Antonio Rodriguez, semaine de la lecture /cycles 1 et 2/ l`espèce
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Antonio Rodriguez, semaine de la lecture /cycles 1 et 2/ l`espèce
Antonio Rodriguez, semaine de la lecture /cycles 1 et 2/ l’espèce humaine tous, autour de la table, me regardent étrangement, ils chuchotent des choses entre eux, puis rien, silence, ils disent gravement « cesse de faire le singe », c’est un repas de famille, de famille humaine autour d’une table, avec des assiettes remplies de viande, de sauces, de légumes, j’ai sept ans et je mange ce qu’on me donne à manger, de la viande, de la sauce, des légumes, autour d’une table, ils chuchotent à nouveau, me regardent étrangement, puis quelqu’un dit sans ménagement « tu manges comme un cochon », je suis le singe, je suis le cochon, le singe qui se cochonne, le cochon qui se singe, mes parents rougissent, verdissent dans la sauce d’une famille, les assiettes sont replies de viande, de légumes, les verres sont rouges de vin, tous rient, se déforment dans les verres, alors je grimpe à un arbre, me roule dans la boue, pousse des petits cris, « tu jacasses », non, je suis un animal farci d’humanité, et mon territoire sent la forêt, les adultes ne savent plus monter aux branches, me traitent de « curieuse bestiole », je suis le moineau qui s’envole, le cafard qui s’enfuit, le chien qui aboie, la fourmi qui avance, le chat qui ronronne, l’éléphant qui se baigne, le cheval qui se cabre, et mes parents m’apportent du gâteau, des bougies, « vas-y maintenant, souffle», tout le monde a chanté, tout le monde sourit sur la photo, depuis longtemps cette photo est accrochée dans le salon /cycles 2 et 3/ petit tableau ancien aussitôt, à la maternité, mes oncles m’entouraient, tels les Rois mages, m’offrant des mystères et des splendeurs, de la lumière pour mes yeux, du langage pour mes oreilles, de l’air pour mes poumons, de la douceur pour ma peau, c’étaient mes oncles, c’étaient les Rois mages, j’aimais le monde, et le monde m’aimait, je crois qu’il m’aimait, même si maintenant il reste moins d’étoiles dans le ciel, ma mère transpirait, ses gouttes faisaient des constellations sur son épaule, une fois posé dans ses bras, j’ai vu que le ciel se remplissait de l’odeur des hommes, c’était sa peau, sa brume, et j’ai dit, l’humain sent bon, l’humain sent bon l’humain, c’était ma mère, c’était mon ciel, j’avais le visage d’une taupe dans son aisselle, et j’avais creusé en elle mes galeries pendant trois saisons, automne, hiver, printemps, plus je creusais, plus je devenais enfant, mon père chantait mon prénom comme un archange, pour me façonner il prit un grain de sable, et ma mère, avec un peu de salive, l’a transformé en perle, le cachant dans sa poche à poèmes, mes grands-parents pleuraient de joie et priaient pour remercier, eux aussi avait été heureux dans cette grange ; maintenant, bien plus tard, bien trop tard, je reste seul avec ce petit tableau, et lorsqu’on me dit que je ressasse une légende ancienne, avec de belles images, j’attends simplement le prochain noël pour placer sous le sapin les mages, ma mère, mon père, pour qu’ils viennent près de moi et que je puisse dire : oui, décidément, l’humain sent bon, l’humain sent bon l’humain