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À la lumière des leçons tirées de ces études de cas, on comprend mieux les limites et le potentiel à plus long terme du volontarisme comme instrument de réduction des gaz à effet de serre. Jean Crête est professeur au Département de science politique de l’Université Laval. Couverture : iStockphoto Écologie/Environnement Jean Crête Sous la direction de Politiques environnementales et accords volontaires Le volontarisme comme instrument de politiques environnementales au Québec Au-delà de l’évaluation que les acteurs eux-mêmes ont faite de la situation, peut-on expliquer le choix de l’instrument de politique par quelques causes à la fois parcimonieuses et généralisables dans un esprit de construction théorique ? Pourquoi le volontarisme plutôt que la réglementation ? Qu’est-ce qui conditionne le choix d’un instrument plutôt qu’un autre ? Est-ce que les causes du choix sont structurelles, institutionnelles ou idéologiques ? Politiques environnementales et accords volontaires Le Québec, tout comme le Canada, s’est engagé à réduire les gaz à effet de serre sous le niveau de 1990. Comment faire pour atteindre cet objectif ? Depuis une trentaine d’années, un fort mouvement idéologique a contraint l’État à utiliser le volontarisme comme instrument de politiques publiques. Est-ce qu’un tel instrument de politique publique est susceptible de permettre d’atteindre l’objectif de réduction des gaz à effet de serre ? Pour répondre à cette question les auteurs de cet ouvrage examinent des cas d’accords volontaires entre diverses industries et les ministères de l’Environnement, à Québec et à Ottawa. À travers ces cas ils décrivent les raisons pour lesquelles les ministères et les industries avaient choisi ce type d’encadrement des activités des acteurs privés et ils permettent aux acteurs eux-mêmes d’évaluer l’efficacité et l’efficience du volontarisme comme outil de politique publique. Le volontarisme comme instrument de politiques environnementales au Québec Sous la direction de Jean Crête Politiques environnementales et accords volontaires Le volontarisme comme instrument de politiques environnementales au Québec Politiques environnementales et accords volontaires Le volontarisme comme instrument de politiques environnementales au Québec sous la direction de Jean Crête Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année du Conseil des Arts du Canada et de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec une aide financière pour l’ensemble de leur programme de publication. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise de son Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition. Maquette de couverture : Laurie Patry Mise en pages : Diane Trottier © Presses de l’Université Laval. Tous droits réservés. Toute reproduction ou diffusion en tout ou en partie de ce livre par quelque moyen que ce soit est interdite sans l’autorisation écrite des Presses de l’Université Laval. Dépôt légal 2e trimestre 2011 ISBN PUL : 978-2-7637-9224-8 PDF 9782763792255 Les Presses de l’Université Laval www.pulaval.com Table des matières Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XIII Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 Partie I L’accord volontaire : théories et concepts Chapitre 1 L’instrument de politique publique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Jean Crête – Aurélie Le Gars Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. Les approches instrumentales. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.1 Les critiques formulées contre l’approche instrumentale en général . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2 Les limites du modèle de la coercition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Approches à dominante institutionnelle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1 L’approche contingente : la prise en compte du contexte. . . . . 2.2 Évaluation critique de l’approche contingente. . . . . . . . . . . . . . 3. Approches à dominante idéationnelle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 9 12 16 18 20 20 21 22 23 Chapitre 2 La participation à un accord volontaire afin d’obtenir une taxation pigouvienne discriminante. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 Patrick González Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le modèle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 31 41 VIII Politiques environnementales et accords volontaires Partie II Études de cas d’accords volontaires Chapitre 3 Les ententes négociées sur la réduction des gaz à effet de serre : le cas de l’industrie de l’aluminium . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47 Sonia Chassé – Olivier Boiral Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47 1. Les ententes volontaires au service de la réduction des gaz à effet de serre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48 2. Le contexte : une démarche industrielle à l’échelle mondiale. . . . . . . 51 2.1 Le choix d’une entente volontaire au Québec : une décision politique et d’affaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51 2.2 L’industrie de l’aluminium au Québec. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 2.2.1 Le programme TARGET d’Alcan pour la réduction des GES. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54 2.2.2 La politique relative aux changements climatiques d’Alcoa . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54 2.2.3 La responsabilité sociale corporative chez Aluminerie Alouette. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 3. Méthodologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56 4. La recherche d’une logique « gagnant-gagnant ». . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 5. Des bénéfices difficiles à évaluer. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68 Chapitre 4 L’utilisation du volontarisme afin de contrôler les émissions de gaz à effet de serre du secteur industriel au Québec et au Canada : les cas des programmes VCR et ÉcoGESte. . . . . . . . . 75 Douglas Macdonald – David Houle – Caitlin Patterson Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. La politique canadienne en matière de changements climatiques de 1992 à 2007. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. L’étude des programmes VCR et ÉcoGESte. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1 Le programme VCR . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.1 Les origines du programme VCR . . . . . . . . . . . . . . . . . 75 77 80 80 81 Table des matières 2.1.2 Les opérations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.2.1 Le programme de Ressources naturelles Canada de 1995 à 1997 . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.2.2 Un organisme autonome de 1997 à 2004 . . 2.1.3 L’évaluation du succès de VCR Inc. . . . . . . . . . . . . . . . 2.2 Le programme ÉcoGESte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.1 Les origines du programme, de 1992 à 1996 . . . . . . . 2.2.1.1 Le développement d’une politique québécoise dans le domaine des changements climatiques . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.1.2 Choix du programme ÉcoGESte comme principal instrument . . . . . . . . . . . . 2.2.1.3 Le fonctionnement du programme ÉcoGESte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.1.4 La fermeture du programme. . . . . . . . . . . . . 2.2.3 L’évaluation du programme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.3.1 La perceptions des participants et des membres de la fonction publique . . . . . Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . IX 83 83 83 87 89 89 89 90 93 94 96 96 97 Chapitre 5 La gouvernance du Saint-Laurent : le rôle des accords volontaires. . 105 Jean Mercier – Aline Mongrain Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. L’assainissement du fleuve Saint-Laurent. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.1 Les programmes gouvernementaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2 Objectifs de l’étude. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.3 Les accords volontaires en environnement . . . . . . . . . . . . . . . . 1.4 Sources d’informations. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105 106 107 110 111 111 2. PHASE I : 1988-1993 – Plan d’action Saint-Laurent . . . . . . . . . . . . . . 2.1 Programme du volet « protection » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.1 Réduction des rejets industriels liquides toxiques. . . 2.1.2 Recherche et développement de technologies environnementales. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112 112 112 114 X Politiques environnementales et accords volontaires 2.2 Les instruments de politique publique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.1 Des accords « volontaires » coercitifs. . . . . . . . . . . . . . 2.2.2 La réglementation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.3 Le choix des instruments . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.4 Résultats du volet « protection ». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115 115 117 118 120 3 PHASE II : 1993-1998 – Plan d’action Saint-Laurent Vision 2000. . . 3.1 Programme du volet « protection » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.1.1 Réduction des rejets industriels liquides toxiques. . . 3.1.2 Recherche et développement de technologies environnementales. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2 Les instruments de politique publique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.1 Des accords « volontaires » coercitifs. . . . . . . . . . . . . . 3.2.2 La réglementation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3 Le choix des instruments. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.4 Résultats du volet « protection ». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122 123 124 4. PHASE III : 1998-2003 – Plan d’action Saint-Laurent Vision 2000. . 4.1 Volet « Industriel et urbain ». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.1.1 Programmes étudiés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.1.1.1 Prévention de la pollution dans les PME. . . 4.1.1.2 Reconnaissance publique. . . . . . . . . . . . . . . . 4.1.2 Les instruments de politique publique. . . . . . . . . . . . 4.1.2.1 Les accords volontaires. . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.1.2.2 La reconnaissance publique. . . . . . . . . . . . . . 4.1.3 Le choix des instruments . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.1.3.1 Les accords volontaires avec les PME. . . . . . 4.1.3.2 La reconnaissance publique des grandes entreprises. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.1.4 Résultats du volet industriel et urbain. . . . . . . . . . . . 4.1.4.1 Prévention de la pollution dans les PME. . . 4.1.4.2 Reconnaissance publique. . . . . . . . . . . . . . . . 4.2 Volet « navigation ». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2.1 Programme de prévention de l’érosion des berges. . . 4.2.2 Les instruments de politique publique. . . . . . . . . . . . 4.2.3 Le choix des instruments . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2.4 Résultats du volet. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124 124 124 125 125 125 126 126 127 127 129 130 130 131 131 131 132 132 132 135 135 136 137 138 138 Table des matières XI 5. PHASE IV : 2005-2010 – Plan Saint-Laurent pour un développement durable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141 Chapitre 6 Le financement de la collecte sélective des déchets au Québec : de l’accord volontaire à la loi. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147 Maude Chabot-Pettigrew – Patrick González Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. Collecte sélective Québec. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. CSQ propose trois programmes d’aide financière :. . . . . . . . . . . . . . . . 3. La Loi modifiant la Loi sur la qualité de l’environnement et la Loi sur la Société québécoise de récupération et de recyclage (projet de loi 102) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147 149 151 154 156 Partie III Les accords volontaires : une évaluation Chapitre 7 L’évaluation des approches volontaires : ce qu’en pensent les acteurs québécois du secteur de l’environnement. . . . . . . . . . . . 163 Aurélie Le Gars 1. Comment évaluer les approches volontaires ? Quelques orientations suggérées par la littérature . . . . . . . . . . . . . . . 2. Définition des critères d’évaluation et de leurs indicateurs . . . . . . . . 2.1 La performance environnementale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2 L’efficience économique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.3 La légitimité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.4 Les gains additionnels. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. Méthode : entrevues et traitement des informations . . . . . . . . . . . . . 4. Résultats : proposition d’une typologie des répondants. . . . . . . . . . . 4.1 Les Optimistes (16 répondants) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.1.1 Les Optimistes « Idéalistes » ou « Enthousiastes » (3 répondants) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.1.2 Les Optimistes « Prudents » (13 répondants). . . . . . . 163 167 167 168 169 170 172 172 174 174 175 XII Politiques environnementales et accords volontaires 4.2 Les Pessimistes (16 répondants). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.3 Les Sceptiques (14 répondants). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5. Les Opposants farouches (2 répondants) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6. Analyse par catégorie d’acteurs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7. Les conditions de succès des AV. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.1 Les conditions de mise en œuvre. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.2 Les conditions liées à la problématique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.3 Les conditions liées aux acteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 178 181 183 184 192 192 197 197 201 Conclusion Les accords volontaires ont-ils un avenir ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 207 Jean Crête 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. Le choix de l’accord volontaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le cas de l’aluminium. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les programmes VCR et EcoGESte. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La gouvernance du Saint-Laurent. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Conclusion sur le choix de l’instrument. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Efficacité des accords volontaires. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les ententes volontaires dans l’avenir. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208 209 210 211 214 215 217 Les contributeurs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221 Remerciements L es auteurs de cet ouvrage remercient tout particulièrement les acteurs du monde de l’environnement, tant du secteur privé que public qui ont généreusement accepté de participer à la recherche dont on rapporte ici des résultats. Les informations qu’ils nous ont transmises par l’entremise d’entrevues et de forums de discussion ont été, comme on le verra, très précieuses. Il va de soi que ces informations demeurent anonymes. Ce projet n’aurait pas été mené à terme sans le financement du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada notamment pour le projet « La gouvernance environnementale : l’expérience des ententes volontaires dans le secteur industriel québécois ». L’accueil chaleureux et le soutien de M. Denis Dion des Presses de l’Université Laval permettent aujourd’hui la publication de cet ouvrage. Introduction L e XXIe siècle s’est amorcé avec un vaste mouvement de réduction de la pollution, notamment des gaz à effet de serre. La table avait été mise tout au long des années 1990. En 1997, les pays de la terre annonçaient la conclusion d’une entente, connue sous le nom de Protocole de Kyoto, par laquelle les pays industrialisés acceptaient de réduire leurs émissions de dioxyde de carbone et de cinq autres gaz à effet de serre pour les ramener à 5 % de moins que ce qu’elles étaient en 1990. Faute de réduire leurs émissions, ces pays s’engageaient à acheter des droits de pollution de ceux qui auraient diminué leur niveau de pollution sous la norme de 1990 ou encore de pays non industrialisés et non soumis à la norme de 1990. Cependant, le tournant du XXIe siècle marquait également une période de plus de vingt ans de retrait de l’État. Comment cet État plus timide qu’auparavant pourrait-il s’y prendre pour réduire la pollution ? Une des idées maîtresses dans les pays où le retrait de l’État était fortement étayé par l’idéologie néolibérale fut de procéder par le volontarisme plutôt que par le contrôle. Pour sa part, le Canada avait été très actif sur la scène internationale au début des années 1990, notamment au Sommet de la Terre de RIO de 1992, pour promouvoir le contrôle de la pollution. Cependant, il n’a ratifié l’entente de Kyoto qu’en décembre 2002 et devenait ainsi le 99e État à signer l’entente. Les accords volontaires (AV) sectoriels avec l’industrie figuraient parmi les instruments d’intervention qu’on se proposait d’utiliser le plus fréquemment dans le cadre des programmes annoncés pour la réduction des gaz à effet de serre (GES) au Canada. Les programmes environnementaux volontaires avaient crû de façon exponentielle au cours des années 1990 aux États-Unis, en Europe de l’Ouest et au Japon. Cette façon de faire s’inscrivait bien dans le mouvement 2 Politiques environnementales et accords volontaires i déologique qui nous fit passer de l’administration publique à la nouvelle gestion publique, de la gouverne démocratique à la gouvernance. Ce mouvement reflétait aussi un changement d’attitudes envers l’environnement biophysique et un optimisme grandissant quant à la possibilité d’une coopération entre l’État et l’industrie privée. Comme le soulignent Morgenstern et Pizer, deux Américains fortement engagés dans l’administration fédérale américaine responsable de l’application des politiques d’environnement, l’Environment Protection Agency (EPA), l’adoption de démarches volontaristes reflétait aussi la frustration issue des batailles constantes et coûteuses pour l’application de la réglementation environnementale (Morgenstern et Pizer 2007b). Dans bien des cas l’approche volontariste a été employée pour le contrôle de polluants non encore réglementés ou pour lesquels il aurait été difficile d’obtenir la législation requise. Alors que la gestion fondée sur l’approche marchande repose sur une argumentation élaborée dans le milieu de la recherche et de l’enseignement supérieur, l’approche volontariste est d’abord une réponse pratique aux besoins immédiats de protection de l’environnement. Partout dans le monde, on fait de plus en plus appel aux accords volontaires dans le domaine de l’environnement. Mais, cette conception de la gestion, qui devrait intéresser au premier chef les politologues, administrativistes, économistes et spécialistes des politiques publiques, demeure peu étudiée (Jordan, Wurzel et Zito 2003 : 4). En particulier, on sait peu de choses sur ce qui se passe après que le choix de cette méthode d’intervention a été effectué, sur son efficacité, par exemple, et ce, en partie parce que la littérature existante est souvent normative. Il se peut que les accords volontaires entraînent plus de coûts administratifs qu’on ne le prévoyait. On sait également peu de choses sur leur succès dans différents contextes et différents secteurs de l’économie. Que pouvait-on attendre de ces accords volontaires ? Que savait-on des expériences passées d’accords volontaires dans le domaine environnemental ? Aux États-Unis, les programmes de contrôle des rejets toxiques avaient donné lieu à des publications, mais ces publications portaient surtout sur les motivations des industriels à participer à de tels programmes volontaires (Morgenstern et Pizer 2007a : 1). De plus, la culture et surtout les institutions américaines étant nettement spécifiques, on ne pouvait à partir de la seule expérience américaine prédire ce qui se passerait au Québec et au Canada. C’est pourquoi les auteurs du présent ouvrage ont décidé d’étudier les accords volontaires qui avaient été déjà implantés au Québec et au Canada dans d’autres domaines de l’environnement, afin de mieux Introduction 3 comprendre leur dynamique et leur contribution éventuelle aux programmes de réduction des GES au Québec et au Canada. Plus spécifiquement, nous voulions mieux évaluer le cheminement complet des accords volontaires, à partir des raisons de leur choix, jusqu’à l’évaluation de leur performance, afin de mieux évaluer leur contribution éventuelle aux programmes de réduction de gaz à effet de serre (GES) qui s’annoncent dans les années et les décennies à venir, au Québec, au Canada et partout dans le monde. C’est ainsi que nous posions essentiellement trois questions : 1. Pourquoi a-t-on choisi l’instrument accord volontaire (AV) plutôt qu’un autre instrument pour répondre aux questions environne mentales ? 2. Quel jugement portent les acteurs de l’industrie et des milieux gouvernementaux sur l’efficacité et l’efficience des ententes volontaires ? 3. Compte tenu des expériences passées, est-il probable que les accords volontaires soient davantage employés à l’avenir, en particulier dans les programmes de réduction de gaz à effet de serre ? Pour répondre à ces questions nous avons identifié des programmes faisant appel au volontarisme dans le domaine de l’environnement au Québec. Le ministère de l’Environnement du Québec avait pris l’initiative de créer plusieurs accords volontaires avec l’industrie. Nous avons retenu cinq cas : l’aluminium, le programme d’enregistrement volontaire ÉcoGeste et son équivalent canadien, le programme VCR, le recyclage de matières résiduelles et la dépollution du fleuve Saint-Laurent. Chacune de ces expériences sera décrite et évaluée dans les pages qui suivent. Certains programmes impliquent à la fois l’État fédéral canadien et l’État québécois comme le cas du fleuve Saint-Laurent, ou encore le programme québécois est parallèle à un programme canadien comme c’est le cas pour ÉcoGeste. Donc, bien que centrées sur le Québec les études incluent lorsque c’est pertinent l’information sur le Canada. Les leçons tirées de ces expériences nous aideront à mieux comprendre leur potentiel à plus long terme dans les programmes de réduction des gaz à effet de serre (GES). Les programmes de réduction des GES s’étendront sur plusieurs décennies ; le Protocole de Kyoto, que le Canada a signé et que le Québec s’est engagé à respecter, ne constitue qu’une étape dans un long processus. La mise en place de l’ensemble de ces programmes constitue une des tâches les plus complexes entreprises dans l’histoire des politiques 4 Politiques environnementales et accords volontaires publiques. Toute une gamme d’instruments d’intervention seront employés, ce qui permettra d’en apprendre sur leur efficacité. En rapportant des travaux de recherche, le présent ouvrage s’inscrit dans le cadre de cet apprentissage. Les travaux sur lesquels reposent les chapitres du présent ouvrage sont issus d’un programme de recherche dirigé par Jean Mercier et auquel étaient associés les professeurs Olivier Boiral, Jean Crête, Patrick González et Douglas Macdonald, ainsi que les étudiants David Houle, Carole Beaudoin, Aurélie Le Gars, Sonia Chassé, Maude Chabot-Pettigrew et Catlin Patterson. Plusieurs représentants du monde industriel, des ministères et organismes d’État et d’organismes non gouvernementaux (ONG) ont bien voulu participer à cette recherche, soit en assistant à un groupe de discussion, soit en nous accordant des entrevues. Assez tôt dans l’étude nous avons réuni en un groupe de discussion (focus group) des représentants de l’État, de l’industrie, des consultants et les chercheurs associés au projet. Au total 21 personnes se sont rencontrées au cours d’une journée en avril 2006 à l’Université Laval pour discuter du choix et des résultats d’accords volontaires menés au Québec ces dernières années. Pour chacun des cas retenus nous avons aussi réalisé des entrevues semi-dirigées. Toutes les entrevues ont été réalisées au Québec, auprès d’industriels, de représentants du gouvernement (ou de fonctionnaires), d’environnementalistes et de consultants. Au total nous avons effectué 32 entrevues principales qui sont au cœur de ces études de cas ; chaque étude de cas a été complétée par des entrevues ad hoc, parfois menées au téléphone. Notons que notre échantillon de répondants n’est pas composé d’un nombre égal de membres pour chaque catégorie. Toutefois, le total des industriels et des acteurs gouvernementaux est très proche puisque ces deux catégories, qui logiquement sont numériquement les plus importantes, sont composées respectivement de 12 et de 13 répondants. Les environnementalistes sont au nombre de 5 et nous avons aussi interrogé 2 consultants. Les entrevues effectuées en personne ont été enregistrées et transcrites pour être par la suite analysées, selon les besoins des différents chercheurs. L’ouvrage comporte trois grandes parties. La première présente l ’arrière-plan intellectuel sous-jacent à la recherche. Elle compte deux chapitres. L’un présente un panorama des discussions sur la façon de qualifier les accords volontaires comme instruments de politique publique. La littérature pertinente est vaste et le chapitre trace un portrait succinct des divers Introduction 5 classements des instruments selon les approches théoriques. Dans ce premier chapitre l’accord volontaire est examiné comme instrument de la puissance publique. Le second chapitre expose une discussion sur les raisons qui feraient en sorte que l’entreprise, qui cherche à maximiser ses profits, contracterait volontairement des obligations envers l’État en matière d’environnement. Ce chapitre met donc en valeurs les arguments du partenaire relativement à l’accord issu du secteur privé. La deuxième partie de l’ouvrage décrit quatre cas. Chaque cas a ses propres caractéristiques. L’un porte sur les grandes firmes industrielles que sont les alumineries. L’industrie de l’aluminium a une présence très forte au Québec et constitue un des moyens principaux d’exporter de l’électricité avec valeur ajoutée. C’est aussi une industrie lourde directement en compétition avec des établissements répartis partout sur la planète. Comment ces grands industriels abordent-ils l’idée d’accords volontaires et pour faire quoi ? Qu’est-ce qui motivait les agents de l’État à utiliser les AV comme instruments de politique ? Le deuxième cas porte sur deux programmes destinés à encourager les entreprises et les institutions de taille importante à révéler publiquement leur plan de réduction des gaz à effet de serre et à rapporter périodiquement les gains relatifs à ce sujet. Le premier programme a été établi par l’État fédéral, puis le Québec a emboîté le pas en créant le programme ÉcoGESte. Pourquoi le volontariat en cette matière ? Le troisième cas, l’assainissement du fleuve Saint-Laurent, aborde une problématique bien différente. Le problème du nettoyage des grands fleuves n’est pas nouveau. Les cas de la Tamise, nettoyée à partir de l’ère victorienne, et celui de la Rhur sont souvent cités comme des succès de dépollution. La pollution due aux activités humaines n’a jamais atteint dans le Saint- Laurent le niveau de pollution détectée jadis dans la Tamise ou dans la Rhur. Contrairement à la Tamise en Angleterre et à la Rhur en Allemagne, le fleuve Saint-Laurent est très lié à des sources, les Grands Lacs, qui sont hors de la juridiction du Québec. De plus, plusieurs aspects de la gestion du Saint- Laurent relèvent de l’État fédéral canadien. La gestion de ses eaux devient ainsi un problème très complexe. L’étude de cas rapportée ici se concentre sur les activités effectuées sur le territoire québécois. Le quatrième cas nous relate l’histoire de la collecte sélective des matières résiduelles. On y décrit le passage d’un accord volontaire à une règle législative. Pourquoi ce changement ? Comme les auteurs de l’étude le notent, le domaine de la collecte sélective a été étudié tant d’un point de vue théorique qu’empirique, notamment au Québec (voir Guérin, Crête et 6 Politiques environnementales et accords volontaires Mercier 2001 ; Mercier, Crête et Beaudoin 2006). Alors pourquoi avoir d’abord utilisé l’accord volontaire avant de passer à la réglementation ? Enfin, la troisième et dernière partie du présent ouvrage compte deux chapitres. Le premier chapitre de cette partie, soit le chapitre 7, dresse, à travers l’analyse des données d’entrevues, un bilan global des arguments favorables et défavorables aux accords volontaires tels qu’ils sont perçus par les acteurs eux-mêmes. Le chapitre 8, deuxième de cette partie, répond globalement aux trois questions posées au départ. Pourquoi avait-on choisi l’accord volontaire comme instrument de politique publique plutôt qu’un autre instrument ? Quel jugement les acteurs de l’industrie et les décideurs publics portent-ils sur le choix de cet instrument ? Enfin quel avenir peut-on prévoir pour les accords volontaires en matière de réduction des gaz à effet de serre ? Références Guérin, D., J. Crête et J. Mercier (2001). « A Multilevel Analysis of the Determinants of Recycling Behavior in the European Countries », Social Science Research 30, p. 195-218. Jordan, A., R. Wurzel et A. R. Zito (2003). New instruments of environmental governance : national experiences and prospects. London ; Portland, OR, Frank Cass. Mercier, J., J. Crête et C. Beaudoin (2006). « Les politiques de gestion des matières résiduelles : une comparaison Québec-Massachusetts » dans Politiques publiques : Le Québec comparé, J. Crête. Québec, Les Presses de l’Université Laval, p. 205-254. Morgenstern, R. D. et W. A. Pizer (2007a). « Introduction : The challenge of evaluating voluntary programs », dans Reality Check : The nature and performance of voluntary environmental programs in the United States, Europe, and Japan, R. D. Morgenstern et W. A. Pizer. Washington DC, Resources for the Future, p. 1-14. Morgenstern, R. D. et W. A. Pizer, Dir. (2007b). Reality Check : The nature and performance of voluntary environmental programs in the United States, europe, and Japan, Washington DC, Resources for the Future. Partie I L’accord volontaire : théories et concepts Chapitre 1 L’instrument de politique publique Jean Crête – Aurélie Le Gars Introduction L a place relative du « public et du privé » dans les démocraties libérales est l’objet d’un débat constamment renouvelé. Les outils que les gouvernements démocratiquement élus peuvent utiliser pour exercer leur coordination de l’ensemble des activités varient d’un État à l’autre et d’une époque à l’autre (Sur cette question voir Mercier 2002 : 465-482). Au Canada, comme Macdonald (2007) le note, on a d’abord vu le monde des affaires s’opposer à la réglementation environnementale puis, au cours des années 1980, devenir partenaire dans le développement des politiques environnementales pour enfin s’en remettre au volontarisme au cours des années 1990. La rhétorique managériale rassurante des grands groupes industriels donnant alors l’illusion d’une prise en compte rationnelle et rigoureuse des questions environnementales (Boiral 2007 : 292). Pour les analystes de politiques publiques le choix des instruments a d’abord été directement lié à la phase de la mise en œuvre et examiné en lien avec cette phase qui constitue une étape du processus de politique publique ou du cycle de politique, longtemps sous-étudiée. La théorie classique ordonnait le processus de politique en quelques étapes : identification des problèmes, formulation des solutions possibles, légitimation d’un choix de politique, mise en œuvre et évaluation. En effet, on considérait que la mise en œuvre ne posait pas de véritable « problème » et qu’il s’agissait d’ une phase d’exécution purement administrative et technique qui ne concernait plus l’analyse des politiques publiques. Par conséquent, la recherche sur les instruments est longtemps passée sous silence. 10 Partie I – L’accord volontaire : théories et concepts Néanmoins, plusieurs auteurs font remarquer que, dès le début des années 1950, Dahl et Lindblom consacrent un ouvrage aux « techniques politico-économiques » employées par l’État moderne. Puis, au début des années 1960, Kirschen propose une des premières tentatives de classification des instruments de politique économique et identifie alors pas moins de 64 instruments. Cela dit, il faudra attendre une génération pour constater un regain d’intérêt pour ces instruments. En effet, la mise en œuvre est surtout étudiée à partir des années 1970-1980 et à ce moment les instruments font l’objet d’une plus grande attention, surtout à partir des années 1980 (Hood 1986 ; Salamon et Lund 1989 ; Linder et Peters 1998a). L’analyse des instruments relève de différentes disciplines : économie, droit, administration publique, analyse des politiques publiques. Chaque perspective disciplinaire suscite une approche différente et des questionnements divers, voire des postures normatives ou prescriptives différentes. Les économistes auront ainsi tendance à recommander l’usage des instruments de marché (accent mis sur l’efficacité de l’instrument) ; les juristes, les instruments comme la loi et le règlement (légalité de l’instrument) ; les politologues, s’ils ont une position normative, suggéreront l’instrument le plus légitime (légitimité de l’instrument). La notion d’instruments se caractérise par une absence manifeste de consensus qu’il s’agisse du terme même servant à désigner l’objet d’étude (on parle ainsi de « governing instrument » (Trebilcock 2005), de « policy tool » (Salamon et Elliott 2002), de « policy instrument » (Majone 1976 ; Howlett et Ramesh 1993), et même de « transaction governance mecanism » (Bryson et Ring 1990), ou plus largement de la définition à donner à cet objet de recherche. Quoiqu’il n’y ait pas de définition universellement acceptée de ce qu’est un instrument de politique, tous les essais de définition renvoient à au moins trois termes : les instruments sont (1) des moyens utilisés (2) par l’autorité politique (l’État) (3) pour allouer les valeurs dans la société.Les valeurs sont toutes ces choses auxquelles la société accorde justement de la valeur. L’État alloue ces valeurs en les distribuant aux uns ou en les enlevant aux autres. L’absence de consensus dont on parle ici porte sur la définition fine de ce qu’est un outil de politique et cette absence de consensus laisse présager des orientations de recherche différentes et des cadres théoriques diversifiés. Toutefois, si certaines formes de gestion interne des activités de l’État (gestion des ressources humaines, techniques de gestion concernant le budget) sont parfois considérées comme des types d’instruments, l’analyse des politiques publiques s’intéresse, pour l’essentiel, aux instruments externes, mettant en lien le gouvernement et son environnement. La Chapitre 1 – L’instrument de politique publique 11 l ittérature sur les instruments de politique publique s’est essentiellement concentrée sur deux questions de recherche. La première question a trait à la classification considérée comme préalable indispensable à toute discussion ou recherche sur les instruments. Elle propose d’identifier et de cerner la panoplie des objets de recherche dont il est question. Comme le soulignent Lascoumes et Le Galès : « Toute analyse des instruments a du mal à échapper à la tentation de s’achever [nous ajouterions « de débuter avec »] sur une typologie. » (2004 : 359).Les typologies des instruments sont donc très nombreuses (Hood 1986 ; Woodside 1986 ; Doern et Phidd 1992 ; Howlett et Ramesh 1995 ; Lascoumes et Galès 2004 ; Howlett 2005). Linder et Peters (1989 : 42-43) expliquent les raisons pour lesquelles la littérature ne parvient pas à une typologie de consensus. En premier lieu, les mêmes instruments sont parfois désignés sous des vocables différents. C’est aussi ce que Lascoumes et Le Galès mentionnent en faisant référence au phénomène de « recyclage d’instruments », à la « nouveauté instrumentale » où l’innovation revendiquée tient plus souvent de la gestuelle politique. Inversement, un même instrument de politique peut être utilisé de façon très différente par des gouvernements différents (Hood 1986) ; d’où un véritable problème d’identification de l’instrument. Ensuite, rares sont les instruments qui renvoient à une seule fonction, qui ne servent qu’un seul objectif. Les instruments ont des fonctions implicites et explicites (ex. : le soutien aux prix agricoles est une assurance contre les mauvaises récoltes ou un instrument de transfert de revenu). Enfin, une apparente différence entre instruments peut provenir davantage de différences entre les niveaux d’opérationnalisation et l’ampleur des résultats attendus que de véritables différences de fonctionnement. Deux instruments peuvent représenter le même mécanisme, appartenir à un même ensemble d’instruments alors que leur « niveau de généralité » est différent. Par conséquent, un problème se pose avec ces typologies, car les catégories identifiées ne sont ni exhaustives ni mutuellement exclusives (Van Nipsen 1998). Le choix de l’instrument demeure toutefois la question centrale autour de laquelle se cristallisent les recherches et les débats et avec elle évidemment la question de savoir si les décideurs font le ou les « bons » choix d’instrument, c’est-à-dire celui de l’instrument idéal pour résoudre le problème. Un tel questionnement introduit la délicate problématique de savoir s’il est possible d’identifier objectivement l’instrument adéquat à la résolution d’un problème de politique publique ou si une telle ambition est 12 Partie I – L’accord volontaire : théories et concepts toujours empreinte de normativisme ? C’est finalement là que se situe le nœud gordien de la recherche sur les instruments. La discussion portant sur la sélection des instruments est donc traversée par un débat concernant la neutralité et la substituabilité des instruments. La question se pose de savoir si la métaphore de la « boîte à outils » peut satisfaire l’analyse des politiques publiques et si les décideurs ont toujours la possibilité d’opérer un choix, fut-il éclairé ou non, entre différentes options techniques qui s’offrent à eux. Il semble que certains auteurs de politique publique présentent depuis quelques années une approche alternative à la rationalité pure hors contexte et à l’optimalité du choix de l’instrument, soulignant davantage les contraintes imposées par le contexte, ce dernier étant défini de différentes manières. En somme, comme toutes les questions de politique publique, celle des instruments ne saurait échapper aux controverses théoriques, voire épistémologiques. Les accords volontaires dont il est question dans le présent ouvrage sont un instrument particulier qui s’inscrit dans un bouquet d’instruments. Les quelques pages qui suivent visent ainsi à remettre en perspective la trajectoire suivie par la littérature sur le choix de l’instrument des politiques publiques en soulignant notamment comment les limites du modèle instrumental, soulevées par les analystes, incitent ces derniers à proposer une explication plus « politique », c’est-à-dire une explication qui tient explicitement compte de l’allocation des valeurs dans le contexte social et pas seulement de l’adéquation de l’instrument au contexte. 1. Les approches instrumentales Une première catégorie d’explications vient de l’idée que le choix de l’instrument relève davantage de questions techniques, notamment des techniques administratives. Pour certains auteurs, le choix de l’instrument semble finalement secondaire. Il relève d’une simple question de technique de mise en œuvre. Elle ne fait pas débat, ne soulève pas de questions de recherche particulière. On peut alors réduire l’approche instrumentale à une simple métaphore qui transforme les intentions (objectifs) politiques en actions (actes) administratives (Ringeling 2005). C’est d’ailleurs ce qui explique largement que cette question (comme celle de la mise en œuvre de laquelle elle dépend) ait longtemps été mise en sourdine par l’analyse des politiques publiques. Une telle approche, comme le remarquent Lascoumes et Valluy (1996 : 563), se fonde sur un « modèle linéaire » et « comporte un certain nombre de contraintes logiques dont celles de l’antériorité de la décision et, corrélativement, celle de la neutralité de l’instrument ». La Chapitre 1 – L’instrument de politique publique 13 notion d’antériorité de la décision signifie que les objectifs de la politique sont nécessairement clairement identifiés et définis avant la mise en œuvre. Fondamentalement, les auteurs qui s’inscrivent dans le courant instrumental (ou techniciste) s’intéressent à l’adéquation entre les buts et les moyens. Le choix de l’instrument s’effectue à la lumière d’un calcul rationnel. La rationalité technique prévaut. Les éléments et variables non contraignants du contexte sont quasi ou totalement absents de la réflexion qui guide le choix. Le modèle se calque sur une vision hiérarchique de la prise de décision : le centre décide des priorités des objectifs et des moyens pour y parvenir. Comme cela a déjà été dit, les objectifs sont décidés antérieurement et indépendamment des instruments sélectionnés. L’étalon de référence pour mesurer le degré de pertinence de l’instrument et donc qui guide le choix de l’instrument devient l’efficacité, c’est-à-dire comment l’instrument permet de satisfaire les objectifs fixés par le politique. Suivant cette perspective, les possibilités de choix d’instruments sont illimitées ou ne sont limitées que par les objectifs fixés. On trouve cette perspective instrumentale au sein de plusieurs disciplines : économie, droit, administration publique, analyse des politiques publiques. L’économie est largement considérée, et à juste titre, comme la discipline ayant le plus analysé la question des instruments sous cet angle de l’efficacité. Howlett et Ramesh (1993) soulignent que dans cette littérature, le point de rupture à l’origine du débat entre économistes néoclassiques et défenseurs de l’État providence, est essentiellement la question de l’efficacité de l’intervention de l’État. Aussi, pour ceux qui s’intéressent à la question des instruments, le choix de l’instrument est le plus souvent perçu comme un exercice strictement technique, consistant à évaluer les caractéristiques respectives des divers instruments, à les accorder à certains types de défaillances du marché, à estimer leurs coûts relatifs, à choisir l’instrument le plus à même de résoudre de façon efficiente la défaillance de marché en question. Dans le domaine de l’analyse des politiques publiques, cette tendance instrumentale soutient également qu’il est possible pour un décideur ou un analyste de connaître les caractéristiques propres d’un instrument ; son efficacité est soit prouvée soit fortement présumée, voire affirmée de façon idéologique. On s’attend à ce qu’il produise tels ou tels effets dans telle ou telle circonstances. En d’autres termes, la nature de l’instrument structure le cours du processus politique. Salamon et Lund (1989 : 28) expriment clairement cette approche également qualifiée de classique : 14 Partie I – L’accord volontaire : théories et concepts [The tools approach] assumes that each of these devices has a characteristic set of basic features and an associated array of likely consequences wherever it is applied (…) the choice of a tool is thus assumed to impart a certain “ spin ” to program operations that increases the likelihood of particular results. L’analyse a donc pour but de déterminer les traits et les caractéristiques des instruments dans l’espoir de fonder une grande théorie des instruments et de leurs applications qui informerait le praticien des performances de chaque instrument suivant les contraintes qui se posent à lui. Par conséquent, cette perspective instrumentale revendique sa pertinence pour la praxis. L’ambition affirmée d’Elmore (1987 : 174) est bien de produire une analyse de politique publique qui s’attache à trouver des solutions qui fonctionnent, (workable solutions), tant sur le plan politique qu’opérationnel. As science and engineering, policy analysis focuses mainly on the prediction and creation of strong causal links between the instruments that policy makers have available to them and the effects they are trying to create. Le succès et la popularité de cette approche instrumentale au sein de plusieurs disciplines s’expliquent largement par ce lien entretenu et préservé avec la pratique. Tout d’abord, cette approche s’est diffusée au sein de disciplines où les liens entre les chercheurs universitaires et les praticiens sont toujours étroits (de Bruijn et Hufen 1998 : 12). La popularité de cette orientation instrumentale s’explique également par la nécessité de produire un savoir pratique dans les organisations gouvernementales devant l’expansion des obligations et la complexité croissante des problèmes de mise en œuvre (développement des sciences sociales parallèle au développement de l’État providence). Les fonctionnaires et décideurs publics expriment toujours leurs difficultés à évaluer les mérites relatifs des instruments qui sont à leur disposition, et considèrent qu’il faut produire davantage de savoir en ce qui concerne notamment l’efficacité de certains instruments innovants ou de certaines combinaisons d’instruments (Eliadis et coll., 2005 : 7). Par ailleurs, cette approche instrumentale a longtemps bénéficié de soutiens politiques et idéologiques, à l’instar du soutien de certains économistes pour la privatisation, soutenu par le courant néolibéral. Enfin, les auteurs font remarquer un attachement disciplinaire à certains types d’instruments : si les économistes prônent en général le recours aux instruments de marché (taxes, permis négociables), les juristes, quant à eux, recommandent plutôt les instruments de nature légale (lois, règlements, contrats). Il est possible de rattacher à l’approche instrumentale, une autre forme de modèle rationnel davantage emprunté cette fois au courant du Public Choice. Dans cette perspective, le choix de l’instrument est dicté par la Chapitre 1 – L’instrument de politique publique 15 recherche de la satisfaction des intérêts des décideurs. Dans l’ouvrage, The Choice of Governing Instrument,Trebilcock et Hartle (1982) postulent que ce sont les considérations électorales des décideurs qui influencent le plus le choix des instruments, et en l’occurrence au Canada, qui expliquent le plus le recours à la réglementation. Leur cadre d’analyse peut se résumer en trois points : 1. Les « outils » dont les gouvernements disposent dans leur boîte à outils ne sont pas tous égaux. Cela impose au gouvernement d’effectuer un choix. S’ils soutiennent que les instruments sont en principe substituables entre eux et complémentaires, ils affirment aussi qu’une fois que le gouvernement a fixé ses objectifs il se doit de choisir l’instrument le plus approprié (on voit bien ici le lien avec l’approche instrumentale). 2. Ensuite, le politicien est rationnel, il choisit donc un instrument qui lui permet de diriger les bénéfices sur un groupe d’électeurs spécifiques, tout en faisant en sorte de faire porter les coûts de façon diffuse à l’ensemble de la population. Ce faisant, les décideurs tentent de maximiser leur utilité, ce qui peut se traduire par la volonté de se faire réélire. En mettant l’accent sur la rationalité politique des politiciens, et en faisant ainsi écho aux travaux de Downs (1957) et de Stigler (1971), cette grille de lecture peut être rattachée au Public Choice. 3. Enfin, le processus conduisant au choix final implique une série de jeux d’interactions qui concernent les politiciens, les bureaucrates et les groupes de pression. Mais même dans ce jeu, le facteur dominant expliquant le recours massif à la réglementation au Canada demeure celui de la réélection des politiciens. En un mot, les enjeux politiques sont largement plus présents que dans les modèles précédents épurés de toute dimension politique. Dans une même perspective empruntée au Public Choice, l’économiste Stigler avait tenté, dès 1971, d’expliquer pourquoi certains groupes économiques, en particulier l’industrie, pouvaient réclamer auprès de l’État le recours à un instrument apparemment coercitif comme la réglementation. Stigler postule que certains groupes économiques restreints sont capables d’améliorer leur statut économique en utilisant les ressources et les pouvoirs publics et en réclamant la réglementation. Comme il l’écrit : « Regulation may be actively sought by an industry, or it may thrust upon it. A central thesis […] is that, as a rule, regulation is acquired by the industry and is designed and operated primarily for its benefits. » (Stigler 1971 : 3) Stigler 16 Partie I – L’accord volontaire : théories et concepts fait en particulier l’hypothèse que cela s’explique notamment par la volonté de certaines industries d’écarter les nouveaux entrants dans leur marché : la réglementation agit alors comme une barrière à l’entrée du marché. Il formule donc une théorie de la demande de réglementation qui, selon lui, a pour tâche d’expliquer qui sont les bénéficiaires ou à l’inverse ceux qui devront soutenir le poids de la réglementation, quelle forme prendra la réglementation et quels seront ses effets sur l’allocation des ressources. Le modèle instrumental ou rationnel a été critiqué sous plus d’un aspect. En premier lieu, le contexte ne permet pas une information aussi parfaite que le suggère le modèle, car des contraintes légales réduisent l’éventail de choix des instruments (Atkinson et Nigol 1989). Il faut apporter certaines atténuations au principe qui voudrait que tous les décideurs aient, à tout moment et pour tous les problèmes, une large gamme d’instruments. En second lieu, Woodside (1986) soutient que si un lien entre les élections et les politiques a été suggéré, il n’a pas été clairement établi. En outre, la distribution des bénéfices et la répartition des coûts ne sont pas toujours aussi aisées à manipuler contrairement à ce que suppose le modèle. De surcroît, les politiciens (décideurs) ne sont pas les seuls acteurs de la politique. En troisième lieu, le modèle occulte l’importance des traditions qui existent quant à l’utilisation de certains instruments dans certains domaines (idée proche du gradualisme et des chemins de dépendance). Un autre reproche qui peut être adressé à cette approche est qu’elle ne semble pas établir clairement de lien entre le choix de l’instrument et la nature du problème en jeu. Or, il semble que cette connexion soit justement l’une des clés qui permettent d’expliquer la dynamique au cœur de laquelle s’effectue la sélection de l’instrument. De façon tout aussi surprenante, et contrairement à l’approche instrumentale « techniciste », la notion d’efficacité n’est nullement et à aucun moment prise en compte dans cette approche du Public Choice. 1.1 Les critiques formulées contre l’approche instrumentale en général Comme on peut s’en douter, la plupart des auteurs qui viendront par la suite fondent leurs théories de rechange sur les insatisfactions suscitées par la lecture de ce modèle instrumental et rationnel. Howlett (2005 : 32) mentionne en particulier deux problèmes : une vision trompeuse identifiant le choix de l’instrument à une question technique, trop centrée sur un seul instrument et une tendance à tomber dans le manichéisme, à qualifier de « bons » (versus « mauvais »), les instruments qui correspondent davantage Chapitre 1 – L’instrument de politique publique 17 aux attachements professionnels ou idéologiques. (ex. : les économistes et les « good pro-market choices »). Ringeling (2005 : 191) fait remarquer également certaines limites de ce modèle. Ainsi, si l’optimisation et l’efficacité étaient les seuls facteurs expliquant le choix de l’instrument, comment peut-on expliquer que différents pays choisissent des instruments différents pour résoudre un même problème de politique publique ? C’est bien entendu que d’autres facteurs (contextuels et politiques) interviennent dans ce processus. Ainsi, pour les politiques environnementales, il note que certains pays parviennent à de bons résultats avec des permis quand d’autres les atteignent par les redevances. De plus, il n’est pas facile d’évaluer avec certitude si les effets environnementaux sont vraiment le fait d’un instrument particulier mis en œuvre, ou si d’autres paramètres ont joué (subventions ou accords volontaires versus Business as Usual). Un problème théorique se pose également, car on compare en fait les effets pratiques observés d’un instrument avec des effets supposés, théoriques, qui par essence ne peuvent s’observer et demeurent hypothétiques. Enfin, en pratique, on ne trouve pas les instruments dans une forme pure ; ils sont toujours plus ou moins mis en œuvre avec d’autres instruments qui interagissent. Comment, encore une fois, être certain de pouvoir isoler l’effet d’un instrument particulier. Van Nispen et Ringeling (Van Nipsen 1998 : 209-212 ; Ringeling 2005) ajoutent leur pierre à l’édifice de la critique en soulignant que les gouvernements ne disposent pas de coffre à outils à partir duquel les décideurs sélectionnent librement l’instrument de leur choix. Une des meilleures preuves serait la difficulté à identifier les instruments en question dans une typologie acceptée universellement (approche synoptique versus approche gradualiste). L’approche instrumentale conviendrait davantage à un environnement stable mais trouverait difficilement à s’appliquer dans un contexte plus mouvant et fluide. L’approche instrumentale ignore le caractère dynamique de la relation entre les buts et les moyens. Elle considère les buts fixés une fois pour toutes alors qu’un processus est en marche où se succèdent les objectifs. Ils rappellent que la sélection de l’instrument relève parfois bien plus du muddling through, c’est-à-dire de l’approche gradualiste ; il est parfois plus facile de s’accorder sur les moyens que sur les objectifs, et de passer ainsi sous silence les objectifs. Ils ajoutent que la vision d’un État dominant, au centre du processus décisionnel, seule source d’autorité, appliquant les décisions de façon hiérarchique, présente aujourd’hui un caractère mécaniste trop éloigné de la réalité, qui ne convient guère au monde des réseaux et de la gouvernance qui dominent le paysage de l’analyse des politiques publiques. Enfin, la métaphore instrumentale conduit à 18 Partie I – L’accord volontaire : théories et concepts trois autres visions erronées : a) elle considère les instruments comme « neutres » et les prive de tout caractère politique ; b) l’efficacité devient le seul étalon de référence pour l’évaluation et l’utilisation des instruments, or, il n’existe pas toujours d’évaluation précise de la situation ex ante pour la comparer justement avec la situation ex post ; c) elle suppose que les décideurs ont un contrôle entier et absolu sur les instruments, or, ils peuvent devenir les victimes de leurs instruments. Majone pour sa part (1976 ; 1989) avait déjà mis en lumière certains problèmes de l’approche instrumentale, en soutenant que l’idée répandue chez les tenants de l’approche instrumentale, selon laquelle les régulations seraient particulièrement soumises aux pressions politiques alors que les instruments de type économique ne le seraient pas est tout simplement erronée. Ainsi, l’on ne peut pas accréditer la thèse de l’approche instrumentale selon laquelle les instruments sont dotés de qualités et de caractéristiques intrinsèques, car ce qui compte davantage, c’est bien le contexte dans lequel les instruments sont mis en œuvre. Les instruments ne peuvent pas être clairement isolés des objectifs poursuivis. Plutôt que d’essayer de créer des catégories exclusives Doern et Phidd (1992) ont proposé d’examiner les instruments selon leur degré de coercition. Les instruments peuvent être classés le long d’un continuum allant du plus au moins coercitif. La notion de coercition constitue de façon indéniable un élément pertinent dont nombre d’études sur les instruments ne peuvent se passer. Il sert souvent d’indicateur discriminant entre les différents types d’instruments. Dans une certaine mesure, ils admettent implicitement la notion d’essai et erreur en faisant l’hypothèse que les gouvernements passent d’un instrument moins coercitif à un autre, plus coercitif, lorsque le premier a fait preuve de son inefficacité. Les facteurs contextuels n’apparaissent pas être véritablement des éléments centraux de la réflexion qui semble se dérouler de façon abstraite dans le cadre d’une démocratie libérale. On doit tout de même concéder que Doern et ses coauteurs introduisent une dimension historique aux choix des instruments et constatent que les « dépenses » ont surtout caractérisé l’après-Seconde Guerre mondiale, alors que les taxes et la régulation se sont plus particulièrement développées dans les années 1970. 1.2 Les limites du modèle de la coercition Ce modèle de la coercition a été remis en cause, notamment par les tenants d’une approche s’apparentant à la théorie du choix rationnel. Ces derniers pointent du doigt la notion de coercition, car ils ne la jugent pas très Chapitre 1 – L’instrument de politique publique 19 claire. Selon ceux-ci, le fait de qualifier a priori un instrument de relativement plus ou moins coercitif relève finalement de considérations subjectives. D’autres critiques font remarquer qu’aucun gouvernement ne dispose de la totalité des instruments : les contraintes politiques et sociales favorisent ou empêchent certains choix d’instruments. De même, on reproche à Doern de ne pas véritablement expliquer ce qui conduit les décideurs à se déplacer sur le continuum de façon à commencer par un instrument moins coercitif. L’idée qui sous-tend l’hypothèse défendue par Doern est vraisemblablement que l’État doit intervenir le moins possible et ne pas créer de distorsion dans un marché concurrentiel (MacDonald 2000). Cependant, les exemples abondent qui témoignent, au contraire, de ce que les décideurs choisissent d’emblée un instrument jugé a priori assez ou même très coercitif. K. Woodside (1986), tenant compte de ces critiques, apporte quelques nuances très pertinentes à cette notion de coercition en soulignant que le degré de coercition n’est pas inhérent à l’instrument en soi, mais dépend plutôt de la façon dont il est employé, car tous les instruments sont en eux même plus ou moins coercitifs. En outre, il propose une hypothèse selon laquelle le degré de coercition de l’instrument dépend du groupe cible. S’inscrivant dans la lignée de Lindblom, il remarque que les gouvernements seront plus enclins à utiliser des instruments moins coercitifs pour ménager leur relation avec les groupes puissants et bien organisés de la société, notamment les grandes industries. Peu à peu, il apparaît donc que le choix de l’instrument n’est plus seulement considéré comme une affaire technique, c’est une question politique. Le choix des instruments n’est pas seulement conditionné par les variables structurales. Dans ce contexte, il apparaît de plus en plus difficile de faire l’économie d’une réflexion sur les facteurs, contextuels, institutionnels et cognitifs. Les paramètres institutionnels constituent justement la particularité commune d’une deuxième catégorie d’approches. En même temps, il reste à déterminer ce que chacune de ces approches entend par la notion de facteurs institutionnels, car c’est aussi là ce qui permet de les distinguer entre elles. 20 Partie I – L’accord volontaire : théories et concepts 2.Approches à dominante institutionnelle 2.1 L’approche contingente : la prise en compte du contexte L’approche contingente, également désignée par Bagchus sous le terme refined instrumentalism, propose une grille d’analyse qui tente de faire le lien entre l’instrument et le contexte dans lequel cet instrument est mis en œuvre et soutient qu’un instrument est efficient lorsqu’il répond aux caractéristiques de ce contexte. En somme, les effets des instruments ne résultent pas d’eux seuls mais de leurs combinaisons et interactions avec les éléments du contexte. Bagchus (1998) considère ainsi que l’« instrumentalisme révisé » souligne la performance de l’instrument lorsqu’il y a adéquation entre quatre éléments : les caractéristiques de l’instrument, les caractéristiques du contexte, les objectifs, le problème voire le domaine de politique et les caractéristiques du public cible. La notion de « contexte » est donc au cœur de l’approche contingente, cependant elle est parfois délicate à appréhender et peut donc s’avérer problématique si elle n’est pas suffisamment définie. Elle semble pouvoir renvoyer à plusieurs choses. Pour Linder et Peters (1989), le contexte peut renvoyer : au cadre institutionnel, organisationnel (en particulier au contexte culturel national, à l’organisation chargée de la mise en œuvre) ; au problème de politique publique à résoudre ; aux circonstances et à la temporalité particulières (notamment le contexte historique). Peut vraisemblablement être rangé dans cette catégorie d’approche contingente, le modèle proposé par C. Hood (1984) très souvent cité et référencé (Howlett et Ramesh 1993 ; Lascoumes et Galès 2004 ; Howlett 2005 ; Linder et Peters 1989). Il ne considère pas le choix de l’instrument comme un pur exercice technique, mais comme une affaire politique (a matter of faith and politics), le choix de l’instrument est une décision politique qui révèle la nature de la relation entre gouvernants et gouvernés. Pour Hood (1986 :118-120 ; 141-143), le choix dépend des ressources dont dispose le gouvernement, de la nature de la tâche, des contraintes légales et des pressions politiques et des leçons tirées des erreurs passées. Il ajoute que le changement technologique peut éroder l’utilité d’un vieil instrument et conduire à l’application de nouveaux instruments. De même, Woodside (1986 : 786) propose un modèle de type contingent dans la mesure où il considère que, pour expliquer le choix de l’instrument, il faut prendre en compte : la constitution et la substance du groupe cible ; les circonstances dans lesquelles le problème est apparu ; la nature du problème. Il ajoute : « The range of politically tenable choices from among the possible Chapitre 1 – L’instrument de politique publique 21 policy instruments [vary] in response to ideological trends, the pressure of crisis conditions and concerns about their budgetary implications. » 2.2 Évaluation critique de l’approche contingente Dans une certaine mesure l’approche contingente est encore largement tributaire ou héritière de l’approche instrumentale puisque la recherche d’efficacité n’est pas totalement écartée et qu’elle répond encore à un raisonnement d’appariement optimal ou optimal fit. Les deux sont enclines à proposer un modèle de politique technocratique. Toutefois, les tenants de cette approche considèrent que les instruments sont ou devraient être choisis en fonction de leur performance à satisfaire les exigences requises par le cadre entier dans lequel se pose le problème. Alors que la perspective instrumentale avait tendance à considérer qu’un instrument était bon ou efficace en soi, ou par rapport à l’objectif fixé par le décideur, dans la perspective contingente, un instrument est bon ou efficace pour autant qu’il est adapté au contexte. Par conséquent, en s’intéressant au contexte, l’approche contingente introduit la prise en compte des facteurs institutionnels, ce qui semble fonder la caractéristique première de tout un ensemble d’approches qui ouvrent la voie à des approches de rechange beaucoup plus radicales, y compris sur le plan épistémologique. Toutefois et malgré les indéniables progrès du raisonnement contingent, il rencontre au moins trois écueils. D’une part, déterminer l’instrument adéquat en fonction des contingences est un exercice difficile : saisir et déterminer les conditions du contexte est d’autant plus difficile qu’elles ne sont pas toujours fixes, elles peuvent être mouvantes. Ce qu’il faut, c’est donc saisir la dynamique et l’évolution des conditions qui forment le contexte (en quelque sorte la cible est mouvante, il est difficile d’ajuster constamment le tir). D’autre part, chaque acteur interprète différemment ces faits qui forment le contexte ; aussi n’est-il pas évident de s’accorder sur une définition exacte de ce qu’est le contexte. Enfin, faire le lien entre les caractéristiques de l’instrument et ses effets n’est pas évident non plus : comment être certain que l’efficacité de l’instrument est réellement due aux caractéristiques de l’instrument et pas à d’autres facteurs ? Comment évaluer un accord volontaire du Business as Usual ? Notons que cette dernière critique valait également pour l’approche rationnelle.