Missions de nuit à la Luftwaffe – Peter Spoden Le récit d`un
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Missions de nuit à la Luftwaffe – Peter Spoden Le récit d'un chasseur de nuit allemand lors des bombardements de 1943-1945 ISBN 3-934173-22-5 Extrait du chapitre X : 18 août 1943 : L’attaque de la RAF sur Berlin et Peenemünde. Première victoire aérienne Nous étions assis dans la pénombre des salles d’alerte, parlions des dernières missions, jouions aux échecs ou écoutions de la musique les yeux fermés. Les plus zélés mangeaient des carottes ; le médecin d’état-major nous avait dit qu’elles contenaient de la vitamine A, excellente pour la vue. Celui qui, la nuit, voyait l’autre en premier, tirait aussi le premier et avait une chance de survivre ! Nous n’avions jamais été examinés pour notre aptitude à voir la nuit. Cela n’a été fait que vers la fin de la guerre, ce qui permit aux médecins de constater que les chasseurs de nuit qui avaient une excellente accommodation et acuité visuelle nocturne étaient ceux qui avaient le plus de victoires à leur actif. Rien d’étonnant au fait que quelques équipages ne survécurent pas aux premiers vols de guerre, quand l’adversaire avait une meilleure vue et les repérait en premier. Vers 22 heures, nous reçûmes l’ordre d’alerte assise. Au-dessus de la mer du Nord, on avait repéré une formation ennemie. Mais naturellement, personne ne savait quelle ville en était la cible. Nous nous précipitâmes dans nos avions, vêtus de notre combinaison de vol, équipés de bottes fourrées, de nos serre-têtes et du masque à oxygène, et attendîmes avec l’opérateur radio et le mitrailleur de bord l’ordre de décollage. Je ne sais combien d’heures nous avons pu passer en alerte assise dans nos appareils, par tous les temps, à attendre parfois jusqu’à l’aube. Quelques semaines auparavant, les équipages expérimentés partaient les premiers sur les zones de chasse de nuit afin d’intercepter préalablement les bombardiers. Depuis le désastre de Hamburg et l’anéantissement des appareils radars allemands par les bandelettes en aluminium, c’était terminé. A présent, la chasse ouverte était proclamée ; nous partions tous, même les jeunes équipages, un par un et nous nous rassemblions à proximité d’une balise. De là, nous étions guidés par une station radar centrale jusqu’au flot des bombardiers. Cette méthode portait le nom de « zahme Sau » par opposition à « wilde Sau ». Un officier expérimenté et excellent pilote de l’aviation de bombardement, Hajo Herrmann, un vieux baroudeur, comme les guerres savent en produire depuis tout temps, avait conseillé à Göring et au commandement suprême de la Luftwaffe d’engager des monomoteurs Bf 109 et FW 190 aux côtés des bimoteurs, sur les villes en flammes. Ce fut alors la wilde Sau, source de grandes frayeurs pour nos bimoteurs, à cause des évolutions violentes que cette tactique impliquait. Les deux méthodes donnèrent les mois suivants du fil à retordre à la RAF. Ce fut, après le désastre de Hamburg, la réponse aux bombardements impitoyables de nos villes menés par Harris, et qui coûtera à la RAF jusqu’à la fin de la guerre la vie de 55 000 jeunes pilotes originaires de tous les pays du Commonwealth. Les mois suivants, la RAF ne se manifestait plus de manière dispersée, mais intervenait en formations de bombardiers de 400 à 800 quadrimoteurs, qui se séparaient afin de brouiller la défense aérienne allemande, attaquaient plusieurs villes, accompagnés au départ d’une trentaine de chasseurs bimoteurs, puis par la suite de plus d’une centaine, les rapides « Mosquitos ». On assistait à l’esquisse des guerres modernes gagnées non plus par le courage des individus, mais par la mise en oeuvre massive de matériaux, d’armes et de munitions. Après la Ruhr, après Köln, Hannover et Nürnberg, ce fut le tour de Berlin. Enfin, c’est ce que l’on crût le 17 août 1943. Vers 23 heures, nous reçûmes de Parchim un ordre de décollage à destination de la balise Berta située à l’ouest de Berlin. « Attendez ! Attendez ! Attaque sur Berlin ! », nous ordonnait la station au sol. Je survolai à une altitude de 6000 mètres et ne vis que des centaines de projecteurs, des tirs nerveux de la Flak, d’abondants signaux lumineux dans le ciel, mais pas d’incendies au sol. A nouveau, la station au sol : « Attendez au-dessus de Berta, attendez ! » http://www.nachtjaegerspoden.de Missions de nuit à la Luftwaffe – Peter Spoden Le récit d'un chasseur de nuit allemand lors des bombardements de 1943-1945 ISBN 3-934173-22-5 Comme je l’ai lu après la guerre dans le livre de l’historien anglais Middlebrook « The Peenemünde Raid », 213 appareils de chasse de nuit se tenaient à ce moment en position d’attente au-dessus de Berlin, retenus par 8 « Mosquito » qui émirent toutes sortes de signaux lumineux et déversèrent des milliers de bandelettes d’aluminium pour simuler une attaque de bombardiers. C’est alors que j’aperçus au Nord en direction de Stettin, à environ 200 km, des cascades de lumière et les fameux « arbres de Noël » des Pfadfinder* anglais et au sol les premiers incendies. Il fallait que j’y aille ! Cela ne se passerait pas comme à Hamburg où l’on m’avait retenu. Je mis les pleins gaz et volai à plus de 500 km/h en direction des nuages de fumée et des feux. Les Anglais avaient trompé une fois de plus la défense aérienne allemande. Pendant que les huit « Mosquito » préparaient un grand feu d’artifice au-dessus de Berlin, 596 bombardiers quadrimoteurs étaient partis pour le Danemark en direction du petit village de Peenemünde, où se trouvaient un centre d’essai et un site de production des fusées V1 et V2 sous la direction technique de Wernher von Braun, jusqu’alors inconnus de nous tous. Il me fallut à peine plus d’une demi-heure. Lorsque j’arrivai à la hauteur d’une masse nuageuse éclairée avec de meilleures conditions de visibilité, j’aperçus sur le champ un quadrimoteur. En un instant, j’attaquai par dessus et par l’arrière, tirai entre les deux moteurs de gauche, où se trouvaient les réservoirs. La voilure prit feu immédiatement. Il n’y eut pas de riposte. Je virai à présent à droite dans l’obscurité et attendis de voir si le feu s’éteignait. Le « Lancaster » était toujours en flammes et piqua en vol incliné. Je le suivis, j’aurais pu encore l’intercepter au-dessus de la forêt lorsqu’il s’écrasa en flammes. Le tout n’avait pas duré deux minutes. L’altitude d’attaque des Anglais à Peenemünde fut la plus basse qu’on ait connue jusqu’à présent. Je me sentis tout à coup soulagé, c’était comme si la tension que j’avais accumulée depuis des mois s’était soudain relâchée. A aucun moment, je n’ai eu une pensée pour ces hommes assis dans le « Lancaster ». Mon opérateur radio, l’Uffz. Kiel me communiqua notre position, nous nous trouvions à Hanshagen, pas très loin de Greifswald, là où se tenait la 9. Staffel Mes réserves de carburant menaçant de s’épuiser, j’atterris à cet endroit. Mon vieil ami, le Leutnant Rudi Thun, plus tard un physicien de renom chez Raytheon aux Etats-Unis, me procura une BMW 750 avec side-car, et je me rendis avec mon opérateur radio sur le lieu de l’écrasement à 15 km de Hanshagen. On apercevait de loin la fumée qui s’échappait des décombres. Enfin, j’y étais, à vrai dire je devais éprouver ce que Von Richthofen** avait dû ressentir à la Première Guerre mondiale. Sur le siège du pilote du « Lancaster » encore fumant se trouvait le cadavre carbonisé du pilote. Les autres corps méconnaissables étaient dispersés dans les restes du fuselage. Il s’en dégageait une odeur épouvantable. Je n’ai, à ce moment, pas eu conscience de toute la portée de mon acte. J’avais seulement le sentiment d’avoir vengé mon peuple en héros. Un officier de renseignements m’informa qu’il y avait un survivant. Il fallait que je le voie. http://www.nachtjaegerspoden.de Missions de nuit à la Luftwaffe – Peter Spoden Le récit d'un chasseur de nuit allemand lors des bombardements de 1943-1945 ISBN 3-934173-22-5 *Pfadfinder : avions chargés de marquer les objectifs avec des bombes éclairantes ou des fumigènes pour faciliter la visée des bombardiers ** Manfred von Richthofen, célèbre pilote de chasse durant la Première Guerre mondiale, baptisé le Baron Rouge, compte plus de 80 victoires aériennes à son actif Ce jeune homme vêtu d’un pull-over blanc, qui devait avoir mon âge, grand, se tenant droit, l’air franc, se trouvait au poste des pompiers, gardé par un soldat de l’armée territoriale. Je me dirigeai vers lui et m’adressai à lui dans un anglais scolaire. Il me déclina son nom, Sergeant William Sparkes de Portsmouth et son numéro d’identification. Il dût penser que j’étais l’officier chargé de l’interrogatoire. Il fit sa déclaration conformément à la convention de Genève. Quand il sut que j’étais chasseur de nuit, il devint plus bavard et j’en conclus qu’il était mitrailleur de bord et qu’il ne m’avait pas vu. J’ai toujours regretté de n’avoir pas été plus amical à son égard. L’historien anglais Middlebrook entreprit, vingt ans après la guerre, des recherches approfondies sur l’attaque aérienne de la base de Peenemünde et me questionna à ce sujet. Je me souvenais du nom de Sparkes de Porthsmouth. Midllebrook réussit à retrouver Sparkes en ayant recours aux petites annonces, il y rapporte son récit : « We kept going down…Je pensais que nous allions bientôt redresser, mais notre avion plongeait toujours plus. Nous reçûmes l’ordre de nous préparer à une évacuation. J’avais pour mission d’ouvrir la trappe d’évacuation. Ce que je fis, mais avant, je dus écarter des paquets de bandelettes d’aluminium. Une fois la trappe ouverte, j’entendis l’ordre d’évacuer l’avion. J’étais si affairé que je n’ai pas prêté attention à l’altitude de l’avion, aux dommages qu’il avait subis, ni au reste de l’équipage. Je sais seulement qu’il n’y avait pas l’ombre d’un doute, je devais sauter tout de suite, sans plus attendre. Je me souviens que la situation était critique. Durant les exercices, on nous avait appris que les membres d’équipage devaient sauter l’un après l’autre. Je me demandais pourquoi les autres n’étaient pas derrière moi. A Greifswald, j’ai cherché mon équipage parmi les survivants, mais sans succès. Je me demandais s’ils n’avaient pas réussi à rentrer en Angleterre. Je n’ai jamais vraiment réalisé qu’ils étaient tous morts. » Je comprends très bien ce qu’a pu ressentir ce Sergeant. Comme pour nous, les membres d’équipage et les camarades d’escadrille étaient semblables aux membres d’une communauté, nous étions inséparables. Les longues heures de vol nocturne, l’angoisse permanente d’être attaqué brusquement, les tirs de la Flak, les projecteurs et leurs faisceaux cadavériques, les turbulences, les orages, le givrage, les camarades blessés à bord – voilà qui soude des hommes. Et tout à coup, ils n’étaient plus là, ne revenaient pas de leur vol. Disparus, introuvables, mutilés, brûlés. Comment les hommes peuvent-ils en arriver là ? Les équipages de la RAF n’effectuaient pas plus de trente missions en Allemagne, en Italie ou en France. Ce qu’ils devaient endurer sur des vols de huit ou dix heures dépasse tout ce que l’on peut imaginer. Combien de fois assistèrent-ils à la chute des appareils en flammes de leurs camarades ? Les avions de chasse étaient plus rapides et plus faciles à manœuvrer. Le canon allemand de 20 mm était plus mortel que la mitrailleuse anglaise. Dans certains cas, si il y avait un problème d’enrayage, un obus de 20 mm dans le réservoir de la voilure suffisait à abattre un bombardier. Les navigateurs anglais, les ingénieurs de vol et les mitrailleurs de bord en combinaison de vol disposaient d’un espace restreint dans des avions sans cabine pressurisée et sans chauffage. Contrairement à nous, ils n’attachaient pas leur parachute, mais celui-ci devait être mis seulement en cas d’urgence. Ces hommes s’étaient, tout comme nous, engagés volontairement à la RAF, non seulement par idéalisme, mais également par soif d’aventure et par passion pour le vol. Peu de pilotes de la RAF n’atteignirent le quota des 30 victoires. Au cours d’une mission, les pertes de bombardiers s’élevaient à 5% et plus, d’après les statistiques, quand on avait survécu à 20 vols, on devait s’estimer très chanceux. Chez les pilotes allemands, le nombre de missions de nuit n’était pas limité. Il n’était pas http://www.nachtjaegerspoden.de Missions de nuit à la Luftwaffe – Peter Spoden Le récit d'un chasseur de nuit allemand lors des bombardements de 1943-1945 ISBN 3-934173-22-5 rare d’avoir effectué plus de cent ou deux cents vols, d’avoir été blessé à plusieurs reprises et d’avoir effectué plus de quatre sauts en parachute. Peter Hinchliffe écrit dans son livre « Luftkrieg bei Nacht »: « Les équipages allemands de la Luftwaffe n’avaient pas un nombre de missions limité, à partir duquel ils auraient pu être relayés, comme ce fut le cas à la RAF. Ils volaient, jusqu’à ce qu’ils meurent, soient touchés, blessés dans un accident grave, ou bien – ce qui était plutôt rare – lorsqu’ils étaient mutés à un poste plus tranquille. » En 1978, je reçus un courrier me fournissant des détails sur le « Lancaster » que j’avais abattu à Peenemünde, 35 ans auparavant. Un historien allemand me communiqua les informations suivantes : Lanc JA 879 of 44 (Rhodesia) Sqdn, basé at Dunholme Lodge près de Lincoln Pilote Sgt. W. J. Drew - âge inconnu Sgt. J.D.M. Reid - 19 ans - from Scotland Sgt. S.I. Rudkin - 21 ans - from Leicester Sgt. J.T. Jopling - 23 ans - from London Sgt. C.E. James - âge inconnu Sgt. J.H. Basselt - 20 ans - London Un survivant : Sgt. Bill. Sparkes - 22 ans - from Portsmouth Longtemps, j’examinai cette liste et j’avoue qu’en la lisant, j’ai eu les larmes aux yeux et en fus profondément affecté. Mon Dieu, qu’est-ce que j’avais fait là ? J’étais entre-temps père de quatre garçons en pleine forme, du même âge, dont j’étais très fier, ils faisaient leurs études à Frankfurt, le cadet était encore au collège de Königstein. J’imaginais ce que cela aurait représenté aux yeux de ma femme et moi-même, si nous venions à perdre l’un de nos garçons à la guerre. Tout ce que ces parents d’Ecosse, d’Angleterre ou de Rhodésie ont dû éprouver quand on leur a annoncé que leurs fils avaient disparu dans le ciel d’Allemagne. Qui pense au cours d’une guerre aux pères et mères qui ont mis tout leur amour et leur espoir dans la vie de leurs enfants ? La guerre ne s’acheva pas avec les combats sur Peenemünde. Elle dura encore presque deux ans. http://www.nachtjaegerspoden.de