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Forcier et les femmes : Veau chaude Veau chaude Si j ’en sors un peu “ échaudée” , c’est qu’il est difficile, pour une fem m e de 30 ans, de se reconnaître quelque p art dans les films d ’A n d ré Forcier. Oh! j ’aim erais bien pouvoir m ’identifier à la petite fille pure, im m orale et délin q uante qu’il nom m e A m élie (dans B A R S A L O N ), F ra n c in e (d a n s L ’E A U C H A U D E L ’EA U F R E T T E ) ou Léopoldine (dans A U C L A IR D E LA L U N E ), m ais je soupçonne le p erso n n a g e d ’a b rite r F o rc ie r luim ême, com m e si le bum doué du ciném a québécois n ’arriv ait à re jo indre “ la fem m e” recherchée que dans la m arginalité de l’enfance — enfin! — p our crever avec elle les pneus de la nuit. Cela exclu, il ne m e reste que la C a r m e n d e L ’E A U C H A U D E L ’E A U F R E T T E , la fem m e m ûre, c o n v o ité e , ré e lle p a rc e que co n tradictoire, capable d ’aim er son “ ex ploiteur” . Les autres, toutes les autres, me sem blent être des images, des sté réotypes, des m ôm ans ou des putains, sainte-nitouches ou traîtresses, m en teuses ou absentes, com m e on en ren contre encore trop (à m on hum ble avis, bien sûr) dans l’im aginaire des m âles québécois de 35, 40, 50 ans, m achos en gang et fin. dans le privé, nourris à la fois de péché et de révolu tion sexuelle. Si loin du fém inism e... et des fem m es que je connais, moi. ou de baise, en excursions perdues. D ans cette taverne initiatique, les “ dam es ne sont pas les bienvenues” . Le film com m ence sur l’évocation de la m ère absente, continue p ar la ren contre de Sofia, transm ise par son père à son chum à qui elle “ se donnera par am o u r” , ce qui ne l’em pêchera pas d ’être tenue à l’écart de la partie de hockey, puis convoitée par les autres gars, puis finalem ent abandonnée par la gang auprès du cam ion m ort. Sa m ère M arie est tuée par son père, parce qu’elle le tro m p ait (!), sa soeur M yrtille est descendue par deux flics et p ar erreur. Plus tard , quatre petites filles seront achevées p ar leur père parce que “ le m onde est tro p m échant pour les laisser en vie” . Bref, la vie est dure pour les filles. Seule R ita-lacochonne s’en tire mieux: elle n ’attend pas, elle agit, sa m arge de m anoeuvre consistant à faire l’am our avec les gars de la gang, initiant certains d ’entre eux au “ sexe” . C ’est la fille “ facile” et sym pathique, la vraie groupie dont toute gang a besoin. P o u rtan t, les femmes de Forcier ont acquis en dix ans plus de profondeur et d ’autonom ie. Il y a loin de Sofia, la petite provinciale séduite et abandon n ée du R E T O U R D E L ’IM M A C U L É E C O N C E P T IO N (1967), à la C arm en urbaine (1976), qui choisit. O n a souvent d é c rit l’univers de F orcier com m e typiquem ent m asculin et québécois; dans LE R E T O U R DE L ’IM M A C U L É E C O N C E P T IO N déjà, la bière coule à flot, noyant enfin les inhibitions et p erm ettant aux gars de com m uniquer entre eux, m ais si peu, p ar claques dans le dos, borborygm es et blagues cochonnes. Sous le folklore viril et adolescent, l’am itié de la gang de gars me p araît aussi creuse que faussem ent explicite, toute en d é m onstrations de force, en conquêtes am oureuses, en concours de boisson | f < u g I o o o Forcier et Sophie Clément (Carmen): L’EAU CHAUDE L'EAU FRETTE 20 COPIEZÉRO, N O 19 Dans B A R S A L O N , l’incom m uni cabilité est totale. C harles M éth o t Guy L ’Écuyer, le si touchant person nage central, n’est com pris ni par les femmes ni par les hom m es. Ici, les copains ne servent à rien: C harles est hum ilié par son ex-associé H a rry à qui il va em prunter de l’argent, ses trop rares clients se saoûlent et se battent au lieu de se parler, son futur gendre est un incapable et un ivrogne. P o u r tant, ce n’est pas eux qui seront res po n sab les de sa ch u te, m ais les fem m es de sa vie. Son bonheur à lui dépend d ’elles et, toutes, elles le trahissent: sa propre fille le renie et protège l’ivrogne, Louisette la serveuse le séduit, puis lui voler char, argent et illusions, et sa fem m e enfin — symbole de la victim e consentante — lui rappelle qu’il n’a jam ais été fait pour gérer un bar. C ’est elle, bien sûr, qui écopera de la prem ière m arque de violence de cet hom m e si doux et si peu m acho. S a faillite ne dépend-elle pas de ces fem m es protectrices, étouf Jacques Marcotte et Louise Gagnon (Robert et Amélie): BAR SALON PHOTO: DOMINIQUE CHARTRAND Lucie Miville (Léop o ld in e D ieum e garde): AU CLAIR DE LA LUNE Louise Gagnon (Francine): L’EAU CHAUDE L’EAU FRETTE fa n te s e t m a n ip u la tr ic e s ? H e u reusem ent, il y a la petite A m élie, qui vend ses chats à 100 la livre et déjeune avec R obert, aux chips et au coke, ré conciliant l’enfance et l’adulte. Elle au m oins éch ap p e aux rôles c la ssi quem ent destructeurs de ses aînées. D ans L ’E A U C H A U D E L ’E A U F R E T T E , enfin, les hom m es et les femmes se touchent davantage. Dans cette galerie de p o rtraits à la fois cruels et tendres, deux fem m es dom i nent l’action et d ’une façon cette fois plus consistante: C arm en, qui joue avec les coeurs de Polo et de Julien et Francine dont le coeur est fidèle et le pace-m aker si p ratique pour booster le vieux side-car de Julien! L ’alliance ici change de bord: Polo l’écoeurant n ’a pas de vrais chum s qui le com pren nent, que des courtisans, et c’est auprès de C arm en q u ’il se refait une santé, quand elle le perm et. A m oureux d ’elle aussi m ais déçu, Julien se dit “ Pourquoi est-ce q u ’on v it” ? et se tue. Il reste Francine et son chum , le vrai couple du film: q u ’ils fassent l’am our sur les sacs de p atates ou q u ’ils com plotent la m o rt de Polo, ils ont le beau rôle et la relation la plus saine — m êm e si Ti-G uy est déjà de la graine de m acho, dur en-dehors, doux endedans, com m e Polo. À p art C arm en et Francine, les autres fem mes sont plus ou m oins ridicules: de la vieille fille tan n an te à Françoisela-boulim ique, des putains du party à C lém ence hystérique et en pleurs... aucune n ’est aussi touchante que l’ho m osexuel P an am a (encore G uy L ’Écuyer), hum ilié p ar les “ vrais” gars, et ignoré p ar Polo com m e Julien l’est par C arm en, com m e Forcier (personnage m ineur du film) l’est par sa blonde. M ais le plus beau couple “ forciériste” , c’est dans A U C L A IR D E LA L U N E q u ’il s’épanouit. De Bert (toujours m agnifique interprète) à l’Albinos, c’est plus que de l’am itié, c’est une entente com plém entaire et idéale. Ici, les gars se rejoignent et se parlent enfin tendrem ent. Est-ce parce qu’il n ’y a pas cette fois de fem m es dans le décor pour les diviser? S a u f Léopoldine, dont le vandalism e anti-pneus est peut-être la cause de leurs retrou vailles? N ’im porte. Ici, la dépendance des hom m es face aux femmes est con trôlée, et les gars s’en sortiront l’un p ar l’autre. M ais to u t se passe dans un conte, au-dessus de la réalité, dans un univers m agique. N on, le M oonlight Bowling n ’a rien à voir avec un barsalon, et l’im possible devient possible. Pour com bien de tem ps? F rank et Bert d e v ro n t-ils re to m b e r sur te rre un COPILZERO, N O 19 m om ent donné et se heurter au m onde r é e l , in f e s t é ( s ic ) d e fe m m e s? C om m ent F orcier s’y prendra-t-il, alors? Plus sérieusem ent, puisque c’est la question qui m ’intéresse, que de viendront les fem m es dans sa film o graphie? H eureusem ent qu’il reste A m élieFrancine-L éopoldine. A ux dernières nouvelles elle a encore 12 ans. Peutêtre arrivera-t-elle à prendre form e, à vieillir en gard an t son sens et sa “ pu re té ” , sans tra h ir son vieux copain Forcier? Personnellem ent, j ’espère bien, l’affaire m ’intéresse... et je me dis (m aternaliste, sans doute) qu’un gars capable de tourner des scènes aussi belles que la danse du trio de C harles, Leslie et le M ajor C otnoir, dans B A R S A L O N , ou le désarroi de Julien tém oin de la scène d ’am our de la cave, a bien assez de sensibilité et d ’im agination pour ne pas renoncer à cette recherche-là. O F R A N Ç O IS E G U Ê N E T T E Françoise G uénette est jo u rnaliste. Membre fondatrice du magazine féministe La vie en rose, elle y occupe actuellement le poste d’adjointe à la rédaction. 21