Marc Gaborieau, École des Hautes Études en Sciences Sociales

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Marc Gaborieau, École des Hautes Études en Sciences Sociales
Marc Gaborieau, École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris
LE SOUFISME ET LES CONFRÉRIES DANS L’INDE CONTEMPORAINE
Communication présentée au Colloque international Le rôle su Soufisme et des confréries
musulmanes dans l’islam contemporain. Une alternative à l’islam politique? Turin, 20-2122 novembre 2002
Quand en 1963 je fus par hasard envoyé dans le sous-continent indien pour enseigner le français, l’un
de mes professeur d’islamologie, Georges Vajda me dit: “Vous allez au pays des soufis”. Le soufisme n’était
pas alors la principale de mes préoccupations qui tournaient alors autour du droit et de la logique.
L’expérience du terrain devait vite me persuader de sa prégnance dans ces régions. La présente
communication a la lourde tâche de résumer en vingt pages quarante ans d’études; elle ne saurait être
exhaustive.
Elle concerne l’Inde au sens historique du terme, c’est-à-dire l’ensemble du sous-continent
abstraction faite des frontières né de la partition de 1947: l’Union indienne, le Pakistan et le Bangladesh.
L’Afghanistan, le Népal et Sri Lanka entrent aussi dans cette définition large de l’Inde.
Cette communication présente ma façon d’aborder le soufisme indien, qui n’est pas tout à fait celle
de l’islamologie, ni celle de l’histoire, mais de ce que j’appelle l’anthropologie historique. Mon intérêt majeur,
comme on le verra dans la seconde partie, est de replacer le soufisme dans la structure sociale indienne. Car le
principal travail de ma carrière a été de comprendre la société musulmane du sous-continent dont les
articulations avaient été masquées par des idéologies et des théories sociologiques fallacieuses (Gaborieau
1993b et 2003), et d’y replacer ces sortes de renonçants que sont les soufis (Gaborieau 2002). Cependant cette
interprétation de la société ne saurait être purement synchronique comme l’aurait voulu naguère
l’anthropologie structurale: elle doit être replacée dans son contexte historique — et c’est l’objet de la
première partie; elle doit montrer comment l’histoire moderne et contemporaine brouille l’épure un peu trop
parfaite de la société — et c’est l’objet de la troisième partie.
1. LES CONFRÉRIES DANS L’HISTOIRE
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1.1. L’Inde, l’islam et le soufisme.
L’islamisation de l’Inde s’est faite en suivant deux mouvements de périodicité différente (Gaborieau
1995a). D’un côté un lent enveloppement généralement pacifique par les côtes qui, des origines de l’islam à
nos jours, a amené l’installation de colonies de marchands arabes et iraniens. De l’autre côté un mouvement
de conquête par des dynasties turco-afghanes iranisées liées à l’Asie centrale: commencé au début du XIe
siècle par les Ghaznévides dans le territoire de l’actuel Pakistan, il a établi une hégémonie musulmane sur le
sous-continent à partir du début du XIIIe avec le Sultanat de Delhi prolongé par les sultanats régionaux du
XIVe au XVIe; la puissance musulmane atteignit son apogée au XVIe et XVIIe siècles avec l’empire moghol
avant de laisser la place à des États successeurs souvent fondés eux aussi par des dynasties iraniennes, centre
asiatiques ou afghanes. L’introduction du soufisme est liée, mais de façon inégale, à ces deux mouvements. Le
poids des confréries originaires d’Asie centrale est bien plus important que celui des confréries arabes et
iraniennes; l’histoire documentée du soufisme indien ne commence qu’au XIIIe siècle avec le Sultanat de
Delhi (Kumar 1992).
On trouvera aisément ailleurs un inventaire exhaustif des confréries indiennes (Rizvi 1978 & 1983;
Schimmel 1980; Jackson 1988; Nizami 2000) ou des études régionales (Haq 1975; Siddiqi 1989; Bayly 1989;
Ernst 1992; Eaton 1978, 1993 et 2000) ainsi que des réflexions historiographiques sur la façon dont elles sont
été étudiées depuis le début du XIXe siècle (Ernst 1992: 5-93 et 2000; Gaborieau 2000). Je me contenterai ici
d’un bref panorama qui suit une classification bâtie depuis longtemps (Gaborieau 1986 et 1996b).
Quatre grandes confréries que j’appelle “majeures” occupent une place à part par le nombre de leurs
adhérents dans tout le sous-continent et leur rôle dans l’histoire de l’Inde: la Suhrawardiyya et la Chishtiyya
(Lawrence 1978 et 1992) massivement présentes dès le début du XIIIe, la Qâdiriyya (Buehler 2000) qui
n’acquit du poids qu’à partir du XVe siècle, et la Naqshbandiyya qui arriva avec les Moghols au XVIe siècle
(Buehler 1998: 55-81).
J’appelle “mineures” les autres confréries qui ont moins d’adhérents et sont plus localisées. Les
indiens modernes les répartissent généralement en deux catégories, les “orthodoxes” et les “hétérodoxes” (on
verra verra dans la seconde partie, §2.2, le sens qu’il convient de donner à ces termes). Parmi les orthodoxes,
deux (qui sont à nouveau originaires d’Asie centrale) sont relativement connues. La première est la
Kubrawiyya, installée au Kashmir avec Sayyid `Ali Hamadânî (1314-1385), et (sous le nom de Firdausiyya et
alliée à la Suhrawardiyya) au Bihar dans la moyenne vallée du Gange; dans cette dernière région fleurit
Sharafu’d-Dîn Manerî (Jackson 1987) dont les “Cent lettres” (Maktûbât-i Sadî) sont un des grands classiques
du soufisme indien (Jackson 1987); c’est aussi la Kubrawiyya qui, avec Ashraf Jahângîr Simnânî (m.1425),
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popularisa l’usage des œuvres d’Ibn `Arabî qui, avec celles de Jalâlu’d-Dîn Rûmî,
alimentèrent les
discussions et les controverses dans le sous-continent jusqu’à nos jours. La seconde confrérie mineure
orthodoxe d’importance est la Shattâriyya (Eaton 1993: 77-82; Gaborieau 1996c; Ernst 1999), réputée experte
en sciences occultes, dont le manuel de dévotions en persan, “Les cinq gemmes” (Jawâhir-i khamsa) de
Muhammad Ghauth Gwalyârî (1502-1563), réputé grand grimoire de magie, est très largement imprimé non
seulement en Inde en traduction ourdoue, mais aussi en traduction arabe juqu’en Egypte et au Maroc
(Gaborieau 1993a; Ernst 1999). D’autres confréries mineures orthodoxes, qui sont liées au commerce
maritime, comme la Kâzerûniyya, la Maghribiyya et la Ni`matullâhiyya, et plus récemment la `Aidarusiyya,
sont plus confidentielles. Les ordres hétérodoxes (Gaborieau 1998) comportent au Nord une confrérie venue
d’Asie centrale, la Qalandariyya (Digby 1984), et une autre de création locale, la Madâriyya (Gaborieau 1977:
121-127); sur la côte occidentale et au Sud est attestée la présence des Sidi, descendants des anciens esclaves
noirs; et depuis cette province jusqu’à Sri Lanka on remarque la présence insistante et spectaculaire des Rifâ`î
célèbres pour les séances fakiriques où ils se transpercent le corps (McGilvray 1988).
1.2. Sultans et soufis
Ce sont surtout les ordres majeurs qui ont fait parler d’eux dans l’histoire à cause de leurs liens avec
les souverains et les puissants.
1.2.1. Suhrawardiyya et Qâdiriyya, confréries aristocratiques. La Suhrawardiyya, confrérie
prestigieuse réputée très orthodoxe venue Baghdad, qui était alors le cœur du monde islamique, apparaît dès le
début au premier plan dans l’entourage des sultans de Delhi, acceptant les charges et les honneurs. Les
Suhrawardî jouèrent aussi un rôle de modèle pour l’organisation du soufisme indien: ils apportaient de
Baghdad la tradition de la vie régulière des soufis dans un hospice, et un manuel en arabe du fondateur de
l’ordre, Shihâbu’d-Dîn `Umar Suhrawardî (m.1234), qui en consignait les règles, les `Awârif al-Ma`ârif qui
resta la référence en la matière pour les soufis de l’Inde, tous ordres confondus (suhrawardy 1891), en
particulier chez leurs grands rivaux, les Chishtis qui en faisaient une lecture et un commentaire réguliers dans
leurs hospices (Matringe 2001). La Suhrawardiyya passa ensuite au second plan comme confrérie
aristocratique; la Qâdiriyya, qui eut au XVIIe siècle la faveur des sultans du Deccan (Eaton 1978: 107-124) et
des Moghols (Lawrence 1993), passe aujourd’hui plus la confrérie la plus répandue. La Suhrawardiyya reste
néanmoins dans l’histoire comme la grande matrice du soufisme indien; ce n’est pas elle cependant qui eut le
plus constamment les faveurs des grandes dynasties de l’Inde.
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1.2.2. Le destin paradoxal de la Chishtiyya. Ce rôle échut à une autre confrérie improbable, la
Chishtiyya. Rien ne l’y prédestinait au premier abord: issus des milieux de derviches errants de l’Asie centrale
proches de Qalandars (Zarcone 1994 et 2000), très amateurs demusique mystique (Lawrence 1983), arrivés à
la suite des conquérants à partir du village de Chisht (proche de Herat) d’où ils tirent leur appellation, les
membres de cette confrérie affectaient de mépriser les princes et les rois et de fuir leur compagnie pour rester
hors du monde. Mais cette feinte humilité cachait une conviction de leur propre supériorité et de leurs
pouvoirs, car dans la vision du monde médiévale, le contrôle du territoire (wilâya, apparenté à walâya, la
sainteté) appartient aux saints, et les sultans ne l’exercent que par la délégation qu’ils ont reçue de ces derniers
(Digby 1986: 62-63); en retour les sultans ne peuvent que craindre et reconnaître les pouvoirs des saints dont
ils ont besoin pour asseoir leur règne (Digby 1990). C’est ainsi que ces derviches charismatiques et
redoutables qu’étaient les premiers Chishtis en vinrent progressivement à être considérés comme les saints
protecteurs d’abord du Sultanat de Delhi, puis de l’hégémonie islamique sur Inde entière.
Cette reconnaissance ne fit pas d’un coup; elle se cristallisa selon un processus tortueux qui n’a rien à
voir avec la chronologie linéaire rétablie ensuite par l’hagiographie. En fait le processus ne commença
réellement qu’au début du XIVe siècle, quand le sultanat de Delhi arrivait à son apogée avec les dynasties
Khaljî et Tughluk, autour du personnage de Nizâmu’d-Dîn Auliyâ (1243-1325), le quatrième grand saint
indien de la confrérie: tout en feignant d’ignorer les sultans, il attirait les hauts dignitaires et les lettrés (dont le
grand poète Amîr Khusrau, 1253-1325) dans son hospice qui devint un des creusets de la culture indopersane; et c’est de là qu’il surveilla l’édition en persan du recueil de ses ‘Dits’ (malfûzât) qui constitue le
premier monument et le modèle de la littérature soufie de l’Inde (Nizâm ad-Dîn Awliyâ 1992). A partir de lui
Delhi (Frykenberg 1986) devint définitivement le symbole de la domination musulmane en Inde; et le quartier
qui abrite sa tombe et qui porte encore aujourd’hui son nom, Nizamuddin, devint une des nécropoles des
grandes dynasties de l’Inde. La synthèse établie à Delhi s’exporta ailleurs en Inde, notamment au Deccan dans
les villes de Gulbarga et Bijapur (Eaton 1978) autour du sixième grand saint de la Chishtiyya, Gesûdarâz
(m.1422, Gulbarga). La faveur des Chishtis connut une nouvelle apogée sous les Moghols. Les premiers
souverains de cette dynastie encore mal établie avaient tâtonné: Bâbur (1526-1530) resta sous la protection de
la Naqshbandiyya qu’il avait amenée d’Asie centrale; Humâyûn (1530-1556) chercha à utiliser, sans grand
succès, les pouvoirs magiques de la Shattâriyya. Mais quand Akbar (1556-1605), le véritable organisateur de
l’empire moghol, décida d’asseoir définitivement son pouvoir, il renoua avec la tradition du Sultanat de Delhi
et prit appui sur la Chishtiyya (Richards 1978; Streusand 1989): la tombe de son père Humâyûn, le premier
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monument moghol de l’Inde, est près de celle de Nizâmu’d-Dîn; il établit sa seconde capitale, Fatehpur Sikri,
autour de la tombe d’une autre saint de la même confrérie, Salîm Chishti, par l’intercession duquel il avait eu
un fils pour perpétuer la dynastie; mais surtout, il tira d’un quasi-oubli et dota richement la tombe du premier
grand saint de la Chishtiyya sur le sol indien, Mu`înu’d-Dîn (m. c. 1235) qui s’était établi à Ajmer, alors ville
frontière du Sultanat de Delhi; Akbar en fit le saint patron non seulement de sa dynastie, mais de l’Inde
musulmane en général… avant finalement de sacraliser son propre pouvoir en prenant lui-même les attributs
d’un maître soufi, ce que les historiens coloniaux ont interprété à tort comme l’invention d’une nouvelle
religion (Gaborieau 1992). Après la désintégration de l’empire, les derniers Moghols cantonnés à Delhi et
dans sa région non seulement embellissent la tombe de Nizâmu’d-Dîn, mais font revivre celle passablement
oubliée du second Chishti indien, qui fut aussi le premier à s’établir à Delhi, Qutbu’d-Dîn (m. 1235) que les
textes soufis écrits au XVIIIe et du XIXe siècle considèrent désormais comme le grand saint de la confrérie.
Au terme de cette histoire compliquée la Chishtiyaa émerge clairement comme la grande confrérie tutélaire de
l’islam indien, les autres n’ayant eu de proéminence qu’épisodique.
1.2.3. L’influence contestée de la Naqshbandiyya. Pourtant l’historiographie récente lui prête une
rivale à partir du XVIIe siècle, la Naqshbandiyya, qui aurait eu alors un rôle plus important que celui de la
Qâdiriyya que nous avons évoquée plus haut. Cette confrérie centre-asiatique fondée à Boukhara à la fin du
XIVe siècle (Gaborieau, Popovic & Zarcone 1990) étend plusieurs rameaux en Inde à partir de la conquête
moghole, au Nord (Damrel 1991) et au Sud (Digby 2001). Elle devint surtout célèbre par une branche
indienne réformée, la Mujaddidiyya fondée au tournant du XVIe et du XVII siècle par Ahmad Sirhindi (15641624) qui posa comme le rénovateur (mujaddid) du second millénaire de l’islam qui avait commencé en 1591
(Ter Haar 1992). Il exprima sa doctrine dans un recueil de “lettres” en persan, les Maktûbât, qui sont le livre
soufi indien le plus diffusé dans le monde musulman; il a été traduit en arabe et en turc. Les idéologues de ce
siècle, dans le cadre du combat nationaliste, s’appuyant sur une hagiographie de basse époque, en ont fait un
héros de l’orthodoxie qui aurait ramené les dirigeants musulmans à une pratique religieuse authentique après
les errements supposés de l’époque d’Akbar. Il aurait converti à ses vues l’empereur Jahângîr (1605-1627) et
commencé le lent processus qui sous ses fils amena l’empereur Aurangzeb (1658-1707) à un austère
alignement du gouvernement moghole avec la Loi islamique. La pure orthodoxie naqshbandie aurait alors
définitivement supplanté l’hétérodoxie implicite de la Chishtiyya. C’est ce qu’il est convenu d’appeler la
“réaction naqshbandie”. Les recherches récentes dans les documents originaux montre que cette théorie n’est
pas prouvée par les sources (Friedmann 1971), ni même acceptée par les Naqshbandis contemporains au fait
de leur propre tradition (Gaborieau 1990). Il est même erroné d’opposer la Chishtiyya et la Naqshbandiyya-
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Mujaddidiyya sur le plan de l’orthodoxie: le fondateur de cette dernière, Ahmad Sirhindi, avait d’abord été
formé dans la Chishtiyya; et celles de ses idées qu’on attribue à son initiation naqshbandie, comme sa
demande d’exclure les hindous de toute position de pouvoir, ont des précédents dans la tradition chishtie,
notamment chez `Abdu’l-Quddûs Gangôhî (1456-1537, voir Digby 1975) comme l’a montré une publication
récente (Damrel 2000).
Au terme de ce périple dans l’histoire il apparaît que la grande confrérie politique du sous-continent
est la Chishtiyya. Fondée par des derviches errants elle paraissait mal armée pour résister à des confréries plus
prestigieuses et plus policées comme la Suhrawardiyya, la Qâdiriyya et la Naqshbandiyya. Et pourtant elle l’a
emporté. Nous avons mis en avant une première explication, celle du charisme de ses adeptes. Nous verrons
plus loin qu’il y a sans doute une explication additionnelle dans ses affinités avec la culture et la société
indienne, notamment a travers la musique et la poésie soufie.
1. 3. Le soufis dans la politique moderne.
Avec la colonisation qui a déposé en 1857 le dernier empereurs moghol, il n’y a plus de sultanat de
droit divin. Mais l’autorité des soufis est toujours recherchée par les gouvernants musulmans du Pakistan —
Bhutto puisait beaucoup à cette source — et du Bangladesh — dont les dirigeants affectionnent le pèlerinage à
Nizamuddin et à Ajmer. Les leaders hindous de l’Inde ne sont pas de reste: Indira Gandhi allait
ostensiblement à Ajmer non seulement pour capter le vote musulman qui a toujours été important pour son
parti politique, le Congrès, mais pour légitimer son pouvoir; même l’actuel Premier Ministre de l’Inde,
Vajpayee, pourtant hostile aux musulmans, a jugé politique d’aller à Ajmer. La tradition n’est pas morte, et la
Chishtiyya reste la grande confrérie.
Mais les saints ne sont plus seulement garants de la légitimité du souverain. Ils sont convoqués dans
le jeu politique compétitif des systèmes électifs progressivement mis en place sous la colonisation. Richard
Burton disait au siècle dernier, à propos de la province du Sind (actuel Pakistan), que le soufisme était “une
machine puissante” au service de la politique. Cette vue s’est confirmée sous la colonisation et depuis
l’indépendance: les maîtres soufis appelés pîr ont été mobilisés par exemple au service du colonisateur dans le
Sind (Ansari 1992); les réseaux soufis furent aussi mis au service de leaders nationalistes comme ‘Abdu’l-Bârî
(m.1926) de Lucknow qui lança avec Gandhi la première grande agitation nationaliste en 1919; entre 1945 et
1947 Jinnah, mobilisa les Pîr du Panjab pour la cause du Pakistan (Gilmartin 1988).
Si le soufisme reste donc un grand ressort dans la vie politique, c’est non seulement à cause de son
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héritage historique, mais aussi parce qu’il est très profondément implanté dans la société musulmane,
deuxième volet de notre étude vers lequel nous nous tournons maintenant.
2. LES CONFRÉRIES DANS LA SOCIÉTÉ
Aujourd’hui comme dans le passé le soufisme s’appréhende d’abord à travers ces grands lieux de
sociabilité religieuse que sont les hospices qui ont été fondés par ses grands maîtres historiques et qui abritent
leurs tombes. Essayons d’y retrouver la mise en œuvre de la religiosité et de la culture mystique ainsi que les
principes qui organisent les confréries et les insèrent dans la société. Demandons-nous de quelle façon ils
peuvent servir de pont entre l’islam et l’hindouisme.
2.1. La vie des Dargâh.
Le terme le plus général pour désigner en Inde les hospices soufis est le mot persan dargâh, qui
relève do vocabulaire royal; il signifie le “l’auguste seuil” d’un palais (comme on dit en français la “sublime
porte” pour le palais ottoman). Le saint est le véritable maître du territoire, avons-nous vu plus haut. Il doit
donc être traité comme un sultan. Les descriptions de ces hauts lieux du soufisme, dont l’organisation varie
selon les lieux et les confréries, sont nombreuses pour l’Inde pour l’ensemble du sous-continent (pour un
inventaire voir Subhan 1970; Troll 1989; Gaborieau 1995b; Matringe 1995; Landell-Mills 1995; Werbner &
Basu 1999). On remarquera qu’ils sont presque toujours construits autour de tombes d’hommes: les
sanctuaires organisés autour de tombes de femmes sont l’exception (Champion 1995).
2.1.1. Deux exemples: sobriété naqshbandie et flamboyance chishtie. Deux exemples contrastés pris
dans la ville de Delhi permettront de se faire une idée du large éventail des cas possibles. Le premier est celui
de l’hospice naqshbandi fondé à Delhi autour de la tombe de Mirzâ Mazhar Jân-i Jânân (1699-1781), grand
poète et mystique connu aussi pour sa sympathie pour les hindous: il pensait que les avatars du dieu hindou
Vishnu était des prophètes et initiait des ascètes hindous à la pratique du dhikr. Ce sanctuaire toujours bien
vivant a fait l’objet d’une étude historique (Fusfeld 1981) et d’une description contemporaine (Gaborieau
1990). C’est, au cœur du quartier de Chitli Qabar dans la vieille Delhi moghole, un modeste lieu
historiquement formé par la réunion de plusieurs maisons privées qui ont été réorganisées autour d’une cour
qui contient les tombes du fondateur et de ses successeurs et une petite mosquée. Les bâtiments tout autour
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abritent la résidence du sajjâda-nishîn (successeur du fondateur qui est le maître spirituel et temporel de ce
lieu saint) et sa famille ainsi que les pièces qui servent de lieu d’études et de réception. Ce sanctuaire est met
l’accent sur les études et la dévotion. Le matin est consacré à l’enseignement des sciences religieuses
exotériques; dans le reste de la journée le maître suit la formation mystique de ses disciples; et le soir a lieu la
hadra, c’est-à-dire la célébration du dhikr (silencieux) en commun. Les seules cérémonies un plus colorées
sont la célébration des fêtes anniversaires (`urs) de la mort du fondateur et de ses successeurs: encore les
cérémonies restent-elles toujours sobres, consistant essentiellement en la récitation collective du Coran suivie
d’un repas communautaire (langar). Cet hospice soufi est renommé pour son rayonnement: il reste ouvert à
des ascètes hindous qui viennent y prier; l’audience de ses maîtres soufis a toujours très largement débordé le
sous-continent vers l’Afghanistan — on l’appelle localement “le dargâh des Afghans” —, l’Asie centrale et
le Moyen Orient — le grand Shaikh kurde Khâlid Baghâdî (1779-1826) y fut initié à la NaqshabaniyyaMujaddidiiya qu’il contribua à répandre dans l’empire ottoman; des convertis occidentaux y ont aussi été
initiés, ce qui fait qu’on en parle aujourd’hui en plaisantant comme de la “dargâh des Italiens”.
Le second sanctuaire, devenu une ville en lui-même et une cour des miracles, est autrement coloré:
c’est Nizamuddin (Jeffery 1979 et 1981; Sharma 1974: 115-121). Cet étonnant complexe, situé à l’origine en
dehors des villes musulmanes de Delhi, s’est développé autour de la tombe de Nizâmu’d-Dîn Awliyya qui
avait tenu être enterré, comme il avait vécu, dans la campagne, c’est-à-dire à la fois séparé de la capitale, mais
pas trop loin pour pouvoir influencer la politique; ce n’est que depuis l’indépendance que ce haut lieu du
soufisme a été intégré dans le tissu urbain de la nouvelle mégalopole. Depuis la mort du saint au début du
XIVe siècle, ce sanctuaire n’a cessé d’être fréquenté et orné, étant devenu une sorte de musée archéologique
de l’Inde musulmane avec l’une des plus vieilles mosquées de Delhi, et des tombes de saints, de lettrés et de
princes qui illustrent l’évolution de l’architecture et de la décoration du XIVe au XVIIIe siècle. C’était aussi
une qasba fortifiée dont l’entrée était commandée par des portes: le noyau de la population est constitué par
les descendants du saint qui vivent encore à ce jour de leur fonctions de desservants du dargâh, tandis que
leur femmes voilées restent confinées dans leurs maisons. La vie religieuse tourne autour de ces trois points
que sont le puits à gradins (bâ'olî) dont l’eau est considérée comme miraculeuse, la mosquée et surtout la
tombe de Nizâmu’d-Dîn enclose dans un magnifique monument de marbre blanc entouré d’une colonnade
d’époque moghole: les hommes peuvent entrer dans le monument et faire le tour de la tombe (dans le sens des
aiguilles d’une montre comme le font les hindous, et non dans le sens inverse comme il est d’usage en islam,
bel exemple d’acculturation !). Les femmes doivent rester à l’extérieur où elle viennent prier sous la
colonnade au Nord, du côté de la tête du saint, à l’opposé de la porte d’entrée. De nombreux hindous viennent
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y implorer le saint. Le soir, particulièrement le jeudi, des musiciens (qawwâl), assis dans la cour face à
l’entrée de la tombe, viennent y exécuter des chants mystiques en persan et en ourdou qui provoquent l’extase
chez les fidèles. Chaque jour une distribution gratuite de nourriture (langar) attire une foule de mendiants, de
malades et de fous qui donnent à ce lieu l’aspect d’une cour des miracles. Les allées et venues quotidiennes
sont incessantes de l’aurore jusqu’à tard dans la nuit, suscitant l’installation d’une multitudes de petits
commerces dont les étals de fleurs et les librairies sont les plus directement liées au sanctuaire. Mais cette
animation quotidienne laisse place à des foules de dizaines de milliers de personnes le jours des quatre
grandes fêtes. Trois d’entre elles sont fixées selon le calendrier lunaire musulman et se déplacent dans les
saisons au fil des ans: ce sont les `urs de Nizâmu’d-Dîn et Amîr Khusrau, ainsi que le Bârâ Wafat qui
commémore les douze jours d’agonie et la mort du Prophète. La quatrième est fixée d’après le calendrier lunisolaire hindou et tombe toujours dans les premiers mois de nos années: c’est la fête du printemps (basant)
empruntée à l’hindouisme. Pendant ces jours de festivité, aux visites habituelles à la tombe s’ajoutent alors des
récitations du Coran, des concerts mystiques qui durent pendant des nuits et des distributions monstres de
nourriture.
2.1.2.Les fonctions des sanctuaires.Ces brèves descriptions donnent une idée des multiples fonctions
remplies par les dargâh. La moins apparente, parce qu’elle ne s’expose pas au grand jour, est l’initiation
mystique et les pratiques extatiques qui lui sont liées. Les soufis attachés aux sanctuaires jouant alors le rôle
de maîtres spirituels (shaikh ou pîr) formant des disciples (mûrid). L’instruction mystique (pîrî-mûrîdî),
comme l’ont souligné des études récentes (Buehler 1998: 190-223), tend depuis plus d’un siècle à céder le pas
aux pratiques de médiation rituelle, les responsables des dargâh devenant plus des intercesseurs que des
maîtres spirituels. Mais elle est toujours présente: nous avons vu l’importance que lui accordent les
Naqshbandis de Chitli Qabar; les multiples desservants rivaux de Nizamuddin sont aussi en concurrence pour
former des disciples (Pinto 1995).
Plus visibles que l’instruction mystique sont les pratiques extatiques qui lui sont liées. Même le dhikr
silencieux des Naqshbandis évoqué plus haut, qui inclut au minimum la répétition rythmée d’invocations et le
contrôle du souffle, suffit à induire des états seconds interprétés comme une union mystique à Dieu. A plus
forte raison l’adjonction de la musique peut-elle porter ces effets à leur paroxysme: c’est la fonction du
concert mystique qu’affectionnent particulièrement les Chishtis: chacune de leurs dargâh entretient une troupe
de chanteurs (qawwâl), s’accompagnant avec des tambours et un harmonium; ils donnent régulièrement des
séances de chant (qawwâlî) dont la progression, dans les textes comme dans la musique, est savamment
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graduée pour faire monter l’émotion chez les auditeurs et les mener aux larmes, à l’extase, à la danse
possédée, voire à la mort puisque que la plus belle fin pour un soufi indien est de suivre l’exemple de
Qutbu’d-Dîn, le saint patron de Delhi, qui mourut à l’issue de plusieurs jours de danse extatique sans jamais
reprendre conscience (Digby 1986: 61). Cet aspect poétique et musical du soufisme indien a fait l’objet de
nombreuses publications de documents (Mi`râj Ahmad Qawwâl, Nusrat Fateh Ali Khan) et études (Qureshi
1986; Devos 1995 et 1998; Matringe 1989 et 2000). La ferveur extatique peut culminer dans des exploits
fakiriques, où les disciples en transe, imperméables à la douleur, se transpercent le corps: les Rifâ`î sont tout
particulièrement célèbres pour ce genre d’exploit (McGilvry 1988); les Madârî étaient connus pour marcher
sur le feu.
Comme les pouvoirs miraculeux liés à la mystiques affleurent sans cesse, les dargâh sont aussi des
lieux de guérison des maux physiques et mentaux. Comme l’a montré une thèse récente (Speziale 2002), tout
l’éventail des sciences curatives y est mis en œuvre, depuis la médecine rationnelle, dit galénique ou yûnânî,
jusqu’aux pratiques magiques (Gaborieau 1993a), en passant par la “médecine prophétique” (tibb-i nabawî)
fondée sur des prières. Les desservants des sanctuaires sont de grands fournisseurs d’amulettes. Il est enfin
une fonction qui a rendu célèbres des dargâh spécialisées: le soin des maladies mentales. Les malades agités,
délirants ou simplement déprimés y sont placés, enchaînés s’il le faut, sous la garde de membres de leur
familles: la thérapie consiste, sous la direction des desservants, à les faire tourner à heures fixes autour de la
tombe du saint, ce qui provoque des états de transe où les esprits qui possèdent ces malades s’expriment par
leur bouches. Les patients se libèrent ainsi peu à peu de leurs conflits; dans les meilleurs des cas le saint leur
apparaît en rêve pour leur dire qu’ils sont guéris; ils peuvent alors rentrer chez eux. Plusieurs de ces
sanctuaires ont fait l’objet d’études par des médecins (Rollier 1981 et 1983) et des orientalistes (Speziale
2002).
En dehors de ces activités spectaculaires, ce qui est au premier plan dans la vie quotidienne des
sanctuaires c’est le rôle d’intercesseurs joué par les saints défunts qui y sont enterrés comme par ces saints que
sont les soufis qui desservent leurs tombes. Les fidèles viennent en pèlerinage dans les dargâh avant tout pour
obtenir des faveurs matérielles ou spirituelles d’Allah. Ils déposent, sous la direction des desservants, une
mise sous forme d’offrandes qui sont en principe adressées à Allah au nom du saint, avec l’accompagnement
d’une invocation (du`â) demandant que les mérites de ces dons retombe sur le saint et sur les fidèles; ils
récitent ensuite la fâtiha, la première sourate du Coran. Mais dans l’esprit de ceux-ci, il s’agit de prières
adressées aux saints pour leur demander des faveurs. Aux prières s’ajoutent souvent des vœux par lesquels les
suppliants s’engagent à faire tel ou tel don s’ils obtiennent telle ou telle faveur. Si les grands sanctuaires sont
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le plus souvent généralistes, d’autres sont spécialisés dans tel ou tel type de faveur, que ce soit la guérison des
maladies mentales comme nous l’avons vu plus haut, ou la guérison des maladies physiques comme la lèpre,
ou l’obtention de la pluie et de récoltes abondantes, le saint Ghâzî Miyân en Inde du Nord ayant ces deux
dernières spécialités (Gaborieau 1975 et 1996a; Mahmood 1989). La fonction centrale des sanctuaires est
donc l’intercession (shafâ`a) qui s’exerce à plusieurs niveaux: le saint mort et plusieurs catégories de
desservants vivants s’interposant entre Dieu et les fidèles pour obtenir des faveurs pour ces derniers.
Les fonctions spécifiques des dargâh sont donc l’instruction mystique, les pratiques extatiques, les
soins curatifs et les multiples formes d’intercession. Elles s’accompagnent d’activités non spécifiques comme
l’accomplissement du rituel canoniques dans les mosquées attachées au sanctuaires, l’enseignement des
sciences religieuses exotériques dans les madrasa qui les jouxtent, et plus généralement l’entretien et la
diffusion de la culture islamique avec les bibliothèques, les concours poétiques et les concerts mystiques qui
représentent un genre de musique reconnu. Ainsi, Nizamuddin demeure à beaucoup d’égards le grand centre
de culture islamique de Delhi, voire de l’Inde du Nord.
2.2. La hiérarchie du soufisme
Nos descriptions sont restées jusqu’ici sur le plan spirituel et intellectuel. Elles ne doivent pas faire
oublier les enjeux sociaux et économiques des dargâh, grands centres de redistribution de richesses, qui
mettent en jeu des hiérarchies propres au soufisme et les pouvoirs qui leurs sont liés. Tout en incarnant un
idéal de renoncement, les mystiques musulmans — à la différence de leurs homologues hindous — n’ont pas
complètement coupé les liens avec la société et restent tributaires de ses hiérarchies (Gaborieau 2002). Lors
des grandes fêtes, certes, tous les fidèles sans distinction de classe mangent tous au langar, la cuisine
communautaire. Il ne faut pas en déduire qu’ils sont sur un pied d’égalité, bien au contraire: même dans le
strict cadre du sanctuaire, on constate une gradation des statuts qui reflète celle de la société musulmane dans
son ensemble que j’ai analysée par ailleurs (Gaborieau 1993b). Elle s’étage sur trois niveaux principaux,
allant des privilégiés que sont les maîtres des sanctuaires aux musiciens de statut quasi intouchable, en passant
par les fakirs infériorisés.
2.2.1. Un classe de privilégiés. Même dans un sanctuaire qui n’est pas doté de terres comme
Nizamuddin, les desservants qui vivent seulement des offrandes des fidèles et du commerce des fleurs et des
livres, forment une classe privilégiée qui a bien été décrite dans une monographie ethnologique (Jeffery 1979).
S’affirmant descendants du Prophète, ils entrent dans la classe privilégiée des “nobles” ou ashrâf, réputés
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d’origine étrangère, qui occupent le sommet de la société musulmane: ils restent très largement endogames
préférant le mariage dit “arabe” avec les filles du lignage; les rares unions externes restent cantonnées à des
lignages “nobles”. Le principal symbole de leur statut est la stricte ségrégation des femmes: on ne les voit
jamais dans le sanctuaire; elles restent cloîtrées leur maison dans le dédale des ruelles qui l’entourent.
De telles prétentions ont plus de substance dans le cas de sanctuaires richement dotés comme celui
d’Ajmer (Currie 1992). Deux cas exemplaires ont récemment étudiés. Le premier est celui du dargâh de Bâbâ
Farîd, le troisième grand Chishti, à Pak-Pattan, aujourd’hui au Pakistan (Eaton 1982 et 1984). Les
desservants, eux aussi descendants du saints, sont de riches propriétaires fonciers qui comptent parmi les
grands notables de la région; ils ont même pu, durant les troubles du XVIIIe siècle, s’ériger en principauté
autonome. L’autre exemple est indien: c’est celui du sanctuaire de Salon dans le district de Rai Barely près de
Luchnow (Liebeskind 1998: 125-176). Relevant de la Chishtiyya-Nizamiyya), il fut fondée au début XVIIe
par Shâh Pîr Muhammad Salonî (1586-1787), disciple de Shâh ‘Abd al-Karîm Manikpûrî (m.1647/8). Il
s’agissait, comme dans le cas de Pak-Pattan d’un sanctuaire doté de grandes propriétés foncières depuis
Aurangzeb (44 village !). Le sajjâda-nishîn vivait sur le pied d’un grand propriétaire, voire d’un Nawwâb, et
ses dévots, hindous aussi bien que musulmans étaient aussi souvent ses métayers. Les fêtes étaient des plus
grandioses (avec une assemblée distincte pour les femmes, avec des musiciens-femmes) et une grande
prédilection pour les rites coutumiers souvent d’origine hindoue. Le sajjâda-nishîn y tenait une espèce de cour
où il instruisait toutes les requêtes possibles. Il avait le train de vie d’un grand propriétaire foncier dont il vait
tous les attributs: costume, chasse, danseuses pour les cérémonies du cycle de vie…D’une façon générale, les
maîtres des grands sanctuaires chishtis, qâdiris (Buehler 2000) et Suhrawardis appartiennent à l’aristocratie
foncière: il est symptomatique qu’au Pakistan le terme mûrid signifie à la fois disciple et métayer.
Les représentants des grandes confréries dites orthodoxes se placent donc au sommet de la société
musulmane, parmi les “nobles”. Leur prétentions s’appuient souvent sur une richesse réelle. Ils sont alors en
mesure, nous l’avons vu plus haut, de jouer un rôle politique.
2.2.2. Des soufis de basse caste. Mais ils ne sont pas les seuls soufis à hanter les sanctuaires dont ils
sont les maîtres. Il y en a d’autres qui sont en position nettement subordonnée et mendient à l’entrée. Au
Pakistan, on a les Malang, “amantes” de Dieu, déguisés en femmes (Ewing 1984); en Inde du Nord, les
Qalandars et les Madârîs; en Inde occidentale et méridionale, les Rifâ`îs. Ils sont traditionnellement classés
comme “hétérodoxe”, bî-shar`, c’est-à-dire n’observant pas la Loi divine. Comme je l’ai amplement démontré
ailleurs (Gaborieau 1998), cette expression spécifiquement indienne équivaut à l’arabe malâmatî, désignant
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celui qui recherche le blâme en s’écartant de la Loi; elle est appliqué à ces soufis de seconde zone parce qu’on
leur impute des manquements (vrais ou supposés) aux injonctions de l’islam. En fait cette condamnation
morale masque le vrai fondement de la distinction, qui est hiérarchique: tous ces soufis de seconde zone,
réduits à mendier et à effectuer des exploits fakiriques, sont dans les sanctuaires en position de subordination
par rapport aux grandes confréries orthodoxes. Ce sont en quelques sortes des soufis de basse caste: certains
d’entre eux, comme les Madârîs sont même devenus de véritables castes de mendiants et de prêtres funéraires
qui officient auprès des musulmans des castes respectables pour recueillir les dons funéraires qui sont
infériorisants (Gaborieau 1993: 295-296 et passim; Gaborieau 2002: 89). Mais ces fakirs ne sont pas les plus
bas dans la hiérarchie.
2.2.3. Des musiciens infériorisés.Au-dessous d’eux viennent les musiciens, qui ne sont pas des
soufis, mais font partie intégrante de la vie des sanctuaires. Celui de Ghâzî Miyân a des dafâlî, nommé d’après
leur tambour daf: ils conduisent les processions qui convergent les jours de fête vers la tombent du saint en
chantant ses exploits du saint (Mahmood 1989: 24-25, 42-43). Plus célèbres sont les qawwâl, les chanteurs
mystiques que nous avons rencontrés plus haut: la poésie mystique chantée, propre à provoquer l’extase, tient
une large place dans la spiritualité soufie indienne, particulièrement dans la Chishtiyya; et les qawwâl sont les
réels dépositaires de ce répertoire. Ce sont de grands artistes cultivés, même s’ils sont souvent illettrés et
transmettent oralement leur savoir. Il ne s’ensuit pas pour autant qu’ils soient haut placés. Dans la civilisation
indienne, comme dans le monde islamique, les musiciens professionnels, même s’ils remplissent une fonction
religieuse, sont infériorisés et rangés parmi les plus basses castes intouchables. Dans les sanctuaires soufis, il
n’en va guère mieux: visitant un jour Nizamuddin avec un universitaire musulman ethnologue célèbre, je lui
demandai dans quel rang il attribuait aux qawwâl; il les rangea sans hésiter parmi les Bhangî, balayeurs, c’està-dire la plus basse des castes intouchables. Même s’il nous manque une enquête ethnologique détaillée sur la
place exacte de ces musiciens dans la hiérarchie, il est sûr qu’il s’agit d’une très basse caste.
Les dargâh, avec cette triple gradation de statut, résument en quelque sort la société musulmane
indienne qui est fortement hiérarchisés: on y trouve les classes “nobles” détentrices du pouvoirs et de la
richesses qu’ils accumulent et redistribuent. Il ont autorité à la fois sur les soufis infériorisés qui se trouvent au
niveau médian de la hiérarchie, et sur les musiciens qui sont relégués tout en bas.
3.3. Le soufisme comme moyen terme entre l’hindouisme et l’islam.
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Le lecteur aura peut-être été étonné de me voir décrire les musulmans indiens en des termes qui
paraissent très hindous, en leur attribuant notamment des castes. Une telle vue va à l’encontre des préjugés
courants inspirés de théories du “clash des civilisations”, selon lesquels hindouisme et islam seraient
diamétralement opposés, le premier étant hiérarchique, le second égalitaire. De telles idées ont connu un
succès politique avec la théorie des deux nations de Jinnah qui justifia la partition de 1947, et avec la
construction sociologique de Dumont (Dumont 1966: 261-67; Gaborieau 2002: 72-76) qui considérait la
partition comme “quasi-inéluctable”. Mais il y a un fait curieux: Dumont doit beaucoup à René Guénon qui
termina sa vie au Caire sous l’habit d’un soufi (Lardinois 1995), et pourtant il ne mentionne mentionne jamais
le soufisme, forme islamique du renoncement, alors qu’il brode à l’infini sur les renonçants de l’hindouisme.
Une prise en considération de cet aspect de l’islam, nous allons bientôt le voir, lui aurait fait comprendre que
les oppositions entre les deux traditions ne sont pas aussi diamétrales.
Mais auparavant il aurait dû voir que sa construction de l’opposition “hiérarchique/égalitaire”, en
laquelle il résume la différence de l’hindouisme et de l’islam, est méthodologiquement mal fondée: pour le
premier membre de l’opposition il s’appuie sur des textes juridiques en ignorant les sources mystiques qui
font l’éloge de l’égalité; pour l’islam par contre il ne tient compte que de textes mystiques égalitaires sans
prendre en compte les livres de droit qui, eux, mettent l’accent sur la hiérarchie. Si l’on prend la peine de
remettre les sources dans l’ordre et de comparer ce qui est comparable, on s’apercevra que l’islam a une
conception hiérarchique de la société analogue à celle de l’hindouisme (Gaborieau 1993b: chap.IX; Gaborieau
2002: 83-85). Cette hypothèque étant levée, il est facile de repérer dans les sources historiques comme dans
l’observation contemporaine les correspondances qui ont été consciemment recherchées entre les deux
traditions religieuses (Gaborieau 2002: 85-87). Deux d’entre elles concernent le soufisme.
La première est l’équivalence constante établie par ”hagiographie soufie dès le début du Sultanat de
Delhi entre le soufi et le renonçant hindou dans la figure du yogi détaché du monde, doté de pouvoirs
magiques et garant du pouvoir des rois. Cette équivalence a depuis longtemps été signalée (Digby 1970 et
1975); j’en ai longuement analysé ailleurs les implications sociologiques (Gaborieau 2002). Considérés l’un et
l’autre comme des renonçants, soufi et yogi remplissent les mêmes rôles: en ayant un accès direct au divin par
des techniques mystiques et en y puisant des pouvoirs surnaturels, ils aident les souverains et les fidèles restés
attachés au monde.
La seconde correspondance, à un niveau de croyance plus populaire, est entre les dévotions qui
s’effectuent sur les tombes des saints et les cultes hindous. Au début du siècle dernier Garcin de Tassy disait
que les saints “remplacent pour les musulmans les dieux nombreux des hindous” (Garcin de Tassy 1831: 15):
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les fonctions que ces derniers, dans le cadre du polythéisme, attribuent à de multiples divinités, sont chez les
musulmans remplis par des saints spécialisés. Dans la vénération des soufis et des saints médiateurs les
indiens ont trouvé un moyen terme qui permettait de passer de l’hindouisme à l’islam; et qui permettait de
passer sans trop de dépaysement d’une religion à l’autre.
La présence de ce moyen terme qui permet de comprendre les analogies entre l’islam et
l’hindouisme, et de construire une sociologie de la société musulmane indo-pakistanaise (Gaborieau 1993b:
404-411: Gaborieau 2003). Mais cela suppose que l’on considère que l’intercession (shafâ`a) des saints est
bien partie intégrante de l’islam. Doctrine qui précisément a été mise ne doute dans les controverses modernes
qui vont nous servir de guide pour traiter de la situation actuelle.
3. MODERNITÉ ET TENSIONS
Nos descriptions jusqu’ici se sont concentrées sur les traits traditionnels qui n’ont guère changé
depuis des siècles. Il ne s’ensuit pas que les confréries soient immunes à l’histoire: cette troisième partie va
analyser les principaux changements des deux derniers siècles. Pour cela il est important de voir que ces
changements n’ont pas seulement été induits par la colonisation, mais aussi et d’abord par des débats internes
à la communauté musulmane par lesquels nous commençons.
3.1. La reformulation et la réorganisation du soufisme indien
L’intercession et les pouvoirs miraculeux des saints avaient fini par être admis par l’orthodoxie
islamique dans l’âge classique de l’islam; des voix divergentes s’étaient cependant fait entendre, notamment à
travers le théologien damascène Ibn Taimiyya (m.1328); il créa un courant ultra-orthodoxe dont héritèrent les
Wahhabites d’Arabie au XVIIIe siècle (Gaborieau 1996d).
3.1.1. Les controverses et le grand clivage. La controverse resta souterraine en Inde jusqu’à la fin du
XVIIIe siècle, moment où elle passa au premier plan, sous l’influence diffuse de courants fondamentalistes
venus de l’Arabie centrale wahhabite et du penseur yéménite Shaukânî (m.1834). Les débats commencèrent à
Delhi dès le début du XIXe siècle, notamment par les écrits de Shâh Ismâ`îl Shahîd (1779-1831) qui se joignit
ensuite au mouvement millénariste de rénovation de l’islam initié en 1818 par Sayyid Ahmad dont il fut le
principal idéologue (Gaborieau 1999). A la différence du wahhabisme arabe, il ne s’agissait pas de mettre en
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question le soufisme lui-même, mais seulement ses abus. La controverse portait sur deux points principaux: la
vénération excessive des maître soufis, notamment à travers la technique naqshbandie de méditation sur son
image, et sur le culte des saints morts. Les pamphlets sur le deuxième point furent particulièrement nombreux
(Gaborieau 1989 et 1994): ils remirent en question la croyances en l’intercession des saints, et déclarèrent
illicites les rites effectués sur leur tombes, qu’ils assimilaient à des rites païens, visant pour la première fois à
démarquer clairement les musulmans des hindous en réduisant à néant les croyances et les rites communs. Les
sensibilités religieuses se redéfinirent essentiellement autour de la question du culte des saints. S’y ajoutèrent,
à partir de la fin du XIXe siècle, des courants modernistes nouveaux qui non seulement mettaient en question
certains rites comme le culte des saints, mais visaient à se débarrasser de l’ensemble de la tradition soufie. Ces
débats induisirent dès la première moitié du XIXe siècle un grand clivage entre ceux qui se proposaient
d’épurer le soufisme, et ceux qui tenaient à conserver les pratiques d’intercession. Ce clivage est souvent
résumé par l’opposition entre les Deobandis et les Barelwis qui s’opposent pour le contrôle des mosquées et
l’action politique au Pakistan et jusqu’en Angleterre (Lewis 1994: 27-48, 76-112). La situation est plus
complexe: forcés de se réorganiser après la révolte de 1857 et la terrible répression qui suivit, les musulmans
développèrent un large éventail de courants et d’organisations qui s’ordonnent cependant autour du clivage
mentionné ci-dessus: les modernistes et fondamentalistes ainsi que les Deobandis se trouvaient du côté de
ceux qui voulaient épurer le soufisme.
3.2.2. Modernisme et fondamentalisme. Mettons à part en commençant les écoles où le soufisme est
réduit au minimum, pour ne pas dire inexistant. Ce cas de figure est illustré par ces frères ennemis que sont les
fondamentalistes et les moderniste. Au siècle dernier Sayyid Ahmad Khân (1817-1898), fondateur de
l’université musulmane d’Aligarh, et promoteur d’une théologie rationaliste, avait été dans sa jeunesse séduit
par les critiques d’Ismâ`îl Shahîd contre le culte des saints; finalement, après 1857, il évacua complètement le
soufisme notamment naqshbandi dans lequel il avait été élevé (Troll 1979: 28-57, 220-221). En ce siècle-ci
Abûl A`là Maudûdî (1903-1979), le théoricien de l’État islamique dans le cadre du Pakistan, qui se voulait à
la fois fondamentaliste et moderniste, renia lui aussi le soufisme de son enfance dans lequel il voyait une des
principales causes de décadence de l’islam. Dans un pamphlet datant de 1940, l’époque où il commença à se
poser en leader de la communauté musulmane, il n’a pas de mots assez forts contre “l’attachement morbide” à
la mystique qui a produit “la pire dégénérescence morale et religieuse”: “si l’on veut faire revivre l’islam…, il
faut que les musulmans s’abstiennent de ces abus, comme le diabétique doit renoncer au sucre” (Maudûdî
1963: 105-106,108). On reconnaît là un thème cher aux modernistes et aux salafistes du Moyen-Orient. Ces
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vues extrêmes restent cependant très minoritaires. Les autres partisans de la purification du soufisme
préservent un contenu mystique
3.2.3.Le soufisme épuré: Ahl-i hadîth et Deoband. Dès après 1857 deux courants juridicothéologiques s’organisèrent en se réclamant de l’héritage d’Ismâ`îl Shahîd. Les Gens du Hadîth (Ahl-i hadîth),
et les Deobandi. Les premiers (Metcalf 1982: 264-296) passent pour les plus éloignés du soufisme; cependant
l’examen de leur biographies révèle qu’ils continuent à être initiés; mais on manque d’enquêtes sur leur
pratiques mystiques. On est par contre beaucoup mieux renseigné sur la façon dont les Deobandis enseignent
et pratiquent le soufisme grâce au dépouillement d’un important corpus de biographies du XIXe siècle
(Metcalf 1982: 157-196). Ils refusèrent toutes les institutions traditionnelles des dargâh avec le culte des
tombes, les pèlerinages et les rites d’intercession; ils déclaraient même illégitime la célébration de la naissance
du Prophète, toute vénération devant être reportée sur Dieu. Tout était centré sur l’instruction dans le face à
face du disciple et de son maître, ce dernier guidant de près son éducation morale et ses expériences
mystiques. Le but était de revenir à une pure expérience spirituelle dépouillée de toutes les institutions et
pratiques qui, dans la vue des Deobandis, ont au cours des siècles perverti le soufisme, mais en gardant
l’instruction mystique et les techniques extatiques qui vont avec elle.
Le mouvement prosélyte de la Tablîghî Jamâ`at (Gaborieau 1997; Masud, 2000), fondé en 1927 par
Muhammad Ilyâs (m.1944) est issu de Deoband dont il a gardé la doctrine. Il est depuis sa création en 1927
étroitement contrôlé par le lignage des Kândhalawî qui est aussi, à beaucoup d’égards, une confrérie mystique
familiale d’affiliation chishtie. S’ensuit-il pour autant que le mouvement, dans son fonctionnement
d’ensemble, soit celui d’une confrérie soufie comme le voulait son premier interprète (Haq 1972) ? En fait
l’organisation de la Tablîghî Jamâ`at — qui est fondée sur l’encadrement et à l’endoctrinement de masse
obtenir la conformité au style de vie austère du Prophète, et non sur un itinéraire spirituel individuel ou
l’intercession — est tout sauf soufie; et même les dévotions qu’elle appelle dhikr n’ont rien à voir avec les
pratiques extatiques que ce terme désigne à proprement parler (Gaborieau 1997: 217; Masud 2000: xl).
3.2.4. L’intercession réaffirmée: Barelwis et et Naqshbandis, de la confrérie à l’association. Les
Deobandis recherchaient l’intériorisation et l’individualisation, loin de l’intercession et des rites collectifs; les
Barelwis, qui se situaient de l’autre côté du clivage, sont organisés en réaction contre eux à la fin du XIXe et
ont pris le chemin inverse. Son fondateur, un docteur de la Loi appelé Ahmad Riza Khan (1856-1921), lié à
une grande famille de soufis Qâdirîs et lui-même maître mystique, réaffirma la légitimité du culte des saints et
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des pèlerinages à leur tombe, ainsi de la célébration de la naissance du Prophète qui était pour lui l’objet d’une
dévotion particulière. L’accent est désormais reporté plus vers l’intercession que vers l’itinéraire personnel.
Ainsi confortés, ses disciples s’unirent pour former un mouvement rival de celui des Deobandis. Il ne
s’agissait pas cependant d’un retour pur et simple à la tradition: en contrôlant strictement l’orthodoxie des
rites effectuée sur les tombes, ils se posaient en réformistes et redéfinissaient le soufisme (Sanyâl 1996).
Au cours du XXe siècle on assista à des transformations institutionnelles encore plus profondes chez
les Barelwî en association avec la Naqshbandiyya. On associe souvent à tort Deoband avec la Naqshbandiyya,
alors que ses racines sont essentiellement chishties. La majorité des Naqshbandis, comme ceux de Chitli
Qabar à Delhi décrits plus haut, refusèrent les réformes des Deobandis et réaffirmèrent la licéité du culte des
saints. De même les Naqshbandis du Pakistan s’unirent aux Barelwî pour réaffirmer leur pratiques
traditionnelles de l’intercession, et ils réorganisèrent leur confrérie sur le modèle des associations mises à la
mode par les Britanniques. Dans cette nouvelle formule le rôle du maître soufi en tant que guide dans la
parcours de la voie mystique s’estompe au profit de son rôle d’intercesseur entre Dieu et les membres de
l’association (Buehler 1998: 190-223).
Depuis le début du XIXe siècle, les controverses ont ainsi abouti dans les milieux lettrés à la
cristallisation de trois attitudes contrastées à l’égard du soufisme qui se sont exprimées dans une vaste
littérature en ourdou. Ces attitudes sont aussi très largement corrélées avec les vues politiques: modernistes et
fondamentalistes sont par définition les plus politisés. Les Deobandis, en Inde comme au Pakistan, ont été les
plus activistes et les mieux organisés pour peser sur la vie politique, tandis que les Barelwî avaient tendance à
être plus quiétistes (Sanyal 1996: 268-327). Il reste cependant une part importante de la population, voire une
majorité silencieuse, qui n’a cure de ces controverses et qui continue de fréquenter imperturbablement les
grand sanctuaires pour y faire les dévotions traditionnelles et implorer l’intercession des saints: Ajmer avec la
tombe de Mu`înu’d-Dîn et Bahraich avec celle de Ghâzî Miyân voient après tout chacun jusqu’à 500.000
pèlerins pour leur fête annuelle.
3.2. Les bouleversements de l’histoire.
Mais l’évolution du soufisme n’obéit pas seulement à une logique interne. Elle est tributaire des
grandes évolutions politiques et économiques. Les Britanniques avaient décidé de ne pas interférer
directement dans la vie des institutions soufies; après 1857, ils choisirent de s’appuyer sur ces “leaders
naturels” qu’étaient les grands notables, favorisant ainsi les maîtres des dargâh richement dotées et renforçant
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les hiérarchies internes du soufisme. La partition de 1947 au contraire eut des conséquences des conséquences
importantes, qui ne sont pas les mêmes en Inde et au Pakistan.
On n’a encore que quelques rares études sur l’Inde (Liebeskind 1998). La partition y eut deux
conséquences néfastes: une partie du personnel et des fidèles des sanctuaires émigra au Pakistan diminuant
ainsi les ressources; les réformes agraires drastiques appauvrirent définitivement les dargâh richement dotées,
dont les leaders sombrèrent comme le reste de l’aristocratie foncière. Les sanctuaires ne purent continuer le
faste d’antan. Mais l’État se garde bien d’intervenir dans la vie des sanctuaires, si ce n’est pour contrôler la
gestion des ressources: les rites traditionnels continuent donc avec des moyen plus limités.
Au Pakistan au contraire il n’y a pas eu de réforme agraire; les sanctuaires comme à Pak-Pattan sont
toujours aussi riches. Leur pouvoir politique a plutôt augmenté, puisque les grands pîr sont toujours sollicités
par les politiciens rivaux: Bhutto (1971-1977) exploita à fond pour sa propagande politique le potentiel
émotionel des dargâh où il se rendait fréquemment. Mais depuis le régime du général Zia (1977-1988) l’État,
par idéologie fondamentaliste, intervient de plus en plus pour assurer l’orthodoxie des rites et contrôler la
gestion financière.
3.3. La globalisation du soufisme indo-pakistanais
Un fait marquant du XXe siècle a été la globalisation du soufisme indien. Non que l’Inde mystique
ait été auparavant isolée: elle était liée à l’Asie centrale et au Moyen-Orient dont venaient la plupart des
confréries; inversement certains ordres créés ou remodelés en Inde, comme la Shattâriyya et la
Naqshbandiyya-Mujaddidiyya, ont largement essaimé en retour en Asie centrale ou, à travers le relais de la
Mecque, jusqu’en Indonésie. Mais ces échanges restaient limités au monde musulman.
Avec la colonisation ce sont les pays occidentaux qui se sont ouverts à l’influence des confréries
indiennes, et cela de deux façons. D’abord en raison de l’intérêt des Européens et des Américains pour le
soufisme, qui fut en particulier attisé par René Guénon. Si les confréries nord-africaines et moyen-orientales
ont été au premier plan, celles de l’Inde n’ont pas été absentes (Ernst 2000). Plusieurs exemples anciens ou
plus récents illustreront ce premier aspect. Inâyat Khân (1882-1927), musicien affilié à la Chishtiyya,
commença à partir de 1910 à propager sa confrérie en Amérique et en Europe, à travers la musique, sans
exiger de ses disciples qu’ils se convertissent à l’islam. Il mourut prématurément lors d’un voyage à Delhi et
fut enterré à Nizamuddin. Ses disciples, et en particulier sa femme américaine, continuèrent son œuvre en
Occident, tandis que sa tombe à Delhi est un lieu de pèlerinage où se déroule un concert mystique
hebdomadaire toujours très fréquenté par les occidentaux (Hermansen, sous presse). En 1971 un soufi de Sri
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Lanka, Bawa Muhaiyadeen (m. 1986), s’installa aux Etats-Unis où il recruta de nombreux disciples,
musulmans ou non. Son tombeau près de Philadelphie est devenu un lieu de pèlerinage. Plus récemment
Khwâja Abû’l-Hasan Zaid Fârûqî (1906-1992), le maître naqshbandi de Chitli Qabar, a initié une dizaine
d’italiens à sa confrérie, et contribué ainsi à répandre la Naqsbandiyya-Mujaddidiyya parmi les européens:
c’est pourquoi il disait en plaisantant que son hospice n’était plus celui des Afghans comme on le disait
traditionnellement, mais celui des Italiens (enquête personnelle).
Enfin on a récemment signalé sur le sol indien un exemple de confrérie syncrétique, la Warithiyya,
tradition spirituelle née pendant la période coloniale, directement rattachée à Ali, sans intermédiaire
confrérique. Warith Ali Shâh (1818-1905), de Dewa près de Lucknow, appartenait à un lignage pur de
Husaini Sayyid. Orphelin, il avait renoncé à tous ses biens et était resté célibataire. Il avait beaucoup voyagé
au Moyen-Orient et en Europe. Il était toujours vêtue de l’ihram, le vêtement des pèlerins à la Mecque. Il se
comparait aussi à Jésus et a Krishna. Il n’y avait pas de rituel fixe, et pas d’amulettes. Et l’amour était la seule
devise du mouvement. Il voyageait beaucoup pour rester en contact avec ses disciples. Ces derniers sont
divisés en deux groupes: ceux qui portaient une sorte de pagne hindou, avaient renoncé au monde et restaient
célibataires; et ceux qui ne le portaient pas et demeuraient dans me monde. Le recrutement est œcuménique:
musulmans (chiites comme sunnites), chrétiens, juifs, parsis, ainsi que des hindous de toutes classes et castes
du balayeur au Brahmane. On parle de 400.000 disciples. Il n’y a pas de confrérie, ni de successeur du
fondateur. Son héritage est géré par une fondation pieuse créée en 1917 après la mort de son neveu qui était
son dernier parent vivant. La fondation entretient la tombe, la mosquée adjacente et la célébration des deux
`urs, celle de Warith Ali Shah et celle de son père (Liebeskind 1998: 177-223).
A l’inverse la diaspora des musulmans indo-pakistanais a commencé à transporter ses confréries
soufies en Afrique de l’Est, en Europe et en Amérique, particulièrement par le canal des Barelwî, qui sont
pratiquement les seuls à reproduire sur le sol occidental l’intégralité des rites soufis (Lewis 1994: 81-89).
Mais ces confréries internes ne semblent pas pour le moment rayonner sur les occidentaux, sinon
indirectement par la musique mystique: la qawwâlî est désormais identifiée en Occident un genre genre
musical: les interprètes de renom, comme Nusrat Fateh Ali Khan et les frères Sabri, attirent les foules et voient
leurs chants publiés en CD-Rom avec texte et traduction (Nusrat Fateh Ali Khan, 1989). De plus des
informations sur les ordres indiens sont maintenant disponibles en abondance sur des sites Web consultables
en Occident.
En dépit de ces percées, la globalisation du soufisme indien reste encore assez limitée.
20
CONCLUSION: Vitalité et transmutations du soufisme indien
Malgré toutes ces vissicitudes le soufisme indien reste bien vivant. Il a réussi à survivre aux
soubresauts politiques et économiques; il continue à imprégner la spiritualité et la culture des musulmans de
tout le sous-continent, malgré la propagande des réformateurs qui bien souvent prêchent dans le désert.
Comme résultat des controverses du siècle dernier, on décèle cependant une tension entre deux
évolutions contradictoires, entre deux formes de soufisme. L’un individuel et épuré, tel celui qui est prôné par
les Deobandis: il écarte toute institution autre que la relation de maître à disciple et met l’accent sur
l’instruction mystique à l’exclusion de l’intercession. C’est le soufisme d’une élite lettrée et particulièrement
active en politique; c’est aussi la forme de soufisme qui s’exporte en Occident. L’autre variété au contraire,
souvent moins politisée, met l’intercession au premier plan: elle conserve toutes les institutions centrées sur
les tombes des saints et les cérémonies festives qu’elles engendrent, rejoignant les traditions séculaires et
continuant à attirer les foules.
Mais dans ces temps modernes où les croyances s’affaiblissent, il existe une troisième forme de
soufisme qui a perdu la force de sa conviction spirituelle, pour se concentrer sur les arts et la culture. Même
sans croire aux saints et à leurs desservants, on peut aller à Nizamuddin pour écouter des concerts mystiques,
des récitations de poésie et pour travailler dans la bibliothèque de l’Académie Ghâlib, du nom du fameux
poète. c’est aussi une variété de soufisme — en danger d’être folklorisée comme les deviches-tourneurs —
qui s’exporte en Occident avec les concert de qawwâlî. On peut toujours se demander si les occidentaux qui
adhèrent au soufisme indien, sans nécessairement se convertir à l’islam, pratiquent le première forme épurée,
ou restent au niveau de cette troisième forme culturalisée.
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