EYB 2014-243732 – Résumé Tribunal d`arbitrage Syndicat des

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EYB 2014-243732 – Résumé Tribunal d`arbitrage Syndicat des
EYB 2014-243732 – Résumé
Tribunal d'arbitrage
Syndicat des spécialistes et professionnels d'Hydro-Québec (SCFP-4250) et
Hydro-Québec
2014-7850 (approx. 54 page(s))
15 août 2014
Décideur(s)
Laplante, Pierre
Type d'action
GRIEF contestant une suspension sans solde pour enquête. REJETÉ. GRIEF
contestant le congédiement de la salariée. ACCUEILLI.
Indexation
TRAVAIL; CODE DU TRAVAIL; RELATIONS DU TRAVAIL; DROIT DE
GÉRANCE DE L'EMPLOYEUR; ARBITRAGE DE GRIEFS; ARBITRE;
POUVOIRS; CONGÉDIEMENT; MESURE DISCIPLINAIRE; MESURE
ADMINISTRATIVE; enquêtrice au service de la protection des revenus;
falsification du bulletin de paie afin de favoriser une tierce partie; maintien du
statut de personne de bonnes moeurs; qualification du litige; équité procédurale;
notion de commission d'un acte criminel; absence d'intention de nuire à un tiers
Résumé
L'employeur est Hydro-Québec. La salariée était enquêtrice à son service de la
protection des revenus. À titre d'employée, la salariée profitait d'une réduction de
10 % dans un établissement de spa. Une amie vivant une période difficile, la
salariée a pensé l'inviter dans cet établissement. Le 2 mai 2013, afin de faire
profiter cette amie de sa réduction, la salariée a falsifié son bulletin de paie pour
y ajouter son nom. Elle a ensuite montré son bulletin de paie falsifié à deux
collègues. En arrivant à son bureau, la salariée a réalisé que ce qu'elle
s'apprêtait à faire était incorrect et elle a déchiré le document falsifié. Le 4 juin
suivant, un des collègues qui avait vu le bulletin de paie falsifié en a informé
l'employeur. La salariée étant en vacances à ce moment, elle a été suspendue
sans solde pour enquête dès le 11 juin. Le 1 er août 2013, au terme de cette
enquête, le comité des cas litigieux a congédié la salariée. Cette dernière a
contesté par griefs sa suspension pour enquête et son congédiement.
La suspension pour enquête découle d'une dénonciation pour falsification de
document. Il était nécessaire pour l'employeur de procéder à une enquête,
d'autant plus que la salariée a reconnu qu'elle avait fabriqué un faux relevé de
paie. Par ailleurs, malgré la saison estivale, l'enquête a été menée avec célérité,
soit pendant environ sept semaines. Dans ces circonstances, le grief contestant
la suspension pour enquête est rejeté.
Le syndicat considère que le congédiement de la salariée est disciplinaire. La
preuve démontre que la raison du congédiement est le fait que la salariée ne
respecte plus l'exigence de demeurer une personne de bonnes moeurs qui est
essentielle pour occuper le poste d'enquêtrice au sein du service de sécurité
industrielle de l'employeur. Ce dernier, considérant que la fabrication du faux
constitue un acte criminel, a conclu que la salariée ne respectait plus cette
exigence. Ce congédiement est donc administratif.
Le syndicat a allégué que parce que le comité des cas litigieux n'avait pas
rencontré la salariée, l'employeur n'a pas respecté le principe de l'équité
procédurale. En droit du travail, il est normal que, dans le cadre de l'exercice de
son pouvoir de gérance, l'employeur soit à la fois juge et partie. Ce droit de
gérance est reconnu par la convention collective. Par ailleurs, comme l'a reconnu
la Cour suprême, l'obligation d'agir équitablement s'applique aux organismes
publics dont les pouvoirs dérivent d'une loi. Il faut considérer la nature de la
décision à prendre, la relation existant avec le particulier et l'effet de cette
décision sur ses droits. En l'espèce, l'employeur est une entreprise commerciale
et une société d'État indépendante. Les droits de la salariée sont protégés par
son syndicat qui possède l'expertise et les outils nécessaires pour la défendre.
La décision patronale ne peut avoir des effets irréversibles pour la salariée parce
qu'elle peut être révisée par l'arbitre au moyen de la procédure de grief.
L'argument syndical relatif à l'équité procédurale n'est donc pas retenu. Il appert
par ailleurs que la salariée a pu donner sa version des faits à son supérieur et
que cette version a été considérée par le comité des cas litigieux.
La salariée a reconnu avoir fabriqué un faux relevé de paie au nom de son amie.
L'article 366 C.cr. définit l'infraction de falsification de document. Or, pour que la
fabrication d'un faux soit considérée comme une infraction, il est nécessaire que
le faussaire ait l'intention de causer un préjudice à un tiers. En l'espèce, la
preuve a révélé que la salariée n'a jamais eu cette intention. Son seul objectif
était de soutenir son amie qui traversait une période difficile. Dès qu'elle a réalisé
que son acte n'était pas correct, elle a déchiré le document. La plainte criminelle
n'a d'ailleurs pas été retenue. L'employeur a décidé de congédier la salariée en
considérant qu'elle avait commis un acte criminel et que cela faisait en sorte
qu'elle perdait son statut de bonnes moeurs. En considérant que la preuve
démontre que l'acte criminel n'existe pas, la salariée n'a pas perdu son statut de
bonnes moeurs. La décision patronale est déraisonnable. Par ailleurs, le premier
collègue a attendu un mois avant de dénoncer la salariée alors que la seconde
collègue ne l'a jamais dénoncée. Si la commission d'un acte criminel avait été
reconnue, ces deux collègues se seraient rendus coupables de complicité, mais
ils n'ont jamais perdu leur statut de personne de bonnes moeurs aux yeux de
l'employeur. Dans ces circonstances, la décision patronale était non seulement
déraisonnable, mais aussi injuste et discriminatoire. En matière de congédiement
administratif, l'arbitre a le pouvoir limité de confirmer ou d'infirmer la décision
patronale. Le grief relatif au congédiement étant accueilli, l'employeur devra
réintégrer la salariée.
EYB 2014-243732 – Texte intégral
TRIBUNAL D'ARBITRAGE
2014-7850
DATE : 15 août 2014
DATE D'AUDITION : 2 mai 2014
EN PRÉSENCE DE :
PIERRE LAPLANTE, ARBITRE
Le Syndicat des spécialistes et professionnels d'Hydro-Québec (SCFP4250)
Syndicat
et
Hydro-Québec
Employeur
DÉCISION ARBITRALE (EN VERTU DU CODE DU TRAVAIL DU QUÉBEC,
ART. 100 ET SS)
LA CHRONOLOGIE DES PRINCIPAUX FAITS
1 L'employeur a congédié la plaignante parce que cette dernière a perdu son
statut de personne de bonnes mœurs en commettant un acte criminel, soit en
fabriquant un faux document. Ceci dit et dans un premier temps, il convient de
tracer les grandes lignes de cette affaire.
2 En tout temps pertinent, la plaignante était enquêteuse au service de la
Protection des revenus d'Hydro-Québec.
3 Le 4 juin 2013, un enquêteur du même service, M. Denys Fournier, informe le
chef du service de la Protection des revenus, M. Marc Laramée, que la
plaignante avait, le 2 mai 2013, falsifié son bulletin de paye afin qu'il puisse servir
à une tierce personne.
4 Au début du mois de juin, la plaignante est en vacances et M. Laramée ne peut
donc la rencontrer immédiatement.
5 Le 11 juin 2013, M. Laramée demande à Mme Karen Cyr, chef d'équipe des
enquêteurs d'Hydro-Québec, de procéder à une enquête concernant les faits qui
lui ont été rapportés.
6 À son retour de vacances, en fin de journée, le 11 juin 2013, la plaignante est
convoquée par M. Laramée.
7 M. Laramée explique à la plaignante qu'il y avait eu de graves allégations
contre elle en relation avec la falsification de l'un de ses bulletins de paye.
8 La plaignante admet les faits, les explique et les nuance. Elle signe
volontairement une déclaration.
9 Le chef de service suspend immédiatement la plaignante.
10 La lettre de suspension se lit comme suit:
Le 11 juin 2013
DE MAIN À MAIN
Madame Kate Lacoursière
2633 avenue Papillon
Shawinigan, Qc
G9N 7W4
Objet: Suspension indéfinie sans solde
Madame Lacoursière,
Nous avons actuellement en notre possession de l'Information nous
permettant de croire que vous avez commis des manquements
importants au code de conduite d'Hydro-Québec et aux règles vous
régissant à titre d'agent de la paix, notamment concernant l'obligation
de loyauté, intégrité et diligence qui découle du contrat de travail qui
vous lie à l'entreprise.
Nous vous avisons que nous ne pouvons tolérer un tel comportement
de la part d'un employé.
Nous sommes présentement en cours d'enquête et par conséquent,
dans l'attente que nous la terminions et que nous prenions une
décision à votre égard, nous vous suspendons sans salaire pour une
période indéterminée à compter du 11 juin 2013. Nous vous
contacterons dès qu'une décision sera prise.
Prenez note que durant cette période, tout accès aux édifices et
installations d'Hydro-Québec est strictement interdit.
Marc Laramé
Chef Protection des revenus
c.c. Syndicat
Dossier de l'employé
Ressources humaines
11 Le 27 juin 2013, Mme Cyr remet le rapport de son enquête au chef de service
Marc Laramée.
12 M. Laramée considère que la plaignante a commis un acte criminel et, qu'au
surplus, elle a embelli sa déclaration des faits notamment quant au moment où
elle a décidé de ne pas aller de l'avant avec son bulletin de paye modifié.
13 Au début du mois de juillet 2013, M. Laramée soumet néanmoins le dossier
de la plaignante au comité des cas litigieux de la Direction principale de la
sécurité industrielle d'Hydro-Québec (DPSI).
14 Le 11 juillet 2013, le comité des cas litigieux, composé de cinq gestionnaires
de l'employeur, procède à l'étude du dossier de la plaignante. Ce comité en vient
à la conclusion que la plaignante a commis un acte criminel en falsifiant son
bulletin de paye, que l'intention criminelle était manifeste même si la plaignante
n'a pas consommé l'acte et que, de toute façon l'intention criminelle n'était pas
nécessaire dans l'établissement de ce crime. Le comité note également que la
plaignante avait des antécédents erratiques à son dossier d'employée. Enfin, le
comité souligne que l'acte posé par la plaignante était dommageable à l'image
de l'équipe de la sécurité industrielle d'Hydro-Québec.
15 En bout de piste, les cinq membres du comité des cas litigieux de la DPSI en
viennent à la conclusion que la plaignante ne rencontre plus un critère
fondamental et essentiel pour l'occupation de son poste d'enquêteur, soit «être et
demeurer une personne de bonnes mœurs».
16 Le 12 juillet 2013, la plaignante conteste sa suspension indéfinie par voie de
grief.
17 Le 1er août 2013, M. Marc Laramée procède au congédiement de la
plaignante. La lettre de congédiement se lit comme suit:
DE MAIN À MAIN
Le 1er août 2013
Madame Kate Lacoursière
2633 avenue Papillon
Shawinigan (Québec)
G9N 7W4
Objet: Congédiement administratif
Madame Lacoursière,
À la suite d'une enquête interne, il a été démontré que vous avez
modifié votre bulletin de paie pour y inscrire le nom d'une amie afin
qu'elle puisse bénéficier d'un avantage chez un commerçant,
La direction a procédé aux vérifications requises permettant de
déterminer si vous rencontrez les exigences «de bonnes mœurs»
conformément aux dispositions de la norme «Vérifications de la fiabilité
et de l'intégrité des personnes». Or, en fonction des faits recueillis,
vous ne pouvez pas être considérée «être de bonnes mœurs».
Par conséquent, vous n'êtes plus en mesure de remplir les exigences
requises pour occuper votre poste et le lien de confiance est rompu.
Considérant ce qui précède, la direction a pris la décision de procéder
à votre congédiement administratif, et ce, en date du 11 juin 2013.
Marc Laramée
Chef Protection des revenus
Protection des revenus et enquêtes
Direction principale Sécurité industrielle
c.c. Dossier de l'employé
Ressources humaines
Syndicat des Spécialistes et professionnels d'Hydro-Québec
18 Le 19 août 2013, la plaignante conteste son congédiement par voie de grief.
L'ARGUMENTATION PATRONALE
19 La plaignante a falsifié son bulletin de paye avec l'intention de frauder.
20 Ce faisant, elle ne rencontrait plus l'un des critères essentiels du poste qu'elle
occupait, soit un poste d'enquêteur au service de la sécurité industrielle d'HydroQuébec.
21 Ce critère essentiel à la conservation de son poste était celui d'être et de
demeurer une personne de bonnes mœurs.
22 Il ne s'agit pas d'une mesure disciplinaire, mais bien d'une mesure
administrative.
23 Son contrat de travail exige de toujours maintenir son statut de personne de
bonnes mœurs.
24 Le crime commis par la plaignante était réfléchi et exécuté dans un but
malhonnête.
25 De plus, elle a connu des réticences révélatrices lors de sa rencontre avec M.
Laramée. Ce qui affecte sa crédibilité.
26 Elle s'est fait prendre et elle doit en subir les conséquences.
27 Le poste d'enquêteur demande d'être apte à obtenir le statut d'agent de la
paix, donc d'être assermenté. Les pouvoirs d'un agent de la paix s'assimilent à
ceux des policiers. Encore là, l'exigence d'être de bonnes mœurs est présente et
doit constamment demeurer pour conserver son emploi.
28 La «sécurité» est une valeur primordiale dans l'entreprise et ce, depuis au
moins 2005. Les enquêteurs d'Hydro-Québec doivent être fiables, loyaux,
transparents et intègres. La plaignante n'a pas été loyale et n'a pas été
transparente. La plaignante n'est plus intègre et elle n'est plus fiable.
29 Le geste posé par la plaignante est extrêmement grave pour un enquêteur de
la sécurité industrielle.
30 D'où le fait que le dossier ait été confié au comité des cas litigieux, lequel
comité est composé de gestionnaires de haut-niveau reliés à la sécurité
industrielle.
31 C'est unanimement que les membres de ce comité en sont venus à la
conclusion qu'il n'y avait pas eu d'erreur de bonne foi, mais qu'il y avait eu
commission d'un acte criminel, d'un acte incompatible avec le statut d'enquêteur
à la sécurité industrielle d'Hydro-Québec.
32 Contrairement aux prétentions de la partie syndicale, l'employeur n'a pas
sanctionné la plaignante d'aucune façon. L'employeur a tout simplement
constaté que la plaignante avait perdu son état de bonnes mœurs lequel était
une condition essentielle de son contrat d'emploi et du maintien de ce dernier.
33 L'employeur n'était pas lié par quelque forme que ce soit au niveau de l'équité
procédurale puisque nous ne sommes pas dans le milieu de la fonction publique
et que la plaignante bénéficie des avantages que lui procure le milieu syndiqué
et une convention collective qui contient une procédure de grief menant à
l'arbitrage par un tiers.
34 En résumé, la plaignante a fabriqué un faux document. Elle a commis une
infraction criminelle. C'est un cas grave et, dans son cas, c'est très grave
puisqu'elle est appelée à enquêter sur des vols d'énergie. La plaignante a, de
plus, un sérieux problème de jugement.
35 La décision est malheureuse pour la plaignante, mais elle s'est placée ellemême dans cette situation et elle doit vivre avec les conséquences de ses actes.
L'ARGUMENTATION SYNDICALE
36 Le congédiement administratif est en réalité un congédiement disciplinaire
déguisé.
37 Comme l'employeur n'avait pas de motif de congédiement, il s'est raccroché à
une clause du contrat, i.e. les bonnes mœurs, pour se trouver un prétexte pour
congédier Kate Lacoursière.
38 La faute disciplinaire a été commise et avouée. II ne reste plus qu'à
déterminer la sanction et ce n'est certainement pas un congédiement.
39 D'ailleurs, les représentants de l'employeur ont tous dit qu'il y avait eu un acte
criminel de posé par la plaignante. La preuve a révélé que le dossier de Mme
Lacoursière avait été déposé à la Couronne mais que le substitut du procureur
général avait rejeté le dossier présenté par les représentants de l'employeur.
Leur dossier au criminel ne tenait pas la route, tout comme leur dossier ne tient
pas la route en arbitrage.
40 Au niveau de la crédibilité, la plaignante est plus crédible que M. Laramée qui,
manifestement, a oublié plusieurs événements et qui porte des jugements fondés
sur ses présomptions personnelles.
41 Il y a de multiples facteurs atténuants qui jouent en faveur de Mme
Lacoursière. L'employeur aurait dû en tenir compte surtout considérant la
banalité du geste posé.
42 De plus, le comité des cas litigieux n'a pas rencontré la plaignante et il ne lui a
pas donné la chance de donner sa version. L'employeur a donc enfreint les
règles de l'équité procédurale.
43 L'employeur n'a pas été juste à l'endroit de Mme Lacoursière.
44 La salariée n'avait aucune chance de gagner devant le comité des cas
litigieux. Les dés étaient pipés à l'avance parce que l'employeur était en même
temps juge et partie et qu'il voulait donner un exemple en sacrifiant une
employée ordinaire pour une banalité.
LA DÉCISION
45 Je suis saisi de deux griefs.
46 Les deux sont liés. Alors que l'un conteste le congédiement de la plaignante,
l'autre conteste la suspension pour fins d'enquête qui a précédé ledit
congédiement.
47 Dans l'affaire sous étude, il y a lieu de les traiter distinctement.
I) LE GRIEF CONTESTANT LA SUSPENSION POUR FINS D'ENQUÊTE:
48 Le 11 juin 2013, l'employeur a suspendu la plaignante pour fins d'enquête.
49 Le 1er août 2013, l'employeur, des suites de son enquête, a procédé au
congédiement de la plaignante.
50 Très souvent, dans des affaires similaires à la nôtre, le sort du grief
contestant la suspension indéfinie suit le sort du grief de congédiement.
51 Dans la présente affaire, je suis cependant d'avis que les deux griefs doivent
être traités séparément. Je m'explique.
52 La suspension découlait d'une dénonciation pour falsification de documents et
fabrication de faux. Il y avait là nécessairement matière à enquête. De plus, les
informations au dossier, dont principalement la déclaration de la plaignante ellemême, ne pouvaient véhiculer, a priori, qu'une seule conclusion: il y avait eu
faute de commise.
53 Dans ce milieu de la sécurité industrielle d'Hydro-Québec, où il était question
de la commission d'une faute, faute qui pouvait être grave, l'employeur n'avait
pas d'autre alternative que de suspendre la plaignante. Je suis d'avis que
l'employeur ne pouvait agir autrement.
54 L'employeur ne pouvait laisser à l'emploi une enquêteuse qui avait avoué
avoir commis un faux et de plus, en ce 11 juin 2013, il lui était impossible de
faire, en une journée, les vérifications qui s'imposaient. Il lui était également
impossible d'obtenir tous les faits pertinents reliés à cette faute, faits qui lui
auraient permis d'évaluer le dossier immédiatement et qui lui auraient permis de
prendre ainsi une décision finale tout aussi immédiatement.
55 Bien qu'étant en période estivale, la preuve a démontré que l'enquête de
l'employeur fut menée rondement et efficacement. En fait, l'enquête s'est
échelonnée sur une période d'environ 7 semaines. Dès le 1 er août l'employeur a
pu faire connaître sa décision finale.
56 Dans le contexte bien particulier de cette affaire où les faits connus ont
soulevé une importante question de sécurité et où l'employeur ne pouvait agir
autrement, je suis d'avis que la suspension pour fins d'enquête était justifiée et
ce, peu importe les résultats auxquels devaient en arriver les enquêteurs et
décideurs d'Hydro-Québec.
57 Je suis également d'avis que le délai à l'intérieur duquel l'enquête fut menée
est tout à fait raisonnable et que la plaignante n'a qu'elle-même à blâmer pour
cette suspension dont elle a été victime puisqu'elle est, comme nous le verrons
ultérieurement, la seule et unique artisane de son propre malheur.
58 Le fait que M. Laramée ait écrit le 1er août 2013 que la «direction» avait pris la
décision de congédier administrativement la plaignante «en date du 11 juin
2013» ne lie pas le Tribunal d'arbitrage. Je considère que, dans ce cas-ci, la
suspension pour fins d'enquête et le congédiement administratif constituent deux
affaires distinctes et qu'elles doivent être traitées comme tel.
59 Conséquemment, je suis d'avis que l'employeur était tout à fait justifié de
suspendre la plaignante, qu'il ne pouvait agir autrement et que le grief contestant
la suspension n'est pas fondé.
II) DE LA QUALIFICATION DU LITIGE:
60 Avant d'aborder le mérite du grief contestant le congédiement, il me faut
qualifier le litige car la partie syndicale en a fait une question d'entrée de jeu en
plaidant que nous étions en présence non pas d'un congédiement administratif,
comme le stipule en gros caractères la lettre de congédiement du 1er août 2013,
mais bien en présence d'un congédiement disciplinaire déguisé.
61 Il me faut aussi disposer d'un autre argument préliminaire invoqué par le
procureur syndical et qui porte sur le non-respect par la partie patronale du
principe de l'équité procédurale. Ce qui aurait eu pour effet de vicier à sa source
le congédiement.
A) CONGÉDIEMENT ADMINISTRATIF OU CONGÉDIEMENT DISCIPLINAIRE:
62 La qualification du litige est une question importante puisque les pouvoirs d'un
Tribunal d'arbitrage sont aux antipodes de l'un de l'autre quant à ces deux types
de congédiement.
63 Si, en matière disciplinaire, le législateur a prévu que l'arbitre pouvait
notamment substituer une décision qui lui apparaît juste et raisonnable à celle
déjà rendue par l'employeur, en matière dite administrative, ce pouvoir a été
étouffé par le législateur.
64 En effet, des suites de la lecture de l'article 100.12 f du code du travail, le
silence du législateur en matière administrative consacre, en quelque sorte, la
négation de tout pouvoir étendu de l'arbitre. En fait, ne reste à l'arbitre qu'un
pouvoir de vérification de l'existence des faits et de vérification quant à
l'existence d'une cause d'action sans excès et ce, via les pouvoirs généraux
donnés à l'arbitre par l'article 100.12 g du code du travail. Ces articles 100.12 f et
g du code du travail se lisent comme suit:
100.12
f) en matière disciplinaire, confirmer, modifier ou annuler la décision de
l'employeur et, le cas échéant, y substituer la décision qui lui paraît
juste et raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances de
l'affaire. Toutefois, lorsque la convention collective prévoit une sanction
déterminée pour la faute reprochée au salarié dans le cas soumis à
l'arbitrage, l'arbitre ne peut que confirmer ou annuler la décision de
l'employeur ou, le cas échéant, la modifier pour la rendre conforme à la
sanction prévue à la convention collective.
g) rendre toute autre décision, y compris une ordonnance provisoire,
propre à sauvegarder les droits des parties.
65 La lettre de congédiement du 1er août 2013 est, à sa face même, nonéquivoque. On y écrit dans l'objet, noir sur blanc,: «Congédiement administratif».
66 La rationalité de ce congédiement est également précisée aux deuxième et
troisième paragraphes de cette même lettre. On y lit que la plaignante devait être
et devait demeurer une personne de bonnes mœurs et que, selon les
conclusions à laquelle les représentants de l'employeur en étaient venus, la
plaignante n'était plus une personne de bonnes mœurs. Par voie de
conséquence, continue-t-on dans la lettre de congédiement, ne rencontrant plus
une exigence essentielle pour occuper le poste d'enquêteuse au service de la
Sécurité industrielle d'Hydro-Québec, le lien d'emploi devait être rompu.
67 Nous ne sommes pas en présence d'un congédiement disciplinaire déguisé
en congédiement administratif.
68 Il en est ainsi car la preuve a révélé que l'employeur en était venu au
congédiement sur la base de différents éléments qui n'ont rien à voir avec la
sanction d'une faute. Je résume ces principaux éléments:
a) La plaignante avait un contrat d'enquêteur au service de la Protection
des revenus, lequel service relève de la Direction principale de la
Sécurité industrielle d'Hydro-Québec;
b) Dans les exigences de son emploi, la plaignante devait être et
demeurer une personne de bonnes mœurs;
c) Il y a eu faux;
d) Il y a eu acte criminel;
e) Il y avait de plus un historique de comportements inadéquats;
f) Il y avait atteinte de l'image d'Hydro-Québec et principalement de la
Direction principale de la Sécurité industrielle;
g) La plaignante ne se qualifiait plus comme étant une personne de
bonnes mœurs;
h) La plaignante ne satisfaisait plus à la Norme des vérifications de la
fiabilité et de l'intégrité des personnes;
i) Le faux, l'acte criminel, est incompatible avec l'emploi d'enquêteur à la
Sécurité industrielle d'Hydro-Québec;
j) La plaignante n'a plus les qualités requises pour être apte à obtenir le
statut d'agent de la paix, laquelle aptitude est requise par le contrat
d'engagement de la plaignante;
k) Comme être et demeurer une personne de bonnes mœurs est une
exigence de l'emploi, et que la plaignante ne rencontrait plus cette
exigence selon l'unanimité des membres du comité des cas litigieux,
son lien d'emploi a été rompu.
69 L'employeur allègue que la plaignante était, au moment de son
congédiement, dans l'incapacité de faire son travail. L'employeur n'a pas
sanctionné la plaignante, il a constaté, à son jugement, qu'elle ne rencontrait plus
une exigence professionnelle essentielle à l'occupation du poste d'enquêteur à
Hydro-Québec.
70 En d'autres mots, on ne punit pas une employée fautive, l'employée s'est tout
simplement déqualifiée elle-même.
71 Incidemment, j'ai relevé l'étrange ajout des termes «lien de confiance rompu»
à la fin du troisième paragraphe de la lettre de congédiement. L'utilisation de ces
termes sont propres à une conclusion sur les conséquences d'une mesure
disciplinaire et non pas sur les conséquences d'une mesure administrative.
72 Cela n'a cependant aucune incidence sur le motif à l'appui du congédiement.
73 Il s'agit tout au plus d'une coquille dans la rédaction d'une lettre de
congédiement administratif car la preuve est nettement prépondérante à l'effet
que nous sommes en présence d'un congédiement administratif.
74 En terminant sur cette question, je souligne que les faits de cette affaire
permettaient à l'employeur de traiter le dossier par le biais d'un prisme
disciplinaire tout comme ils lui permettaient aussi de le traiter par le biais d'un
prisme administratif.
75 Il a opté pour le prisme administratif.
B) DE L'ÉQUITÉ PROCÉDURALE:
76 Pour la partie syndicale, le comité des cas litigieux a fauté. L'employeur s'est
fait juge et partie, en décidant du sort de la plaignante.
77 Le comité des cas litigieux de la DPSI agit comme tribunal administratif. De ce
fait, il se devait d'entendre la version de la plaignante avant de prendre une
décision finale. Le comité des cas litigieux devait donner l'occasion à la
plaignante de s'expliquer. C'est un principe de justice naturelle et la violation d'un
tel principe ne peut entraîner que l'annulation du congédiement, de prétendre le
procureur syndical.
78 En d'autres mots, de soumettre clairement le syndicat, les règles de l'équité
procédurale n'ont pas été respectées.
79 Pour le procureur syndical, le comité des cas litigieux avait le devoir «to act
fairly» dans le cadre des principes de justice naturelle et, ne l'ayant pas fait, sa
décision de congédier la plaignante est viciée, déraisonnable et illégale.
80 D'entrée de jeu, disons immédiatement qu'en Droit du travail, il est tout à fait
dans la normale des choses qu'un employeur soit juge et partie.
81 Un employeur gère son entreprise, prend les décisions qu'il croit être dans le
meilleur intérêt de l'entreprise. Dans l'exercice de ses pouvoirs un employeur
peut donc être amené à congédier ou licencier une salariée.
82 Le syndicat a d'ailleurs reconnu ce droit de gérance dans la convention
collective applicable dans la présente affaire aux articles 4.01 et 4.02 qui se
lisent comme suit:
ARTICLE 4—DROITS ET INTÉRÊTS DES PARTIES
4.01 Le Syndicat reconnaît la responsabilité qu'a la Direction
d'administrer, de diriger et de gérer l'entreprise de façon efficace.
4.02 Les seules considérations qui limitent ces droits sont les
restrictions apportées par les termes de la présente convention.
83 Dans un premier temps, les faits ne supportent pas la prétention syndicale.
84 La preuve a révélé que le supérieur immédiat de la plaignante, M. Marc
Laramée, avait pris la décision de congédier la plaignante après une
recommandation en ce sens du comité des cas litigieux.
85 Ceci dit, M. Laramée avait déjà rencontré la plaignante et il avait déjà obtenu
sa version des faits le 11 juin 2013.
86 Bien plus, la plaignante a eu l'occasion d'ajouter à ses représentations le 21
juin 2013, à l'occasion de sa rencontre avec l'enquêteuse Karen Cyr.
87 Le comité des cas litigieux avait donc déjà en sa possession la version des
faits donnée par la plaignante.
88 Ceci dit et dans le cas qui nous occupe, je suis d'avis que l'obligation de
l'équité procédurale ne s'applique pas à Hydro-Québec.
89 Tel que l'a soulignée à juste titre la procureure de l'employeur, l'obligation
d'agir équitablement s'applique aux organismes administratifs publics dont les
pouvoirs dérivent d'une loi. C'est l'enseignement supérieur qui nous vient de la
Cour suprême du Canada qui, en 1979, dans l'affaire Nicholson c. HaldimandNorfolk Regional Board of Commissionners of Police (RCS-1-311) et en 1990,
dans l'affaire Knight c. Indian Head School Division no 19 (RCS-1-653) ont
précisé le champ d'application de l'équité procédurale.
90 Hydro-Québec est une entreprise commerciale qui n'est pas et qui ne
s'assimile pas à un organisme administratif public. Il s'agit d'une société d'état
indépendante, qui, pour les fins du droit du travail, est un employeur comme tout
autre employeur du secteur privé de l'industrie.
91 De plus et de façon subsidiaire, l'équité procédurale ne s'applique pas à
Hydro-Québec, parce que l'un des critères d'application déterminé par la Cour
suprême ne trouve pas application dans la présente affaire. En effet, le plus haut
tribunal du Canada a déclaré que l'existence du devoir d'agir équitablement d'un
organisme public dépendait de la présence de trois facteurs, à savoir:
i) la nature de la décision à prendre;
ii) la relation existant avec le particulier;
iii) l'effet de cette décision sur les droits du particulier.
92 Si je suis disposé à reconnaître que la nature de la décision à prendre est
d'une importance capitale, soit le congédiement de la plaignante, par ailleurs, les
deux autres facteurs énoncés par la Cour suprême ne sont pas présents dans
l'affaire sous étude.
93 La plaignante n'est pas dans une situation de servitude vis-à-vis son
employeur et cette décision dudit employeur n'affecte pas définitivement ses
droits, plus spécifiquement son lien d'emploi.
94 Dans les affaires «Nicholson» et «Knight», ce sont les employeurs qui
décidaient, en dernier ressort, du congédiement de ces personnes. Dans le cas
de «Nicholson», c'est le comité de police qui avait pris la décision ultime de
remercier le policier, alors que dans le cas de «Knight», c'est le conseil scolaire
qui avait pris la décision ultime de remercier le directeur de l'enseignement. En
me permettant un raccourci, je pourrais dire qu'en bout de piste, dans chacun de
ces cas, c'est l'employeur qui a pris la décision finale.
95 Nous sommes à cent lieues de telles relations contractuelles.
96 Contrairement à «Nicholson et Knight» la plaignante n'est pas en situation de
servitude et d'isolement vis-à-vis son employeur.
97 Au contraire, la plaignante est, à tout point de vue, soutenue dans les règles
de l'art par un syndicat possédant l'expertise et les outils nécessaires pour
défendre au mieux les droits de la plaignante vis-à-vis son employeur.
98 L'article 10 de la convention collective illustre bien une partie du soutien dont
bénéficie la plaignante. Cet article se lit comme suit:
ARTICLE 10—PROCÉDURE DE GRIEFS ET MÉSENTENTES
10.01 L'employé ne peut présenter de griefs ou de mésententes avant
d'avoir tenté de régler le problème avec son supérieur immédiat, à
moins de circonstances ne le permettant pas. Si les circonstances ne
le permettent pas, la Direction ne peut invoquer ce défaut pour obtenir
que le grief soit invalidé par l'arbitre.
10.02 À défaut d'entente, l'employé peut soumettre son grief ou sa
mésentente, dans un écrit signé par lui à l'attention du supérieur
hiérarchique du supérieur immédiat dans les quarante-deux (42) jours
de l'événement qui a donné naissance au grief ou à la mésentente.
10.03 Si la décision du cadre concerné ou de son délégué est jugée
insatisfaisante, ou si la décision n'est pas connue dans les quatorze
(14) jours de la date de la réception du grief ou de la mésentente, le
Syndicat peut soumettre le grief à l'arbitrage par écrit conformément
aux dispositions de l'article 11 «Arbitrage de griefs».
10.04 Dans le cas d'un grief concernant du harcèlement psychologique
tel que défini par la Loi sur les normes du travail et au sens de celle-ci,
la décision de la Direction est celle transmise suite au processus
d'enquête interne et constitue la réponse finale au grief. Dans le cas où
la réponse n'est pas jugée satisfaisante ou si celle-ci n'est pas rendue
dans un délai maximum de quatre-vingt-dix (90) jours, le Syndicat peut
soumettre le grief à l'arbitrage par écrit conformément aux dispositions
de l'article 11 «Arbitrage de griefs».
10.05 Nonobstant les dispositions du paragraphe 10.02, le grief du
candidat non choisi à la suite de l'affichage d'un poste vacant doit être
soumis au cadre de l'unité requérante ou à son délégué, dans les
mêmes délais et sous les mêmes prescriptions que celles prévues au
paragraphe 10.02.
10.06 Le Syndicat peut, s'il s'agit d'un grief ou d'une mésentente de
nature générale ou concernant au moins trois (3) employés, soumettre
par écrit directement le grief ou la mésentente à la personne désignée
par la Direction à cet effet ou son délégué, dans les quarante-deux
(42) jours de l'événement qui lui a donné naissance. Dans les quatorze
(14) jours de la réception du grief ou de la mésentente, la personne
désignée par la Direction à cet effet ou son délégué fait connaître sa
décision par écrit. Si cette décision est jugée insatisfaisante ou si la
décision n'est pas rendue dans les délais prévus, le Syndicat peut
soumettre le grief à l'arbitrage par écrit conformément aux dispositions
de l'article 11 «Arbitrage de griefs».
10.07 La Direction peut soumettre par écrit un grief au Syndicat. Si
dans les quatorze (14) jours de la réception du grief, le Syndicat n'a
pas donné une réponse écrite ou si celle-ci est jugée insatisfaisante, la
Direction peut référer le grief à l'arbitrage, conformément aux
dispositions de l'article 11 «Arbitrage de griefs».
10.08 Les délais mentionnés aux articles 10.02, 10.04, 10.06 et 11.01
sont de rigueur et se calculent en jours civils. Ils peuvent être
prolongés d'un commun accord, lequel doit être confirmé par écrit.
10.09 L'employé stagiaire n'a pas droit au grief pour contester la fin de
son emploi.
99 Si le syndicat ne parvient pas à solutionner le problème de la plaignante à la
satisfaction de cette dernière, et sous réserve bien évidemment de l'existence de
motifs sérieux ou à tout le moins «débattables», la plaignante n'est toujours pas
à la merci d'une fin de non-recevoir de son employeur.
100 En effet, le syndicat peut obliger l'employeur, et même si cet employeur
s'appelle Hydro-Québec, à ester en arbitrage de grief, là où les deux parties se
retrouvent un pied de parfaite égalité et là où l'arbitre jouit d'une totale
indépendance.
101 À cet égard, il m'apparait opportun de reproduire les articles pertinents du
code du travail et de la convention collective qui m'autorisent à écrire ces lignes
(nos soulignements):
CODE DU TRAVAIL
Article 100.12 [pouvoirs de l'arbitre]
Dans l'exercice de ses fonctions l'arbitre peut;
a) Interpréter et appliquer une loi ou un règlement dans la mesure où il
est nécessaire de le faire pour décider d'un grief;
b) Fixer les modalités de remboursement d'une somme qu'un
employeur a versée en trop à un salarié;
c) Ordonner le paiement d'un intérêt au taux légal à compter du dépôt
du grief, sur les sommes dues en vertu de sa sentence.
- [Indemnité] Il doit être ajouté à ce montant une indemnité
calculée en appliquant à ce montant, à compter de la même date,
un pourcentage égal à l'excédent du taux d'intérêt fixé suivant
l'article 28 de la Loi sur l'administration fiscale (RLRQ, chapitre A6.002) sur le taux légal d'Intérêt;
d) Fixer, à la demande d'une partie, le montant dû en vertu d'une
sentence qu'il a rendue;
e) Corriger en tout temps une décision entachée d'erreur d'écriture ou
de calcul, ou de quelque autre erreur matérielle;
f) En matière disciplinaire, confirmer, modifier ou annuler la décision
de l'employeur et, le cas échéant, y substituer la décision qui lui
paraît juste et raisonnable de l'affaire. Toutefois, lorsque la
convention collective prévoit une sanction déterminée pour la faute
reprochée au salarié dans le cas soumis à l'arbitrage, l'arbitre ne
peut que confirmer ou annuler la décision de l'employeur ou, le cas
échéant, la modifier pour la rendre conforme à la sanction prévue à
la convention collective;
g) Rendre toute autre décision, y compris une ordonnance provisoire,
propre à sauvegarder les droits des parties.
CONVENTION COLLECTIVE
ARTICLE 11—ARBITRAGE DE GRIEFS
11.01 Tout grief gui n'est pas réglé au cours de la procédure de griefs
peut être référé par le Syndicat à l'arbitrage dans un délai de quinze
(15) à quarante (40) jours à compter du jour où il l'a soumis par écrit à
la personne désignée par la Direction à cet effet ou son délégué. Dans
le cas de harcèlement psychologique tel que défini à l'article 10.04,
tout grief gui n'est pas réglé au cours de la procédure de griefs peut
être référé par le Syndicat à l'arbitrage dans un délai de quinze (15) à
quarante (40) jours à compter de la réponse finale suite à l'enquête de
la Direction ou, si telle réponse excède quatre-vingt-dix (90) jours,
dans un délai de quinze (15) à quarante (40) jours suivants la période
de quatre-vingt-dix (90) jours nonobstant la réponse de la Direction.
Si le grief est de nature générale ou s'il concerne au moins trois (3)
employés, le Syndicat peut le soumettre à l'arbitrage par écrit dans un
délai de quinze (15) à quarante (40) jours à compter du jour où il l'a
soumis par écrit à la personne désignée par la Direction à cet effet ou
son délégué.
La Direction peut soumettre un grief à l'arbitrage par écrit dans un délai
de quinze (15) à quarante (40) jours à compter du jour où elle l'a
soumis au Syndicat par écrit.
11.02 Tout grief est référé à l'arbitrage par avis écrit à l'autre partie.
La procédure d'attribution de dates d'arbitrage mise en place en
concertation avec les autres unités du SCFP continue de s'appliquer.
Pour la durée de la présente convention collective, la liste des arbitres
est celle apparaissant à l'annexe K - «Liste des arbitres». Les parties
peuvent convenir d'y ajouter toute autre personne.
Les parties conviennent du grief à être soumis à l'arbitre ayant la date
d'audition la plus rapprochée. Dans les cas de congédiements, les
parties conviennent de céduler l'audition à la première date de
disponibilité inscrite au calendrier d'audition et ce, avant tout autre
grief. Il en est de même dans le cas d'un grief concernant le
harcèlement psychologique tel que défini par la Loi sur les normes du
travail et au sens de celle-ci. De plus, les parties peuvent s'entendre
pour donner la priorité à tout autre grief, notamment les griefs de
portée générale quant à l'application de la convention collective.
À défaut d'entente, les griefs sont soumis à l'arbitrage en commençant
par le grief le plus ancien,
11.03 Dans les cas de mesures disciplinaires, le fardeau de la preuve
incombe à la Direction. L'arbitre, dans ces cas, peut maintenir, réduire
ou annuler la mesure disciplinaire et décider de toute mesure de
réparation qu'il juge appropriée.
11.04 L'arbitre ne peut ajouter, soustraire, amender ou modifier quoi
que ce soit dans la convention collective.
11.05 La sentence arbitrale doit être motivée; elle est exécutoire, finale
et lie les parties.
11.06 Les honoraires et les frais de l'arbitre sont payés à part égale par
la Direction et le Syndicat, sauf en cas de remise d'audition, auquel
cas les honoraires et les frais sont à la charge de la partie requérant la
remise.
102 De plus et somme toute, l'équité procédurale ne ferait en sorte que de
permettre à la plaignante d'être entendue par l'employeur, de vérifier les motifs à
l'appui de la décision de l'employeur et de tenter d'infléchir ce dernier dans sa
décision de la congédier. Force nous est de constater qu'il s'agit là d'une
obligation minimaliste. De fait, la plaignante est beaucoup mieux outillée pour
défendre ses droits avec le SCFP-4250 et la convention collective qu'elle ne le
serait avec uniquement «l'équité procédurale».
103 Enfin, et c'est l'un des critères jurisprudentiels donnant ouverture à l'équité
procédurale, la décision de l'employeur doit avoir des conséquences irréversibles
pour la plaignante. Compte tenu de la procédure d'arbitrage de grief, la décision
de l'employeur ne peut, en soi, avoir d'irréversibles conséquences pour la
plaignante puisque telle décision peut être révisée par un tribunal d'arbitrage.
104 II n'y a donc pas lieu de retenir cet argument de la partie syndicale.
105 Ce qui nous amène au congédiement.
III) LE GRIEF CONTESTANT LE CONGÉDIEMENT:
106 En vertu de différents contrats temporaires successifs, la plaignante a
travaillé à Hydro-Québec pour une période de temps s'échelonnant entre 2005 et
2013. La preuve a démontré que, n'eût été de son congédiement, son contrat
aurait été renouvelé.
107 La plaignante occupait le poste d'enquêteuse à la section de la Protection
des revenus de l'unité de l'Expertise et planification opérationnelle. Cette unité
est une composante de la Direction principale de la Sécurité industrielle d'HydroQuébec (DPSI).
108 L'une des activités à la Protection des revenus consiste à enquêter sur les
vols d'énergie ou de biens appartenant à l'entreprise. Ce service est important à
plusieurs niveaux. Incidemment, le fait qu'on évalue, par le croisement de
données, à quelque 100,000,000,00 $ par année la valeur des fraudes
commises au détriment d'Hydro-Québec illustre fort bien l'importance du service
de la Protection des revenus et de ses satellites. Il n'est donc pas étonnant de
retrouver plus de 80 personnes œuvrant dans les divers services reliés à la
Sécurité industrielle d'Hydro-Québec.
109 Outre le fait de voir à assurer la «conformité» du réseau par le croisement
de données informatiques et par des algorithmes informatiques, le service de la
Protection des revenus procède à de multiples enquêtes.
110 Ces enquêtes sont notamment effectuées par les enquêteurs du Service de
la Protection des revenus.
111 Après une inspection administrative ou une pré-enquête, si un dossier
soulève des motifs de croire qu'il y aurait eu un crime de commis impliquant des
biens d'Hydro-Québec, comme le vol d'électricité par exemple, les enquêteurs
vont procéder à l'analyse de ce dossier. Ils vont recouper des informations par
les divers systèmes informatiques à leur disposition. Ils vont voir à l'exécution
des différents mandats qu'ils peuvent obtenir en regard des dossiers dont ils sont
saisis. Ils peuvent procéder aux interrogatoires des suspects et témoins. Enfin,
les enquêteurs vont compléter leur travail en rédigeant des rapports et ils
peuvent être appelés comme témoin si des procédures civiles ou criminelles sont
intentées.
112 Cette mise en contexte étant effectuée, voyons les faits à l'origine du
congédiement:
A) En avril 2013, Laurie Carufel, une amie de la plaignante, se sépare de
son conjoint;
B) L'amie de la plaignante vit difficilement cette séparation;
C) La plaignante considère triste et malheureuse cette fin de vie de
couple de son amie;
D) À la fin du mois d'avril 2013, afin de lui remonter le moral, elle décide
d'amener son amie Laurie au Sky Spa;
E) À ce bassin de balnéothérapie, les employés d'Hydro-Québec, sur
présentation d'un relevé de paye, bénéficient d'une réduction de 10%
ou 15 % d'une séance dont le prix s'élève à 30,00 $;
F) Considérant injuste qu'en plus de vivre un temps très difficile du point
de vue émotif, son amie, démunie monétairement, ait à payer 10% de
plus pour son billet d'entrée, la plaignante décide de lui faire bénéficier
de cette réduction de 10%;
G) Le 2 mai 2013, alors qu'elle était au travail, la plaignante modifie son
bulletin de paye afin que le nom de son amie Laurie y apparaisse au
lieu et place du sien. Pour ce faire, elle utilise l'imprimante du bureau;
H) Alors qu'elle était à l'imprimante, Denys Lussier, un employé du même
service de la plaignante s'approche d'elle et cette dernière lui montre
ce qu'elle fait;
I) Elle montre également son bulletin de paye modifié à une collègue de
travail, Geneviève Trépanier, en lui expliquant ce qu'elle avait fait;
J) Quelques minutes plus tard, de retour à son bureau, elle réalise qu'elle
avait été aveuglée par la compassion, que ce qu'elle s'apprêtait à faire
était incorrect et que son amie n'avait pas le droit au rabais de 10%.
«J'ai alors réalisé que ce n'était pas une bonne idée» devait-elle dire
lors de son témoignage;
K) La plaignante déchire alors la photocopie du bulletin de paye truqué et
décide plutôt d'offrir une «journée-piscine-à-la-maison» à son amie
éplorée;
L) Le 4 juin 2013, l'employé qui avait vu la plaignante à l'imprimante
croise le chef du service de la Protection des revenus, M. Marc
Laramée. Il l'aborde en lui disant: «Moé, j'ai un problème». Sur ce,
l'employé-délateur raconte ce qu'il a vu mais refuse de donner le nom
de la plaignante. M. Laramée le sensibilise à son devoir et, sur ce, les
deux hommes se quittent. Environ une heure plus tard, I'employédélateur retourne voir M. Laramée et déclare que la personne dont il
était question est Kate Lacoursière;
M) M. Laramée en informe immédiatement son supérieur;
N) Le 11 juin 2013, au retour de vacances de la plaignante, M. Laramée
rencontre Mme Lacoursière. Il lui dit que des allégations très sérieuses
ont été portées à son endroit et que ces allégations se dirigeaient vers
des accusations criminelles parce que, quant à lui, la plaignante avait
commis un acte criminel;
O) La plaignante est surprise par l'accusation et ne comprend pas la
gravité du geste posé. Ceci dit, la plaignante explique d'emblée à M.
Laramée ce qui s'est passé le 2 mai 2013, De fait, elle collabore
pleinement, aux dires mêmes de M. Laramée;
P) À la fin de la rencontre, la plaignante accepte de signer une
déclaration, déclaration préparée par M. Laramée;
Q) Après lecture de la déclaration écrite, la plaignante demande certaines
corrections dont notamment le fait qu'elle ait changé d'avis dans les
minutes qui ont suivi son séjour à l'imprimante et non pas dans les
jours qui ont suivi comme l'avait initialement indiqué M. Laramée en
rédigeant la déclaration. Incidemment, lors de son témoignage M
Laramée devait déclarer que la plaignante avait changé cette partie de
sa déclaration après avoir réalisé que «quelques jours» c'était différent
de «quelques minutes». Selon M. Laramée cela serait conséquent au
fait que la plaignante ait attendu que «ça y pète dans le nez» avant
qu'elle ne lui en parle, lui, son supérieur;
R) Au terme de la rencontre, M. Laramée déclare à la plaignante qu'elle
est suspendue avec solde pour fins d'enquête. La plaignante remet
alors son badge et sa carte d'accès. Elle est escortée par le conseillersécurité Jean-Claude Messier jusqu'à la sortie du stationnement. Au
moment de quitter les lieux, M. Laramée revient la voir pour lui
remettre la lettre de suspension qu'il avait oublié de lui remettre à la fin
de la rencontre.
S) Par la suite, le lendemain, M. Laramée devait appeler la plaignante
pour lui dire qu'il s'était trompé et que la suspension n'était pas avec
solde mais plutôt sans solde;
T) Le 11 juin 2013 est déclenchée une enquête afin notamment de
vérifier le contenu du portable de la plaignante ainsi que le contenu du
disque dur de l'imprimante.
U) Le 13 juin 2013, les résultats de ces analyses devaient confirmer la
version des faits donnée par la plaignante. Il n'y a eu aucun échange
courriel entre les adresses de la plaignante et celle de Laurie Carufel.
Il n'y a eu qu'une impression du bulletin de paye litigieux. Les
personnes rencontrées par l'enquêteuse Karen Cyr confirment en tout
point la version donnée par la plaignante;
V) Le 11 juillet 2013, le dossier de la plaignante est soumis au comité des
cas litigieux. Ce dernier en arrive à la conclusion qu'Hydro-Québec ne
peut plus avoir confiance en Kate Lacoursière parce qu'elle n'est plus
une personne de bonnes mœurs;
W) Le 1er août 2013, cette recommandation du comité des cas litigieux se
traduit en décision. Cette décision fut remise à la plaignante sous la
plume du chef du service de la Protection des revenus qui devait
utiliser les termes suivants: «... Or, en fonction des faits recueillis, vous
ne pouvez pas être considérée être de bonnes mœurs. Par
conséquent, vous n'êtes plus en mesure de remplir les exigences
requises pour occuper votre poste... la direction a pris la décision de
procéder à votre congédiement administratif...».
113 La convention collective n'autorise pas l'arbitre à intervenir afin de «réduire»
le congédiement administratif ou de décider de toute réparation qu'il pourrait
juger appropriée comme il l'est en matière disciplinaire (Voir articles 11.03 et
11.04 c.c.). Le législateur, comme nous l'avons vu antérieurement, a
spécifiquement identifié le secteur d'application des très larges pouvoirs de
l'arbitre de grief, I.e.: «en matière disciplinaire...».:
114 En termes pratiques, la compétence du tribunal d'arbitrage est d'apprécier la
décision de l'employeur sans intervenir si ce n'est pour la maintenir ou la casser
en raison de déraisonnabilité, d'abus ou de discrimination.
115 Ce qui nous amène au cœur du litige.
116 Le cœur du litige réside évidemment dans les évènements qui ont pris place
le 2 mai 2013.
117 Par ailleurs, avant d'aborder le sujet des évènements du 2 mai 2013, il
convient d'ouvrir une parenthèse afin de disposer des allégations de
«comportements inadéquats» de la plaignante principalement formulées par M.
Laramée lors de son témoignage.
118 Le chef du service de la Protection des revenus, lors de son témoignage, a
ajouté d'autres éléments tendant à porter atteinte au statut de personne de
bonnes mœurs de la plaignante. Il a notamment souligné les éléments suivants:
A) Elle avait déjà été expulsée d'un logement qu'elle occupait;
B) La tenue vestimentaire de la plaignante n'était pas toujours appropriée
et était parfois «déplacée» pour les fonctions d'enquêteuse;
C) Elle s'affichait sur Facebook;
D) Elle se servait de son «sex-appeal» pour obtenir des informations
dans le cadre de son travail;
E) Elle manquait de maturité et était parfois volage;
119 Ces éléments ne sont pas pertinents à la solution du litige.
120 Ces éléments, pour autant qu'ils puissent être considérés comme affectant
le statut de personne de bonnes mœurs de la plaignante, n'ont pas été connus
par l'employeur au mois de mai 2013, Ils avaient été portés à la connaissance de
l'employeur bien avant le mois de mai 2013 et l'employeur ne s'en était pas
formalisé.
121 Incidemment, il a été mis en preuve que ce type de reproches n'était pas le
propre de la plaignante uniquement mais touchait l'ensemble de la cohorte des
jeunes enquêteurs de la DPSI.
122 D'ailleurs, l'une des tâches du chef Laramée était justement de «coacher»
les jeunes enquêteurs d'Hydro-Québec afin de faire disparaître les
comportements à risque et afin qu'ils donnent une bonne image comme
représentant de l'entreprise.
123 En fait, il n'y a qu'un seul évènement qui a conduit la plaignante à perdre son
statut de personne de bonnes mœurs aux yeux de l'employeur et c'est celui du 2
mai 2013.
124 Ce statut de personne de bonnes mœurs n'est pas défini à la convention
collective.
125 L'employeur s'est cependant donné une définition, laquelle définition
apparaît dans un document que l'employeur nomme la «Norme Vérifications de
la fiabilité et de l'intégrité des personnes». Pour l'employeur, être une personne
de bonnes mœurs signifie:
1). Habitudes, comportements, conduite ou manière de vivre d'un
individu relativement à l'ensemble des règles imposées par la morale
sociale et la culture québécoise.
2). Les mœurs varient selon les époques et les peuples.
3). Une personne est généralement considérée de bonnes mœurs si
elle est honnête, intègre, qu'elle respecte les lois (et ses pairs) et
qu'elle a de bonnes fréquentations.
4). L'absence d'antécédents judiciaires est également un critère à
considérer dans l'analyse des bonnes mœurs, de même que la
présence d'une absolution ou d'une réhabilitation administrative
(pardon).
126 Cette définition de l'employeur est conforme à ce que le Droit civil définit
comme étant les «bonnes mœurs». À titre d'exemple, en 2011, Me Gérard
Cornu, professeur universitaire de Droit, dans son livre intitulé «Vocabulaire
juridique» a défini ainsi la notion de bonnes mœurs:
1. (mode de vie) Bonne vie et mœurs; comportement habituel
conforme à la morale commune; moralité.
2. (règle de conduite) Ensemble des règles imposées par une certaine
morale sociale, reçues en un temps et en un lieu donnés, qui, en
parallèle avec l'ordre public (au sein duquel les bonnes mœurs sont
parfois englobées) constitue une norme par référence à laquelle les
comportements sont appréciés (...) et dont le contenu coutumier et
évolutif, surtout relatif à la morale sexuelle, au respect des droits
humains et aux gains immoraux, est principalement déterminé par le
juge, oracles des mœurs».
127 Le concept des «bonnes mœurs» en est un qui cerne les habitudes de vie et
les usages d'une société à une époque donnée et ce, relativement à la morale,
relativement au Bien et au Mal. De là découle un ensemble de normes
applicables tant à la société en général qu'aux individus qui la composent.
128 Cela étant dit, je suis d'avis que les faits reprochés à la plaignante ne
supportent pas une conclusion à l'effet que cette dernière n'est plus une
personne de bonnes mœurs. Cette conclusion est inexacte, déraisonnable,
discriminatoire et injuste.
129 L'employeur a, de bonne foi faut-il le préciser, incorrectement et injustement
isolé la manipulation du bulletin de paye de l'ensemble des faits entourant cette
affaire. De plus, il a commis une erreur de droit dans la qualification du geste
posé par la plaignante.
130 Dans un premier temps, il importe de se saisir du contexte factuel de la
présente affaire. En fait, voici le véritable portrait de cette affaire:
A) Une employée efficace et fiable:
1) Malgré son jeune âge, la plaignante cumulait quelque 8 années
d'ancienneté dans divers postes temporaires d'enquêteuse au
service de la Sécurité industrielle d'Hydro-Québec;
2) Il s'agissait d'une employée qui voulait faire carrière chez HQ et
qui travaillait en conséquence, notamment en suivant des
formations internes;
3) Malgré certains sous-entendus de M. Laramée, la plaignante
avait un bon dossier d'employée;
4) D'ailleurs, la preuve a révélé que l'employeur aurait une fois de
plus renouvelé son contrat de travail, n'eût été l'événement du
2 mai 2013.
B) L'objectif de la plaignante:
1) Nous ne sommes pas dans un contexte de vol, d'appropriation
malhonnête de biens, de fraude inspirée par l'appât de gains
ou d'une quelconque activité criminelle de cette nature;
2) Nous sommes dans un contexte où une jeune femme, la
plaignante, est troublée par la détresse d'une amie qui vit une
difficile séparation d'avec son conjoint;
3) Sachant son amie souffrante psychologiquement, la plaignante,
transportée par une empathie aveugle issue de leur amitié,
décide d'une action de réconfort visant à soutenir moralement
et psychologiquement son amie. Cette action se traduit, en
autre chose, par une éventuelle visite dans un spa;
C) Une balourdise de 4,00 $:
1) L'endroit de délassement se nommait le Sky Spa;
2) Les employés d'Hydro-Québec bénéficiaient d'un rabais d'entre
10 et 15%. Une séance au spa coûtant environ 30,00 $,
l'économie était d'environ 4,00 $ avec ledit rabais;
3) Considérant injuste le fait que son amie aurait eu à débourser
4,00 $ de plus qu'elle alors que cette amie était déjà mal en
point émotivement et financièrement, la plaignante a décidé de
modifier son bulletin de paye afin que le nom de son amie y
apparaisse et qu'elle puisse bénéficier de l'économie de 4,00 $;
4) C'est de cette façon que s'est enclenché, innocemment et
bêtement, le processus de fabrication d'un faux;
5) Selon la preuve entendue, le geste fut totalement irréfléchi;
6) D'ailleurs, la valeur de la faute commise l'illustre facilement:
4,00 $.
D) Un geste d'une grande stupidité, mais désintéressé, spontané, gratuit
et altruiste:
1) La preuve a révélé que la plaignante n'avait pas planifié très
longtemps le geste posé;
2) Ce fut plutôt du type action-réaction;
3) Ceci dit, je comprends que la partie patronale ait voulu
démontrer qu'il y avait eu planification du geste répréhensible,
qu'il y avait eu réflexion sur la commission de l'acte et sur la
façon de s'y prendre pour réaliser l'impensable projet;
4) Ce n'est cependant pas ce que révèle la preuve;
5) L'organisation de l'activité Sky Spa est une chose et la décision
d'altérer le bulletin de paye au profit de Laurie Carufel est une
autre chose. La preuve a révélé que tous les éléments relatifs
à la commission de la faute se sont déroulés de façon
spontanée, en quelques minutes seulement vers la fin de
l'avant-midi du 2 mai 2013. Certes, la partie patronale a
souligné que la plaignante avait pris le temps «d'écrirescrapbooker-coller-imprimer» mais il faut néanmoins ajouter
que tous ces gestes s'inscrivent dans un continuum
ininterrompu d'une très courte durée dans le temps, moins
d'une heure plus précisément;
6) Le geste est stupide et conduisait directement la plaignante au
suicide professionnel. D'ailleurs à ce chapitre, aucune
démonstration n'est nécessaire tant la stupidité du geste est
patente;
7) Par ailleurs, la preuve fut très claire que la seule et unique
motivation derrière ce geste de la plaignante fut de venir en
aide à une amie en difficulté;
8) Dans cette déplorable affaire, la plaignante est totalement
désintéressée et n'aurait retiré personnellement aucun gain ou
avantage du faux, eût-il été utilisé.
E) La courte durée du comportement fautif:
1) Le comportement erratique de la plaignante fut de très courte
durée selon la preuve et principalement selon les données
retracées sur l'intranet d'HQ;
2) À 9h53, la plaignante consultait Google pour obtenir les
informations sur le fonctionnement du Sky Spa;
3) À 9h56 et 10h07, la plaignante a consulté son bulletin de paye;
4) À 10h07, la plaignante imprimait son bulletin de paye modifié;
5) Dans les minutes qui suivirent l'impression, de retour à son
bureau, la plaignante a détruit le bulletin de paye modifié
réalisant qu'il s'agissait là d'une mauvaise idée;
6) Donc, en tout et partout, on parle d'un «gel cérébral
temporaire» d'une durée de moins d'une heure.
F) L'absence d'intention malicieuse:
1) Pendant ce laps de temps de quelques minutes, la plaignante
n'a jamais réalisé qu'elle était sur la voie de la commission d'un
acte criminel;
2) La plaignante n'a jamais même pensé qu'elle commettait un
acte criminel;
3) La plaignante n'a jamais conçu l'idée de frauder obnubilée
qu'elle était à l'idée de remonter le moral à son amie;
4) L'absence d'intention malicieuse se révèle aussi dans le fait
que la plaignante a agi ouvertement, au vu et au su de tous
ceux et celles qui se trouvaient sur les lieux du travail;
5) D'ailleurs, elle en a de plus parlé ouvertement et innocemment
avec une collègue de travail, Geneviève Trépanier, et à un
collègue de travail, Denys Lussier.
G) La destruction rapide du faux:
1) La plaignante a réalisé son erreur quelques minutes après
l'impression du faux.
2) La plaignante a alors détruit immédiatement le document
falsifié;
3) Le faux n'a jamais été utilisé;
4) «Ce n'était pas l'idée de l'année...» devait dire la plaignante à
Geneviève Trépanier, quelques minutes après avoir détruit le
document;
5) Incidemment, la preuve est contradictoire quant au moment où
la plaignante a détruit le bulletin de paye modifié;
6) La plaignante a soutenu que c'est dans les minutes qui ont
suivi son impression que le document fut détruit, alors que le
supérieur de la plaignante, M. Marc Laramée, a soutenu que la
plaignante lui avait dit que c'était dans les jours qui ont suivi
ladite impression que le document avait été finalement détruit;
7) Je n'ai pas d'hésitation à dire que la version de la plaignante
est celle qu'il faut retenir;
8) La plaignante a rendu un témoignage clair, net et précis. Son
témoignage est cohérent et vraisemblable. Elle n'a pas cherché
à cacher sa faute, ni à la nuancer. Elle s'est contentée de
l'expliquer. Son témoignage est en tout point identique à la
version qu'elle a donnée à M. Laramée, le ou vers le 11 juin
2013. Son témoignage est aussi en tout point identique à la
version des faits qu'elle a donnée à l'enquêteuse Karen Cyr, le
ou vers le 21 juin 2013. De plus, la plaignante est en bonne
partie corroborée dans ses dires par la déclaration de
Geneviève Trépanier faite à l'enquêteuse Karen Cyr, le ou vers
le 12 juin 2013. Cela est en soi suffisant pour écarter le
témoignage de M. Laramée au profit de celui de la plaignante;
9) D'autre part, il y a plus. La mémoire de M. Laramée est
vacillante quant aux événements du 11 juin 2013, lors de sa
rencontre avec Kate Lacoursière. M. Laramée devait lui
remettre une lettre de suspension au terme de la rencontre. Il a
oublié de le faire. Réalisant son oubli après le départ de la
plaignante, il a dû la rattraper sur le terrain de stationnement
pour terminer son travail et lui remettre la lettre de suspension.
De plus, M. Laramée a dit à la plaignante que la suspension
était avec solde alors qu'elle était sans solde. Encore là,
réalisant son erreur, il a dû rappeler la plaignante le lendemain
pour corriger le tir. Il en ressort que M. Laramée n'était pas en
pleine possession de ses moyens en cette journée du 11 juin
2013;
10) Enfin, il est à noter qu'il n'y a pas de note de l'auteur de la
déclaration écrite du 11 juin 2013, soit M. Laramée, à l'effet
que la correction demandée par Mme Lacoursière changeant
«quelques jours» par «quelques minutes» était inexacte. Il
aurait pu le noter en addendum puisqu'il était le rédacteur de la
déclaration et puisqu'il considérait cette modification comme
fausse et importante;
11) Lorsque M. Laramée dit que la plaignante avait réalisé que
«quelques jours» c'était différent de «quelques minutes» et que
c'est pour cette raison qu'à la lecture du texte qu'il avait écrit la
plaignante a demandé que des changements soient apportés,
il s'agit là d'un procès d'intention nullement soutenu par la
preuve. Au contraire. Cette prétention du représentant patronal
est contredite par la déclaration de Mme Geneviève Trépanier
qui précise (nos soulignements): «Kate lui a parlé de la
possibilité d'une sortie au Sky Spa et elle lui a montré le
bulletin de paye avec le nom de Laurie Carufel au lieu du
sien... Quelques minutes plus tard Kate est revenue la voir et
elle lui a dit que ce n'était pas l'idée de l'année...Par la suite
Kate lui a fait un geste disant que le papier serait déchiré ou
déchiqueté...»;
12) Enfin, dans le contexte inattendu de la rencontre avec son
supérieur immédiat, il est peu probable que la plaignante, en
ce moment de stress intense, ait eu la capacité «de penser»
comme le dit M. Laramée;
13) Un dernier point sur ce sujet. La plaignante n'avait
évidemment pas pu noter, au premier jet de la déclaration, qu'il
s'agissait de «quelques minutes» et non de «quelques jours»
parce que ce n'est pas elle qui a écrit la déclaration, mais bien
M. Laramée.
H) La plaignante a corrigé elle-même son erreur, sans intervention
extérieure:
1) La plaignante s'est auto-disciplinée sans intervention
extérieure;
2) C'est la plaignante elle-même qui a réalisé la faute qu'elle était
en train de commettre et c'est la plaignante elle-même qui y a
mis fin et ce, avant même que ne soit consommé un «acte
criminel»;
3) Il est donc faux de prétendre, comme l'a fait M. Laramée, que
la plaignante a déballé son sac uniquement quand «ça lui a
pété dans le nez». i.e. lors de sa rencontre avec lui, le 11 juin
2013;
4) Jusqu'à la rencontre avec M. Laramée, la plaignante était
convaincue de n'avoir rien fait de mal puisque le faux n'avait
pas servi, qu'il avait été détruit et que son erreur de jugement
n'avait duré que quelques minutes sans qu'aucun préjudice ne
soit occasionné à qui que ce soit;
5) Il était donc normal que la plaignante n'ait rien dît car, à ses
yeux, «rien n'était arrivé»;
6) D'ailleurs, M. Laramée lui-même a indirectement confirmé cette
partie de la version de la plaignante en disant que lors de la
rencontre la plaignante ne semblait pas réaliser la gravité des
allégations portées contre elle.
I) Un geste isolé:
1) La balourdise de la plaignante est non seulement un geste de
très courte durée mais c'est aussi un événement totalement
isolé dans le temps;
2) Il s'agit aussi d'un geste qui ne se reproduira pas, les
probabilités de récidive étant quasi-nulles pour ne pas dire
nulles;
3) Il n'est pas inutile de préciser qu'à quelques reprises, la
plaignante a exprimé ses remords et regrets d'avoir eu cette
faiblesse, d'avoir posé le geste reprochable et de ne pas avoir
réfléchi avant d'agir.
J) La collaboration de la plaignante:
1) Tout au long de cette affaire, la plaignante n'a pas nié les faits,
ni tenté de les éviter;
2) Elle a composé avec les faits et elle a ouvertement et
pleinement collaboré. Le compte-rendu d'enquête du 27 juin
2013 de Mme Cyr le démontre amplement;
3) En terminant, et toujours dans le cadre de la collaboration et de
la crédibilité de la plaignante, je souligne que le faux n'ayant
pas servi et ayant été détruit le 2 mai 2013, il eut été facile pour
la plaignante, une enquêteuse de 8 ans d'expérience, le 11 juin
2013, de tout nier. Il est à se demander si l'enquête n'aurait pas
fait long feu à ce moment. La plaignante a cependant préféré
dire la vérité.
K) La commission d'un acte criminel:
1) Ce sujet est le sujet le plus délicat de cette affaire.
2) Pour les représentants de l'employeur, il était évident que la
plaignante avait commis un acte criminel et c'est d'ailleurs le
motif principal qui sous-tend réellement la décision de
l'employeur de congédier la plaignante. C'est d'ailleurs ce
qu'ont affirmé, lors de leurs témoignages, MM. Marc Laramée
et Daniel Alvarez, le chef expertise de la Sécurité industrielle
d'Hydro-Québec.
3) Selon l'employeur, le poste d'enquêteuse occupé par la
plaignante en est un de constable spécial et il demande d'être
apte à obtenir le statut d'agent de la paix.
4) Les pouvoirs d'un agent de la paix s'assimilent à ceux d'un
policier.
LOI SUR LA POUCE
Article 107. Le ministre peut nommer des constables spéciaux ayant
compétence, sous son autorité ou sous toute autre autorité qu'il
indique, pour prévenir et réprimer les infractions aux lois. L'acte de
nomination précise les pouvoirs d'agent de la paix qui sont attribués au
constable spécial, les conditions d'exercice de tels pouvoirs, le
territoire sur lequel il les exerce, ainsi que la période pour laquelle il est
nommé.
Le constable spécial nommé en vertu du présent article prête, devant
un juge de la Cour du Québec ou d'une cour municipale, les serments
prévus aux annexes A et B.
5) L'une des conditions pour être constable spécial (agent de la
paix) est d'être une personne de bonnes mœurs;
LOI SUR LA POLICE
Article 115. Les conditions minimales pour être embauché comme
policier sont les suivantes:
1° être citoyen canadien;
2° être de bonnes mœurs;
3° ne pas avoir été reconnu coupable, en quelque lieu que ce soit,
d'un acte ou d'une omission que le Code criminel (Lois révisées du
Canada (1985), chapitre C-46) décrit comme une infraction, ni d'une
des infractions visées à l'article 183 de ce Code, créées par l'une
des lois qui y sont énumérées;
4° être diplômé de l'École nationale de police du Québec ou satisfaire
aux normes d'équivalence établies par règlement de l'École.
Les exigences prévues aux paragraphes 1° à 3° du premier alinéa
s'appliquent également aux constables spéciaux.
Le gouvernement peut, par règlement, prescrire des conditions
supplémentaires d'embauche pour les policiers et les constables
spéciaux.
Les municipalités peuvent faire de même à l'égard des membres de
leur corps de police et des constables spéciaux municipaux. Ces
conditions supplémentaires peuvent être différentes selon qu'elles
s'appliquent à un policier ou à un constable spécial.
Les conditions d'embauche ne s'appliquent pas dans le cas d'une
intégration, d'une fusion ou de toute autre forme de regroupement de
services policiers aux membres de ces services.
6) Il va de soi que la commission d'un acte criminel peut, sinon
doit, se traduire par la perte du statut de personne de bonnes
mœurs;
7) S'appuyant sur l'article 366 du code criminel, l'employeur en est
d'ailleurs venu à cette conclusion. La plaignante avait commis
un acte criminel;
8) De ce fait, elle avait perdu son statut de personne de bonnes
mœurs. Conséquemment, ne rencontrant plus l'une des
conditions minimales pour être constable spécial au sein
d'Hydro-Québec (agent de la paix), la plaignante devait être
congédiée;
9) Avant d'aborder le mérite de ce sujet, il convient de prendre
connaissance des articles 366 et 367du code criminel. Ces
articles se lisent comme suit:
Faux et infractions similaires
366. (1) (Faux) Commet un faux quiconque fait un faux document le
sachant faux, avec l'intention, selon le cas:
a) qu'il soit employé ou qu'on y donne suite, de quelque façon, comme
authentique, au préjudice de quelqu'un, soit au Canada, soit à
l'étranger;
b) d'engager quelqu'un, en lui faisant croire que ce document est
authentique, à faire ou à s'abstenir de faire quelque chose, soit au
Canada, soit à l'étranger.
(2) (Faux document) Faire un faux document comprend:
a) l'altération, en quelque partie essentielle, d'un document
authentique;
b) une addition essentielle à un document authentique, ou l'addition, à
un tel document d'une fausse date, attestation, sceau ou autre
chose essentielle;
c) une altération essentielle dans un document authentique, soit par
rature, oblitération ou enlèvement, soit autrement.
(3) (Quand le faux est consommé) Le faux est consommé dès qu'un
document est fait avec la connaissance et l'intention mentionnée au
paragraphe (1), bien que la personne qui le fait n'ait pas l'intention
qu'une personne en particulier s'en serve ou y donne suite comme
authentique ou soit persuadée, le croyant authentique, de faire ou de
s'abstenir de faire quelque chose.
(4) (Le faux est consommé même si le document est incomplet) Le
faux est consommé, bien que le document faux soit incomplet ou ne
soit pas donné comme étant un document qui lie légalement, s'il est de
nature à indiquer qu'on avait l'intention d'y faire donner suite comme
authentique.
367. (Peine) Quiconque commet un faux est coupable:
a) soit d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de
dix ans;
b) soit d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par
procédure sommaire.
10) Cela étant assimilé, le Tribunal d'arbitrage a constaté que la
plaignante a fait un faux document;
11) La preuve a également révélé que la plaignante savait que le
document était un faux;
12) Enfin, la preuve a révélé que la plaignante a eu, pendant
quelques minutes, l'intention que le faux soit utilisé;
13) A priori, le geste de la plaignante correspond donc en tout
point à la définition de la fabrication d'un faux selon le code
criminel;
14) Il apparaît donc légitime que les membres du comité des cas
litigieux d'Hydro-Québec qui, incidemment n'ont pas la qualité
d'avocats, en soient venus à la conclusion que la plaignante
avait commis un acte criminel;
15) Ce cas est cependant plus complexe qu'il n'y paraît «a priori».
16) Dans un premier temps, la preuve a révélé que la plaignante
strictement concentrée sur son objectif de soutien à une amie
en difficulté n'a pas réalisé immédiatement qu'elle fabriquait un
faux en modifiant son bulletin de paye. On peut donc conclure
que dans les premiers instants de son geste, la plaignante
ignorait qu'elle commettait un crime. D'ailleurs, dès qu'elle l'a
réalisé, elle fit marche arrière;
17) Il y a plus et c'est, à mon avis, ce qui est déterminant dans
cette affaire;
18) Dans un deuxième temps, même en prenant pour acquis que
la plaignante comprenait vraiment qu'elle fabriquait un faux, la
preuve a révélé que la plaignante n'a jamais voulu porter
préjudice à qui que ce soit, y incluant Sky Spa et HydroQuébec. La preuve est très nette à l'effet que son seul et
unique objectif était de soutenir une amie en état de détresse
morale;
19) Il n'y avait donc pas d'intention spécifique de porter préjudice
à un tiers;
20) Il y a absence totale de preuve à l'effet que la plaignante avait
une intention spécifique que le faux soit utilisé pour porter
préjudice à un tiers;
21) L'intention spécifique de nuire à autrui est essentielle à la
commission de cet acte criminel1 et cette preuve n'existe pas
parce que justement la plaignante n'a jamais eu d'intention
spécifique de nuire à autrui;
22) Selon la preuve entendue, l'employeur a donc conclu
erronément à la commission d'un acte criminel par la
plaignante;
23) Il n'est pas inutile de rappeler que l'employeur a procédé à un
congédiement administratif et non à un congédiement de
nature disciplinaire. La seule et unique raison du congédiement
réside dans le fait que la plaignante aurait perdu, du fait de la
1.
Sa Majesté La Reine et André Paquette (RCS-1979-2-p. 168)
Procureur général du Québec c. Couture (1993-51-C.A.-p. 155)
Sawyer c. La Reine (1998-C.A.-J.E.-98-2391)
Noël Ferland c. Sa Majesté La Reine (C.A.-02.10.2001-200-10-000980-008)
commission d'un acte criminel, son statut de personne de
bonnes mœurs;
24) L'employeur, ayant décidé de congédier sur la base de la
commission d'un acte criminel, se devait de prouver la
commission de l'acte criminel reproché. Il ne pouvait se
tromper. L'acte criminel devait exister;
25) Or, la preuve a révélé qu'il n'existe pas;
26) Dans un troisième temps, même si par déformation
professionnelle et malgré la preuve qui leur était soumise, les
membres du comité des cas litigieux avaient eu un doute quant
à l'existence de la commission d'un acte criminel, en raison de
l'analyse juridique susmentionnée ce doute aurait dû
manifestement jouer en faveur de la plaignante. En effet,
puisque la base du raisonnement des membres du comité des
cas litigieux est la commission d'un acte criminel, ce sont donc
les règles du droit criminel que l'on devait appliquer. Donc, les
membres du comité des cas litigieux devaient être convaincus
hors de tout doute de l'existence de cette intention spécifique
de porter préjudice à quelqu'un;
27) J'ajoute que la défense présentée par la plaignante était
minimalement de nature à soulever un doute raisonnable quant
à son intention précise de vouloir porter préjudice à Sky Spa
ou, indirectement, à Hydro-Québec;
28) Ce doute devait nécessairement lui bénéficier;
29) Ceci dit, le comité des cas litigieux ne pouvait donc pas en
venir à la conclusion qu'il y avait eu commission d'un acte
criminel;
30) De ce fait, ledit comité ne pouvait conclure que la plaignante
n'était plus une personne de bonnes mœurs parce que les faits
mis en preuve ne peuvent soutenir une telle conclusion;
31) Le congédiement devient alors déraisonnable, abusif et
injuste;
32) Incidemment et pour clore ce chapitre, il n'est donc pas
surprenant que la Couronne se soit refusée à déposer toute
accusation criminelle contre la plaignante et ce, malgré les
représentations faites par les dirigeants de la Sécurité
industrielle d'Hydro-Québec.
IV) UNE DÉCISION ARBITRAIRE, DISCRIMINATOIRE ET INJUSTE:
131 Subsidiairement, il y un autre volet de la décision de l'employeur qui est
incompatible avec la logique patronale ayant conduit au congédiement et qui, par
voie de conséquence, conduit le tribunal d'arbitrage à croire que, bien qu'ayant
été prise de bonne foi, la décision n'en demeure pas moins discriminatoire et
entachée d'arbitraire.
132 Je m'explique.
133 L'assise du congédiement de la plaignante, comme nous l'avons vu, repose
sur le fait que cette dernière a perdu son statut de personne de bonnes mœurs
puisqu'elle aurait commis un acte criminel.
134 Les témoins patronaux ont fait une grande profession de foi envers la norme
hydro-québécoise «Vérifications de la fiabilité et de l'intégrité des personnes».
135 Cette norme est le prisme par lequel est vérifié le statut de personne de
bonnes mœurs, statut essentiel pour des personnes occupant une fonction
stratégique et sensible au sein de l'entreprise, tel qu'une enquêteuse au service
de la Sécurité industrielle.
136 Selon les témoins patronaux, le personnel du service de la Sécurité
industrielle d'Hydro-Québec, en raison de la nature de leur travail, doit
nécessairement faire preuve d'une intégrité et d'une probité exemplaires.
137 D'où la très grande importance qu'accordent les gestionnaires du service de
la Sécurité industrielle au fait que chaque membre de leur personnel soit et
demeure de bonnes mœurs et respecte le Code de conduite d'Hydro-Québec.
138 La preuve a révélé que le 2 mai 2013, la plaignante a montré le bulletin de
paye altéré à sa collègue de travail Geneviève Trépanier. La plaignante a dit à
Mme Trépanier avoir modifié son bulletin de paye afin qu'une amie puisse
bénéficier des mêmes rabais qu'eux, des employés d'Hydro-Québec.
139 Mme Trépanier, qui travaillait à son bureau, a répondu à la plaignante «oui
ou OK».
140 Mme Trépanier n'a jamais dénoncé la plaignante. Du 2 mai 2013 jusqu'au 12
juin 2013, date de sa rencontre avec l'enquêteuse Karen Cyr, Geneviève
Trépanier n'a jamais dénoncé la plaignante et ne s'est jamais dissociée de la
faute commise qui, aux yeux de l'employeur, était un acte criminel.
141 Force nous est de comprendre que, selon l'interprétation des faits donnée
par les représentants de l'employeur, Mme Trépanier a été complice après le fait
de la commission d'un acte criminel.
142 Une complice d'un acte criminel est assimilée à une personne qui commet
elle-même un acte criminel (voir notamment les articles 23 et 592, ss, du code
criminel).
143 Le 2 mai 2013 et dans les quelque 40 jours qui ont suivi, i.e. jusqu'au 12 juin
2013, Geneviève Trépanier, toujours selon l'interprétation des faits donnée par
l'employeur, aurait donc perdu son statut de personne de bonnes mœurs.
144 Or, Mme Trépanier n'a pas été inquiétée par l'employeur ni après la
déclaration de la plaignante le 12 juin 2013, ni après la production du compterendu d'enquête par Mme Karen Cyr, le 27 juin 2013.
145 Encore plus surprenant est le cas de M. Denys Lussier.
146 Ce dernier a vu la plaignante à l'imprimante avec le bulletin de paye modifié.
La plaignante lui a même expliqué ce qu'elle faisait.
147 En aucun temps entre le 2 mai 2013 et le 4 juin 2013, date à laquelle il s'est
finalement confié à M. Laramée, M. Lussier n'a-t-il dénoncé la situation.
148 Contrairement à Mme Trépanier, M. Lussier était convaincu d'avoir été
témoin d'un acte criminel. L'enquêteur Lussier, contrairement, à son devoir à la
DPSI, n'a pas immédiatement averti son supérieur. Ce qu'il aurait dû faire.
149 Il s'est donc également rendu complice après le fait de la commission du
crime allégué.
150 Pendant plus de 30 jours, jour ouvrable après jour ouvrable, M. Lussier s'est
présenté au travail, a croisé et rencontré ses supérieurs et jamais il n'a dénoncé
le «crime» dont il avait été témoin.
151 Pendant quelque 30 jours, et toujours selon l'interprétation patronale des
faits, M. Lussier a été complice après le fait de la commission d'un acte criminel.
Il a caché des informations affectant, en théorie, l'intégrité et l'honnêteté d'une
enquêteuse du service de la Sécurité industrielle d'Hydro-Québec.
152 M. Lussier n'a pas été inquiété des suites de cette affaire.
153 Comment l'employeur peut-il justifier que cet enquêteur ait conservé son
statut de personne de bonnes mœurs alors que pendant plus d'un mois il a
caché à ses supérieurs l'existence d'un présumé acte criminel?
154 Difficile à concilier.
155 Ceci dit, il n'est pas inutile de rappeler que dans le cadre d'un congédiement
administratif, le tribunal d'arbitrage ne pourra intervenir que s'il en arrive à la
conclusion, eu égard à la preuve soumise, que ledit congédiement est injuste.
156 Une injustice peut évidemment provenir de diverses sources.
157 Dans le cas qui nous occupe il n'y a pas d'explication au fait que l'employeur
ait agi avec une extrême sévérité à l'endroit de la plaignante alors qu'il a fermé
les yeux dans le cas des complices après le fait Trépanier et Lussier. Il n'y a pas
d'explication quant au fait que le critère ayant servi à mettre fin au contrat de la
plaignante, la perte du statut de personne de bonnes mœurs, ait été ignoré dans
les cas de Mme Trépanier et de M. Lussier.
158 Il y a là une situation arbitraire et discriminatoire créée par l'illogisme dans la
disparité de traitement entre d'une part, Kate Lacoursière et, d'autre part,
Geneviève Trépanier et Denys Lussier.
159 À ce chapitre aussi, le congédiement devient injuste et abusif.
V) CONCLUSION:
160 Compte tenu de toutes les circonstances de cette affaire, la décision de
l'employeur est mal fondée en faits et en droit.
161 Bien que prise de bonne foi, la décision de l'employeur n'en demeure pas
moins déraisonnable, abusive et injuste.
162 La décision de l'employeur est également arbitraire et discriminatoire
163 Compte tenu de l'analyse susmentionnée, je suis d'avis que la plaignante,
bien qu'ayant commis une faute, a, en tout temps pertinent, conservé son statut
de personne de bonnes mœurs.
164 Pour tous ces motifs, après avoir étudié la preuve, la jurisprudence et sur le
tout délibéré, le tribunal d'arbitrage
REJETTE le grief contestant la suspension pour fins d'enquête;
ACCUEILLE le grief contestant le congédiement;
ORDONNE à l'employeur de réintégrer la plaignante dans ses fonctions;
ORDONNE à l'employeur de compenser la plaignante pour toutes les sommes
d'argent et bénéfices dont le congédiement l'a privée et ce, pour la période entre
le 1er août 2013 et la date de sa réintégration, le tout portant intérêt selon le Code
du travail du Québec;
CONSERVE compétence pour décider de toute question relative à l'application
de cette décision.
PIERRE LAPLANTE, ARBITRE
Me Odette Rochon, pour l'employeur
M. Martin Simard, pour le syndicat
ANNEXE
ANNEXE I
DESCRIPTIF
Date du mandat:
- Le 28 novembre 2013
Dates d'audience:
- 02.05.14 - 08.05.14 - 06.06.14
Lieu d'audience:
- Montréal
Notes et autorités:
- Partie patronale, le 30 juin 2014
- Partie syndicale, le 9 juillet 2014
Les témoins:
1) Mme Kate Lacoursière, enquêteuse au service de la Sécurité
industrielle et plaignante;
2) M. Marc Laramée, chef Protection des revenus;
3) Mme Karen Cyr, chef d'équipe des enquêteurs;
4) M. Daniel Alvarez, chef expertise Sécurité industrielle.
ANNEXE II
AUTORITÉS PATRONALES
1. COLLECTIF, Les mesures disciplinaires et non disciplinaires dans les rapports
collectifs du travail, 2e éd. Cowansville, Éditions Yvon Biais, 2009, feuilles
mobiles, à jour au 1er janvier 2014, p. 1/1-273 à 1/1-276
2. Syndicat des employés municipaux de Jonquière, section locale 2466
(S.C.F.P.) c. Jonquière (Ville de) , [1997] AZ-98011026 (CA), DTE 98T-33
3. Syndicat des travailleurs de l'Hôpital Notre-Dame c. Hôpital Notre-Dame ,
[1983] AZ-83011059 (CA), DTE 83T-172
Requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (7 juin
1983)
4. Communauté urbaine de Montréal et Fraternité des policiers de la
Communauté urbaine de Montréal, 29 mars 1988, arbitre Lussier, SA 88-05243
Fraternité des policiers de la Communauté urbaine de Montréal c.
Lussier , [1988] AZ-88149165 (CA), DTE 88T-796
Appel rejeté (30 septembre 1994)
5. Fraternité des policiers et policières de Montréal et Montréal (Ville de), [2004]
AZ-50233879 (TA), SA 04-04027
6. Syndicat de la fonction publique du Québec et Québec (Ministère des
Transports), [2000] AZ-00142087 (TA), DTE 2000T-592
7. Regroupement des travailleuses et travailleurs du Québec et Sécur inc.
(division guichets automatiques), [2011] AZ-01141165 (TA), DTE 2001T-623
8. Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 2886 et Centre
hospitalier Mont-Sinaï, [1996] AZ-96145068 (TA), AAS 96A-58
9. Mediacom Inc. et Vitriers et travailleurs du verre, section locale 1135, [1990]
AZ-90141078 (TA), DTE 90ét-567
10. Maurice Jacob inc. et Employés de l'agence Maurice Jacob inc., [1991] AZ91141139 (TA), DTE 91T-893
11. Automobiles E. Lauzon inc. et Syndicat national de l'automobile, de
l'aérospatiale du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada
(TCA—Canada) [1991] AZ-98141074 (TA), DTE 98T-413
12. Association des chauffeurs de Transport Couture et Transport Couture &
Fils, [2012] AZ-50833537 (TA), DTE 2012T-213
13. Autobus Manic inc. et Syndicat des chauffeurs scolaires de Baie-Comeau
(C.S.N.), [1999] AZ-99141261 (TA), DTE 99T-1#023
14. Syndicat des employés d'entretien de l'Université de Montréal, section locale
1186 SCFP/FTQ et Université de Montréal, [2012] AZ-50891237 (TA), DTE
2012T-642
ANNEXE III
AUTORITÉS SYNDICALES
1. Caisse Desjardins d'Argenteuil et Syndicat des employées et employés
professionnels-les et de bureau, Section locale 575 (SEPB) CTC-FTQ et Mme
Julie Pagé T.A., M. René Beaupré, 15 octobre 2013
2. Syndicat de la fonction publique du Québec inc. et Gouvernement du
Québec—Ministère du Revenu du Québec et M. William Everitt T.A., Me Diane
Sabourin, 22 septembre 2004
3. Syndicat des employé(e)s de techniques professionnelles et de bureau
d'Hydro-Québec, Section locale 2000(SCFP/FTQ) c. Hydro-Québec et M. André
Ducasse T.A., Me Diane Sabourin, 2 février 2011
4. Syndicat des employé-e-s de métiers d'Hydro-Québec (SCFP-1500) et HydroQuébec et Nathalie Gendron T.A., Me Pierre Laplante, 18 juillet 2008
5. BERNIER, Linda et autres, Les mesures disciplinaires et non disciplinaires
dans les rapports collectifs du travail, Éditions Yvon Biais, 2e édition, mise à jour
2013-2
6. MORIN, Fernand et autres, Droit de l'arbitrage de grief, Éditions Yvon Biais, 6e
édition
7. La Fraternité des policiers de la Ville de X à La Ville de Y TA., Me Jean Denis
Gagnon, 28 juillet 1993
8. Syndicat des travailleurs et Travailleuses de Loto-Québec et Loto-Québec
T.A., Me André Rousseau, 10 mai 1991
9. David Zinga Ditomene c. Me Louise Boulanger C.Q., Claude Laporte, J.C.Q.,
8 février 2013
10. VILLAGGI, Jean-Pierre, L'Administration publique québécoise et le
processus décisionnel, Des pouvoirs au contrôle administratif et judiciaire,
Éditions Yvon Biais, 2005
11. COUTU, Michel, Georges, MARCEAU, Droit administratif du travail,
Tribunaux et organismes spécialisés du domaine du travail. Éditions Yvon Biais,
2007
12. Centre jeunesse de Montréal et Syndicat des travailleuses et travailleurs du
Centre jeunesse de Montréal- CSN et André Benoit T.A., Me Louise Doyon, 18
février 2013
13. Services Préhospitaliers Laurentides-Lanaudière Liée et RETAQ (FAS-CSN)
et M. Jeangui Lafrance T.A., Me Richard Marcheterre, 10 janvier 1997
14. DUCHARME, Léo, Précis de la preuve, Wilson & Lafleur Ltée, 5e Édition,
19965
15. VERSCHELDEN, Louise, La preuve et la procédure en arbitrage de griefs,
Wilson & Lafleur Ltée, 1994
16. Syndicat des constables spéciaux du Gouvernement du Québec et Ministère
de la Sécurité publique et Sylvie Potvin T.A., Gilles Lavoie, 22 janvier 2007
17. Gouvernement du Québec (Ministère de la Sécurité publique) et Syndicat
des constables spéciaux du Québec et M. Sébastien Soucy T.A., René Beaupré,
21 avril 2010