la plupart des droits
contractuels étrangers, européens notamment, et par tous les projets d’harmonisation
européenne du droit des contrats, elle est vivement critiquée par certains auteurs
français qui dénoncent son extrême abstraction et son extraordinaire complexité.
Ainsi, M. REMY s’est fait l’écho des vices qui affectent cette notion franco-française en
52
53
En ce sens, MESTRE, supra note 3, sp. n°8.
F. TERRE, Ph. SIMLER, Y. LEQUETTE, Droit civil, Les obligations, Dalloz, 2005, sp. n°266.
Rev. dr. unif. 2006
125
Bénédicte Fauvarque-Cosson / Denis Mazeaud
relevant qu’elle est submergée “aujourd’hui par des tonnes de doctrine contradictoire
et des quintaux de jurisprudence incertaine” 54. Las, au risque d’isoler le droit français
sur la scène européenne et internationale, les auteurs de l’avant-projet ont finalement
opté pour son maintien en s’inspirant des évolutions dont elle a été l’objet, depuis
deux siècles, en doctrine et en jurisprudence. Ainsi, en dépit d’une définition unitaire,
la dualité fonctionnelle de la cause, proposée par la doctrine et entérinée par la
jurisprudence, est reprise dans les règles qui la gouvernent désormais. En édictant la
nullité relative des contrats dans lesquels l’engagement d’un contractant a été souscrit
en contrepartie d’un engagement illusoire ou dérisoire (article 1125, al. 1), les auteurs
du texte nouveau ont consacré la notion de cause objective, laquelle permet la
protection de l’intérêt individuel de chaque contractant contre les déséquilibres
contractuels inadmissibles, autrement dit lorsqu’un contractant s’engage sans
contrepartie réelle. Et en prévoyant la nullité absolue des contrats qui sont
objectivement équilibrés, mais qui ont été conclus dans un but illicite ou immoral et
portent ainsi atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs (article 1126), l’avantprojet consacre la notion de cause subjective, qui assure la défense de l’ordre social et
de l’ordre moral contre les contrats qui y portent atteinte. Défense d’autant mieux
assurée que l’article 1126-1 reprend implicitement la solution énoncée, le 7 octobre
1998 55, par la première chambre civile de la Cour de cassation, en vertu de laquelle
il suffit qu’un seul des contractants ait eu connaissance du motif contraire à l’ordre
public ou aux bonnes mœurs pour que le contrat soit annulé pour cause illicite ou
immorale, et ce, en dépit de l’innocence de son cocontractant, et ajoute que, dans un
tel cas de figure, le contractant turpis qui obtient la nullité doit indemniser son
cocontractant “de tout préjudice causé par l’annulation du contrat”.
b)
Le maintien de certaines options fondamentales de politique juridique
39. La résistance du droit français et la fidélité de l’avant-projet à la tradition
contractuelle française se manifestent par le maintien de certaines règles qui
constituent autant d’options fondamentales de politique juridique.
C’est, d’abord, le rejet de la lésion comme cause de nullité ou de révision des
contrats économiquement déséquilibrés qui est fermement réaffirmé dans l’avantprojet. L’article 1122-1 dispose, en effet, que “Le défaut d’équivalence entre les
prestations convenues dans un contrat commutatif n’est pas une cause de nullité,
hormis le cas où la loi admet la rescision du contrat pour cause de lésion”. Ce texte
témoigne de la fidélité de l’avant-projet au modèle libéral qui domine et anime le
droit français des contrats depuis le Code de 1804 et de l’attachement au principe de
l’indifférence de la lésion, lequel, en dépit des tempéraments légaux et
jurisprudentiels qui lui ont été apportés depuis deux siècles, demeure très fortement
ancré dans les esprits. Si en dépit de la lésion qui l’affecte, le contrat est valable,
54
55
Ph. Rémy, supra note 14, sp. p.1182.
D. 1999, somm. comm., 110, obs. Ph. Delebecque; Defrénois,1998, 1408, obs. D. Mazeaud ; JCP
1998.II.10202, obs. M.-H. Maleville et 1999.I.114, obs. Ch. Jamin.
126
Unif. L. Rev. 2006
L’avant-projet français de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription
efficace et intangible, c’est parce que, aujourd’hui comme hier, l’égalité et la liberté
sont censées présider à la création du lien contractuel, et que les contractants, réputés
être les meilleurs juges de leurs intérêts, doivent logiquement assumer la
responsabilité du déséquilibre contractuel : “La valeur de l’engagement libre doit
l’emporter même sur le déséquilibre du contrat” 56. A ces considérations qui reposent
sur une vision dogmatique du contrat, vient s’ajouter l’argument de l’impératif de
sécurité juridique pour écarter la révision et l’annulation des contrats lésionnaires :
“plutôt que de faire régner la justice dans les contrats, les rédacteurs du code civil ont
voulu assurer la sécurité des transactions” 57, laquelle aurait été fragilisée si on avait
admis l’ingérence du juge dans les contrats lésionnaires 58. Nul doute que ce sont des
motifs analogues qui ont conduit les rédacteurs de l’avant-projet à dénier toute
influence à la lésion en matière contractuelle.
40. Dans un ordre d’idées assez proche, il convient aussi de remarquer que,
même si son rôle est renforcé, le statut de la bonne foi n’est pas sensiblement modifié
dans les textes de l’avant-projet. On sait que le Code civil avait réduit la portée de
l’exigence de loyauté contractuelle à une peau de chagrin, puisqu’on n’en trouvait la
trace que dans l’article 1134, al. 3, qui en cantonnait la portée au seul stade de
l’exécution du contrat. On sait aussi que la jurisprudence, depuis près d’un demi
siècle, n’a eu de cesse d’étendre son domaine, puisque la Cour de cassation a affirmé
que la bonne foi doit aussi irradier les autres phases du processus contractuel et
s’impose aux contractants lors de la négociation, de la formation et de l’extinction du
lien contractuel.
Si l’on se réfère à la lettre du Code de 1804, il ne fait guère de doute que l’avantprojet est plus accueillant pour le devoir de bonne foi. En particulier, son respect est
imposé, outre lors de l’exécution du contrat, au stade de sa négociation et de sa
renégociation conventionnelle. Lors de la négociation du contrat, l’exigence de
loyauté constitue un tempérament au principe de la liberté des pourparlers. L’article
1104, al. 1, dispose en effet que “L’initiative, le déroulement et la rupture des
pourparlers sont libres, mais ils doivent satisfaire aux exigences de la bonne foi”. Et
l’alinéa 2 de ce texte ajoute que “L’échec d’une négociation ne peut être source de
responsabilité que s’il est imputable à la mauvaise foi ou à la faute de l’une des
parties”. De plus, aux termes de l’article 1135-3, lorsque ses conditions sont réunies,
la renégociation conventionnelle d’un contrat devenu profondément déséquilibré à la
suite d’un changement de circonstances survenu lors de son exécution, est placée
sous les auspices de la bonne foi. En outre, en matière de représentation
56
R. SAVATIER, Les métamorphoses économiques du droit civil d’aujourd’hui, 2ème série, Dalloz,
1950, sp. n°12.
57
H., L., J. MAZEAUD et F. CHABAS, Leçons de droit civil, Obligations, Théorie générale,
Montchrestien, 1998, sp. n°210.
58
En ce sens, v. entre autres, J. FLOUR, J.-L. AUBERT, E. SAVAUX, Droit civil, Les obligations, 1. L’acte
juridique, Armand Colin, 2004, sp. n°252 ; Ph. MALINVAUD, Droit des obligations, Litec, 2003, sp. p. 303 ; A.
SERIAUX, Droit des obligations, PUF, 1998, sp. n°29.
Rev. dr. unif. 2006
127
Bénédicte Fauvarque-Cosson / Denis Mazeaud
conventionnelle, le représenté, qui conserve le pouvoir d’exercer ses droits, est tenu
de le faire loyalement à l’égard de son représentant (article 1120, al. 2). Enfin, lorsque
le contrat engendre une obligation affectée d’une condition suspensive ou résolutoire,
le débiteur est tenu, pendant la période d’incertitude qui précède la réalisation ou la
défaillance de la modalité, d’une obligation de loyauté envers son créancier
(article1176).
L’avant-projet fait donc preuve de davantage d’hospitalité que le Code civil de
1804 à l’égard de la bonne foi, mais le bilan est plus contrasté si l’on compare ses
dispositions aux règles énoncées à son propos par la jurisprudence depuis quelques
décennies. Ainsi, on ne peut manquer de remarquer qu’aucune référence n’est faite à
ce standard dans les textes qui régissent la formation du contrat, alors même que
certaines solutions jurisprudentielles consacrées par ceux-ci étaient expressément
fondées sur le devoir de contracter de bonne foi : par exemple l’obligation
précontractuelle d’information et la nullité pour réticence dolosive. De même,
l’obligation de renégocier un contrat devenu profondément déséquilibré lors de son
exécution par l’effet d’un changement de circonstances reposait, dans les arrêts de la
chambre commerciale de la Cour de cassation qui l’ont créée, sur le devoir d’exécuter
le contrat de bonne foi. Devoir auquel l’article 1135-2 de l’avant-projet, qui prévoit
cette hypothèse, ne fait pas allusion. Autant d’indices qui tendent à démontrer que,
dans l’avant-projet comme en droit positif, la bonne foi est appréhendée moins
comme un principe fondateur ou une pièce essentielle du droit des contrats que
comme une force d’appoint, un simple correctif des règles techniques et concepts
rigides qui charpentent notre droit national des contrats 59. Impression que confirme
l’absence dans ce texte de tout principe général de bonne foi en matière
contractuelle ; solution qui contraste avec celles retenues par de nombreux droits
étrangers (par exemple les droits allemand ou québécois) ainsi surtout que par les
Principes du droit européen du contrat, lesquels érigent la bonne foi en valeur
contractuelle fondamentale.
B.
Le rejet de certaines tendances contractuelles européennes
41. Si la tradition juridique française est maintenue par l’avant-projet, elle l’a
parfois été au détriment de l’ouverture à certaines tendances contractuelles
européennes, adaptées aux nécessités économiques de notre temps. De nouveau, la
résistance du droit français aux tendances contemporaines peut être appréciée sur le
plan structurel et substantiel.
1.
Un rejet d’ordre structurel : le sort de la responsabilité contractuelle
42. Sur le plan structurel, on doit souligner, pour illustrer la résistance de l’avantprojet aux nouvelles tendances contractuelles européennes, le sort réservé à la
responsabilité contractuelle. Celle-ci disparaît, en effet, du sous-titre consacré au contrat
59
En ce sens, v. G. WICKER, “Force obligatoire et contenu du contrat”, in Les concepts contractuels
français, supra note 12, 151, sp. n°2.
128
Unif. L. Rev. 2006
L’avant-projet français de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription
et se retrouve intégrée dans celui relatif à la responsabilité civile extra contractuelle. On
peut regretter ce choix qui neutralise la spécificité de cette pseudo responsabilité et qui
emporte un démembrement inopportun des différentes règles qui sont offertes au
créancier en cas d’inexécution du contrat. Sur ce point, comme sur bien d’autres,
l’avant-projet tranche, entre autres, avec les Principes du droit européen du contrat,
lesquels comportent un chapitre qui regroupe harmonieusement les divers moyens dont
peut se prévaloir le contractant confronté à l’inexécution de sa créance. On peut aussi
déplorer que les conventions de responsabilité, qu’il s’agisse des clauses élusives de
responsabilité, des clauses limitatives de réparation ou des clauses pénales aient subi un
sort identique. Car, si ces conventions ont bien pour objet la responsabilité et la
réparation, ce sont avant tout des petits contrats qui, en tant que tels, auraient incontestablement mérité d’être intégrés dans le sous-titre de l’avant-projet relatif au contrat.
2.
Des rejets d’ordre substantiel
43. Sur un plan substantiel, on observe un certain reflux du pouvoir unilatéral
en matière de détermination unilatérale du prix.
Sous l’influence de la solution adoptée par d’assez nombreux droits européens,
par les Principes d’UNIDROIT et par les Principes du droit européen du contrat, la Cour
de cassation avait, le 1er décembre 1995 60, finalement décidé que, sauf dispositions
légales spéciales contraires, le prix des contrats d’application d’un contrat cadre
pouvait être valablement fixé unilatéralement au cours de l’exécution de ce dernier,
sous réserve que le prix ainsi fixé ne soit pas abusif, faute de quoi ce contrat pourrait
être résilié et la responsabilité de l’auteur du prix abusif, retenue. Depuis plus de dix
ans, la jurisprudence a progressivement étendu le domaine du principe de la
détermination unilatérale du prix. Elle y a soumis, non seulement des contrats qui ne
prévoient point la conclusion de contrats ultérieurs, comme le prêt à intérêt 61, mais
encore des éléments contractuels qui ne répondent pas à la qualification de prix,
comme l’indemnité de remboursement anticipé 62 ou l’indemnité de résiliation
anticipée stipulée dans un contrat de maintenance à durée déterminée 63. Tant et si
bien qu’aujourd’hui, le principe de la détermination unilatérale du prix est doté d’une
portée extrêmement forte.
Or l’avant-projet, inspiré par l’idée que le contrat est par essence d’origine
bilatérale et que l’existence d’un pouvoir unilatéral en son sein emporte un risque
d’arbitraire, revient sur le régime de la détermination du prix. Il se démarque, du même
coup, de nombreuses solutions retenues en Europe et dans le monde. En effet, aux
termes de l’article 1121-3, “L’obligation doit avoir pour objet une chose déterminée ou
60
D. 1996, 13, note L. Aynès; D. Aff., 1996, n°1, (p.) 4, note A. Laude; Defrénois, 1996, 747, obs.
Ph. Delebecque; JCP, éd. G, 1996.II.22565, obs. J. Ghestin; JCP, éd. E, 1996.II.776, obs. L. Leveneur; Petites
Affiches, 27 déc. 1995, 11, note D. Bureau et N. Molfessis; RJDA, 1996, 5, M. Frison-Roche; RTDciv. 1996, 153,
obs. J. Mestre.
61
En ce sens, Cass. civ. 1ère, 20 févr. 1996 : Bull. civ. I, n°91.
62
En ce sens, Cass. civ. 1ère, 14 juin 2000 : Bull. civ. I, n°184.
63
En ce sens, Cass. com., 17 juill. 2001 : Defrénois, 2001, 1425, obs. E. Savaux.
Rev. dr. unif. 2006
129
Bénédicte Fauvarque-Cosson / Denis Mazeaud
déterminable, à la condition que, dans ce dernier cas, l’étendue de l’engagement ne
soit pas laissée à la seule volonté de l’une des parties”. Est ainsi restauré le principe de
la détermination de l’objet de l’obligation contractuelle, en général, et du prix, en
particulier. L’objet du contrat doit nécessairement à nouveau être le fruit d’un accord de
volontés lors de la conclusion du contrat ou, en tout cas, être déterminable en fonction
d’éléments indépendants de la volonté unilatérale d’un contractant.
44. Reste que s’il perd son statut de principe dans ce domaine le pouvoir
unilatéral n’est pourtant pas rayé de la carte par l’avant-projet. En effet, l’article 1121-4
dispose que “Dans les contrats à exécution successive ou échelonnée, il peut
toutefois être convenu que le prix des prestations offertes par le créancier sera
déterminé par celui-ci lors de chaque fourniture, fût-ce par référence à ses propres
tarifs (…)”. Ainsi, dans les contrats dont l’exécution s’inscrit dans la durée, les parties
peuvent convenir que la fixation du prix procèdera de la volonté unilatérale du
créancier. Mais dans une telle hypothèse, l’exercice de ce pouvoir unilatéral de fixer
le prix du contrat est strictement encadré, dans l’intérêt du débiteur. En effet, si celuici considère que le montant du prix unilatéralement fixé n’est pas conforme au prix
habituellement pratiqué, il peut en contester le montant en demandant au créancier
de justifier le prix qu’il a fixé. Et si le créancier ne peut pas donner de motifs légitimes
pour justifier le montant du prix qu’il a fixé seul, le débiteur pourra alors se libérer de
son obligation en consignant le prix habituellement pratiqué. Ainsi, pèse donc sur le
“maître du prix” une obligation de motivation qui canalise l’exercice de son pouvoir
et tempère les risques de prix abusif. Lorsque le créancier ne parvient pas à apporter
d’explications satisfaisantes au débiteur, c’est alors à ce dernier qu’il revient de fixer le
prix du contrat en se référant au prix du marché.
Si on se place dans l’ordre du symbole, l’évolution réalisée, dans ce domaine
particulier, par l’avant-projet est regrettable en ce qu’elle conduit à un isolement du
droit français au sein du concert contractuel européen et international. A y regarder,
d’un peu plus près cependant, il n’est pas certain que les règles nouvelles, en matière
de détermination du prix, emportent un bouleversement profond de notre droit
positif, sur un plan pratique. En effet, le champ d’application de l’exception dans
l’avant-projet n’est finalement pas fondamentalement différent de celui que réserve
notre droit positif au principe de la détermination unilatérale du prix, puisque tous les
arrêts rendus sur ce point par la Cour de cassation, depuis 1995, l’ont été à propos de
contrats à exécution successive ou échelonnée. En revanche, une fois de plus, on peut
relever cette précision avec laquelle le législateur encadre les clauses des parties – en
l’occurrence, la clause qui autorise une fixation unilatérale du prix – et les soumet à
un régime impératif qui se manifeste, ici, par une inversion de la charge de la preuve.
45. Le refus de la révision judiciaire pour imprévision par l’avant-projet
constitue une autre illustration particulièrement significative du peu d’attrait pour
certaines idées venues d’ailleurs. Dans un très grand nombre de codes de droits
étrangers et européens, notamment dans deux codifications européennes récentes
(droits néerlandais et allemands), la révision judiciaire des contrats devenus
130
Unif. L. Rev. 2006
L’avant-projet français de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription
profondément déséquilibrés, au cours de leur exécution, par l’effet d’un changement
de circonstances, est admise. Il n’empêche : l’avant-projet reste fidèle à la tradition
française et à la solution rigoureuse énoncée en 1876 par la Cour de cassation 64 aux
termes de laquelle : “Dans aucun cas, il n’appartient aux tribunaux, quelque équitable
que puisse leur paraître leur décision, de prendre en considération le temps et les
circonstances pour modifier les conventions des parties et substituer des clauses
nouvelles à celles qui ont été librement acceptées par les contractants”.
On peut d’autant plus déplorer ce maintien du refus de la révision judiciaire pour
imprévision qui s’inscrit dans la plus pure tradition franco-française et qui fait perdre
ainsi au droit français des contrats une nouvelle chance de rayonner au-delà de nos
frontières, que les raisons qui conduisent à une telle solution brillent par leur fragilité.
Ces raisons, qui avaient autrefois fondé la position de la Cour de cassation, et que
l’avant-projet a fait siennes, tiennent au souci de privilégier la sécurité juridique sur la
flexibilité du lien contractuel, quitte à favoriser la rupture du contrat au détriment de
sa pérennité. Elles sont ainsi parfaitement exprimées par les auteurs des Leçons de
droit civil: “Il serait extrêmement dangereux de laisser le contrat à la discrétion du
juge ; intervenant dans l’exécution de la convention avec son sentiment personnel de
l’équité et de l’intérêt général, il ruinerait le contrat, et mettrait en péril l’économie
tout entière, en supprimant la sécurité dans les rapports contractuels” 65. Ainsi, la
révision judiciaire pour imprévision serait une source fatale d’insécurité juridique et
d’instabilité économique. Par ailleurs, on peut encore déceler, dans ce refus
d’accorder au juge un pouvoir d’ingérence dans les contrats déséquilibrés en cas de
changement de circonstances, la marque de l’idéologie libérale qui anime, pour une
large part, l’avant-projet. Idéologie en vertu de laquelle les contractants sont les
meilleurs juges de leurs propres intérêts et qu’il convient donc de les laisser les défendre
en adaptant eux-mêmes, par le biais de clauses appropriées, leur contrat aux évolutions
potentielles de son environnement. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’avant-projet
contient des dispositions précises sur le déroulement de la renégociation contractuelle.
46. Au regard de la fragilité de ces différentes justifications, on aurait pu
légitimement croire que l’avant-projet reviendrait sur la position adoptée jadis par la
Cour de cassation. D’une part, même si comparaison n’est pas raison, on ne peut que
constater que l’admission de la révision judiciaire pour imprévision, dans d’autres
systèmes juridiques, ne s’est soldée ni par des cataclysmes contractuels, ni par des
catastrophes économiques, loin s’en faut. D’autre part, contrairement à l’antienne
véhiculée par l’idéologie libérale, c’est surestimer la rationalité des contractants que
d’affirmer qu’ils sont capables, au jour de la conclusion de leur contrat, d’anticiper
et d’apprécier toutes les évolutions futures de l’environnement de leur relation 66. La
64
65
66
Cass. civ., 6 mars 1876: S.1876.1.161.
H., L., J. MAZEAUD et F. CHABAS, supra note 57, sp. n°730.
Y.-M. LAITHIER, “L’analyse économique du contrat par le juge civil”, in L’analyse économique du
droit des contrats : outil de comparaison, facteur d’harmonisation, Gaz. Pal., 9 et 10 mars 2005, p. 14, sp.
(p.) 18.
Rev. dr. unif. 2006
131
Bénédicte Fauvarque-Cosson / Denis Mazeaud
confiance dans les prévisions contractuelles et dans la capacité des contractants à
envisager même l’inenvisageable ainsi que la méfiance et la défiance à l’égard du juge
l’ont néanmoins emporté, conduisant les rédacteurs de l’avant-projet à choisir, pour le
droit français, la voie de l’isolement. Sans doute, faut-il y voir le signe qu’en droit
français, certains mythes ont décidemment la peau dure … .
47. Ainsi qu’on a pu le constater, si l’examen de certaines de ses dispositions
révèle sa modernité et sa réceptivité aux innovations d’origines diverses, l’étude
d’autres règles témoigne, en revanche, de la fidélité au droit contractuel français tel
que patiemment élaboré depuis deux siècles. Ce n’est pas en trente mois, avec une
poignée d’universitaires, que l’on portera atteinte aux traditions les plus ancrées.
Trente mois, trente six rédacteurs (tous universitaires ou presque) : ces chiffres
ont frappé nos collègues et amis étrangers qui ont vu, dans la composition du groupe
et dans la rapidité avec laquelle cette œuvre titanesque a été accomplie, la marque de
ses faiblesses. Au demeurant, ils ne sont pas les seuls et nombreux sont ceux qui, en
France, estiment également que davantage de temps et d’acteurs auraient été
nécessaires. Davantage de temps pour la concertation, la réflexion, la comparaison ;
davantage d’acteurs pour la délibération et la prise en considération des implications
économiques d’une telle réforme. Toutefois, que l’on ne s’y trompe pas : il ne s’agit
encore que d’un “avant-projet”. Un travail formidable a été accompli. Le temps du
débat, de la concertation, de la révision est amorcé mais il faut espérer qu’il ne durera
pas trop et, qu’à court terme, ce projet deviendra droit positif.
* * *
Paraphrasant l’une des célèbres fables de Jean de la Fontaine, nous conclurons
sur une note légère, optimiste et résolue :
“Petit projet deviendra grand
Pourvu que Dieu lui prête vie
Mais le lâcher en attendant
Je tiens pour moi que c’est folie
Car de le rattraper il n’est pas trop certain (…)
Un droit des contrats recodifié vaut, ce dit-on, mieux que des droits disséminés,
L’un est sûr, les autres ne le sont pas” 67.
67
132
Jean de la Fontaine, Le petit poisson et le pêcheur, Livre V, fable 3
“Petit poisson deviendra grand
Pourvu que Dieu lui prête vie;
Mais le lâcher en attendant,
Je tiens pour moi que c’est folie:
Car de le rattraper il n’est pas trop certain (…)
Un Tiens vaut, ce dit-on, mieux que deux Tu l’auras;
L’un est sûr, l’autre ne l’est pas”.
Unif. L. Rev. 2006
L’avant-projet français de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription
THE
“AVANT-PROJET
CATALA”
:
A DRAFT REVISION OF THE FRENCH LAW OF OBLIGATIONS AND
LIMITATION PERIODS (Abstract)
Bénédicte FAUVARQUE-COSSON / Denis MAZEAUD ; Professors of law, Université PanthéonAssas (Paris II), France.
Since 1804, the provisions of the French law of obligations have remained virtually as
they stood in Book III, Title III of the French Civil Code entitled ”Contracts and conventional
obligations in general”. Yet, in spite of this apparent glaciation of the law, a profound evolution
has taken place outside the Code civil, mainly through case law and in provisions contained in
other, more specialised, pieces of legislation such as the consumer’ Code. The vivid debate
which has taken place recently in France in relation to a possible European civil code has
awakened the feeling that some action had to be taken with a view to modernising our law.
Moreover, the broad diffusion in France of the Principles of European Contract Law – and to a
different extent of the UNIDROIT Principles of International Commercial Contracts – has helped
the French ”internists” to realise that many convergences and similarities already exist between
French contract law and the solutions enshrined in international restatements of contract law.
The project of embarking on a major reform of the French law of obligations was formed
in 2003. The resulting draft, the ”avant-projet”, was achieved within thirty months by a working
group of 36 members – mainly law professors – under the scientific authority of the Association
Henri Capitant and chaired by P. CATALA (hence the name: “Avant-projet Catala”). A separate
team was set up for tort law (chaired by Professors G. VINEY and G. DURRY) and for the
provisions on limitation periods (Ph. MALAURIE).
The motto of the working group could have been : to restore, to reform, to resist.
– To restore the position of the Civil code within French law: the law of obligations, as
reflected in that code, must constitute the jus commune in France – and should again
be a source of influence for those countries in which it might have lost prestige;
– To reform the law of obligations by drafting modern rules reflecting the profound
evolutions which have taken place in France and elsewhere;
– To resist certain European current trends by preserving some rules which reflect the
French tradition.
The innovations are numerous. First, the structure has greatly improved. For instance, an
introductory chapter on ”The source of obligations” introduces the division between juridical
acts and non-juridical acts (Article 1101). Title I referring to “Contracts and conventional
obligations in general” contains seven chapters, six of which are taken over from the Code
civil and one is new (Chapter VI : “Opérations sur créances”).
The avant-projet starts with Article 1101 and finishes at Article 1386, just as the Code civil
currently does. However, the 296 articles of the original Code civil (ten having been added since
1804) have now increased to 488 in the avant-projet. A little more than half of the new provisions
reform the existing texts or are totally new. For instance, the precontractual period, which was not
envisaged at all by the Civil code, is now dealt with in Articles 1104-1107 ; a general obligation of
information is introduced, as well as rules relating to the capacity to contract and the authority to
contract on behalf of third parties (agency), rules on restitution etc ... . Not only solutions built by
case law over the time, but also innovative ideas advocated by academics (such as the “obligation
de moyens” and “obligation de résultat”) or coming from the world of practice have been taken
on board. As regards the European influences, some are particularly worth mentioning: the
protection against unfair terms is extended to non consumers, provided that the terms of the
contract were not individually negotiated (Article 1122-2); punitive damages (Article 1373) and
Rev. dr. unif. 2006
133
Bénédicte Fauvarque-Cosson / Denis Mazeaud
the duty to mitigate loss (Article 1173) have been introduced in the Sub-title II on Torts, and
unilateral termination of the contract is now possible, contrary to the French tradition which
provided for judicial termination only (Article 1158).
Against these bold innovations, great tribute is nevertheless paid to tradition. For
instance, the dualism between civil law and commercial contracts is maintained (rules meant
exclusively for commercial transactions are therefore not supposed to be included in the
revised Code), albeit that approach is not consistent with current international trends in
contract law. Furthermore, the French concept of “cause” survives notwithstanding fierce
criticism, and the avant-projet refers even more extensively to cause than the Code civil did.
The revision of the contract due to a severe disequilibrium of the obligations of the parties
(“lésion”) continues to be rejected in principle (Article 1122-1) although it is indirectly made
possible, in practice, through the admission of the concept of economic duress. The concept of
good faith, in spite of the importance that French case law has increasingly conferred to it, is
not given the status of a general principle by the avant-projet. The possibility for a party to
unilaterally fix the price is very strictly limited (Article 1121-4). Last but not least: the power of
the judge to adapt the contract in case of a major change of circumstances affecting the
performance of the contract is rejected (Article 1135-1 et seq.).
An impressive work has been achieved. Will it become real law ? It is too early to answer
this question. A number of consultations are underway among practitioners and some rules
may be profoundly modified. Yet, the authors’ hope is that this avant-projet will soon lead to a
major reform of the French law of obligations.
134
Unif. L. Rev. 2006