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CONJONCTURES
ÉCONOMIE
BRUNO CAVALIER *
Crise financière
La finance mondiale est en crise. Et comme dans toutes
les crises financières, c’est l’expansion du crédit dans
des conditions déraisonnables qui a conduit au point de
rupture. Désormais, c’est le discrédit qui s’est installé,
car une crise financière est avant tout un problème
de confiance. On ne peut en sortir que par la purge
des excès antérieurs, ce qui prend du temps. Il n’est
pas rare que cela dégénère en récession. Dans le monde
actuel, une crise financière est aussi, par nature, un choc
global. On peut se payer d’espoir en escomptant un
découplage économique entre des Etats-Unis en freinage et une Chine en surchauffe. Il ne saurait exister de
découplage financier. Au stade actuel, il est trop tôt
pour dire que le canal du crédit va se boucher, que les
Etats-Unis sont voués à la récession, que la déflation
menace la planète financière, mais ce sont des risques
sérieux.
moments, une grande
«A certains
masse de gens stupides possède
une grande masse d’argent stupide. […]
De temps à autre, l’argent de ces gens
est particulièrement considérable et
insatiable. Il recherche quelqu’un qui
* Responsable de la recherche macroéconomique, Oddo Securities.
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pourra le dévorer, et il y a pléthore ; il
trouve quelqu’un, et il s’ensuit de la
spéculation ; il est dévoré, et c’est la
panique. » Charles Kindleberger avait
placé cette citation de Bagehot en exergue de son ouvrage devenu la référence
sur les crises financières1. C’était une
excellente trouvaille, car cette description particulièrement vivante de l’euphorie a été écrite en 1856 et, depuis
cette date, cent cinquante ans d’histoire
financière n’ont cessé d’apporter des
illustrations au propos de l’auteur de
Lombard Street. Les événements de l’été
2007 en sont un exemple de plus.
Ces dernières années, on entendait dire
que la liquidité globale était ample,
surabondante, voire excessive. Ce sont
les épithètes qui revenaient le plus souvent dans l’analyse de ceux, banquiers
centraux en tête, qui redoutaient que
la création trop rapide de monnaie
provoque un retour de l’inflation ou bien
qu’elle déstabilise la sphère financière.
Et soudainement, vers la mi-août 2007,
1. Cité en anglais par Charles Kindleberger
(1978), Manias, Panics, and Crashes. A History of
Financial Crises, Macmillan. La citation originale
est extraite d’un écrit de jeunesse de Bagehot,
Edward Gibbon.
CRISE FINANCIÈRE
la liquidité a disparu. Plus frappant pour
tous les esprits, elle a disparu aussi sur
ce segment du marché où, justement,
elle était censée ne jamais faire défaut,
le marché interbancaire. Les mêmes
banquiers centraux qui redoutaient
l’abondance de liquidité ont dû alors,
en urgence et à plusieurs reprises, fournir la liquidité manquante afin d’éviter
que le système financier ne se grippe
totalement.
DU TROP-PLEIN
DE LIQUIDITÉ À LA PÉNURIE
D
ans cette affaire de liquidité, il y a
de quoi perdre son latin. C’est que
le terme de « liquidité » a plusieurs sens.
Il sert souvent de synonyme pour désigner la masse des moyens de paiement,
ou de leur contrepartie, le crédit. Sous
cette acception, nul doute que la liquidité globale a progressé à un rythme
très rapide depuis 2001, un rythme en
tout cas bien supérieur à celui qu’aurait
justifié la croissance des transactions.
Prenons une mesure facilement calculable du phénomène, à savoir la somme de
la base monétaire américaine et du
montant des réserves de change des
autres pays du monde. Ce concept enregistre le rôle du multiplicateur de crédit
aux Etats-Unis et l’accumulation internationale de réserves hors des Etats-Unis,
elle-même source de liquidité domestique. Exprimée en pourcentage du PIB
nominal, cette mesure de la liquidité
globale avoisine actuellement 13 %, une
part qui a presque doublé en dix ans
(Graphique 1). Assurément, la macroliquidité ne manque pas, elle est même
très abondante.
Mais, par ailleurs, la liquidité, c’est aussi
– c’est surtout – la capacité du marché
de fournir un prix aux différents actifs.
Quand le prix fait défaut, l’actif ne peut
être échangé, le marché est suspendu,
l’actif est totalement illiquide, quelle que
puisse être sa qualité intrinsèque. Ce
genre de mésaventure a touché, ces dernières semaines, le marché des dérivés
de crédits, ces instruments financiers qui
permettent aux banques de sortir de
leur bilan des créances (et donc le
risque afférent) en les titrisant, c’est-àdire en les transformant en produits
négociables.
L’alchimie financière aidant, ces instruments de titrisation sont devenus au fil
des ans de plus en plus complexes ; ils
ont été découpés en tranches, puis
« repackagés » pour satisfaire au degré
supposé de risque que l’investisseur était
prêt à prendre. L’opacité du montage n’a
guère retenu l’attention de ce dernier
dès lors qu’une agence de notation avait
estampillé le dispositif de structuration.
Or, dans la réalité, ces produits complexes ne faisaient pas réellement l’objet
de transactions. Ils avaient été conçus
pour être détenus à maturité, non pour
être soldés en cours d’existence. Leur
Graphique 1. Liquidité globale
Source : FMI, Oddo Securities.
valorisation n’était donc pas établie en
fonction d’un prix de marché (mark-tomarket), mais selon des modèles statistiques (mark-to-model), pour lesquels les
épisodes de crise sont rejetés aux extrémités des distributions de probabilité
(tail events) et n’ont qu’une chance
infime de se réaliser.
LA CRISE FINANCIÈRE
PAR LES DEUX BOUTS
B
ien sûr, quand le stress survient, et
que les investisseurs cherchent
effectivement à liquider l’actif concerné,
ce qui valait 100 a priori peut ne valoir
que 50, ou 10, ou moins encore. Aucun
modèle n’avait envisagé de telles décotes, aucun investisseur non plus. C’était
statistiquement presque impossible, mais
c’était oublier que le collatéral d’un bon
nombre de ces produits structurés était
une créance sur des agents devenus
insolvables.
Dans la crise financière actuelle, nous
trouvons en effet à un bout de la chaîne
un ménage américain, qui n’a pas de
revenus réguliers, ou qui n’a pas d’emploi, qui ne possède à peu près rien
(sauf peut-être déjà quelques dettes),
mais qui aspire à devenir propriétaire
de sa maison. Un courtier en prêts
hypothécaires se fait fort de lui obtenir
un crédit sur trente ans. Pour rendre la
chose plus attractive, les remboursements sur les deux premières années
seront calculés sur la base d’un taux
d’intérêt réduit, après quoi, bien sûr, il
faudra s’aligner sur des conditions de
marché et y ajouter une marge rémunérant le risque. Mais, d’ici deux ans, le
prix de la maison aura monté, espèret-on, il sera toujours temps de renégocier un nouveau prêt de même type.
On dit qu’une de ces officines spécialisées avait fait la publicité de tels produits en les qualifiant de prêts « Ninja »
(No Income, No Job or Assets), ce qui
était, somme toute, une manière assez
honnête de signaler le caractère sportif
du contrat.
Plus communément, on parle de prêts
« subprime », par opposition aux prêts
« prime », qui sont accordés aux agents
qui peuvent faire état d’une capacité de
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Œ REPÈRES ET TENDANCES ˜CONJONCTURES
ΠDOSSIER
Œ LIVRES ET IDÉES
ÉCONOMIE
Graphique 2. Défaillance hypothécaire et PIB US
simultanément, fléchit le prix des actifs
immobiliers (un tiers de la richesse des
ménages), cela n’annonce rien de bon
pour les perspectives d’activité.
LEVIER SUR LE RENDEMENT,
LEVIER SUR LE RISQUE
C
Source : MBA, BEA, Oddo Securities.
remboursement, qui peuvent offrir des
actifs en garantie, bref les débiteurs
ordinaires et solvables. A un bout de la
chaîne, donc, il y a notre ménage américain (des milliers, en fait), qui hélas vient
de faire défaut sur son emprunt hypothécaire.A l’autre bout de la chaîne, il y
a la finance mondiale. Et c’est toute
l’histoire de la crise financière présente.
TOUT EST DANS LE « SUB »,
RIEN DANS LE « PRIME »
L
e segment des prêts hypothécaires
subprime est apparu aux Etats-Unis il
y a environ deux décennies, mais il ne
représentait qu’une part marginale du
marché jusqu’à ces toutes dernières
années2. Ce qui explique son développement récent, c’est avant tout l’innovation
financière, en l’occurrence l’apparition
d’un marché secondaire de la dette
hypothécaire. Dès lors que les organismes prêteurs ont pu sortir ces créances
de leur bilan pour les transférer à des
intermédiaires, que ceux-ci ont pu les
structurer pour en faire de véritables
produits financiers, cela a permis de
réduire les frais de transactions et de
mieux répartir l’exposition au risque. En
la matière, la titrisation des crédits a
joué un rôle positif. Finalement, une
hausse de l’offre de crédit en a résulté.
De là, on a basculé dans l’excès – la
« pléthore », pour reprendre l’expression de Walter Bagehot – en raison de la
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faiblesse historique du coût du crédit au
début de la décennie.
Quoi qu’il en soit, les volumes en jeu
sont désormais considérables. Sur les
10 000 milliards de dollars d’encours de
dette hypothécaire des ménages américains, environ 15 % sont des prêts subprime. Cela concerne 7,5 millions de
prêts. Voilà pour le stock. Mais cette
catégorie de prêts a surtout représenté
plus du tiers des nouveaux flux de crédit hypothécaire en 2006. De surcroît, la
quasi-totalité de ces nouveaux prêts
subprime a été souscrite à un taux révisable au bout d’une période de deux ou
trois ans.
Comme les taux révisables ont connu
une forte remontée à partir de 2004, ils
ont entraîné avec eux la hausse du
nombre de défaillances. Le passif se
revalorisait en effet au plus mauvais
moment, celui où la valeur de l’actif
avait franchi son pic. A la mi-2007, le
taux de défaillance sur les prêts subprime était déjà de 15 %, retrouvant son
précédent point haut de 2002 (mais
l’on sortait alors de récession). Sans
qu’on cherche à en tirer la moindre
causalité, on se bornera à constater que
le taux des défaillances hypothécaires
et le rythme de croissance économique
sont, au signe près, très bien corrélés
(Graphique 2). On comprend bien que
si le canal du crédit se bouche et que,
ompte tenu des flux enregistrés
jusqu’en 2006, il est certain que le
pic des défaillances sur les prêts hypothécaires subprime ne sera pas atteint
avant 2008. Les estimations qui circulent chiffrent les pertes possibles dans
une fourchette de 100 à 200 milliards
de dollars, un niveau comparable à
celles provoquées par la crise des caisses d’épargne américaines au début des
années 1990. De tels montants ne sont
pas négligeables, certes, mais rapportés
à la taille des marchés financiers, ils
sont presque dérisoires. A titre de
comparaison, notons que la capitalisation boursière des marchés d’actions
américains dépassait 20 000 milliards
en août 2007.
La propagation de la crise du subprime
au reste de la planète financière vient
de l’existence d’un marché de produits
dérivés attachés à ce type de crédits.
Comme toujours, l’idée est bonne au
départ : il s’agit d’offrir aux investisseurs
ayant acquis des titres adossés à
ces crédits risqués la possibilité de
se protéger contre une défaillance de
l’emprunteur, en passant avec une
contrepartie un accord de compensation. Dans le jargon financier, ces protections sont appelées des credit default
swap (CDS). Puis la bonne idée a été
raffinée à l’extrême. Certains se sont
mis à structurer les protections,
comme ils avaient structuré les crédits,
créant un produit synthétique dont le
sous-jacent n’était plus un crédit, mais
une protection contre le défaut de ce
crédit. La différence est de taille, car
l’effet de levier peut alors être démulti-
2.Voir Kiff & Mills (2007), « Money for Nothing
and Checks for Free: Recent Developments in
US Subprime Mortgage Markets », IMF Working
Paper, et Bernanke (2007), « The Subprime
Mortgage Market », Fed Speech.
CRISE FINANCIÈRE
plié par 10, 20, voire beaucoup plus.
Quand tout va bien, le rendement de
ces produits dérivés est donc hors normes. Quand les choses tournent mal,
l’exposition au risque est maximale, et
c’est la perte alors qui s’envole.
contracté d’environ 20 %. Au même
moment, le rendement exigé sur ce
papier commercial ne présentant théoriquement aucun risque de liquidité s’envolait. La maturité des émissions nouvelles
se réduisait à quelques jours à peine.
Les choses ne s’arrêtent pas là, ce serait
trop simple. Comme ces produits adossés aux prêts hypothécaires présentaient des rendements attractifs (pour
un risque qui paraissait minime), de
nombreux fonds d’investissement se
sont logiquement rués sur eux, et ont
cherché à maximiser davantage leur
performance en faisant de la transformation d’échéances. Autrement dit, ils
ont investi dans ces produits à long
terme en se finançant par l’émission de
titres à court terme, qu’ils remboursaient le moment venu, soit avec le rendement des actifs adossés, soit en
émettant de nouveaux papiers commerciaux, et ainsi de suite.
Et c’est là que la crise prend toute sa
dimension, car derrière les structures
d’investissement aux noms ésotériques
(les « conduits », les « SIV ») spécialisées
sur ce marché, il y a des banques qui
leur ont accordé des lignes de crédit sur
lesquelles il est possible de tirer en cas
de problème de liquidité. Dès que ce
mécanisme est activé, c’est la banque
concernée qui porte alors le risque, et
qui doit mettre en face du capital selon
les ratios prudentiels en vigueur.
Compte tenu de l’effet de levier, il n’est
pas étonnant que plusieurs banques
régionales allemandes, très actives sur
ce marché, se soient retrouvées au bord
de la faillite et qu’il ait fallu les recapitaliser en urgence. Pas étonnant non plus
qu’un climat de suspicion se soit installé
sur les marchés interbancaires, tant aux
Etats-Unis qu’en Europe, et que la liquidité y ait disparu.
Il en a résulté une progression sidérante
du marché concerné, celui des assetbacked commercial papers (ABCP), en ligne
avec celle du crédit subprime et celle des
dérivés de crédit. Aux Etats-Unis, l’encours des ABCP a doublé en un peu plus
de deux ans pour avoisiner1 200 milliards
de dollars à son pic de la mi-août 2007
(Graphique 3). Mais, un mois plus tard,
la bulle ayant éclaté, il s’était déjà
AKERLOF, MINSKY, PONZI
ET LES AUTRES
L
a crise financière est un révélateur.
Il y a quelques semaines, personne,
Graphique 3. Marché du papier commercial US
(en milliards de dollars)
Source : Fed, Oddo Securities.
hormis quelques professionnels, ne
soupçonnait l‘existence des ces structures d’investissement acrobatiques plus
ou moins directement sponsorisées par
les banques. On chercherait en vain, par
exemple, dans les différentes Revues de
stabilité financière que publient tous
les grands organismes et les banques
centrales, la simple mention de leur
existence. A la confiance béate succède
maintenant la suspicion généralisée. L’on
se retrouve alors dans la fameuse métaphore des voitures d’occasion, par
laquelle Akerlof expliquait l’effet d’une
asymétrie d’information3. S’il n’existe
pas un mécanisme incitant à la révélation de la qualité de la voiture, tous les
vendeurs sont pénalisés et le prix
moyen du véhicule baisse. Dans le cas
présent, l’asymétrie d’information vient
de la complexité des produits traités, de
l’opacité des stratégies d’investissement,
et c’est le cours boursier des établissements de crédit qui sert de variable d’ajustement quand l’euphorie cesse
brutalement.
Au fil du temps, il est frappant de voir
combien le mécanisme conduisant à la
crise financière a peu évolué – à moins
que ce soit la nature humaine qui ne
varie pas. Aussi, chaque fois qu’une nouvelle crise survient, pense-t-on à Hyman
Minsky, cet économiste américain qui
s’est attaché à décortiquer les ressorts
de l’instabilité du cycle du crédit et de la
dette. Son idée centrale est que cette
instabilité est engendrée de manière
endogène par le système économique,
plus exactement par des agents trop
confiants dans la stabilité du système.
D’où l’idée que la stabilité est déstabilisante, ce qui est souvent désigné comme
le « paradoxe de la tranquillité ». A l’origine des crises, il y a un changement
radical, une rupture, ce que Minsky
appelle un « displacement ». Ce choc
peut être technologique, politique, économique, financier, peu importe. Ce qui
compte est qu’il soit assez radical pour
3. Voir Akerlof (1970), « The Market for
Lemons: Quality Uncertainty and the Market
Mechanism », Quarterly Journal of Economics.
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Œ REPÈRES ET TENDANCES ˜CONJONCTURES
ΠDOSSIER
Œ LIVRES ET IDÉES
ÉCONOMIE
modifier les opportunités de profit
des agents sur certains types d’actifs.
A partir de là, la dynamique inexorable
s’enclenche, qui est faite d’expansion du
crédit, de hausses des prix d’actifs, de
nouveaux développements du crédit
avec des effets de levier de plus en plus
importants (les jeux de Ponzi4), jusqu’à
créer une phase d’euphorie, d’excès de
confiance, de prises de risque inconsidérées, et cela jusqu’à l’explosion de la
bulle.
Cette grille d’analyse peut s’appliquer à
certaines évolutions de l’économie et
de la finance mondiale. Il n’est même
pas utile d’insister sur les bouleversements nés de la phase récente de globalisation et de l’émergence de nouveaux
géants. Par ailleurs, l’innovation financière, en permettant le transfert du
risque et sa dilution auprès d’un plus
grand nombre d’agents, a sans doute
créé l’illusion que le prix du risque avait
baissé et qu’une ère de l’argent bon
marché s’était ouverte pour longtemps.
Autre piste de rupture, plus étonnante à
première vue : les politiques de lutte
contre l’inflation. En menant ces politiques depuis deux décennies, avec pour
conséquence d’ancrer les anticipations
d’inflation à moyen terme à un bas
niveau et de stabiliser le cycle d’activité,
les banques centrales auraient contribué à cette illusion de la stabilité. Dans
cette version, le paradoxe devient celui
de la crédibilité des banques centrales :
du fait de leur lutte crédible contre l’inflation, les excès de liquidité ne débouchent pas sur une inflation du prix des
biens et services mais sur l’inflation du
prix des actifs, ce qui tend à fragiliser la
sphère financière5.
LE CONSOMMATEUR
AMÉRICAIN VA SOUFFRIR
L
a crise financière est aussi de nature
à amplifier les ajustements dans la
sphère réelle, car elle affecte deux
canaux essentiels pour la consommation des ménages : le canal du crédit et
celui de la richesse (ou du prix des
actifs). La disparition de la liquidité sur
le marché interbancaire au mois d’août
2007 et au-delà produit le même effet
qu’un durcissement des conditions de
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Graphique 4. Prix réel des maisons US
(indice base 100 en 2000)
Source : S&P, Oddo Securities.
refinancement des banques. En retour,
cela devrait les pousser à resserrer
davantage leurs conditions d’octroi de
crédit. Au stade actuel, si l’on en juge
par l’enquête trimestrielle de la Fed
auprès des Senior Loan Officers, ce resserrement est brutal pour les crédits
immobiliers, ce qui n’a rien pour surprendre. Pour les autres catégories
(prêts industriels et commerciaux, crédits à la consommation), les conditions
de crédit, sans être extrêmes, sont un
peu plus tendues depuis quelques trimestres. Cette tendance a toutes les
raisons de se prolonger, quand bien
même la politique monétaire serait
assouplie.
Du côté du prix des maisons, le retournement du marché date de l’été 2006.
Pour l’instant, le recul moyen des prix
du logement sur le territoire américain
reste assez limité (de l’ordre de 3-4 %
par rapport au pic). Ces prix sont
encore élevés, qu’on les compare à leur
trend ou bien qu’on estime ce qui serait
nécessaire pour ramener la capacité
d’endettement des ménages à sa norme
de longue période (une combinaison du
niveau des taux d’intérêt, du revenu et
du prix des maisons). Un repli supplémentaire du prix des maisons de l’ordre
de 10 % n’aurait rien de vraiment choquant dans ce contexte (Graphique 4).
Avec un rapport du simple au double
entre la dette hypothécaire des ménages et leur patrimoine immobilier, cela
représenterait un choc de près de 20 %
sur sa richesse nette. Peut-on croire
que les dépenses de consommation ne
seraient pas alors affectées ?
A ce jour, le consommateur américain
médian est un peu moins riche mais
guère moins dépensier. En somme, il
continue de gagner du temps. Jusqu’en
2006, la hausse des prix immobiliers
aidant, il a pu refinancer son emprunt
et en extraire du cash en vue de
sa consommation, pour des montants
représentant environ 7 % du revenu
disponible. Cette ressource ayant
4. La référence à Ponzi, un escroc italo-américain des années 1920 qui avait bâti une fortune
éphémère en trompant des épargnants, ne
signifie pas qu’il y ait forcément malveillance. Il
s’agit plutôt de décrire des structures d’endettement dans lesquelles le remboursement suppose indéfiniment l’émission de dettes nouvelles. Ceci n’est possible que si le prix de l’actif
financé croît plus vite que le taux d’intérêt.
5. Voir Borio, « Monetary and prudential policies at a crossroads? New challenges in the
new century », BIS working paper, 2006 ; et
Mésonnier, « Le paradoxe de la crédibilité en
question », Bulletin de la Banque de France, 2004.
CRISE FINANCIÈRE
disparu, qu’à cela ne tienne, le consommateur se reporte sur le crédit revolving
que lui offre sa carte de crédit. Comme
de juste, les prêts sur cartes de crédit
ont fortement accéléré depuis un an. Or,
ceux-ci, comme les prêts immobiliers
subprime, sont généralement assortis
d’une période de teasing où les taux
sont réduits. Eux aussi sont titrisés dans
une large portion, et deviennent ainsi le
collatéral de produits financiers à haut
rendement. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il n’est sans doute
pas inutile de surveiller désormais
comment vont évoluer les défaillances
sur les crédits à la consommation. Avec
un marché du travail qui commence
à battre de l’aile, les perspectives ne sont
pas bonnes.
GESTION ET
PRÉVENTION DES CRISES
S
ans liquidité, le système financier
s’arrête, et donc de même l’économie globale. Ces dernières semaines,
les banques centrales n’ont pas lésiné
sur les montants fournis presque sans
limite (mais non sans pénalité) au marché. En dépit de ces actions, tous les
dysfonctionnements n’ont pas disparu,
loin s’en faut, ce qui confirme la gravité
de la situation. Plus longtemps la sphère
financière reste grippée, plus grave est
la répercussion possible sur la sphère
réelle.
La prochaine étape sera marquée,
vraisemblablement, par une baisse des
taux directeurs, d’abord par la Réserve
fédérale américaine (le problème est
américain à l’origine), puis par d’autres
institutions. Néanmoins, on ne doit pas
trop espérer de cet outil de stabilisation, car les délais de transmission sont
longs. Par ailleurs, une politique monétaire assouplie peut atténuer les effets
de la purge, il ne serait pas sain qu’elle
empêche son déroulement. D’une certaine façon, le monde paye, dans la crise
actuelle, la facture de la gestion monétaire de la précédente bulle (les valeurs
Internet et la soi-disant « nouvelle économie »). Les banques centrales sont là
pour assurer le fonctionnement du système financier, non pour fournir une
assurance infinie et gratuite. Le risque
d’aléa moral n’est sinon jamais loin, et il
se paye inévitablement.
Par un retour de balancier dont la
violence est la caractéristique même
des crises financières, les mécanismes
qui étaient si séduisants deviennent
suspects, et chacun de chercher les
responsables. On pointe du doigt la
myopie ou la crédulité des uns, les
excès ou les acrobaties des autres,
parfois la malveillance de certains. Tout
y passe, régulateurs, banques centrales,
banques, hedge funds, agences de notation. Il est trop tôt bien sûr pour tirer
les enseignements de la situation pré-
sente. Mais il serait étonnant que le
chantier de prévention des prochaines
crises ne cherche pas à mieux éclairer
le lien entre la partie régulée (banques)
et la partie non régulée (hedge funds)
de la sphère financière6. Il ne s’agit pas
de jeter le bébé avec l’eau du bain. Les
régulations sont contre-productives
quand elles peuvent être contournées.
De même, des pratiques, par exemple la
titrisation, ont pu conduire à des excès,
mais fondamentalement c’est un moyen
de mieux répartir le risque sur la planète financière, et donc de réduire le
risque systémique. A
6. Des réflexions approfondies sur le sujet
existent déjà.Voir en particulier Kambhu et alii
(2007) « Hedge funds, financial intermediation,
and systemic risk », FRBNY Economic Policy
Review, ou le numéro spécial de la Revue de
stabilité financière de la Banque de France (2007)
consacrée aux hedge funds.
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2007 : Année Jean Fourastié
Pour marquer le centenaire de sa naissance,
le Comité Jean Fourastié
propose
Le 28 novembre 2007
à partir de 14 h au CNAM à Paris
Colloque international
PROGRÈS TECHNIQUE, CROISSANCE
& DEVELOPPEMENT
présidé par Michel Albert, secrétaire perpétuel
de l’Académie des Sciences morales et politiques
avec la participation exceptionnelle de deux grands témoins :
Robert Solow, prix Nobel d’Économie
et
Michel Pébereau, président de l’Institut de l’entreprise,
entourés de nombreuses personnalités
du monde économique et universitaire.
Un Film-documentaire
Du Grand Espoir aux Trente glorieuses
co-produit par FR3, l’INA et Caméra Lucida
avec le soutien du Comité Fourastié, également diffusé en DVD.
En souscription :
Médaille Jean Fourastié éditée par La Monnaie de Paris.
Pour participer au colloque, souscrire à la médaille ou au DVD,
voir le site : www.jean-fourastie.org
Comité Jean Fourastié - 50 rue de la Monesse - 92310 Sèvres
[email protected]

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