L`assurance-maladie en toute franchise
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L`assurance-maladie en toute franchise
L’assurance-maladie en toute franchise André Courtaigne Ingénieur, ancien dirigeant d’une entreprise pharmaceutique De déficit en déficit, l’assurance-maladie semble en permanence au bord du gouffre. Et si la solution était plus radicale qu’un simple plan d’économie ? S ’il existe une maladie chronique, c’est bien celle dont souffre l’assurancemaladie. Tous les deux ou trois ans depuis plus de cinquante ans, la presse annonce que malgré les dernières mesures qui l’avaient supprimé, l’assurance-maladie connaît de nouveau un déficit de plusieurs milliards d’euros. On invoque l’incivisme des malades, des médecins, des professions de santé, un gaspillage illustré d’anecdotes singulières, on appelle à la raison, on menace de sanctions, on prend les mesures nécessaires, l’équilibre est rétabli et, deux ans plus tard, tout est à recommencer. Le gaspillage n’est pas responsable Pourquoi ? Parce que le déficit n’est pas dû à un excès permanent des dépenses de soins sur les recettes. En effet, à chaque redressement leur équilibre a été rétabli. Il est dû à la différence entre leurs taux de croissance. Les dépenses augmentent plus vite que les recettes. Les recettes de l’assurance-maladie proviennent de prélèvements à taux constant de charges sociales sur les salaires et de l’impôt sur les revenus. Elles croissent donc comme ceux-ci, c’est-à-dire, grosso modo, au même taux que le PIB. Les dépenses de soins, elles, croissent à un taux naturel déterminé par la demande des malades et par l’offre de soins. Il n’y a a priori aucun lien entre ces dépenses et ces recettes. Le 3 ème trimestre 2008 • 91 Politiques Publiques taux de croissance des dépenses de soins est constamment supérieur à celui du PIB depuis trente ans dans tous les pays du monde. Cela s’explique aisément, le PIB étant composé de différents postes qui n’évoluent pas de la même façon. Certains baissent, d’autres sont constants et d’autres, enfin, augmentent. C’est le cas des soins. L’équilibre des comptes de l’assurance-maladie exigerait que le gouvernement fasse croître les recettes en augmentant régulièrement le taux des charges sociales et des impôts, ce qui lui est impossible, sous peine en particulier de perdre les prochaines élections. Conséquence, le déficit n’est pas imputable au gaspillage. Il y en a certainement un, dont il n’existe d’ailleurs aucune évaluation sérieuse. Mais comme la Sécurité sociale le combat de toutes ses forces et réussit à le faire plutôt régresser, ce ne peut être lui qui fait croître les dépenses de soins. Une demande légitime Les causes de cette croissance sont patentes. La consommation de soins est concentrée sur le grand âge. Sensible chez les nourrissons, elle devient négligeable chez les jeunes et les adultes jusqu’à 60 ans, un peu plus tôt pour les femmes à cause de la maternité, et elle culmine au-dessus de 80 ans. C’est aussi dans cette tranche d’âge que la consommation croît le plus d’année en année. Tout y concourt, la prolongation de la vie, les moyens modernes de diagnostic et les analyses qui décèlent de plus en plus tôt les maladies pendant leur période de latence, la fréquence de ces maladies : plus 7 % par an pour les dépressions, plus 9 % par an pour les allergies. Les malades sont de plus en plus avertis des nouveautés et des possibilités de la médecine. L’ancien comportement de résignation devant la fatalité disparaît. On ne veut plus être diminué, on ne veut plus souffrir, on veut pouvoir vieillir en bonne santé. Telles sont les grandes causes de la croissance des soins. Elles ne sont pas près de baisser, et c’est bien ainsi. La demande de mieux-être et de bien vivre est justifiée, souhaitable et mérite d’être soutenue, voire encouragée. Cette poussée se lit dans l’évolution à long terme de la part des soins dans le budget des ménages (figure 1). Partie de 4 % en 1960, elle a atteint 15,5 % en 2002, soit une multiplication par quatre, et elle est désormais au deuxième rang, derrière le logement (21 %). Elle est passée devant l’alimentation en 1993. Comme les soins sont nécessaires au maintien de la vie, ils sont devenus une seconde nourriture. 92 • Sociétal n° 61 L’assurance-maladie en toute franchise Se loger puis se soigner Figure 1 - Se loger puis se soigner Figure 1 • Coefficients budgétaires de la consommation des ménages Coefficients budgétaires de la consommation des ménages 1960-2002 25 % 20 % 15 % 10 % 5% 19 60 19 62 19 64 19 66 19 68 19 70 19 72 19 74 19 76 19 78 19 80 19 82 19 84 19 86 19 88 19 90 19 92 19 94 19 96 19 98 20 00 20 02 0% Prod. alimentaires et boissons non alcoolisées Transports Boissons alcoolisées et tabac Communications Articles d'habillement et chaussures Loisirs et culture Logement, eau, gaz, électricité et autres combustibles Education Santé Autres biens et services Meubles, articles de ménage et entretien courant de l'habitation Hôtels, cafés et restaurants 3 ème trimestre 2008 • 93 Politiques Publiques Le rôle joué par la recherche médicale mérite une attention particulière. Les progrès impressionnants de la médecine dans les cinquante dernières années peuvent donner l’illusion que tout est connu. En réalité, ce qui reste à découvrir est beaucoup plus important que ce que l’on sait. Certes, la plupart des maladies infectieuses d’origine bactérienne sont désormais curables. Mais il reste à vaincre les maladies virales, de la grippe au sida, les maladies parasitaires, et la longue cohorte des maladies chroniques, c’est-à-dire définitives et qui s’accumulent tout au long de la vie pour surcharger la vieillesse : maladies psychiques de la dépression à la paranoïa, cancers, maladies auto-immunes des rhumatismes aux allergies, maladies génétiques, diabète, mongolisme, migraine, maladies vasculaires et cérébrales de l’hypertension à l’infarctus en passant par les paralysies, l’arthrose et tant d’autres maladies dont la simple nomenclature peut remplir des volumes entiers. Malgré sa longue histoire, la médecine n’en est encore qu’à ses balbutiements. Or grâce à l’électronique notamment, la recherche médicale est de plus en plus performante. Elle pénètre dans la biologie cellulaire jusqu’aux protéines, où se trouve la source de la majorité des maladies invaincues. Mais cette recherche devient de plus en plus onéreuse. Et cela entre dans le coût des soins. Dommages collatéraux Du fait du différentiel de croissance entre ses recettes et ses dépenses, la situation de la Caisse nationale d’assurance-maladie se dégrade tous les ans de 2 %, soit environ trois nouveaux milliards d’euros par an. Quoi qu’il lui en coûte, le gouvernement est bien obligé de prendre des mesures de rétablissement : diminution de remboursements, création de franchises, de forfaits et éventuellement augmentation des taux de cotisation. Mais sa grande arme reste la pression sur le prix des soins. Pendant la période de 1973 à 2000, années de forte inflation, il lui suffisait de bloquer les prix. Comme cela s’est fait très progressivement, le phénomène est passé inaperçu de l’opinion et des médias. Aujourd’hui, la consultation du généraliste est payée 22 euros, alors qu’à New York, elle coûte au moins 150 dollars. Pour une piqûre à domicile, une infirmière perçoit 2,90 euros alors que le moindre déplacement de plombier revient à 40 euros. Pendant les trente dernières années, les budgets de recherche des laboratoires français ont stagné alors que ceux de leurs concurrents étrangers augmentaient de 20 % par an. Aujourd’hui, la recherche pharmaceutique française ne compte plus guère, les laboratoires français ont disparu, absorbés par Sanofi-Aventis, qui a dû américaniser son marché pour survivre. 94 • Sociétal n° 61 L’assurance-maladie en toute franchise Le plus grave, c’est le tarissement des vocations médicales. Les médecins hospitaliers et les infirmières se recrutent maintenant de plus en plus à l’étranger, populations mal considérées qui n’accepteront pas indéfiniment d’être moins payées que les Français. Sans parler des délais d’attente pour certains soins. Conçue pour favoriser les soins, et elle l’a sans doute fait dans les toutes premières années, l’assurance-maladie nationale en freine aujourd’hui l’essor. Et l’État est le plus mal placé pour financer une consommation en croissance. Que l’on se souvienne de la pénurie de téléphones du temps du monopole des PTT. Il a suffi que le Parlement les autorise à recourir au marché financier pour que l’on passe d’un stade risible (« le 22 à Asnières ») à l’un des meilleurs réseaux du monde. La fin d’une illusion Nous devons regarder les choses en face et remettre à plat tout notre système de soins, comme si nous étions en 1945. Il faut conserver le grand projet de rendre les Français solidaires devant les épreuves de la maladie et d’assurer aux plus démunis le même accès aux soins qu’aux plus favorisés. Mais il faut atteindre ces buts par d’autres moyens plus appropriés. Le système actuel a été conçu au sein du Conseil national de la Résistance, avec la mentalité de l’époque selon laquelle il n’y avait de solidarité possible que par l’étatisation, la centralisation absolue d’un monopole d’état. Il aurait fallu pourtant discerner deux grandes familles de solidarité : mutualité entre les bien portants et les malades, entre les jeunes et les vieux, entre les actifs et les retraités – c’est la même dans les trois cas, les jeunes sont en effet bien portants et actifs – et partage entre les plus et les moins favorisés. Le rôle de l’état se limite dans le premier cas à rendre l’assurance-maladie obligatoire et à définir ce qu’elle recouvre, dans le second cas, à assurer par un financement approprié la couverture des plus démunis sans pour autant se faire leur assureur. Il fallait laisser aux professions de santé le soin de pourvoir à l’offre, et au marché des assureurs, mutuelles et coopératives, celui de les couvrir. Les cotisations actuelles d’assurance-maladie, parts patronale et salariés, ainsi que la part de la CSG affectée à l’assurance-maladie (au total 18,8 % des salaires), seraient ainsi rendues à la bourse des salariés. Elles passeraient dans les salaires directs et 3 ème trimestre 2008 • 95 Politiques Publiques disparaîtraient des comptes de l’entreprise sans changer les coûts de production. Les Français devraient alors payer les cotisations de leur assurance-maladie, mais ils les payaient déjà sous la forme de prélèvements sociaux. Dans ce schéma, les caisses régionales deviennent autonomes, libres de leurs tarifs, mais ne sont plus subventionnées. Elles sont mises en concurrence sur un marché ouvert à toutes les compagnies d’assurances, les coopératives, ou les mutuelles. Les assureurs sont tenus d’accepter tout adhérent qui se présente, sans aucune sélection des risques : au-delà de 30 000 adhérents, les risques lourds se compensent naturellement. Ils proposent pour l’assurance de base obligatoire un tarif unique, familial, valable pour tout adhérent, réajustable tous les ans comme cela se pratique pour les risques immobiliers ou automobiles. On peut imaginer une caisse de compensation entre eux pour les risques familiaux. Ils sont libres de proposer toute assurance complémentaire. Les assureurs négocient avec les prestataires de soins tout type de contrat qui convienne aux uns et aux autres. Cela ne manquera pas de faire naître toutes les formes possibles d’opérateurs de santé, centres de soins, coopératives, conventions, libre négociation des prix avec toutes les professions de santé. Et les ménages choisiront le service qui leur convient le mieux au meilleur prix. Les ménages à trop faibles revenus pourront être couverts par les mêmes assureurs que les plus riches, mais ce qui est un acquis social, leurs cotisations seront acquittées par un fonds à financ’est la cement public. Leur régime de base pourra même être mutualisation plus étendu que celui de l’assurance obligatoire. Comme des risques et ce financement devra croître plus vite que le niveau des le partage avec salaires et des revenus sur lequel il serait assis, on retroules plus pauvres. verait le même défaut que dans le régime actuel. Pour éviter cela, Claude Bébéar a suggéré que ce financement soit assuré par une taxe sur les cotisations des ménages solvables, ce qui assurerait automatiquement son indexation sur la consommation de soins des plus riches. Cette taxe sur les cotisations serait de l’ordre de 25 %. Pour éviter l’effet de seuil qui pénaliserait brutalement les bénéficiaires quand leurs revenus dépasseraient une certaine valeur, il faudrait lui substituer un raccordement progressif, par exemple du type de l’impôt négatif de Milton Friedman. Enfin, il faudrait limiter le montant des indemnités pour dommage réclamées aujourd’hui aux médecins et aux hôpitaux. L’assurance ne doit pas être une source d’enrichissement, mais seulement de réparation. 96 • Sociétal n° 61 L’assurance-maladie en toute franchise Cette mesure serait favorable au mieux-être des Français, elle diminuerait la charge publique d’environ 150 milliards d’euros par an, mettant définitivement la France en accord avec les objectifs de Maastricht, elle inciterait fortement les professions de santé à s’organiser et à se moderniser, enfin, elle serait très favorable à l’emploi, car les soins en sont le principal gisement. Elle ne présente que des avantages et pourtant, le public n’est pas prêt à la recevoir. Un grand nombre d’assurés sociaux vivent dans l’illusion de la gratuité des soins. Ils ignorent que ce sont eux qui les paient et croient que ce sont les autres. à leurs yeux, la Sécurité sociale fait un tout, c’est un acquis social, un tabou. Aucun gouvernement n’a osé la remettre en cause. La commission Fragonard avait reçu du président de la République de l’époque la mission de tout explorer, sauf ce qu’on appelle à tort la privatisation, alors que ce n’est que la concurrence. Aucun gouvernement ne pourrait aujourd’hui l’imposer brutalement. Mais c’est un devoir primordial de faire comprendre à l’opinion que ce qui est un acquis social, c’est la mutualisation des risques et le partage avec les plus pauvres, mais que l’institution d’un monopole d’état est une mauvaise façon d’atteindre ces buts, qu’il en existe d’autres, à portée de la main, et qu’il faut au moins y réfléchir et rechercher des voies nouvelles. 3 ème trimestre 2008 • 97