Anorexie, le drame alimentaire - Eki-Lib

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Anorexie, le drame alimentaire - Eki-Lib
Santé magazine
Internet: santemagazine.f
Comment détecter chez un ado les premiers signes au plus vite.
norexique(…) Dix pour cent en meurent, à ce qu’il paraît. (…) Sans s’en
rendre compte. De solitude, sûrement. A cause du froid surtout. De la
fatigue aussi. ** Pour de nombreux jeunes gens, l’adolescence commence
comme ça, dans la souffrance, le froid, le mal-être, l’envie de rien, même plus de
manger, surtout pas de manger.
Alors qu’à côté, dans les « adolescences
voisines », on voit des jeunes gens pleins de vie et d’appétit, qui ont le plaisir
d’une tartine beurrée et d’un bol de chocolat chaud, de quelques coupables
grignotages en papotant chiffons ou motos, sorties et lycée. Parfois, déjà désireux
de plaire, ils tentent de faire attention aux kilos superflus (surtout les filles) et
s’amusent de régimes picorés ça et là dans les revues à la mode. Pour
l’entourage, il n’est pas toujours facile de démêler un régime banal et une
anorexie débutante. Apprenons à faire la part des choses et à identifier les signes.
A
Une adolescente qui fait un régime n’est pas une anorexique en puissance.
Au moment de la puberté, l’image du corps est vécue plus ou moins comme une
obsession par la plupart des adolescents. Même si leurs modèles sont alors
souvent des tops modèles, ce n’est pas pour autant l’anorexie qui pointe le bout
de son nez. L’adolescent vit une métamorphose qui peut être ressentie comme
un cauchemar : en très peu de temps il prend 15centimètres, sa silhouette se
transforme, sa pilosité se développe, les seins des filles s’arrondissent, etc. À côté
de cette nouvelle réalité, l’adolescent évolue aussi psychologiquement : c’est le
moment des vocations subites, des collections, des engouements pour un
chanteur rock, de la bosse des maths, etc. Il a besoin d’une passion bien à lui,
hors du regard parental, qui lui permet de passer le cap. La sensation de contrôle
est nécessaire pur qu’il devienne adulte. Mais, parfois, la trajectoire dérape et
sans que l’on sache encore aujourd’hui pourquoi, l’adolescent choisit la
nourriture comme objet de maîtrise : on tombe alors dans l’horreur de l’anorexie.
Ce choix particulier de l’aliment n’est en rien motivé par l’obsession de l’image
de son corps, à l’inverse de tout adolescent qui va vouloir maigrir pour plaire, se
sentir mieux, améliorer son anatomie.
Ado au régime, ado anorexique, deux profils, deux attitudes
Une adolescente fait un régime parce que le petit copain lui a dit qu’elle avait
quelques kilos en trop, parce qu’elle rêve de ressembler à la copine mince, tout
simplement parce qu’elle se sent grosse, etc. La motivation du régime relève en
tout cas d’un rapport relationnel. Le lien est un appel vers l’autre : je veux plaire
et je veux me plaire. Elle résiste à la nourriture, il y a un effort de volonté qui,
parfois, s’effondre au profit d’un écart. Elle a cependant à terme une satisfaction :
la perte de poids et son régime cessent une fois l’objectif de minceur atteint.
L’adolescente qui entre en anorexie ne se soucie pas du regard des autres, elle est
dans une trajectoire, seule. Elle déteste son corps. Elle veut maîtriser la
nourriture, maigrir et pour elle sans effort, c’est secondaire, une simple
conséquence. Elle n’a jamais de satisfaction ni de bénéfice puisqu’elle n’attend
rien de son corps, elle veut maîtriser l’aliment. La perte de poids est sans limite,
jusqu’à la mort parfois.
Des ados au-dessus de tout soupçon
Tout prétexte devient bon pour éviter de se trouver confronté à la nourriture. Les
anorexiques écartent habilement les situations quotidiennes de leur trajectoire.
Elles ne vont plus aux dîners avec les copains, elles prétextent un repas copieux à
midi pour ne plus manger le soir. Elles refusent toutes invitations et finissent par
se couper d’une vie sociale normale et organisent leur vie et leur mode de pensée
sur l’obsession « Manger, pas manger ».
Elles racontent des histoires à
l’entourage mais aussi à elles-mêmes et s’emmurent dans un monde hors de toute
sensibilité. Elles se coupent de tout rapport naturel avec la réalité jusqu’à ne plus
voir leur corps du tout. Ce corps, elles n’en ont plus conscience et mettent très
longtemps à concevoir que les maladies parallèles à leur anorexie (dents qui se
déchaussent, cheveux qui tombent, pathologie cardiaque…) viennent de leur
anorexie. L’anorexique va tout faire pour détourner l’attention des autres de son
poids. Alors que l’adolescente qui fait un régime va être fière d’annoncer qu’elle
a perdu 3 kilos. Les anorexiques sont d’une inimaginable volonté. Elles
brouillent les pistes en devenant les meilleures en tout : en classe, en sport, etc.
Ce sont des ados qui conservent toutes les apparences d’une relation normale
avec le monde. Elles ne sont jamais abattues, jamais renfermées, etc. Elles sont
au contraire dans une hyperactivité physique et intellectuelle. Toute leur
organisation consiste à masquer leur perte de poids et c’est souvent pour cela que
l’on s’aperçoit de leur maladie quand, malheureusement, il est déjà tard.
Un semblant de vie social
L’anorexique a, en général, des relations superficielles avec l’entourage. Elle
maintient une apparence de vie, de présence (elle peut sortir beaucoup, sembler
enthousiaste, très mature), mais elle n’a en fait pas vraiment d’amis, pas de
meilleure copine, elle fait le ménage de toute vraie vie relationnelle. Le prétexte
étant les études, le sport de haut niveau, telles ou telles occupations, etc. Mais il
est difficile pour l’entourage d’identifier les signes d’une anorexie quand tout
semble parfait. Tant qu’elle n’est pas visible physiquement, l’anorexie mentale
donne toutes les apparences d’une vie très active.
Une attitude alimentaire ritualisée
Quand une anorexie commence, le rituel est très particulier. Le régime est une
obsession : certaines se mettent à chronométrer leur temps de nourriture.
D’autres se fixent sur un type de nourriture et ne mangent que ça. D’autres
encore vont chasser les calories. Elles s’adressent à la nourriture sans objectif de
minceur mais la volonté de prendre le pouvoir sur le temps, leur corps, la réalité,
la vie, et là le régime est dangereusement sans limite.
L’anorexique se fabrique des rituels. Son assiette va être l’objet d’un découpage
méthodique et obsessionnel : elle découpe les petites pois en deux, elle les écarte
sur le rebord de l’assiette, elle mange ce bout de viande et pas celui-là… Très
rapidement, l’activité alimentaire est ritualisée et la notion de régime est niée.
Les mères finissent par se ressembler
Contrairement à ce que l’on entend dire, l’anorexie ne serait pas due aux relations
difficiles avec la mère. Si une anorexique ne mange plus, ce n’est pas contre ou à
cause de quelqu’un. L’anorexique n’est pas quelqu’un qui ne veut pas manger
mais c’est quelqu’un qui ne peut pas manger. Il existe en elle une duplicité entre
deux personnages qui s’affrontent, une qui veut manger et l’autre qui ne veut
pas.
Le rapport à la mère est loin de cette réalité de la maladie. Il est vrai que les mères
d’anorexiques finissent par se ressembler parce que les anorexiques transforment
leur entourage. Les mères subissent de telles épreuves –toujours les mêmesqu’elles finissent par se retrouver sur le terrain de la réalité de l’adolescent
malade. Mais ce n’est pas leur mode de fonctionnement initial qui fait l’anorexie.
L’anorexique ne se voit pas maigre
L’adolescent anorexique refuse de reconnaître sa maladie, ses comportements
restrictifs, sa maigreur même, l’évidence en somme. En fait, il semble dans
l’incapacité de « voir », au sens premier du terme, sa différence. La perception de
son corps est altérée. « J’ai entendu une anorexique de 28kg me dire, en
désignant ses pauvres jambes, qu’elle sentait la graisse dégouliner sur sa cuisse,
raconte le Dr Alain Meunier. Ce déni n’est pas dirigé contre l’entourage, c’est
simplement que la maîtrise de la nourriture occupe tout le champ de conscience
au détriment du reste du monde, d’elle-même, de son corps. Ce mécanisme
existe dès le début de la trajectoire anorexique, à divers degrés. Il faut savoir le
repérer et ne pas se laisser entraîner par ses raisonnements paralogiques, garder
son jugement même si nous le perdons par amour. »
L’aider, oui, mais comment ?
La maigreur, c’est terrible, mais elle s’accompagne hélas, dans le cas de
l’anorexie, d’un cortège de pathologies associées dont l’adolescent n’a aucune
conscience. Il ne se sent pas maigre et encore moins malade ! Comment lutter
alors avec un adolescent qui est sur le mauvais chemin ? Aujourd’hui, les
médecins semblent s’accorder à dire qu’il ne faut pas user de la force : elle ne fait
que renforcer l’anorexique dans ses positions. Lui jeter à la figure : « Mais tu ne
vois pas que tu es anorexique ! » ne donne rien, au contraire. Nos explications,
« notre vérité » ne peuvent rien contre la sienne. Il a initié un système dont lui
seul pourra se défaire. Il est simplement possible de tenter de favoriser les
circonstances qui permettront la révélation et les aménager autour de lui. Même
le médecin ne peut imposer la vérité médicale, il doit sonner à l’anorexique les
connaissances suffisantes pour assurer sa propre surveillance. Cela peut
consister à lui montrer une radiographie des os s’il y a une décalcification, ou le
résultat de l’analyse de ses cheveux s’ils tombent (en insistant sur le rôle des
vitamines)…Mais aussi, dans la vie courante, on peut laisser le vendeur lui
expliquer qu’en-dessous du 34 c’est le rayon enfant… L’anorexique n’est pas
opposant, mais dans le refus d’une maladie puisqu’il ne la voit pas. Il faut donc
lui donner les armes, les connaissances qui lui permettent de lever la voile.
Cela suppose, bien entendu, beaucoup de temps, d’écoute et de
patience.