Les indépendances africaines 50 ans après, quel traitement historique

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Les indépendances africaines 50 ans après, quel traitement historique
Café histoire du 11 janvier 2012
Les indépendances africaines 50 ans après,
quel traitement historique ?
Avec Élikia M’Bokolo
Directeur d’études à l’EHESS
L’année 2010 a été marquée par une actualité mémorielle autour de l’anniversaire des
indépendances africaines. Durant toute cette année, les commémorations se sont succédées.
Elles ont débuté par l’indépendance du Cameroun le 1er janvier et se sont achevées avec la
célébration de l’indépendance de la Mauritanie le 28 octobre. Ceci donne l’impression que les
indépendances africaines ont débuté en 1960 en faisant abstraction des colonies qui ont
accédé à l’indépendance avant cette année-là. Les 20 colonies françaises semblaient être toute
l’Afrique à elles-seules, ce qui n’est pas le cas. On semble oublier que dès 1956 La Tunisie et le
Maroc accèdent à l’indépendance, suivis en 1957 du Ghana et en 1958 de la Guinée.
Par ailleurs, les commémorations ont été prises en charge par les chefs d’États actuels, ce qui
suppose une filiation qui n’est guère évidente avec les acteurs de l’émancipation de 1960. La
France de son côté a invité le 14 juillet les armées de ses quatorze anciennes colonies à défiler
sur les Champs Élysées et les chefs d’État à assister aux festivités. Cette invitation entretien
encore plus la confusion et entretient l’idée que rien n’a changé malgré 50 ans
d’indépendance. Élikia M’Bokolo affirme qu’il était personnellement opposé à cette
commémoration sur les Champs Élysées pour ces raisons. Il préfère d’ailleurs le terme
d’indépendance à celui de décolonisation qui suppose une émancipation concédée par les
puissances coloniales, sous la pression des Deux Grands (Etats-Unis et URSS) et de l’ONU.
D’un autre côté, les gouvernements africains actuels entretiennent une certaine ambiguïté
avec le passé. Au Burkina Faso, les commémorations ont été organisées à Bobo Dioulasso,
vieille cité dont les origines remontent à l’époque précoloniale, ce dont ne pourrait
s’enorgueillir la capitale Ouagadougou. Le discours officiel au stade de la ville avait choisi
d’honorer les grandes figures de l’indépendance du pays. Le public, qui a été assez partagé à
l’évocation des noms de certaines personnalités, a ovationné le nom de Thomas Sankara alors
que celui de Blaise Compaoré a été accueilli dans un silence de mort. Ceci montre bien que les
peuples sont assez lucides à propos de ceux qui les gouvernent.
Quelles sont les circonstances de la décolonisation ?
Si l’on prend les deux discours du général de Gaulle à Brazzaville en 1944 et en 1958, on
s’aperçoit que dans le premier, de Gaulle n’évoque jamais l’idée d’indépendance, ni même
d’autonomie. Il y est vaguement question seulement d’associer les Africains à la gestion de
leurs affaires « quand le moment sera venu ». Dans le second discours, celui de 1958, de
Gaulle se rend à l’évidence que le moment est venu pour la France d’accorder l’indépendance
à ses colonies, mais il veut garder le contrôle du processus et n’entend pas se laisser dicter le
rythme des événements. Le ton du discours est paternaliste et colonialiste.
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Il est cependant une évidence que l’on ne peut manquer de relever. Aucune puissance
coloniale n’a une stratégie pour mener ses colonies à l’indépendance. Elles semblent toutes
avoir été surprises par le déroulement du processus d’émancipation.
Il y a, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, un activisme pour l’indépendance en
Afrique. Quand de Gaulle parcourt l’Afrique en 1958 pour préparer son référendum sur la
Communauté, partout les populations demandent l’indépendance même si les leaders
africains se montrent eux plus prudents, à l’exception de Sékou Touré en Guinée.
Il y a aussi, en France, un consensus dans la classe politique pour que l’émancipation se fasse
de la manière la plus formelle possible. François Mitterrand consacre à cette époque deux
ouvrages aux questions de l’Empire colonial français. Il écrit en 1953 Aux frontières de l’Union
française et en 1957 Présence française et abandon. Invité aux cérémonies d’indépendance du
Ghana, il affirme que les sujets français ne demanderont jamais l’indépendance comme ceux
de la Gold Coast, le futur Ghana. Gaston Deferre, invité lors d’un séminaire organisé à l’EHESS
par Élikia M’Bokolo, confirme bien que l’idée qui prévalait aussi bien à droite qu’à gauche était
qu’il fallait conserver l’empire colonial, mais avec des relations plus humanisées entre les
Africains et la France.
Du côté de l’Empire britannique Harold Mac Millan aussi fait face à des revendications contre
la Grande Bretagne. La révolte des Mau Mau qui éclate au Kenya au sein de l’ethnie Kikuyu
dans les années 1950 est sévèrement réprimée par les Britanniques. Jomo Kenyatta, futur
président du Kenya est emprisonné par les Anglais pour collusion avec les révoltés.
Les villes coloniales n’ont jamais été contrôlées par le colonisateur. Malgré l’emprise et la
pression exercée par lui, les nouvelles et les rumeurs circulaient sur les événements qui
agitaient le monde. La décolonisation de l’Inde en 1947 est connue des Africains car des
soldats africains ont participé en Asie à la fin Seconde Guerre mondiale. Le père d’Élikia
M’Bokolo était l’un de ceux-là.
Peut-on faire une autre lecture du processus des indépendances africaines ?
Il faut faire de ces événements une lecture africaine. Ce sont les sociologues et les
anthropologues qui le proposent. Il s’agit d’une lecture globale de ces événements. Il y a une
vision panafricaine des indépendances. La révolte des esclaves de Saint-Domingue à la fin du
XVIIIe siècle a des répercussions en Afrique. On a souvent trop tendance à oublier les liens
entre les Antilles et l’Afrique. Tout au long du XIXe siècle, il y a des retours en Afrique des
esclaves affranchis. Les plus nombreux sont les Afro-Brésiliens qui s’installent sur la côte du
Golfe de Guinée, au Dahomey, au Togo et au Nigeria.
On oublie aussi trop souvent que des relations ont existé entre la Chine et l’Afrique, ou entre
l’Inde et l’Afrique avant le XXe siècle. Au Tanganyika, l’Afro-Shirazi Party à Zanzibar soutient
Julius Niyerere dans sa lutte pour l’indépendance de son pays. Ce parti recrute ses adhérents
essentiellement au sein des Shirazi un sous-groupe swahili. Les banquiers indiens sont aussi
très actifs sur la côte orientale de l’Afrique depuis les années 1830-1840. Vers 1840, le sultan
d’Oman décide de s’installer à Zanzibar. N’oublions pas non plus que le Mahatama Gandhi a
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fait une partie de sa carrière d’avocat en Afrique du Sud pendant vingt ans, avant de revenir
en Inde.
De quand date la modernité de l’Afrique ?
Il y a une histoire de la modernité africaine qui n’a rien à voir avec l’Europe. Un certain
nombre d’exemples pour illustrer ceci. Depuis 1480 l’Afrique entretient des relations
ambigües avec l’Europe. Dès 1482, dans le royaume du Kongo on voit s’affronter deux partis
qui défendent des points de vue opposés. Faut-il faire la modernité avec les autres (avec les
Européens) ou faut-il la faire tout seuls (contre l’Europe) ? C’est une histoire de la longue
durée, et c’est une lutte avec ou contre l’Occident. La traite négrière durcit ce dilemme.
Henri Brunschwig, qui fut le professeur de M’Bokolo à l’EHESSE, propose, pour comprendre
ce qui se joue à cette époque, d’aller vers l’intérieur du continent. Vers 1770, c’est l’islam, pris
en charge par les Africains, qui est l’expression de la modernité.
La présence africaine en Europe est aussi un autre aspect de cette question. Lorsque l’abbé
Grégoire écrit en 1808 sur l’excellence des Noirs, il cite Guillaume Amo. C’est un philosophe
formé en Allemagne, qui rédige en 1725 une thèse de doctorat. Il est l’auteur d’un ouvrage sur
le droit des Africains en Europe. Il y affirme que l’Afrique doit construire sa légitimité contre
l’Europe.
Deux siècles plus tard, Kwame Nkrumah affirme à nouveau qu’il existe une modernité
africaine lorsque l’Europe quitte la côte vers l’intérieur. En 2006, le Bénin a commémoré le
centenaire de la mort du roi Béhanzin, comme un héros de la lutte contre la France lors de la
conquête du royaume du Dan-Homè.
Question : Quelle histoire faire ?
Réponse : Une histoire africaine mais qui évite le nationalisme étriqué de chaque pays.
Question : Depuis 2003, dans les programmes scolaires français, on parle d’indépendance
et non plus de décolonisation. Quels sont les rapports des mouvements d’émancipation
africains avec le mouvement des droits civiques aux États-Unis ? Quelle a été la
commémoration de l’indépendance du Congo démocratique ?
Réponse : Les ouvriers, les cheminots du Dakar-Niger, des chemins de fer d’Afrique du Sud
prennent conscience de leur puissance. Le rôle des dockers est à ce titre important. À côté du
Komintern, qui gère les relations entre les partis communistes du monde entier, l’action du
Profintern est beaucoup moins connue. Cette Internationale syndicale communiste joue un
rôle important dans la formation des syndicalistes africains. George Padmore est l’un de ceux
qui contribuent à cette affiliation. Il faut aussi noter le rôle que jouent les ouvriers noirs,
organisés de façon autonome par rapport aux ouvriers blancs, en Afrique du Sud. Dès la fin du
XIXe siècle, des ouvriers chinois arrivent en Afrique du Sud pour construire les lignes de
chemin de fer. Ils contribuent à la prise de conscience des ouvriers africains.
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Par ailleurs, dès la fin du XIXe siècle, les universités américaines accueillent des étudiants
noirs. W.E.B. Du Bois est ainsi le premier noir titulaire d’un doctorat de philosophie de
l’université de Harvard en 1895. Le fondateur de l’ANC, Isaka Seme séjourne aussi aux EtatsUnis où il récupère le discours des Églises noires et de la franc-maçonnerie d’obédience noire.
La non-violence sur le modèle de Gandhi commence en Afrique avec Nkrumah mais elle
regarde aussi du côté de Martin Luther King pendant le mouvement des droits civiques.
Quand le mouvement d’émancipation des Noirs devient violent avec les Black Panthers, il a
aussi des répercussions en Afrique avec l’installation en Guinée de Stokely Carmichael et son
mariage avec la chanteuse Sud-africaine en exil Miriam Makeba.
En ce qui concerne la commémoration de l’indépendance du Congo, la mort de Patrice
Lumumba est passée par pertes et profits. Joseph Kabila commence à rétablir Lumumba dans
l’histoire. Il veut rétablir une histoire du Congo sur la longue durée. Cependant, le Congo a
invité le roi des Belges aux festivités de cet anniversaire, ce qui interdit toute critique à l’égard
de la Belgique. Un certain nombre de personnalités congolaises ont été proclamées héros
nationaux : Simon Kibangu, le cardinal Malula, Patrice Lumumba, Joseph Kazavubu, Justin
Bomboko. À travers ces festivités, c’est le pouvoir qui se célébrait et pas le pays.
Question : Comment s’explique la rivalité entre Senghor et Mamadou Dia au Sénégal ?
Réponse : Au Sénégal, les étudiants connaissent Senghor mais pas Mamadou Dia. Dia fait ses
études au Sénégal alors que Senghor fait les siennes en France. C’est un humaniste musulman,
très lié avec le père Lebret qui suivait les expériences d’autonomie paysanne en Amérique
latine. Senghor et Dia ne s’entendaient pas et avaient des conceptions divergentes de la
politique que devait mener le pays. Lorsque de Gaulle arrive à Dakar en août 1958, ni
Senghor, député du Sénégal, ni Mamadou Dia, vice-président du conseil du gouvernement
semi-autonome du Sénégal, ne sont là pour l’accueillir. C’est à Valdiodio Ndiaye, ministre de
l’intérieur et à Lamine Guèye, maire de Dakar, qu’échoit l’honneur de recevoir de Gaulle. Par la
suite les relations entre les deux hommes vont se dégrader à tel point que Dia est accusé de
complot, jeté en prison et condamné à mort, peine qui sera commuée en détention
perpétuelle. Il est gracié et libéré en 1974.
Question : comment étudier l’histoire africaine avec des étudiants français ?
Réponse : De plus en plus d’étudiants français se lancent dans les recherches historiques en
apprenant les langues locales. Ils réussissent ainsi à écrire des thèses remarquables.
Compte-rendu rédigé par Brice Boussari
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