Villa Pauly - Luxembourg

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Villa Pauly - Luxembourg
Villa Pauly
Au début du 20ème siècle le plateau Bourbon était en plein essor d’urbanisation. De
nombreuses maisons plus ou moins riches furent construites. Le boulevard de la
Pétrusse s’avéra être l’une des adresses en vogue à l’époque. Des maisons de maître y
furent érigées avant et après la première guerre mondiale. La plus impressionnante de
ces maisons fut construite pour le docteur Norbert Pauly, chirurgien, au numéro 57.
Les plans de cette maison bourgeoise aux allures de château étaient l’œuvre de
l’architecte Mathias Martin. En 1923, le docteur Pauly y établissait son cabinet médical
au premier sous-sol.
Le 10 mai 1940, au moment de l’occupation du Luxembourg par la Wehrmacht, le
docteur Pauly se trouvait en vacances dans le sud de la France. Ne pouvant rentrer au
Luxembourg que vers la fin de l’été, il trouva sa maison occupée par les services du
« Einsatzkommando der Sicherheitspolizei und des SD » plus connus sous l’appellation
« Gestapo ».
Le docteur Pauly dut se résigner à accepter ce locataire qui allait procurer à la « Villa
Pauly » une sinistre renommée.
Dès les premières arrestations effectuées par des agents de la Gestapo lors des actions
de protestation contre la destruction de la « Gëlle Fra » en octobre 1940, le nom de
« Villa Pauly » prit une connotation de terreur qui allait impressionner durablement les
Luxembourgeois. Les longs drapeaux noirs à la rune des SS rendirent à cette maison de
maître un caractère plus sinistre encore. De nombreuses personnes évitèrent d’ailleurs
de passer devant la « Villa Pauly » tout au long de l’occupation.
Ceux qui eurent la malchance d’être arrêtés pour des menées antiallemandes ou des
actes de résistance se retrouvèrent dans le hall d’entrée où ils durent s’aligner face au
mur avant d’être amenés dans un des bureaux pour y subir un interrogatoire. Maintes
fois ces interrogatoires étaient accompagnés de violences (verschärftes Verhör).
Des cellules étaient installées au deuxième sous-sol où de nombreux détenus étaient
enfermés lors des interruptions de leurs interrogatoires. La cave du chauffage central
servit de local de torture. Des témoins racontent que des prisonniers étaient suspendus
aux tuyaux du chauffage, la tête en bas, d’autres étaient battus avec un nerf de bœuf.
Après un premier interrogatoire musclé, certains prisonniers eurent des difficultés à
descendre les marches, ce qui incita leurs sbires à les pousser en bas, causant ainsi des
blessures supplémentaires.
La « Villa Pauly » devenait ainsi pour de nombreux patriotes et résistants le lieu de
torture et de souffrances, en sorte la porte d’entrée du monde concentrationnaire vers
lequel ils étaient expédiés le plus souvent.
La « Villa Pauly » était également le centre administratif à partir duquel était organisée
la déportation des juifs vivant au Luxembourg. C’est à la « Villa Pauly » que les
membres du consistoire devaient se présenter pour recevoir les ordres des SS.
A la libération le 10 septembre 1944, quelques exaltés mirent le feu à des papiers
abandonnés sur place par la Gestapo, mais les pompiers réussirent à sauver le bâtiment.
A partir de septembre 1944 le « Counter Intelligence Corps » de l’armée américaine
(CIC) y établissait ses bureaux. Après la capitulation de l’Allemagne l’Etat
luxembourgeois loua le bâtiment et y installa plusieurs ministères (Santé, Travail,
Sécurité sociale). La cave fut remise en état, les cellules démolies.
Dès la fin de la guerre la « Villa Pauly » fut présentée comme la première étape du
calvaire des résistants aux mains de la Gestapo. 1 En 1947, le périodique « Rappel » de la
LPPD protesta contre le fait que la « Villa Pauly » était remise en état pour loger des
bureaux de l’administration luxembourgeoise. On réclamait la création en ces lieux d’un
musée de la barbarie du régime nazie. 2 Rien ne fut cependant entrepris dans cette
direction,
les
problèmes
d’après-guerre,
rapatriement,
dédommagement,
reconstruction, occupaient tous les intéressés. Le procès contre les membres de la
Gestapo, qui se tînt en février 1951, livra de nombreux témoignages 3 sur les actes de
torture, témoignages qui furent relatés de façon détaillée dans la presse
luxembourgeoise. Ainsi, pour de longues années, la mémoire collective des
Luxembourgeois retenait que la « Villa Pauly » avait été le lieu de la terreur nazie au
Luxembourg. Ce bâtiment symbolisait et la terreur et la souffrance qui s’étaient abattues
sur les patriotes résistants.
Après avoir loué le bâtiment depuis la fin de la guerre, le gouvernement décida de
l’acquérir en mars 1960.
En 1984, au moment de commémorer le quarantième anniversaire de la libération, les
anciens résistants ont dû estimer qu’il fallait désormais expliquer par des plaques
commémoratives l’importance historique de certains bâtiments ou monuments. Ainsi, à
l’initiative du Ministre de la Santé, M. Emile Krieps, ancien résistant lui-même, et en
accord avec le Conseil national de la Résistance, le 9 avril 1984, le Président du
gouvernement, M. Pierre Werner, et le Vice-président du gouvernement Mme Colette
Flesch procédèrent au dévoilement d’une plaque commémorative sur un pilier à
l’entrée de la Villa Pauly avec le texte suivant :
Tony Krier/ Pierre Hentges/Joseph Kannivé : Luxembourg martyr 1940-1945, 2 volumes, Luxembourg
1945. Voir chapitre : Vun der Villa Pauly zum K.Z. au volume 1 (pas de pagination).
2 Rappel, 2 (1947), fascicule 5, pp.304-305.
3 Quelque 70 témoins ont raconté avec force détails la façon dont ils ont été traités par la Gestapo à la Villa
Pauly.
1
« Villa Pauly / Siège de la Gestapo / 1940-1944 / Passant, souviens-toi / des résistants
torturés / en ces lieux / sous l’occupation nazie ».
Cette cérémonie eut lieu en présence des plus hautes autorités du pays et des
représentants du corps diplomatique. 4
Le jour-même de l’inauguration de la plaque commémorative, M. Pierre Werner avait
assuré au CNR que la « Villa Pauly » deviendrait le siège de la Résistance dès le départ
du Ministère de la Santé. Cette promesse fut confirmée par ses successeurs Jacques
Santer et Jean-Claude Juncker.
En août 1989, à la demande du CNR le gouvernement décida le classement de la « Villa
Pauly » comme monument national.
Dès 1998, les démarches du CNR furent réactivées et aboutirent finalement, en 2000,
lorsque le Ministère de la Santé put être logé à la Villa Louvigny.
Le 10 mai 2000, 60e anniversaire de l’invasion du Luxembourg par la Wehrmacht, le
Conseil national de la Résistance tint sa première réunion au hall d’entrée de la « Villa
Pauly ». En été de la même année, il quitta son siège de la rue de Bonnevoie pour
déménager au boulevard de la Pétrusse. A la même adresse furent établis le « Centre de
Documentation et de Recherche sur la Résistance » (CDRR), ainsi que les principales
institutions de la Résistance : la « Fondation nationale de la Résistance » (FONARES), la
« Conférence nationale de la Résistance » (CNAR) et le « Comité Directeur pour le
Souvenir de la Résistance » (CDSR).
4
Rappel, 39 (1984), fascicule 5/6, pp. 189-194.