Croisements entre circulaire et décisions de justice
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Croisements entre circulaire et décisions de justice
Croisements entre circulaire et décisions de justice (CE et CC QPC) CE, 20 mars 2013, Comité Harkis et Vérité, req. n° 342957 Le 26 mars 2013, par Geneviève Koubi, L’interprétation erronée d’une décision de justice par une circulaire administrative peut être rectifiée par une autre décision de justice... Exemple. La publication au Journal officiel du résumé de la décision n° 342957 du 20 mars 2013 du Conseil d’État statuant au contentieux invite à se pencher une deuxième fois sur la circulaire du 30 juin 2010 relative à la prorogation de mesures prises en faveur des anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie et de leurs familles, publiée au Journal officiel le 2 juillet 2010, puisque désormais les dispositions du 1 du II de cette circulaire « sont annulées en tant qu’elles réservent le bénéfice de l’allocation de reconnaissance aux personnes de statut civil de droit local ». ● Auparavant, le Conseil d’État, dans une décision du 16 avril 2012, Comité Harkis et Vérité (req. n° 342956) [1], avait relevé que « la circulaire contestée précise explicitement que le bénéfice des dispositions qu’elle comporte s’applique aux anciens membres des formations supplétives et assimilés et à leurs familles sans condition tenant à leur nationalité ; que, d’autre part, si elle reprend la condition, figurant notamment à l’article 6 de la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, tenant à ce que les bénéficiaires de ces dispositions aient fixé leur domicile en France ou dans un autre État membre de l’Union européenne, cette condition, qui vise à tenir compte des charges entraînées par leur départ d’Algérie et leur réinstallation dans un État de l’Union européenne, est en rapport direct avec l’objet de la loi et ne crée pas de différence de traitement disproportionnée au regard des objectifs que celle-ci poursuit ». Il avait cependant signifié, sur le terrain de la compétence, l’illégalité du 2 du IV et du 2 du VI de la circulaire du 30 juin 2010. Dans cette décision du 20 mars 2013, Comité Harkis et Vérité (req. n° 342957), le Conseil d’État rappelle que cette circulaire du 30 juin 2010 relative à la prorogation de mesures prises en faveur des anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie et de leurs familles, « comporte des dispositions impératives à caractère général ». Il signale aussi que, « par une décision n° 342956 du 16 avril 2012, postérieure à l’enregistrement de la requête, le Conseil d’État statuant au contentieux a annulé pour excès de pouvoir le 2 du IV et le 2 du VI de la cette circulaire » ; de ce fait, les conclusions de la requête dirigées contre ces dispositions sont devenues sans objet. Ce rappel revêt un certain intérêt en tant qu’il rend compte d’un développement de la rhétorique juridictionnelle récente tendant à la citation dans le corps d’un arrêt de décisions de justice précédentes [2]. Il apparaît, en l’espèce, nécessaire pour redonner lecture de l’interprétation délivrée par le Conseil d’État le 16 avril 2012 : « la circulaire contestée précise explicitement que le bénéfice des dispositions qu’elle comporte s’applique aux anciens membres des formations supplétives et assimilés et à leurs familles sans condition tenant à leur nationalité » [3]. Donc, de cette circulaire du 30 juin 2010, on retient que deux paragraphes ont déjà été annulés sur le fondement de l’incompétence : le 2 du IV relatif à la formation professionnelle (aides et stages) et le 2 du VI concernant les associations. Aussi, il était utile de retraduire le fait que pour les autres dispositions de la circulaire les ministres signataires étaient compétents pour les adopter ce d’autant plus qu’elles « se bornent à rappeler les conditions fixées par la loi pour bénéficier de l’allocation de reconnaissance et sont dépourvues de valeur réglementaire ». ● Le Conseil d’État prend alors toute la mesure des conséquences des décisions rendues sur des questions prioritaires de constitutionnalité. Il avait saisi le Conseil constitutionnel d’une telle question à propos des lois applicables au litige [4]. Il relève que « par sa décision n° 2010-93 QPC du 4 février 2011, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les dispositions qui, dans le premier alinéa de l’article 9 de la loi du 16 juillet 1987, le dernier alinéa de l’article 2 de la loi du 11 juin 1994, le paragraphe I bis de l’article 47 de la loi n° 99-1173 du 30 décembre 1999, les sixième et septième alinéas de l’article 6 et l’article 9 de la loi du 23 février 2005, mentionnaient l’acquisition ou la possession de la nationalité française, dont celles qui, par les renvois qu’elles opéraient, réservaient aux seuls ressortissants de statut civil de droit local le bénéfice de l’allocation de reconnaissance ; que cette déclaration d’inconstitutionnalité prend effet à compter de sa date de publication au Journal officiel, le 5 février 2011, et peut être invoquée dans les instances en cours à cette date et dont l’issue dépend de l’application des dispositions déclarées inconstitutionnelles » [5]. Sans expliciter plus avant sa lecture de la circulaire, le Conseil d’État déduit de cette décision QPC que les dispositions du 1 du II de la circulaire sont illégales « en tant qu’elles réservent le bénéfice de l’allocation de reconnaissance aux personnes de statut civil de droit local ». En dépassant la question de la nationalité, le Conseil d’État s’intéresse donc de nouveau aux effets attachés au "statut civil de droit local". ● Les implications de la distinction entre statut civil de droit commun et statut civil de droit local découlent de l’article 1er de l’ordonnance du 21 juillet 1962, « seuls les Français de statut civil de droit commun domiciliés en Algérie à la date de l’annonce officielle du scrutin d’autodétermination ont conservé la nationalité française quelle que soit leur situation au regard de la nationalité algérienne » [6]. Cette ordonnance qui entérinait, en quelque sorte, l’accession de l’Algérie à l’indépendance, constitue toujours, en dépit des jurisprudences restrictives qui ont pu intervenir par la suite, le texte de référence pour ce qui concerne le statut des personnes nées dans le "département" français d’Algérie. Or "le critère retenu pour décider de la nationalité française n’était donc pas le lieu du domicile lors de l’indépendance mais l’origine" : « Relevaient notamment du statut de droit commun les personnes qui avaient une ascendance métropolitaine, celles qui étaient d’origine européenne – italienne ou espagnole, notamment –, celles qui avaient acquis la nationalité française par déclaration, les Israélites originaires d’Algérie, et les indigènes musulmans qui, avant l’indépendance, avaient été admis à la citoyenneté française par décret ou par jugement. Le reste de la population algérienne, les "Français musulmans d’Algérie", restait soumis au statut de droit local et n’avait pas accès au plein exercice des droits civils et politiques » [7]. ● Il apparaît cependant que le 1 du II de la circulaire du 30 juin 2010, que le Conseil d’État déclare illégal en l’espèce, s’il concerne les "bénéficiaires de l’allocation de reconnaissance" se présente comme une "application de l’arrêt du Conseil d’État du 6 avril 2007". En quelque sorte, la circulaire donne une illustration patente de la réticence des pouvoirs publics à se saisir correctement des lectures des textes juridiques opérées par les juges en une matière dite "sensible"... Le Conseil d’État, dans cette décision du 6 avril 2007, Comité Harkis et Vérité (req. n° 282390), s’était penché sur le décret n° 2005-477 du 17 mai 2005 pris pour l’application des articles 6, 7 et 9 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés. Il avait déjà spécifié que la distinction entre les deux statuts ne pouvait être enregistrée pour ce qui concerne l’attribution de l’allocation : « Les articles 1er, 2, 3 et 4 du décret n° 2005-477 du 17 mai 2005 pris pour application des articles 6, 7 et 9 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des français rapatriés sont annulés en tant qu’ils mettent en œuvre l’exclusion du bénéfice de l’allocation de reconnaissance des anciens membres des formations supplétives soumis au statut civil de droit local n’ayant pas opté pour la nationalité française prévue par les articles 6 et 9 de la loi du 23 février 2005 » [8]. Au paragraphe 1 du point 2 de la circulaire du 30 juin 2010 relative à la prorogation de mesures prises en faveur des anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie et de leurs familles, seule la précision relative à la nationalité a été retenue. Peuvent donc y être repérées diverses contorsions qui avaient quelque peu pour but de réinterpréter la décision du Conseil d’État afin d’exclure du bénéfice de l’allocation les anciens membres des formations supplétives non soumis au statut civil de droit local. Pour le Premier ministre, selon la circulaire du 30 juin 2010, « l’annulation partielle du décret n° 2005-477 du 17 mai 2005 pris pour l’application des articles 6, 7 et 9 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 par l’arrêt du Conseil d’État du 6 avril 2007 trouve à s’appliquer aux demandes d’allocation de reconnaissance qui n’ont pas fait encore l’objet d’une décision ou qui ont fait l’objet d’une décision de rejet pour les raisons qui ont motivé l’annulation par le Conseil d’État des quatre premiers articles du décret du 17 mai 2005 précité. Par cette décision, le Conseil d’État a annulé les articles 1er, 2, 3 et 4 du décret n° 2005-477 du 17 mai 2005 pris pour l’application des articles 6, 7 et 9 de la loi n° 2005158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés "en tant qu’ils mettent en œuvre le principe d’exclusion du bénéfice de l’allocation de reconnaissance des anciens membres des formations supplétives soumis au statut civil de droit local n’ayant pas opté pour la nationalité française prévue par les articles 6 et 9 de la loi du 23 février 2005". Il en résulte que le dispositif est étendu par l’effet de cette décision juridictionnelle aux anciens supplétifs pour lesquels la date d’acquisition de la nationalité française ne peut plus être valablement opposée pour refuser l’allocation de reconnaissance. En revanche, la haute juridiction a confirmé que ces personnes devaient avoir subi un préjudice moral lié au "rapatriement" : la haute juridiction avait en effet relevé que l’institution de l’allocation de reconnaissance avait pour objet de compenser les graves préjudices que les harkis, moghaznis et anciens membres des formations supplétives et assimilés de statut civil de droit local avaient subi lorsque, contraints de quitter l’Algérie après l’indépendance, ils ont été victimes d’un déracinement et connu des difficultés spécifiques et durables d’insertion lors de leur accueil et de leur séjour en France. (CE 30 mai 2007, n° 282553, Union nationale laïque des anciens supplétifs.) / L’article 6 de la loi du 23 février 2005 fixe les nouvelles modalités de versement de l’allocation de reconnaissance sans remettre en cause les conditions d’attribution issues des textes antérieurs. En vertu des textes en vigueur et en application de l’arrêt précité du Conseil d’État, les bénéficiaires doivent : – être des personnes de statut civil de droit local anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie ; – être rapatriés, c’est-à-dire avoir été contraints de quitter le territoire algérien et être arrivés en France ou dans un État membre de l’Union européenne avant le 10 janvier 1973, qu’ils aient été, ou non, éligibles au bénéfice des mesures contenues dans la loi du 26 décembre 1961 ; – justifier d’une résidence continue en France ou dans un État de l’Union européenne depuis leur départ d’Algérie ; .... [...] L’instruction des nouvelles demandes et des demandes en cours d’examen sera soumise à l’ensemble des critères susmentionnés et intégrera les conséquences de la jurisprudence du Conseil d’État (non-application du critère de nationalité). » ● En la matière, ce qui importe, ce n’est ni la nationalité, ni le statut civil (de droit commun ou de droit local), mais la seule qualité d’ancien membre des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie. ... ... En final, les 1 du II, 2 du IV et 2 du VI de cette circulaire du 30 juin 2010 relative à la prorogation de mesures prises en faveur des anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie et de leurs familles sont donc annulés. . Notes : [1] V. G. Koubi, « L’allocation de reconnaissance à l’aune des circulaires... ». [2] Ce qui pourrait faire l’objet d’analyses plus approfondies relatives à la [fuchsia ]citation par le Conseil d’État statuant au contentieux de ses propres décisions ... [3] En écho : la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-93 QPC du 4 février 2011, Comité harkis et Vérité : « en instituant les allocations et rentes de reconnaissance et aides spécifiques au logement précitées en faveur des anciens harkis et membres des formations supplétives ayant servi en Algérie et qui ont fixé leur domicile en France ou dans un autre État de l’Union européenne, le législateur a décidé de tenir compte des charges entraînées par leur départ d’Algérie et leur réinstallation dans un État de l’Union européenne ; que, pour ce faire, il a pu, sans méconnaître le principe d’égalité, instituer un critère de résidence en lien direct avec l’objet de la loi ; qu’en revanche, il ne pouvait, sans méconnaître ce même principe, établir, au regard de l’objet de la loi, de différence selon la nationalité ». [4] CE, 24 nov. 2010, Comité Harkis et Vérité (req. n° 342957). [5] Et, dans cette même décision QPC du Conseil constitutionnel, « sont déclarées conformes à la Constitution les dispositions suivantes : - les autres dispositions de l’article 9 de la loi n° 87-549 du 16 juillet 1987 relative au règlement de l’indemnisation des rapatriés ; - les autres dispositions de l’article 2 de la loi n° 94-488 du 11 juin 1994 relative aux rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie ; - les autres dispositions de l’article 47 de la loi n° 99-1173 du 30 décembre 1999 de finances rectificative pour 1999 ; - l’article 67 de la loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002 de finances rectificative pour 2002 ; - les autres dispositions des articles 6, 7 et 9 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés. ». [6] Notant que cette ordonnance reprend certaines des données de la loi n° 62-421 du 13 avril 1962. V. S. Slama, « Musulmans d’Algérie "méritants" bénéficiaires de l’ordonnance de 1944 : citoyens mais plus nationaux français depuis 1963 (CC, Décision n° 2012-259 QPC du 29 juin 2012, M. Mouloud A.) » - NB : citation complète de ce document : Serge Slama, « Absence de droit à la nationalité française et d’atteinte à l’égalité à l’égard des « Français musulmans d’Algérie » relevant du statut civil de droit local mais bénéficiaires de la citoyenneté » [PDF] in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 7 juillet 2012. [7] L. Roques, « La politisation du droit de la nationalité », Plein droit n° 79, 2008, p. 3. [8] art. 1er, CE, 6 avr. 2007.