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CONJONCTURES ÉCONOMIE BRUNO CAVALIER * Crise financière La finance mondiale est en crise. Et comme dans toutes les crises financières, c’est l’expansion du crédit dans des conditions déraisonnables qui a conduit au point de rupture. Désormais, c’est le discrédit qui s’est installé, car une crise financière est avant tout un problème de confiance. On ne peut en sortir que par la purge des excès antérieurs, ce qui prend du temps. Il n’est pas rare que cela dégénère en récession. Dans le monde actuel, une crise financière est aussi, par nature, un choc global. On peut se payer d’espoir en escomptant un découplage économique entre des Etats-Unis en freinage et une Chine en surchauffe. Il ne saurait exister de découplage financier. Au stade actuel, il est trop tôt pour dire que le canal du crédit va se boucher, que les Etats-Unis sont voués à la récession, que la déflation menace la planète financière, mais ce sont des risques sérieux. moments, une grande «A certains masse de gens stupides possède une grande masse d’argent stupide. […] De temps à autre, l’argent de ces gens est particulièrement considérable et insatiable. Il recherche quelqu’un qui * Responsable de la recherche macroéconomique, Oddo Securities. 64 Sociétal N° 58 A 4e trimestre 2007 pourra le dévorer, et il y a pléthore ; il trouve quelqu’un, et il s’ensuit de la spéculation ; il est dévoré, et c’est la panique. » Charles Kindleberger avait placé cette citation de Bagehot en exergue de son ouvrage devenu la référence sur les crises financières1. C’était une excellente trouvaille, car cette description particulièrement vivante de l’euphorie a été écrite en 1856 et, depuis cette date, cent cinquante ans d’histoire financière n’ont cessé d’apporter des illustrations au propos de l’auteur de Lombard Street. Les événements de l’été 2007 en sont un exemple de plus. Ces dernières années, on entendait dire que la liquidité globale était ample, surabondante, voire excessive. Ce sont les épithètes qui revenaient le plus souvent dans l’analyse de ceux, banquiers centraux en tête, qui redoutaient que la création trop rapide de monnaie provoque un retour de l’inflation ou bien qu’elle déstabilise la sphère financière. Et soudainement, vers la mi-août 2007, 1. Cité en anglais par Charles Kindleberger (1978), Manias, Panics, and Crashes. A History of Financial Crises, Macmillan. La citation originale est extraite d’un écrit de jeunesse de Bagehot, Edward Gibbon. CRISE FINANCIÈRE la liquidité a disparu. Plus frappant pour tous les esprits, elle a disparu aussi sur ce segment du marché où, justement, elle était censée ne jamais faire défaut, le marché interbancaire. Les mêmes banquiers centraux qui redoutaient l’abondance de liquidité ont dû alors, en urgence et à plusieurs reprises, fournir la liquidité manquante afin d’éviter que le système financier ne se grippe totalement. DU TROP-PLEIN DE LIQUIDITÉ À LA PÉNURIE D ans cette affaire de liquidité, il y a de quoi perdre son latin. C’est que le terme de « liquidité » a plusieurs sens. Il sert souvent de synonyme pour désigner la masse des moyens de paiement, ou de leur contrepartie, le crédit. Sous cette acception, nul doute que la liquidité globale a progressé à un rythme très rapide depuis 2001, un rythme en tout cas bien supérieur à celui qu’aurait justifié la croissance des transactions. Prenons une mesure facilement calculable du phénomène, à savoir la somme de la base monétaire américaine et du montant des réserves de change des autres pays du monde. Ce concept enregistre le rôle du multiplicateur de crédit aux Etats-Unis et l’accumulation internationale de réserves hors des Etats-Unis, elle-même source de liquidité domestique. Exprimée en pourcentage du PIB nominal, cette mesure de la liquidité globale avoisine actuellement 13 %, une part qui a presque doublé en dix ans (Graphique 1). Assurément, la macroliquidité ne manque pas, elle est même très abondante. Mais, par ailleurs, la liquidité, c’est aussi – c’est surtout – la capacité du marché de fournir un prix aux différents actifs. Quand le prix fait défaut, l’actif ne peut être échangé, le marché est suspendu, l’actif est totalement illiquide, quelle que puisse être sa qualité intrinsèque. Ce genre de mésaventure a touché, ces dernières semaines, le marché des dérivés de crédits, ces instruments financiers qui permettent aux banques de sortir de leur bilan des créances (et donc le risque afférent) en les titrisant, c’est-àdire en les transformant en produits négociables. L’alchimie financière aidant, ces instruments de titrisation sont devenus au fil des ans de plus en plus complexes ; ils ont été découpés en tranches, puis « repackagés » pour satisfaire au degré supposé de risque que l’investisseur était prêt à prendre. L’opacité du montage n’a guère retenu l’attention de ce dernier dès lors qu’une agence de notation avait estampillé le dispositif de structuration. Or, dans la réalité, ces produits complexes ne faisaient pas réellement l’objet de transactions. Ils avaient été conçus pour être détenus à maturité, non pour être soldés en cours d’existence. Leur Graphique 1. Liquidité globale Source : FMI, Oddo Securities. valorisation n’était donc pas établie en fonction d’un prix de marché (mark-tomarket), mais selon des modèles statistiques (mark-to-model), pour lesquels les épisodes de crise sont rejetés aux extrémités des distributions de probabilité (tail events) et n’ont qu’une chance infime de se réaliser. LA CRISE FINANCIÈRE PAR LES DEUX BOUTS B ien sûr, quand le stress survient, et que les investisseurs cherchent effectivement à liquider l’actif concerné, ce qui valait 100 a priori peut ne valoir que 50, ou 10, ou moins encore. Aucun modèle n’avait envisagé de telles décotes, aucun investisseur non plus. C’était statistiquement presque impossible, mais c’était oublier que le collatéral d’un bon nombre de ces produits structurés était une créance sur des agents devenus insolvables. Dans la crise financière actuelle, nous trouvons en effet à un bout de la chaîne un ménage américain, qui n’a pas de revenus réguliers, ou qui n’a pas d’emploi, qui ne possède à peu près rien (sauf peut-être déjà quelques dettes), mais qui aspire à devenir propriétaire de sa maison. Un courtier en prêts hypothécaires se fait fort de lui obtenir un crédit sur trente ans. Pour rendre la chose plus attractive, les remboursements sur les deux premières années seront calculés sur la base d’un taux d’intérêt réduit, après quoi, bien sûr, il faudra s’aligner sur des conditions de marché et y ajouter une marge rémunérant le risque. Mais, d’ici deux ans, le prix de la maison aura monté, espèret-on, il sera toujours temps de renégocier un nouveau prêt de même type. On dit qu’une de ces officines spécialisées avait fait la publicité de tels produits en les qualifiant de prêts « Ninja » (No Income, No Job or Assets), ce qui était, somme toute, une manière assez honnête de signaler le caractère sportif du contrat. Plus communément, on parle de prêts « subprime », par opposition aux prêts « prime », qui sont accordés aux agents qui peuvent faire état d’une capacité de Sociétal N° 58 A 4e trimestre 2007 65 REPÈRES ET TENDANCES CONJONCTURES DOSSIER LIVRES ET IDÉES ÉCONOMIE Graphique 2. Défaillance hypothécaire et PIB US simultanément, fléchit le prix des actifs immobiliers (un tiers de la richesse des ménages), cela n’annonce rien de bon pour les perspectives d’activité. LEVIER SUR LE RENDEMENT, LEVIER SUR LE RISQUE C Source : MBA, BEA, Oddo Securities. remboursement, qui peuvent offrir des actifs en garantie, bref les débiteurs ordinaires et solvables. A un bout de la chaîne, donc, il y a notre ménage américain (des milliers, en fait), qui hélas vient de faire défaut sur son emprunt hypothécaire.A l’autre bout de la chaîne, il y a la finance mondiale. Et c’est toute l’histoire de la crise financière présente. TOUT EST DANS LE « SUB », RIEN DANS LE « PRIME » L e segment des prêts hypothécaires subprime est apparu aux Etats-Unis il y a environ deux décennies, mais il ne représentait qu’une part marginale du marché jusqu’à ces toutes dernières années2. Ce qui explique son développement récent, c’est avant tout l’innovation financière, en l’occurrence l’apparition d’un marché secondaire de la dette hypothécaire. Dès lors que les organismes prêteurs ont pu sortir ces créances de leur bilan pour les transférer à des intermédiaires, que ceux-ci ont pu les structurer pour en faire de véritables produits financiers, cela a permis de réduire les frais de transactions et de mieux répartir l’exposition au risque. En la matière, la titrisation des crédits a joué un rôle positif. Finalement, une hausse de l’offre de crédit en a résulté. De là, on a basculé dans l’excès – la « pléthore », pour reprendre l’expression de Walter Bagehot – en raison de la 66 Sociétal N° 58 A 4e trimestre 2007 faiblesse historique du coût du crédit au début de la décennie. Quoi qu’il en soit, les volumes en jeu sont désormais considérables. Sur les 10 000 milliards de dollars d’encours de dette hypothécaire des ménages américains, environ 15 % sont des prêts subprime. Cela concerne 7,5 millions de prêts. Voilà pour le stock. Mais cette catégorie de prêts a surtout représenté plus du tiers des nouveaux flux de crédit hypothécaire en 2006. De surcroît, la quasi-totalité de ces nouveaux prêts subprime a été souscrite à un taux révisable au bout d’une période de deux ou trois ans. Comme les taux révisables ont connu une forte remontée à partir de 2004, ils ont entraîné avec eux la hausse du nombre de défaillances. Le passif se revalorisait en effet au plus mauvais moment, celui où la valeur de l’actif avait franchi son pic. A la mi-2007, le taux de défaillance sur les prêts subprime était déjà de 15 %, retrouvant son précédent point haut de 2002 (mais l’on sortait alors de récession). Sans qu’on cherche à en tirer la moindre causalité, on se bornera à constater que le taux des défaillances hypothécaires et le rythme de croissance économique sont, au signe près, très bien corrélés (Graphique 2). On comprend bien que si le canal du crédit se bouche et que, ompte tenu des flux enregistrés jusqu’en 2006, il est certain que le pic des défaillances sur les prêts hypothécaires subprime ne sera pas atteint avant 2008. Les estimations qui circulent chiffrent les pertes possibles dans une fourchette de 100 à 200 milliards de dollars, un niveau comparable à celles provoquées par la crise des caisses d’épargne américaines au début des années 1990. De tels montants ne sont pas négligeables, certes, mais rapportés à la taille des marchés financiers, ils sont presque dérisoires. A titre de comparaison, notons que la capitalisation boursière des marchés d’actions américains dépassait 20 000 milliards en août 2007. La propagation de la crise du subprime au reste de la planète financière vient de l’existence d’un marché de produits dérivés attachés à ce type de crédits. Comme toujours, l’idée est bonne au départ : il s’agit d’offrir aux investisseurs ayant acquis des titres adossés à ces crédits risqués la possibilité de se protéger contre une défaillance de l’emprunteur, en passant avec une contrepartie un accord de compensation. Dans le jargon financier, ces protections sont appelées des credit default swap (CDS). Puis la bonne idée a été raffinée à l’extrême. Certains se sont mis à structurer les protections, comme ils avaient structuré les crédits, créant un produit synthétique dont le sous-jacent n’était plus un crédit, mais une protection contre le défaut de ce crédit. La différence est de taille, car l’effet de levier peut alors être démulti- 2.Voir Kiff & Mills (2007), « Money for Nothing and Checks for Free: Recent Developments in US Subprime Mortgage Markets », IMF Working Paper, et Bernanke (2007), « The Subprime Mortgage Market », Fed Speech. CRISE FINANCIÈRE plié par 10, 20, voire beaucoup plus. Quand tout va bien, le rendement de ces produits dérivés est donc hors normes. Quand les choses tournent mal, l’exposition au risque est maximale, et c’est la perte alors qui s’envole. contracté d’environ 20 %. Au même moment, le rendement exigé sur ce papier commercial ne présentant théoriquement aucun risque de liquidité s’envolait. La maturité des émissions nouvelles se réduisait à quelques jours à peine. Les choses ne s’arrêtent pas là, ce serait trop simple. Comme ces produits adossés aux prêts hypothécaires présentaient des rendements attractifs (pour un risque qui paraissait minime), de nombreux fonds d’investissement se sont logiquement rués sur eux, et ont cherché à maximiser davantage leur performance en faisant de la transformation d’échéances. Autrement dit, ils ont investi dans ces produits à long terme en se finançant par l’émission de titres à court terme, qu’ils remboursaient le moment venu, soit avec le rendement des actifs adossés, soit en émettant de nouveaux papiers commerciaux, et ainsi de suite. Et c’est là que la crise prend toute sa dimension, car derrière les structures d’investissement aux noms ésotériques (les « conduits », les « SIV ») spécialisées sur ce marché, il y a des banques qui leur ont accordé des lignes de crédit sur lesquelles il est possible de tirer en cas de problème de liquidité. Dès que ce mécanisme est activé, c’est la banque concernée qui porte alors le risque, et qui doit mettre en face du capital selon les ratios prudentiels en vigueur. Compte tenu de l’effet de levier, il n’est pas étonnant que plusieurs banques régionales allemandes, très actives sur ce marché, se soient retrouvées au bord de la faillite et qu’il ait fallu les recapitaliser en urgence. Pas étonnant non plus qu’un climat de suspicion se soit installé sur les marchés interbancaires, tant aux Etats-Unis qu’en Europe, et que la liquidité y ait disparu. Il en a résulté une progression sidérante du marché concerné, celui des assetbacked commercial papers (ABCP), en ligne avec celle du crédit subprime et celle des dérivés de crédit. Aux Etats-Unis, l’encours des ABCP a doublé en un peu plus de deux ans pour avoisiner1 200 milliards de dollars à son pic de la mi-août 2007 (Graphique 3). Mais, un mois plus tard, la bulle ayant éclaté, il s’était déjà AKERLOF, MINSKY, PONZI ET LES AUTRES L a crise financière est un révélateur. Il y a quelques semaines, personne, Graphique 3. Marché du papier commercial US (en milliards de dollars) Source : Fed, Oddo Securities. hormis quelques professionnels, ne soupçonnait l‘existence des ces structures d’investissement acrobatiques plus ou moins directement sponsorisées par les banques. On chercherait en vain, par exemple, dans les différentes Revues de stabilité financière que publient tous les grands organismes et les banques centrales, la simple mention de leur existence. A la confiance béate succède maintenant la suspicion généralisée. L’on se retrouve alors dans la fameuse métaphore des voitures d’occasion, par laquelle Akerlof expliquait l’effet d’une asymétrie d’information3. S’il n’existe pas un mécanisme incitant à la révélation de la qualité de la voiture, tous les vendeurs sont pénalisés et le prix moyen du véhicule baisse. Dans le cas présent, l’asymétrie d’information vient de la complexité des produits traités, de l’opacité des stratégies d’investissement, et c’est le cours boursier des établissements de crédit qui sert de variable d’ajustement quand l’euphorie cesse brutalement. Au fil du temps, il est frappant de voir combien le mécanisme conduisant à la crise financière a peu évolué – à moins que ce soit la nature humaine qui ne varie pas. Aussi, chaque fois qu’une nouvelle crise survient, pense-t-on à Hyman Minsky, cet économiste américain qui s’est attaché à décortiquer les ressorts de l’instabilité du cycle du crédit et de la dette. Son idée centrale est que cette instabilité est engendrée de manière endogène par le système économique, plus exactement par des agents trop confiants dans la stabilité du système. D’où l’idée que la stabilité est déstabilisante, ce qui est souvent désigné comme le « paradoxe de la tranquillité ». A l’origine des crises, il y a un changement radical, une rupture, ce que Minsky appelle un « displacement ». Ce choc peut être technologique, politique, économique, financier, peu importe. Ce qui compte est qu’il soit assez radical pour 3. Voir Akerlof (1970), « The Market for Lemons: Quality Uncertainty and the Market Mechanism », Quarterly Journal of Economics. Sociétal N° 58 A 4e trimestre 2007 67 REPÈRES ET TENDANCES CONJONCTURES DOSSIER LIVRES ET IDÉES ÉCONOMIE modifier les opportunités de profit des agents sur certains types d’actifs. A partir de là, la dynamique inexorable s’enclenche, qui est faite d’expansion du crédit, de hausses des prix d’actifs, de nouveaux développements du crédit avec des effets de levier de plus en plus importants (les jeux de Ponzi4), jusqu’à créer une phase d’euphorie, d’excès de confiance, de prises de risque inconsidérées, et cela jusqu’à l’explosion de la bulle. Cette grille d’analyse peut s’appliquer à certaines évolutions de l’économie et de la finance mondiale. Il n’est même pas utile d’insister sur les bouleversements nés de la phase récente de globalisation et de l’émergence de nouveaux géants. Par ailleurs, l’innovation financière, en permettant le transfert du risque et sa dilution auprès d’un plus grand nombre d’agents, a sans doute créé l’illusion que le prix du risque avait baissé et qu’une ère de l’argent bon marché s’était ouverte pour longtemps. Autre piste de rupture, plus étonnante à première vue : les politiques de lutte contre l’inflation. En menant ces politiques depuis deux décennies, avec pour conséquence d’ancrer les anticipations d’inflation à moyen terme à un bas niveau et de stabiliser le cycle d’activité, les banques centrales auraient contribué à cette illusion de la stabilité. Dans cette version, le paradoxe devient celui de la crédibilité des banques centrales : du fait de leur lutte crédible contre l’inflation, les excès de liquidité ne débouchent pas sur une inflation du prix des biens et services mais sur l’inflation du prix des actifs, ce qui tend à fragiliser la sphère financière5. LE CONSOMMATEUR AMÉRICAIN VA SOUFFRIR L a crise financière est aussi de nature à amplifier les ajustements dans la sphère réelle, car elle affecte deux canaux essentiels pour la consommation des ménages : le canal du crédit et celui de la richesse (ou du prix des actifs). La disparition de la liquidité sur le marché interbancaire au mois d’août 2007 et au-delà produit le même effet qu’un durcissement des conditions de 68 Sociétal N° 58 A 4e trimestre 2007 Graphique 4. Prix réel des maisons US (indice base 100 en 2000) Source : S&P, Oddo Securities. refinancement des banques. En retour, cela devrait les pousser à resserrer davantage leurs conditions d’octroi de crédit. Au stade actuel, si l’on en juge par l’enquête trimestrielle de la Fed auprès des Senior Loan Officers, ce resserrement est brutal pour les crédits immobiliers, ce qui n’a rien pour surprendre. Pour les autres catégories (prêts industriels et commerciaux, crédits à la consommation), les conditions de crédit, sans être extrêmes, sont un peu plus tendues depuis quelques trimestres. Cette tendance a toutes les raisons de se prolonger, quand bien même la politique monétaire serait assouplie. Du côté du prix des maisons, le retournement du marché date de l’été 2006. Pour l’instant, le recul moyen des prix du logement sur le territoire américain reste assez limité (de l’ordre de 3-4 % par rapport au pic). Ces prix sont encore élevés, qu’on les compare à leur trend ou bien qu’on estime ce qui serait nécessaire pour ramener la capacité d’endettement des ménages à sa norme de longue période (une combinaison du niveau des taux d’intérêt, du revenu et du prix des maisons). Un repli supplémentaire du prix des maisons de l’ordre de 10 % n’aurait rien de vraiment choquant dans ce contexte (Graphique 4). Avec un rapport du simple au double entre la dette hypothécaire des ménages et leur patrimoine immobilier, cela représenterait un choc de près de 20 % sur sa richesse nette. Peut-on croire que les dépenses de consommation ne seraient pas alors affectées ? A ce jour, le consommateur américain médian est un peu moins riche mais guère moins dépensier. En somme, il continue de gagner du temps. Jusqu’en 2006, la hausse des prix immobiliers aidant, il a pu refinancer son emprunt et en extraire du cash en vue de sa consommation, pour des montants représentant environ 7 % du revenu disponible. Cette ressource ayant 4. La référence à Ponzi, un escroc italo-américain des années 1920 qui avait bâti une fortune éphémère en trompant des épargnants, ne signifie pas qu’il y ait forcément malveillance. Il s’agit plutôt de décrire des structures d’endettement dans lesquelles le remboursement suppose indéfiniment l’émission de dettes nouvelles. Ceci n’est possible que si le prix de l’actif financé croît plus vite que le taux d’intérêt. 5. Voir Borio, « Monetary and prudential policies at a crossroads? New challenges in the new century », BIS working paper, 2006 ; et Mésonnier, « Le paradoxe de la crédibilité en question », Bulletin de la Banque de France, 2004. CRISE FINANCIÈRE disparu, qu’à cela ne tienne, le consommateur se reporte sur le crédit revolving que lui offre sa carte de crédit. Comme de juste, les prêts sur cartes de crédit ont fortement accéléré depuis un an. Or, ceux-ci, comme les prêts immobiliers subprime, sont généralement assortis d’une période de teasing où les taux sont réduits. Eux aussi sont titrisés dans une large portion, et deviennent ainsi le collatéral de produits financiers à haut rendement. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il n’est sans doute pas inutile de surveiller désormais comment vont évoluer les défaillances sur les crédits à la consommation. Avec un marché du travail qui commence à battre de l’aile, les perspectives ne sont pas bonnes. GESTION ET PRÉVENTION DES CRISES S ans liquidité, le système financier s’arrête, et donc de même l’économie globale. Ces dernières semaines, les banques centrales n’ont pas lésiné sur les montants fournis presque sans limite (mais non sans pénalité) au marché. En dépit de ces actions, tous les dysfonctionnements n’ont pas disparu, loin s’en faut, ce qui confirme la gravité de la situation. Plus longtemps la sphère financière reste grippée, plus grave est la répercussion possible sur la sphère réelle. La prochaine étape sera marquée, vraisemblablement, par une baisse des taux directeurs, d’abord par la Réserve fédérale américaine (le problème est américain à l’origine), puis par d’autres institutions. Néanmoins, on ne doit pas trop espérer de cet outil de stabilisation, car les délais de transmission sont longs. Par ailleurs, une politique monétaire assouplie peut atténuer les effets de la purge, il ne serait pas sain qu’elle empêche son déroulement. D’une certaine façon, le monde paye, dans la crise actuelle, la facture de la gestion monétaire de la précédente bulle (les valeurs Internet et la soi-disant « nouvelle économie »). Les banques centrales sont là pour assurer le fonctionnement du système financier, non pour fournir une assurance infinie et gratuite. Le risque d’aléa moral n’est sinon jamais loin, et il se paye inévitablement. Par un retour de balancier dont la violence est la caractéristique même des crises financières, les mécanismes qui étaient si séduisants deviennent suspects, et chacun de chercher les responsables. On pointe du doigt la myopie ou la crédulité des uns, les excès ou les acrobaties des autres, parfois la malveillance de certains. Tout y passe, régulateurs, banques centrales, banques, hedge funds, agences de notation. Il est trop tôt bien sûr pour tirer les enseignements de la situation pré- sente. Mais il serait étonnant que le chantier de prévention des prochaines crises ne cherche pas à mieux éclairer le lien entre la partie régulée (banques) et la partie non régulée (hedge funds) de la sphère financière6. Il ne s’agit pas de jeter le bébé avec l’eau du bain. Les régulations sont contre-productives quand elles peuvent être contournées. De même, des pratiques, par exemple la titrisation, ont pu conduire à des excès, mais fondamentalement c’est un moyen de mieux répartir le risque sur la planète financière, et donc de réduire le risque systémique. A 6. Des réflexions approfondies sur le sujet existent déjà.Voir en particulier Kambhu et alii (2007) « Hedge funds, financial intermediation, and systemic risk », FRBNY Economic Policy Review, ou le numéro spécial de la Revue de stabilité financière de la Banque de France (2007) consacrée aux hedge funds. Sociétal N° 58 A 4e trimestre 2007 69 2007 : Année Jean Fourastié Pour marquer le centenaire de sa naissance, le Comité Jean Fourastié propose Le 28 novembre 2007 à partir de 14 h au CNAM à Paris Colloque international PROGRÈS TECHNIQUE, CROISSANCE & DEVELOPPEMENT présidé par Michel Albert, secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences morales et politiques avec la participation exceptionnelle de deux grands témoins : Robert Solow, prix Nobel d’Économie et Michel Pébereau, président de l’Institut de l’entreprise, entourés de nombreuses personnalités du monde économique et universitaire. Un Film-documentaire Du Grand Espoir aux Trente glorieuses co-produit par FR3, l’INA et Caméra Lucida avec le soutien du Comité Fourastié, également diffusé en DVD. En souscription : Médaille Jean Fourastié éditée par La Monnaie de Paris. Pour participer au colloque, souscrire à la médaille ou au DVD, voir le site : www.jean-fourastie.org Comité Jean Fourastié - 50 rue de la Monesse - 92310 Sèvres [email protected]