Compte-rendu de la conférence du 5 février 2009

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Compte-rendu de la conférence du 5 février 2009
CONFERENCE « GENERATION VIRTUEL»
5 février 2009
Monsieur TISSERON
Nous allons parler de la génération du virtuel mais aussi des parents de cette génération.
C’est-à-dire de la manière dont aujourd’hui les adultes sont appelés à cadrer et aider leurs
enfants et à se faire aider par leurs enfants puisque les jeunes deviennent détenteurs
d’informations utiles aux adultes.
Ces nouvelles technologies pourraient être appelées technologies de l’interactivité et de la
confidence (TIC). Il n’y a jamais eu autant de messages intimes qui traversent l’espace public.
Devant Internet, on a l’impression d’être seul chez soi mais il ne faut pas oublier que
tout ce que l’on écrit sur Internet tombe dans le domaine public bien que l’on soit dans un
souci de confidentialité.
Les TIC ne commencent pas à l’adolescence lorsque les jeunes plongent dans les jeux vidéos.
Les bébés entrent dans un monde différent. Ils apprennent très tôt des manières différentes de
communiquer. Il ne faut pas oublier qu’un enfant imite beaucoup ses parents et ses proches. Il
s’est déjà vu qu’un petit enfant passe son temps la main sur l’oreille, après une série
d’examens physiologiques sans résultats, les parents ont compris que le petit imitait son père
qui passait énormément de temps au téléphone portable. L’enfant reproduisait donc l’image
qu’il avait de son père.
Les nouvelles technologies ont été inventées pour nous rassurer pour être moins seul, avoir
quelqu’un à qui parler mais elles contribuent à nous inquiéter, à nous interroger sur la
disponibilité réelle de nos interlocuteurs et nous poussent à multiplier les contacts.
Les TIC changent 4 domaines:
1- La relation à soi-même
2- La relation aux autres
3- La modification du rapport aux images
4- Le rapport à la connaissance, au temps et à l’espace
1- La relation à soi-même :
Les enfants voient leurs parents utiliser les nouvelles technologies comme le téléphone
portable ou l’appareil photo. Ils voient leurs parents et leurs proches les photographier, de ce
fait les enfants grandissent en ayant 2 types d’images d’eux-mêmes. Il faut penser que l’image
dans le miroir et l’image que nous renvoi les écrans sont radicalement différentes. L’image
que nous voyons dans notre miroir est inversée (si l'on a un grain de beauté sur la joue
gauche, il est sur la joue droite de la personne qui me fait face).
En revanche sur une photo, la représentation est redressée, c’est à dire que l’on se voit tel que
l’on est.
Contrairement à nos grands-parents les enfants grandissent avec ces deux perceptions
d’eux-mêmes et pensent de ce fait avoir plusieurs apparences et donc plusieurs identités.
C’est pourquoi vous pouvez trouver plusieurs blogs rédigés par votre ado, certains plutôt
sombres et d’autres plus rigolos. Ce qui explique aussi pourquoi un ado à généralement
plusieurs « avatars » dans un jeu vidéo (personnage virtuel avec lequel on se déplace dans le
monde virtuel). Il a un avatar plutôt sombre en noir et un autre plus sympathique, plus gai, un
guerrier et un guérisseur ... Il ne faut donc pas s’alarmer face à des blogs ou des avatars
dépressifs ou violents… mais chercher à savoir si le jeune a différentes identités.
2- La relation aux autres
Si un adolescent a plusieurs identités, il lui faut choisir laquelle il va endosser. Il va utiliser
Internet, aller dans des forums avec l’une ou l’autre de ses identités afin de les essayer et de
trouver la bonne (une personne de 30 ans, un médecin, un jeune de 25 ans).
Un jeune qui cache son identité n’a pas la même signification qu’un adulte qui cache son
identité et qui veut tromper (Meetic). Un jeune cache son identité pour se trouver, se chercher.
Il faut expliquer à l’ado que lui a des raisons de se cacher (savoir comment les autres
s’adressent à lui selon l’identité adoptée) mais que tout le monde n’a pas ses mêmes raisons.
Chacun n’a qu’une seule personnalité, mais les jeunes ont plusieurs identités. C’est en
allant de l’une de ces identités à l’autre, qu’ils vont cerner leur personnalité.
Le jeune expérimente aussi le « je » suis comme un autre. Il joue avec des identités d’emprunt
pour jouer avec son identité comme s’il était un autre : « jouer à être un autre » ce qui est
fondamental. C’est la définition du jeu. Avancer masquer sur Internet n’est pas pour se
protéger mais pour se découvrir.
Les enfants ne sont pas dans le même monde que les adultes. On fait la même chose mais ça
n’a pas la même signification.
Se masquer pour se découvrir cela a toujours existé en famille par le déguisement ou le jeu.
Il faut également expliquer qu’il est normal de souhaiter rencontrer les gens croisés dans le
virtuel en vrai, car c’est une preuve de bonne santé, mais il faut faire attention donc il faut
prévenir les parents.
Les dangers d’avancer masquer sur Internet ne sont pas à combattre en disant qu’il faut
éviter les risques, il faut les combattre en disant à l’enfant qu’en tant que parents on est
attaché à ce que l’enfant puisse courir le maximum de risque en s’entourant du
maximum de précautions. Il n’est plus possible d’éviter que les enfants courent des risques :
les meilleurs logiciels de filtre parental pour Internet ne sont efficaces qu’à 70% pour les
contenus pédo-pornographiques et à 50% pour les contenus qui concernant la drogue.
Ce désir de tester sa personnalité en la proposant aux autres, cette façon de fonctionner
affaiblit les repères familiaux, et les repères de personnalité des personnes rencontrées sur
Internet deviennent plus importants. Beaucoup de jeunes développent des « familles
virtuelles » au même titre que leur famille biologique et / ou éducative.
Les jeunes sont très vulnérables à un jugement qui vient d’un grand nombre. Ils intériorisent
très vite le «système Google », qui indique en premier ce qui est le plus consulté
indépendamment de la pertinence ou de l’authenticité. Plus un site est consulté, plus il arrive
en premier et donc plus il est consulté.
Beaucoup de jeunes adoptent l’idée que l’important n’est pas d’être apprécié par
quelques-uns uns mais d’être remarqué par le plus grand nombre. Ils sont donc tentés de
faire leur nid identitaire dans celle de leur identité qui provoque le plus grand nombre de
réponses (c’est pourquoi les jeunes font des blogs très sombres qui suscitent beaucoup de
commentaires). Il faut être vigilant quant aux jugements portés sur les jeunes. Il faut éviter de
porter des jugements négatifs parce qu’ils pourraient les intérioriser et y faire leur nid. Ils vont
parfois être plus noir ou plus bête qu’ils ne sont afin d’être remarqués plutôt qu’aimer.
3- La modification du rapport aux images
Les jeunes font beaucoup d’images et de petits films. Il faut bien expliquer à un jeune que
tout ce que l’on peut voir sur Internet est un point de vue et non une vérité, les images
peuvent être truquées.
Les adolescents exercent leur créativité dans des petits films d’animations et les parents
devraient d’y intéresser. Le grand danger d’Internet n’est pas la pédophilie qui est en
chute libre mais le risque de fracture générationnelle.
Les jeunes fabriquent leurs propres images ce qui modifient leur rapport aux images car on
sait que toutes les images sont fabriquées. Mais ils sont tentés de penser que certaines sont
vraies et d’autres fausses. Les adolescents sont globalement mieux préparés à accepter
qu’aucune ne soient fausses ou vraies, mais que toutes sont des points de vue. Il faut
apprendre aux jeunes que sur Internet rien n’est vrai ou faux, tout est bidouillé.
On peut écrire sur l’ordinateur 2 choses :
 Tout ce que je marque ici tombe dans le domaine public.
 Rien de ce que je vois sur Internet n’est absolument vrai. Ne jamais croire tout de
suite ce que je vois. Comparer les sources.
Un débordement connu dans la relation aux images : le « happy slaping » (agression faite
pour être filmée qui est rare). Elle est faite pour montrer les images, hors les jeunes savent que
les images peuvent être trafiquer donc le « happy slaping » s’éteindra de lui-même.
Le nouveau rapport aux images se résume à cela : rien n’est vrai, rien n’est faux. Il
s’agit d’éduquer aussi l’enfant en lui expliquant que son image lui appartient. Il peut
exiger qu’on lui demande la permission de le prendre en photo …
4- Le rapport à la connaissance, au temps et à l’espace
Le bouleversement du rapport à l’espace est évident : des gens loin de nous deviennent
proches mais en contre-partie des gens proches deviennent plus lointain car nous avons
moins de temps. L’avenir de la famille sera de petits moments où l’on se parle et de grands
moments chacun devant son écran. Le seul écran où l’on a une chance de regrouper la
famille c’est le jeu vidéo (plus la télévision car nous avons de nombreuses télévisions par
foyer).
Le temps devient un éternel présent (mails plus récents en haut).On inverse l’échelle du
temps pour avoir l’illusion de rester jeune : « jeunisme » ou « vampirisme » (adultes qui
veulent reprendre les caractéristiques de jeunes).
Un nouveau rapport à la connaissance : on fait des essais, on cherche, on tâtonne sur
Internet, c’est la nouvelle façon d’apprendre. Ce qui s’oppose à la méthode enseignée
traditionnellement de l’hypothèse. Avant, on disait tourne 7 fois ta langue dans ta bouche
avant de parler, maintenant on cherche, on retourne en arrière et on apprend comme ça sur
Internet. L’erreur est valorisée comme faisant partir d’un processus d’apprentissage.
C’est aussi le principe des jeux éducatifs qui se créent actuellement.
Conseils pour l’usage des nouvelles technologies en fonction de l’âge:
3 ans : Les enfants de moins de 3 ans ne devraient pas regarder la télévision, même si elle
est allumée à côté d’eux. Nous sommes des mammifères, nous sommes prédisposés pour
accorder une grande attention aux cibles en mouvement. Si vous souhaitez vous renseigner
sur les effets néfastes de la télévision sur les enfants se référer au Journal Officiel du 20 Août
2008 (disponible à la Maison de la Famille). Extraits: « En particulier, les experts de la santé
et de l’enfance consultés par le conseil estiment qu’en dessous de trois ans l’échange et la
stimulation avec des personnes sont indispensables au bon développement des enfants. De tels
échanges et interactions ne sauraient être remplacés par la télévision. Les experts consultés
relèvent au contraire que la consommation de télévision porte atteinte au développement des
enfants de moins de trois ans et présente un certain nombre de risques en favorisant la
passivité, les retards de langage, l’agitation, les troubles du sommeil et de la concentration
ainsi que la dépendance aux écrans. […] Les fondements scientifiques sur le développement
cognitif et psychique de l’enfant tendent à démontrer que les programmes de télévision
spécifiquement conçus pour les très jeunes enfants ne sauraient avoir un effet bénéfique sur
leur développement psychomoteur et affectif. Au contraire, les études disponibles soulignent
le risque lié à la consommation d’images télévisuelles sur la naissance et le développement
des processus de pensée et de l’imagination, sur l’intégration des émotions et sur le
développement psychomoteur. Pour développer ses capacités physiques, psychomotrices,
cognitives et affectives, l’enfant doit utiliser activement ses cinq sens et s’appuyer sur la
relation avec un adulte disponible. »
6 ans : Age auquel on peut introduire les jeux numériques. Il est risqué pour le
développement, la dextérité et la créativité d’un enfant de le laisser jouer aux jeux vidéo avant
cet âge. Dans le domaine des jeux vidéo le conseil serait d’éviter les consoles portables, car
l’enfant est tenté d’y jouer tout le temps : dans son lit le soir tard, dans la voiture et pourquoi
pas en marchant sur le chemin de l’école au risque de se faire renverser. Privilégier la console
de salon à laquelle on joue avec l’enfant.
9 ans : C’est l’age pour commencer à aller sur Internet accompagné. En commençant plus
tôt le jeune n’a pas notion du « point de vue », pour lui c’est bien ou mal. Le point de vue
apparaît vers 8 ans. L’enfant avant cet âge ne sait pas relativiser, il n’a pas la notion
d’informations publiques et privées. Il a l’impression que ce qu’il écrit dans un endroit privé
reste privé, il ne peut pas forcément comprendre que c’est ouvert à tout le monde.
Il faut donc aller sur Internet avec l’enfant pour lui expliquer que lorsque l’on est sur Internet
on n'est pas chez soi mais dehors, aux vues de tout le monde.
12 ans : C’est l’âge ou il peut aller sur Internet tout seul, avec des logiciels qui le protègent.
En conclusion
Il faut cadrer et accompagner son enfant sur Internet, sur les jeux … en regardant bien
l’âge à partir du quel il peut y jouer (norme PEGI sur les jeux). L’accompagner dans ses
relations aux écrans pour éviter le risque de fracture générationnelle. On peut fixer un
temps d’écrans (et pas de chaque écran)