QUE RESTE-T-IL AUJOURD`HUI DU DROIT HINDOU
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QUE RESTE-T-IL AUJOURD`HUI DU DROIT HINDOU
http://www.reseau-asie.com Enseignants, Chercheurs, Experts sur l’Asie et le Pacifique Scholars, Professors and Experts on Asia and the Pacific QUE RESTE-T-IL AUJOURD’HUI DU DROIT HINDOU ? IS THERE SUCH A THING AS HINDU LAW TODAY? Jean-Louis HALPERIN École Normale Supérieure Thématique G : Normes sociales et citoyenneté Theme G: Social norms and citizenship Atelier G 02 : Hindouisme et sécularisme Workshop G 02: Hinduism and secularism 4ème Congrès du Réseau Asie & Pacifique 4th Congress of the Asia & Pacific Network 14-16 sept. 2011, Paris, France École nationale supérieure d'architecture de Paris-Belleville Centre de conférences du Ministère des Affaires étrangères et européennes © 2011 – Jean-Louis HALPERIN Protection des documents / Document use rights Les utilisateurs du site http://www.reseau-asie.com s'engagent à respecter les règles de propriété intellectuelle des divers contenus proposés sur le site (loi n°92.597 du 1er juillet 1992, JO du 3 juillet). 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Any opinions expressed are those of the authors and do.not involve the responsibility of the Congress' Organization Committee. QUE RESTE-T-IL AUJOURD’HUI DU DROIT HINDOU ? Jean-Louis HALPERIN École Normale Supérieure Le système juridique de l’Inde contemporaine est connu, chez les comparatistes, pour son maintien des lois personnelles en matière de droit familial, en dépit de la promesse faite par la constitution de 1950, et non réalisée jusqu’à ce jour, de rédiger un code civil uniforme. Suivant les traces des colonisateurs britanniques, les législateurs de l’Inde indépendante ont maintenu séparées, sur la base de l’appartenance à des communautés confessionnelles (largement déterminées par la naissance), des règles de droit hindou, de droit musulman, de droit chrétien, de droit parsi et de droit juif en matière de mariage, filiation et successions. Le droit hindou est, bien sûr, celui de l’immense majorité des citoyens indiens (plus de 80 %) qui s’applique à toutes les personnes nées ou élevées dans une famille hindoue, selon une définition juridique large qui inclut les Bouddhistes, les Jains et les Sikhs. Censé s’appuyer sur une tradition millénaire, celle des Dharmasastras, cette loi personnelle est _ on le sait mieux aujourd’hui _ pour une grande part la création des conquérants musulmans, puis occidentaux qui ont voulu voir du droit dans cette littérature sur les devoirs (s’appliquant surtout aux brahmanes). À la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, le rôle des Britanniques a été décisif pour manipuler (à travers rédactions et traductions) les Dharmasastras et faire naître un Anglo-Hindu Law qui formait déjà une « tradition inventée ». Les Britanniques ont commencé aussi, très prudemment, à légiférer sur le droit hindou, notamment pour reconnaître des droits nouveaux : celui du remariage pour les veuves (1856) et une part de la succession pour les femmes (lois de 1929 et 1937). Après l’indépendance, une série de quatre lois votées en 1955-1956 (les deux premières sur le mariage et les successions, les deux suivantes sur l’adoption et la minorité) ont radicalement transformé le droit hindou en un droit étatique, dépendant de textes législatifs qui n’hésitaient pas à rompre avec la tradition (interdiction de la polygamie, institution du divorce, ouverture de l’adoption aux femmes). Marc Galanter pouvait considérer (en 1968-1969) que le droit hindou, en tant qu’élément d’une tradition religieuse, était voué à disparaître face à cette législation réformiste (susceptible de modifications par le Parlement, comme pour l’élargissement des cas de divorce en 1976). Pourtant, les années 1980 et 1990 ont été marquées par le regain des conflits communautaires et la montée en puissance du nationalisme hindou, porté par le BJP et ses victoires électorales Atelier G 02 / Hindouisme et sécularisme Que reste-t-il du droit hindou aujourd’hui ? Jean-Louis HALPERIN / 2 lui ouvrant le contrôle du pouvoir de 1998 à 2004. Sous fond de violences inter-religieuses _ en particulier autour du statut du sanctuaire d’Ayodhya _ des revendications se font jour pour redonner vigueur au droit hindou et en faire la base d’un futur Code civil. L’évolution politique depuis 2004, avec deux victoires successives de la coalition menée par le parti du Congrès et le Premier ministre (lui-même Sikh) Manmohan Singh semble avoir mis un coup d’arrêt à cette tentation réactionnaire. Cela signifie-t-il pour autant que le droit hindou, qui continue à faire l’objet d’enseignements et de commentaires juridiques, est passé dans une phase irrémédiable de déclin ? Nous essaierons de voir et d’évaluer les signes qui ont fait prédominer cette orientation dans les années récentes, qu’il s’agisse de la reprise du mouvement législatif de réforme (I) ou des inflexions apportées à la jurisprudence de la Cour suprême (II). I De nouvelles remises en cause législatives de la tradition hindoue La plus importante des réformes législatives récentes du droit hindou est incontestablement celle qui a affecté le droit des successions en 2005. Parachevant pour toute l’Inde un mouvement de réforme né dans les États du Sud dans les années 1970, cette loi a amendé l’Hindu Succession Act de 1956 en reconnaissant aux femmes le droit de participer à la communauté familiale (quand elle subsiste dans l’indivision à la mort du père) comme « coparceners » et de demander le partage des bien successoraux à part égale avec les héritiers masculins. Si cette loi n’a probablement pas fait disparaître les risques d’inégalité au détriment des héritières _ toujours susceptibles d’être écartées par testament _ elle est susceptible d’accélérer dans les prochaines années la disparition des communautés familiales dans les campagnes et l’avènement de familles nucléaires selon le modèle occidental. La même année 2005 la loi sur la violence domestique à l’égard des femmes est venue renforcer les dispositifs anciens (lois de 1961, 1985 et 1987) visant à protéger les femmes contre le harcèlement physique et moral en matière de versement de la dot (en principe interdite) ou de sacrifice des veuves sur le bûcher funéraire de leur mari. Il serait excessif de dire que le droit indien s’oriente résolument vers la fin de la soumission des femmes mariées à l’autorité de leur mari ou de leur famille (pouvant conduire à des viols conjugaux ou à des avortements forcés), mais cette législation fait progresser l’idée de rapports plus équilibrés entre époux. Le législateur n’a pas osé jusqu’à maintenant combler le vide du droit hindou sur les rapports patrimoniaux dans le mariage, le principe de la séparation des biens entre époux Atelier G 02 / Hindouisme et sécularisme Que reste-t-il du droit hindou aujourd’hui ? Jean-Louis HALPERIN / 3 s’opposant encore à ce que la femme puisse discuter du choix du logement familial ou obtenir une participation aux acquêts réalisés pendant le mariage. En 2006 le Prohibition of Child Marriage Act est revenu sur une question lancinante, celle des mariages des enfants (jeunes filles de moins de 18 ans, jeunes hommes de moins de 21 ans depuis la réforme du Child Marriage Restraint Act en 1978, loi qui est applicable à tous les citoyens Indiens). Malgré les sanctions pénales répétées (sans beaucoup d’effets) contre ces mariages, ils restaient valides et facilement couverts au bout de quelques années par l’arrivée à la majorité des mariés (c’est l’effet de « l’option de puberté » empruntée par le statut personnel hindou au droit musulman). La loi de 2006 est le premier essai (malgré les difficultés) pour priver d’effets civils les mariages de mineurs, en permettant (sans pour autant la rendre obligatoire) leur annulation. Il y a encore un écart considérable entre l’expression de cette volonté législative et la pratique, l’UNICEF estimant en 2008 que 47 % des femmes mariées ayant entre 20 et 27 ans avaient contracté leur union alors qu’elles étaient mineures. L’Inde peine ainsi à respecter ses engagements internationaux résultant de la ratification de la convention des Nations Unies relative au droit de l’enfant en 1992, d’autant plus que de nombreux mariages restent encore « informels », c’est-à-dire dépourvus d’enregistrement. À l’état encore de projet, soutenu depuis 2010 par le cabinet, se trouve la réforme de la loi du divorce souhaitée depuis plusieurs années par cerains « bancs » (benches) de la Cour suprême (Naveen Kohli v. Neelu Kohli du 21 mars 2006 qui étend la notion de cruelty à la cruauté mentale) et la Law Commission (217e rapport en 2009… qui reprend une recommandation déjà émise en 1978) pour autoriser le divorce par demande unilatérale en cas de faillite (« irretrievable breakdown ») du mariage. Sans pouvoir la chiffrer, les observateurs s’accordent à constater une augmentation sensible du nombre des divorces, du moins dans les villes, et à considérer que la loi ne peut plus opposer le refus du consentement de l’un des époux à la décision de dissolution d’une union déjà morte dans les faits. Enfin, si le Premier ministre se ralliait (comme il en est question) à une ouverture des « postes réservés » aux intouchables (dalits) chrétiens ou musulmans, le statut de droit hindou (très protecteur en matière de discrimination) serait considérablement affaibli et la spécificité d’un droit familial fondé sur la naissance perdrait de son sens. Cependant, une telle réforme pourrait relancer aussi les propositions en faveur d’un Code civil uniforme et les revendications des nationalistes hindous pour imposer les règles relevant de l’hindutva à l’ensemble de la population. Le rôle des juges reste donc décisif pour accompagner ces Atelier G 02 / Hindouisme et sécularisme Que reste-t-il du droit hindou aujourd’hui ? Jean-Louis HALPERIN / 4 réformes législatives vers une modernisation, aussi drastique que celle des années 1950, du droit hindou. II. L’attitude de la Cour Suprême face aux résistances des partisans de la tradition hindoue Dès les années 1990, la Cour suprême n’a pas craint d’affirmer, dans ses décisions, que le mariage hindou s’éloignait du sacrement reconnu par la tradition et organisé par les familles pour se rapprocher du mariage d’amour librement consenti par les époux avec la possibilité de recourir à une large gamme de rites, en dehors du saptapadi (les sept pas devant le foyer familial) de caractère brahmanique. Ainsi dans la décision du 4 janvier 1996, Mrs Valsamma Paul v. Cochin University (une affaire de poste universitaire réservé à un catholique latin appartenant aux classes arriérées qui avait été occupé par son épouse, catholique de rite syriaque appartenant aux classes plus aisées), l’opinion de la Cour insiste (de manière plutôt surprenante pour un mariage entre chrétiens) sur l’évolution (liée à la législation remplaçant les principes rigides des Dharmasastras) du droit hindou du mariage pour le mettre en harmonie avec la Constitution, la Déclaration universelle des droits de l’homme et la convention des Nations Unies sur l’élimination des discriminations à l’égard des femmes (CEDAW ratifiée par l’Inde en 1993). Il est question (§ 30) de l’institution et du développement du divorce (même pour « irretrievable breakdown of the marriage »), de la reconnaissance d’autres formes de célébration du mariage que le saptapadi et plus globalement de la « marche des lois » vers l’égalité des individus et la mobilité sociale avec les mariages inter-castes ou inter-religions. Il est considéré comme avéré par les juges (§ 32) que les jeunes gens se marient de plus en plus sans le consentement des parents ou même la reconnaissance par leur communauté sociale avec l’avancement de l’éducation et le progrès économique. Cette version un peu idyllique de l’évolution des mœurs peut être considérée comme une réécriture orientée de l’histoire (destinée finalement à refuser un poste réservé aux classes arriérées), mais une telle déclaration est certainement révélatrice de l’état d’esprit des juges. En 1995, la Cour suprême avait sanctionné sévèrement la fraude consistant pour un mari hindou à se convertir à l’Islam pour se voir reconnaître le droit (qui lui fut dénié) de contracter un mariage polygamique. La défense du mariage hindou monogamique (seulement depuis 1955, faut-il le rappeler) fut l’occasion de réaffrimer (pour souhaiter la rédaction prochaine d’un code civil uniforme) que la législation et non la religion était la base des lois personnelles (Smt. Sarla Mugdal, President, Kalyani v Union of India, 10 mai 1995). Atelier G 02 / Hindouisme et sécularisme Que reste-t-il du droit hindou aujourd’hui ? Jean-Louis HALPERIN / 5 Cela ne signifie pas, pour autant, que les tribunaux soient prêts à relâcher toutes les contraintes des lois personnelles, notamment l’exigence de la qualité d’hindou des deux époux qui veulent se marier selon le droit hindou. Le problème des mariages mixtes (entre personnes de différentes religions), qui ne sont pas passés par le Special Marriage Act et ont recouru aux rites hindous, reste entier, les juges refusant en cas de contestation de reconnaître la validité de tels mariages dans lesquels un des époux n’était pas hindou (High Court of Kerala, Vijayakumari v V. K. Devabalan, 17 juillet 2003 ; Supreme Court, Sowra Raj v Bandari Pavani Gullipilli en 2009 annulant un mariage conclu selon les rites hindous entre deux hindous de naissance, dont l’un s’était converti au christianisme et en dépit des arguments de l’avocat du mari en faveur de la validité d’un tel mariage). Des décisions plus conservatrices, et plus décevantes pour les revendications féministes sont également intervenues pour refuser le divorce pour faillite du mariage (Vishu Dutt Sharma v Manyu Charma, 2009) ou accorder le divorce au mari pour « cruauté » de la femme qui refuse d’enfanter et privilégie sa carrière professionnelle (Suman Kapur v Sudha Kapur, 2009). Dans cette redéfinition des caractères du mariage et des relations familiales, la Cour a fait un pas supplémentaire dans une décision du 31 mars 2011 (Revanadisdappa v Malli Karjum) en faveur des enfants naturels (auxquels les lois sur le droit hindou ne reconnaissent aucun droit successoral, sauf pour les enfants d’un mariage annulé à l’égard de leurs parents). L’opinion de Justice Ganguly insiste, là encore, sur le changement du concept de légitimité en s’opposant à un état statique du droit : il ne devrait plus y avoir d’opprobre sur les enfants innocents d’unions illégitimes, la législation (surtout depuis l’amendement de 1976 à l’Hindu Marriage Act) devrait être interprétée dans un but de réforme sociale pour mettre fin aux préjugés. La conclusion (plus prudente) de cette décision est qu’il n’y a plus d’illégitimité ipso jure des enfants nés d’un mariage nul ou annulable et que la propriété ancestrale peut passer via leurs parents (qui en héritent comme d’une propriété acquise et absolue) à ces enfants naturels, ainsi rattachés (par un artifice juridique) à l’ensemble de la famille. Si la portée de cette décision reste limitée aux seuls enfants nés de mariages nuls ou annulables, elle pourrait constituer une première étape vers la reconnaissance d’un statut pour les enfants naturels. De tragiques faits divers, notamment dans l’État d’Haryana, ont enfin relancé les débats et les actions en justice à propos des mariages endogamiques à l’intérieur d’une sous-caste (inter gotra marriage). Certains nationalistes hindous, prétendant s’appuyer sur les textes védiques et sur les traditions des anciens (défendus par les khap panchayat, conseils des anciens), Atelier G 02 / Hindouisme et sécularisme Que reste-t-il du droit hindou aujourd’hui ? Jean-Louis HALPERIN / 6 demandent la réforme de l’Hindu Marriage Act pour interdire ces mariages qu’ils considèrent comme incestueux. Ils font preuve de la plus grande violence à l’égard des jeunes gens appartenant à la même sous-caste qui ont contracté (par amour) un tel mariage sans l’approbation de leurs parents. Ces violences vont de l’ostracisme de ces couples à des « crimes d’honneur », comme cela s’est produit pour deux jeunes gens (Manoj et Babli) battus à mort. Malgré la protestation des traditionalistes hindous, les meurtriers ont été condamnés à mort (en première instance, pour certains la peine a été atténuée en appel) et la Cour suprême (dans une décision du 9 mai 2011, Bhagwan Dass v State of Delhi) a justifié le possible recours à la peine de mort (considéré comme rarissime en Inde) à l’égard de pratiques « barbares et féodales ». Cela n’avait pas empêché les adversaires des gotra mariages de saisir, en 2010, la même Cour suprême pour faire réformer (par une « public interest litigation) l’Hindu Marriage Act au nom d’une coutume qui serait reconnue au moins dans quelques États de l’Inde du Nord. La cour suprême a rejeté cette action (ou plus exactement l’a renvoyée devant les High Courts de l’Haryana et du Pendjab), en refusant d’entrer dans cette voie. Les juges ont pu se trouver dans une situation embarrassante, à fronts renversés, par rapport à leurs décisions précédentes encourageant les mariages entre membres des différentes castes. Mais ils ont très probablement voulu donner un signal contre les violences des extrémistes hindous et contre de nouveaux amendements à la loi sur le mariage hindou, qui durcirait ses conditions en prenant appui sur des coutumes locales. Ce type d’affaires montre combien il est difficile de faire appliquer des décisions judiciaires qui s’efforcent de « moderniser » le droit hindou face à des résistances venant d’une partie de la population et des activistes politiques. Il est peu probable que, dans un futur proche, la Cour suprême se risque à ébranler l’ensemble des lois personnelles, incluant le droit hindou, au nom d’une rupture du principe d’égalité (entre membres des diverses communautés ou entre hommes et femmes). Comme le législateur hésite également à adopter un code civil uniforme, le droit hindou, sous sa forme consolidée par la législation étatique, ne nous apparaît pas proche de la disparition, même s’il n’est pas réfractaire à la réforme. Atelier G 02 / Hindouisme et sécularisme Que reste-t-il du droit hindou aujourd’hui ? Jean-Louis HALPERIN / 7