lire un extrait - La Librairie de la Toile
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CHAPITRE I Le dernier rayon de lune éclairant la chambre d’une lumière argentée ressemblait à un soleil par sa luminosité éclatante. Le docteur Alain Nault ne dormait guère et ce fût avec soulagement qu’il accueillit les premières lueurs de l’aube. La nuit pour lui, signifiait le retour d’affres insupportable. Allongé sur un lit d’hôpital depuis plusieurs semaines, Alain n’était plus que l’ombre de lui-même. Pourtant, son esprit emmuré refusait de rejoindre les limbes. Son regard voilé était en lutte constante pour rompre le brouillard qui l’emmêlait dans sa tête pour de ne pas perdre toute notion du réel. Un état de choc l’avait plongé dans un degré de souffrance de séparation entre son corps et son esprit. Il espérait jour après jour que la lumière du ciel dissiperait les inquiétudes provoquées par l’angoisse et la douleur de ses sens impuissants refusant d’obéir à sa volonté. Le soleil plombait à présent sur son lit. La clarté jaillissante répandait une douce lumière dans la pièce. Elle faisait étinceler la blancheur immaculée de ses draps pour se confondre avec certitude sur la peau du docteur Nault. Son visage était d’une pâleur de cire, étrangement anguleux, des yeux cernés n’exprimant plus la vie. Il avait une mine épouvantable. Malgré la chaleur ressentie sur sa peau, une sensation de froid lui étreignait le cœur. Il était devenu le fardeau de son existence. L’avenir semblait bien sombre… Ne souffrant d’aucun mal apparent, mis à part le mutisme profond de son esprit, les médecins spécialistes l’avaient recommandé vers l’aile psychiatrique. Six mois plus tôt, le docteur Nault, à l’aube de ses quarante ans, était considéré comme l’un des meilleurs médecins de son unité médicale. Caressant le rêve de sauver les démunis d’un pays digne de carte postale, il opta pour le Tiers-Monde. Ainsi l’Afrique vu son plus grand souhait prendre forme. Ce fut donc à la fois résolu et excité, que le médecin sans frontière mit les pieds sur la piste au bout de laquelle son avion venait de se poser. Il accueillit avec bonheur ce sentiment de total dépaysement. Des hommes aux grands yeux noirs l’entourèrent immédiatement. Deux porteurs le suivirent. Ils étaient chargés de ses bagages. Alain posa sa trousse médicale sur le sol et se prépara à une longue attente sous le soleil de plomb. Il était déjà en nage malgré ses vêtements légers. Un vent chaud soufflait de la poussière dans l’air. De temps à autre, une touffe d’arbustes roulait sur le sol pour se planter en travers des pieds du nouvel arrivant. Des militaires s’entremêlaient avec des civils à l’aéroport. Au moment où une goutte d’eau perla sur ses lèvres, un vieillard s’approcha de lui. Il joignit ses mains l’une contre l’autre en se recourbant vers l’avant. — Bien bonjour, Monsieur docteur ! Voici votre carrosse. Alain rendit la politesse à cet homme ridé avec tout sourire, deux affreuses dents dans la bouche. Un éléphant se retrouvait devant le docteur impressionné. On porta les bagages sur l’éléphanteau qui suivait sa mère partout. En route sous le ciel indigo, Alain s’adonna à réfléchir sur ce voyage qui représentait la chance de sa vie. Il était responsable de plusieurs villages traditionnels de l’intérieur des terres. La fatigue mélangée à la joie lui laissa le temps d’admirer le paysage qui défilait devant ses yeux éblouis. La végétation était exubérante lorsqu’ils traversèrent une route au travers la forêt tropicale. Les branches des arbres se touchaient, formant une voûte de feuillages qui arrêtait les rayons du soleil et créant ainsi une atmosphère étrange. Le chemin s’enfonçait parfois si profondément dans la forêt que le docteur ne voyait plus autour de lui que les hautes murailles de verdures et d’immenses arbres qui cachaient le ciel. — Le paradis, murmura le docteur en voyant les bordures de cocotiers aligner leurs palmes vers les somptueuses fleurs écarlates. Elles se déployaient toutes dans le même sens. Un peu plus loin, il y avait aussi des fleurs bleues et violettes qui enveloppaient les arbres par leurs magnifiques couleurs éclatantes. Alain respirait la douceur du parfum de l’Afrique. Caché au milieu de cette immensité sauvage se trouvait le village ou le médecin sans frontière irait se présenter au Chef du village. La nature plaisante de sa mission lui suffisait à aimer l’attrait de son aventure. Une envolée d’oiseaux lui fit voir son village situé tout près. En regardant les villageois venir à sa rencontre, il prit le temps de regarder le spectacle de ce monde mystérieux et fascinant à la fois. Pendant presque une heure, les gens du village virent l’accueillir avec chaleur et enthousiasme pour lui souhaiter la bienvenue. Au dernier rayon du soleil, tout le monde se dirigea vers la rivière pour le bain du soir. Des millions de feux scintillaient sur la nappe d’eau accompagnée d’éclats de rire des villageois qui n’exigeaient pas grand-chose pour être heureux. Après le repas, des danses traditionnelles s’exécutèrent joyeusement. Pieds nus, les hommes et les femmes dansaient empreints de grâce et d’harmonie. Le spectacle était richement exécuté et plein d’entrain. Le médecin sans frontière était le plus heureux des hommes avec cet accueil chaleureux. Il alla dormir dans sa hutte faite à partir de bambou et de terre séchée. Le chant d’oiseaux près de la hutte réveilla Alain à l’aube. Par le hublot, il regarda le soleil qui ne tardait pas à dissiper la brume matinale et à cogner très fort sur ses habitants. Les repas étaient préparés et servis par une habitante du village. Une femme entra dans la hutte. Ses paupières lourdes tombaient à demi sur ses yeux bombés, légèrement bridés. Un profil aquilin et d’épaisses boucles noires flottaient autour de son visage. De taille moyenne, elle possédait une personnalité évidente. — Je suis Ursule. Je serai également votre assistante, annonça-t-elle avec un sourire en posant un plateau sur la table de bois à tout faire. Puis, elle s’affaira à ranger les vêtements dans la penderie sans porte. Le docteur Nault entreprit sa longue journée en invitant ses patients dans son humble hutte. Rien ne l’étonna lorsqu’il vu une longue file d’attente se mettre en branle devant le rideau qui servait de porte. Un regard jeté à l’extérieur ne put faire qu’admirer la patience de toutes ces personnes qui ne craignaient pas le soleil de plomb. Son regard ne put échapper un peu plus loin à la vue d’une terre rouge qui n’en finissait plus de se perdre dans la nature luxuriante. Parfois, des arbres longs et cassants soumis trop près du soleil ornait le paysage faisant état que la nature était loin d’être parfaite. La couleur du ciel prenait une place importante dans ce coin de paradis avec son éclat d’un bleu profond sans aucun nuage pour entacher sa perfection. De temps à autre, un enfant indiscret s’approchait pour regarder derrière le rideau. La curiosité de la venue d’un homme blanc dans ce village faisait beaucoup jaser. Ainsi, la nouvelle s’était déjà répandue de l’est à l’ouest, puis du nord au sud. « Un médecin étranger était venu soigner les corps malades », ce qui ne manqua pas d’augmenter la longueur des journées du médecin sans frontière. Il fallait s’en attendre, le premier jour de labeur ne fut pas du tout banal. Le docteur reçut son premier patient : un homme de race blanche assez fortuné venu s’installer sur une Concession voisine, afin d’exploiter une petite entreprise de diamants. Son épouse, une femme de petite taille, était dans tous ses états lorsqu’elle parla : — Il est dans cette situation depuis neuf jours. Je ne peux pas le transporter à l’hôpital, je ne sais pas conduire l’automobile. De plus, mon chauffeur a disparu. J’ai dû traîner mon mari à dos d’éléphant jusqu’à vous. L’homme était allongé sur un brancard. Un visage pâli, étrange même, avec cette expression demeurée sur ses lèvres. Un peu comme s’il voulait transmettre un message demeuré coincé dans sa bouche. Des cheveux roux sur un visage allongé lui offraient un air maigrichon. Le docteur Nault s’empressa de lui faire un examen minutieux. Il dut conclure : — Votre mari est victime d’une embolie cérébrale, Madame Juno. Je suis désolé. La dame passa une main lasse dans ses cheveux blonds dorés par le soleil. Des larmes brillaient au bord de ses yeux bleus. Aussitôt, ses taches de rousseurs furent couvertes par des pleurs : — J’espère que mes larmes serviront d’eau pour arroser les vignes pour que mes enfants puissent continuer de manger… Je suis perdue sans mon mari. — Conduisez votre mari à dos d’éléphant à l’hôpital le plus près, Madame Juno. — Non, je ne peux pas. La loi interdit de sortir les éléphants de la jungle vers la ville. Le docteur dut orienter sa décision pour venir en aide à cette femme désemparée. — Je vais le garder en observation dans ma hutte. Je lui prodiguerai tous les soins médicaux nécessaires qui sont en ma capacité en attente du retour de votre chauffeur. Madame Juno se jeta sans réfléchir entre les bras de son sauveur pour le remercier. Elle pleura de joie cette fois. Deux hommes musclés entreprirent d’allonger le malade sur les draps blancs du lit du docteur Nault. Enfin, la journée s’écoula à examiner des femmes enceintes et soigner des enfants fiévreux. Alors que le soir descendait lentement, l’air brûlant de l’Afrique devenait plus tiède. Alain regardait le merveilleux univers qui l’entourait. La lune montante renvoyait déjà une auréole argentée dans le ciel. Une cacophonie de stridulations se faisait envoûtante près de sa hutte. Alain se sentait libre et sans pression de la vie courante. Il s’alluma une clope et la fuma en toute quiétude en regardant les étoiles naissantes s’afficher dans le ciel. Il ne fit aucun vœu, car il était comblé de ces instants présents. Il entreprit de marcher un peu plus près des huttes avoisinantes la sienne. Sa présence ne passa pas inaperçue. Toutes les femmes se retournèrent sur le passage de cet homme vêtu d’une chemise et d’un pantalon de coton blanc. Il fallait admettre que cet homme-là était infiniment séduisant avec ses yeux bruns qui paraissaient curieusement dorés dans son visage hâlé par le soleil d’Afrique. Ses lèvres sensuelles et sa mâchoire ombrée d’une barbe naissante, qu’il n’avait pas pris la peine de raser, étaient chapeautées d’épais cheveux bruns et brillants comme l’aile de l’aigle. Cet homme avait dépassé la trentaine, mais il possédait une séduction, un magnétisme auquel on ne pouvait rester insensible. Le beau docteur regarda un instant fasciné, ces femmes ; elles étaient loin des robes en soie, des paillettes et du lamé d’or. C’était des femmes dépourvues de maquillages et vêtues à leur plus simple expression. De retour dans sa hutte, un ballot de draps blancs l’attendait pour dormir. Une famille avait sacrifié son confort pour l’offrir en toute amitié au médecin. La lune haute dans le ciel éclaira trop bien entre les pailles de bambou cette nuit-là. Alain eut l’impression qu’une ampoule électrique était allumée tellement la clarté était blanche et douce à la fois. « Je possède un soleil de minuit, pensa Alain en souriant. » Alors que le docteur allait passer d’un sommeil léger au sommeil profond, un oiseau venant de nulle part se mit à faire des vols planés au-dessus de sa tête. Réveillé par le battement précipité de ses ailes, Alain n’avait jamais vu une colombe d’aussi près. À son premier ressenti, il crut qu’elle était porteuse d’un message. Le petit oiseau renvoyait des lueurs auréolées s’affoler sur les murs. Pour éloigner la crainte et une douleur certaine, Alain dois ouvrir son cœur à la spiritualité pour offrir son message : « Je suis dans ce village par vocation ». Aussitôt, les lueurs blanches allèrent se disposer au-dessus du corps inerte couché sur les draps blancs. Ron ouvrit les yeux et tourna le visage vers Alain. Le mort-vivant avait les traits du visage ciselé dans le granit. Pourtant, ses yeux reflétaient la souffrance intérieure, celle qu’il ne pouvait crier : — J’avais un chemin à prendre et on m’a volé ma vie. — Ron, allez, tout va bien. Je vais vous aider à guérir, lança le médecin en bondissant de son lit pour s’approcher de son patient. Sur ce, Alain crut avoir imaginé ce qu’il avait vu, car Ron était toujours inconscient quand il toucha sa peau froide. Le docteur retourna se coucher. Il s’endormit aussitôt la tête penchée sur l’oreiller. Son esprit partit se balader dans l’univers, Alain n’avait plus ce mécanisme de défense pour placer des barrières entre le réel et l’invisible. Son esprit dédoublé pouvait ainsi tout entendre par le biais du rêve. C’est alors que Ron put continuer son combat : — Je ne suis pas mort. Il faut que tu le dises à ma femme. Je suis prisonnier de mon corps. J’entends tout ce que vous dites autour de moi. Mais je suis incapable de réagir. Tu dois m’aider à trouver un moyen de reprendre le contrôle de mon corps. Le subconscient du docteur n’enregistra pas le songe comme un rêve prémonitoire. Voyant son combat se perdre, Ron essaya à nouveau de le persuader de sa précieuse aide. — Alain, il faut que je te dise quelque chose de très grave. J’ai trouvé une pierre noire dans mon jardin. D’habitude, ma famille et moi jetons tout ce que nous trouvons pour éviter les envoûtements. Mais là, c’était trop fort… j’ai été victime de… Alain se réveilla en sueur. Ce qui allait interrompre la communication entre l’esprit de Ron et le subconscient du docteur. « Je suis trop cartésien pour croire à ces sornettes d’envoûtement, pensa le médecin en allant boire un peu d’eau dans un gobelet de bois pour se rafraîchir des idées envahissantes que lui avait projeté l’image de Ron. » Sa main frôla quelque chose qui le laissa perplexe. Il examina de près le liquide visqueux sur sa main. En levant les yeux, son regard se promena dans toute la hutte. Ce liquide visqueux avait envahi non seulement le mur et le plafond…..