CRFPA BY ISP – SESSION 2016 NOTE DE SYNTHÈSE CB

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CRFPA BY ISP – SESSION 2016 NOTE DE SYNTHÈSE CB
CRFPABYISP–SESSION2016
NOTEDESYNTHÈSE
CBSUPPLEMENTAIRE:LALOYAUTÉDELAPREUVE
Documentn°1:IsabelleCORNESSE,DuprincipedeloyautédelapreuveoulapreuveparS.M.S.,
LamyDroitdesaffaires,2007,n°21.
Documentn°2:C.cass.,Civ.1ère,17juin2009,07-21796
Documentn°3:LudovicBELFANTI,DelarecevabilitédesSMScommemodedepreuveen
matièrededivorce,LamyDroitdel’immatériel
Documentn°4:MyriamQUEMENER,Lagéolocalisationàl’épreuvedelaprocédurepénale,
LamyDroitdel’immatériel,2013,n°99.
Documentn°4bis:ChristopheRADE,Preuve.Dispositifdesurveillancedessalariés.Loyauté.
Prohibitiondesstratagèmes,Droitsocial2008p.608
Documentn°5:C.cass.Crim.,4juin2008,08-81045
Documentn°6:C.cass.,Crim,7janvier2014,n°13-85246
Documentn°7:DidierThomas,ValérieBosc,ChristineGavalda-Moulenat,PhilippeRamon,
AudeVaissière,Lestransformationsdel’administrationdelapreuvepénale,Archivesde
politiquecriminelle,n°26Pedone,2004,p.113.
Documentn°8:ChristopheRADE,Preuve.Constatd'huissier.Loyauté.Prohibitiondes
stratagèmes,Droitsocial,2008,p.610
Documentn°9:E.Chevrier,Laloyautédelapreuvel'emporte,mêmeendroitdela
concurrence,Dallozactualité12janvier2011
Documentn°10:JulienLarregue,Loyautédelapreuveetsiteinternet«d’infiltration»Gazette
duPalais,14juin2014n°165,P.20
Documentn°11:LudovicLauvergnat,Loyautédelapreuve,GazetteduPalais,25mai2013
n°145,P.28
Documentn°12:AnneDEBET,Ledroitdelapreuveetl'article6:suite,maiscertainementpas
fin...,Revuedescontrats,01avril2005n°2,P.472
Documentn°13:FrançoisFourment,Lesmursavaientdesoreilles,GazetteduPalais,
13mai2014n°133,P.41
Documentn°14:Dudroitdelapreuveaudroitàlapreuve,questiondemotsouchangement
decap?,Petitesaffiches,31mai2013n°109,P.5-Tousdroitsréservés
Documentn°15:MikaëlBenillouche,Secretprofessionnel,GazetteduPalais,02août2007n°
214,P.8
Documentn°16:Jurisclasseur,Procéduredecontrôledespratiquesanticoncurrentielles,fasc.
N°380.
Documentn°17:Jurisclasseur,Enquêtepréliminaire,Fasc.20
DOCUMENTN°1:ISABELLECORNESSE,DUPRINCIPEDELOYAUTEDELAPREUVEOULA
PREUVEPARS.M.S.,LAMYDROITDESAFFAIRES ,2007,N °21.
Cass.soc.,23mai2007,no06-43.209,P+B+R+I
Si l’enregistrement d’une conversation téléphonique privée, effectué à l’insu de l’auteur des
proposinvoqués,estunprocédédéloyalrendantirrecevableenjusticelapreuveainsiobtenue,
iln’enestpasdemêmedel’utilisationparledestinatairedesmessagesécritstéléphoniquement
adressés, dits S.M.S., dont l’auteur ne peut ignorer qu’ils sont enregistrés par l’appareil
récepteur.
L’évolution des nouvelles technologies suppose un certain nombre de précisions voire
d’adaptations des règles de droit existantes. « La collision des relations de travail et de
l’informatique crée incontestablement des situations inédites » (Darmaisin S., L’ordinateur,
l’employeuretlesalarié,Dr.soc.2000,p.580)etparlàmêmeuncontentieuxinédit.Leprincipe
vaut pour toute nouvelle technologie. Ainsi, les magistrats de la chambre sociale de la Cour de
cassation ont-ils eu à se prononcer sur l’admission d’un nouveau mode de preuve : le Short
MessageServiceouS.M.S.L’intérêtdelasolutiondépasselargementleseuldomainedudroitdu
travail.
Madame Y, négociatrice immobilière dans une SCP titulaire d’un office notarial, est licenciée
pour faute grave. L’employeur lui reproche d’avoir abusé de ses fonctions, à des fins
personnelles, au préjudice des clients de l’étude. Celle-ci avait proposé à un vendeur d’acheter
unterrainpoursonproprecompte,endéclarantfaussementvouloiryétablirsonhabitation,et
tenté dans le même temps de le revendre à un tiers à un prix très supérieur. Elle avait ainsi
utilisésonpostepourtenterderéaliseruneopérationàsonseulprofitcontrairementàl’éthique
desaprofession.Lasalariéesaisitleconseildesprud’hommespourcontestersonlicenciement
en faisant état d’un harcèlement sexuel. La Cour d’appel d’Agen, statuant sur renvoi après
cassation,décidedansunarrêtdu5avril2006quelelicenciementnereposaitpassurunefaute
grave. Elle reconnaît par ailleurs l’existence d’un harcèlement sexuel en se fondant sur
l’enregistrement d’une conversation téléphonique et des messages écrits, téléphoniquement
adressés,ditsS.M.S.L’employeursepourvoitencassation.Dansunpremiermoyen,ilreprocheà
laCourd’appeld’avoirécartélafautegrave.Lachambresocialerejettel’argumentenconstatant
« que la cour d’appel, qui a retenu que le fait reproché à la salariée n’avait suscité aucune
remarquedelapartdel’employeur,apuendéduirequesoncomportementn’empêchaitpasson
maintiendansl’entreprisependantladuréedupréavisetneconstituaitpasunefautegrave».
Dans un second moyen, l’employeur conteste les modes de preuve du harcèlement sexuel
retenus par la Cour d’appel. Il estime que l’enregistrement et la reconstitution d’une
conversation ainsi que la retranscription de messages, lorsqu’ils sont effectués à l’insu de leur
auteur, constituent des procédés déloyaux rendant irrecevables en justice, les preuves ainsi
obtenues. Pour la Cour de cassation « si l’enregistrement d’une conversation téléphonique
privée, effectué à l’insu de l’auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal, rendant
irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue, il n’en est pas de même de l’utilisation par le
destinataire des messages écrits téléphoniquement adressés, dits S.M.S., dont l’auteur ne peut
ignorer qu’ils sont enregistrés par l’appareil récepteur ». Ainsi elle reconnaît au vu de ces
messagesetdesautresélémentsdepreuvel’existenced’unharcèlement.
Silepremiermoyennesoulèveguèrederemarque(cf.,toutefoissurlaquestiondeladéfinition
delafautegrave,Cass.soc.,27sept.2007,no06-43.867,P+B+R),teln’estpaslecasdusecond.
C’esteneffetlapremièrefoisquelaCoursuprêmeseprononcesansambiguïtésurlalicéitéde
ce mode de preuve que constituent les S.M.S. L’affirmation du principe ne laisse pas de doute
maislaisseprésagerdedifficultésàvenir.
LEPRINCIPEÉNONCÉDEVALIDITÉDELAPREUVEPARS.M.S.
Selonl’article9duNouveaucodedeprocédurecivile,«ilincombeàchaquepartiedeprouver
conformémentàlaloilesfaitsnécessairesausuccèsdesaprétention».LaCourdecassationena
clairement dégagé un principe de loyauté de la preuve dans l’arrêt Néocel rendant « illicite
l’enregistrementparl’employeur,quelsqu’ensoientlesmotifs,d’imageoudeparoleàl’insudes
salariés,pendantletempsdetravail»(Cass.soc.,20nov.1991,no88-43.120,Bull.civ.V,no519,
Dr. soc. 1992, p. 28, rapp. Waquet Ph., D. 1992, jur., p. 73, concl. Chauvy Y.). Le principe fut
clairementréaffirméparla2echambrecivilesousledoublevisadel’article9duNouveaucode
de procédure civile et de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’Homme et des libertés fondamentales qui pose quant à lui le principe du droit à un procès
équitabledontl’égalitédesarmesestl’unedesmanifestations(Cass.2eciv.,7oct.2004,no0312.653,Bull.civ.II,no447,D.2005,p.122,obs.BonfilsPh.,RTDciv.2005,p.135,obs.MestreJ.
etFagesB.,JCPG2005,II,no10025,noteLégerN.).Lerespectduprincipedeloyautésuppose
alors de rejeter toute preuve obtenue à l’insu de son auteur (comp. en droit pénal, Béal S. et
Ferreira A., La preuve à l’épreuve des nouvelles technologies, JCP S 2007, 1639). Très
logiquement, les magistrats ont-ils, dans l’affaire commentée, considéré que « l’enregistrement
d’uneconversationtéléphoniqueàl’insudel’auteurdesproposinvoqués,estunprocédédéloyal
rendantirrecevableenjusticelapreuveainsiobtenue».
«C’est(...)lapremièrefoisquelaCoursuprêmeseprononcesansambiguïtésurlalicéitédece
modedepreuvequeconstituentlesS.M.S.».
LaquestiondelavaliditédelapreuveparS.M.S.étaitcependantpluscomplexe.Pourautant,la
solutionnesurprendguèresicen’estqu’elleporteenl’espècesurlavaleurd’unmodedepreuve
en l’absence d’information préalable de l’employeur et non du salarié. Ainsi, les juges
poursuivent : « il n’en est pas de même de l’utilisation par le destinataire des messages écrits
téléphoniquementadressés,ditsS.M.S.,dontl’auteurnepeutignorerqu’ilssontenregistréspar
l’appareilrécepteur».Laneutralitédelaformulelaissesupposerqueleprincipeestapplicable
que la preuve soit apportée par le salarié ou par l’employeur. Pourtant, dans ce dernier cas,
l’article L. 121-8 du Code du travail impose que tout dispositif de collecte d’information
concernantpersonnellementunsalariéouuncandidatàl’emploisoitpréalablementportéàleur
connaissance. L’article L. 432-2-1 double cette information individuelle d’une information du
comité d’entreprise lorsque celui-ci existe. Mais deux fondements peuvent être invoqués à
l’appuidecettevaliditédeprincipedelapreuveparS.M.S.enl’absenced’informationpréalable.
D’une part, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion d’admettre la recevabilité de preuves
obtenues, en l’absence d’information préalable des salariés, par des dispositifs dont l’objectif
immédiat n’est pas la surveillance des salariés alors même que leur existence n’a pas été
préalablementportéeàlaconnaissancedessalariés.Ainsi,laCourdecassationaénoncéquesi
l’employeursedevaitd’informerlessalariésdelamiseenplacededispositifdestinéàsurveiller
leuractivité,ilretrouvaitsalibertélorsquelesystèmedevidéosurveillanceétaitinstallédansun
entrepôtdemarchandisesetqu’iln’enregistraitpasl’activitédesalariésaffectésàunpostede
travail déterminé. Dès lors, l’enregistrement vidéo est un mode de preuve admissible du vol
commisparunsalariémêmeenl’absenced’informationpréalable(Cass.soc.,31janv.2001,no
98-44.290, Bull. civ. V, no 28, D. 2001, p. 2169, obs. Paulin). De même, « ne constitue pas un
mode de preuve illicite la production par l’employeur des relevés de facturation téléphonique
qui lui ont été adressés par la société France Télécom pour le règlement des communications
correspondantaupostedusalarié»(Cass.soc.,11mars1998,no96-40.147;Cass.soc.,15mai
2001, no 99-42.937, Bull. civ. V, no 168). Plus largement, la jurisprudence a reconnu que
certaines situations pouvaient être licites sans information préalable du salarié lorsque « le
contrôlen’appellel’organisationd’aucundispositifparticuliermaisrésultedelaseuleutilisation
detechniquesconnuesetlégitimesdesuividel’activitédel’entreprise»(TeyssiéB.,Lapreuve
endroitdutravail,inLapreuve,sousladir.deC.Puigelier,Economica,2004,p.78).
Cet argument est également susceptible d’une autre analyse, mise en lumière dans l’affaire
commentée. Ces différentes techniques de suivi de l’activité de l’entreprise, qu’il s’agisse de
l’utilisation du téléphone ou de l’outil informatique, reposent sur l’enregistrement de données.
Ainsi, il est possible d’invoquer, par ailleurs, un second fondement, celui de l’information
implicitelorsquelapreuveestapportéegrâceàunetechniquedontchacunsaitqu’ellepermetla
conservation de données susceptibles d’être retranscrites en cas de besoin devant le juge. Les
deuxprincipesdoiventsecombiner:c’estparcequelapreuveaétéobtenueparunprocédéne
visantpasdirectementlasurveillancedessalariésquel’informationexpliciteetindividuelledes
salariésn’estpasexigée.Eneffet,toutdispositifayantpourobjectiflasurveillancedessalariés
doit être porté à leur connaissance alors même qu’ils ne peuvent sérieusement ignorer son
existence(Cass.soc.,7juin2006,no04-43.866,Bull.civ.V,no206,RJS2006,no1143;JSL,no
194, p. 3, JCP S 2006, 1614, obs. Corrignan-Carsin C.). Cette dernière solution ne semble pas
remiseencauseparl’arrêtaujourd’huicommenté.
Loind’assouplirlesconditionsdevaliditédesmodesdepreuve,lasolutionconfirmelecaractère
illicitedesinformationsobtenuesclandestinement.LapreuveparS.M.S.n’estadmisequeparce
que la technique repose sur l’enregistrement des données et la Cour de préciser : « ce que
l’auteur[dumessage]nepeutignorer».
LESDIFFICULTÉSANNONCÉESDELAPREUVEPARS.M.S.
La solution donnée en l’espèce ne doit cependant pas tromper : si la preuve par S.M.S. est par
principerecevable,cen’estpassanscondition.Ledébatsoulevéparcetarrêtnedoitpasfaire
oublierqueleprincipedeloyautésupposeégalementquelespreuvesproduitesn’aientpasété
obtenuesenviolationdesrèglesprotégeantlavieprivéeoulesecretdescorrespondances.Par
ailleurs,latechniquemêmeimposedes’interrogersurlafiabilitéetl’intégritédelapreuve.
Le principe du respect de la vie privée se décline de deux façons. Tout d’abord, le principe de
respect de la vie privée suppose que toute preuve, même obtenue légalement, apportée par le
destinataired’unécritàl’encontredesonauteurneportepasatteinteàl’intimitédecedernier
(Metzger M.-J., Le secret des lettres missives, RTD civ. 1979, p. 291). Le principe est sans nul
doute applicable aux S.M.S. dont chacun s’accorde à souligner qu’ils constituent un écrit
empruntantsimplementunmodedetransmissionparticulier(BossuB.,Licenciement:leS.M.S.
n’estpasunmodedepreuvedéloyal,notesousCass.soc.,23mai2007,no06-43.209,P+B,JCP
S2007,1601).
Ensuite,celaposelaquestiondel’accèsàlapreuvelorsqueledemandeurn’estniledestinataire
nil’auteurdel’écrit.Eneffet,l’affaireaujourd’huicommentéesoulèveuneautreinterrogation:
dans quelle mesure l’employeur peut-il avoir accès aux S.M.S. reçus par un salarié sur son
portableprofessionnellorsqu’iln’enestpasl’auteurafindelesproduireausoutiendesonaction
judiciaire ? Pour répondre à cette question, il est possible de prendre appui sur les solutions
dégagées à propos des fichiers informatiques. En effet, un autre défi relatif à l’évolution des
technologies que la chambre sociale de la Cour de cassation a eu à relever fut celui de la
délimitationducontrôleducontenudesordinateursmisàladispositiondessalariésauregard
du principe de respect de la vie privée de ces derniers. S’appuyant sur l’article 8 de la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales,
l’article 9 du Code civil et l’article 120-2 du Code du travail, les magistrats de la Cour de
cassationontposé,danslecélèbrearrêtNikon(Cass.soc.,2oct.2001,no99-42.942,Bull.civ.V,
no291,JSL,no88,p.2,SemainesocialeLamy,no1045,p.6,concl.Kehrig,RJS12/01,no1394,D.
2001,p.3148,obs.GautierP.-Y.,D.2001,p.3286,chr.LangloisP.,D.2002,p.2296,obs.CaronC.,
RTDciv.2002,p.72,obs.HauserJ.,Dr.soc.2001,p.920,obs.RayJ.-E.,JCPE2001,p.1918,note
PuigelierC.),leprincipeselonlequel:
«lesalariéadroit,mêmeautempsetaulieudetravail,aurespectdel’intimédesavieprivée;
quecelle-ciimpliqueenparticulierlesecretdescorrespondances;quel’employeurnepeutdès
lorssansviolationdecettelibertéfondamentaleprendreconnaissancedesmessagespersonnels
émisparlesalariéetreçusparluigrâceàunoutilinformatiquemisàsadispositionpourson
travail,etcecimêmeaucasoùl’employeurauraitinterdituneutilisationnonprofessionnellede
l’ordinateur».
Par la suite, les magistrats ont précisé que l’interdiction de principe ne jouait pas en présence
d’unrisqueoud’unévénementparticulier(Cass.soc.,17mai2005,no03-40.017,Bull.civ.V,no
165, D. 2005, p. 1873, obs. de Quenaudon R., Dr. soc. 2005, p. 789, obs. J.-E. Ray, JCP S 2005,
1031, note Favennec-Héry F.) et qu’elle ne s’appliquait qu’aux fichiers formellement identifiés
parlesalariécommeétantpersonnels(Cass.soc.,18oct.2006,no04-47.400,Bull.civ.V,no308,
D.2006,p.2753).Lesautresdocumentsdétenusparlesalariédanslebureaudel’entreprisemis
àsadispositionsontprésumésavoiruncaractèreprofessionnel,ensortequel’employeurpeuty
avoiraccèshorssaprésence.Or,leparallèleaveclesS.M.S.sembletrouvericisalimite.Dansune
récenteaffairedanslaquelledesS.M.S.étaientégalementproduitsenjustice,laCourd’appelde
Bordeauxajugéquelefaitqu’untéléphoneportableappartienneàunesociétéetsoitmisàla
disposition d’un salarié ne fait pas perdre aux S.M.S. émis par ce dernier grâce à ce téléphone
leur caractère privé (CA Bordeaux, 3e ch. corr., 17 janv. 2007, jurisdata no 2007-331751. V.
Malvina Mairesse, Relisez bien vos sms avant envoi ! <www.village-justice.com>). Le prévenu
qui a demandé à un huissier de dresser un procès-verbal des messages découverts sur le
téléphone professionnel de son frère doit donc être condamné pour violation du secret des
correspondances.RestelavoiedégagéeparunautrearrêtdelachambresocialedelaCourde
cassationdu23mai2007selonlequel:«lerespectdelaviepersonnelledusalariéneconstitue
pasenlui-mêmeunobstacleàl’applicationdesdispositionsdel’article145duNouveaucodede
procédure civile dès lors que le juge constate que les mesures qu’il ordonne procèdent d’un
motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées »
(Cass. soc., 23 mai 2007, no 05-17.818, P + B + R + I, JSL, no 214, p. 2, RJS 8-9/07, no 989, D.
2007, p. 1590, note Fabre A., JCP S 2007, 1451, Barège A. et Bossu B.). Si l’employeur ne peut
seul,saufcasexceptionnel,prendrel’initiatived’ouvrirunfichierpersonnel,teln’estpaslecas
du juge qui, dans le cadre du pouvoir qui lui est conféré par l’article 145 du Nouveau code de
procédurecivile,doitalorss’assurerdubienfondédelademande.Eneffet,deslimitessont-elles
poséesauprincipeénoncéparl’arrêtNikondèslorsquelesrestrictionsapportées,surlemodèle
de la jurisprudence relative à l’ouverture des armoires, sont justifiées par un but légitime de
protectiondesdroits,nécessairesàlaréalisationdecebutetproportionnéesàcemêmeobjectif.
En effet, les juges relèvent également « que l’huissier avait rempli sa mission en présence du
salarié»,cequidémontrelecaractèremesurédel’atteinteàlaviepersonnelledusalarié.
Enfin, la preuve par S.M.S. soulève une dernière question que les faits de l’espèce n’ont pas
permisd’aborder.Lapreuvemêmelibresedoitd’êtrefiable,c’est-à-direrespecterl’identitéde
sonauteuretl’intégritédumessage.Laquestiondéjàabordéeàproposdesmails(comp.Cass.
soc.,2juin2004,no02-45.269,TPS2004,étude17,PeschaudH.,Cyberpreuvedel’identitéde
l’auteurd’uncourrielantisémite)seposeàl’identiquepourleS.M.S.Ainsi,bienquel’employeur
nes’ensoitpasdéfenduenl’espèce,cemodedepreuven’estpasàl’abridelacritique,quel’on
songe simplement à l’utilisation par une autre personne du téléphone portable sans que son
propriétaire ne s’en aperçoive. Les magistrats semblent en être conscients en prenant soin de
préciser que l’existence du harcèlement a été établie par la cour d’appel par une appréciation
souverainedesmessagesécritsadresséstéléphoniquementàlasalariée«etdesautreséléments
depreuvesoumisàsonexamen».
Ainsi,lesmagistratsdelachambresocialedelaCourdecassationviennent-ilsdeconsacrerle
rôledecemodecontemporaindecommunicationqui,rappelons-le,àl’originen’avaitvocation
qu’à transmettre des messages de service provenant d’opérateurs téléphoniques. Un fabuleux
destinquineselimitepasauseuldroitdutravailmaisdontilnefaudrapasnégligerlestravers.
DOCUMENTN°2:C.CASS.,CIV.1ERE,17JUIN2009,07-21796
Cassation.
BULLETINCIVIL-BULLETIND'INFORMATION-RAPPORTDELACOURDECASSATION.
Statuant sur le pourvoi formé par Mme Pascale X..., divorcée Y..., domiciliée [...],contre l'arrêt
rendule20mars2007parlacourd'appeldeLyon(2echambrecivile,sectionB),danslelitige
l'opposant
àM.EmmanuelY...,domicilié[...],
défendeuràlacassation;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au
présentarrêt;
MoyenproduitparlaSCPCélice,BlancpainetSoltner,avocatauxConseilspourMmeX....
Ilestfaitgriefàl'arrêtattaquéd'AVOIRprononcéledivorcedesépouxY...-X...auxtortsexclusifs
deMadameX...;
AUXMOTIFSQU'"ilrésulteduprocès-verbaldeconstatdresséle16avril2004parMaîtreJean
SIMON,huissierdejusticedeLYON,queMadameX...-Y...aexposéàl'officierministérielqu'elle
avait retrouvé le téléphone portable perdu de son époux et qu'elle souhaitait faire certifier les
messagesvisuelsquiapparaissentsurledittéléphone;quelescourriersélectroniquesadressés
par le biais de téléphone portable sous forme de courts messages appelés communément SMS
relèventdelaconfidentialitéetdusecretdescorrespondances;quelalecturedecescourriers
personnelsàl'insudeleurdestinataireconstitueuneatteintegraveàl'intimitédelapersonne,
etced'autantquel'officierministérieln'avaitpasétéautorisépardécisiondejusticeàprocéder
àlalectureducontenudel'appareiltéléphonique;qu'ilconvientenconséquenced'écarterdes
débatsleprocès-verbaldeconstatdeMaîtreJeanSIMON;que,contrairementàcequesoutient
MadameX...-Y...,MonsieurY...contestel'existencedelarelationadultèrepuisqu'ilécritque«le
caractèreetlaréalitédecetterelationnesontdoncpasétablis»etqu'ilconclutaurejetdela
demandededivorcedesonépouse;qu'iln'yadoncpasaveud'adultèreetquecegriefn'estpas
loyalementétabliparMadameX...»;
ALORS QU'en matière de divorce la preuve se fait par tous moyens ; que les juges du fond ne
peuventécarterdesdébatsunecorrespondanceéchangéeentreunconjointetuntiersques'ils
constatentquecettepièceaétéobtenueparviolenceouparfraude;qu'aucasd'espèce,aprivé
sa décision de base légale au regard de l'article 259-1 du Code civil la cour d'appel qui, pour
écarter des débats un constat d'huissier relatant le contenu de messages écrits adressés
téléphoniquement,s'estbornéeàretenirquelalecturedecescourriersconstituaituneatteinteà
lavieprivée,sansrecherchersicesmessagesavaientétéobtenusparviolenceouparfraude.
Vulacommunicationfaiteauprocureurgénéral;
LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en
l'audience publique du 19 mai 2009, où étaient présents : M. Bargue, président, Mme Trapero,
conseiller référendaire rapporteur, M. Pluyette, conseiller doyen, Mme Pascal, MM. Rivière,
Falcone,MmesMonéger,Bignon,M.Chaillou,conseillers,MmeAuroy,M.Chauvin,MmesBobin,
Chardonnet, Vassallo, conseillers référendaires, M. Sarcelet, avocat général, Mme Aydalot,
greffierdechambre;
Surlemoyenunique:
Vulesarticles259et259-1ducodecivil;
Attenduqu'enmatièrededivorce,lapreuvesefaitpartousmoyens;quelejugenepeutécarter
desdébatsunélémentdepreuveques'ilaétéobtenuparviolenceoufraude;
Attendu qu'un jugement du 12 janvier 2006 a prononcé à leurs torts partagés le divorce des
épouxY...-X...,mariésen1995;que,devantlacourd'appel,MmeX...aproduit,pourdémontrer
le grief d'adultère reproché à M. Y..., des mini-messages, dits "SMS", reçus sur le téléphone
portable professionnel de son conjoint, dont la teneur était rapportée dans un procès-verbal
dresséàsademandeparunhuissierdejustice;
Attenduque,pourdébouterMmeX...desademandereconventionnelleetprononcerledivorceà
sestortsexclusifs,lacourd'appelénoncequelescourriersélectroniquesadressésparlebiaisde
téléphoneportablesouslaformedecourtsmessagesrelèventdelaconfidentialitéetdusecret
descorrespondancesetquelalecturedecescourriersàl'insudeleurdestinataireconstitueune
atteintegraveàl'intimitédelapersonne;
Qu'enstatuantainsi,sansconstaterquelesmini-messagesavaientétéobtenusparviolenceou
fraude,lacourd'appelaviolélestextessusvisés;
PARCESMOTIFS:
CASSEETANNULE,danstoutessesdispositions,l'arrêtrendule20mars2007,entrelesparties,
parlacourd'appeldeLyon;remet,enconséquence,lacauseetlespartiesdansl'étatoùellesse
trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon,
autrementcomposée;
CondamneM.Y...auxdépens;
Vul'article700ducodedeprocédurecivile,rejettelademandedeM.Y...;
DitquesurlesdiligencesduprocureurgénéralprèslaCourdecassation,leprésentarrêtsera
transmispourêtretranscritenmargeouàlasuitedel'arrêtcassé;
DOCUMENTN°3:LUDOVICBELFANTI,DELARECEVABILITEDESSMSCOMMEMODEDE
PREUVEENMATIEREDEDIVORCE ,LAMYDROITDEL ’IMMATERIEL Cass. 1 civ., 17 juin 2009, n° 07-21.796, FS-P+B+R+I (Trézéguet M., Preuve par SMS d’un adultère, RLDI, 2009/52, n° 1725)
re
La 1 chambre civile apporte de nouvelles précisions sur le principe de liberté de la preuve en matière de divorce : un sms
re
peut ainsi être produit à titre de preuve à condition de ne pas avoir été obtenu par violence ou par fraude.
1. La loi du 26 mai 2004 (1) portant réforme de la procédure de divorce (2) a modifié l’architecture des procédures
anciennes tout en conservant le divorce pour faute malgré de vives critiques (3) et alors que plusieurs pays européens l’ont
supprimé (4). L’une des critiques faite à ce type de divorce est l’exposition de l’intimité des époux sur la scène judiciaire.
Une telle immixtion dans cette sphère première de la vie privée pose, en effet, des difficultés récurrentes au regard
notamment du droit de la preuve. Puisque, s’agissant de faits juridiques, « la preuve de la violation grave ou renouvelée des
devoirs et obligations du mariage (...) imputable à son conjoint et rendant intolérable le maintien de la vie
commune » (5) est libre, comment conjuguer cette liberté avec la nécessaire protection de la vie privée ?
2. C’est à cette difficulté que se heurte l’arrêt du 17 juin 2009. En l’espèce, l’épouse avait interjeté appel du jugement
ayant prononcé le divorce aux torts partagés et avait produit, pour démontrer le grief d’adultère reproché à son mari, des
SMS reçus sur le téléphone portable professionnel de ce dernier, dont la teneur était rapportée dans un procès-verbal dressé
à sa demande par un huissier de justice. Dans son arrêt du 20 mars 2007, la Cour d’appel de Lyon déboutait l’épouse de sa
demande et prononçait le divorce à ses torts exclusifs, considérant que « les courriers électroniques adressés par le biais de
téléphone portable sous la forme de courts messages relèvent de la confidentialité et du secret des correspondances et que
la lecture de ces courriers à l’insu de leur destinataire constitue une atteinte grave à l’intimité de la personne ».
3. L’épouse formait un pourvoi qui devait aboutir à la cassation, au motif que les juges du second degré ne s’étaient pas
interrogés sur le fait de savoir si les mini messages (6) avaient été ou non obtenus par violence ou fraude. Le présent arrêt
permet de retenir qu’en matière de divorce, si la preuve est libre quant à son mode d’expression (I), elle est aussi
nécessairement limitée quant à son mode d’obtention (II).
I. –
LE PRINCIPE DE LIBERTÉ DE LA PREUVE QUANT À SON MODE D’EXPRESSION
4. Le SMS (7), dit aussi mini message dans sa forme francisée, peut-il constituer un mode de preuve recevable en matière de
divorce ? C’est une réponse positive qu’apporte la 1 chambre civile, adaptant ainsi sa jurisprudence aux nouveaux modes de
re
preuves liés à l’évolution technologique. La solution retenue, s’agissant du mode de communication électronique, est
conforme au droit commun de la preuve (A) dont la préoccupation est de rechercher la vérité. Ce souci légitime doit se
conjuguer avec le souci tout aussi légitime de protection de la vie privée qui semble toutefois régresser (B).
A. –
Conformité de la solution retenue au droit commun de la preuve
5. L’une des finalités de tout procès est la recherche de la vérité (8). Cette quête implique pour chaque partie l’obligation
de produite la preuve des faits qu’elle allègue (9).
En matière de divorce, les fautes peuvent être prouvées par tout moyen s’agissant de faits juridiques. C’est ce que rappelle
l’article 259 du Code civil qui dispose que « les faits invoqués en tant que causes de divorce ou comme défenses à une
demande peuvent être établis par tout mode de preuve, y compris l’aveu ». Aussi, lorsque la 1 chambre civile affirme dans
re
un attendu de principe « qu’en matière de divorce, la preuve se fait par tout moyen», elle se contente de rappeler le droit
commun en la matière. Ce principe revêt toutefois aujourd’hui une dimension particulière puisque dans le sillon de la
consécration d’un droit processuel fondamental, la jurisprudence n’hésite plus à consacrer un véritable droit à la
preuve (10). Ce droit s’entend comme une faculté offerte aux parties de réunir un arsenal de preuves, sans que leur nature
même ne soit enfermée dans tel ou tel standard. Ce faisant, les courriers électroniques adressés par le biais d’un téléphone
portable sous la forme de courts messages, ou SMS, sont recevables comme mode d’expression de preuve.
6. La prise en compte de ce nouveau mode de preuve apparaît conforme à la jurisprudence relative au divorce qui a toujours
été encline à admettre les preuves les plus variées mais aussi les plus intimes. L’examen de la jurisprudence en la
matière (11) permet de retenir l’idée que toute preuve, quel que soit son mode expression – oral, écrit ou dématérialisé –
peut être admise dès qu’il s’agit de démontrer les griefs reprochés à un époux. Ainsi, au-delà de l’aveu (12), mode
d’expression oral de la preuve (13), les juridictions ont-elles accepté d’abord les modes d’expression écrits, par exemple la
production par un époux de lettres missives (14) adressées à son conjoint et contenant des informations confidentielles (15),
ou encore la production du journal intime (16) faisant état de relations adultères de l’épouse avec un autre homme (17).
Le droit de la preuve ne peut rester imperméable au progrès technologique dont la pratique se saisit naturellement.
L’apparition des nouvelles technologies a induit, en miroir, des modes de preuve électroniques (18) et numériques, lesquels
ont donné lieu à des discussions judiciaires. Avec réalisme, la Cour de cassation a admis la production de
courriels (19) comme éléments de preuve d’un adultère. Ceci rappelle que le législateur a, par une loi du 13 mars 2000 (20),
reconnu à l’écrit sous forme électronique (21) une dimension identique à l’écrit sur support papier, lui conférant ainsi le
statut de preuve littérale (22). La preuve par SMS s’inscrit donc dans la suite logique de cette évolution qui doit pouvoir
s’appliquer aux MMS (23) ou autres réseaux sociaux que sont Twitter ou encore Facebook.
Le droit de la preuve ne peut rester imperméable au progrès technologique dont la pratique se saisit naturellement.
7. La preuve par SMS, si elle fait son apparition en matière de divorce, a déjà été consacrée récemment en matière de droit
du travail, dans un arrêt du 23 mai 2007 (24) aux termes duquel la Cour de cassation a admis qu’un SMS puisse prouver le
harcèlement sexuel d’un employeur envers sa salariée, la Cour retenant que « si l’enregistrement d’une conversation
téléphonique privée, effectuée à l’insu de l’auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en
justice la preuve ainsi obtenue, il n’en est pas de même de l’utilisation par le destinataire des messages écrits
téléphoniquement adressés, dits SMS, dont l’auteur ne peut ignorer qu’ils sont enregistrés par l’appareil récepteur ». Dans
cette affaire, le SMS émanait directement de l’employeur qui, en utilisant un mode de communication permettant une
traçabilité, a implicitement autorisé son destinataire à en faire un libre usage. Cette situation est radicalement différente de
celle qui nous occupe puisque les SMS litigieux étaient destinés, non à l’épouse, mais au mari qui les a reçus sur son
téléphone portable professionnel.
Il en va de même en matière pénale (25) : des menaces envoyées par SMS (26) sur le téléphone de la victime peuvent revêtir
la qualification de menaces de mort réitérées (27). L’incrimination d’appels téléphoniques malveillants réitérés en vue de
troubler la tranquillité d’autrui (28) peut aussi être retenue lorsque le prévenu adresse à sa victime de nombreux SMS, dont
la réception se manifeste par l’émission d’un signal sonore (29).
B. –
Primauté du principe sur le droit au respect à la vie privée
8. La sphère de l’intimité du couple, on l’a dit, est nécessairement un lieu de confrontation entre droits fondamentaux
concurrents de valeurs égales. Le principe de la liberté de la preuve en général et de la recevabilité du SMS en particulier
doivent être mis en balance avec ces droits. En cette matière, ce sont les articles 9 et 259 du Code civil (30) qui peuvent
s’entrechoquer, tout comme les articles 8 et 6.1 de la Convention EDH (31).
Quel droit fondamental doit l’emporter sur l’autre ? La Cour de cassation adopte un raisonnement conforme au droit
européen en évaluant la proportionnalité des atteintes portées à la vie privée et au but poursuivi.
9. L’arrêt commenté illustre assurément l’existence d’un conflit de droits. Il aboutit à deux lectures si ce n’est opposées, du
moins différentes : la confidentialité et le secret des correspondances préférées par la Cour d’appel, la nécessité du contrôle
préalable de l’obtention de la preuve, proclamée par la Cour de cassation.
Pour écarter, en effet, la demande de l’épouse tendant à voir prononcer le divorce aux torts exclusifs de son mari, la Cour
d’appel énonce que « les courriers électroniques adressés par le biais de téléphone portable sous la forme de courts
messages relèvent de la confidentialité et du secret des correspondances et que la lecture de ces courriers à l’insu de leur
destinataire constitue une atteinte grave à l’intimité de la personne ». Cette position de principe posée par les juges du
fond protège sans conteste le droit au respect de la vie privée au détriment du droit à la preuve contenu dans l’article 259
du Code civil. Or, en censurant l’arrêt d’appel, la Haute juridiction permet de retenir qu’au-delà du droit à la vie privée,
coexistent des règles propres à la preuve en matière de divorce, tout aussi essentielles, qu’il importe d’articuler avec le
droit au respect de la vie privée.
Ce raisonnement a déjà été utilisé par la Cour de cassation dans d’autres domaines que le divorce. Elle a tour à tour
considéré qu’interdire à une partie de faire la preuve d’un élément de fait essentiel au succès de ses prétentions emportait
violation du principe d’égalité des armes opposé au respect de la vie privée (32) ; elle a, en revanche, rejeté un moyen de
preuve lorsque celui-ci était ni nécessaire au regard des besoins de la défense ni proportionné au but recherché (33).
En définitive, face à des normes de hiérarchie équivalente, le juge doit rechercher leur équilibre et, le cas échéant,
privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime (34).
10. Cette démarche, d’inspiration conventionnelle, a naturellement été adoptée par la Cour EDH dans deux affaires récentes
de divorce. Dans un premier arrêt (35), la Cour de Strasbourg a fait grief aux juridictions françaises d’avoir retenu, parmi
plusieurs éléments de preuve produits, un compte-rendu opératoire d’un époux faisant état de son alcoolisme, en
considérant qu’il y avait eu violation du droit au respect de la vie privée et du secret des données médicales. En effet, en
présence d’autres éléments de preuve, les juridictions françaises auraient dû écarter la pièce médicale qui n’apparaissait
pas nécessaire (36). Dans le deuxième arrêt (37), la Cour a entériné l’admission par les juges nationaux de lettres versées par
l’épouse faisant état de relations homosexuelles de son mari, la Cour considérant en particulier qu’il n’était pas démontré
que l’entrée en possession des éléments de preuve avait été irrégulière.
11. Refuser ou altérer le principe de liberté de la preuve en matière de divorce, à raison du droit à la vie privée, reviendrait
à interdire à l’un des époux de prouver la faute de l’autre et aurait pour conséquence de rompre le juste équilibre entre les
parties.
Au fond, la cassation opérée par l’arrêt commenté fait obligation de garantir le droit à la preuve. Ce faisant, les normes
relevant du domaine du droit procédural ne l’emportent-elles pas sur le domaine des normes de fond ou du droit matériel ?
II. –
LES LIMITES DE LA LIBERTÉ DE LA PREUVE QUANT À SON MODE D’OBTENTION
12. Si la preuve en matière de divorce peut être faite par tout moyen, il n’en demeure pas moins que des limites encadrent
son obtention (A). Si ces limites permettent un contrepoids, encore faut-il tenter d’en mesurer la portée (B).
A. –
Les limites légales et jurisprudentielles au principe de liberté de la preuve
13. Les limites au principe de la liberté de la preuve sont contenues dans l’article 259-1 du Code civil qui énonce qu’« un
époux ne peut verser aux débats un élément de preuve qu’il aurait obtenu par violence ou fraude » (38). Cette disposition
est de nature à assortir de garanties suffisantes l’utilisation des données relevant de la vie privée.
La détermination du mode d’obtention des preuves est le point d’orgue de cet article, dont l’intérêt est de permettre
d’exclure des débats un moyen de preuve obtenu illégalement, quelle que soit sa pertinence. La marge d’évaluation ainsi
accordée par la loi s’inscrit dans le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond (39).
14. Toutefois, l’examen du moyen annexe à l’arrêt commenté permet de noter que la Cour d’appel de Lyon a évoqué le
principe de loyauté (40) en considérant que le grief d’adultère n’a pas été « loyalement établi » par l’épouse, ajoutant que
« l’officier ministériel n’avait pas été autorisé par décision de justice à la lecture du contenu de l’appareil téléphonique ».
Ces références n’incitent-elle pas à retenir l’idée que les juges du fond ont implicitement mais nécessairement admis que la
détention du téléphone portable et l’exploration de son contenu caractérisaient la fraude ?
Cela ne revient-il pas à ériger le principe de loyauté des preuves comme un standard qui serait autonome voire supérieur à
l’article 259-1 du Code civil ? Dans cette hypothèse, le principe de liberté contenu dans la loi ne serait-il pas vidé de sa
substance dès lors que la preuve toucherait l’un des attributs de la vie privée ? Accueillir un principe de loyauté probatoire
en matière de divorce, parfaitement indépendant des limites légales, aurait assurément pour effet de réduire au silence la
vérité (41).
15. Le recours au principe de loyauté n’est pas nouveau et suscite la controverse (42). Il trouve un fort écho en matière de
preuve (43), dont on a déduit l’existence par la combinaison des articles 9 du Code de procédure civile et 6.1 de la
Convention EDH.
La jurisprudence civile, commerciale et pénale ont tour à tour eu recours à ce principe pour écarter ou au contraire
admettre des moyens de preuve affectant la vie privée. C’est en matière d’écoutes téléphoniques que la question de la
loyauté s’est posée avec le plus d’acuité. Ainsi, la 2 chambre civile (44) a été amenée à rejeter le moyen de preuve
e
constitué par une cassette contenant l’enregistrement d’une conversation téléphonique effectué par le prêteur à l’insu de
l’emprunteur (45). La chambre commerciale (46) avait également écarté, dans un litige relatif à des pratiques anticoncurentielles, un enregistrement téléphonique clandestin. Toutefois, la juridiction de renvoi (47) vient de prendre le
contre-pied de cette analyse(48). De son côté, la chambre criminelle (49) a validé la production par un époux d’un procèsverbal d’huissier retranscrivant l’enregistrement d’une conversation téléphonique avec son épouse, dans laquelle celle-ci
reconnaissait le caractère mensonger d’une attestation qu’elle avait produite pour l’accuser de violences à son encontre. La
chambre criminelle considère que l’enregistrement litigieux était justifié par la nécessité de rapporter la preuve des faits
dont l’époux était accusé, pour les besoins de sa défense. Cette démarche transforme une preuve obtenue de façon déloyale
en preuve licite (50). L’approche est radicalement différente s’agissant de la police judiciaire (51) qui doit rechercher les
preuves de manière loyale.
16. En matière de divorce, si le principe de loyauté de la preuve existe, il ne peut être que contenu dans l’article 259-1 du
Code civil qui exclut expressément les preuves qui sont obtenues par violences ou fraudes. Ce texte accrédite l’idée de
légalité de l’administration de la preuve (52), aspect de la légalité procédurale (53) qui a pour ancrage le droit au procès
équitable.
B. –
La portée incertaine de ces limites
17. Que recouvrent la fraude ou la violence énoncées par l’article 259-1 du Code civil dans le contexte conjugal d’intimité ?
Par quels actes ou comportements sont-ils constitués ? Qui doit prouver cette violence ou cette fraude ?
Le présent arrêt contribue, en proclamant le principe de liberté de la preuve, à renforcer les droits de la défense (...) sans
pour autant que ne soient nécessairement affectés les autres droits concurrents que sont le droit à la confidentialité et au
secret des correspondances (...).
À dire vrai, la démonstration de l’obtention illicite de la preuve est un art difficile. Ce fardeau est tel qu’il peut vider cet
article de sa substance. Il faut que la violence ou la fraude soient particulièrement criantes pour parvenir à la
démontrer (54). Ainsi, a pu être considérée comme irrégulière la production de lettres que le mari avait récupérées après
avoir forcé l’armoire de son épouse et fouillé dans le sac qui y était rangé (55). Dans le même ordre d’idée, a été rejeté l’email intercepté par l’épouse grâce à l’introduction dans l’ordinateur professionnel de son mari, en se procurant son mot de
passe (56). Il convient aussi d’écarter des débats des courriers électroniques échangés par l’époux avec des internautes qui
avaient été obtenus grâce à l’installation par l’épouse d’un logiciel espion (57). L’enregistrement clandestin d’une
communication téléphonique (58) entre un époux et un tiers devrait sans nul doute être écarté tout comme la captation des
SMS à distance (59). Au-delà du rejet, une telle captation entre dans les prévisions de la loi pénale (60) et peut aboutir à des
condamnations (61). Toutefois, la situation pourrait être différente si un époux laissait, en toute connaissance de cause, sur
la messagerie de son conjoint, des propos de nature à révéler un adultère (62).
18. Tout ceci ne doit pas éluder d’autres difficultés qui tiennent au caractère immatériel de la preuve. En effet, comment
peut-on s’assurer à la fois de l’intégrité du message et de l’identité réelle de son expéditeur (63) ? Rien n’interdit de penser
qu’un époux puisse recourir à une machination pour piéger son conjoint en faisant envoyer des SMS tendancieux par un
complice. Ces écueils ne facilitent sans doute pas la tâche des juges qui doivent analyser une situation dans son ensemble et
l’apprécier in concreto.
19. Que peut-on dire des SMS, consignés par procès-verbal d’huissier, produits au procès par l’épouse ? Cette dernière
indiquait avoir retrouvé le téléphone professionnel égaré de son époux tandis que celui-ci soutenait une subtilisation (64),
sans pouvoir en rapporter la preuve. Cependant, le simple fait d’énoncer une collecte illicite et en tout cas l’absence de
remise volontaire de téléphone ne fait pas présumer la fraude (65). C’est au contraire une présomption d’obtention licite qui
jaillit, facilitant sans doute la recherche de la vérité. Dès lors qu’il invoque la violence ou la fraude, l’époux doit
nécessairement en rapporter la preuve (66).
Incontestablement, pour accéder aux messages destinés exclusivement à son mari, l’épouse a accompli des actes positifs :
manipulation du téléphone et lecture des courriers électroniques enregistrés dans la mémoire de l’appareil. Ces actes
doivent-ils être considérés comme frauduleux ? La démarche n’est-elle pas la même lorsqu’un époux lit un courrier adressé à
son conjoint, examine son journal intime ou consulte un courriel qui ne lui est pas destiné ? Cela étant, peut-on caractériser
la fraude dès lors que l’appareil en cause n’est ni sécurisé ni verrouillé par un code ? L’absence d’obstacle interdisant toute
consultation ne rend-il pas, de fait, les SMS libres d’accès ? C’est à ces questions que devra notamment répondre la Cour
d’appel de renvoi.
20. En définitive, le présent arrêt contribue, en proclamant le principe de liberté de la preuve, à renforcer les droits de la
défense – en ce sens que chaque partie peut produire tout mode de preuve – sans pour autant que ne soient nécessairement
affectés les autres droits concurrents que sont le droit à la confidentialité et au secret des correspondances, dès lors que les
juges du fond s’assurent des modalités d’obtention de la preuve, qu’elle qu’en soit son support. Ainsi, cette démarche
permet-elle, à n’en pas douter, de privilégier la découverte de la vérité et rappelle à tout un chacun l’adage bien connu
: verba volant scripta manent (67).
DOCUMENTN°4:MYRIAMQUEMENER,LAGEOLOCALISATIONAL’EPREUVEDELA
PROCEDUREPENALE ,LAMYDROITDEL ’IMMATERIEL ,2013,N °99.
Le présent article est consacré à la preuve numérique à l’heure de la géolocalisation. Il est inutile de souligner sa
grande actualité dans la mesure où il est l’occasion de présenter les deux arrêts de la chambre criminelle de la Cour de
cassation du 22 novembre 2013 intervenus sur ce thème.
L’évolution de la criminalité de plus en plus organisée, numérique et internationale a abouti à un renouvellement des modes
d’administration de la preuve pénale(1) qui ont dû s’adapter à l’univers désormais numérique. En effet, le développement
des technologies a bouleversé les méthodes d’enquête, si bien que les procédures pénales et les investigations portent sur
l’exploitation de données récupérées dans, par exemple, les ordinateurs, les smartphones, les tablettes et qu’il faut agir vite
et efficacement en raison du risque de dépérissement des preuves.
L’administration de la preuve pénale comprend, à ce titre, deux étapes fondamentales : d’une part, elle intègre la phase
incontournable de recueil des éléments probatoires menée principalement par les officiers et agents de police judiciaire sous
la direction du procureur de la République ainsi que par le magistrat instructeur ; d’autre part, elle englobe l’opération de
recevabilité de ces mêmes éléments dirigée par le juge répressif.
Si le progrès dans les nouvelles méthodes d’enquête – concomitant à la modernisation de la criminalité – est commandé par
le souci d’accroître la réponse pénale et l’efficacité de la répression, ces technologies sont des moyens qui s’immiscent
toujours davantage dans la sphère d’intimité de l’individu.
Le praticien du droit est donc aujourd’hui confronté à des difficultés liées au recueil de ces indices numériques dont la
validité peut être contestée et faire l’objet de requêtes en nullité.
La preuve doit être recueillie loyalement ou de façon licite, c’est-à-dire dans le respect de ce qui est exigé par la loi. Cette
exigence du procès équitable a pour corollaire le principe de la loyauté des preuves.
Or en France si la liberté de la preuve est affirmée par l’article 427 du Code de procédure pénale, la difficulté vient du fait
que le législateur n’a pas entièrement réglementé le domaine du numérique et que de nouveaux outils technologiques,
comme la captation de données à distance ou la géolocalisation, sont apparus pour trouver des indices numériques.
Le processus pénal doit en outre tenir compte du droit national mais aussi supranational avec principalement les exigences
de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (Convention EDH) et de la
jurisprudence qui en découle.
En matière pénale, il apparaît une tendance à privilégier le principe d’efficacité, de recherche de la vérité, au détriment
parfois du principe de loyauté surtout dans le cas où les parties privées apportent des preuves au procès.
La chambre criminelle de la Cour de cassation adopte ainsi une conception large des méthodes d’admission des modes de
preuve(2), ce qui conduit le juge national à admettre parfois des procédés déloyaux ou illégaux. Il convient cependant de
distinguer le cas des preuves produites par les parties, de celui où les preuves sont fournies par les autorités publiques. La
notion de « preuve licite et loyale » est en fait à géométrie variable selon qu’elle est produite par des autorités privées ou
publiques, ces dernières étant soumises à une obligation renforcée de loyauté(3). Pour les parties privées, leprincipe de la
loyauté de la preuve est atténué et il est de jurisprudence établie que la preuve illégalement obtenue peut être produite
en justice.
Pour les personnes publiques en revanche, il est clairement affirmé que le principe de loyauté prime sur le principe
d’efficacité.
Les enquêteurs ne peuvent utiliser que des preuves dont la nature est prévue par la loi et dans le respect des droits et
libertés fondamentaux. Dans un arrêt du 11 mai 2006(4), la chambre criminelle de la Cour de cassation a conclu à la
déloyauté d’une preuve obtenue à la suite d’une provocation à l’infraction « par un agent de l’autorité publique ou par son
intermédiaire ».
La chambre criminelle va jusqu’à étendre le champ d’application du principe de loyauté au recueil d’indices provenant de
l’étranger en annulant une procédure ouverte en France sur la base d’une provocation à l’infraction d’origine étrangère.
En effet, par un attendu de principe, elle indique que « la provocation à la commission d’une infraction par un agent public,
fût-elle réalisée à l’étranger par un agent public étranger, ou par son intermédiaire, porte atteinte au principe de loyauté
des preuves et au droit au procès équitable».
Cette décision(5) doit être saluée dans la mesure où elle est conforme aux exigences de notre ordre public qui ne peut
souffrir d’une dualité de régimes selon que la preuve est obtenue en France ou à l’étranger.
Il reste à espérer qu’elle constitue un préalable à une autre unification, à savoir celle de la preuve administrée par une
partie privée qui continue d’être exclue du principe de loyauté, et celle fournie par des officiers de police judiciaire, par
exemple.
I. –
GÉOLOCALISATION : DE LA LIBERTÉ À LA LÉGALITÉ DE LA PREUVE PÉNALE
La justice est donc désormais constamment confrontée à la recherche d’indices numériques et le cas de la géolocalisation,
de plus en plus utilisée pour établir des infractions graves, par exemple le terrorisme, est d’actualité et pose des
interrogations sur le plan juridique.
En effet, la géolocalisation(6) permet une surveillance de suspects de façon proactive en temps réel contrairement au
bornage qui intervient a posteriori et qui est moins précis. Ces derniers moyens en ayant recours à des réquisitions auprès
d’opérateurs téléphoniques afin de localiser les bornes ayant été activées par un téléphone portable ne sont pas visées par
ces décisions.
La géolocalisation donne lieu à des décisions illustrant la complexité de la question du recueil de la preuve et constitue une
illustration parfaite du dilemme dans lequel se trouve la Juridiction suprême, entre les exigences processuelles de l’article 8
de la Convention EDH et l’efficacité répressive pour assurer la protection de l’intérêt national de l’État.
Par un important arrêt(7), la Cour européenne s’est prononcée en 2010 sur la compatibilité avec les dispositions de la
Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales d’une surveillance par GPS, qui est un
système de géolocalisation par satellite, ordonnée dans le cadre d’une enquête pénale. Dans sa décision, la Cour a tout
d’abord relevé que les autorités d’enquête avaient véritablement « pisté » les déplacements du requérant en public, ce qui
l’a amenée à conclure à l’existence d’une ingérence dans la vie privée de l’intéressé, telle que protégée par l’article 8, § 1,
de la Convention EDH.
Ayant vérifié que cette ingérence était bien « prévue par la loi » au regard des dispositions du Code de procédure pénale
allemand, elle a relevé que la surveillance était réalisée dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de la
prévention des infractions pénales (terrorisme) et de la protection des droits des victimes, qu’elle avait seulement été
ordonnée après l’échec d’autres mesures moins intrusives, et mise en œuvre pour une courte durée, ne « touchant » le
requérant que lorsqu’il se déplaçait dans la voiture de son complice. Elle en a déduit que la surveillance était proportionnée
aux buts légitimes poursuivis et donc « nécessaire dans une société démocratique », au sens de l’article 8, § 2, de la
Convention EDH.
En droit français, la mesure, consistant à mettre en place, sur un véhicule automobile, un dispositif technique tendant à
suivre les déplacements de celui-ci, ne fait pas l’objet d’une réglementation spécifique dans le Code de procédure pénale et
son fondement légal paraît dès lors devoir être recherché dans les articles 81 et 151 du Code de procédure pénale qui
permettent au juge d’instruction d’effectuer, sur commission rogatoire, tous actes utiles à la manifestation de la vérité.
La chambre criminelle a vu dans ces dispositions une base légale suffisante pour justifier des mesures d’investigation non
comprises dans la nomenclature légale, même lorsqu’elles étaient attentatoires aux droits de la personne.
Il convient de rappeler que la chambre criminelle, saisie du pourvoi formé contre la décision d’une chambre de l’instruction
ayant rejeté la requête en annulation des réquisitions délivrées dans le cadre d’une enquête préliminaire à un opérateur de
téléphonie relatives à la communication des informations concernant les appels reçus et adressés avec localisation des relais
déclenchés, au motif que celles-ci n’avaient pas été autorisées par une ordonnance du juge des libertés et de la détention, a
déjà estimé que l’établissement du parcours d’un individu grâce aux déclenchements de relais n’était pas de même nature
que des écoutes téléphoniques. Puis elle a indiqué que la chambre de l’instruction, ayant déclaré régulières lesdites
réquisitions, avait justifié sa décision, dès lors que ces réquisitions tendaient uniquement à la mise à disposition
d’informations utiles à la manifestation de la vérité(8).
Cependant, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne, au-delà de l’existence d’un fondement légal, il faut
que la loi qui prévoit la possibilité de prendre des mesures de surveillance soit accessible et prévisible et qu’il existe des
garanties adéquates et suffisantes contre les abus.
Conformément à la jurisprudence de la Cour européenne, au-delà de l’existence d’un fondement légal, il faut que la loi qui
prévoit la possibilité de prendre des mesures de surveillance soit accessible et prévisible et qu’il existe des garanties
adéquates et suffisantes contre les abus
La chambre criminelle a été récemment saisie d’un pourvoi formé contre la décision d’une chambre de l’instruction ayant
refusé d’annuler des mesures de géolocalisation effectuées grâce à la mise en place d’un dispositif technique placé sur un
véhicule en l’espèce, dans le cadre d’une information suivie, notamment, des chefs d’infractions à la législation sur les
stupéfiants et association de malfaiteurs ; le juge d’instruction avait prescrit, par commission rogatoire distincte, la mise en
place d’un dispositif technique, dit « de géolocalisation », sur un véhicule utilisé par les suspects aux fins d’en déterminer
les déplacements.
Rejetant le pourvoi, elle a énoncé que caractérise la prévisibilité et l’accessibilité de la loi, et la proportionnalité de
l’ingérence réalisée dans l’exercice, par les personnes concernées, du respect de leur vie privée, au regard de l’article 8, §
2, de la Convention EDH, la chambre de l’instruction qui retient, d’une part, que l’apposition sur un véhicule automobile
d’un dispositif technique dit « de géolocalisation » a pour fondement l’article 81 du Code de procédure pénale et, d’autre
part, que la surveillance a été effectuée sous le contrôle d’un juge et que, s’agissant d’un trafic de stupéfiants en bande
organisée portant gravement atteinte à l’ordre public et à la santé publique, elle était proportionnée au but poursuivi et
nécessaire au sens du texte conventionnel susvisé(9).
Elle a constaté que la chambre de l’instruction ne s’est pas contentée de se référer au fondement légal de la mesure, tel
qu’il résulte des articles 81 et 151 du Code de procédure pénale, mais qu’elle a également vérifié, conformément à la
décision de la Cour européenne, que cette mesure, qui constitue une ingérence au sens de l’article 8 de la Convention, était
bien proportionnée au but poursuivi.
II. –
LA GÉOLOCALISATION : UNE INGÉRENCE DANS LA VIE PRIVÉE
La chambre criminelle de la Cour de cassation par deux arrêts du 22 novembre 2013(10) vient de préciser qu’il se déduit de
l’article 8 de la Convention EDH que la technique dite « de géolocalisation » constitue « une ingérence dans la vie privée
dont la gravité nécessite d’être ordonnée sous le contrôle d’un juge garant du respect des libertés individuelles ». En
l’espèce, il s’agissait de procédures, d’une part, d’association de malfaiteurs en vue de la préparation d’actes de terrorisme
et, d’autre part, d’infractions à la législation sur les stupéfiants où les téléphones portables des mis en examen avaient fait
l’objet d’une géolocalisation.
La Haute Cour casse et annule uniquement la décision sur la géolocalisation prescrite durant l’enquête préliminaire et non
pas durant l’information judiciaire dans le cadre de laquelle d’autres mesures de surveillances ont été ordonnées sous le
contrôle d’un juge d’instruction(11). Implicitement, on comprend aussi qu’il appartient à un juge indépendant de contrôler
ces measures, ce qui n’est pas le cas du magistrat du parquet(12) qui n’est pas considéré comme indépendant(13).
On remarque cependant que la chambre criminelle vise non pas seulement l’article 8, § 1, de la Convention EDH énonçant
que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance », mais
l’article 8 dans son intégralité, c’est-à-dire aussi le § 2 de l’article, qui dispose « qu’il ne peut y avoir ingérence d’une
autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue
une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être
économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la
morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
La chambre criminelle réaffirme ici l’exigence du contrôle du juge pour toutes les mesures intrusives visant à rechercher des
éléments de preuves numériques, contrôle absent au stade de l’enquête, ce qui justifie la cassation. Ces arrêts vont avoir
des conséquences importantes et entraîner des requêtes en nullité relatives à des procédures où la géolocalisation a été
ordonnée non seulement en enquête préliminaire mais également en flagrance(14).
III. –
ENCADRER LA GÉOLOCALISATION PAR LA LOI
En visant l’article 8 de la Convention EDH dans son intégralité, la Haute Cour exprime implicitement la nécessité de
légiférer(15) en matière de géolocalisation ou de « tout dispositif technique de surveillance des déplacements en temps
réel » comme c’est déjà le cas pour toutes les techniques intrusives comme l’interception, l’infiltration, la captation de
données à distance.
À la suite de ces deux arrêts, la Direction des affaires criminelles et des grâces de la chancellerie a adressé aux chefs de
juridiction une dépêche le 29 octobre 2013(16), selon laquelle la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation,
« d’application immédiate », devait être considérée comme applicable « à toutes les formes d’enquêtes diligentées sous
l’autorité du procureur de la République » et impliquait, « dans l’attente d’une indispensable réforme législative », « que
ces surveillances intrusives en temps réel des portables et des balises en cours dans de telles enquêtes soient interrompues
et que soit requise l’ouverture d’une information judiciaire dans les dossiers pour lesquels ces opérations apparaissent
nécessaires au bon déroulement des investigations ».
Un projet de loi de programmation militaire(17) instaure dans son article 13, actuellement en débat, un régime juridique
spécifique et, pour l’instant, dans un cadre administratif, pour la géolocalisation en temps réel en matière de prévention du
terrorisme. Cependant, le législateur va certainement poser les contours de ces techniques intrusives dans un cadre
judiciaire. En effet, les procureurs de la République ont demandé au Gouvernement d’adopter « d’urgence » un texte sur la
géolocalisation dans les enquêtes préliminaires.
CONCLUSION ET PERSPECTIVES
Le développement de l’univers numérique concerne désormais largement le domaine de l’administration de la preuve ; ce
qui amène à ajouter d’autres critères que ceux de la loyauté, comme ceux de la légalité, de la proportionnalité et du
respect de la vie privée.
L’harmonisation des règles de preuve entre particuliers et puissance publique apparaît nécessaire compte tenu des
techniques d’intrusion que les premiers peuvent utiliser en dehors de tout contrôle. Par ailleurs, il apparaît nécessaire
d’harmoniser les régimes juridiques des techniques d’investigation intrusives, surtout lorsqu’elles sont occultes, et de les
limiter dans le temps.
La recherche d’un équilibre entre loyauté de la preuve et recherche de la vérité, entre protection de la vie privée et
protection de l’ordre public est essentielle afin de garantir un procès équitable en préservant les droits de chacune des
parties, mais cette démarche est devenue complexe à l’ère numérique et nécessite une intervention du législateur afin de
rappeler les grands principes de proportionnalité au regard des enjeux en présence.
DOCUMENTN°4BIS:CHRISTOPHERADE,PREUVE.DISPOSITIFDESURVEILLANCEDES
SALARIES .LOYAUTÉ .PROHIBITIONDESSTRATAGÈMES ,DROITSOCIAL2008P .608
L'essentiel
Si l'employeur a le pouvoir de contrôler et de surveiller l'activité de son personnel pendant le temps de travail, il ne peut
mettre en oeuvre un dispositif de surveillance clandestin et a ce titre déloyal.
Constitue un stratagème des vérifications effectuées par des agents EDF mandatés par le chef de centre, qui s'étaient
rendus dans l'établissement tenu par l'épouse de l'intéressé en se présentant comme de simples clients, sans révéler leurs
qualités et le but de leur visite.
Cour de cassation
(Chambre sociale)
18 mars 2008
M. Gérard Bonnici c/ Syndicat CGT des énergies EDF/GDF et a
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X..., entré en 1975 au service d'EDF-GDF, exerçait depuis 1993 les
fonctions d'opérateur intervention, chargé à ce titre d'assurer le relevé des compteurs, au centre d'exploitation
d'Avignon ; qu'après l'avoir convoqué le 24 novembre 2000 à un premier entretien, puis informé le 20 décembre
2000 de son renvoi devant la commission secondaire du personnel, qui s'est réunie en dernier lieu le 12 avril
2001, l'employeur a notifié le 28 mai 2001 à cet agent sa mise à la retraite d'office ; que, contestant la
régularité de la procédure suivie par l'employeur et la cause de sa révocation, M. X... a saisi le juge prud'homal
de demandes indemnitaires ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir jugé régulière et fondée la sanction prise par EDF-GDF alors, selon
le moyen, que pour assurer l'impartialité de la procédure disciplinaire, l'agent qui s'est trouvé mêlé directement
et à titre personnel aux faits motivant la comparution de l'agent incriminé devant la commission secondaire, ne
doit prendre part ni aux débats, ni aux délibérations ; que si l'interdiction concerne « essentiellement », selon le
paragraphe 2321 de la circulaire Pers. 846, le coauteur ou le complice de l'agent incriminé, elle concerne
indistinctement tout agent ayant eu à connaître directement et à titre personnel des agissements de l'agent
incriminé, tel le supérieur hiérarchique à l'origine des contrôles destinés à le confondre ; qu'en retenant que la
circulaire Pers. 846 interdit de siéger exclusivement au coauteur ou complice de l'agent incriminé, la Cour
d'appel a violé l'article 3 du statut national du personnel des industries électriques et gazières, ensemble la
circulaire Pers. 846 ;
Mais attendu que le paragraphe 2321 de la circulaire Pers. 846 n'interdit de prendre part aux débats et aux
délibérations de la commission secondaire qu'aux agents qui se sont trouvés mêlés directement et à titre
personnel aux faits motivant la comparution de l'agent incriminé devant cette commission ; qu'en jugeant que le
seul fait que M. Y... ait exercé des prérogatives de supérieur hiérarchique, en organisant un contrôle de l'activité
de M. X..., ne lui interdisait pas de participer aux travaux de la commission secondaire appelée à se prononcer
sur son cas, comme représentant de la direction, la Cour d'appel a fait une exacte application de ce texte ; que
le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le troisième moyen :
Vu l'article 9 du Code de procédure civile ;
Attendu que si l'employeur a le pouvoir de contrôler et de surveiller l'activité de son personnel pendant le temps
de travail, il ne peut mettre en oeuvre un dispositif de surveillance clandestin et à ce titre déloyal ;
Attendu que, pour juger que la sanction prononcée à l'encontre de M. X... était régulière et fondée, la Cour
d'appel a retenu que si l'employeur a demandé à des cadres de l'entreprise d'aller prendre leur repas dans
l'établissement qu'exploitait l'épouse de l'agent, en leur fournissant des photographies de l'intéressé, afin
d'établir un rapport dont il résultait que le salarié assurait le service du restaurant en partie pendant son temps
de travail, il n'avait pas été porté atteinte à la vie privée de ce dernier, dès lors que l'établissement était ouvert
au public, que les agents mandatés ne s'étaient pas cachés pour procéder aux constatations, qu'ils n'étaient pas
tenus de révéler leurs fonctions, ni le but de leur visite, agissant en simples clients comme aurait pu l'être tout
agent EDF venu inopinément dans l'établissement ; que la plainte avec constitution de partie civile déposée par
M. X... pour atteinte à la vie privée a donné lieu à une ordonnance de non-lieu ; que le recours à des témoins
pour faire constater l'activité d'un agent pendant ses heures de travail ne constitue pas un procédé déloyal ou
clandestin ; et que les contrôles ponctuels ne se sont pas réalisés à l'insu du salarié, les agents s'étant présentés
au restaurant sans se dissimuler, alors que M. X... faisait le service au vu et au su de l'ensemble des clients
quels qu'ils puissent être ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que des agents EDF, mandatés par le chef de centre, s'étaient
rendus dans l'établissement tenu par l'épouse de l'intéressé en se présentant comme de simples clients, sans
révéler leurs qualités et le but de leur visite, ce dont il résultait que leurs vérifications avaient été effectuées de
manière clandestine et déloyale, en ayant recours à un stratagème, la Cour d'appel, qui a retenu à tort comme
moyen de preuve les rapports établis dans ces conditions, a violé le texte susvisé ;
Par ces motifs, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les autres moyens :
Casse et annule, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 juillet 2006, entre les parties, par la cour
d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit
arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne EDF-GDF Avignon Grand Delta aux dépens ;
Vu l'article 700 du Code de procédure civile, condamne EDF-GDF Avignon Grand Delta à payer à M. X... la
somme de 2 500 € ;
Mme Collomp, prés., M. Bailly, cons. rapp. , M. Aldigé, av. gén
[pourvoi n° 06-45.093, arrêt n° 555 FS-P+B, D. 2008. 992, obs. B. Ines]
Observations
Le principe de la loyauté de la preuve constitue incontestablement un principe fondamental du droit de
la preuve. Depuis l'arrêt Néocel rendu en 1991, cette exigence se fonde sur l'article 9 du Code de procédure
civile (Cass. soc., 20 nov. 1991, RJS 1992, n° 1, rapp. P. Waquet ; D. 1992, p. 73, concl. Y. Chauvy). Depuis, la
loi du 31 décembre 1992 est venue préciser l'obligation d'informer préalablement à leur mise en oeuvre le
candidat à l'emploi « des méthodes et techniques d'aide au recrutement utilisées à son égard » (C. trav., art. L.
121-7), ainsi que des dispositifs de collecte d'informations, cette obligation concernant d'ailleurs également tous
les salariés (C. trav., art. L. 121-8).
L'article 9 du Code de procédure civile reçoit parfois le secours des articles 8 de la convention EDH et 9 du Code
civil, pour assurer le respect de la vie privée des salariés (ainsi dans l'arrêt Nikon : Cass. soc., 2 oct. 2001, Dr.
soc.2001, p. 920, chron. J.-E. Ray), mais pas nécessairement. Dans de nombreuses hypothèses, en effet, c'est
le seul caractère clandestin de la méthode qui suffit à écarter les preuves du débat. C'est la raison pour laquelle
il a été jugé que « si l'employeur a le droit de contrôler et de surveiller l'activité de son personnel durant le
temps de travail, il ne peut ( ) mettre en oeuvre un dispositif de contrôle qui n'a pas été porté à la connaissance
des salariés » (Cass. soc, 15 mai 2001, D. 2001, p. 3075, note T. Aubert-Montpeyssen). En revanche, la
production en justice d'un SMS adressé par un employeur à un salarié est licite dans la mesure où ce dernier
n'est pas sans savoir que le contenu du message s'affichera sur le téléphone du salarié et pourra être lu par
toute personne (Cass. soc., 23 mai 2007, n° 06-43.209, Société civile professionnelle (SCP) Laville-Aragon,
Lexbase hebdo n° 262 du 31 mai 2007, éd. Soc., et la chron.).
C'est cette jurisprudence qui se trouve ici confirmée.
Dans cette affaire, un agent d'EDF avait été licencié pour avoir participé, sur son temps de travail, à l'activité
professionnelle de son épouse qui tenait un restaurant.
Pour parvenir à l'établir, l'employeur avait demandé à des cadres de l'entreprise d'aller prendre leur repas dans
cet établissement, en leur fournissant des photographies de l'intéressé, et ce afin d'établir le rapport servant de
base aux poursuites disciplinaires.
La Cour d'appel avait admis la recevabilité de cette preuve, après avoir relevé que l'établissement était ouvert
au public, que les agents mandatés ne s'étaient pas cachés pour procéder aux constatations, qu'ils n'étaient pas
tenus de révéler leurs fonctions, ni le but de leur visite, agissant en simples clients comme aurait pu l'être tout
agent EDF venu inopinément dans l'établissement, et que les contrôles ponctuels ne se sont pas réalisés à l'insu
du salarié, les agents s'étant présentés au restaurant sans se dissimuler, alors que l'agent mis en cause faisait le
service au vu et au su de l'ensemble des clients quels qu'ils puissent être.
Cet arrêt est cassé, la Haute Juridiction considérant, après avoir visé l'article 9 du Code de procédure civile, que
« si l'employeur a le pouvoir de contrôler et de surveiller l'activité de son personnel pendant le temps de travail,
il ne peut mettre en oeuvre un dispositif de surveillance clandestin et à ce titre déloyal », que ces « agents EDF,
mandatés par le chef de centre, s'étaient rendus dans l'établissement tenu par l'épouse de l'intéressé en se
présentant comme de simples clients, sans révéler leurs qualités et le but de leur visite, ce dont il résultait que
leurs vérification avaient été effectuées de manière clandestine et déloyale, en ayant recours à un stratagème ».
La solution n'est guère surprenante au regard de la jurisprudence dégagée classiquement par la
cassation qui reprend ici les termes de la solution dégagée dans l'arrêt Néocel, la Cour faisant
référence, de manière quasi-inédite (Cass. soc., 16 janv. 1991, Bull. civ. V, n° 15. - Cass. crim., 4 déc.
02-86353, inédit), à la prohibition de tous « stratagèmes » et en affirmant que la mise en oeuvre d'un
de surveillance clandestin est « à ce titre déloyal ».
Cour de
toutefois
2002, n°
dispositif
Cette jurisprudence pourrait sembler sévère dans la mesure où elle conduit à donner raison à un salarié dont les
fautes sont patentes. Elle semble toutefois nécessaire pour assurer le respect du principe de loyauté dans les
relations professionnelles. Lorsqu'il se trouve dans l'entreprise, le salarié sait pertinemment que tous ses faits et
gestes peuvent valablement être observés et consignés par son encadrement. Mais en dehors de l'entreprise, le
salarié n'a pas à redouter la présence de tiers, ni celle de ses collègues. Certes, il faut un certain humour pour
suggérer, comme le fait la Cour de cassation dans cet arrêt, que les salariés venus pour « espionner » leur
collègue auraient dû l'informer de l'objet de leur visite...
L'employeur n'aura donc d'autre choix que d'avoir recours à un huissier de justice pour garantir la recevabilité de
ce genre de preuve, et encore à condition de respecter un certain nombre de principes rappelés dans un autre
arrêt rendu le même jour (cf. infra ).
Mots clés :
LICENCIEMENT * Procédure * Preuve*Loyautéde la preuve * Stratagème * Vie privée
CONTRAT DE TRAVAIL * Obligation de l'employeur * Obligation de loyauté * Contrôle et surveillance *
Stratagème * Vie privée
DROIT ET LIBERTE FONDAMENTAUX * Vie privée * Vie privée du salarié * Contrôle et surveillance *
Stratagème * Preuve illicite
DOCUMENTN°5:C.CASS.CRIM .,4JUIN2008,08-81045
Vul'article6§1delaConventioneuropéennedesdroitsdel'hommeetl'articlepréliminaire
ducodedeprocédurepénale,ensembleleprincipedeloyautédespreuves;
Attenduqueporteatteinteauprincipedeloyautédespreuvesetaudroitàunprocèséquitable,
la provocation à la commission d'une infraction par un agent de l' autorité publique, en l'
absenced'élémentsantérieurspermettantd'ensoupçonnerl'existence;queladéloyautéd'un
telprocédérendirrecevablesenjusticelesélémentsdepreuveainsiobtenus,quandbienmême
ce stratagème aurait permis la découverte d' autres infractions déjà commises ou en cours de
commission;
Attendu que, le 11 mars 2004, le service des douanes et de l' immigration des Etats- Unis
informait la direction centrale de la police judiciaire française de ce que Cyril X... s' était
connecté,danslanuitdu9au10septembre2003,surunsitedepornographieinfantilecrééet
exploité par le service de police de New- York, unité criminalité informatique, aux fins d'
identifier les pédophiles utilisant internet ; que la transmission de ladite information a donné
lieu à une enquête préliminaire en France puis, le 17 décembre 2004, à l' ouverture d' une
information contre personne non dénommée des chefs d' importation et détention d' images
pornographiquesdemineurs;que,le19octobre2005,uneperquisitioneffectuéeaudomicilede
Cyril X..., inconnu des services de police jusqu' à cette date, a permis la découverte de deux
ordinateursportables,deCD-ROM,dedisquettesetd'unecléUSB,dontl'examenarévéléqu'
ilscontenaientdesimagespornographiquesdemineurs;que,le21octobre2005,àlasuited'un
réquisitoire supplétif du ministère public, l' intéressé a été mis en examen des chefs précités
ainsiquedediffusiondecesimages;
Attendu que, pour rejeter la requête en annulation formée par Cyril X... au motif que la
procédureconduiteenFranceseraitfondéesurunstratagèmedesautoritésaméricainesayant
provoquél'intéresséàlacommissiond'uneinfraction,l'arrêtretientquesilaprovocationàla
commission d' une infraction porte atteinte au principe de loyauté des preuves, il n' en va pas
ainsidelamiseenplaced'undispositifpermettantderévélerdesinfractionsdéjàcommisesou
se poursuivant ; que les juges ajoutent qu' en l' espèce, la détention d' images
pédopornographiques par le mis en examen était antérieure à sa connexion au site ftp et à la
sollicitation d' un tiers non identifié dont il invoque l' existence ; que c' est dans un contexte
préexistantderecherchesd'imagespédopornographiquesetalorsqu'ilavaitdéjàcommisdes
infractionsendétenantdetellesimagesqu'ils'estconnectéausiteftpaméricain;quelacourd'
appelendéduitquel'opérationmiseenplaceparlesautoritésaméricainesneconstituepasune
provocation à la commission d' une infraction, n' étant que le moyen de révéler une infraction
préexistante;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que découverte de la détention d' images
pornographiques n' a été permise que par la provocation à la commission d' une infraction
organisée par les autorités américaines et dont les résultats avaient été tranmis aux autorités
françaises, la chambre de l' instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci- dessus
rappelé;
D'oùilsuitquelacassationestencouruedecechef;
Parcesmotifs:
CASSEetANNULE,entoutessesdispositions,l'arrêtsusvisédelachambredel'instructiondela
cour d' appel de Versailles, en date du 25 janvier 2008, et pour qu' il soit à nouveau jugé,
conformémentàlaloi,
RENVOIElacauseetlespartiesdevantlachambredel'instructiondelacourd'appeldeLyon,à
cedésignéepardélibérationspécialepriseenchambreduconseil;
ORDONNE l' impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la
chambredel'instructiondelacourd'appeldeVersailles,samentionenmargeouàlasuitedel'
arrêtannulé;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le
quatrejuindeuxmillehuit;
Enfoidequoileprésentarrêtaétésignéparleprésident,lerapporteuretlegreffierdechambre
;
Titrages et résumés : CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 6 § 1 -
Equité-Officierdepolicejudiciaire-Constatationdesinfractions-Provocationàlacommission
d'uneinfraction-Provocationréaliséeàl'étrangerparunagentpublicétranger-Compatibilité
(non)
Porte atteinte au principe de loyauté des preuves et au droit à un procès équitable, la
provocation à la commission d'une infraction par un agent de l'autorité publique, en l'absence
d'éléments antérieurs permettant d'en soupçonner l'existence. La déloyauté d'un tel procédé
rend irrecevables en justice les éléments de preuve ainsi obtenus, quand bien même ce
stratagème aurait permis la découverte d'autres infractions déjà commises ou en cours de
commission
PREUVE - Libre administration - Etendue - Limites - Atteinte au principe de la loyauté des
preuves-Cas-Provocationàlacommissiond'uneinfractionparunagentpublicétranger
DOCUMENTN°6:C.CASS.,CRIM ,7JANVIER2014,N°13-85246
Vu l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article préliminaire du
codedeprocédurepénale,ensembleleprincipedeloyautédespreuves;
Attenduqueporteatteinteaudroitàunprocèséquitableetauprincipedeloyautédespreuves
lestratagèmequienvicielarechercheparunagentdel'autoritépublique;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, dans le cadre d'une
information ouverte à la suite d'un vol à main armée, le juge d'instruction a, par ordonnance,
prisesurlefondementdesarticles706-92à706-102ducodedeprocédurepénale,autoriséla
miseenplaced'undispositifdesonorisationdanslescellulesdegardeàvued'uncommissariat
depolice;queMM.Y...etX...,identifiéscommeayantpuparticiperauxfaitsobjetdelapoursuite,
ont été placés en garde à vue dans deux cellules contiguës et ont pu, ainsi, communiquer
pendantleurspériodesderepos;qu'aucoursdecespériodes,ontétéenregistrésdesproposde
M.X...parlesquelsils'incriminaitlui-même;quecelui-ci,misenexamenetplacéendétention
provisoire,adéposéunerequêteenannulationdepiècesdelaprocédure;
Attenduque,pourécarterlesmoyensdenullitédesprocès-verbauxdeplacementetd'auditions
en garde à vue, des pièces d'exécution de la commission rogatoire technique relative à la
sonorisationdescellulesdegardeàvueetdelamiseenexamen,prisdelaviolationdudroitde
setaire,dudroitaurespectdelavieprivéeetdeladéloyautédanslarecherchedelapreuve,la
chambredel'instructionénoncequelemodederecueildelapreuveassociantlagardeàvueet
la sonorisation des cellules de la garde à vue ne doit pas être considéré comme déloyal ou
susceptibledeporteratteinteauxdroitsdeladéfense,dèslorsquelesrèglesrelativesàlagarde
àvueetlesdroitsinhérentsàcettemesureontétérespectésetquelasonorisationaétémenée
conformémentauxrestrictionsetauxrèglesprocéduralesprotectricesdesdroitsfondamentaux
poséesexpressémentparlacommissionrogatoiredujuged'instructionetqu'ilpeutêtrediscuté
toutaulongdelaprocédure;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que la conjugaison des mesures de garde à vue, du
placement de MM. Y... et X... dans des cellules contiguës et de la sonorisation des locaux
participait d'un stratagème constituant un procédé déloyal de recherche des preuves, lequel a
amenéM.X...às'incriminerlui-mêmeaucoursdesagardeàvue,lachambredel'instructiona
méconnulestextessusvisésetleprincipeci-dessusénoncé;
D'oùilsuitquelacassationestencourue;
Parcesmotifs:
CASSEetANNULE,entoutessesdispositions,l'arrêtsusvisédelachambredel'instructiondela
cour d'appel de Versailles, en date du 4 juillet 2013, et pour qu'il soit à nouveau jugé,
conformémentàlaloi,
DOCUMENTN°7:DIDIERTHOMAS,VALERIEBOSC,CHRISTINEGAVALDA-MOULENAT,
PHILIPPERAMON,AUDEVAISSIERE,LESTRANSFORMATIONSDEL’ADMINISTRATIONDELA
PREUVEPENALE ,ARCHIVESDEPOLITIQUECRIMINELLE ,N °26PEDONE ,2004,P .113.
Lapreuve,selonDomat,est«cequipersuadel’espritd’unevérité».Elleconstitue,parvoiede
conséquence,labasedetoutprocèsetlaconditionsinequanond’unebonneadministrationdu
systèmejudiciaire.L’absencedepreuveesttraditionnellementconsidéréecommeayantuneffet
déterminantsurlaprocédure,révéléparlamaximelatineIdemestnonesseetnonprobari.
Partantdececonstat,l’EquipedeRecherchesurlaPolitiqueCriminelle(E.R.P.C.)del’Université
deMontpellierI,répondantàunappeld’offresduG.I.P.«MissionderechercheDroitetJustice»,
aélaboréunprojetderechercheconsacréauxtransformationsdel’administrationdelapreuve
pénale. La démarche retenue a consisté à établir un état des lieux du système probatoire
français,toutenélaborantunoutildepolitiquecriminelle.
Envisagé sous l’aspect spécifique du droit pénal, le rôle de la preuve est, en effet, encore plus
capital puisque, pour imputer une infraction à un suspect et obtenir ultérieurement sa
condamnation, il faut parvenir à renverser la présomption d’innocence, d’où le terme
particulièrementévocateuretsignificatifde«fardeau»delapreuve.Ainsi,entantqu’ensemble
desrèglesapplicablesàlaconstatationd’uneinfraction,quecetteconstatationsoitrelativeaux
faits ou à la personnalité du suspect, la preuve occupe une fonction stratégique au cœur du
procèspénallargosensu–etdansledroitpénalengénéral.Cetteplaceestcependantmouvante
en raison d’un procès pénal à géométrie variable et, en tout cas en constante extension, et du
développementdestechniquestoujoursplusscientifiquesderassemblementdespreuves.
La question de la preuve est donc essentielle dans le contentieux juridictionnel et plus
particulièrementdanslecontentieuxpénal,certainss’accordantmêmeàdirequelesrèglesqui
régissentlapreuvesont«lemiroir»delasociété,laquelleestenquêted’unéterneléquilibre
entrelarecherchedesaprotectionetl’atteintequecettedernièrerisquedeporterauxlibertés
individuelles.
Ainsi,malgréunebaisseglobaledeschiffresdeladélinquance,estconstatéeuneaugmentation
decertainescatégoriesd’infractions,notammentlesviolencescontrelespersonnes.Parailleurs,
les interrogations affluent autour de l’endiguement d’une criminalité transnationale et d’une
délinquanceliéeàl’essordesnouvellestechniques.
Lanaturedeladélinquancevarieetserenouvelle,présentantensubstanceundoubleaspectet
provoquant inéluctablement le déclenchement du processus d’internationalisation du droit
pénal.
Le premier aspect de la criminalité est en relation avec les mutations mondiales concernant
particulièrement les différentes formes du crime organisé. Sa seconde nature a été mise en
évidence par la découverte de crimes horribles, perpétrés en violation des principes
fondamentauxdudroithumanitaire.Ellerésulted’unbouleversementdesvaleursetimposeune
prise de conscience de la société internationale sur le caractère indispensable de l’édiction de
normes supranationales aux fins de sanctionner des crimes pour lesquels la communauté
internationaledanssonintégralitéestdirectementintéressée.
La transformation de la délinquance est également liée au développement de technologies
nouvelles qui ont une incidence directe sur le comportement de la criminalité. Cette dernière
devient de plus en plus sophistiquée, opaque et ingénieuse. Parallèlement, la justice pénale
bénéficiedesavancéesliéesauprogrèsdestechniques.
Le processus pénal est encore atteint par l’affirmation de principes directeurs de la procédure
pénale issus principalement des exigences de la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales (C.E.S.D.H.) et de la jurisprudence qui en
découle. L’influence de ce texte supranational s’opère en France par le jeu d’une applicabilité
directe aux termes de l’article 55 de la Constitution. L’intégration par la Cour de justice des
Communautés européennes des principes dégagés par la Cour Européenne des Droits de
l’Homme(C.E.D.H.)renforcel’impactdecesderniers.
Dans ce contexte, l’étude de l’administration de la preuve présente un intérêt majeur ; elle est
effectivement la phase centrale du droit de la preuve et, par là même, la plus sensible aux
phénomènessusmentionnés.
L’administration de la preuve pénale comprend, à ce titre, deux étapes fondamentales pour la
gestiondesmodesdepreuve.D’unepart,elleintègrelaphaseincontournablederecueillement
des éléments probatoires menée principalement par les officiers et agents de police judiciaire
ainsiqueparlemagistratinstructeur.D’autrepart,elleenglobel’opérationderecevabilitédeces
mêmesélémentsdirigéeparlejugerépressif.
Dèslors,vouloirobjectivementsesoucierdestransformationsdel’administrationdelapreuve
pénale implique nécessairement une double adaptation visible au plan interne ainsi qu’à
l’écheloninternational.
Or, l’adaptation du système probatoire français aux évolutions pratiques et théoriques
constatées est logiquement subordonnée à la démonstration de ses carences. Une réflexion de
fonda,parconséquent,étéengagée–premieraxedelarecherche(I)–surleslacunesrelatives
auxdiversaspectsdel’administrationdelapreuvepénale,tanttechniquesetscientifiques,que
pragmatiques,ouencorethéoriquesenrapportaveclesgrandsprincipesdeprocédure.
Effectivement, si le progrès dans les nouvelles méthodes d’enquête – concomitant à la
modernisation de la criminalité – est commandé par le souci d’accroître la réponse pénale et
l’efficacitédelarépression,cestechnologiesoffrentauxenquêteursdesmoyensquis’immiscent
toujours davantage dans la sphère d’intimité de l’individu. Les interrogations quant à la
légitimité du recours à de tels moyens ne doivent pas occulter la question essentielle de la
suffisance ou non de cette adaptation. Cette dernière semble par ailleurs subordonnée à
l’élaboration d’un système probatoire, si ce n’est commun et unifié, reposant toutefois sur les
mêmes principes. L’harmonisation des règles de preuve apparaît désormais pour nombre de
nations, en particulier européennes, comme un véritable défi. La raison découle des
particularités et disparités procédurales existant en matière de preuve dans la législation des
diversEtats.C’estainsilaconservationdespreuvesdecomportementsdélinquantsmultipleset
variés,impliquantdenombreuxacteursetterritoiresqu’ildevientimportantdemaîtriser.
Pourtant, un tel effort, basé sur la prise de dispositions compatibles entre elles et
ponctuellementcommunes,s’avèreindispensablepourrenforcerlaluttecontreladélinquance
nouvelle.Enoutre,ellen’ariend’utopiqueauregarddel’avènementd’unejusticeinternationale
etdelasignatured’accordsetdeconventionsenmatièredeprotectiondesintérêtsfinanciersde
l’Union européenne. Cependant, elle demeure délicate en raison de la permanence d’obstacles
étatiques,tellelasouveraineténationale.
Le second axe du projet a été motivé par la recherche d’un nécessaire amélioration des règles
guidant l’administration de la preuve pénale aux évolutions de la société actuelle (II). Des
propositions ont alors été élaborées pour permettre une meilleure adéquation du système
probatoire français et pour favoriser le renforcement de la lutte contre la délinquance
transnationale.Ellesonttraitauxtransformationsindispensablesdel’administrationinternede
la preuve pénale et à la recherche primordiale et utile d’une harmonisation de la preuve à
l’échelleeuropéenne.
I-Leconstatd’unsystèmeprobatoirelacunaire
Le constat des lacunes du système probatoire actuel résulte d’une part, d’une insuffisante
adaptation aux évolutions de la criminalité et aux nouvelles techniques de preuves. Notre
système est, en raison de sa rigidité, trop souvent inadapté, ce qui gêne considérablement la
résolutiondecertainesaffairescriminelles(A).
Elleest,d’autrepart,laconséquencedecertainescarencesdusystèmetraditionneldelapreuve
pénale,tenantpourl’essentielaunonrespectdesprincipesfondamentauxdudroitpénaletdela
procédurepénale(B).
A-Unemodificationdel’économiedusystèmetraditionneld’administrationdelapreuve
L’adaptation de l’administration de la preuve pénale est rendue nécessaire en raison de
l’apparition et du développement de nouvelles formes de délinquance auxquelles s’associent
inévitablementdenouveauxmodesdepreuves(1).
Au premier rang de ces récents procédés probatoires figure la preuve scientifique dont le
recourscroissantsoulèvequelquesdifficultés(2).
1-Uneinadéquationauxnouvellesformesdedélinquance
L’histoire de la preuve suit celle de la criminalité. En raison des figures diverses et malignes
qu’empruntecettedernière,ledroitdelapreuveestdansl’obligationdes’adapter.Laseconde
moitié du XXème siècle a vu se développer deux nouvelles formes de délinquance face
auxquelleslesprocédésprobatoiresclassiquessontinexistantssinonobsolètes:ladélinquance
économiqueetfinancièred’unepartet,d’autrepart,ladélinquanceinformatique.
Par ailleurs, le constat d’une inadéquation du système actuel d’administration de la preuve
pénale est renforcé lorsque cette délinquance aux moyens techniques accrus est conjuguée au
développement d’une délinquance transnationale. En témoigne la nature hétérogène de la
criminalité d’affaire qui lui permet de recouvrer différentes formes, de la pratique individuelle
utilisant les nouvelles technologies de pointe – l’outil informatique notamment – à de vastes
opérationsmenéesauplaninternationalpardesgroupeshyperstructurésetparfoisconnectés
au crime organisé. Si la criminalité organisée n’est pas un phénomène nouveau, sa
mondialisationenestunemanifestationrécenteetexponentielle.Ladérégulationdeséchanges,
la sophistication des moyens de communication, l’existence d’un archipel planétaire de places
spécialisées dans la gestion tolérée de la criminalité financière et l’absence d’une solide
coopération internationale ont favorisé une telle évolution. Même lorsque l’infraction est
commisesurleterritoirenational,certainesopérations,élémentsconstitutifsmatériels,peuvent
avoir été commises à l’étranger. Quant aux produits du délit, ce sont souvent des sommes
d’argent dont l’existence et la provenance se perdent au fil des transits dans diverses banques
étrangères.
2-Uneinadaptationaudéveloppementdenouvellestechniquesderassemblementdespreuves
Le droit de la preuve a longtemps reposé sur l’aveu, alors que, de nos jours, il s’appuie
essentiellementsurunsupportscientifiqueettechnique.Eneffet,l’aveud’aujourd’huin’aplusla
même consistance, ni le même rôle que celui d’hier et bien souvent ce sont des procédés
scientifiques qui viennent le corroborer. La preuve scientifique peut ainsi s’analyser comme la
résultanted’unedémarcherationnellefondéesurl’observationetl’expérience.
L’usage de la science pour élucider les affaires pénales est donc devenu indispensable
notamment pour lutter activement contre de nouvelles formes de criminalité. A partir de ce
constat se sont développées au cours des dernières décennies des nouvelles méthodes pour
lesquellesilafallus’interrogersurleurfiabilitémais,aussietsurtout,surleurconformitéavec
lesidéauxirriguantlaprocédurepénale.Delàsedégagentdesméthodesàproscrire,d’autresà
développeretcertainesàn’envisagerqu’avecprudence.
Emblèmedecesnouveauxprocédés,lapreuvegénétiqueaacquisuneplaceprépondérante.Or,
l’identificationgénétiquen’adevaleurquecomparative.Lacartegénétiqueétablieàpartird’un
indiceestenelle-mêmeinexploitablesiellenepeutêtrecomparéeàcelled’unautreéchantillon
prélevésurunsuspect,unevictimeoufigurantdansunfichier.Dèslorsseposelaquestiondu
récolementd’ADNpermettantd’offrirunoutildecomparaison.
Le prélèvement d’empreintes génétiques a suscité des réactions divergentes et controversées
puisque ce procédé touche au plus profond de l’être humain : son intégrité physique. Aussi un
encadrementstrictdelatechniques’imposeafindenepasrompreavecdesprincipesessentiels
du droit notamment celui de l’inviolabilité du corps humain. Si dans ce sens des efforts
appréciables ont été réalisés, il s’avère cependant que la réalité en matière génétique suscite
encored’importantesdiscussions.
B-Lescarencesdel’administrationtraditionnelledelapreuvepénale
L’administration traditionnelle de la preuve pénale s’accommodait d’un principe de loyauté
malmené(1)etd’unprocessuspénalinadapté(2).
1-Lenonrespectduprincipedeloyauté
L’article 427 du code de procédure pénale prévoit que « hors les cas où la loi en dispose
autrement,lesinfractionspeuventêtreétabliespartoutmodedepreuve….»
Nulnepeutalorslecontester,lapreuveestlibre.Cecinesignifiepaspourautantquetoutesles
preuvessontadmissiblesetquetoutmoyenpourlesrecueillirestacceptable.Unfortconsensus
doctrinal s’est organisé à ce propos. Il est tout à fait contraire à la volonté de préserver une
justice démocratique, et ce au regard de principes de morale, d’équité et d’éthique judiciaire,
d’admettre sans cesse des preuves illégalement obtenues sous prétexte d’une recherche
nécessairedelavérité.
L’ouvragerécemmentécritparChristianDEVALKENEERtémoignedecetintérêtactueletfondé
pour de telles pratiques. « L’étude de la tromperie dans l’administration de la preuve peut
apparaître,àpremièrevue,commeincongrue.Véritéetjusticenesont-ellespasintrinsèquement
liées ? Dans cette perspective, la tromperie ne serait qu’une forme de déviance judiciaire ou
policièrequ’ilconviendraitd’appréhendersousl’angledel’irrecevabilitédespreuves».
L’étude du principe de loyauté a conduit à la constatation d’un cautionnement fréquent de la
tromperieparlaloiouparlajurisprudence,«autraversdudéveloppementdesstratégiessouscouvertures».
Iln’estdésormaisplussouhaitabled’accepterl’illégalitémanifeste.Ilenvadelacrédibilitéetde
lalégitimitédenotresystèmepénal.
Dans ce contexte, il apparaît utile, voire indispensable de renforcer le caractère loyal de la
preuve.
La loyauté dans la recherche des preuves apparaît comme un impératif procédural dont les
objectifssonttangiblesàl’examendelajurisprudenceetdelalégislationeuropéennes.
Commel’écrivaitdéjàleDoyenBouzat,«Laloyautéestunemanièred’êtredelarecherchedes
preuves,conformeaurespectdesdroitsdel’individuetàladignitédelaJustice».Enencadrant
strictement certaines pratiques policières – telle l’infiltration –, le législateur a enfin pris
consciencedelanécessitédeprotégerleprincipedeloyautéquiconstitueincontestablementla
règlefondamentaledevantrégirl’administrationdelapreuve.
Aussi ce principe devrait-il s’appliquer en toute logique sans limite aucune. Pourtant, des
atteintes au principe de loyauté sont commises ; concrètement, elles tiennent à l’utilisation de
certains procédés probatoires, tout autant qu’à un système de protection de la loyauté encore
imparfait.Ainsi,l’absencededispositionsécritessurlerôledespartiesprivéesdanslarecherche
despreuvesalaisséunelargemargedemanœuvreauxjugesqui,dansunsouciderépression
croissanteet«d’impunitézéro»,ontprogressivementpermisauxpartiescivilesdeproduireà
l’instancepénaledespreuvesdéloyalementobtenues.Auprismed’unevolontédeprivilégierla
manifestationdelavérité,lesjuridictionsinternesenarriventàadmettredesenregistrements
d’imagesréalisésparunecaméradansuneofficinedepharmaciesefondant,pourcefaire,sur
l’absence de prévision légale concernant l’intervention des parties privées dans la phase de
recherchedespreuves.
2-L’inadaptationduprocessuspénalactuel
Les modifications susmentionnées ont entraîné une véritable inadéquation tant des règles
gouvernantledéroulementduprocèspénalquedesacteursdeceprocessus.Ainsi,l’insuffisance
manifesteduprincipeducontradictoiretantdansl’enquêtedepolicequ’aucoursdel’instruction
préparatoirenepermetpasd’avoirundroitàlapreuvejusteetéquitable.L’informationentant
quecomposanteduprincipeducontradictoireseraitdanslaphasepréparatoireduprocèspénal
trèsimparfaite.
Concernantl’enquêtedepolice,cetteconsidérationrenvoiealorsaurôlejouéparl’avocatlorsde
son intervention pendant la mesure de garde à vue, ce dernier disposant de 30 minutes pour
s’entreteniravecsonclientmaisnerecevantaucuneinformationsurlesélémentsdefaitdéjàà
ladispositiondesservicesdepolice.
Relativementàl’instruction,l’équilibredesdroitsdespartiesn’apasencoreétéatteintmalgré
les réformes successives de la procédure pénale. Nous considérons qu’il est donc justifié
d’évoquer à ce stade de la procédure un certain déséquilibre des droits des parties, allant à
l’encontre des dispositions de l’article préliminaire du Code de procédure pénale. En effet, le
Parquetrestelargementfavoriséparrapportauxpartiesprivées.Ainsi,leParqueta-t-ilaccèsau
dossierenpermanencealorsquel’article114,al.2duCodedeprocédurepénaleprévoitquela
procédure est mise à la disposition des avocats des parties « durant les jours ouvrables, sous
réservedesexigencesdubonfonctionnementducabinetd’instruction».
Si la preuve constitue l’un des objets premiers du processus pénal, il n’en demeure pas moins
quesarecherchenedoitpass’effectueraudétrimentdesgarantiesindividuelles.
A l’identique, le bouleversement du système d’administration de la preuve pénale doit
s’accompagner nécessairement d’une redéfinition du rôle des acteurs du procès pénal en
général,etdelapreuvepénaleenparticulier.
II-Larecherched’uneaméliorationdusystèmeprobatoire
L’améliorationdusystèmed’administrationdelapreuvepénalereposesurlamiseenexergue
delafinalitéduprocèspénaletlaplaceconséquenteaccordéeàlapreuvedanscecontexte.En
tant qu’élément substantiel, fondement de tout processus pénal, l’amélioration du système de
preuvepénaledoitveilleràrenforcerlaprotectionindividuelle(A)maiségalementl’efficacitéde
la répression (B). Effectivement, l’objectif du procès pénal est originellement un objectif de
répression tandis que l’influence des préceptes européens commande une justice pénale
soucieusedeslibertésindividuellesetdesdroitsdel’homme.
A-Unrenforcementdelaprotectionindividuelle
Le développement du recours à la preuve scientifique impose un renforcement des libertés
individuelles par un encadrement strict de son utilisation (1). L’intégration des préceptes
européensapparaîtcommeuneétapefondamentaledanscetteoptique(2).
1-Unrecoursàlapreuvescientifiquestrictementdéfini
L’un des principaux vices de la preuve scientifique est qu’elle sous-entend pour beaucoup la
notiondecertitude.Cependant,laquestiondoitêtreposée:lapreuvedevient-ellefiable,voire
mêmeinfaillible,dèslorsqu’ellerevêtlecaractèrescientifique?Anotresens,ceraccourcidoit
absolumentêtreévitéafind’empêcherdesissuesregrettables.
Certes, la preuve technique permet aujourd’hui d’accroître sensiblement l’efficacité de la
répression, néanmoins cet usage doit être combiné avec l’exploitation des preuves plus
classiques.Laraisonenestsimple:chaquepreuve,qu’ellesoittraditionnelleouplusmoderne,
comporte des limites qui l’empêchent de servir d’unique fondement à une condamnation. De
plusleprincipemêmedel’intimeconvictioninterditunetelleacception.
Dansuneperspectivedeprotectiondeslibertésindividuelles,despropositionsvisantàencadrer
lerecoursàlapreuvescientifiqueontétéformulées:
-Renforcerlatransparenceenmatièrederécolementdesempreintesgénétiques.
-Encadrerstrictementlapossibilitédesesoumettreàunprélèvement.
- Renforcer la formation des enquêteurs afin d’éviter les erreurs de manipulations pouvant
engendrerunedestructiondesindices,voireunrisqued’erreurjudiciaire.
- Limiter le récolement des empreintes dans le FNAEG aux infractions les plus graves, en
particulier les infractions contre les personnes et l’atteinte à la sûreté de l’Etat, l’atteinte aux
droitsdelapersonnenedevantpasêtredisproportionnée.
-Limiterl’utilisationdelaméthodeauxcrimesetdélitslesplusgavesafinderéduirelescoûts,
l’impact économique suscité par l’introduction de la génétique dans les pratiques judiciaires
n’étantpasànégliger.
2-Uneintégrationdesprécepteseuropéensendroitfrançais
Malgrél’absence,danslestermesmêmesdelaConventioneuropéennedesdroitsdel’homme,
deprincipesdirecteursspécifiquesàl’administrationdelapreuveenmatièrepénale,ilressort
de la jurisprudence des instances européennes que le « mode de présentation des moyens de
preuve»doitrevêtiruncaractèreéquitable.«Larecevabilitédespreuvesrelèveaupremierchef
des règles du droit interne et il revient en principe aux juridictions nationales d’apprécier les
éléments recueillis par elles. La tâche de la Cour consiste donc à rechercher si la procédure
examinéedanssonensemble,ycomprislemodedeprésentationdesmoyensdepreuve,revêtait
uncaractèreéquitable»(C.E.D.H.,Deltac/France,17décembre1990).
L’intégration des préceptes européens en droit français au regard du procès équitable doit
imposerunrenforcementdesprincipesdirecteursdel’instance:
-Développerlesdroitsdeladéfensedansl’enquêtedepolice.
- Informer les personnes gardées à vue non seulement de la nature de l’infraction mais
égalementdesraisonsdefaitetdedroitquiontmotivélamesure.
-Rétablirl’informationsurledroitausilencedugardéàvue.
- Assurer l’équilibre des droits des parties durant l’instruction en exigeant que les juges
d’instructionmotiventendroitetenfaitlerejetdesdemandesd’actesformuléesparlesavocats
desparties.
- Poser le principe selon lequel, à peine d’irrecevabilité du témoignage, la défense doit être en
mesure d’interroger ou de faire interroger tout témoin à charge. Lorsque les autorités
compétentes ont fait preuve de diligence pour permettre la confrontation, le témoignage non
contradictoirepeutnéanmoinsêtrereçu,maisilnesauraitconstituerleseulélémentsurlequel
reposelacondamnation.
L’idée des droits de l’homme est également un vecteur d’harmonisation des législations qui
tendent,lorsqu’ellesseveulentdémocratiques,àseconformeràcertainsprincipesdeprotection
etderespectdeladignitéhumaine,sanspourautantnégligerl’efficacitédelarépression.
B-Unrenforcementdel’efficacitérépressive
L’harmonisation européenne en œuvre (1) par l’intermédiaire de multiples accords et
conventionss’avèreinsuffisanteetnécessiteencoreplusdecoopération(2).
1-L’élaborationd’unsystèmeprobatoireàl’écheloneuropéen
«Ledroitnepeutéchapperàlamondialisation,lesQuinzedoiventmontrerl’exemple».Ainsi
s’exprimaitleProfesseurMireilleDelmas-Marty,le28novembre2000,dansunarticleintitulé«
PourunvraiProcureurEuropéen»parudanslequotidienLibération.
Ilyétaitquestiond’unepropositiondelaCommission,soutenueparleParlementeuropéen,de
création d’un Procureur Européen qui, dans des matières spécifiques liées à la protection des
intérêts financiers communautaires disposerait de pouvoirs forts d’investigation sur tout le
territoiredesEtatsmembressansavoirbesoinderecouriràdescommissionsrogatoiresouàla
procédured’extradition.
Quelleavancéedanslaconstructiond’une«Europedelajustice»!
La France, trop attachée à sa culture juridique et judiciaire spécifique et à une souveraineté
qu’elle désirait protéger « coûte que coûte », a longtemps été réticente quant à l’adoption de
tellespropositions.
LaFranceetd’autresnationsontfinalementperçul’enjeudecesévolutionsprocéduralespourla
constructioneuropéenneetpourlarépressiond’unecriminalitétransnationale.Lesévénements
terroristes du 11 septembre 2001 ont accéléré la création du mandat d’arrêt européen, tandis
quel’adoptionduProcureureuropéenfaitencoredébat.
Lavolontéd’élaborerunsystèmeprobatoiresinonunifié,toutaumoinsharmonisé,àl’échelon
européenconstituel’unedespréoccupationsmajeuresdesgouvernementseuropéensàl’heure
actuelle. Les projets européens en cours de réalisation, voire déjà adoptés, reflètent cette
ambitiondifficileàconcrétiserenraisonprincipalementdesdisparitésprocéduralesexistanten
matièreprobatoiredanslesdifférentspayseuropéens.
2-L’approfondissementdesperspectiveseuropéennesd’harmonisation
Les problèmes rencontrés par notre système national se sont vus apporter diverses solutions.
Toutefois certaines propositions sus-évoquées s’intègrent plus facilement dans le cadre d’une
harmonisationeuropéenne.
Ainsienest-il,notamment,despointssuivants:
-DévelopperauplaneuropéenunfichiercomparableànotreFNAEG,accessibleauxdifférentes
institutionsdesEtatsdel’Unionetreposantsurdescritèrescommuns.
- Accélérer la mise en œuvre du mandat d’arrêt européen en incitant les Etats signataires à
l’intégrerauplusvitedansleurlégislation.
- Favoriser la coopération policière et l’entraide judiciaire en élargissant le domaine
d’applicationdesdroitsd’observationetdepoursuitetransfrontalièreinstituésparlesaccords
Schengen et en limitant les hypothèses dans lesquelles les Etats signataires peuvent refuser
l’exercicesurleurterritoiredudroitdepoursuite.
- Créer un Procureur européen disposant de compétences suffisantes pour poursuivre sur
l’ensemble des pays de l’Union Européenne les crimes et délits graves portant atteinte aux
intérêtsdel’Union.
Conclusion
Le constat des lacunes du système probatoire français nous a conduit à préconiser certaines
modificationsdequelquesdispositionsducodedeprocédurepénale.
Trente-quatre propositions concrètes ont ainsi été formulées dans le rapport définitif,
disponible depuis juin 2004, propositions constituant des pistes éventuelles pour une
améliorationdenotresystèmeprobatoireinterne.
Cespropositions,présentéesexplicitementsousformed’articles,sefondentsurlesnécessaires
adaptations de l’administration traditionnelle de la preuve pénale en droit français. Elles se
combinent également aux préceptes, plus spécifiques, présentés comme vecteurs d’une
harmonisationdesrèglesprobatoiresàl’écheloneuropéen.
S’agissant,parexempledelagardeàvue,laprohibitiondesinterrogatoiresexcessifspassepar
l’adjonction d’un nouvel alinéa à l’article 63 du code de procédure pénale qui pourrait être
rédigéainsi:«L’interrogatoiredespersonnesàl’encontredesquellesilexistedesindicesgraves
etconcordantsd’avoirparticipéauxfaitsdontl’officierdepolicejudiciaireestsaisi,nepeutêtre
poursuivi.
L’officierdepolicejudiciairedoit,alorsimmédiatementenaviserleprocureurdelaRépublique
afinqu’ilapprécielessuitesàdonneràlaprocédure».
Demêmeleprincipeducontradictoire–dontl’articlepréliminaireducodedeprocédurepénale
rappellepourtantqu’ilconcerne«toutepersonnesuspectée»–seraitmieuxprotégésil’article
63-1précisait,commel’exigepourtantlajurisprudenceeuropéenne,quetoutepersonneplacée
engardeàvueestimmédiatementinforméedelanaturedel’infraction«etdesraisonsdefaitet
dedroitquiontmotivélamesure».
DOCUMENTN°8:CHRISTOPHERADE,PREUVE.CONSTATD'HUISSIER.LOYAUTE.
PROHIBITIONDESSTRATAGEMES,DROITSOCIAL,2008,P.610
L'essentiel
Si un constat d'huissier ne constitue pas un procédé clandestin de surveillance nécessitant l'information
préalabledusalarié,ilestenrevancheinterditàcetofficierministérield'avoirrecoursàunstratagèmepour
recueillirunepreuve.
C.cass.,Soc.,18mars2008,SociétéColomc/MmeStéphanieDelaide
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Limoges, 13 décembre 2005), que Mme Delaide,
vendeuse dans un magasin exploité par la société Colom, a été licenciée pour faute grave le 6
août2004aprèsconstatation,parunhuissier,del'absenceencaisseàdeuxdatesdéterminées
du montant d'achats effectués en espèces auprès d'elle aux mêmes dates, ces faits constituant
selonlalettredelicenciementdesdétournementsd'espèces;
Attendu que la société Colom fait grief à l'arrêt d'avoir dit que le licenciement de la salariée
n'étaitpasjustifiéparunefautegrave,etdel'avoircondamnéeaupaiementdediversessommes,
alors,selonlemoyen:
1°/queconstitueunmodedepreuveliciteunconstatdresséparunhuissierquis'estbornéà
effectuerdesconstatationspurementmatériellesdansunlieuouvertaupublic;qu'enécartant
ce mode de preuve, le constat d'huissier produit par l'employeur après avoir constaté que
l'huissieravaiteffectuédesconstatationsdanslesmagasinsdelasociété,lieuouvertaupublic,la
Courd'appelaviolélesarticles9duCodedeprocédurecivileetL.120-2duCodedutravail;
2°/ que l'objet du litige est fixé par les prétentions respectives des parties ; que la salariée
reconnaissait dans ses écritures qu'il lui arrivait parfois de décaler la vente d'un jour sur le
lendemainetdenepasenregistrerlejourmêmelesventeseffectuées;quepourlaventedu21
juillet2004viséedanslalettredelicenciement,MmeDelaideavaitaffirmén'avoirinscritcette
vente sur le cahier des ventes que le 22 juillet 2004 ; que ce fait était expressément reproché
dans la lettre de licenciement adressé à Mme Delaide ; qu'en affirmant que la production du
cahier de caisse était inopérante pour rapporter la preuve du fait reproché dès lorsque l'on
ignore quelles sont les ventes réglées en espèces que Mme Delaide n'aurait pas mentionnées
danslecahierprévuàceteffetetdontellen'auraitpasremisencaisseleproduitenl'absencede
tout autre élément de preuve que le constat, alors que la salariée reconnaissait ne pas avoir
mentionné les ventes du 21 juillet 2004, fait reproché dans la lettre de licenciement, la Cour
d'appelamodifiélestermesdulitigeetviolélesarticles4,7et12duCodedeprocédurecivile;
Mais attendu d'abord, que si un constat d'huissier ne constitue pas un procédé clandestin de
surveillance nécessitant l'information préalable du salarié, en revanche il est interdit à cet
officierministérield'avoirrecoursàunstratagèmepourrecueillirunepreuve;
Et attendu ensuite que la Cour d'appel a relevé, par motifs adoptés, que l'employeur s'était
assuré le concours d'un huissier qui avait organisé un montage en faisant effectuer, dans les
différentes boutiques et par des tiers qu'il y avait dépêchés, des achats en espèces puis en
procédant, après la fermeture du magasin et hors la présence de la salariée, à un contrôle des
caisses et du registre des ventes ; qu'en l'état de ces constatations, dont il ressortait que
l'huissier ne s'était pas borné à faire des constatations matérielles, mais avait eu recours à un
stratagèmepourconfondrelasalariée,elleenaexactementdéduitqueleconstatétablidansces
conditionsnepouvaitêtreretenucommepreuve;quelemoyenn'estpasfondé;
EtattenduenfinquelaCourd'appel,sansdénaturerlestermesdulitige,s'estbornéeàrelever
que les faits de détournement d'espèces, seuls faits visés par la lettre de licenciement, ne
résultaient pas des cahiers de caisse, en l'absence d'autres éléments de preuve ; que le moyen
n'estpasfondé;
Parcesmotifs:
Rejettelepourvoi;
Observations
L'article 1er de l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers
dispose que ces derniers « peuvent être commis par justice pour effectuer des constatations
purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui
peuvent en résulter ; ils peuvent également procéder à des constatations de même nature à la
requêtedeparticuliers;dansl'unetl'autrecas,cesconstatationsn'ontquelavaleurdesimples
renseignements».
Lasituationdeshuissiersdejusticeauregarddudroitdelapreuveesttoutefoisassezdifficileà
cerner.
Il est en effet admis que « un constat d'huissier ne constitue pas un procédé clandestin de
surveillancenécessitantl'informationpréalabledusalarié»(CE8/3SSR,7juin2000,n°191828,
S.A.Roulle.-Cass.soc.,5juill.1995,Bull.civ.V,n°235).LaCourdecassationamêmerécemment
admisqu'unhuissierdejusticen'apasàs'identifier,dèslorsqu'ilsetrouvedansunlieupublic
(Cass. soc., 6 déc. 2007, n° 06-43392, inédit). Les huissiers peuvent également, « à seule fin
d'éclairer leurs constatations » (Cass. soc., 6 déc. 2007, n° 06-43392, inédit), interroger les
personnesprésentes.Maisilsnesauraientsemontrerplusactifseninterrogeantdessalariés,en
dehors de l'hypothèse exceptionnelle où ils cherchent à expliciter leurs propres constatations
(ainsiCass.soc.,29oct.2002,Bull.civ.V,n°326.-28avr.2006,Bull.civ.V,n°153),nimener
d'enquête (Cass. soc., 22 mars 2006, n° 03-43602, inédit), ni procéder à un contrôle d'identité
(Cass.soc.,2mars2004,Bull.civ.V,n°69;LexbaseHebdon°111du11mars2004,éd.soc.,etla
chron.),niprocéderàunefilature(Cass.soc.,24janv.2002,Bull.civ.V,n°35).
Renouantavecuneexpressionquin'avaitjusquelàquetrèsrarementétéutiliséeparlaCourde
cassation (v. supra), la chambre sociale précise, dans l'arrêt n° 559 en date du 18 mars 2008,
qu'« il est en revanche interdit à cet officier ministériel d'avoir recours à un stratagème pour
recueillirunepreuve».Constituepareilstratagèmetouteprovocationàlapreuve(Cass.soc.,16
janv.1991,préc.),lefaitd'écouteruneconversationtéléphoniquesansquelecorrespondantne
sachequecelle-ciétaitécoutéeparuntiers(Cass.soc.,29janv.2008,n°06-45814,inédit),oule
faitdeprendre«unefaussequalitépourobtenirdesrenseignementsd'uninterlocuteur»(Cass.
soc.,5juill.1995,Bull.civ.V,n°237).
C'est dans ce courant extrêmement strict que se situe ce nouvel arrêt. Dans cette affaire, une
caissièreavaitétélicenciéepourfautegraveaprèsquesonemployeureutfaitconstater,parun
huissier,l'absenceencaisseàdeuxdatesdéterminéesdumontantd'achatseffectuésenespèces
auprèsd'elleauxmêmesdates.CesconstatsavaientétéécartésdesdébatsparlaCourd'appel,et
le licenciement considéré comme dénué de cause réelle et sérieuse, ce que contestait bien
entendu l'employeur dans son pourvoi. Ce dernier faisait valoir que l'huissier s'était « borné à
effectuerdesconstatationspurementmatériellesdansunlieuouvertaupublic»(circonstance
relevéedernièrementparlaCourdecassationpourvaliderdesconstats:Cass.soc.,6déc.2007,
préc.)L'argumentn'apasconvainculaHauteJuridictionquirelève,àlasuitedelaCourd'appel,
que « l'employeur s'était assuré le concours d'un huissier qui avait organisé un montage en
faisanteffectuer,danslesdifférentesboutiquesetpardestiersqu'ilyavaitdépêchés,desachats
enespècespuisenprocédant,aprèslafermeturedumagasinethorslaprésencedelasalariée,à
un contrôle des caisses et du registre des ventes », ce qui caractérisait « un stratagème pour
confondrelasalariée».
Cettesolutionestparfaitementconformeauxsolutionsadmisesetquidénienttoutevaleuraux
constatsopérésdanslecadred'uneprovocationàlapreuve(Cass.soc.,16janv.1991,préc.).Ni
l'employeur, ni un huissier de justice ne peuvent donc piéger un salarié en provoquant la
situation illicite justifiant des sanctions disciplinaires, ce qui est bien conforme au principe de
loyautéquigouverneledroitdelapreuveetauxrèglesduprocèséquitable,ausensdel'article
6-1delaconventionEDH(enmatièrepolicière,Cass.crim.,11mai2006,Bull.crim.n°132.-7
févr. 2007, n° 06-87753, publié). L'huissier doit donc se contenter d'observer passivement les
faits, sans que par son intervention il puisse, à un titre quelconque, influer sur le cours des
événements.
Motsclés:
LICENCIEMENT * Procédure * Preuve * Loyauté de la preuve * Stratagème * Constat
d'huissier
CONTRAT DE TRAVAIL * Obligation de l'employeur * Obligation de loyauté * Contrôle et
surveillance*Stratagème*Constatd'huissier
DOCUMENTN°9:E.CHEVRIER,LALOYAUTEDELAPREUVEL'EMPORTE,MEMEENDROITDE
LACONCURRENCE ,DALLOZACTUALITE12JANVIER2011
Ass.plén.,7janv.2011,P+B+R+I,n°09-14.316
Résumé
Saufdispositionexpressecontraireducodedecommerce,lesrèglesducodedeprocédureciviles'appliquent
au contentieux des pratiques anticoncurrentielles relevant de l'Autorité de la concurrence. Dès lors,
l'enregistrementd'unecommunicationtéléphoniqueréaliséàl'insudel'auteurdespropostenusconstitueun
procédédéloyalrendantirrecevablesaproductionàtitredepreuve.
Onnereviendrapassurlesétapesdelaprocédurenisurlesthèsesenprésence,déjàamplement
commentéesetargumentées.Toutjusterappellerons-nousqueleConseildelaconcurrence(n°
05-D-66du5déc.2005,BOCC29avr.2006;D.2006.Pan.1385,obs.Claudel;ibid.AJ225,obs.
Chevrier ; RTD com. 2006. 325, obs. Claudel ; AJ pénal 2006. 125, obs. Roussel ), suivi par la
cour d'appel de Paris (Paris, 19 juin 2007, BOCC 16 nov. 2007 ) avait conclu à la liberté de la
preuveenmatièredepratiquesanticoncurrentielles.
Cette approche avait été censurée par la cour régulatrice estimant que l'enregistrement d'une
communication téléphonique réalisé par une partie à l'insu de l'auteur des propos tenus
constitueunprocédédéloyalrendantirrecevablesaproductionàtitredepreuve,conformément
àl'article6,§1,delaConventioneuropéennedesdroitsdel'homme(ConventionEDH-Com.3
juin2008,Bull.civ.IV,n°112;D.2008.Chron.C.cass.2753,obs.Salomon;ibid.Pan.2822,obs.
Delebecque;ibid.2476,noteBoursier-Mauderly;ibid.AJ1687,obs.Chevrier;RTDcom.2009.
431, obs. Bouloc ). Loin de s'incliner, les magistrats parisiens, en formation solennelle, avaient
réitéré leur précédente solution (Paris, 29 avr. 2009, BOCC 17 juill. 2009 ; D. 2009. Pan. 2716,
obs.Delebecque;ibid.AJ1352,obs.Chevrier;RTDcom.2010.73,obs.Claudel),provoquant
une critique presque unanime (V., toutefois, J. Raynaud, L'admissibilité des preuves déloyales
devantl'Autoritédelaconcurrence:raisonnableetnonpasillicite,JCPE2010,n°1347).
Lapositiondel'assembléeplénièreétaitdèslorstrèsattendue.Celle-cicasse,denouveau,l'arrêt
delacourdeParis,etaffirmedoncsonattachementauprincipedelaloyautédelapreuve,qui
s'appliqueentoutdomaine,ycomprisendroitdelaconcurrence.Àcetégard,lesvisasutilisés
parlacoursuprêmesontrévélateurs.Outreletraditionnelarticle6,§1,delaConventionEDH,
les hauts magistrats visent « le principe de loyauté dans l'administration de la preuve »
confirmantainsiquelaloyautéprobatoireauneassisebeaucouppluslargequ'unesimplerègle
de procédure (que l'on pourrait chahuter au gré des principes de proportionnalité et du
contradictoire),etqu'elleestuneexigencejudiciaireissued'unprincipegénéraldudroit(V.,sur
cepoint,M.-E.Boursier,Leprincipedeloyautéendroitprocessuel,coll.«Nouvellebibliothèque
dethèse»,Dalloz,2003,n°249,citéeparE.Claudel,RTDcom.2010.73).
Plus encore, est ici visé l'article 9 du code de procédure civile - alors même que ce visa,
traditionnellementutiliséparleschambrescivilesenlamatière,étaitabsentdeladécisiondu3
juin2008-etilestrappeléque«saufdispositionexpressecontraireducodedecommerce,les
règles du code de procédure civile s'appliquent au contentieux des pratiques
anticoncurrentielles».Cevisapermetdeuxchoses.
D'abord, de clarifier la nature du recours formé contre les décisions de l'Autorité de la
concurrence.Ainsi,àdéfautdedispositionsexpressémentdérogatoiresprévuesparlecodede
commerce, c'est le droit commun de la procédure civile qui a vocation à s'appliquer (sur ce
point, V. le très explicite arrêt : Com. 3 mars 2009, Bull. civ. IV, n° 29 ; D. 2009. AJ 805, obs.
Chevrier;JCPE2009,n°12,p.7;CCC2009,n°140,obs.Decocq;Gaz.Pal.2010.485,etlesobs.
;RJDA2009,n°894;RDLC2009,n°2,p.183,obs.Momege;Procédures2009,n°163,obs.H.C.;
Procédures 2010. Chron. 1, spéc. n° 13, par Leroy et Ruy). Dès lors, il n'existerait pas
d'autonomieprocessuelledel'Autoritédelaconcurrencequijustifieraitunrégimedérogatoire,
plus proche de celui admis en procédure pénale, et dont le législateur lui-même a pu pourtant
permettre l'assimilation (l'article L. 450-4 ne soumet-il pas les investigations du droit de la
concurrence aux règles de procédure pénale ? - V., toutefois, Crim. 8 sept. 2010, BICC 15 déc.
2010,n°1882;Dallozactualité,19oct.2010,obs.Chevrier;AJpénal2010.557,noteLasserre
Capdeville;JCPE2010,n°1944;CCC2010,n°282,obs.D.B.).
Ensuite, de sauvegarder la particularité du principe de la loyauté de la preuve en matière
répressive. Comme le souligne le communiqué de presse de la Cour de cassation à la suite de
l'arrêtcommenté,«enfondantlacassationsurlevisadel'article9ducodedeprocédurecivile,
[la Cour de cassation] affirme aussi sans ambiguïté son attachement au maintien de la
jurisprudencedelachambrecriminelletenantcomptedelaspécificitédelaprocédurepénale».
Motsclés:
AFFAIRES*Concurrence-Distribution
CIVIL*Procédurecivile
DOCUMENTN°10:JULIENLARREGUE,LOYAUTEDELAPREUVEETSITEINTERNET«
D ’INFILTRATION»GAZETTEDUPALAIS ,14JUIN 2014N °165,P.20
Despreuvescollectéesàpartird’unsiteinternet«d’infiltration»,quin’estpasouvertàtouset
quineproposeriend’autreàsesmembresqu’unemiseenrelationavecd’autresmembres,sontellesadmissiblesdanslecadred’uneprocédurepénale?C’esttoutelaquestiondeladistinction
entreprovocationàlapreuveetprovocationàl’infractionquisepose.
Gazette–Loyauté–internet–surveillance–infractions–carding–infiltration–constatation–
provocationàl’infraction–provocationàlapreuve–autoritésétrangères
Cass.crim.,30avr.2014,no13-88162,
Alors que les débats sur la surveillance généralisée d’Internet par les autorités américaines
s’épaississent chaque jour et à chaque nouvelle révélation 1 , la question de la sécurité
numériqueestprogressivemententraindeglisserducontre-espionnageàlaprocédurepénale.
Quelesdonnéesainsicollectéessoientutiliséesparlesservicesderenseignementetdesécurité
intérieureestunfaitgénéralementbienacceptédespopulations.Maisquiddel’utilisationplus
banaledecettesurveillance?Quelsusagesplusoumoins«limites»d’Internetsontautorisésen
matière de recherche des auteurs d’infractions ? L’arrêt rendu par la chambre criminelle de la
Courdecassationle30avril2014apportequelquesélémentsderéponseàcetteproblématique
dontnousn’avonssûrementpasentendulederniermot…
Il s’agissait d’une affaire dans laquelle des autorités publiques américaines avaient assez
finementcrééunsiteInternetdecardingd’infiltration«permettantauxutilisateursdediscuter
dediverssujetsliésàlafraudeàlacartebancaireetdecommuniquer,entreautreschoses,des
offresd’achats,deventeetd’échangesdebiensetservicesliésàlafraudeàlacartebancaire».
La création de ce site web leur permettait non seulement de savoir qui se connectait au site
internet,dontl’accèsétaitlimité«auxpersonnesayantdesconnaissancesdemiseenplacedes
techniques de carding », mais aussi d’enregistrer les discussions et les messages envoyés par
l’intermédiaire du site. Un faux lieu de rencontre pour délinquants en quelque sorte. Et parmi
ces délinquants, il s’avère justement que deux personnes, de nationalité française, furent
identifiées par les autorités américaines. Les autorités françaises averties, une instruction est
alors ouverte. La perquisition qui s’en suit permet de découvrir « divers éléments confirmant
l’existence d’activités frauduleuses sur internet à partir de cartes bancaires », preuve que ces
messieursnesetrouvaientpaslàparhasard!
S’estimant piégés, les mis en examen saisissent la chambre de l’instruction de demandes de
nullité de la procédure, estimant – c’est l’argument qui semble le plus en leur faveur – que la
procédurepénaleconduiteestdéloyalecarlesautoritésaméricaineslesontincitésàcommettre
uneinfraction.Maiscesdemandessontrejetéesparlachambredel’instruction,quisoulignaque
lemisenexamen«n’apuaccéderàcesitequeparcequ’ilavaitdéjàmanifestésurd’autressites
unintérêtcertainpourlestechniquesducardingoupourl’utilisationillégaled’Internet»,et«
qu’aucunélémentdelaprocédurenedémontrequecesitedediscussionsurdiverssujetsliésà
la fraude à la carte bancaire avait pour objet d’inciter les personnes le consultant à passer à
l’acte».Ilsdécidentalorsdeformerunpourvoiencassation,ens’appuyantnotammentsurles
articles6,7et8delaconventioneuropéennedesdroitsdel’Homme(CEDH).Seloneux,lamise
enrelationparleFBIde«diversindividusdotésdeconnaissancescomplémentaireslesrendant
capables,ensemble,demettreenplaceunefraude»vaau-delàd’unesimplecollectedepreuves.
Non pas une provocation à la preuve, comme l’a estimé la juridiction d’appel, mais une
provocationàl’infraction.
LaquestionposéeàlaCourdecassationétaitdoncrelativementsimple:despreuvescollectées
à partir d’un site internet « d’infiltration », qui n’est pas ouvert à tous et qui ne propose rien
d’autre à ses membres qu’une mise en relation avec d’autres membres, sont-elles admissibles
danslecadred’uneprocédurepénale?Autrementdit,lacréationetlasurveillanced’untelsite
internetsont-ellesdéloyales?
Pourlahautejuridiction,laréponseestnégative.Ellerejettelesdeuxpourvoisdefaçonlapidaire
: « il n’y a pas eu, de la part des autorités américaines, de provocation à la commission
d’infractions».
Enfait,deuxchosessemblentavoirconduitàlaconfirmationdel’arrêtd’appel.Deuxéléments
quicorrespondentauxcritèresd’évaluationdelaloyauté:l’existenced’uneactivitédélictueuse
antérieureàl’acted’enquêtecontesté(I),etl’absencedetouteincitationdelapartdesautorités
publiques(II).
I–L’existenced’uneactivitédélictueuseantérieure
LaCourdecassationaconsciencequel’exigencedeloyautéentreparfoisenconflitaveccellesde
célérité et d’efficacité des enquêtes. Cette réalité l’a conduite à développer une distinction
désormais bien connue entre provocation à la preuve et provocation à l’infraction 2 . Si la
provocationàl’infractionestdéloyale,laprovocationàlapreuvenel’estpas.C’est-à-direque«
la chambre criminelle, tout en continuant de veiller à ce que l’agent n’ait pas provoqué la
commission de l’infraction, s’est montrée soucieuse de prendre la compte la difficulté
particulièreàrapporterlapreuvedecertainesinfractionsdufaitdeleurcaractèreocculte»3.
La CEDH donne une définition précise de la provocation à l’infraction : « Il y a provocation
policièrelorsquelesagentsimpliqués–membresdesforcesdel’ordreoupersonnesintervenant
à leur demande – ne se limitent pas à examiner d’une manière purement passive l’activité
délictueuse,maisexercentsurlapersonnequienfaitl’objetuneinfluencedenatureàl’inciterà
commettre une infraction qu’autrement elle n’aurait pas commise, pour en rendre possible la
constatation, c’est-à-dire en apporter la preuve et la poursuivre » 4 . Inversement, il n’y a pas
provocation à l’infraction mais à la preuve, lorsque l’intervention des enquêteurs « a eu pour
seul effet de permettre la constatation d’une infraction […] dont ils n’ont pas déterminé la
commission»5.
L’existence d’une activité délictueuse antérieure montre justement que l’intervention des
enquêteursn’apasconditionnélacommissiondel’infraction.LaCourdecassationnemanque
pas de le souligner dans l’arrêt commenté : « M. X avait déjà manifesté sur d’autres sites son
intérêtpourlestechniquesdefraudeàlacartebancaireetpourl’utilisationd’internetàcettefin
».C’estcemêmecritèrequiavaitpermisàlaCour,en2007,dansuneaffaireàcertainségards
similaire,d’estimerquel’infractionavaitétéprovoquée6.Danscetteautreaffaire,lesautorités
américainesavaientcrééunsitedepédopornographieetavaientidentifiéuninternautefrançais.
Mais ce dernier, « inconnu des services de police jusqu’à cette date » 7 , avait vu la procédure
pénale française annulée pour déloyauté. Peu importait qu’une perquisition subséquente ait
permis de découvrir qu’il détenait de nombreuses images pédopornographiques. Il ne suffisait
pasquedesimagessoientdétenuesetqu’uneinfractionaitétéeffectivementcommise.Ilaurait
fallu,parailleurs,quelesenquêteurslesachentavantlaprovocation.L’arrêtde2014vientdonc
préciserceluide2007,ilestenquelquesortesoncomplémentacontrario.Celaestd’autantplus
clairque,dansl’affairelaplusrécente,l’accèsausiteinternetétaitlimitéaux«personnesayant
des connaissances de mise en place des techniques carding ». Inversement, aucune restriction
n’existait dans l’affaire de 2007, puisque toute personne pouvait se connecter au site internet,
sans avoir préalablement dû montrer un intérêt poussé pour la pédopornographie – la seule
chosequ’onexigeaitdeluifutd’avoircherchélesiteactivementsurlesmoteursderecherche.
Cepointdedivergenceentreledossierdepédopornographiede2007etledossierdecardingde
2014expliquequelaprocédurepénalesubséquente,etnotammentlaperquisitionetlessaisies
réaliséessuiteàl’informationdonnéeparlesautoritésétrangères,soitrégulièredansuncaset
irrégulièredansl’autre,etaufinalquecetteprocéduresoitjugéeloyaledansl’affairede2014,et
déloyaledansl’affairede2007.Cequerefuselajuridictionsuprême,c’estquel’onprovoqueà
tout-va, sans considération de la personne provoquée. Risque réel avec le développement des
technologies numériques, lorsque l’on connaît la quantité d’informations qui circulent chaque
joursurinternet.Onlevoit,lasimpleconnexionàunsiteinternetpeutêtreenregistrée.Iln’est
pas difficile d’entrevoir ce que cela comporte de risques vis-à-vis des libertés individuelles. Si
bien qu’à travers le concept de « loyauté », la Cour de cassation en vient à protéger des droits
individuels et à proposer un équilibre parfois compliqué à préserver entre la recherche des
auteursd’infractionsetlaprotectiondeslibertés fondamentales.D’autantqu’iln’yaqu’unpas
entreconstateruneinfractionetlaprovoquer.
II–Lareconnaissanced’unrôleactifdesenquêteurs
Unpasquelesautoritésaméricainesn’ontpasfranchi,retiendralaCour.Cen’estpourtantpas
faute pour les demandeurs au pourvoi d’avoir souligné le rôle actif des autorités publiques
étrangèresàplusieurségards.Toutd’abord,«lesiteCarderprofitnes’estpaslimitéàfaciliterla
collectedepreuves,maisamisencontactdesinternautesqui,prisisolément,n’étaientpasen
mesure de commettre des infractions informatiques à la carte bancaire ». Mais, surtout, ils
avaientétéinvités«surleforumCarderprofitparunagentinfiltréduFBI».Argumentsbalayés
par la cour d’appel, que vient appuyer la Cour de cassation : « le site de surveillance et
d’enregistrement des messages échangés a seulement permis de rassembler les preuves de la
commission de fraudes à la carte bancaire et d’en identifier les auteurs, aucun élément ne
démontrantqu’ilaiteupourobjetd’inciterlespersonnesquil’ontconsultéàpasseràl’acte».À
la lecture de l’arrêt de 2007, l’on se rend compte que le site pédopornographique offrait plus
qu’une simple mise en relation avec d’autres internautes, puisqu’il offrait « à quiconque de
recevoiretd’adressergratuitementetanonymementdesimagesinterdites».Defait,lesiteen
causedansl’affairede2014n’offraitrien,sinonunepossibilitédecommuniqueravecd’autres
internautes.Aucunepropositionconcrètequiauraitirrémédiablementconsommél’infraction.
Il n’en demeure pas moins que l’invitation à participer aux échanges serait provenue d’un
enquêteur. Mais, alors, on peut faire le parallèle avec une autre jurisprudence, plus ancienne
encore. Un fonctionnaire de police s’était fait passer pour l’ami d’une personne décédée par
overdoseauprèsdufournisseurdecettedernière,etavaitprétenduvouloiracheterdeladrogue.
Laventeeffectuée,lefournisseurestpénalementpoursuivi.Auxargumentsdel’intéresséselon
lesquels il aurait été provoqué par l’officier de police judiciaire, la chambre criminelle répond
que,siprovocationilyaeu,cen’estqu’àlapreuve,etnonàl’infraction8.Stratagèmequipeut
êtrerapprochédel’invitationdel’agentinfiltréduFBIdansl’affairede2014.
Resteàsavoirsicesdeuxcritèresd’activitédélictueuseantérieureetd’absencedeproposition
concrètesontcumulatifs,ousil’undesdeuxsuffitpourbasculerdelaprovocationàl’infraction
verslaprovocationàlapreuve,deladéloyautéverslaloyauté.Lapropositiondel’agentinfiltré
aurait-elle été loyale si l’on n’avait pas révélé une activité délictueuse antérieure ? La
confrontationdesdiversesjurisprudencessurlaquestionnousporteàpenserquenon.Critère
centraldedistinctionentrelaprovocationàlapreuveetprovocationàl’infraction,sonabsence
auraitentraînél’annulationdelaprocédurecontestéeparlesdemandeurs.
Maislaconnaissanced’unetelleactiviténerendpaspourautantacceptablen’importequelacte
d’enquête. S’il faut nécessairement que l’intéressé ait trahi en amont son intention criminelle,
pourautantlapreuvedecetteintention,établiemaisimpalpableouinsuffisante,nesauraitêtre
«arrachée».Ilapparaîtquelasolutionestdifférenteselonquel’enquêteur«reçoit»ou«donne
»,maisaussiselonquel’échangedel’«objet»suffitounonàcaractériserl’infraction.Ilnepeut
donner ou proposer de donner (des images pédopornographiques, par exemple) mais peut
recevoir(deladrogue).Dansuncascommedansl’autre,laréceptionouledonsuffisaientpour
caractériser l’infraction. Par contre, l’on peut très bien admettre la validité du don ou de la
proposition de don lorsque l’échange ne conduit pas à constituer une infraction : aussi le don
d’un « accès » au site internet Caderprofit ne constituait-il pas une provocation à l’infraction
maisàlapreuve,toutsimplementcarlesimplefaitdeseconnecteràcesiteneconstituaitpasen
lui-mêmeuneinfraction.
Cette solution, juridiquement cohérente, a par ailleurs le mérite de favoriser l’entraide et la
coopération policières et judiciaires. Si la question d’une jurisprudence Bosphorus 9 à la
française ne se pose pas pour l’heure, il n’en demeure pas moins que les conventions
internationalesratifiéesparlaFranceetlesÉtats-Unis,etnotammentcelledePalermede2000,
militent en faveur d’un tel rapprochement : « l’objet de la présente Convention est de
promouvoir la coopération afin de prévenir et de combattre plus efficacement la criminalité
transnationaleorganisée».C’estdoncautourdecettelignedeforcequel’équilibreestfaitentre
l’exigence de protection des droits fondamentaux et la nécessaire recherche des auteurs
d’infractions, c’est-à-dire entre les dispositions conventionnelles de la CEDH d’une part, et les
dispositionsconventionnellesdel’ONUd’autrepart.
DOCUMENTN°11:LUDOVICLAUVERGNAT,LOYAUTEDELAPREUVE,GAZETTEDUPALAIS,
25MAI2013N°145,P.28
Cass.soc.,6févr.2013,no11-23738,MmeYc/M.X(rejetpourvoic/CAGrenoble,29juin
2011),M.Lacabarats,prés.;SCPMasse-Dessen,ThouveninetCoudray,SCPOrtscheidt,av.
1.Bienquemartelantladéloyautédelapreuveobtenueparl’enregistrementd’uneconversation
téléphoniqueàl’insudel’auteurdespropos,laCourdecassationouvrepetitàpetit,aufildeses
décisions, la voie à une pratique faisant, en la matière, du constat d’huissier un élément
probatoiredifficilementcontournable.Lerespectdesarticles9duCodecivilet6alinéa1erdela
Convention européenne des droits de l’Homme relatifs à la protection de la vie privée 89
demeure une priorité : le procédé probatoire est déloyal pour le cas où l’enregistrement des
dires serait corrompu par une clandestinité suspicieuse. Ainsi, « si l’employeur a le droit de
contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés pendant le temps du travail, tout
enregistrement, quels qu’en soient les motifs, d’images ou de paroles à leur insu, constitue un
mode de preuve illicite » 90 . La haute juridiction a dès lors systématiquement rejeté, comme
déloyales, les preuves constituées par des enregistrements téléphoniques effectués à l’insu de
l’auteur des propos 91 . En sens inverse, l’enregistrement de conversations téléphoniques
redevientrecevabledansl’hypothèseoùl’auteurdesproposaétédûmentaverti:«l’employeur
aledroitdecontrôleretdesurveillerl’activitédesessalariéspendantletempsdutravail;(…)
seull’emploideprocédéclandestindesurveillanceestillicite;(…)lacourd’appel,quiarelevé
quelessalariésavaientétédûmentavertisdecequeleursconversationstéléphoniquesseraient
écoutées,apudéciderquelesécoutesréaliséesconstituaientunmodedepreuvevalable»92.
2.QuidenmatièredeSMS?Dansunarrêtdu23mai200793,lachambresocialeavaitadmisà
titredepreuve,commeuneexceptionàlarègle,leconstatd’huissierportantretranscriptionde
SMS:«Sil’enregistrementd’uneconversationtéléphoniqueprivée,effectuéàl’insudel’auteur
des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi
obtenue, il n’en est pas de même de l’utilisation par le destinataire des messages écrits
téléphoniquement adressés, dits SMS, dont l’auteur ne peut ignorer qu’ils sont enregistrés par
l’appareilrécepteur».Parhypothèse,l’auteurdesSMSavaitconsciencedel’enregistrementdes
messages,cequirendaitlapreuveapportéeparlaretranscriptionparfaitementrecevable.
3.Quidenmatièredemessagestéléphoniquesvocauxlaisséssurunrépondeur?Telestl’objet
de l’arrêt du 6 février 2013 qui ne fait qu’étendre et confirmer la jurisprudence de 2007.
L’attendu de principe y est repris avec les modifications nécessaires au besoin de la cause. En
l’espèce,ilnes’agissaitnonpasd’unconstatdeSMSmaisd’uneretranscriptionparhuissierde
messagestéléphoniquesvocauxlaissésparl’employeursurleportabledusalarié.Étaitenjeula
qualification d’un licenciement. Eu égard aux propos constatés, les juges du fond avaient
souverainement admis que le salarié avait fait l’objet d’un licenciement verbal. En bref, si
l’auteurdesdiresn’apasàsubiràsoninsul’enregistrementd’uneconversationprivée,encore
ne doit-il pas lui-même laisser les traces de ses propos. De là découle une sorte de «
responsabilisation » de celui qui parle, avec quand même un amalgame entre l’enregistrement
du message et sa conservation. Il ne fait en effet pas de doute que l’auteur du message a
consciencedel’enregistrement;ilenestàl’origineetsouhaiteseulementquesespropossoient
entendusparledestinatairesanspourautantqu’ilspuissentêtreconservéssanslimitedetemps
unefoislebutatteint.Autrementdit,s’ilnepeutignorerl’enregistrement,l’auteurdumessage
n’a pas forcément conscience que les propos puissent être conservés une fois entendus.
L’enregistrement sur un répondeur n’est qu’une alternative malheureuse à une discussion
avortéeetdontlecaractèreinstantanéseseraitopposéàtouteconservation.Quoiqu’ilensoit,le
retour de bâton pour l’employeur, en l’espèce, est réel. La leçon à retenir est alors simple : en
matière d’enregistrement de messages, si les murs n’ont résolument pas d’oreille, chacun se
méfiera des messages écrits ou sonores laissés sur un répondeur, lesquels pourraient bien
resurgiràunmomentoùl’ons’yattendlemoins!
DOCUMENTN°12:ANNEDEBET,LEDROITDELAPREUVEETL'ARTICLE6:SUITE,MAIS
CERTAINEMENTPASFIN ...,REVUEDESCONTRATS ,01AVRIL2005N °2,P.472
Cass.civ.2e,7octobre2004,pourvoino03-12653,àparaîtreauBulletin;JCP2005,II,10025,
noteN.Leger,D.2005,p.122,noteP.Bonfils;Comm.com.électr.,2005,no11,notePh.StoffelMunck
« Viole les articles 9 NCPC et 6 CEDH, la Cour d'appel qui admet une cassette contenant
l'enregistrement d'une conversation téléphonique comme mode de preuve, alors que
l'enregistrementd'uneconversationtéléphoniqueprivéeeffectuéetconservéàl'insudel'auteur
des propos invoqués est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi
obtenue».
Conventioneuropéennedesdroitsdel'homme,article6;modesdepreuve;loyautédelapreuve
LaCourdecassationconfirmedanssonarrêtdu7octobre2004savolontéd'appliquerl'article6
delaConventioneuropéennedesdroitsdel'hommeaudroitcivildelapreuve.Onsesouvienten
effetqueladeuxièmechambrecivileavaitesquisséunpremierpasencesensdansunarrêtdu
10 mars 2004 qui avait suscité de nombreuses interrogations et critiques (v. à ce sujet notre
commentaire,RDC2004,p.1080).Lesdoutesexposésàcetteoccasionn'empêchentpaslaCour
decassationdecontinueràtracersonchemindebonneélèvedel'écoleeuropéenneetd'étendre
continuellementlechampd'applicationdel'article6.
Dans l'affaire du 7 octobre 2004, le problème portait sur la recevabilité d'une preuve par
enregistrement.Enl'espèce,unefemmeavaitreçulasommede150000Fd'undesesvoisinset
ami, qui décéda peu après. Elle prétendait que l'argent lui avait été donné, alors que les
héritièresdudecujusconsidéraientqu'ils'agissaitlàd'unprêtetquelavoisineindélicatedevait,
enconséquence,restituerl'argent.Cettedernièreinvoquaitl'existenced'undonmanuel.Comme
elleétaitenpossessiondel'argent,ellepouvaitseprévaloirdelafonctionprobatoiredel'article
2279 du Code civil et ainsi bénéficier d'une présomption de titre. Il appartenait, dès lors, aux
héritièresdeprouverqu'iln'yavaitpaseudedon.Celles-ciarguantquel'argentavaitétéprêté
etlasommeenquestionétantlargementsupérieureà800euros,auraientdûproduireunécrit
comme l'exige l'article 1341 du Code civil. Cependant, la Cour d'appel de Versailles, dans son
arrêtdu16janvier2003,avaitadmisqu'ildevaitêtrefaitexceptionàcetterèglecarilexistait
une impossibilité morale de rapporter la preuve. Les relations des cocontractants étaient, en
effet,delonguesrelationsdevoisinagedenaturequasifamiliale.Conformémentàl'article1348,
la preuve du prêt pouvait donc être rapportée librement. Les héritières produisaient, à l'appui
de leurs allégations, une cassette contenant l'enregistrement d'une conversation téléphonique
effectuéeparledecujusàl'insudesavoisineetinterlocutrice.
La Cour d'appel avait fait droit aux demandes des héritières en acceptant ce mode de preuve.
Elle avait en effet jugé, d'une part, que le secret des correspondances n'était pas opposable au
prêteur(niàseshéritières),quiavaitpuvalablementenregistrerunedesesconversations,et,
d'autre part, que le contenu de l'enregistrement qui ne concernait que le prêt ne portait pas
atteinteaudroitaurespectdelavieprivéedel'emprunteuse(bienquecettedernièreaittenté
de montrer que l'entretien faisait apparaître ses difficultés financières). La Cour de cassation
refuse de la suivre dans son raisonnement. Elle casse l'arrêt au visa des articles 9 NCPC et 6
CEDH. La Cour d'appel avait violé ces textes puisque l'enregistrement d'une conversation
téléphonique privée, effectué et conservé à l'insu de l'auteur des propos invoqués, est un
procédédéloyalrendantirrecevableenjusticelapreuveretenue.
Le principe de loyauté de la preuve, sans être explicitement visé, est donc reconnu dans le
domaineciviletrattachéàl'article6delaConventioneuropéennedesdroitsdel'homme.
Cetarrêtserasansdoutesaluéparceuxquisouhaitentlaprogressionduprincipedeloyautéen
droit interne et, plus spécifiquement, en droit processuel. Il faut cependant, dès à présent,
remarquer que la jurisprudence de la Cour européenne n'exigeait sans doute pas une telle
consécration.Sansreprendrelesdéveloppementsprésentésdansnotredernièrechronique,on
peut rappeler que l'article 6 CEDH (« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue
équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et
impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de
caractèrecivil,soitdubien-fondédetouteaccusationenmatièrepénaledirigéecontreelle(...)»)
necontientaucunedispositionrelativeàlapreuvedansledomainecivil.LaCoureuropéennea,
de plus, affirmé à de très nombreuses reprises qu'elle laissait à chaque État le soin de régler
l'admissibilité, la force probante et la charge de la preuve (v. l'arrêt de principe sur cette
question:arrêtSchenkc/Suisse,sérieA,no140,§46).
Dansledomainepénal,toutefois,laCoureuropéenneaacceptéd'exerceruncertaincontrôle,en
particulier (mais pas exclusivement) dans des hypothèses où la preuve de l'infraction était
rapportée grâce à des écoutes téléphoniques. Elle l'a fait tout d'abord sur le fondement de
l'article8,c'est-à-diredudroitaurespectdelavieprivée,etonsesouvientdelacondamnation
de la France dans les arrêts Kruslin et Huvig (CEDH, 24 avr. 1990, série A, Kruslin et Huvig c/
France, no 176-A et B). Elle l'a fait ensuite sur le fondement de l'article 6 dans l'arrêt Schenk
précité. Dans cette affaire, le requérant considérait que son procès avait été inéquitable car sa
condamnations'appuyaitessentiellementsurunenregistrementdesesproposréaliséàsoninsu
et, selon lui, en violation du secret des correspondances. La Cour européenne des droits de
l'homme,aprèsavoirrappelélamarged'appréciationdel'Étatenmatièredepreuve(v.supra)et
affirméqu'ellenesauraitexclureinabstractol'admissibilitéd'unepreuverecueilliedemanière
illégale,examinenéanmoinssileprocèsprésentait,danssonensemble,uncaractèreéquitable.
Elleaboutitàunconstatdenon-violationdel'article6pourplusieursraisons:lerequérantavait
eu la possibilité de contester l'authenticité de l'enregistrement et d'en combattre l'emploi.
L'enregistrement n'avait pas constitué le seul mode de preuve produit au procès. La Cour
européenne a confirmé sa jurisprudence. Elle a même admis que l'enregistrement puisse
constituerleseulélémentprisencomptepouraboutiràunecondamnation(CEDH,12mai2000,
3e sect., Khan c/ Royaume-Uni, req. no 35394/97 : non-violation de l'article 6, violation de
l'article 8), tout en tempérant parfois cette admission dans des hypothèses spécifiques où le
droitdenepass'auto-incriminerétaitencause(CEDH,5nov.2002,4esect.,Allanc/RoyaumeUni,req.no48539/99).
Même dans le domaine pénal, la Cour de Strasbourg est disposée à admettre la preuve par
enregistrement,serait-elleobtenuedemanièreillégale,àpartirdumomentoùcettepreuveapu
être discutée au cours des débats, c'est-à-dire où les droits de la défense ont été respectés. La
Courdecassationa-t-ellevoulutransposercettejurisprudenceendroitcivil?
Une telle volonté semble bien étrange de la part d'une chambre civile, alors que la Chambre
criminellenemanifestepas,loindelà,untelenthousiasmeeuropéen.Eneffet,commelemontre
un auteur, « la procédure pénale ne consacre pas encore une obligation absolue de loyauté,
notamment dans la recherche des preuves » (S. Guinchard et alii., Droit processuel, Droit
communetcomparéduprocès,PrécisDalloz,2eéd.,2003,no544,p.861).Sipoliciersetjuges
d'instruction sont théoriquement tenus d'administrer la preuve de manière loyale, sans
stratagème ni artifice, la mise en oeuvre de ce principe ne va pas sans difficulté (pour un tel
constat : M.-E. Boursier, Le principe de loyauté en droit processuel, Dalloz, coll. « Nouvelle
bibliothèquedethèses»,2003,no165,p.104).Enoutre,lespartiesnesontpassoumisesaux
mêmescontraintes,ellespeuventeneffet«produireenjusticedespreuvesétabliesdemanière
déloyale, voire au prix d'une infraction » (S. Guinchard et alii., op. cit., no 544, p. 862) et, par
exemple, des enregistrements provenant d'écoutes illicites. Les juges apprécieront ensuite la
valeurprobantedecesélémentsdepreuveetlessoumettrontàundébatcontradictoire.Cette
distinction, fondée sur un critère intuitu personae, ne reflète en rien la position de la Cour
européenne.
La deuxième Chambre civile de la Cour de cassation semble elle aussi, malgré la référence
explicite à l'article 6 CEDH, tracer son chemin toute seule. La présence de cette disposition au
seinduvisanefaitd'ailleursl'objetd'aucuneexplication.Onnesaitpasquelaspectdudroitau
procèséquitableestencauseici.IlfautcependantreleverquelaCoureuropéenne,elle-même,
danslesarrêtsprécitésrelatifsàlamatièrepénale,n'estpasnonplustrèspréciseetsecontente
d'uneinvocationassezvaguedel'équitéquedoitrevêtirl'ensembledelaprocédure.Endehors
de ce laconisme, l'arrêt du 7 octobre 2004 ne semble pas réellement manifester une prise en
compte de la jurisprudence européenne. Tout d'abord, la Cour de Strasbourg a toujours statué
dans le domaine du droit pénal et dans des hypothèses où les déloyautés critiquées avait été
commises par les autorités de poursuite. La transposition de cette jurisprudence au droit civil
n'est donc pas évidente, surtout au vu de la très grande marge d'appréciation des États
s'agissantdudroitdelapreuve.
Si l'on admet néanmoins la possibilité d'une telle transposition, il est utile de revenir aux
principes établis par la Cour européenne. D'abord, le procès est équitable si les droits de la
défense ont été respectés et si l'élément de preuve litigieux a pu être contesté. Or en l'espèce,
l'enregistrement avait, comme toute pièce relative au litige, été soumis au principe du
contradictoire.L'emprunteuseavait,àl'évidence,eulapossibilitédecontesterl'authenticitéde
cetenregistrement,ceàquoilesjugesinternessemontrentattentifs.Etelleavait,dèsledébut
de la procédure, admis que l'enregistrement était fidèle, ne tentant d'apporter qu'un démenti
tardif et peu convaincant devant la Cour d'appel. Ensuite, la cassette constituait
vraisemblablementl'élémentdepreuveprincipalapportéparlesparties.Néanmoins,iln'estpas
certainqu'ilétaitleseuletqued'autresélémentsnesoientpasvenusleconfirmer.Onavuque
laCoureuropéennedesdroitsdel'hommenesemblaitplusfairedecetteconditionunpréalable
àlareconnaissanceducaractèreéquitabledelaprocédure.Ainsi,sajurisprudencen'incitaitpas
forcémentaurejetdelapreuveapportéeparleshéritières.
L'arrêtdu7octobre2004s'inscritdoncplutôtdansuneévolutionjurisprudentielleinterne,dont
onapeut-êtrevoulurenforcerl'assiseenl'ancrantdansledroiteuropéendesdroitsdel'homme.
C'estd'aborddansledomainedudroitsocialquelavolontédelaCourdecassationdemoraliser
le droit de la preuve est apparue. En effet, on se souvient que, dès 1991, la Chambre sociale
affirmait que « si l'employeur a le droit de contrôler et de surveiller l'activité de ses salariés
pendantletempsdetravail,toutenregistrement,quelsqu'ensoientlesmotifs,d'imagesoude
parolesàleurinsu,constitueunmodedepreuveillicite»(Cass.soc.,20nov.1991,D.1992,p.
73, concl. Chauvy). Figurait alors au visa, comme dans l'arrêt de 2004, l'article 9 NCPC (« il
incombeàchaquepartiedeprouverconformémentàlaloilesfaitsnécessairesausuccèsdesa
prétentions»).D'autresarrêts,asseznombreux,sontvenusconfirmercettepositionstricte.La
Chambre sociale continuait de fonder ses décisions de cassation parfois sur le seul article 9
NCPC (v., par exemple, pour le refus de prendre en compte une filature organisée par
l'employeur : Cass. soc., 4 févr. 1998, Bull. civ. V, no 64). Elle a parfois enrichi son visa d'une
référence au droit au respect de la vie privée garanti par l'article 9 du Code civil et/ou par
l'article8delaConventionEDH(v.encoreausujetd'unefilature:Cass.soc.,26nov.2002,Bull.
civ. V, no 352), ou d'une invocation de dispositions spécifiques au droit du travail comme
l'articleL.120-2(Cass.soc.,10déc.1997,Bull.civ.V,no434).Danscesdécisions,elleévoquait
pour exclure les preuves produites non leur déloyauté, mais, plus généralement, leur illicéité,
c'est-à-direleurnon-conformitéaudroitprisdansunsenstrèslarge.
Cettejurisprudenceétait,àl'origine,limitéeaudroitdutravail,cequis'expliquaitaisément,en
partieparlecaractèretrèsspécifiquedelarelationexistantentresalariéetemployeur,fondée
surunliendesubordination.L'inégalitédespartiesjustifiaitainsilanécessitédefairerespecter
des règles plus strictes en matière de preuve (v. en ce sens, M.-E. Boursier, op. cit., no 367, p.
211).
Néanmoins,laCourdecassationn'apashésitéàétendrelasolutionaudomainedudroitcivilau
sein d'autres relations contractuelles. Avant l'arrêt du 7 octobre 2004, elle l'a fait dans les
relationsconcédant-concessionnaire.LaChambrecommercialea,eneffet,estimédansunarrêt
du25février2003(Contrats,conc.consom.2003,no104,obs.L.Leveneur,Comm.,com.électr.
2004, no 43, obs. Ph. Stoffel-Munck) que le concessionnaire ne pouvait prouver l'abus dans la
rupture du contrat de concession au moyen d'un entretien téléphonique enregistré à l'insu de
sonconcédant,cemoyendepreuvesousformesonoreayantétédéloyalementobtenu.LaCour
de cassation faisait donc déjà explicitement référence au principe de loyauté de la preuve.
L'arrêtde2004montrequelaHautejuridictioncontinuedanslamêmevoieet,cettefois,plus
ouvertement puisqu'il fait l'objet d'une publication au Bulletin. Cette nouvelle progression du
droit à un procès équitable peut sans doute être diversement appréciée. On peut, à l'instar de
notrecollègueetami,PhilippeStoffel-Munck,s'interrogersurlaréellenécessitédeconsacrerun
principedeloyautédespreuvesenmatièrecivileetsurlesconséquencespratiquessouventtrès
injustes qui résultent d'une telle consécration (v. en ce sens les commentaires précités de
l'auteur). En effet, il apparaît que, au moins devant la Cour de cassation, ce sont le concédant
malhonnêteetl'emprunteusedéloyalequitriomphent...
Onpeutenfins'interrogersurlaportéedecettenouvelleposition(endehorsdesdomainesoù
desdispositionsspécifiquesexistentcommeendroitdudivorce).Faut-ilvoirdanslesarrêtsde
2003etde2004unenouvellemanifestationdel'exigencedebonnefoicontractuelleappliquée
respectivementauxrelationsconcédant-concessionnaireetprêteur-emprunteur,oufaut-illeur
accorder une portée beaucoup plus vaste ? L'absence de référence à l'article 1134 et aux liens
contractuels milite, à l'évidence, en faveur de la seconde solution. Il reste donc maintenant à
attendrelessuitesdecettejurisprudencenovatrice!
DOCUMENTN°13:FRANÇOISFOURMENT,LESMURSAVAIENTDESOREILLES,GAZETTEDU
PALAIS,13MAI2014N°133,P.41
La conjugaison des mesures de garde à vue, du placement de deux personnes mises en cause
dans des cellules contiguës et de la sonorisation des locaux sont un stratagème d’un agent de
l’autorité publique constitutif d’une atteinte au droit à un procès équitable et au principe de
loyautédespreuves,encequ’ilaamenéungardéàvueàs’incriminerlui-même.
Cass. crim., 7 janv. 2014, no 13-85246, ECLI:FR:CCASS:2014:CR06606, Meshal X, FS–PBI
(cassationCAVersailles,ch.instr.,4juill.2013),M.Louvel,prés.,M.Pers,cons.rapp.,M.Cordier,
av.gén.;MeSpinosi,av.
Voir également – Dalloz actualité, 9 janv. 2014, obs. A. Portmann ; ibid., 27 janv. 2014, obs. S.
Fucini;LexbaseHebdo,éd.privée,n°562,p.2,obs.G.Beaussonie;Gaz.Pal.8févr.2014,p.19,
165y9,noteO.Bachelet;D.2014,p.264,interview,S.Detraz;ibid.,p.407,noteE.Vergès;JCPG
2014,272,noteA.Gallois;Dr.pén.2014,comm.32,obs.A.MaronetM.Haas;Procédures2014,
comm.83,obs.A.-S.Chavent-Leclère
Considéréesisolément,lesmesuresprisesparl’officierdepolicejudiciaire,d’unepart,deplacer
en garde à vue deux personnes mises en cause au cours d’une instruction ouverte dans une
procédure de délinquance et de criminalité organisées, et de les installer dans des cellules
contiguës, et par le juge d’instruction, d’autre part, d’ordonner une opération de sonorisation
des locaux étaient régulières. C’est, comme le souligne la chambre criminelle de la Cour de
cassation dans son arrêt du 7 janvier 2014, la « conjugaison » de ces deux termes qui «
participaitd’unstratagèmeconstituantunprocédédéloyalderecherchedespreuves(…)[ayant]
amené [un gardé à vue] à s’incriminer lui-même au cours de sa garde à vue ». Ce conclusif est
serviaprèsunattendudeprincipeauxvisaettermestoutaussiremarquables:«Vul’article6de
laConventioneuropéennedesdroitsdel’Hommeetl’articlepréliminaireduCodedeprocédure
pénale,ensembleleprincipedeloyautédespreuves;Attenduqueporteatteinteaudroitàun
procès équitable et au principe de loyauté des preuves le stratagème qui en vicie la recherche
parunagentdel’autoritépublique».
Pour mémoire, lors de la discussion en 2000 du projet de loi « renforçant la protection de la
présomption d’innocence et les droits des victimes », l’Assemblée nationale a refusé d’insérer
dansl’articlepréliminaireduCodedeprocédurepénaleuneréférenceauprincipedeloyautédes
preuves.Danscesconditions,laportéedel’arrêtdu7janvier2014mérited’êtreappréciée.Dans
la mesure où il a déjà été largement commenté, nous procéderons seulement par une série de
remarques.
Lasolutiondelachambrecriminellenevautqueparcequec’estunagentdel’autoritépublique
qui a monté ce stratagème. Cet arrêt ne remet pas en cause le courant de jurisprudence ne
sanctionnantpasladéloyautédanslemoded’obtentiondepreuved’unepartieoud’untiersnon
intermédiaired’uneautoritépublique.
Cetarrêtestintéressantencequ’ilappliqueàlaprovocationàlapreuvedelacommissiond’une
infractionunraisonnementsurlaloyautéjusque-làaprioriplutôtretenuencasdeprovocation
à la commission d’une infraction. Cette observation doit être immédiatement tempérée par la
circonstance suivant laquelle le stratagème procède d’un juge d’instruction et d’un officier de
police judiciaire sous commission rogatoire, et non pas d’un fonctionnaire de police judiciaire
agissant d’initiative en enquête (ce qui était en l’occurrence exclu, rapporté au mode
d’investigation–lasonorisation–misenœuvre).
L’articulationdel’attendudeprincipeaveclathéoriedelanullitédesactesdeprocédurepeut
paraître ambiguë. La chambre criminelle ne qualifie pas la cause de nullité de nullité d’ordre
public,alorspourtantque,danslalogiquedelajurisprudencedelaCoureuropéennedesdroits
del’Homme(déloyauté,auto-incrimination),legardéàvueaiciétéprivéabinitiodetoutprocès
équitable. Il y aurait même un mot de cet attendu qui pourrait faire ressortir cette cause de
nullité de la catégorie des causes de nullité d’ordre privé, mais avec « grief nécessaire », selon
toute vraisemblance : le stratagème « vicie la recherche » de la preuve. En d’autres termes, le
stratagèmea«nécessairementportéatteinteauxintérêts»delapartiequ’ilconcerne.
Cetarrêtsanctionnantuneopérationdesonorisationd’unecelluledegardeàvueneremetpas
en cause celui du 1er mars 2006 par lequel la chambre criminelle a admis la sonorisation du
parloird’undétenu1:lepropred’uneconversationauparloirestdepouvoirêtreentenduepar
lesurveillant2.
Souvenons-nous que, dans un arrêt du 3 avril 2007, la chambre criminelle a considéré que
l’officierdepolicejudiciairenepeuttranscrire,contrelegrédugardéàvue,desproposquilui
sont tenus officieusement 3 . Cette décision a été rendue au visa de l’article 62 du Code de
procédure pénale, mais aux motifs d’une atteinte aux droits de la défense et du principe de
loyauté. C’est au visa de l’article préliminaire du Code de procédure pénale, mais encore en
considérationdemotifsprisdesdroitsdeladéfense,quelachambrecriminelle,dansunarrêtdu
5mars2013,aconsidéréquelesofficiersdepolicejudiciairenepeuventdavantageretranscrire
surprocès-verbalderenseignementlesconfidencesfaitesparunepersonnemiseenexamenau
coursdesontransfertàlamaisond’arrêt4.
L’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 7 janvier 2014, derrière la
grandiloquencedesestermes,rappellequelagardeàvueestune«gardeàl’ouïe»5,c’est-àdirelemode,devenuexclusif,decaptationdelaparoled’unsuspectsouscontraintepolicière,eu
égard aux garanties qui y sont attachées (notamment, devant le risque de déclarations autoincriminantes, le droit à l’assistance d’un avocat), et sauf au gradé à vue à y renoncer
expressément(auditionlibre).
DOCUMENTN°14:DUDROITDELAPREUVEAUDROITALAPREUVE,QUESTIONDEMOTSOU
CHANGEMENTDECAP?,PETITESAFFICHES ,31MAI2013N °109,P.5-TOUSDROITS
RESERVES EntretienavecCamilleBroyelle,professeuràl’universitéParisII(Panthéon-Assas),AnneDebet,
professeur à l’université Paris-Est Créteil, Cyril Grimaldi, professeur à l’université Paris 13, et
MustaphaMekki,professeuràl’universitéParis13
Le 21 mai dernier, l'Association Henri Capitant des amis de la culture juridique française
organisaitunejournéeparisiennesurlethèmede«Lapreuve»,journéequiseprolongeradu3
au 7 juin prochains à Amsterdam et Liège. L'occasion pour Camille Broyelle, professeur à
l'université Paris II (Panthéon-Assas), Anne Debet, professeur à l'université Paris-Est Créteil,
Cyril Grimaldi, professeur à l'université Paris 13, et Mustapha Mekki, professeur à l’université
Paris 13, de revenir sur les problématiques actuelles de la preuve, qui bénéficie de peu de
recherches dans l'ensemble et qui, selon eux, mériterait, du moins en matière de justice
administrative,uneréformeafindedégagerlesgrandsprincipesgénérauxetuniformesdudroit
delapreuve.
LesPetitesAffiches—Pourquoiuncolloquesurlethèmedelapreuve?
Cyril Grimaldi — Peu de recherches d'ensemble ont été menées sur le sujet. Ainsi n'existe-t-il
qu'unfaiblenombred'ouvragesconsacrésàlapreuve,tantendroitprivéqu'endroitpublic.
Il est vrai que le droit de la preuve ne constitue pas une matière universitaire à part entière
puisqu'elle est en général enseignée en première année de droit à l'occasion du cours
d'introduction au droit, à un moment où les étudiants ne bénéficient pas d'un recul suffisant
pouraborderlesujet.
Il est à ce titre heureux que le rapport annuel de la Cour de cassation rendu public le 24 mai
dernierportesurlethèmedelapreuve.Lenuméro6delaHenriCapitantLawReviewportera
égalementsurcethème.
LPA—Quelleestlavocationdececolloque?
CG—Réunirplusieursrapportssurquatrethèmes:«Preuveetdroitsfondamentaux»,«Preuve
et pouvoirs exorbitants de la puissance publique », « Preuve et nouvelles technologies », «
Preuve et vérité », élaborés à partir de questionnaires adressés aux rapporteurs des différents
pays.Unrapportdesynthèse,parJérômeHuet,viendraclorelesdiscussions.
Lesrapportssontd'oresetdéjàdisponiblessurlesitedel'AssociationHenriCapitantdesamis
delaculturejuridique.
LPA—Commentrésoudrelesconflitsdedroitsfondamentauxrelatifsàlapreuve?
CG — Traditionnellement, l’on opère une balance des intérêts en présence et l’on vérifie que
l'atteinteauxdroitsfondamentauxqueréalisel'Administrationd'unepreuverespectelescanons
deprévisibilité,denécessitéetdeproportionnalité.
Aujourd'hui cependant, l'on voit émerger en jurisprudence un « droit à la preuve », lui-même
érigéendroitfondamental,envuedefaciliterl'administrationdespreuvesetderapprocherla
véritéjudiciairedelavéritédesfaits.
LPA — Les moyens probatoires peuvent notamment aller à l'encontre de la vie privée
(testsADN,écoutestéléphoniques,GPS...).Lalégislationencadre-t-ellesuffisammentces
nouveauxmodesdepreuve?
CG—Derèglegénérale,denombreuxmodesdepreuveontétépassésetcontinuentdel'êtreau
crible des droits fondamentaux. On remarque à cet égard que la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l'Homme est finalement plus audacieuse que celle du Conseil
constitutionnel.
Il reste que si certains moyens de preuve constituent une ingérence dans la vie privée et
familialed'autrui,ilssontaussiparfoislemoyendepréservercelledurequérant.L'exempledes
testsADNesttrèsrévélateurcarenmêmetempsqu'ilsportentatteinteàlavieprivéedecelui
quilessubit,ilspermettentd'assurerledroitaurespectdelavieprivéeetfamilialenormalede
celuiquichercheàfaireétablirsafiliation.
LPA—Lavéritéscientifiques’oppose-t-elleàlavéritéjuridique?
MustaphaMekki—Lavéritéscientifiqueestgénéralementprésentéecommeunevéritéabsolue
à la différence de la vérité juridique et, spécialement, judiciaire qui serait une vérité relative.
Cette opposition dogmatique peut être discutée. De nombreux économistes tels que Maurice
Allais ou Karl Popper ont démontré que les découvertes scientifiques, et plus largement la
science, constituaient souvent une suite d’erreurs. À l’instar des autres vérités, la vérité
scientifiqueestrelative.
Ilestvrai,cependant,quelavéritéscientifiqueasesraisonsquelaraisonjuridiqueignore.Plus
précisément,endroit,lapreuvescientifiqueproposeetlejugedispose.
Lapreuvescientifiqueestutileaujuge.Ilestaujourd’huifréquentquelejugeutiliselapreuve
scientifiquepourétablirl’existenceobjective,«réelle»decertainsfaits.Ilenestainsienmatière
de filiation, la Cour de cassation consacrant l’expertise biologique de droit. La matière pénale
fournit de nombreux exemples, que ce soit pour établir un certain nombre d’infractions
routières ou de la lutte contre l’antidopage. En outre, dans un monde dominé par l’incertain
(santé,environnement,économie),lapreuvescientifiqueestuneaideprécieuseàladécision.
Iln’enrestepasmoinsquelapreuvescientifiquedoitresterauserviceduprocèsquinepoursuit
pas, coûte que coûte, la vérité, mais recherche une solution juste. Ce faisant, le juge doit
conserverlederniermotlorsqu’ilditledroit.Lavéritéjudiciairepeutainsiêtreendécalageavec
la vérité scientifique. En droit de la responsabilité, par exemple, la causalité scientifique peut
ainsi faire défaut sans pour autant exclure une éventuelle causalité juridique. Il faut veiller en
permanenceàcequelapreuvescientifiqueresteauservicedelapreuvejudiciaire.
LPA—Lesmoyenslégauxexistantssont-ilssuffisants?
CG—Endroitfrançais,traditionnellement,lavéritéjudiciairen'estpasaussiexigeantequ'elle
ne l'est dans les pays de common law, pour différentes raisons, notamment de coût, de temps.
Ainsi,ledroitfrançaisneconnaîtpasdeprocéduredediscovery.
Silapreuveestparprincipelibreendroitfrançais,exceptionfaite,enmatièrecivile,delapreuve
desactesjuridiquesquidoitenprincipeêtrefaiteparécrit,denombreusesrèglesdefondoude
procédure intéressent la charge, l'objet et les modes de preuve. Aujourd'hui, le « principe de
loyauté » des preuves suscite de nombreuses questions, tant dans son domaine que dans sa
portée.
LPA—Lavéritél’emporte-t-elleaudétrimentdelaloyautéprobatoire?
MM — L’exigence de loyauté probatoire, qui doit être distinguée de la légalité probatoire,
renvoieàl’idéequ’onnepeutopposeràunepartieàunprocèsunélémentdepreuveobtenude
manière « clandestine », « à l’insu de » la personne concernée. Cette exigence, qui n’est pas
formellementunprincipeduprocèséquitable,permetdemoraliserleprocessusprobatoirede
recherchedelavérité.
Cependant,sonchampd’applicationévolueendentsdescie.Alorsquecetteexigences’impose
dans le procès civil et a été étendue au droit de la concurrence, rendant ainsi les preuves
obtenuesdemanièredéloyaleirrecevables,elleconserveundomained’applicationrestreinten
matièrepénale.Seuleslespersonnespubliquessontsoumisesàcetteexigencedeloyautédans
l’obtention des éléments de preuve, dans un cas bien précis d’ailleurs qui est la provocation à
l’infraction. En revanche, les personnes privées peuvent produire en justice des éléments de
preuve obtenus de manière déloyale ou illégale à la condition que cet élément de preuve soit
débattu de manière contradictoire et que le juge n’en fasse pas le seul élément de sa décision
(principedecorroborationselonJ.Pradel).
Ce recul de l’exigence de loyauté ne cesse de s’intensifier. La déloyauté est fréquemment, en
quelque sorte, « excusée » en faisant appel, dans tous les domaines du droit de la preuve, aux
droitsdeladéfense,àl’égalitédesarmesouàunprincipetrèsgénéralducontradictoire.D’une
certainemanière,ladéloyautéenamontestexcuséeparundébatcontradictoireenaval.Cette
tendanceestcritiquablecarilnefautpasoublierque«prouver,c’estfaireapprouver»selonH.
Lévy-Bruhl. Selon le sociologue, la décision ainsi rendue, la vérité ainsi découverte doit être «
homologuéeparlacollectivité».Àdéfautd’êtreacceptée,lavéritédoitêtreacceptable.Iln’est
pas certain qu’en encourageant l’obtention déloyale ou illégale de preuve compensée par un
débatcontradictoire,ladécisionpuisseêtre«homologuéeparlacollectivité»!
LPA—Desréformessont-ellesenvisagéesenvued'améliorerledroitdelapreuve?
AnneDebet—LesrapportsTerréetCatalaproposantuneréformedudroitdescontratsetdu
droitdesobligationscontiennentdesdispositionssurledroitdelapreuve.Leprojetderéforme
actuellementencoursreprendrapeut-êtrecertainesdecespropositions.
LPA—Qu'enest-ilducôtédudroitadministratif?
Camille Broyelle — Sur ce terrain, la question est spécifique. L'Administration détient en effet
des pouvoirs exorbitants. Tout d'abord, celui qui découle du privilège du préalable :
l'Administrationprendunilatéralementdesdécisionsobligatoires,sansavoirbesoinderecourir
aupréalableaujuge.Encesens,pouragir,l'Administrationn'apasà«prouver»ausensstrict
(c'est-à-dire devant un juge) la véracité des faits sur lesquels elle se fonde. Ensuite,
l'Administrationdétientdesprérogativesexorbitantesaustadedelarécoltedespreuves.
Sansdouteexiste-t-ildesgarde-fousmaispasàtouteslesphasesdelaprocédureadministrative.
Au stade de l'instruction de la décision par l'Administration, des garanties existent, en
particulier pour les décisions qui « font mal », je pense aux sanctions administratives. Ces
garanties ont été considérablement étoffées, sous l'effet notamment de la jurisprudence
européenne.Aujourd'hui,quasimenttouteslesexigencesduprocèséquitabledel'article6dela
Conventioneuropéennedesdroitsdel'Hommes'appliquentàcestade.Enrevanche,s'agissant
delaphaseantérieureàl'instructionadministrative,laphasederécoltedesfaits,lesgaranties
sontminces,puisqu'àceniveau,nes'appliquentnileprincipeducontradictoire,nilesdroitsde
ladéfense,nil'article6delaConventionEDH(1).
Certes, certaines enquêtes administratives sont encadrées par des textes. C'est le cas des
enquêtesfiscalesouencoredesinvestigationsmenéesparl'AMFoul'Autoritédelaconcurrence.
Mais en dehors des textes spéciaux qui réglementent des procédures particulières, il manque
cruellementundroitcommundel'enquêteadministrative.
AD — Pour des besoins de cohérence il faudrait d'ailleurs dégager des principes généraux
communs aux différentes autorités administratives indépendantes, tels que des principes
régissant l'accès aux documents, l'accès au domicile... et pour garantir plus de clarté dans ce
droitaujourd'huiéclaté.
CB — Précisément, peut-être les choses sont-elles en train d'évoluer. Jusqu'à présent, on s'en
tenait à l'idée que, dès lors qu'au stade de l'instruction l'intéressé bénéficie des droits de la
défenseetdesexigencesdel'article6delaConventionEDH,cen'estfinalementpastrèsgravesi
ces droits ne sont pas garantis au stade de l'enquête. C'est l'idée qui inspire une décision du
Conseild'Étatdu30mars2007,Predica.
AD — Depuis, le Conseil d'État a appliqué l'article 8 de la Convention EDH — droit de toute
personneaurespectdesavieprivéeetfamiliale,desondomicileetdesacorrespondance—au
stade des contrôles s'agissant de deux décisions de la Commission nationale informatique et
libertés.Enl'espèce,laCnilavaitprononcédeuxsanctionsfinancièresàl'encontredessociétés
Pro Décor et Inter Confort qui commercialisent des fenêtres et qui avaient recours à de la
prospectiontéléphoniquesansrespecterledroitd'oppositiongarantiparlaloiinformatiqueet
libertés. Le 6 novembre 2009, le Conseil d'État a considéré qu'« en raison de l'ampleur des
pouvoirs » de contrôle de la Cnil, l'ingérence dans le droit au respect du domicile — que
constituelecontrôlesurplace—n'estproportionnéequesielleaété«préalablementautorisée
parunjuge»ousilapersonneresponsabledeslieux«aétépréalablementinforméedesondroit
des'opposer»aucontrôle.Cetteinformationpréalablen'ayantpasétéréalisée,leConseild'État
aannulécesdeuxsanctionsdelaCnil(2).
CB — Oui, et surtout, une autre évolution se dessine, celle résultant peut-être d'un arrêt du
Conseild'Étatdu15mai2013,SociétéalternativeLeadersFrance(no356054)qui,elle,pose,à
proposdesenquêtesdel'AMF,quemêmesilesdroitsdeladéfensenes'appliquentpasaustade
de l'enquête, il ne faut pas qu'ils soient altérés de façon irrémédiable au cours de cette phase
d'investigation. Les droits procéduraux ne doivent pas, en somme, être « tués dans l’œuf ». Ce
principepourraitdésormaisêtresollicitépourdégageruncorpusderèglesapplicablesaustade
del’enquête.EspéronsqueleConseild’Étatiradanscesens.
LPA—Existe-t-ilencoreaujourd'huidesproblèmesdepréservationetd'authenticitéde
lapreuvenotammentenraisondesnouvellestechnologies?
AD—S'agissantdesnouvellestechnologies,ondistingued'uncôtélesnouvellestechnologiesde
l'information et de la communication dites NTIC (documents électroniques et contrats sur
internet) et, de l'autre, la preuve scientifique, catégorie à laquelle appartient notamment
l'empreintegénétique.
Concernant les NTIC, une des difficultés tient à la directive européenne no 1999/93/CE du
ParlementeuropéenetduConseildu13décembre1999relativeàlasignatureélectronique,qui
pose, pour certaines signatures, des exigences de sécurité beaucoup trop difficiles à atteindre,
voire quasi impossibles à atteindre. Il n'y a jamais de document signé avec une signature
électroniquesécurisée.Onpeutsedemanderfinalementsiletexteeuropéenestvraimentutile.
En2006,dansundesesrapports,laCommissioneuropéenneconstataitlalenteurdeladiffusion
dessignaturesélectroniquesavancéesouqualifiées.Actuellement,ilyad'ailleursunprojetde
modificationdecettedirective.
Danslesactessurinternet,ilyatoujoursunproblèmed'identificationdelapersonne.Uncertain
nombredepaysonttentéderésoudreceproblèmeparunepuceinséréedanslacarted'identité
qui permet aux personnes de s'identifier sur internet. Cependant, le Conseil constitutionnel a
empêchélamiseenœuvred'unetellesolutionenFranceeninvalidantcertainesdispositionsdu
projet de loi relatif à la protection de l'identité qui n'étaient pas suffisamment précises.
Finalement,quandonregardelajurisprudence,iln'yapastantdecontentieuxquecela.Cesont
souvent des mails qui sont produits en tant que preuve et qui constituent un mode de preuve
assez largement admis. Une des difficultés réside toutefois dans l'existence de conventions en
matièredepreuvesurinternetdanslesconditionsgénéralesdesprestataires.Lajurisprudence
garantit,certes,ledroitàlapreuvecontrairemaisenpratiqueilseradifficileauconsommateur
de rapporter la preuve contraire par rapport au relevé informatique d'un prestataire. La
Commission des clauses abusives a eu l'occasion de rendre un avis sur certaines clauses
relativesàlapreuve.
Concernant,parailleurs,laquestiondelafiabilitéetdel'authenticitédel'empreintegénétique,il
y a des problèmes très importants. Ainsi, on a vu dans l'affaire de la Tuerie de Chevaline que
l'ADN prélevé sur place était celui non du meurtrier présumé mais d'un expert en balistique.
Dans une autre affaire, l'ADN trouvé était, apparemment, celui d'une personne qui était en
prison au moment des faits. Le laboratoire avait inversé deux prélèvements faits dans deux
affairesdifférentes.Commel'empreintegénétiqueestconsidéréecommeunepreuveparfaite,on
se rend compte que si les conditions de collecte et de traitement des empreintes ne sont pas
bonnes—etl'erreuresthumaine!—onaboutitàdeserreursjudiciairestrèsgraves.
LPA—Quelssontlesfutursdéveloppementsdelapreuveaveclesnouvellestechnologies
?
AD—L'utilisationdelabiométriepouridentifierlesindividusestsusceptibledesedévelopper.
C'est un phénomène mondial et la France n'est pas épargnée. Cette utilisation de la biométrie
(empreintesdigitalesouempreintesgénétiques,parexemple)posedesproblèmesdupointde
vuedeslibertésfondamentales.OnapucréerenFranceunebase«Passeport»,contenantles
empreintes digitales des personnes demandant un passeport, avec pour unique finalité la
sécurisation de la délivrance des titres d'identité et de voyage et la lutte contre la fraude
documentaire.Maislelégislateuraégalementvoulucréerunebased'empreintesdigitalespour
les cartes d'identité qui a été invalidée par le Conseil constitutionnel car il y avait d'autres
finalitésdepolicesadministrativeetjudiciairequiauraientpermis,parexemple,derechercher
danscettebaselesempreintesd'unéventueldélinquant.Toutepreuvefondéesurlabiométrie
devraveilleràrespecterlesdroitsfondamentauxmaiségalementàrépondreàunefinalitébien
déterminéeetdélimitée.
ProposrecueillisparValérieBOCCARA
DOCUMENTN°15:MIKAËLBENILLOUCHE,SECRETPROFESSIONNEL,GAZETTEDUPALAIS,
02AOUT2007N°214,P.8
Crim.24AVRIL2007
Secret médical - Production devant le juge répressif de pièces d'un dossier médical -
Officedujuge
Un médecin ayant fait citer des époux devant le Tribunal correctionnel sous la prévention
d'avoir dans une précédente procédure conclue par sa relaxe définitive du chef d'agression
sexuelle sur mineur de quinze ans, établi une attestation faisant état de faits matériellement
inexactsproduiteauxdébatsparlespartiesciviles,aannexéàlacitation,envuedeladiscussion
contradictoire à l'audience, plusieurs pièces du dossier médical et psychologique du fils des
prévenus,majeurprotégé,présentdansl'établissementspécialiséoùilintervenaitenqualitéde
médecinpsychiatreàladatedesfaitsdontilavaitétéaccusé.Lesépouxontdemandéauxjuges
d'écarter ces pièces des débats au motif qu'en les produisant l'intéressé avait révélé des
informations à caractère secret dont il était dépositaire par profession, délit prévu et puni par
l'article226-13duCodepénal.
Doit être cassé l'arrêt qui, pour rejeter cette demande, énonce qu'aucune disposition légale ne
permetauxjugesrépressifsd'écarterlesmoyensdepreuveproduitsparlespartiesauseulmotif
qu'ilsavaientétéobtenusdefaçonilliciteoudéloyale,etqu'illeurappartient,enapplicationde
l'article 427 du Code de procédure pénale d'en apprécier la valeur probante après débat
contradictoire. En se prononçant ainsi, sans rechercher si l'examen public et contradictoire
devantlajuridictioncorrectionnelle,àlademandedumédecindel'établissementquiavaitpris
en charge le fils des prévenus, de pièces de son dossier médico-social, couvert par le secret
professionnel,constituaitunemesurenécessaireetproportionnéeàladéfensedel'ordreetàla
protection des droits de la partie civile au sens de l'article 8 de la Convention européenne des
droitsdel'homme,laCourd'appeln'apasdonnédebaselégaleàsadécision.
LaCour(...),
Surlepremiermoyendecassation,prisdelaviolationdesarticles226-13,441-7duCodepénal,
427duCodedeprocédurepénale,6et13delaConventioneuropéennedesdroitsdel'homme;
«En ce que l'arrêt attaqué a déclaré Marie-Claude X, épouse Y, coupable d'établissement d'une
attestation comportant une mention inexacte, et l'a condamnée à la peine de 500 € d'amende
avecsursis;
«Aux motifs que : « Marie-Claude X, épouse Y, soutient que Jean-Claude A produit à l'appui de
son argumentation des pièces provenant de dossiers médicaux, qu'il viole ainsi le secret
professionnel, ce qui implique que les pièces litigieuses et illicites soient écartées des débats ;
toutefois, aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d'écarter les moyens de
preuve produits par les parties au seul motif qu'ils auraient été obtenus de façon illicite ou
déloyale, et il leur appartient seulement, en application de l'article 427 du Code de procédure
pénale, d'en apprécier la valeur probante après débat contradictoire ; dès lors, les pièces
produites,quecetteproductionvioleouneviolepasunsecretprofessionnel,nedoiventpasêtre
écartéesdudébat»(arrêtp.5);
«Alorsquelejugerépressifnepeutsefondersurdesmoyensdepreuveobtenusdefaçonillicite
;qu'endéclarantlecontraire,laCourd'appelaviolélestextessusvisés»;
Vu l'article 593 du Code de procédure pénale, 8 de la Convention européenne des droits de
l'hommeetL.1110-4duCodedelasantépublique;
Attenduquetoutjugementouarrêtdoitcomporterlesmotifspropresàjustifierladécisionet
répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la
contradictiondesmotifséquivautàleurabsence;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Jean-Claude A a fait citer les époux Y devant le
tribunalcorrectionnelsouslapréventiond'avoir,dansuneprécédenteprocédureconclueparsa
relaxe définitive du chef d'agression sexuelle sur mineur de quinze ans, établi une attestation
faisantétatdefaitsmatériellementinexactsproduiteauxdébatsparlesépouxZ,partiesciviles;
qu'ilaannexéàlacitation,envuedeladiscussioncontradictoireàl'audience,plusieurspièces
dudossiermédicaletpsychologiquedufilsdesprévenus,Jean-ClaudeY,majeurprotégé,présent
dans l'établissement spécialisé où il intervenait en qualité de médecin psychiatre à la date des
faits dont il avait été accusé ; que les époux Y ont demandé aux juges d'écarter ces pièces des
débats au motif qu'en les produisant Jean-Claude A avait révélé des informations à caractère
secret dont il était dépositaire par profession, délit prévu et puni par l'article 226-13 du Code
pénal;
Attenduque,pourrejetercettedemande,l'arrêténoncequ'aucunedispositionlégalenepermet
auxjugesrépressifsd'écarterlesmoyensdepreuveproduitsparlespartiesauseulmotifqu'ils
avaient été obtenus de façon illicite ou déloyale, et qu'il leur appartient, en application de
l'article 427 du Code de procédure pénale, d'en apprécier la valeur probante après débat
contradictoire;
Maisattenduqu'enprononçantainsi,sansrecherchersil'examenpublicetcontradictoiredevant
la juridiction correctionnelle, à la demande du médecin de l'établissement qui avait pris en
chargeJean-ClaudeY,depiècesdesondossiermédico-social,couvertparlesecretprofessionnel,
constituaitunemesurenécessaireetproportionnéeàladéfensedel'ordreetàlaprotectiondes
droits de la partie civile au sens de l'article 8 de la Convention européenne des droits de
l'homme,laCourd'appeln'apasdonnédebaselégaleàsadécision;
D'oùilsuitquelacassationestencourue;
Parcesmotifs,
Etsansqu'ilsoitbesoinderépondreausecondmoyenproposé:
Casseetannule,entoutessesdispositions,l'arrêtsusvisédelaCourd'appeldeBastia,endatedu
4octobre2006,etpourqu'ilsoitànouveaujugé,conformémentàlaloi;
NOTE
Del'extensionduprincipedeloyautédelapreuvepénaleauxpartiesprivées
La loyauté de la preuve serait-elle en train de pénétrer les relations entre les parties privées
danslecadred'uneinstancepénale?C'estcequecetarrêtsemblelaisserprésumer.
En effet, la Cour de cassation était appelée à se prononcer sur une hypothèse où un médecin
avaitétépoursuividuchefd'agressionsexuellesurmineurdequinzeansenraisond'uneplainte
émanant d'un couple (les époux Y). La victime de ces faits aurait été leur fils, alors client du
médecin.
Suite à sa relaxe, le médecin avait agit au pénal contre les époux Y en raison de la fausse
attestation ayant servi de fondement aux poursuites dirigées contre lui. À l'appui de son
argumentation,lemédecininvoquaitdespiècescouvertesparlesecretprofessionnel.
LaCourd'appeldeBastiaétaitsaisiedelademandedesépouxYd'écartercespiècesdesdébats
enraisondeleurorigineillicite.
Reprenant une formule classique, la Cour d'appel a rappelé « qu'aucune disposition légale ne
permetauxjugesrépressifsd'écarterlesmoyensdepreuveproduitsparlespartiesauseulmotif
qu'ilsavaientétéobtenusdefaçonilliciteoudéloyale,etqu'illeurappartient,enapplicationde
l'article 427 du Code de procédure pénale, d'en apprécier la valeur probante après débat
contradictoire».
Saisied'unpourvoi,laCourdecassationreprochaitàlaCourd'appeldenepasavoirrecherchési
l'examen public et contradictoire devant la juridiction de pièces couvertes par le secret
professionnel«constituaitunemesurenécessaireetproportionnéeàladéfensedel'ordreetàla
protection des droits de la partie civile au sens de l'article 8 de la Convention européenne des
droitsdel'homme».L'arrêtentreprisestdonccassé.
La Cour de cassation apporte ici un éclairage nouveau sur plusieurs aspects en complétant sa
jurisprudenceantérieuregrâceàunepositionnovatrices'appuyantsurl'article8delaCEDH.
Ainsi,toutenparaissantétendrelapossibilitédes'affranchirdusecretprofessionnelauxparties
civiles (I), la haute juridiction impose également de procéder à un contrôle plus étroit de la
loyautédelapreuveàl'encontredespartiesprivées(II)etce,ensefondantsurl'article8dela
Conventioneuropéennedesdroitsdel'homme.
I.L'ARTICLE8delaCEDH,UNFONDEMENTTEXTUELJUSTIFIANTLAVIOLATIONDUSECRET
PROFESSIONNEL
Si la jurisprudence admet depuis longtemps que les droits de la défense puisse justifier la
violation du secret professionnel (A), la chambre criminelle innove, en se référant à l'article 8,
pourétendrecettepossibilitéauxpartiesciviles(B).
A-Unfaitjustificatifclassiquelimitéauxdroitsdeladéfense
Le médecin est astreint au secret professionnel. La méconnaissance de celui-ci est constitutive
del'infractionprévueparl'article226-13duCodepénal.
Lesecretprofessionneldumédecinn'estpasabsolu,mêmesidesarrêtsanciensleconsidéraient
(1).Eneffet,ledroitpositifconnaîtplusieurshypothèsesdanslesquelleslaviolationdusecret
professionnelestimposéeouautoriséeparlaloi.Ainsi,l'article226-14duCodepénalénumère
plusieurshypothèsesoùl'infractionestjustifiée.
Deplus,lajurisprudence,tantdesjuridictionsdefond(2)quecelledelaCourdecassation(3)
admet que le professionnel puisse s'affranchir du secret lorsqu'il s'agissait pour lui de se
défendredanslecadred'uneinstancejudiciaireetce,malgrél'absencededispositionlégislative
prévoyantunetellepossibilité.
Maisdèslors,quelestlefaitjustificatifjustifiantlaviolationdusecret?
S'agit-il d'une interprétation large de l'article 122-4, alinéa 1er qui engloberait les droits de la
défense dans la mesure où ceux-ci figurent parmi les règles du procès équitable, d'un fait
justificatifadhoccrééparlajurisprudence,ouencored'unehypothèsed'applicationdelacause
d'irresponsabilité d'état de nécessité figurant à l'article 122-7 du Code pénal et qui suppose
d'accomplirunactenécessairefaceàundanger?
Ilsemblequecettedernièreinterprétationprévaledanslamesureoùlajurisprudenceconsidère
queleprofessionnelneméconnaîtlégitimementlesecretques'ilsetrouve«danslanécessitéde
transgresserlesecretpourapporterauxjugeslespreuvesdebonnefoioudelaqualitédeses
prestations, étant observée que la révélation doit être limitée aux strictes exigences de sa
défense»(4).Danscejugement,ilestd'ailleursexplicitementfaitréférenceàlanotiond'étatde
nécessité.
C'est en prenant appui sur cette jurisprudence que la Cour de cassation a étendu le fait
justificatifàlapartiecivile.
B-Unfaitjustificatifrénovéétenduauxdroitsdelapartiecivile
Enl'espèce,c'estleprofessionnel,suiteàsarelaxe,quiagissaitcontrelesauteursdelaplainte
initiale.
Danscecas,lajurisprudenceestmoinsprolifique,bienquelefaitjustificatifaitdéjàétéretenu
(5),cequiparaîtlogiquedanslamesureoùlespartiesprivéesàlaprocédure,qu'ils'agissedela
personne poursuivie ou de la partie civile, doivent pouvoir bénéficier des mêmes droits.
Toutefois,laCourdecassationrenvoieàl'appréciationsouverainedesjuridictionsdefondqui
doiventétablirlaconditiondenécessitédelaviolationetce,auregarddesdroitsdeladéfense
(6).
Dansl'espècecommentée,laCourd'appelsemblaitadmettreunetelleviolationdanslamesure
où la preuve ainsi recueillie n'avait pas été écartée des débats. Pourtant, la Cour de cassation
censureenprocédantàuncontrôlejusqu'alorsinéditauregarddel'article8delaConvention
européenne des droits de l'homme. Ainsi, il appartient désormais aux juridictions de fond
d'établirquelaviolationestàlafoisnécessaireetproportionnéeàladéfensedel'ordreetàla
protection des droits de la partie civile au sens de l'article 8 de la Convention européenne des
droitsdel'homme.
Lacaused'irresponsabilitésetrouvedoncrattachéeàuntexteexplicitement,àsavoirl'article8
delaConventioneuropéennedesdroitsdel'homme,maisaussiimplicitementàl'article122-7
duCodepénalrelatifàl'étatdenécessité,danslamesureoùcedernierfaitégalementréférence
à ces deux conditions de « nécessité» et de « proportionnalité». Cette précision est heureuse
dans la mesure où il paraissait délicat de rattacher l'hypothèse d'une action exercée par un
professionnelaucasoùcelui-ciestamenéàsedéfendrelorsqu'ilfaitl'objetdepoursuites.
Ilestdoncfaitréférenceàl'article8delaConventiondanslamesureoùlesecretprofessionnel
protège des informations relevant de la vie privée et familiale. Toutefois, la formulation de la
Courdecassationn'estpasexemptedecritiquesdanslamesureoùsiladéfensedel'ordreest
bienunejustificationpermettantl'ingérenced'uneautoritépubliquedansl'exercicedudroitau
respect de la vie privée et familiale figurant dans le paragraphe 2 de l'article 8, il en va
différemmentdelaprotectiondesdroitsdelapartiecivilesicen'estindirectementlorsqu'ilest
fait référence comme autre justification à une ingérence à la protection des droits et libertés
d'autrui. Parmi les droits, il y aurait donc ceux attachés à la qualité de partie civile. Le
paragraphe2del'article8justifieraitdonclaviolationdusecretprofessionneletce,àcondition
derespecterlesconditionsposéesparl'article122-7duCodepénal.
Une telle interprétation aurait aussi pour effet de modifier la jurisprudence rendue lorsque le
professionnelestpoursuivi.Dèslors,ilseraitdoncdésormaispossiblederattacherégalementla
violationdusecretprofessionnelàl'article8,maisalorsl'ingérencesejustifieraitparladéfense
del'ordreetlaprotectiondesdroits...deladéfenseetnonplusdelapartiecivile.
Toutefois,siladécisiondelaCourdecassationestriched'enseignementssurlaquestiondela
possibilité de justifier la violation du secret professionnel, la haute juridiction s'est
essentiellement prononcée sur l'applicabilité du principe de loyauté de la preuve aux parties
privées.
II. L'ARTICLE 8 de la CEDH, UN FONDEMENT TEXTUEL FAVORISANT L'EXTENSION DE LA
LOYAUTÉDELAPREUVEAUXPARTIESPRIVÉES
Si la Cour de cassation ne condamne pas la possibilité pour une partie privée d'obtenir une
preuve en commettant une infraction (A), elle semble permettre d'étendre la loyauté de la
preuve en imposant aux juridictions de fond de motiver l'examen public de la preuve ainsi
obtenueauregarddesintérêtsenprésence(B).
A-Lemaintiendelapossibilitédecommettreuneinfractionpourobtenirunepreuve
Laloyautédelapreuveestundesprincipesrelatifsàlapreuvepénale(7).Elles'appliqueaux
différentesautoritésd'investigations(8).
Plus encore, la haute juridiction écarte les preuves obtenues par une partie privée agissant à
l'initiatived'uneautoritéd'investigation(9).Ainsi,«porteatteinteauprincipedeloyautédes
preuvesetaudroitàunprocèséquitable,laprovocationàlacommissiond'uneinfractionparun
agent de l'autorité publique ou par son intermédiaire ; que la déloyauté d'un tel procédé rend
irrecevablesenjusticelesélémentsdepreuveainsiobtenus»(10).
Toutefois,endehorsdecettehypothèse,laloyautédelapreuvenesemblepasdevoirconcerner
lespartiesprivées.D'ailleurs,enl'occurrence,telleestlapositiondéfendueparlaCourd'appel.
Lajurisprudenceavaitd'ailleursdéjàétabliàplusieursreprisesdansuneformuledeprincipe«
qu'aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d'écarter les moyens de preuve
produits par les parties au seul motif qu'ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale ;
qu'illeurappartientseulement,enapplicationdel'article427duCodedeprocédurepénale,d'en
apprécierlavaleurprobante»(11).
Une partie de la doctrine critique la position de la Cour de cassation qui peut être interprétée
comme revenant « à admettre qu'un particulier puisse, dans un État de droit, se constituer
illégalement une preuve et la produire valablement en justice, sans que la juridiction saisie ne
doivereleverl'illégalitécommise»(12).
Toutefois,selonlaCoureuropéennedesdroitsdel'homme,l'admissibilitédespreuvesrelèveen
premierlieududroitinterne(13).
Enconséquence,lemédecinpouvaitdoncprouverlebien-fondédesaprétentionenutilisantle
produitdel'infractiondeviolationdesecretprofessionnel.
LaCourdecassationavaitdéjàeul'occasiondeconnaîtreunehypothèsesimilairelorsqu'ellea
admis qu'un salarié vole des documents dans son entreprise afin de se défendre dans le cadre
d'uneinstancejudiciaire(14).
Onauraitpus'attendreàcequelaCourdecassationreproduiselamêmeformulationquecelle
issue de ces décisions; pourtant, la haute juridiction a rappelé implicitement l'exigence de
loyautéenimposantauxjuridictionsdefonddemotiverauregarddesintérêtsenprésence.
B-L'exigencedemotivationauregarddesintérêtsenprésence
Ainsi, désormais, selon la Cour de cassation, pour admettre la preuve obtenue en raison de la
violation du secret professionnel, la Cour d'appel aurait dû rechercher si l'examen de la pièce
produitedevantlajuridiction«constituaitunemesurenécessaireetproportionnéeàladéfense
del'ordreetàlaprotectiondesdroitsdelapartiecivileausensdel'article8delaConvention
européennedesdroitsdel'homme».
En conséquence, les juridictions de fond ne pourront plus accepter systématiquement
d'examinerlapièce,maisdevrontrecherchersicelle-cipeutêtreproduiteenjusticeauregard
desdifférentsintérêtsmentionnésparleparagraphe2del'article8delaCEDH.Lesjuridictions
de fond sont donc invitées à procéder à un contrôle. En posant une telle obligation de
motivation,laCourdecassationrenddoncnécessairepourlapartieprivéedejustifierauregard
descritèresdel'article8,paragraphe2,laproductiondepiècesobtenuesdefaçondéloyale.
S'il est excessif de considérer que la loyauté s'imposerait désormais également aux parties
privées, il est possible de considérer que les parties privées, en devant justifier leur
comportement,sontdorénavantsoumisesàune«obligationlégère»deloyautésemanifestantà
travers la nécessité de justifier l'utilisation d'un procédé déloyal, alors que les autorités
d'investigationsdemeurentastreintesàune«obligationapprofondie»deloyauté,carilleurest
toutsimplementinterditdeméconnaîtreceprincipe.
Cettedécisionestunenouvelleillustrationdel'influencedudroitdelaConventioneuropéenne
des droits de l'homme sur la procédure pénale (15) et même plus précisément de l'article 8
récemmentutilisépourjustifierdespratiquessadomasochistes(16).
Quoiqu'il en soit, la Cour d'appel d'Aix-en-Provence à laquelle l'affaire a été renvoyée sera
invitéeàprocéderàlabalancedesintérêtsenprésencetelqueproposéparlaCourdecassation.
Ilneresteraplusalorsqu'àconnaîtrel'étendueducontrôleopéréparlachambrecriminelle.
La loyauté de la preuve finira-t-elle par s'imposer aux parties privées, et dès lors renforcer
l'effectivité de ce principe directeur du droit de la preuve pénale ? Nous ne pouvons que le
souhaiter...
DOCUMENTN°16:JURISCLASSEUR,PROCEDUREDECONTROLEDESPRATIQUES
ANTICONCURRENTIELLES ,FASC .N°380.
…
B. - Loyauté de la preuve et secret professionnel
26. – Le respect du principe du contradictoire ne s'impose pas lors de la phase d'enquête des pratiques
anticoncurrentielles (CA Paris, 8 avr. 1994 :JurisData n° 1994-022686. – CA Paris, 26 oct. 2004 : JurisData
n° 2004-252016 – Arrêts définitifs). La Cour de cassation a rappelé que l'article 6-3 de la Convention EDH était
inapplicable au stade de la procédure de constatation des infractions (Cass. crim., 29 mars 1995, n°9481.778 : JurisData n° 1995-000988).
27. – La phase d'enquête est cependant régie par le principe général de la loyauté dans la recherche de la
preuve, tel qu'il résulte de l'article 6-1 de la Convention EDH.
La Cour de cassation a ainsi sanctionné, au visa de cette disposition, la cour d'appel de Paris qui avait admis la
recevabilité d'un enregistrement réalisé à l'insu de l'auteur des propos, au motif que “l'enregistrement d'une
communication téléphonique réalisé par une partie à l'insu de l'auteur des propos tenus constitu[ait] un procédé
déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve”(Cass. com., 3 juin 2008, n° 07-17.147 : JurisData
n° 2008-044217). Malgré cet attendu de principe, la cour d'appel de Paris, autrement composée a, par un arrêt
en date du 29 avril 2009, jugé que l'article 6-1 de la Convention EDH n'emportait “aucune conséquence quant à
l'admissibilité des preuves, qui demeur[ait] régie par le droit national, mais exige[ait] seulement que la
procédure, prise dans son ensemble, garantisse un procès équitable”. La cour d'appel a considéré que les
enregistrements en cause ne devaient être retirés des débats que “s'il [était] avéré que la production de ces
éléments a[vait] concrètement porté atteinte au droit à un procès équitable, au principe du contradictoire et
aux droits de la défense auxquels ils [étaient] opposés”, ce qui n'était selon elle, pas le cas en l'espèce (CA
Paris, 29 avr. 2009, Produits d'électronique grand public).
De la même manière, l'absence d'indication dans le procès-verbal d'audition de ce que l'objet de l'enquête a été
porté à la connaissance de la personne entendue, indique que le principe de loyauté a été méconnu, dès lors
qu'il ne ressort pas, par ailleurs, des énonciations du procès-verbal ou d'éléments extrinsèques à celui-ci, que
cet objet a bien été indiqué (CA Paris, 12 déc. 2000 : JurisData n° 2000-132274. – Cass. com., 14 janv. 2003,
n° 01-00518 : JurisData n° 2003-017373 ; Cons. conc., déc. n° 04-D-49, 28 oct. 2004, décision définitive. –
Sur les informations qui doivent obligatoirement être communiquées aux personnes interrogées, V.
infra, n° 52).
Note de la rédaction – Mise à jour du 31/03/2013
27 . - Loyauté de la preuve
C'est dans sa formation plénière que la Cour de cassation a de nouveau censuré l'arrêt de la cour d'appel de
Paris qui avait admis, à titre d'éléments de preuve, des enregistrements sonores produits par la saisissante en
dépit du fait que ces enregistrements avaient été réalisés à l'insu de l'auteur des propos. La Cour a rappelé, au
visa de l'article 9 du Code de procédure civile, et de l'article 6, § 1 de la Convention EDH, le principe selon
lequel "sauf disposition expresse contraire du Code de commerce, les règles du Code de procédure civile
s'appliquent au contentieux des pratiques anticoncurrentielles relevant de l'Autorité de la concurrence ; que
l'enregistrement d'une communication téléphonique réalisé à l'insu de l'auteur des propos tenus constitue un
procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve" (Cass. ass. plén., 7 janv. 2011, n° 0914.316 et 09-14.667 : JurisData n° 2011-000038).
28. – Le refus de fournir des renseignements ou une justification peut être fondé sur le secret professionnel. Ce
secret peut être opposé aux agents enquêteurs, sauf si des mesures efficaces sont prises aux fins du respect de
ce secret, pour permettre la communication des seuls renseignements intéressant les agents enquêteurs.
Le secret médical a ainsi pu fonder le refus de fournir les documents demandés (Cass. crim., 17 juin 1980,
n° 79-90354). De la même manière, la correspondance entre un avocat et son client est couverte, en toutes
matières, par le secret professionnel, conformément à l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre
1971(modifiée L. n° 2004-130, 11 févr. 2004), et ne peut être saisie sauf si elle apporte la preuve de la
participation de l'avocat à l'infraction présumée (Cass. com., 5 mai 1998, n° 96-30.115. – Cass. com., 9 mars
1999, n° 97-30.029). Il ressort de la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation, que les
agents peuvent saisir des correspondances entre un avocat et son client lorsque celles-ci ne concernent pas les
droits de la défense (Cass. crim., 7 mars 1994, n° 93-84.931 : JurisData n° 1994-000547. – Cass. crim.,
30 juin 1999, n° 97-86.318 : JurisData n° 1999-002901. – Cass. crim., 27 juin 2001, n° 01-81.865). Si les
documents concernent les droits de la défense, ils sont en principe insaisissables (Cass. crim., 20 oct. 1998,
n° 96-30.117. – Cass. crim., 13 déc. 2006, n° 06-87.169) et doivent, dans cette hypothèse, être restitués(Ord.
JLD de Nanterre, 9 avr. 2008, Sté DKT).
Toutefois, en vertu de l'article L. 450-7 du Code de commerce, il est interdit aux services et établissements de
l'État et aux autres collectivités publiques d'opposer aux agents enquêteurs le secret professionnel. Par ailleurs,
l'article L. 462-9 du Code de commerce prévoit que l'obligation de secret professionnel ne fait pas obstacle à la
communication, par les autorités de concurrence, des informations ou documents qu'elles détiennent ou
qu'elles recueillent, à leur demande, à la Commission européenne et aux autorités d'autres États membres
exerçant des compétences analogues et astreintes aux mêmes obligations de secret professionnel.
DOCUMENTN°17:JURISCLASSEUR,ENQUETEPRELIMINAIRE,FASC.20
B.-Principesdirecteursdel'enquêtepréliminaire
36. – Au cours de l'enquête préliminaire, divers actes et investigations sont accomplis par la
police judiciaire. Certains obéissent à des dispositions particulières prévues par le Code de
procédure pénale, d'autres ne font l'objet d'aucune réglementation. Au-delà de cette dualité,
touteslesenquêtespréliminairesobéissentàdifférentsprincipesquionttoutefoisévolué(V.J.
Pradel,Traitédeprocédurepénale:Cujas,2011.–F.DesportesetL.Lazerges-Cousquer,Traité
deprocédurepénale:Economica2009,n°1482à1525).
Ces principes s'intègrent bien sûr dans les principes directeurs du procès pénal dont celui
rappeléàplusieursreprisesparleConseilconstitutionneldel'équilibreentrelapréventiondes
atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions et l'exercice des libertés
constitutionnellementgaranties(V.parex.,Cons.const.,déc.30juill.2010,n°2010-14/22QPC:
JurisDatan°2010-030610,cons.n°24et29).
1°Enquêtepréliminaire:acted'autoritépublique
37. – L'enquête pénale reste une prérogative de l'autorité publique qui l'assure par un service
public,celuidelapolicejudiciaire,garantdel'égalitédetousdevantl'investigationpénale,dela
neutralitédecettedernièreetdesalégalité.
Au-delà de conséquences contentieuses complexes (V. F. Desportes et L. Lazerges-Cousquer,
préc., n° 3688 s.), le monopole de l'enquête pénale au bénéfice de l'autorité publique étatique,
comme son organisation en un service public, expliquent un certain nombre de solutions,
notammentcellestouchantaudroitd'ouvriruneenquêteetrevêtentunintérêtrenouvelédans
lecadredel'équilibredesgarantiesduprocèspénaletdel'égalitédetousfaceàcedernier.
2°Principededirectionjudiciairedel'enquêtepréliminaire
38.–Leprincipededirectiondelapolicejudiciaireparlesmagistratsvaau-delàdel'affirmation
d'une simple nature judiciaire de l'enquête qui, en France, se traduit notamment par le statut
particulierdesofficiersetagentsdepolicejudiciaire.Ilreposesurun doublefondement(V.A.
Decoq,J.Montreuil,J.Buisson,Ledroitdelapolice:Litec1998,n°82s.–H.Vlamynck,Droitde
lapolice:Vuibert2011,n°5s.etchap.5).
Touteactivitéattentatoireauxlibertésindividuellesdoitêtrecontrôléeparl'autoritéjudiciaire.
Mais, en outre, une enquête pénale n'a de finalité que judiciaire, ce qui implique sa direction
effectiveparl'autoritéjudiciaireau-delàdupremierniveaudegarantieapportéparlesofficiers
et agents de police judiciaire. La garantie judiciaire s'exerce donc à un double niveau : par un
contrôledelégalité,denécessitéetdeproportionnalitémaisaussiparunedirectionaufondqui
excèdeledroitàl'informationoudesimplespouvoirsd'autorisation.LeConseilconstitutionnel
consacre ce principe de direction judiciaire dans lequel les politiques pénales des parquets
trouventleurlégitimitéjuridique(Cons.const.,déc.10mars2011,n°2011-625DC).
39.–LadirectiondelapolicejudiciaireestexercéeparleprocureurdelaRépublique(CPP,art.
12).Ilbénéficiedetouteslesprérogativesdel'officierdepolicejudiciaire,etdirigel'activitédes
officiersetagentsdepolicejudiciairedesonressort(CPP,art.41,al.2).
40.–Leprocureurpeutordonnerl'ouvertured'uneenquêtepréliminaire(CPP,art.75).Ilpeutle
faireentoutecirconstanceetcedroitn'estbornéparrien(V.parex.,Cass.crim.,8déc.2004,n°
04-85.979 : JurisData n° 2004-026691). Lorsqu'elle est menée d'office par les enquêteurs, ces
derniers doivent rendre compte de son état d'avancement lorsqu'elle est commencée depuis
plus de six mois (CPP, art. 75-1) et dès qu'apparaissent des indices (ni graves ni concordants)
laissantpenserqu'unepersonneidentifiéeapucommettrel'infractionconsidérée(CPP,art.752).Toutefoiscetteobligationd'informationduprocureurdelaRépubliquen'estpassanctionnée
à peine de nullité (Cass. crim., 1er déc. 2004, n° 04-80.536 : JurisData n° 2004-026136 ; Bull.
crim.2004,n°302.–Cass.crim.,23août2005,n°03-87.719,04-84.771,05-83.529.–Cass.crim.,
19mars2008,n°07-88.684:JurisDatan°2008-043607;Bull.crim.2008,n°72)etl'avisn'apas
nonplusàêtreimmédiatàpeinedenullité(Cass.crim.,11janv.2005,n°04-84.468).
LeCodedeprocédurepénaledéclineenoutreceprincipededirectionjudiciaireparunesériede
mesuresparticulièrespropresàdiversactesdel'enquêtepréliminaire.
Enfinconformémentàl'articlepréliminaireduCodedeprocédurepénale,touteslesmesuresde
contrainteexistantesenenquêtepréliminairesontplacéessouslecontrôleeffectifdel'autorité
judiciaire.
Notedelarédaction–Miseàjourdu05/05/2014
40.-DroitduprocureurdelaRépubliquedefaireprocéderàuneenquête
Aucun texte de procédure pénale n'interdit au procureur de la République, lorsqu'il est
destinataire de renseignements relatifs à desinfractionsdontseuleunepartieseraitprescrite,
de faire procéder à une enquête aux fins d'identifier celles qui seraient susceptibles de faire
l'objetd'unepoursuite(Cass.crim.,6nov.2013,n°12-87.130:JurisDatan°2013-024912).
3° Principe d'une coercition limitée par l'autorisation de la personne concernée ou de
l'autoritéjudiciaire
a)Principeinitialdelanon-coercitionsaufautorisationdelapersonneconcernée
41.–Leprincipedenon-coercitionquicaractérisel'enquêtepréliminaire,s'estaccommodé,au
fil du temps, d'exceptions, justifiées par la volonté de donner toute effectivité aux enquêtes
menées en préliminaire sans recours à l'information. Il a évolué, dès lors, vers un principe de
soumissiondesactescoercitifssoitàaccordduparticuliersoitàautorisationjudiciaire.
42.–Traditionnellement,onreconnaissaitunprincipenon-coercitifàl'enquêtepréliminaire,qui
luivenaitdel'enquêteofficieuse(Cass.crim.,19juin1957:D.1958,p.263,noteLePavec).Le
Codedeprocédurepénalen'apasmodifiécetterèglefondamentalequivautpourtouslesactes
pour lesquels les enquêteurs ne sont pas dispensés de solliciter l'autorisation des personnes
concernées.
b)Évolutionversunecoercitionautoriséepréalablementparl'autoritéjudiciaire
43. – De très nombreux actes peuvent désormais être imposés en enquête préliminaire sur
autorisationjudiciaire,aumoinspourcertainesinfractionsdegrandecriminalitéousévèrement
punies:perquisitionetsaisiessansassentimentouhorsheureslégalessurautorisation(V.infra
n° 253), interceptions téléphoniques (V. infra n° 259), comparution forcée et rétention des
témoins (V. infra n° 209), rétention au cours d'une perquisition (V. infra n° 173), contrôles et
vérifications d'identité (V. infra n° 197 à 202), mandat de recherche (V. infra n° 203), garde à
vue,investigationsphysiologiques(V.infran°221à228).
4°Principesdelégalité,delibertéetdeloyautédelapreuve
44.–Recevabilité–Iln'existepasdethéoriegénéraledelapreuvedansleCodedeprocédure
pénale. Le principe de recevabilité des preuves est celui de la liberté de la preuve, basé sur
l'article427auquelaétéattribuéuneportéegénérale(Cass.crim.,27janv.2010,n°09-83.395:
JurisData n° 2010-051634 ; Procédures 2010, comm. 156, obs. A.-S. Chavent-Leclere. – Cass.
crim., 9 mars 2010, n° 08-88.501 : JurisData n° 2010-004308). S'il existe des exceptions, elles
proviennent de textes qui déterminent une nature particulière de la preuve en attribuant une
forceprobanteparticulièreàcertainsprocès-verbauxdeconstatation(V.infran°102à108).
45. – Administration – En revanche l'administration de la preuve, notamment par l'autorité
publique,estsoumiseàunprincipedelégalitésoitparunformalismeparticulieràunactesoità
raisond'unprincipegénéral(respectdel'intimitédelavieprivéeetdesdroitsdeladéfensepar
exemple). Cet encadrement s'est développé au fur et à mesure de l'apparition de modalités
nouvelles d'investigations coercitives dans le cadre préliminaire, sachant que la Cour
européenne des droits de l'homme soumet les actes coercitifs ou intrusifs, quitte à les
hiérarchiserenfonctiondeleurintensité(V.infran°56),àuneexigencedeprévisionlégale(Sur
ce point V. CEDH, 31 mai 2005, n° 59842/00 : D. 2005, p. 2575, note Hennion-Jacquet. – B.
ThellierdePoncheville,Lapreuveilliciteauregarddelaconventioneuropéennedesdroitsde
l'homme:Rev.pénit.2010,p.537).ElleaainsicondamnélaFrancesurlefondementdel'article
8delaConventionàproposdelasonorisationd'unappartementeffectuéeàl'époquesansautre
textequel'article81duCodedeprocédurepénale(CEDH,31mai2005,préc.).Lajurisprudence
nationales'orientedanslamêmedirection(Cass.crim.,21mars2007,n°06-89.444:JurisData
n°2007-038466;Bull.crim.2007,n°89;Dr.pén.2007,comm.91,A.Maron;D.2007,p.1024,
obs.Darsonville;ibid.p.1817,obs.CaronetMenotti;Rev.sc.crim.2007,p.841obs.Finielz;
ibid.,p.897,obs.Renucci;Rev.sc.crim.2008,p.655,obs.J.Buisson).
46.–Enoutre,àl'exigenceaccruedelégalitédel'administrationdelapreuves'estajoutéecelle
de sa loyauté. Toutefois ces deux exigences ne supplantent pas le principe de liberté qui
demeuremaissecontententdelebornerpartiellement(V.JCl.Procédurepénale,Art.527à457,
fasc. 20. – Rép. Pénal Dalloz, V° Preuve, J. Buisson. – J. Pradel, Manuel de procédure pénale :
Cujas,n°405s.).
a)Principedelibertédelapreuve
47. – Principe de liberté – Posé aux articles 427 et 428, il trouve sa traduction en matière
d'enquête dans l'article 41 qui dispose que le procureur de la République procède ou fait
procéderàtouslesactesnécessairesàlarechercheetàlapoursuitedesinfractionspénales.
48.–Lajurisprudenceafaitdenombreusesapplicationsdeceprincipe(Cass.crim.,13oct.1986
:Bull.crim.1986,n°282.–Cass.crim.,11juill.2001,n°00-84.832:JurisDatan°2001-010723;
Bull.crim.2001,n°167;Dr.pén.2001,chron.44,obs.C.Marsat).
Elleprécisequemêmesilaloiprévoitcertainsmodesdepreuveceux-cinesontpasexclusifsde
modesgénéraux(Cass.crim.,24janv.1973:Bull.crim.1973,n°34.–Cass.crim.,31oct.2006,n°
06-81.809:JurisDatan°2006-036125;Bull.crim.2006,n°265).
b)Principedelégalitédelapreuve
49. – Légalité du recueil des preuves par les enquêteurs – Les enquêteurs sont tenus au
respectdesprincipesfondamentauxetdestextesnotammentceuxquiorganisentlerespectde
lavieprivéeouencorelesdroitsdeladéfense.
Ils ne peuvent agir que dans le cadre des pouvoirs qui leur sont conférés, en respectant leur
finalité,àpeined'illégalitédeleursagissementspardétournementdeprocédure(V.B.Bouloc,
Les abus en matière de procédure pénale : Rev. sc. crim. 1991, p. 221. – J. Pradel, Manuel de
procédurepénale,préc.,n°422s.).
Ils ne peuvent commettre d'infraction pour se procurer une preuve sauf autorisation expresse
delaloi(danslecasdesoustractionsfrauduleusesdedocumentsbancaireseffectuéespardes
"aviseurs" dans une banque suisse : Cass. crim., 28 oct. 1991, n° 90-83.693, 90-83.695, 9083.700,90-83.701,90-83.703,90-83.704:JurisDatan°1991-004008,n°1991-004005,n°1991004004,n°1991-004003;JCPG1992,II,21952,noteJ.Pannier).
50.–LaCoureuropéennedesdroitsdel'hommeestime,commeenmatièredepreuvedéloyale,
quelaquestiondelarecevabilitédespreuvesrelèvedesdroitsnationaux.Ellenetraitedoncla
question de la preuve illicite que sous l'angle de la violation éventuelle du droit à un procès
équitable(R.Legeais,LedroitdelapreuveàlaCoureuropéennedesdroitdel'homme,inMél.
Couvrat : PUF 2001, p. 255. – B. Thellier de Poncheville, La preuve illicite au regard de la
conventioneuropéennedesdroitsdel'homme:Rev.pénit.2010,p.537).
51. – Il existe à cet égard une casuistique jurisprudentielle nuancée. La chambre criminelle a
ainsisanctionnél'appeltéléphoniquedonnéparunsuspectsurlesinstructionsd'unpolicierqui
dictaitlesquestionsetsuivaitlesréponsesàl'aided'unécouteur(Cass.crim.,12juin1952:Bull.
crim. 1952, n° 53 ; JCP G 1952, II, 7241, note Brouchot). De façon plus récente, elle a invalidé
l'enregistrement effectué de manière clandestine, par un policier (Cass. crim., 16 déc. 1997, n°
96-85.589:JurisDatan°1997-005498;Bull.crim.1997,n°427;Rev.sc.crim.1999,p.588,obs.
Delmas Saint Hilaire. – Cass. crim., 3 avr. 2007, n° 07-80.807 : JurisData n° 2007-038632). Il
s'agissaitdanslapremièreespècedeproposenregistrésparunsuspectàsoninsuaurestaurant
etdanslasecondedepropostenushorsprocès-verballorsd'unegardeàvue.Toutefois,laCour
a admis l'enregistrement clandestin de propos par un policier mais dans le but de prouver la
réalitéd'uneinfractiondecorruptiondontilétaitpersonnellementvictime(Cass.crim.,19janv.
1999:Bull.crim.1999,n°9;JCPG1999,II,10156,noteD.Rebut;Dr.pén.1999,chron.24,obs.
C.Marsat.–Pourunedécisioncontrairedansuneespèceprochemaiss'inscrivantdansuntrafic
de stupéfiants dont elle ne constituait que l'accessoire : Cass. crim., 16 déc. 1997 : Bull. crim.
1997, n° 427). Elle a admis aussi l'enregistrement clandestin effectué par un gendarme en
fonction,aumotifqu'ilneconstituaitquel'undesélémentsprobatoireslaissésàl'appréciation
souveraine des juges (Cass. crim., 13 oct. 2004, n° 03-81.763 : JurisData n° 2004-025257 ; Dr.
pén. 2005, comm. 2, obs. M. Véron ; Rev. pénit. 2005, p. 410, obs. Ambroise Castérot ; Rev. sc.
crim.2005,p.66,obs.Fortis).
52.–Unequestionparticulièreseposeencasdecombinaisonmalicieusedesdifférentspouvoirs
d'enquêteattribuéssoitàdesagentsenquêteursdistinctssoitaumêmeagent.Lamiseenoeuvre
encomplémentaritédecespouvoirsest,ensoi,souhaitableetrégulière(Parex.,Cass.crim.,30
oct.1989:Bull.crim.1989,n°385;Dr.pén.1990,comm.134,obs.J.-H.Robert).C'estd'ailleurs
le principe même de fonctionnement des groupements d'intervention régionaux (V. infra n°
315). Toutefois, ces pouvoirs ne doivent pas être utilisés à d'autres fins que celles pour
lesquelles ils ont été conçus, notamment afin d'éluder les limites légales des compétences de
certainsenquêteursquiprovoquentalorsl'entréeenscèneartificielled'autresagentsdotésde
capacitésplusétendues.
53. – Détournement de procédure – Il en va ainsi d'agents des douanes sollicités par des
fonctionnairesdesCRSpoursaisirdesdétecteursderadar(Cass.crim.,18déc.1989:Bull.crim.
1989,n°485;JCPG1990,II,21531,noteP.Chambon),d'agentsdesdouanesayantprocédéà
une visite domiciliaire qui n'avait d'autre but que de permettre aux agents des impôts qui les
accompagnaientlaconstatationd'infractionsfiscales(Cass.crim.,2juin1986:Bull.crim.1986,
n°187;JCPG1987,II,20752,notePannier.–Cass.crim.,25mai1988:Bull.crim.1988,n°221),
d'officiersdepolicejudiciairequi,setrouvantenenquêtepréliminaireetnepouvantprocéderà
saisie,fontappelàdesagentsdesdouanes(Cass.crim.,11mai1992,n°92-81.484:JurisDatan°
1992-003293 ; Dr. pén. 1992, comm. 261, obs. J.-H. Robert ; Gaz. Pal. 1993, I, p. 244, note
Pannier),d'agentsdufiscaccompagnantsansréquisitionniprestationdesermentdesofficiers
de police judiciaire afin de pouvoir bénéficier du résultat de perquisitions (Cass. crim., 17 oct.
1994,n°94-82.780;Dr.pén.1995,chron.13,noteV.LesclousetC.Marsat.–Cass.crim.,6févr.
1997 : Bull. crim. 1997, n° 49), d'agents du fisc ne diligentant une enquête en matière de
concurrencequepourpouvoirfaciliterlerelevéd'infractionsdedroitcommun(Cass.crim.,12
oct. 2005, n° 05-80.713 : JurisData n° 2005-030703 ; Bull. crim. 2006, n° 30 ; Dr. pén. 2006,
comm.23,obs.A.Maron).
Au-delàdeshypothèsesdecumuldepouvoirsentreagents,ledétournementdeprocédurepeut
être constitué par le même agent utilisant les pouvoirs que lui confère la réalisation d'une
perquisitionpouropérerenfaitunesonorisation(Cass.crim.,15févr.2000,n°99-86.623:Bull.
crim.2000,n°68;Dr.pén.2000,comm.82,noteA.Maron).
54.–Lajurisprudencesurcethèmerestelimitéeetlavoieainsiouverteétroite(V.parex.Cass.
crim.,12nov.2003,n°02-86.905).LaCourdecassationaainsirefuséd'annuleruneremisede
documentsàdesenquêteursparunechambredesnotairesquiselesétaitprocurésgrâceàses
pouvoirs d'inspection, même si était ainsi éludé le formalisme d'une perquisition en enquête
préliminaire(Cass.crim.,21sept.2005,n°04-85.149).
55.–Impartialitédel'enquête–Prochedelasituationdedétournementdepouvoirsestcelle
delapartialitédel'enquête.Commel'indiquelachambrecriminelle(Cass.crim.,14mai2008,n°
08-80.483:JurisDatan°2008-04418;AJP2008,p.328,obs.G.Roussel)"ledéfautd'impartialité
d'unenquêteurpeutconstituerunecausedenullitédelaprocédure"parviolationdudroitàun
procèséquitablequis'appliquedèslaphasepréalableduprocèspénal(CEDH,11juill.2000,n°
20869/92,Dikmec/Turquie).Enrevanche,lasanctiondudéfautd'impartialitéparlanullitéest
soumiseàladémonstrationd'ungrief,selonl'arrêtprécité.
La Cour européenne des droits de l'homme a rappelé l'exigence d'une enquête impartiale
notammentdanslecasdemauvaistraitementinfligésparlesenquêteurs(CEDH,6avr.2000,n°
26772/95,Labitac/Italie.–CEDH,14avr.2009,n°16816/03,MecaïlÖzelc/Turquie).
56. – Respect du droit à l'intimité de la vie privée par les enquêteurs – La Cour de cassation a
jugé que constitue une ingérence dans l'exercice du droit (CEDH, art. 8) au respect de la vie
privéeetdudomicilelefaitpourdesenquêteurs:
– de réaliser par eux-mêmes des interceptions téléphoniques en enquête préliminaire (Cass.
crim.,27févr.1996:Bull.crim.1996,n°93);
–dephotographierclandestinement,sanstexte,aussibiendespersonnesquedesvéhiculesse
trouvant dans un lieu privé inaccessible aux regards depuis la voie publique (Cass. crim., 21
mars 2007, n° 06-89.444 : JurisData n° 2007-038466 ; Bull. crim. 2007, n° 89 ; Dr. pén. 2007,
comm.91;D.2007,p.1024,obs.Darsonville;ibid.,p.1817obs.CaronetMenotti;Rev.pénit.
2009,p.195,noteJ.Buisson;Rev.sc.crim.2007,p.841,obs.Finielz;ibid.,p.897,obs.Renucci;
Rev. sc. crim. 2008, p. 655, obs. J. Buisson ; Rev. pénit. 2007, p. 678, obs. E. Verny ; Rev. pénit.
2007, p. 678, obs. C. Ambroise-Casterot). Il est vrai que le véhicule a déjà été défini par la
jurisprudence comme un lieu privé, même s'il circule sur la voie publique ce qui interdit
notammentlaprisedephotographiesdesonintérieur(Cass.crim.,12avr.2005,n°04-85.637:
JurisDatan°2005-028275;Bull.crim.2005,n°122).Ilenvademêmedel'installationdansles
parties communes d'un garage, avec l'autorisation du syndic de l'immeuble, d'un dispositif
techniquepermettantdecapteretdefixerlesimages(Cass.crim.,27mai2009,n°09-82.115:
JurisDatan°2009-048558; Procédures 2009,comm.284,noteJ.Buisson;Rev.pénit. 2009,p.
624, note E. Verny). Seul l'article 706-96 permet, dans le cadre d'une instruction, la fixation
d'images d'une personne dans un lieu privé, aucune disposition comparable n'étant, en l'état,
applicableauxenquêtesdeflagranceoupréliminaire.
En revanche, la jurisprudence a admis le constat d'une infraction de chasse par des gardes
chasse postés à l'extérieur du domicile qu'ils observaient à l'aide de jumelles (Cass. crim., 23
août 1994 : Bull. crim. 1994, n° 291 ; Dr. pén. 1994, comm. 236, obs. J.-H. Robert). Mais dans
cetteespèceiln'yavaitpaseufixationd'imageetladécisionrelèvequelesgardesontagisans
artificenistratagème.
57.–LaCoureuropéennedesdroitsdel'hommeaeuàstatuersurl'emploidebaliseGPS(CEDH,
2sept.2010,n°35623/05,Uzunc/Allemagne:D.2010,p.2161,noteS.Lavric).Elleestimaque
lerepérageconstantauquels'étaientlivréslesenquêteursconstituaituneingérencedanslavie
privée du requérant mais souligna que cette ingérence était d'une moindre intensité que les
interceptionsdecommunicationtéléphoniquescequiexcluaitlesgarantiesprévuespourcette
dernière.EllenotaenoutrequeleCodedeprocédurepénaleallemandprévoyaitlerecoursàdes
moyens techniques en particulier pour localiser l'auteur d'une infraction. Elle jugea que cette
ingérence était nécessaire et proportionnée, remarquant qu'elle n'avait été employée qu'après
l'échecd'autresmesuresetpourunecourtedurée.
Le Code de procédure pénale français contient, pour sa part, une disposition relative à la
surveillance,l'article706-80,applicableauxcasdecriminalitéorganiséedéfinisparlesarticles
706-73 et 706-74 (V. infra n° 270). Cet article prévoit très clairement le principe d'une
surveillancedontilborneaumoinslessujetset,partiellement,l'objet.
Enoutrelajurisprudenceadéjàstatuésurlarégularitédefilaturesetsurveillancesphysiques
pour les admettre, le plus souvent en enquête de flagrance (Cass. crim., 4 févr. 1991, n° 9081.370 : JurisData n° 1991-004069. – Cass. crim., 11 mai 1993, n° 93-80.932 : Dr. pén. 1993,
chron. 34, obs. V. Lesclous et C. Marsat. – Cass. crim., 2 juin 2010, n° 09-87.147 : JurisData n°
2010-011271;Bull.crim.2010,n°98).
Ilsembledoncquel'exigencedeprévisibilitélégalepuisseêtreconsidéréecommerespectéepar
notredroit.
58. – Respect des droits de la défense – La loi préserve à ce titre la confidentialité de la
communicationavecunavocat(CPP,art.432)notammentlorsdelagardeàvue(CPP,art.63-4).
Lesinterceptionstéléphoniquesenenquêtepréliminaire(CPP,art.706-95)doiventrespecterles
règlesénoncéesparl'article100-5quiprohibelaretranscriptiondescorrespondancesrelevant
del'exercicedesdroitsdeladéfense.Ellepréserveaussilecabinetetledomiciledel'avocatqui
nepeuventêtreperquisitionnésqu'àcertainesconditionsposéesparl'article56-1applicableà
l'enquête préliminaire. De façon générale, l'exercice des droits de la défense interdit toute
intrusiondanslesrapportsentreunepersonneetsonavocatsaufàcequ'ils'agissedemettreen
évidenceuneinfractionimputableàl'avocat.
59. – Le respect des droits de la défense comprend aussi le respect du droit à ne pas s'auto
incriminerprévuàl'article14.3,g)dupacteinternationalrelatifauxdroitscivilsetpolitiques(V.
F. Desportes et L. Lazerges-Cousquer, préc., n° 592 s. – D. Roets, Le droit de ne pas s'auto
incriminer dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme : AJP 2008, p.
119). La CEDH l'a consacré dans de nombreuses décisions (CEDH, 8 févr. 1996, n° 18731/91,
JohnMurrayc/Royaume-Uni)etilformelabasedesajurisprudencerelativeàl'interventionde
l'avocatengardeàvue(CEDH,15mars2011,n°20448/02,Beguc/Roumanie).
Ledroitausilence,formaliséencasdegardeàvueàl'article63-1,estunecomposantedudroità
nepass'autoincriminercommel'indiqueexpressémentcettedécision.
c)Principedeloyautédelapreuve
60.–Loyautédurecueildelapreuve–Même s'il ne figure pas à l'article préliminaire il est
fréquemmentprésentdanslajurisprudencedelachambrecriminelle(Cass.crim.,27févr.1996,
n°95-81.366:JurisDatan°1996-000477;Bull.crim.1996,n°93;Gaz.Pal.1997,rapp.Guerder;
D. 1996, p. 346, note C. Guéry. – Cass. crim., 16 déc. 1997, n° 96-85.589 : JurisData n° 1997005498;Bull.crim.1997,n°427;D.1998,p.354,notePradel;Rev.sc.crim.1999,p.588,obs.
DelmasSaintHilaire).
II a essentiellement trouvé à s'appliquer en matière de provocation à la commission d'une
infraction que la jurisprudence distingue de la provocation à la preuve (V. F. Desportes, L.
Lazerges-Cousquer, Traité de procédure pénale, préc. n° 569 s. et la bibliographie citée. – Ph.
Conte, La loyauté de la preuve dans la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de
cassation:verslasolutiondelaquadratureducercle:Dr.pén.2009,étude8.–P.Lemoine,La
loyautédelapreuve:Rapp.ann.C.cass.2004,p.165ets.–P.MaistreduChambon,Larégularité
des"provocationspolicières",l'évolutiondelajurisprudence:JCPG1969,I,3422).
61. – Illicéité de la provocation à l'infraction – Pour la Cour européenne des droits de
l'homme, viole l'article 6 une provocation policière ayant déterminé l'infraction (CEDH, 9 juin
1998, n° 25829/94, Teixeira de Castro c/ Portugal : Rev. sc. crim. 1999, p. 401, obs. KoeringJoulin). L'intervention d'un agent infiltré "circonscrite et entourée de garanties" ne méconnaît
pasledroitàunprocèséquitablesaufutilisationd'élémentsrecueillisàlasuitedeprovocations
policières (CEDH, 5 févr. 2008, n° 74420/01, Ramanauskas c/ Lituanie : Rev. sc. crim. 2008, p.
694).
62.–Lachambrecriminelleécartedesdébatslespreuvesobtenuesàl'aided'uneprovocationà
lacommissionenfrappantdenullitélesactesquiontpermisdelesobtenir(Cass.crim.,27févr.
1996, préc. – Cass. crim., 9 août 2006, n° 06-83.219 : JurisData n° 2006-034897 ; Bull. crim.
2006, n° 202 ; Procédures 2006, comm. 278, note J. Buisson.– Cass. crim., 7 févr. 2007, n° 0680.108 : Bull. crim. 2007, n° 37). La Cour de révision (Cass. crim., 5 juin 1996, n° 95-85.561 :
JurisDatan°1996-005468;Bull.crim.1996,n°240)afaitdroitàunedemandeconcernantdes
condamnations pour vols car il avait été établi que pour des faits similaires commis
antérieurementparlesmêmesindividus,levolaveceffractionavaitétéorganisé,àleurinsu,par
desgendarmes.
63. – Provocations à la preuve autorisées par la loi – infiltration – Si, en matière de
criminalité organisée, les enquêteurs peuvent être admis à infiltrer des organisations
criminelles,auxtermesdel'article706-81,ilestpréciséexpressémentqu'“àpeinedenullitéces
actesnepeuventconstitueruneincitationàcommettredesinfractions”.
64. – Autorisation de participations à des échanges électroniques – Il en va de même de la
participation sous pseudonymes à des échanges électroniques dans le but de lutter contre les
infractions de proxénétisme, de pédopornographie ou de corruption de mineurs. Les articles
706-35-1et706-47-3quiprévoientcettepossibilitécontiennentlamêmeformulequel'article
706-81.Ilenvademêmedel'article706-32quipermetl'acquisitionetlalivraisoncontrôléede
stupéfiants.
65.–Enfin,pourconstaterlesinfractionsmentionnéesausixièmealinéadel'article24delaloi
du29juillet1881(provocationàlacommissiond'infractionsgraves,notammentcellesportant
atteinte aux intérêts fondamentaux de l'État) commises par un moyen de communication
électronique, il est permis aux agents de participer sous un pseudonyme aux échanges
électroniques(CPP,art.706-25-2,issudeL.n°2011-267,14mars2011).Toutefois,àpeinede
nullité,cesactesnepeuventconstitueruneincitationàcommettrecesinfractions.
66.–Provocationsàlapreuveacceptées–Laprovocationàlapreuveestadmise,justifiéepar
l'existence d'une activité délictueuse antérieure (Cass. crim., 2 oct. 1979 : Bull. crim. 1979, n°
266. – Cass. crim., 5 juin 1997 : Bull. crim. 1997, n° 229 ; Dr. pén. 1997, comm. 142, obs. A.
Maron.–Cass.crim.,30avr.1998:Bull.crim.1998,n°147.–Cass.crim.,23nov.1999,n°9982.658:JurisDatan°1999-004765;Dr.pén.2000,comm.82,noteA.Maron;Bull.crim.1999,n°
269.–Cass.crim.,8juin2005:Bull.crim.2005,n°173).
De surcroît, la provocation à une nouvelle infraction devient nécessaire lorsqu'elle est le seul
moyen de rapporter la preuve d'une activité délictueuse habituelle (Cass. crim., 2 mars 1971 :
Bull.crim.1971,n°71.–Cass.crim.,16mars1972:Bull.crim.1972,n°108.–Cass.crim.,20oct.
1979:Bull.crim.1979,n°266).
67. – Ruse – Cette mode de provocation à la preuve est admise, sauf si elle constitue un
détournementdeprocédure(V.supran°52).Lavaliditédesconstatationsfaitesparunagentou
unofficierdepolicejudiciairenesetrouvepasaffectéeparlefaitqu'iln'auraitpasfaitconnaître
sa qualité à l'auteur des faits lors de la constatation d'une infraction flagrante (Cass. crim., 2
mars1999,n°98-86.465:JurisDatan°1999-001062;Bull.crim.1999,n°29)niétéporteurde
son uniforme (Cass. crim, 21 janv. 1998, n° 97-82.269 : JurisData n° 1998-000904 ; Bull. crim.
1998, n° 31. – Cass. crim., 3 juin 2009, n° 08-87.434 : JurisData n° 2009-048943 ; Bull. crim.
2009,n°111)saufàcequ'untexteobligelesagentsàêtreporteurleuruniforme(Cass.crim.,20
sept. 2005, n° 05-82.072 : JurisData n° 2005-030058 ; Bull. crim. 2005, n° 232), auquel cas la
nullitéestencouruesansgrief.
Demeurent licites, le fait pour un policier de se déguiser, de se faire passer pour quelqu'un
d'autre(CAParis,3avr.1987:JurisDatan°1987-023426.–CAParis,12févr.1988:JurisDatan°
1988-023105),desecacherdansunbureaupourassisteràuneremisedefondscaractérisantun
délitdecorruptionactive(Cass.crim.,22avr.1992:Bull.crim.1992,n°169),deseprésenter
commeunacheteurdedrogue(Cass.crim.,9juin1993:Bull.crim.1993,n°228),d'effectuerdes
filatures, de faire le guet, de tendre des embuscades ou de fomenter des pièges, d'utiliser des
indicateurs(Cass.crim.,6juill.1894:DP1899,1,p.171;4avr.1924:DP1925,1,p.10.–G.Di
Marino, L'indicateur in Problèmes actuels de science criminelle : PUAM, 1990, p. 63 s.),
d'employer des procédés techniques d'enregistrement tels qu'appareils photographiques,
caméras,radars,cinémomètres(D.Thomas,Delarelativitédescontrôlesparcinémomètre:D.
1980,1,jurispr.p.129),magnétophones(Cass.crim.,18févr.1958:Bull.crim.1958,n°163.–
Cass. crim., 16 mars 1961 : JCP G 1961, II, 12157, obs. J. Larguier) dès lors du moins que ces
procédésneportepasatteinteàl'intimitédelavieprivée(V.supran°56).
68.–Loyautéetlégalitédelapreuveadministréepardespersonnesprivées–Lachambre
criminelleestimerecevableslesélémentsdepreuveobtenusparlespartiesdefaçondéloyaleou
illiciteetproduitsdirectementensuitedanslaprocédureouremisauxenquêteursdèslorsqu'ils
neconstituentquedesmoyensdepreuvesoumisensuiteàunediscussioncontradictoire(Cass.
crim.,2déc.1980:Bull.crim.1980,n°327.–Cass.crim.,18nov.1986:Bull.crim.1986,n°345.
– Cass. crim., 26 avr. 1987 : Bull. crim. 1987, n° 173. – Cass. crim., 21 mars 1989 : Bull. crim.
1989,n°139.–Cass.crim.,10sept.1990:Bull.crim.1990,n°336.–Cass.crim.,11févr.1992:
Bull.crim.1992,n°66.–Cass.crim.,23juill.1992:Bull.crim.1992,n°274.–Cass.crim.,15juin
1993:Bull.crim.1993,n°210.–Cass.crim.,6avr.1994:Bull.crim.1994,n°136.–Cass.crim.,
30 mars 1999, n° 97-83.464 : JurisData n° 1999-001606 ; Bull. crim. 1999, n° 59 ; Procédures
1999,comm.215,obs.J.Buisson.–Cass.crim.,23juin1999,n°98-84.701.–Cass.crim.,11juin
2002,n°01-85.559:Bull.crim.2002,n°131.–Cass.crim.,11mai2004,n°03-80.254etn°0385.521:JurisDatan°2004-023993etJurisDatan°2004-023992;Bull.crim.2004,n°113et117
;JCPG2004,II,10124,noteGirault;D.2004,p.2326,noteGaba;Rev.pénit.2004,p.875,note
SaintPau;Rev.sc.crim.2004,p.635,obs.Fortis.–Cass.crim.,31janv.2007:Bull.crim.2007,
n°27.–Cass.crim.,27janv.2010,n°09-83.395:JurisDatan°2010-051634).
Les particuliers ne sont en effet pas tenus au formalisme procédural qui ne s'impose qu'aux
agents publics concernés lesquels sont seuls à pouvoir accomplir des actes de procédure
annulables.Lajustificationpeutenoutreêtretrouvéedanslesnécessitésdeladéfense.
5°Respectdeladignitédespersonnes
69.–Textesfondamentaux–Outrelesprincipesgénérauxdudroit,peuventêtreinvoquéesles
Conventionsuniverselleeteuropéenne,contrelatortureetautrespeinesoutraitementscruels
inhumainsoudégradants.
70. – Principe général de la procédure pénale – Ces principes figurent également dans
l'article préliminaire du Code de procédure pénale, qui énonce que les mesures de contrainte
visant les personnes suspectées ou poursuivies doivent être proportionnées à la gravité de
l'infractionreprochéeetnepasporteratteinteàladignitédelapersonne.Laloin°2000-516du
15juin2000imposedeprendretouteslesmesuresutiles,dansdesconditionscompatiblesavec
lesexigencesdesécurité,pouréviterqu'unepersonnemenottéeouentravéesoitphotographiée
oufilmée(CPP,art.803).Demêmelaloin°2011-392du14avril2011ainsérédansleCodede
procédurepénaleunarticle63-5visantaumeilleurrespectdeladignitéengardeàvue.
Le décret n° 86-592 du 18 mars 1986(Journal Officiel 19 Mars 1986) établit un Code de
déontologie de la police nationale qui souligne (C. déont. pol. nat., art. 7 et 10) qu'aucune
violence,aucuntraitementinhumainoudégradantnedoiventêtreinfligés.
71. – Respect de l'intégrité physique, portée du principe – Des procédés tels que
l'hypnotisme, l'injection de narcotiques ou l'emploi de détecteur de mensonges, même avec le
consentement de la personne concernée ou le concours d'un expert, sont nécessairement
attentatoiresàladignitéhumaine(V.Cass.crim.,12déc.2000,n°00-83.852:JurisDatan°2000007696;Dr.pén.2001,comm.38,noteA.Maron).
72. – Pour la Cour européenne des droits de l'homme, une condamnation est irrégulière
lorsqu'elle se fonde, même partiellement, sur des éléments de preuve obtenus en violation de
l'article3delaconvention(CEDH,11juill.2006,n°54810/00,Jallohc/Allemagne.–CEDH,1er
déc.2009,n°21790/04,YuzufGezerc/Turquie).
73. – Atteintes légales à l'intégrité physique – Les seules atteintes qui sont reconnues
légalement sont celles afférentes aux analyses et examens médicaux cliniques et biologiques
prévusparlaloi(V.infran°218à232.–Parex.,C.route,art.L.234-3àL.234-9).Toutefois,ces
vérifications ne peuvent pas être imposées de force à la personne concernée, mais celle-ci
s'exposealors,encasderefus,auxsanctionsprévuesparl'articleL.234-9duCodedelaroute.
6°Principedusecretdel'enquêtepréliminaire
a)Règledusecret
74. – Cadre légal – Le caractère traditionnellement secret de la procédure préalable au
jugementestétenduàl'enquête(CPP,art.11).
75. – La loi du 15 juin 2000(L. n° 2000-516, 15 juin 2000, art. 96-1) a tempéré ce principe en
ajoutant à cet article un alinéa permettant au procureur de la République, afin d'éviter la
propagation d'informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l'ordre
public, de rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure sans préjudicier de la
culpabilité.
76.–Quantàl'article56duCodedeprocédurepénale,auquelrenvoiel'article76,ilprécisedans
sesalinéas2etsuivantsleformalismesusceptibled'assurer,àl'égarddesdocumentssaisisdans
le cadre d'une perquisition, le secret des correspondances et le secret professionnel (V. JCl.
Procédurepénale,Art.53à73,fasc.20).
77. – Portée du secret – Le secret s'impose aux personnes qui concourent à la procédure,
personnes chargées de l'enquête ou susceptibles de prendre connaissance de ses résultats :
officiersetagentsdepolicejudiciaire,supérieurshiérarchiques,magistrats,secrétaires-greffiers
destribunaux.Lesecretnes'imposeniaususpectniautémoincarl'unetl'autreneconcourent
pasàlaprocédure.
b)Limitesdusecret
78.–Lesenquêteurspeuventêtreconduitsàfaireétatauxindividusinterrogésdecequ'ilsont
apprisparailleursconcernantd'autrespersonnes,parexemple,poursituerlapartrespectivede
chacun des auteurs ou des complices de l'infraction. Cependant, cela doit être justifié par les
nécessitésdel'enquête.
79. – Rapport avec la presse – Avec la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000, le procureur de la
République (et non le procureur général) est devenu l'interlocuteur privilégié de la presse et
c'est dans l'exercice de son pouvoir de direction de l'enquête qu'il lui appartient d'apprécier
l'opportunité de communiquer. Mais, la démultiplication des modes de communication,
l'apparitionderéseauxsociaux,lesjeuxd'acteurs,posentdesdifficultésimportantesentermes
destratégiesdecommunicationetdeluttecontrelesrumeursoulesdéstabilisations.
80.–Lecadrerestreintdel'article11estenréalitélargementdépassé.Dèslors,lesopérations
decommunicationmaljustifiéesparletexteexistantdoiventêtreenvisagéesavecprudenceet
notammentrespecterl'intimitédelavieprivéeetlaprésomptiond'innocence.
S'agissantdelaprésencedejournalistessurleslieuxd'uneopération,ilconvientdeconsidérer
qu'elle fait nécessairement prendre des risques à la procédure en termes de nullité, cette
intrusioncontrevenantauxdispositionsdesarticles35terdelaloidu29juillet1881et11(et
803encasd'arrestation)duCodedeprocédurepénale.Ilenvatoutefoisautrementlorsquele
manquement est extérieur à l'enquête. Il peut seulement ouvrir droit, pour ceux qui s'en
prétendentvictimes,aurecoursprévuparl'article9-1duCodecivil(Cass.crim.,24nov.2010,n°
10-86.713:JurisDatan°2010-024677).
81. – Pour sa part, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH, 24 févr. 2009, n°
42716/02, Toma c/ Roumanie) a statué dans une espèce où des journalistes, appelés par la
police, avaient été autorisés à filmer et photographier un gardé à vue. Certaines des images
furent diffusées ou publiées par les médias concernés. La cour a rappelé que la notion de vie
privéecomprendledroitàl'image(V.aussiCEDH,11janv.2005,n°50774/99,Sciacciac/Italie.
–CEDH,17oct.2006,n°71678/01,Gourguenidzec/Georgie).