Violence psychologique au travail
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Violence psychologique au travail
Repères pour identifier la présence de Violence psychologique au travail Par Charles Roy [email protected] INTRODUCTION La présente série d’articles s’inscrit dans la perspective d’apporter un éclairage sur les situations vécues par nos clients au chapitre du harcèlement psychologique ou de la violence psychologique au travail. Pour les personnes aux prises avec cette problématique, il sera important de dégager des points de repère très clairs permettant d’en faire la démonstration, soit pour fin de validation de leur propre expérience ou soit dans le but d’utiliser les recours prévus par la loi. À défaut d’une compréhension globale du phénomène, il y a risque de ne s’en tenir qu’à des gestes pris à la pièce et de tomber dans le piège de la banalisation, avec pour conséquence de passer complètement à côté de la problématique et de sa dynamique. Malgré les ravages plus qu’évidents que provoque le harcèlement psychologique ou la violence psychologique au travail, il s’agit d’un phénomène subtil, pernicieux, se produisant la plupart du temps sans témoins et impliquant souvent des comportements qui ne sont pas illégaux. Nous proposons donc ici une grille d’analyse qui pourra aider le clinicien à définir et repérer les comportements typiques du harcèlement ou de la violence psychologique et identifier leurs conséquences pour la victime. Les principaux paramètres pour repérer la dynamique de violence sont : la subtilité des gestes, le phénomène de banalisation, le processus d’ensemble, les comportements eux-mêmes, la violence hiérarchique et plus que tout autre facteur, l’impact toujours destructeur sur les individus et les entreprises. Ces trois derniers aspects font l’objet d’un article différent dans le même numéro de ce bulletin. Phénomène subtil : la violence discrète des relations de travail De l’avis de Mme Aurousseau (1996), chercheure à l’UQAM et spécialiste en la matière, « la violence psychologique est bien insidieuse et peut être difficile à percevoir ». Le Ministère du travail (2001) précise que cette forme de harcèlement, «se compose de petits incidents bénins dont le cumul et la convergence pourraient donner lieu à une lésion professionnelle » et que «c’est le caractère insidieux des comportements qui contribue le plus à l’atteinte psychique. » Le Syndicat de l’Enseignement de l’Ungava et de l’Abitibi-Témiscamingue rapporte que «le harcèlement est caractérisé par des propos et des gestes vexatoires, inopportuns et abusifs. » Il précise d’ailleurs que «selon les tribunaux, il n’est pas nécessaire que les propos ou les gestes posés soient illégaux, prohibés ou déraisonnables pour qu’ils puissent constituer du harcèlement. » Il ne faut donc pas confondre la gravité et les formes de la violence. Hirigoyen (1998) définit le harcèlement moral comme «une violence à petites touches, qui ne se repère pas, mais qui est pourtant très destructrice. » La Centrale des syndicats du Québec (CSQ 2001) explique que compte tenu de la nature subtile de cette violence, il faut définir ce problème à partir des «différents effets qu’entraînent les comportements 1 ou attitudes de harcèlement » ce qui permet de «saisir le phénomène à partir de ses conséquences, plutôt qu’à partir d’un ensemble complexe de caractéristiques dont il peut être difficile de faire la preuve. » Le Conseil économique et social (2001) confirme pour sa part que «le ou les harceleurs agissent à visage masqué – c’est là leur force - ; ils s‘appuient en permanence sur le non-dit de leurs desseins et réduisent leurs victimes à la protestation sans effet et/ou au silence, en les isolant progressivement de tous ceux qui, jusque là, les considéraient. Les capacités de la victime sont peu à peu réduites, aboutissant parfois à une véritable destruction psychique si ce n’est une destruction tout court à travers l’issue suicidaire. » Banalisation Cette forme de violence est banalisée de différentes manières. La CSN, CSQ, etc. (2000) décrivent «la banalisation de la violence comme l’ensemble des attitudes et des comportements qui tendent à la rendre triviale, ordinaire ou insignifiante. (…) Une première forme de banalisation de la violence employée par les supérieurs est la négation de l’existence même de la violence. Une réaction fréquente consiste à la taire ou à la camoufler pour sauvegarder la réputation de l’entreprise. Une deuxième forme de banalisation consiste à blâmer les travailleurs et les travailleuses et à les tenir responsables de la violence ou attribuer celle-ci à des caractéristiques personnelles (sexe, âge, craintes, compétences etc.). (…) Ainsi, de façon assez généralisée, les employeurs ne tiennent pas compte de l’impact psychologique de l’agression. » « Quand les comportements sont insidieux, plusieurs personnes préfèrent fermer les yeux et laisser les victimes seules avec leurs perceptions. Enfin si la personne mise en cause est en position d’autorité, ses comportements seront facilement justifiés par son rôle. Il est à noter que même les victimes peuvent banaliser ce qui leur est arrivé parce qu’elles craignent d’être jugées, entre autres » (CSN 2001). La banalisation par l’employeur sera également favorisée par la tendance au mutisme des victimes, qui sont incapables de parler parce qu’elles sont trop ébranlées par la situation, soit parce qu’elles craignent les représailles ou les conflits ou encore parce qu’elles ne croient pas possible de changer les choses (Guberman, 1998). Sans compter que «la victime et souvent mise en doute par le milieu, soit parce qu’on remet en question ses compétences et ses réactions ou encore parce qu’on considère qu’elle exagère les conséquences de l’agression. » Les collègues ne veulent pas s’en mêler la plupart du temps, de crainte que la situation ne s’aggrave ou que leur tour ne vienne. Repères pour identifier la présence de violence psychologique au travail Soares (2002), avise que «la persécution d’une personne a de puissants effets d’intimidation sur les collègues qui découvrent l’impunité dont jouit l’agresseur (…) (les collègues) ont peur » Chacun se protège (…) Le silence et la défection des témoins, l’absence de solidarité et d’entraide sont catastrophiques pour la victime. » Processus et contexte global Il faut prendre en compte, dans le repérage de la violence, le processus global ou la dynamique de violence. Ainsi, la répétition et la persistance de l’action pourront servir d’indicateurs. Il ne faut pas hésiter à faire des rapprochements entre des situations similaires puisque cela peut permettre d’établir un «pattern » dans un même service. Soares (2002) précise qu’ «au contraire de d’autres types de violence au travail, le harcèlement psychologique est un processus constitué de différents types d’agissements qui se développement dans le temps. Puisqu’il y a processus, il est important de comprendre comment et quand il s’institue, simplement pour qu’on puisse le prévenir ou intervenir le plus tôt possible. » Poudrette (2000) confirme que la «violence psychologique n’est pas qu’un accident de parcours, un geste isolé, mais plutôt une façon d’être en relation. » Gaumond et Roy (2003), deux avocats de la firme Grondin/Poudrier indiquent qu’ «il peut être intéressant de faire la preuve d’un comportement de violence psychologique similaire fait à l’endroit de plusieurs personnes pour établir un pattern et corroborer les prétentions de la ou des personnes plaignantes. Il s’agit d’une preuve acceptée en arbitrage. » Définitions Soares (2002) remarque que les différentes définitions se rejoignent dans au moins trois dimensions toujours présentes : « (1) la répétition et la persistance de l’action ; ensuite, (2) les effets toujours négatifs, dévastateurs et destructeurs sur la personne cible et finalement : (3) la définition est centrée sur les effets subis par la personne cible et non sur les intentions de la personne qui harcèle. » Le Ministère du travail (2003) définit le harcèlement psychologique comme étant «une conduite vexatoire se manifestant par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié, et qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste ». Le Ministère reconnaît donc la dimension de souffrance morale. « On peut dire qu’il y a violence psychologique lorsqu’une personne adopte une série d’attitudes et de propos qui visent à dénigrer et à nier la façon d’être d’une autre personne. Par des paroles et des gestes en apparence inoffensifs, des insinuations, des sous-entendus, des silences, il est possible d’ébranler, de fragiliser et de blesser l’autre. » (…) Ce qui devient particulièrement troublant, destructeur et inacceptable, c’est lorsque la violence est niée, qu’elle se répète dans le temps et qu’elle augmente en fréquence. (…) Certaines personnes sont incapables de se Suite remettre en question : elles se sentent bien et puissantes que lorsqu’elles dominent et contrôlent les autres. » Poudrette (2000). « C’est un processus destructif, constitué d’un enchaînement de propos et d’agissements hostiles qui, pris isolément, pourraient sembler anodins, mais dont la répétition constante a des effets pernicieux » (Leymann, 1996) «il peut prendre différentes formes et se traduire notamment par des insultes, des humiliations, des menaces, du chantage, des accusations parfois ouvertes, parfois exprimées à demi-mot, des insinuations non fondées, des représailles injustifiées, des critiques constantes portant plus sur la personnalité que sur le travail accompli » (Au bas de l’échelle, 1998). Hirigoyen (2001, p. 13) précisera que ces conduites mettent en péril l’emploi de la personne ou dégradent le climat de travail. Le droit à la dignité dans le travail « Parler de violence, c’est remettre en question les valeurs de notre société, c’est redonner aux valeurs humaines une place centrale dans notre développement » (Ministère du travail, 1999). Car l’employé peut se retrouver dans le dilemme de gagner sa vie ou la perdre dans la violence au travail. Les milieux juridiques, syndicaux et autres prennent de plus en plus conscience que ces formes de violence existent et causent des dommages importants. Une récente modification de la Loi sur les normes du travail vient de confirmer le droit pour les salariés de bénéficier d’un environnement de travail sans harcèlement psychologique et affirmer l’obligation pour les employeurs de prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique, et lorsqu’une telle conduite est portée à sa connaissance, pour la faire cesser (Ministère du travail, 2003). La personne salariée qui offre une prestation de travail n’abdique pas pour autant ses droits à la dignité, au respect et à l’intégrité (Gaumond et Roy, 2003). Le ministère du Travail (2003, p. 9) rappelle que «toute personne qui travaille a droit, conformément à la loi, à des conditions de travail justes et raisonnables et qui respectent sa santé, sa sécurité et son intégrité physique. » Parmi les pistes de solution proposées par le Comité interministériel sur la prévention du harcèlement psychologique et le soutien aux victimes (Ministère travail 2003) on recommande notamment une culture organisationnelle respectueuse des personnes, la volonté d’investir à long terme dans le capital humain et la volonté de ne pas banaliser les conduite vexatoires. Une autre forme de prévention consiste à améliorer l’autonomie professionnelle en faisant participer davantage les employés aux décisions. Il faut notamment valoriser le respect des personnes par une conduite exemplaire de la haute direction. BIBLIOGRAPHIE (Voir page 7) 2 Violence psychologique au travail : Comportements et impacts Par Charles Roy [email protected] Dans les faits, quels sont ces actes concrets, attitudes ou gestes vexatoires, inopportuns ou abusifs qui constituent de la violence psychologique ? Il pourra être intéressant de consulter les typologies présentées par Leyman (1996), Soares (2002) ou Aurousseau (1996). À titre d’exemples, Aurousseau (1996) évoque les propos camouflés (remarques qui ont l’air anodines, mais qui laissent planer un reproche, un doute, voire une accusation sans fondement), le manque de respect (commentaires sur l’apparence de l’employé, paroles méprisantes, dénigrement de ses façons de faire) ou encore la mise en doute des compétences. Leyman (1996) détaille les catégories d’agissements visant à empêcher la victime de s’exprimer, visant à l’isoler, à la déconsidérer auprès de ses collègues, à la discréditer dans son travail ou encore à compromettre sa santé. La Chaire en gestion de la santé et de la sécurité au travail de l’Université Laval fait référence à l’intimidation ou aux brimades (bullying). « Il s’agit, sur les lieux de travail, d’un comportement offensant, toujours imprévisible, irrationnel et injuste par lequel une ou plusieurs personnes, souvent des gestionnaires, visent à rabaisser, de façon persistante, un ou plusieurs salariés par des moyens malveillants et humiliants. L’intimidation implique une relation où la victime a moins de pouvoir que l’agresseur… (de par sa) position hiérarchique explicitement reconnue à l’intérieur de l’organisation ou encore (…) son expérience dans l’organisation. » Voici des exemples fournis par l’Université Laval : « donner toujours ses ordres en hurlant, critiquer, de façon destructive et fréquente, la victime devant tout le monde, surcharger une personne de travail et abréger constamment les délais (…), rétrograder un employé performant, envers qui le superviseur a une aversion personnelle en lui ôtant injustement ses responsabilités et en lui imposant des tâches subalternes ou bien en dessous de son potentiel. » Ou encore « discréditer et humilier la victime par des sarcasmes répétés et en complotant pour qu’elle fasse des erreurs (affaiblir), réprimander et rétrograder injustement la victime, la forcer à démissionner ou sinon la congédier ». Le groupe «au bas de l’échelle », spécialisé dans la défense des droits des travailleurs non syndiqués, observe que «les personnes victimes de harcèlement psychologique au travail subissent souvent un contrôle constant et abusif de leurs allées et venues, des contacts qu’ils ont avec leurs collègues, de leurs conversations téléphoniques, du temps qu’ils mettent à accomplir chacune de leurs tâches » (Tremblay, 1999). L’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC, 2002) situe le «climat de travail empoisonné» parmi les diverses formes de harcèlement. «Très souvent, le harcèlement se met en place quand une victime réagit à l’autoritarisme d’un chef et refuse de se laisser asservir. C’est sa capacité de résister à l’autorité malgré les pressions qui la désignent comme cible.» «Pour garder le pouvoir et contrôler l’autre, on utilise des manœuvres anodines qui deviennent de plus en plus violentes si l’employé résiste» (AFPQ, 2002). Toujours selon l’Alliance de la Fonction publique du Canada, «ce peut être aussi une manœuvre perverse d’un individu qui a besoin pour se rehausser d’écraser les autres ou qui a besoin pour exister de démolir un individu choisi comme bouc émissaire. » L’expression «trip de pouvoir » est souvent évoquée par les victimes. Le harcèlement moral peut aller jusqu’à tout mettre en œuvre pour "pousser dehors" un salarié, en contournant ou non les procédures de licenciement. 3 Violence hiérarchique Les situations de harcèlement sont en majorité des situations de violence hiérarchique puisque les employeurs sont les seuls mis en cause dans plus de la moitié des cas rapportés et qu’ils sont encore mis en cause conjointement avec d’autres employé(es) dans un autre tiers des cas. Les comportements violents des supérieurs sont souvent perçus comme une simple manifestation de leur autorité et donc considérés normaux. (CSN, CSQ, FTQ, CINBIOSE et SACUQÀM, 2002) « De la part des supérieurs ou des employeurs, la violence s’exprime principalement par le harcèlement sexuel, l’abus d’autorité, le contrôle excessif, les menaces, les cris, les paroles méprisantes, humiliantes ou intimidantes, le harcèlement administratif (refus des dates de vacances, lettres de reproche, retrait des dossiers de façon abusive, refus de communiquer autrement que par écrit, constitution d’un dossier contre l’employé…) ou le congédiement de l’employé» (Guberman, Option CEQ, no 19). La notion d’abus de pouvoir réfère à la «mauvaise utilisation des pouvoirs et de l’autorité conférés par le poste occupé par une personne avec pour effet observable de nuire au travail ou au cheminement professionnel d’une autre» ou encore de «compromettre son emploi » ou de «mettre son moyen de subsistance en danger (CSN, 2001). Impact pour les individus «Outre les impacts immédiats, comme l’incrédulité, la colère et la honte, la violence affecte l’image de soi, la santé physique et mentale ainsi que la vie privée des professionnels. Ces impacts à plus long terme sont difficiles à apprécier, mais ils se répercutent obligatoirement sur leur motivation et leur disponibilité au travail » (CSN, 1997). Les victimes doivent donc assumer une importante détresse psychologique, une intense souffrance morale. La personne qui reçoit ces mauvais traitements se retrouve profondément blessée, troublée et confuse. C’est l’enfer intérieur. Une véritable tornade émotionnelle s’abat sur les personnes : culpabilité, sentiment de persécution, remise en question des compétences professionnelles, peur du jugement des autres, sentiment d’incompétence, isolement, impuissance, honte, méfiance, peur et insécurité pour la victime. On observera également au plan psychologique des réactions telles que : faible estime de soi, difficultés à communiquer, attitude de retrait, sentiment de honte, d'humiliation, sentiment d'incrédulité et d'incompréhension, sentiment de colère, de tristesse, sentiment de peur, d'insécurité et d'impuissance, confusion, réactions paranoïdes, angoisse, stress, appréhensions, sensibilité exacerbée, sentiment d’être diminué, démotivation, dépression, idées suicidaires et épuisement professionnel. Sans compter qu’au point de vue physique, les impacts sont éloquents : fatigue, perte de l'appétit, perte du sommeil, problèmes digestifs, maux de tête, blessures fréquentes. Soares (2002) souligne que les personnes qui vivent du harcèlement psychologique au travail «présentent d’intenses symptômes posttraumatiques : pensées envahissantes et récurrentes du harcèlement et évitement des éléments qui y sont associés. » La confusion combinée au doute et à la baisse d’estime de soi engendre un état de stress et de peur où la personne est constamment sur le qui vive, en état d’alerte. Le sentiment de danger pousse la personne à devenir très vigilante, à tout faire pour contenter l’autre, pour le calmer, pour éviter le conflit… Violence psychologique au travail : Une situation qui peut devenir intenable au point d’entraîner des congés de maladie prolongés et même des démissions, quand ce n’est pas carrément des mises à pied. L’AIISTQ (2000) affirme que «le harcèlement peut causer des torts et des séquelles permanentes aux personnes qui le subissent : stress, maladie, traumatisme psychologique, séquelles physiques, atteintes à la dignité, humiliation, dépression, perte d’emploi et consultations ou traitements auprès de spécialistes» (AIISTQ, 2000). L’explication de l’efficacité destructrice des pratiques de harcèlement moral en milieu professionnel nous est fournie par les travaux de Christophe Dejours (CES, 2001). « L’humiliation d’une personne dans son travail, le fait de lui renvoyer une image d’ellemême comme inutile… vient bloquer le processus qui permet d’accéder au plaisir dans le travail. Le travail occupe une place centrale dans le maintien de l’équilibre psychosomatique des personnes. La plupart des individus espèrent avoir l’occasion d’accéder à une reconnaissance de leur valeur dans le champ professionnel et de poursuivre ainsi la construction de leur personnalité. Le fait de priver la personne de la rétribution morale de ce surinvestissement aura évidemment, pour elle, de lourdes conséquences psychologiques. Le harcèlement moral est donc la destruction, jour après jour, de la valeur de l’autre à travers son activité professionnelle qu’il vit, très souvent, comme l’essentiel de sa contribution sociale. » Impacts et conséquences pour l’entreprise Selon l’opinion des avocats Gaumond et Roy (2003) «si la première victime de la violence psychologique au travail est évidemment la personne qui la subit, on passe trop souvent sous silence les coûts économiques et sociaux rattachés à de telles manifestations d'agression ». Les mêmes auteurs relatent les effets néfastes de la violence en milieu de travail : taux de roulement élevé, taux élevé d'absentéisme, baisse de productivité (quantité et qualité), Suite démission des meilleurs salariés, climat de travail dénué de collaboration, sens de l'initiative des salariés brimé, climat peu propice aux échanges d'idées, salariés ne développant pas leur plein potentiel ainsi que projection d'une image peu flatteuse de l'entreprise auprès de la clientèle et dans l'entourage des victimes. « Pour l’employeur, ces traumatismes se traduisent par (…) le détournement du temps investi par le personnel à la gestion de la plainte, des coûts reliés aux congés de maladie, à la formation, aux enquêtes sur le harcèlement, aux litiges et les indemnités monétaires qui s’en suivent, sans compter les risques de mauvaise publicité et l’effet sur la clientèle (AIISST, 2001). Selon la chercheure Monique Samson (1998), du Syndicat des professionnel-les des services sociaux de Québec, 70 pour cent des «burnout » découlent d'une forme ou d'une autre de violence en milieu de travail. Soares (2002) constate que les conséquences organisationnelles du harcèlement psychologique se traduisent par une détérioration de l'image de l’organisation, des primes d’assurance élevées et une augmentation des coûts reliés aux services juridiques. Impacts sur la famille « Des effets sur la vie privée sont également à noter, comme les conflits dans le couple, l’impatience envers les enfants, le sentiment d’être seul » (Guberman, 1998) et la colère contre l’entourage. Ces individus vivent dans un milieu intimidant, hostile et offensant qui représente une menace à leur santé et qui va jusqu’à être une invasion de leur vie privée. Compte tenu de ces impacts majeurs au plan de la santé mentale des travailleurs et de la détérioration de leurs conditions de travail et de leur qualité de vie, Soares (2002) déplore que le harcèlement psychologique soit encore une réalité présente dans les organisations au Québec. BIBLIOGRAPHIE Alliance de la Fonction publique du Canada. Local 10080.com (2002). Harcèlement. http://www.local10080.com/harcelement.htm Association des infirmières et infirmiers en santé du travail du Québec (AIISTQ). (2000). Harcèlement : conséquences dans le milieu de travail. Au bas de l’échelle. (1998). Contrer le harcèlement psychologique au travail : une question de dignité. Montréal : Au bas de l’échelle. Aurousseau, Chantal. (1996) Les professionnelles et les professionnels aux prises avec la violence organisationnelle. Montréal, comité conjoint UQAM-CSN-FTQ ; Fédérations des professionnels et professionnelles salarié(e)s et des cadres du Québec. Centrale des syndicats du Québec. (2001). Commentaires sur le rapport du comité interministériel sur le harcèlement psychologique au travail. Conseil économique et Social. (2001). Le harcèlement moral au travail. Paris : les Éditions des Journaux Officiels. Sur Internet : http://www.univ-st-etienne.fr/facmed/finit/debout/mdhmt.htm CSN. (2001). Agir avant la tempête. Une démarche de prévention de la violence et du harcèlement au travail. CSN. (1997). La violence en milieu de travail : tolérance zéro. CSN, CSQ, FTQ, CINBIOSE et SAC-UQÀM. (2000). Agir pour contrer la banalisation de la violence en milieu de travail. CSQ (Centrale des syndicats du Québec). Travailler à combattre la violence en milieu de travail. http://www.ceq.qc.ca/fiche124/fiche748.html#(1) Fédération des infirmières et infirmiers du Québec. (1997). Travailler dans la dignité. Femmes et santé. Tolérance zéro. Gaumond et Roy. L’enquête : identification d’une problématique de violence psychologique au travail. http://www.grondinpoudrier.com/Publications/Conference/GGDAR00.html Goderre, Jean-Guy. (2002). Le harcèlement psychologique : l’état des lieux, une synthèse. Le Bulletin Régional Saguenay—Lac St-Jean. Guberman, N. La banalisation de la violence en milieu de travail. Option CEQ, no 19. http : //www.ceq.qc.ca/options/opt-19/banal.pdf Guberman, N. (1998). Citée dans : Centrale des Syndicats du Québec, septembre 2001, Travailler à combattre la violence en milieu de travail, http://www.ceq.qc.ca/fiche124/fiche748.html#(1) Hirigoyen, M.-F. (2001). Malaise dans le travail : harcèlement moral – démêler le vrai du faux. Paris : Syros. Hirigoyen, M.-F. (1998). Le harcèlement moral : la violence perverse au quotidien. / Paris : Syros. Leymann, H. (1996). Mobbing. La persécution au travail. Paris, Éditions du Seuil. Ministère du travail. (2003). Une stratégie de prévention du harcèlement psychologique au travail et de soutien aux victimes. Comité interministériel sur la prévention du harcèlement psychologique et le soutien aux victimes. http://www.travail.gouv.qc.ca/quoi_de_neuf/actualite/autres_analyses/Stratprevharcelement.pdf Ministère du travail. (2001). Rapport interministériel sur le harcèlement psychologique au Travail. Québec. Ministère du travail. (1999). Violence ou harcèlement psychologique au travail ? Problématique. Nicole Moreau. Direction des études et des politiques. Poudrette, P. (2000). Violence psychologique, quand tu nous frappes ! , Vies à Vies. Bulletin du Service d’orientation et de consultation psychologique. Volume 13, numéro 1. Août / septembre. Samson, M. (1998). Les multiples visages de la violence. Nouvelles CSN. No 444. http://www.csn.qc.ca/Pageshtml14/Violence444.html Soares, A. (2002). Quand le travail devient indécent : le harcèlement psychologique au travail. UQAM. École des sciences de la gestion. Tremblay, Johanne. 1999. Harcèlement psychologique. La guerre des nerfs. « Coup de pouce ». Mars 1999. Syndicat de l’Enseignement de l’Ungava et de l’Abitibi-Témiscamingue. http://www.cablevision.qc.ca/seuat/ Université Laval. Violence au travail. Chaire en gestion de la santé et de la sécurité du travail http://www.portail-rhri.com/templates/document/Externe.asp?ID=http://cgsst.fsa.ulaval.ca/violence/ 4 Violence psychologique au travail Lorsque le psychologue rencontre un survivant du harcèlement Par Paul Loubier, M.A. [email protected] À partir du 1er juin 2004, la Commission des Normes du Travail (CNT) recevra les plaintes des salariés victimes de harcèlement psychologique. Le 19 décembre 2002, l’Assemblée nationale a en effet adopté, à l’unanimité, la loi modifiant la Loi sur les Normes du Travail, introduisant ainsi une définition du harcèlement psychologique comme étant : Une conduite vexatoire se manifestant par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié, et qui entraîne, pour celuici, un milieu de travail néfaste. [1] À la veille de l’arrêt pour le temps des fêtes 2002, cette initiative du gouvernement m’est apparue très significative tant pour les travailleurs que pour les soignants – psychologues et médecins – devant aider les victimes de harcèlement. C’est pourquoi j’ai envoyé au journal La Presse, une lettre soulignant l’importance de ce geste courageux de la part de nos dirigeants. Il semble devenu nécessaire qu’une loi claire et nette, disposant d’un mordant assuré, vienne réguler les conduites vexatoires ou hostiles pouvant survenir dans le milieu du travail, et cela tant entre un patron et ses employés qu’entre les travailleurs d’une entreprise. Le psychologue qui pratique soit en privé ou dans les CLSC ou les PAE ne peut plus ignorer les dégâts causés par ce type d’abus de pouvoir. Les atteintes sont trop graves. Probablement en raison du fait que le tort est causé par quelqu’un qui, de façon délibérée, fait en sorte de porter préjudice à autrui, il est plus difficile pour la personne visée de se remettre de ce genre de blessure. Quelqu’un a voulu faire mal, a cherché à invalider et blesser de diverses façons. Et cela est contraire à l’ordre des choses, car pour la plupart des gens, on ne s’attend pas de recevoir ce genre de «coups vicieux ». La personne victime de ce type d’agression aura souvent tendance à nier ce qui lui arrive et cherchera plutôt 5 des explications qui, soit excuseront celui ou celle qui la maltraite, soit l’amèneront à se croire responsable : « je dois être trop sensible, ou pas assez performant, ou je ne suis pas assez combatif, … » Bref, tant que le travailleur ne réalise pas que quelqu’un agit intentionnellement pour l’invalider et lui nuire, il demeure vulnérable. Ce n’est que lorsqu’il admet le harcèlement intentionné qu’il devient en position de se protéger. Ce sera parfois son partenaire de vie qui lui signalera combien il est affecté, ou encore ce sera le médecin qui le recevra lors d’un examen pour un sommeil perturbé ou une humeur déclinante qui cherchera l’origine des changements survenus. Mais tôt ou tard, le signal de détresse finira par être perçu par le travailleur et c’est alors qu’il pourra s’adresser à nos services. Lorsque je suis devant un travailleur encore sceptique quant à ce qui peut bien lui être arrivé pour se retrouver aussi brisé, et que ce qu’il me raconte m’amène à croire qu’il a été victime de harcèlement psychologique au travail, je vais parfois lui recommander la lecture du livre de la psychiatre française Marie-France Hirigoyen qui traite du harcèlement moral au travail. En général, cela permet de dissiper les doutes et ça donne une nouvelle direction au questionnement de cette personne. Il ne s’agit alors plus de repousser l’invraisemblance de ce qui lui est arrivé mais bien plutôt de comprendre ce phénomène encore obscur dont on lui parle. Peu à peu, le client passe de la stupeur à l’indignation puis à la colère. Quelqu’un l’a non seulement maltraité mais trahi ; les règles du jeu n’ont pas été respectées. Et tout ce dont cette personne a pu user comme moyens pour être respectée dans les derniers mois, ou parfois les quelques années, avant son congé ont été vains. C’est maintenant qu’elle découvre que l’autre – ce patron ou ce collègue – n’était pas de bonne foi. L’intention n’était pas la bonne marche de l’entreprise mais bien l’assouvissement d’un besoin de dominer, et même d’asservir l’autre dans une espèce de déferlement triomphal de l’ego où nulle empathie ne subsiste. Ce n’est qu’en abandonnant progressivement la position quelque peu naïve de «la morale des bonnes intentions »– le stade 3 du jugement moral, selon Lawrence Kohlberg – que ce client peut retrouver un jugement mieux apte à le protéger, à le préserver dans sa dignité. Il redevient possible de dire «non » à ce qui apparaît insensé, cruel et inutilement tatillon. La personne récupère alors mieux et sort de l’immense fatigue qui l’affligeait. Elle peut aussi se dégager de certains maux physiques qui vont aussi affecter ces travailleurs bafoués, comme si le corps avait pressenti avant l’esprit que quelque chose de très malsain lui était infligé. La manière de se poser devant la personne victime de harcèlement pour le psychologue traitant est donc fort importante. Un grand respect de cet être meurtri doit colorer le rapport que l’on établit avec ce client. Il faut l’aider à soigner un amour-propre dévasté. Et notre intervention devra participer à valider les perceptions et opinions de cet individu qui avait été plongé dans un apprentissage cruel à l’impuissance. Il est intéressant à ce chapitre de noter que la nouvelle Loi des Normes du Travail prévoit le droit pour les salariés de bénéficier «d’un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique », sous peine de «poursuites légales devant les tribunaux civils ou administratifs, ou à un grief ». [2] Ce droit à un milieu exempt d’actes sournois et intentionnellement dégradants, à être respecté et entendu dans son humanité devra inspirer le psychologue qui traite une victime de harcèlement. Car l’on veut que cette qualité de présence à l’autre soit l’occasion de restaurer chez cette personne une vision du monde susceptible de permettre à nouveau un regard raisonnablement optimiste sur la vie et les gens. Il doit pouvoir redevenir possible de croire en la possibilité d’être à nouveau aimé et respecté. Cette tâche prédominera donc nettement sur le fait de chercher dans la personnalité de ce client, ou dans son passé, ce qui a permis qu’il soit victime de harcèlement. Une incursion trop rapide dans ce genre de travail d’introspection pourrait fragiliser un équilibre déjà fort malmené. Violence psychologique au travail Cela pourra se faire un peu plus tard, lorsque les forces seront restaurées. Le client sera aussi encouragé à reprendre les activités qui lui font habituellement du bien et qu’il avait pu abandonner au fur et à mesure que son état se détériorait. L’exercice de sa liberté d’action, le fait de se créer de bons moments dans ses journées lui sera très bénéfique. Il aura de plus besoin que l’on respecte sa tranquillité. Les appels de collègues ou d’un patron devront être limités à ceux qui partent d’une intention amicale. De savoir que des gens [1] [2] pensent à lui, qu’on s’inquiète de sa santé ira dans le sens de la restauration de sa dignité d’être humain lié au monde. Les appels pour raisons administratives devront être limités au plus strict minimum. Ceux visant à obtenir des «détails sur le contrat avec le client x » devront être interdits et refusés. Le psychologue aura en ce sens un rôle de gardien de cette tranquillité en conseillant au client de se permettre de dicter ses règles maintenant qu’il est en congé, des règles visant la santé et non pas à Suite nourrir la perversité de la personne à l’origine du harcèlement. Le retour à la santé pourra être observé par le fait que le client prendra de plus en plus plaisir aux activités auxquelles il s’adonnera ; il sera au clair avec la nécessité du congé et du caractère malsain de ce qui lui était fait au travail. Il sera à nouveau capable d’user de son jugement pour prendre les meilleures décisions quant à ce qui est bon pour lui, à ce qu’il veut dans l’avenir. Tiré de Ministère du travail. 2003. Une stratégie de prévention du harcèlement psychologique au travail et de soutien aux victimes. Comité interministériel sur la prévention du harcèlement psychologique et le soutien aux victimes. Idem que 1 Le contrat de services avec les tiers payeurs Question #1 : Le taux horaire concernant les services psychologiques défrayés par les compagnies d'assurances public (ex : SAAQ, CSST, IVAC) est : A. de 65$/heure B. de 70$/heure C. variable d'un organisme à l'autre Question #2 : Le rapport d'évaluation ou d'évolution psychologique est automatiquement défrayé par les tiers payeurs. A. Oui, dans tous les cas B. Oui, seulement si l'organisme payeur l'exige dans l'entente de service avec le psychologue C. Non Question #3 : Les employeurs n'ont jamais accès au rapport psychologique à moins que le client l'ait expressément autorisé par écrit. A. Vrai en tout temps B. Vrai à la SAAQ C. Faux à la CSST Question #4 : Le rapport psychologique rédigé par le-la psychologue peut être utilisé en expertise même si le psychologue n'a pas rédigé le rapport en fonction de cet objectif : 6 A. Vrai B. Faux C. Varie d'un organisme à l'autre Question #5 : Lorsqu'un client est référé par un agent payeur, il détermine lui-même le nombre de séances nécessaires à l'atteinte des objectifs de son plan de traitement et l'agent payeur n'a pas droit de regard sur ce nombre de rencontres. A. Vrai B. Faux C. Varie d'un organisme à l'autre Question #6 : Il est obligatoire de remplir un contrat de service auprès d'un agent payeur lorsqu'un psychologue offre des services psychologiques à un client référé par cet agent payeur. A. Vrai B. Faux C. Varie d'un organisme à l'autre Question #7 : L'agent payeur peut être considéré comme un client par le psychologue puisque c'est lui qui défraie les services psychologiques du client traité par le psychologue. A. Vrai B. Faux