Le télétravail : la nécessaire création d`un statut spécifique ?
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Le télétravail : la nécessaire création d`un statut spécifique ?
UNIVERSITE DE LILLE 2 FACULTE DES SCIENCES JURIDIQUES, POLITIQUES ET SOCIALES Le télétravail : la nécessaire création d'un statut spécifique ? Mémoire de DEA de Droit social Présenté par Monein David sous la direction de M. le professeur B. BOSSU - Année universitaire 2000-2001 - SOMMAIRE INTRODUCTION • TITRE I : LE STATUT DU TELETRAVAILLEUR CHAPITRE I : Le télétravail et les aspects individuels du travail SECTION I – Le télétravailleur salarié § 1 – La qualification de salarié §2 – Les effets de la qualification SECTION II – Le télétravailleur entrepreneur individuel §1 – Les critères de l’indépendance § 2 – Les effets de la qualification CHAPITRE II : Le télétravail et les aspects collectifs de travail SECTION I – Le nécessaire rapprochement à la communauté de travail §1 – Le besoin d’un lien virtuel collectif de travail § 2- Les conventions collectives dans le télétravail SECTION II– Le télétravail et la représentation professionnelle §1 – Le télétravailleur dans la représentation du personnel § 2 – Le droit syndical du télétravailleur • TITRE II :L’EXECUTION DU CONTRAT DE TELETRAVAIL CHAPITRE I : Les cadres conventionnels et matériels spécifiques du télétravail SECTION I – Les moyens matériels de l’exécution du télétravail § 1- Les lieux et locaux du télétravail § 2 – La délicate problématique des biens SECTION 2 – Le cadre conventionnel singulier du télétravail § 1 – Une obligation de fidélité § 2 – Les autres dispositions limitatives du contentieux CHAPITRE II : Les complications de l’exécution du télétravail SECTION I – La question du contrôle du personnel §1 –Le contrôle de la durée du travail: imbroglio juridique ? § 2 – Le contrôle du travail : pouvoir de direction contre les libertés individuelles SECTION II – La rupture du contrat de travail §1 – Le licenciement économique §2 – Le licenciement pour faute CONCLUSION 1 INDEX DES ABREVIATIONS • Alinéa : al. • Assemblée Nationale : AN • Bulletin des arrêts de la Cour de Cassation (chambres civiles) : Bull. civ. • Bulletin des arrêts de la Cour de Cassation (chambre criminelle) : Bull. crim. • Cahiers sociaux du barreau : Cah. Soc. barreau. • Code civil : C. civ. • Code du travail : C. trav. • Code général des impôts : CGI • Conseil économique et social : CES • Convention européenne des droits de l’homme : CESDH • Cour de Cassation (chambre civile) : Cass. Civ. • Cour de Cassation (chambre criminelle) : Cass. Crim. • Cour de Cassation (chambre sociale) : Cass. Soc. • Cour de justice des communautés européennes : CJCE • Dalloz- Sirey recueil : D. • Documentation française : Doc. Fr. • Droit social : Dr. Soc. • Gazette du palais : Gaz. Pal. • Ibidem : ibid. 2 GLOSSAIRE • Donneur d’ordre : Personne qui charge une autre personne (non salariée) d’un travail. Source : BRETON (T.), Le télétravail : situation actuelle, perspectives de développement et aspects juridiques, Doc. fr. , Coll. Des rapports officiels, avril 1994, 450 p. • Nouvelles technologies : Notion recouvrant l’introduction d’une technologie différente dans l’entreprise ou l’établissement, même si celle-ci est largement répandue dans le secteur d’activité ou le reste de l’économie. Source : Lamy droit de l’informatique 2000, n°2967, p. 1714. • Télématique : Expression inventée par Simon Nora et Alain Minc, dans les années 70, pour désigner le mariage des techniques de télécommunications et de l’informatique. Source : LEMESLE (R.M.), MAROT (J.C.), Le télétravail, PUF, coll. QSJ, 1994, 126p. • Télétravailleur : Celui qui exécute le travail demandé selon le mode de télétravail (entrepreneur salarié ou entrepreneur individuel). Source : idem. • Télétravailleur individuel : Travailleur indépendant, personne physique exécutant ou faisant exécuter une prestation sous la forme du télétravail et au profit d’un donneur d’ordre. 3 INTRODUCTION R ythmes soutenus, course contre la montre pour être sur son lieu de travail à l’heure, stress du transport quel qu’il soit, … trop c’est trop. Et si le travail à distance ou littéralement « télétravail » ou mieux encore, le travail à domicile voire la combinaison des deux était la solution ? A l’heure où le rêve le plus fou des citadins des grandes villes est de concilier ce qui est à leurs yeux l’inconciliable, autrement dit vivre et travailler à la campagne, les perspectives des habitants des grandes agglomérations de sortir du si célèbre schéma « métro, boulot, dodo » pointent au travers les mentalités réactionnaires visant trop souvent à maintenir un mode d’activité et de travail des plus traditionnels. Cela dit, nous n’avons pas vocation à remettre en cause près de deux siècles d’exécution de travail1 basé sur le rapprochement plus ou moins direct du salarié et de son co-contractant ou employeur. Même si le travail à distance et à domicile ont fortement évolué depuis le siècle dernier, l’avènement des nouvelles technologies de l’information et des communications (NTIC) l’a véritablement remis au goût du jour et permet justement aux travailleurs frustrés par la vie citadine de tenter un « retour aux sources ». Et cette révolution informatique et des NTIC doublée d’un contexte économique particulier a amené, dans l’esprit de certains, à la création d’une nouvelle forme d’organisation et/ou d’exécution du travail, que l’on nomme « télétravail ». En effet, le contexte économique actuel amène les entrepreneurs à scruter tous les aspects de leurs modes de fonctionnement afin de réduire les coûts d’opération et augmenter la productivité tout en améliorant la qualité de leurs produits. Par-là, les dirigeants d’entreprise ont très vite espéré que par ce biais du télétravail, la ressource humaine, étant au cœur de la survie de la société, pouvait faire l’objet d’une plus grande mobilisation et de mobilité. Et parmi les moyens envisagés pour régulariser certaines situations délicates, le télétravail se présente comme une mesure significative découlant d’une nouvelle orientation. Nous mesurons alors bien que ce mode d’exécution du travail puisse aussi bien être la « soupape de sécurité » du salarié, à bout d’un mode d’exécution rendu de plus en plus harassant par un environnement délicat, mais également celle de l’employeur qui y voit un moyen d’augmentation de la productivité doublé d’une réduction de certains coûts. Dès lors, les mentalités évoluent et les habitudes changent. Tendance à l’externalisation2 et aux nouvelles manières de travailler, le télétravail qu’il soit à domicile, individuel ou autre, ne résout pas tous les problèmes nés notamment avec la crise 1 Hormis quelques exceptions comme le travail à domicile bénéficiant des lois de 1915 et 1957, art. 721.1 et s. RIQUOIR (F.), « Le cybertravail : vers une nouvelle forme d’externalisation ? », JCP ed. G, n°10/4, 5 février 2001, p. 8 et s. 2 4 économique. Le chômage et la précarité de l’emploi ne seront pas du domaine du souvenir par ce nouveau mode de travail, qui rappelons-le, ne bénéficie pas de mesures spécifiques. Cela dit, même si le télétravail n’est ni idyllique ni tiré d’un conte de fées moderne, il n’en reste pas moins réel et croissant, et le fruit d’une longue histoire. Ainsi, l’essor du télétravail est tout à fait remarquable (section 1), stabilisant la notion dans son origine pour l’équilibrer dans son contexte actuel. Mais notre étude nécessite d’emblée également un travail d’identification de cette notion (section 2). SECTION I : L’ESSOR DU TELETRAVAIL Même si le télétravail n’est véritablement entré dans l’esprit des entrepreneurs de manière discrète qu’à la fin du 20e siècle, en étant lié à une forte recherche de flexibilité, il n’en demeure pas moins muni d’un « bagage » historique conséquent (A), pour en arriver à une situation actuelle très prometteuse (B) fixant les notions de flexibilité et d’externalisation. A- UN DEVELOPPEMENT HISTORIQUE CONTINU Quant au concept de travail à distance, nous passons réellement du travail à domicile bien connu du siècle dernier et cher à certaines activités (comme la couture), à un télétravail grâce aux travaux de Monsieur Norbert Wiener relatifs à la cybernétique3. Cet auteur met en avant l’hypothèse d’une architecture vivant en Europe et dirigeant la construction d’un immeuble outre-atlantique au moyen de communications par fac-similé. D’après Norbert Wiener, même si l’architecte ne reçoit ni ne transmet d’objets matériels, il n’en demeure pas moins un élément actif dans la mise en œuvre de l’édifice. D’ailleurs, alors qu’il était sur la pente de la disparition, le travail à domicile réapparaît au milieu des années 60 dans des secteurs liés au textile, et notamment dans le cadre d’activités de confection. Puis au début des années 70, ce mode d’exécution du travail va s’élargir et s’étendre à d’autres types d’entreprises, dont l’objet pouvait varier du montage électrique, ou encore d’emballage, d’alimentation industrielle, voire même les cosmétiques ou la verrerie4. Et c’est en raison des difficultés économiques générales des années 70 que va converger le concept de travail à domicile et celui de travail à distance pour en arriver à l’idée même de 3 WIENER (N.), “The Human Use of Human being – Cybernetics and society”, 1950, in LEMESLE (RM.) & MAROT (JC.), Le télétravail, Que sais-je ?, Paris : PUF, 1994. 4 LEMESLE (RM.) & MAROT (JC.),Op. cit. 5 télétravail5. Cette nouvelle notion de télétravail va alors entretenir les esprits dans une culture de l’espoir d’une société de plein emploi. A cette époque, beaucoup pensent que ce mode de travail en possède tous les ingrédients : il garantit un cadre de travail assurément plus agréable, annule le stress du transport, diminue certaines charges pour l’entreprise et va même jusqu’à avoir le « luxe » de favoriser une réduction de la pollution à une époque de croissance, où la pollution industrielle n’est pas la priorité des entreprises. On y croit à un tel point aux Etats-Unis d’Amérique que l’on imagine tous les cols blancs pratiquant le télétravail à l’aube des années 90. A la fin des années 70, un sociologue américain, Alvin Toffler annonce en 1980, qu’après avoir vécu la révolution agricole suivie de la révolution industrielle va naître la révolution informatique. Le nouveau mode de production s’en trouvant changé, la perspective du « retour à une industrie familiale d’un type supérieur fondée sur l’électronique, et concurremment une polarisation sur le foyer devenant le centre de la société »6. S’il est important que nous retracions l’historique du télétravail, il nous paraît essentiel de ne pas passer sous silence l’impact de la crise pétrolière des années 70. Dès cet instant, nombreux sont les entrepreneurs et les chercheurs qui ont manifesté de l’intérêt et mettent l’accent sur des problèmes de pertes d’énergies, notamment dans les transports. A vrai dire, la conjoncture du moment était tout à fait propice au renforcement de l’idée du télétravail. D’ailleurs, c’est ici que nous devons comprendre l’impact concomitant du progrès technique et des phénomènes socio-économiques. En effet, en 1969, le département de la défense des USA crée « internet » (nom original : « Advanced Research Projects Agency Networks »). L’objectif était d’assurer des liens de communication au gouvernement américain en cas de conflit nucléaire. Et c’est en 1973, que l’Américain Jack Nilles invente le concept particulier de « telecommunting » et donne, dans son ouvrage7, une vision globale des substitutions des moyens de télécommunication aux transports, notamment en faisant la démonstration de deux cas réels de délocalisation et de télétravail (dans une banque et une compagnie d’assurances de la région de Los Angeles). Il est évident que cet auteur a marqué les esprits au sujet du télétravail. Au travers de son ouvrage8, le développement du télétravail se conjugue avec la modernisation des entreprises et devient indissociable de la technologie. Nous pouvons dès lors affirmer que l’informatique devient le prolongement de l’homme parce qu’elle permet de simuler des situations démultipliant ses activités, sa productivité et sa maîtrise sur le monde environnant. Cette étape, marquée par bon nombre d’auteurs américains, est considérée 5 FANTON (B.), MAROT (JC.), Etude d’opportunité pour le développement d’applications de télétravail dans le département de l’Aisne, IDATE-URBA 2000, 1990. 6 TOFFLER (A.), La troisième vague, Ed. Denoël, 1980. 7 NILLES (JM.), CARLSON (ER.), GRAY (P.), HANNEMAN (GJ.), The telecommunications – transportation strade off, Wiley, 1976. 6 comme importante et nécessaire à cette époque dans la mise en place du télétravail , et elle est même fondée sur l’utilisation efficiente des NTIC. Il faudra cependant attendre 1983 pour que l’autoroute de l’information devienne accessible au grand public9, ce qui entre tout à fait dans les idées « localistes » d’après 1968, se traduisant par le slogan « vivre et travailler au pays »10. Les années 90 vont véritablement être le berceau de ce mode de travail, car son concept se diffuse de plus en plus largement. Malgré un développement très dépendant de l’évolution des NTIC, le télétravail s’inscrit en ce temps dans un contexte d’urgence : le même qu’ont connu les années 70 à savoir, celui de récession économique mondiale, de la montée du chômage et de l’exclusion. A ce stade, les conceptions du télétravail et les attitudes au travail évoluent. Les entreprises vont devoir suivre le mouvement de changement et développer des innovations en matière d’aménagement du temps de travail. Mais en réalité, les entreprises n’ont pas été les seuls acteurs du développement du télétravail dans les mentalités. Certes, pouvons-nous résumer cet historique du télétravail aux impulsions technologiques outre-atlantiques doublées du poids des récessions successives dans l’économie mondiale ; or il serait réducteur de s’arrêter là. Même s’il est vrai que nous venons de retracer l’origine de ce mode de travail particulier, il n’est pas sans intérêt de mettre en avant la situation actuelle du travail à distance et du télétravail. B– SITUATION ACTUELLE DU TRAVAIL A DISTANCE ET DU TELETRAVAIL Le travail à distance continue de se développer très rapidement en Europe comme un mode normal d’organisation du travail. Cela dit, en France, le télétravail reste encore un mode peu diffusé d’exécution du travail, et c’est à ce stade qu’une comparaison internationale doit intervenir. Tout d’abord, au plan européen, le travail à distance devient une pratique courante et implique que les gouvernements européens, les entreprises et les individus le reconnaissent avec urgence et répondent à l’impact qu’exerce l’exemption de contraintes de temps et d’espace sur le travail. Aussi, il est important de faire l’effort de mieux comprendre où nous emmènent ces développements afin d’exploiter les nouvelles opportunités et d’assurer une plus grande compétitivité, doublée de l’amélioration de la qualité de la vie professionnelle. Comme nous l’avons vu, il y a dix ans, le télétravail ou travail à distance était une manière 8 Cf. note n°7. 25 millions d’usagers dans 80 pays en 1990, source : Secrétariat du CCGP, mai 1994, lors du colloque sur le travail repensé. 9 7 particulière de travailler. De nos jours, en Europe, il y a plus de 9 millions d’européens engagés dans ces nouvelles pratiques de travail, impliquant notamment l’utilisation directe des NTIC11. Nous pouvons alors soumettre cette statistique à comparaison : selon la même source, il y aurait environ 15,7 millions de télétravailleurs aux USA, tandis qu’au Japon, seulement 2,09 millions de travailleurs exécuteraient leurs obligations professionnelles selon ce mode de travail. Il est vrai que les USA ont toujours eu une avance certaine par rapport à l’Europe et surtout par rapport à la France, non seulement par le fait que les Etats-Unis sont le berceau du télétravail (lié à l’utilisation des NTIC), comme nous avons pu le voir plus avant (cf. supra), mais également par le biais notamment d’études menées par des sociétés privées dans les années 90 et portant sur les potentialités du télétravail. A titre d’exemple, en 1992, la société LINK a réalisé ce type d’étude auprès de 500 entreprises de plus de 100 salariés. Les résultats de cette enquête n’ont fait que démontrer un télétravail rampant, caractérisé par un certain nombre de fractures susceptibles de favoriser des accords formels entre les salariés et les entreprises (travail à domicile spontané après les heures de travail lié à leur emploi, développement des prestations de services auprès de télétravailleurs indépendants, …). Ce type d’étude a amené au début des années 90, 14 % des entreprises américaines à intégrer le télétravail dans leur stratégie. Nous comprenons alors mieux les causes d’un tel développement aux USA. Lorsque nous nous intéressons davantage au cas particulier de la France, nous remarquons le « fossé » existant entre la statistique française et allemande. Alors même que la France ne compte que 420 000 télétravailleurs, l’Allemagne en affiche près de 1,8 millions12. La France se place donc à la 4e place européenne après l’Allemagne, les Pays-Bas, et le Royaume-Uni. Dès lors, pouvons-nous soutenir que l’Europe, même si elle est mieux placée que le Japon, accuse un retard conséquent en comparaison des USA, et pour ce qui nous concerne plus particulièrement, la France n’est véritablement qu’au stade de l’expérimentation. Mais après l’étude de ces statistiques, nous devons remettre à sa place le poids de l’impulsion des pouvoirs publics et de certains organismes dans l’implantation du télétravail en France. Ainsi, outre les facteurs conjoncturels que nous avons relevés dans notre analyse historique (cf. supra) il en existe d’autres, à l’heure actuelle, susceptibles d’expliquer l’engouement croissant dans l’hexagone pour ce mode d’exécution du travail. Aujourd’hui, la 10 LEMESLE (RM.), MAROT (JC.), Le télétravail, Que sais-je ?, PUF, 1994. Source USA : Cyberdialogue, New-York, mid. Year 1998, telecommuters (nombre de télétravailleurs en 19981999) in le rapport du travail à distance en Europe, 1999. 12 Même source : nous resterons très prudents sur l’utilisation des statistiques dans la mesure où la définition du télétravailleur n’étant pas mentionnée, il se peut que soient pris en compte certains télétravailleurs exclus de notre propre définition du télétravail (cf. infra section 2 §1). 11 8 France doit faire face aux déséquilibres de ses territoires. En effet, tel qu’il l’a été débattu13 : « Ainsi, de1962 à 1990, la population de notre pays a crû de plus de 10 millions d’habitants. Simultanément, cette population s’est redistribuée entre les régions et s’est concentrée dans les villes, d’où le développement de nouvelles modalités d’urbanisation, la création d’aires métropolitaines se déployant sur de vastes espaces périurbains et un nombre plus important de grandes villes et d’agglomérations. Au point qu’aujourd’hui, 40 % de la population occupe moins de 1 % de l’espace de notre pays ». Et face à une concentration urbaine grandissante, la DATAR (délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale) mène des études sur les effets des NTIC dans la société, et visant plus particulièrement à prendre en compte la flexibilité et la mobilité des activités autorisées par le développement du télétravail. Ce dernier apparaît comme l’un des moyens à retenir et à favoriser dans le but de préparer la France de demain, et la DATAR met en place une démarche prospective et stratégique définie en quatre objectifs : identifier les travaux non délocalisables à l’étranger et les retenir en France, faciliter le positionnement des entreprises françaises sur le marché intérieur, maîtriser et encourager la délocalisation de travaux vers les pays en développement pour dynamiser l’économie française, et enfin, tirer les leçons pratiques pour développer le télétravail en France. De là, la situation actuelle du télétravail en France nous paraît être celle du télétravail envisagé comme moyen d’équilibrer la répartition de la population active sur le territoire, et ainsi éviter l’exode rural. La DATAR n’est pas la seule protectrice de cette non-institution juridique que représente le télétravail. En effet, le gouvernement français lui-même a reconnu la pratique du télétravail dans ses principales formes dans une réponse ministérielle14. La motivation de cette dernière fut l’ensemble des avantages que cette pratique pouvait engendrer notamment pour l’employeur, pour l’employé, et pour la société en général. Pour le premier, le télétravail nous paraît être, au rang des avantages, facteur de l’augmentation de la productivité mais aussi de la réduction des frais de fonctionnement et de l’absentéisme, de l’augmentation du temps réel travaillé, d’un accroissement plus ou moins marqué de la motivation, d’une certaine diminution du taux de roulement et d’une amélioration du service rendu à la clientèle. Pour l’employé, l’avantage principal reste un temps de déplacement et des frais connexes moindres, mais aussi, une meilleure conciliation travail/famille, une optimisation du temps de travail, une motivation accrue et certainement liée à la diminution du stress améliorant l’état de santé du télétravailleur. Enfin, pour la société en général, la réduction de la circulation routière et de la pollution atmosphérique, l’économie de carburant et des infrastructures, un 13 Débat national pour l’aménagement du territoire (DATAR), in Breton (T.), le télétravail :situation actuelle, perspective de développement et aspects juridiques, Paris : La documentation française, coll. Des rapports officiels, 1994. 9 amoindrissement du nombre d’accidents routiers (impact sur le prix des assurances) semblent être les bénéfices principaux de ce mode atypique d’exécution du travail. Cela étant, le télétravail peut également être sources d’importunités, à savoir : pour l’employeur, le télétravail engendre certaines difficultés de supervision (les mesures de contrôle traditionnel perdent une grande partie de leur sens puisque la surveillance directe du télétravailleur est mise à mal). Il est également source, pour celui-ci, de certains coûts de formation et d’installations (souvent le principal frein pour les entreprises), doublés d’une baisse de l’esprit d’équipe. Pour le télétravailleur, un sentiment d’isolement ou d’être pénalisé dans son cheminement de carrière vient perturber ce dernier. De plus, il semble être plus vulnérable face aux abus de la gestion du personnel (le supérieur hiérarchique ou de donneur d’ordre peut être tenté de confier une charge de travail plus élevée au télétravailleur de peur que ce dernier ne soit pas assez occupé). Un dernier inconvénient peut se traduire par le risque de déplacement des emplois (pouvant plus facilement être réalisés au niveau régional, d’où la possibilité que soient replacés l’emploi et l’employé). Pour le reste de la société, mais ceci reste purement hypothétique, il se pourrait que le télétravail ait pour conséquence néfaste une augmentation du taux de vacances des immeubles ainsi qu’une baisse d’achalandage des commerces des centres villes (stationnement, restaurants, magasins, …). Le télétravail pourrait également, à ce niveau, entraîner une réduction des recettes fiscales dues à une réduction de consommation (essence, repas, …). De là, même si le télétravail présente un bilan positif15 du fait qu’objectivement, bon nombre des avantages sont des points majeurs pour chacun des intervenants concernés, il n’en demeure pas moins l’existence d’une certaine résistance au télétravail. En effet, l’aspect des nouvelles formes de gestion est un élément clef dans le cadre du télétravail, mais de toute évidence, lorsqu’un projet d’une telle envergure émerge d’un comité directeur ou de la haute direction, il doit recevoir l’appui et la compréhension des différents paliers de gestion. Or, plus l’on s’éloigne de la direction et moins le message a de chance de s’y rendre. Cela dit, nous ne rechercherons aucune raison pour expliquer cette réticence, cette dernière relevant davantage d’autres disciplines telles que la sociologie, la psychologie ou encore les sciences économiques et sociales. Pour les juristes, la notion de télétravail rend compte d’une certaine difficulté quant à son contour. Il n’est alors pas dénué de sens d’en éclaircir le contenu et les limites. Dans cet objectif, nous veillerons à en donner une certaine identification. 14 15 Rep. Min. , n° 28123 , JOAN Q, 12 juin 2000, p. 3570. RAY (G.), le télétravail : concept et application, secrétariat du CCGP, Canada, 1995. 10 SECTION II : L’IDENTIFICATION DU TELETRAVAIL Comme nous avons pu le voir, la mise en œuvre du télétravail ne doit pas être considérée comme un remède dans le but d’accéder au plein emploi, mais plutôt être appréhendé dans le cadre de l’expression des mutations socio-économiques et organisationnelles touchant une grande partie des pays européens16. Cela étant, pour bien mesurer l’ampleur du télétravail dans le paysage économique français, il convient d’en donner une définition. En effet, les contraintes conjoncturelles auxquelles la société française est soumise, et plus particulièrement celles que subissent l’ensemble des acteurs économiques, nous amènent à nous interroger sur la définition même du télétravail ; cette précision n’ayant pour autre but que la pertinence de nos propos se devant être les plus proches possibles de la réalité économique. Autrement dit, la question prééminente à laquelle nous devons répondre est celle de savoir quelle définition consacrer au télétravail (A). Pour autant, notre étude reste dénuée de tout sens si elle n’est pourvue que des réponses aux questions se soulevant à notre esprit. Parlà, il est donc fondamental de mettre sur pieds la problématique de notre travail (B). A- QUELLE DEFINITION TROUVER AU TELETRAVAIL ? Voici l’une des questions non moins fondamentale à laquelle il nous est dû de répondre, dans la mesure où aucune des définitions élaborées jusqu’à présent par les auteurs ne s’avère suffisamment complète et évolutive. A l’exception de la définition que nous retiendrons se révélant être la plus satisfaisante, qui est celle donnée par monsieur Thierry BRETON dans son ouvrage consacré au télétravail. Mais avant d’en faire rappel, il convient de bousculer les idées reçues à savoir, que contrairement à ce que l’on pourrait penser, le télétravail n’est pas un nouveau métier. Le télétravail est une façon d’exercer son travail et, est aussi considéré comme une nouvelle forme d’organisation du travail. Sans amputer une partie de la définition donnée par Monsieur BRETON, nous pouvons d’ores et déjà dire que « télétravailler », c’est l’action même de travailler à distance aux moyens des NTIC (nouvelles technologies de l’information et des communications). Pour sa part, l’auteur de l’ouvrage, paru à la Documentation française, relève que le « télétravail est une modalité d’organisation et/ou d’exécution d’un travail exercé à titre habituel, par une personne physique dans les conditions cumulatives suivantes : d’une part, 16 BRETON (T.), op. Cit., cf. note 13. 11 ce travail s’effectue à distance, c’est à dire hors des abords immédiats de l’endroit où le résultat de ce travail est attendu » ; et l’auteur ajoute « en dehors de toute possibilité physique pour le donneur d’ordre17de surveiller l’exécution de la prestation par le télétravailleur ». L’autre condition cumulative exposée par monsieur Breton est que « ce travail s’effectue au moyen de l’informatique et/ou des outils de télécommunications ; il implique nécessairement la transmission au moyen d’une ou plusieurs techniques de télécommunication (au sens de l’article L32 du Code des postes et télécommunications), y compris au moyen de systèmes informatiques de communication à distance, des données utiles à la réalisation du travail demandé et/ou du travail réalisé ou en cours de réalisation ». Aussi, de cette définition découlent plusieurs remarques qu’il nous paraît intéressant de mentionner, à savoir : d’une part, cette définition reprend essentiellement le cas des personnes physiques exerçant par télétravail, soit en tant que salarié d’une entreprise ou en tant qu’entrepreneur individuel. Il peut également arriver que télétravail soit exercé par une personne morale (nous exclurons ce cas de télétravail de notre étude, et nous consacrerons pleinement aux cas des personnes physiques)18 qui ferait du télétravail le centre même de l’entreprise qui l’emploie. D’ailleurs, cette limitation cadre tout à fait dans l’objectif des questions juridiques du télétravail, et y répond par un raisonnement purement juridique. En effet, il nous semble que cette définition, même si elle n’est exhaustive et peut paraître incomplète selon les intérêts que l’on défend, est celle s’apprêtant le plus au domaine juridique. Cette définition permet de dégager d’une part, ce que monsieur Breton appelle, des éléments invariables qui sont l’exécution du travail à distance (« hors des abords immédiats de l’endroit où le résultat de ce travail est attendu « ) avec la nécessaire utilisation d’une ou plusieurs techniques de télécommunications doublée du moyen informatique et/ou des outils de télécommunications. D’autre part, il est possible de dégager des éléments variables (rendant très difficile la limite précise de la notion même de télétravail) étant le plus souvent les modes d’organisation de ce travail dans le temps et dans l’espace ; les modalités d’exécution proprement dites de la réalisation du travail demandé, selon la nature de l’outil utilisé (téléphone portable, télécopie fax, ordinateur portable ou non, …), la nature du travail lui-même, … Autrement dit, le télétravail peut aisément être considéré comme une notion protéiforme à géométrie variable. Par ailleurs, la définition du télétravail faite par monsieur Breton marque bien la nécessité de l’exercice à titre principal et habituel des éléments constituant le travail de 17 Selon l’auteur Thierry BRETON, le donneur d’ordre s’apparente à « celui qui charge une personne (nonsalariée ou entrepreneur individuel) d’un travail. 12 l’intéressé. Ainsi, ces deux caractéristiques tirées de la définition forment la limite séparant un travail pouvant relever du télétravail (en tant que véritable mode d’organisation et/ou d’exécution) de celui qui ne serait que ponctuellement et partiellement recouvert par cette notion au moyen, par exemple, du simple emprunt des outils du télétravail. De là, le télétravail est un travail utilisant de manière constante et à titre principal les outils télématiques19 et/ou de télécommunication, et non pas un travail se mariant avec de tels outils par substitution, ou en dehors de l’objet principal du contrat de travail. Cet élément d’objet principal du contrat de travail aurait sûrement pu être reporté à la définition de Thierry Breton, car il aurait davantage renforcé le caractère principal du télétravail. Cela dit, et pour accentuer notre analyse, il serait correct d’approfondir notamment la notion d’habitude, qui revient à interpréter le télétravail comme une activité s’exerçant de façon continue ou permanente (pour reprendre l’idée de temps) et en dehors des lieux où est attendu le résultat du travail (soit le lieu où s’exerce l’activité du donneur d’ordre ou de l’employeur). Quant au caractère principal du télétravail, il ne fait que sous-tendre à l’idée que ce télétravail soit un élément constitutif du travail lui-même. Ceci, sans obligatoirement mettre en rapport l’importance de l’activité principale avec celles d’autres composants du travail ou du temps qu’il y est consacré. Dès lors, si l’un de ces éléments manque lors de l’analyse d’un éventuel télétravail, le salarié ou le travailleur indépendant concerné ne sera que salarié ou travailleur indépendant « traditionnels ». Par exemple, ne peuvent être considérés comme des télétravailleurs, le chargé de prospection de clientèle, travailleur indépendant, exerçant son activité pour une autre société dont il serait le débiteur, et qui transmettrait les résultats de cette activité par les NTIC. Celui-ci utilise bien des outils télématiques ou de télécommunications, l’exercice de l’activité se fait bien en dehors du lieu où le résultat du travail est attendu, mais il manque d’abord le caractère principal du télétravail, puis le facteur temps lié à cette recherche et non à la télétransmission. De même, le salarié qui travaillerait chez lui sur son ordinateur après ses heures de bureau, pour terminer un travail ou pour prendre de l’avance sur sa journée du lendemain, ne peut être un télétravailleur : l’exercice de cette activité à titre habituel et principal ne se vérifiant pas. En revanche, dès que l’activité est faite de manière habituelle et qu’elle entre dans le cadre d’un contrat de télétravail en tant qu’élément constitutif, et ce même si elle est secondaire au vu d’autres activités générant un rapport temps supérieur, le salarié pourra être considéré comme un télétravailleur. Il apparaît alors que le critère « principal » se retrouve plus dans 18 En réalité, le fait de donner une définition du télétravail n’a d’intérêt que pour les personnes physiques, puisque seuls les rapports traditionnels de travail de ces personnes peuvent être modifiés par le télétravail. 19 Cf. glossaire. 13 l’analyse du cadre contractuel plutôt que dans la pluralité d’activité, où le travail exécuté sous forme de télétravail serait l’élément essentiel. Enfin, une dernière remarque peut être mise en avant, à savoir qu’il n’existe pas de définition donnée du télétravailleur dans la définition élaborée par monsieur Breton. En effet, définir le télétravail ne revient pas à en définir les acteurs principaux. Ainsi, reste à trouver une description suffisamment large mais également précise dans le cadre de cette étude. Nous pouvons d’ores et déjà affirmer, par rapport aux travaux de monsieur Breton ou encore d’autres éminents auteurs20, que chaque travailleur peut être susceptible d’utiliser des outils du télétravail (bien qu’il n’existera jamais de télé-maçon ou de télé-agent de sécurité, …). Cela dit, n’est pas télétravailleur qui veut, et nous pouvons assurément définir le télétravailleur (personne physique uniquement puisqu’il n’y aurait aucune rigueur à définir une personne morale de télé travailleur) comme la personne physique travaillant selon le mode d’organisation et/ou d’exécution du télétravail. Définir le télétravailleur de cette manière n’est pas innovant, puisqu’il s’agit d’une reprise de la définition de monsieur Breton. A l’image du télétravail lui-même qui est très diversifié et variant, le télétravailleur peut être défini différemment selon qu’il soit d’une part, télétravailleur salarié, subordonné à un employeur se trouvant à distance21 ou télétravailleur indépendant uniquement débiteur d’un donneur d’ordre ; d’autre part, selon qu’il soit télétravailleur à domicile, télétravailleur en télécentre22 ou encore en travail télépendulaire23 ou encore off-store24. Dans le cadre de notre étude, et pour mieux répondre aux interrogations juridiques qui se posent à nous, nous nous maintiendrons à l’étude du télétravail salarié, ayant le plus couramment la forme de télétravail à domicile, ainsi que celle du télétravail de l’entrepreneur indépendant. Une fois ces considérations rappelées, il nous est nécessaire de mettre en avant le problème juridique auquel nous tenterons de répondre lors de nos développements. B- PROBLEMATIQUE La révolution technologique n’a pas épargné la science du Droit ; et le télétravail, plus 20 Cf. RAY (J.E.), Le Droit du travail à l’épreuve du télétravail, (extraits du rapport pour la commission), Droit social, février 1996 et avril 1996. 21 Nous n’entrerons pas plus dans le débat par rapport à cette question de subordination dans la mesure où celleci, dans le cadre du télétravail, soulève une difficulté particulière que nous traiterons dans notre titre I. 22 ce que nous écarterons de notre étude puisque juridiquement parlant, le statut de ce type de télétravail ne relève pas de particulière difficulté. 23 Accordant une flexibilité du travail en permettant au salarié de travailler de façon alternée chez lui et dans l’entreprise, écarté également de notre étude. 24 Télétravail dans le cadre de la délocalisation d’activité d’une entreprise vers les pays du Tiers Monde 14 précisément, profitant de ces avancées en matière de NTIC, semble bousculer la législation du travail. Face à la croissance européenne du télétravail, prévue par les experts (à l’horizon 2005, la part des télétravailleurs dans la population active passerait à 10,80 % de la population active totale européenne25), force est de constater que l’on se détache de plus en plus de l’image vieillotte dont les principales vertus étaient de permettre l’intégration de personnes en difficulté ou enclavées dans des contrées inaccessibles, pour en arriver à un changement considérable dans la manière de travailler. Mais comme pour tout changement et réorganisation du travail (il nous suffit de mesurer l’impact de chaque réglementation de réduction du temps de travail), le télétravail semble préoccuper. En réalité, la difficulté majeure qui se révèle au travers l’étude du télétravail n’est autre que son extrême diversité26. Mais également, le fait que les éléments du télétravail puissent emprunter ou procéder de certaines catégories juridiques déjà existantes et pourvues d’un régime propre (travail à domicile, travail indépendant, …), sans pour autant s’y soumettre ou se confondre avec ces dernières. De ce fait, il arrive encore souvent que les difficultés posées par le mode télétravail ne soient appréhendées de manière globale, mais plutôt traitées successivement ou sous des angles particuliers. D’autant qu’il peut être tout à fait pragmatique de vérifier une spécificité du télétravail au sein de chaque catégorie juridique dans laquelle celui-ci pourrait s’inscrire. A ceci, vient s’ajouter l’effet des NTIC « dissolvant » le Droit du travail subordonné27, et qui tend à effacer les rapports de travail. De là, il est parfois avancé que le télétravail est en contradiction avec le salariat classique (notamment par l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail : ANACT28) et certains auteurs mettent en avant la grande nécessité de réglementer le télétravail. Ainsi, pour certains d’entre eux29, « un risque majeur pour le télétravail est d’être mis en place de manière sauvage et de garder un statut expérimental ». C’est à partir de ces considérations, de ces spécialités, mais également du particularisme général du télétravail que nous pouvons nous poser la question suivante, à savoir : faut-il mettre en place un statut spécifique du télétravail, dérogatoire au Droit commun du travail ? Une création d’un statut particulier du télétravailleur est-elle pertinente ? Aujourd’hui encore, le télétravail n’a pas de statut particulier, et l’on peut retenir trois solutions pour cadrer juridiquement le télétravailleur dans son activité. Ces solutions sont les suivantes : soit le télétravailleur adopte le statut d’indépendant ce qui, en France, n’est guère 25 GIRARD (D.), L’avenir des télétravailleurs préoccupe l’Union Européenne, La tribune de l’Europe, 22/12/00, p. 31. 26 Comme nous venons de le voir dans notre sous partie attribuée à la définition du télétravail. 27 RAY (JE.), De Germinal à internet : une nécessaire évolution du critère du contrat de travail, Droit social, juillet/août 1995, p. 634 et s. 28 propos retenus de Mr Denis BERARD, sociologue à l’ANACT, La tribune de l’Europe, 22 décembre 2000, p. 33. 15 envisageable si ce n’est que pour les personnes hautement qualifiées, qui choisiraient ce statut dans le cadre de louage de services à une ou plusieurs sociétés pour des travaux ponctuels ; d’autant que la Loi du 19 janvier 2000 vient supprimer la présomption de non-salariat qui existait avec la Loi Madelin du 11 février 199430. Soit le télétravailleur prend le statut de travailleur à domicile31, qui demeure le plus proche de notre concept de télétravail, mais qui peut toutefois être inadapté (pour certains auteurs) du fait qu’il a été institué, à son origine, pour des catégories de salariés pratiquant des travaux accessoires bien lointains des travaux liés à la télématique. Enfin, le télétravailleur peut conserver son statut de droit commun, qui demeure actuellement la solution souvent retenue. Malgré cela, il demeure une floraison de réglementations au niveau mondial32 et européen33 . La question du statut spécifique du télétravail reste d’actualité. Et puis, d’une façon certaine, le développement prévisible du télétravail amènera à réexaminer en profondeur le cadre législatif se rapportant aux conditions de travail : adaptation des matériels télématiques installés chez les salariés, ergonomie du poste de travail à domicile, les délicates problématiques des biens liés au télétravail, mais aussi les règles d’utilisation de l’écran, la formation du personnel, … autant d’éléments liés au Droit du travail ou à la sécurité sociale. Dès lors, vont s’opposer les partisans à la création d’un statut spécifique dérogatoire du Droit commun du travail, et ceux pour qui ceci n’aurait aucun sens.34 Pour répondre à notre problématique d’ensemble, nous prendrons pour axes principaux l’étude du statut du télétravailleur (titre I) au travers duquel notre objectif sera de mettre à plat les différentes règles et composantes de ce statut, et notamment celui d’amorcer ou non la nécessité d’un cadre juridique particulier du télétravail au vu des éventuelles lacunes pouvant être relevées. Ceci nous amène naturellement, dans un souci d’équilibre et de recherche complète, à l’analyse de l’exécution même du contrat de télétravail laissant davantage transparaître de particularisme et de complication (titre II). Cette chronologie nous permet de ne pas trancher, ni dans un sens ni dans l’autre, trop précipitamment et de parcourir l’ensemble de la question en délayant tous les éléments pour y répondre. 29 Cf. les propos de GIRARD Delphine in La tribune de l’Europe, 22 décembre 2000, p. 32. Ces développements seront repris ultérieurement, cf. infra. 31 Art L 721-1 et suivants du Code du travail, modifiés par la Loi du 13 novembre 1982 : « les travailleurs à domicile bénéficient des dispositions applicables aux salariés ainsi que des conventions et accords collectifs de travail en vigueur chez les donneurs d’ouvrage ». 32 Convention internationale n° 177 de l’OIT de 1996 relative au travail à domicile adoptée le 20 juin 1996 et applicable depuis avril 2000 visant l’égalité de traitement de ces salariés ainsi que le contrôle du travail à domicile. 33 Dialogue sectoriel européen des télécommunications, en date du 11 janvier 2001, proposant douze « lignes directrices pour le télétravail à domicile en Europe », et dont l’impulsion communautaire pouvait se mesurer dès 1992 et en 1996. 30 16 TITRE I LE STATUT DU TELETRAVAILLEUR 34 Comme Ray J.E. ou ALIX P. (avocat au barreau de Paris, auteur de l’ouvrage Comprendre et pratiquer le télétravail, Lamy, 2001. 17 Comme nous l’avons déjà fait remarquer, (cf. supra), la notion de télétravail est protéiforme et demeure marquée de divers statuts juridiques se rattachant au mode d’exécution de l’activité du télétravail (télétravail salarié, à domicile, télétravail indépendant, …). Ainsi, notre objectif est de démontrer ici si il est créé une nouvelle catégorie de travailleur du fait de l’existence ou non de particularisme au sein du statut même du télétravailleur35. De nombreuses autres questions s’y rattachent notamment, par le fait, que le Droit du travail se meut aujourd’hui dans d’autres modèles de travail remplaçant ainsi ceux qui étaient adaptés au secteur secondaire du milieu du XX siècle (usine métallurgique, mine de charbon, …). La préoccupation des juristes en Droit social, vis à vis du télétravail, c’est à dire (étymologiquement) le travail éloigné du véritable centre de production, est d’y maintenir un cadre juridique digne de ce nom, alors que tout dans cette forme d’organisation et/ou d’exécution semble abolir le Droit du travail d’hier. Droit du travail où le contrôle fait par l’employeur sur son subordonné, très lié à la géographie des relations hiérarchiques, délimiterait le statut du travailleur et ses conditions d’emploi. Quant au télétravailleur salarié36, cette problématique de la subordination, ajoutée à celle des effets de la loi de réduction du temps de travail, mais également tous les aspects des relations collectives du travail (Droit syndical, représentation du personnel), de protection sociale, et de santé viennent perturber nos connaissances générales en matière de télétravail. Ces difficultés de statut juridique ne sont pas sans épargner le cas du télétravailleur exerçant son activité sans lien de subordination (que nous appellerons entrepreneur individuel37) et pour lequel, la nature des rapports qu’il entretient avec son donneur d’ordre, sa réglementation spécifique, les conséquences de la loi de réduction du temps de travail et de cette qualification, forcent les juristes de Droit social à ne pas les assimiler aux travailleurs indépendants connus aux articles L 120-3 et suivants du Code du travail38. De là, nous pouvons élaborer un raisonnement mettant en avant les points principaux du statut du télétravailleur, qu’il soit salarié ou non, dans la mesure où certains régimes juridiques pouvant servir de composantes au télétravail, semblent être incompatibles avec la modernité 35 Ce mot « statut » est ici utilisé dans un sens commun au télétravail sans distinction des sous catégories de télétravail ou des différents modes de télétravail que nous pourrons rencontrer. Les distinctions entre les statuts s’effectueront au fil de notre développement. 36 Dans notre étude, le cas du télétravailleur salarié sera également celui du télétravailleur salarié à domicile, l’essentiel des cas ayant servi à l’élaboration de nos travaux se rapportant à ce cas dans la mesure où le télétravail salarié en télécentre ne pose pas de difficultés juridiques. 37 Dont la définition peut être faite comme suit : le télétravailleur entrepreneur individuel est un télétravailleur indépendant, personne physique, chargée d’exécuter une prestation demandée par un donneur d’ordre (client personne physique ou morale). 38 Loi n°94-126 du 11 février 1994, dite loi Madelin. 18 du télétravail. A titre d’exemple, l’esprit du législateur est de considérer le travailleur à domicile comme un salarié identique à ceux qui exerceraient leur fonction au sein de l’entreprise39. A ce stade, la question qui se pose est de savoir si le télétravail crée une nouvelle condition, un nouveau statut du travailleur nécessitant de légiférer de manière adaptée. Cette probable incompatibilité n’est vérifiable qu’au terme des rapprochements du télétravail aux rapports individuels du travail40 (chapitre I) mais également au travers le cadre atypique d’organisation et/ou d’exécution qu’est le télétravail (chapitre II). CHAPITRE I LE TELETRAVAIL ET LES ASPECTS INDIVIDUELS DE TRAVAIL De ce mode « hors normes » d’organisation et d’exécution du travail, nous pouvons essentiellement faire transparaître deux types de télétravailleurs, pour lesquels la mise en relief des aspects individuels des relations les unissant, respectivement soit à leur employeur soit à leur donneur d’ordre, demeure l’essentiel des difficultés du télétravail. Il s’agit du télétravail salarié (section I) mais aussi le cas désormais « très rare » du télétravailleur indépendant (section II). SECTION I – LE TELETRAVAILLEUR SALARIE Dans le cadre des aspects individuels du travail en matière de télétravail salarié, se posent deux questions auxquelles il nous faut répondre afin d’amener à un comparatif au droit commun du travail. La première consiste à savoir comment se détermine la qualification de salarié en matière de télétravail ? (paragraphe 1), mais aussi et sans cela, la première 39 Cf. article L 721-6 du Code du travail : « les travailleurs à domicile bénéficient des dispositions législatives et réglementaires applicables aux salariés » (entendu de droit commun). 40 Nous conservons ici l’expression « rapports individuels de travail » même pour le télétravailleur indépendant, ce qui dans ce cas représente les critères spécifiques des rapports entretenus entre le télétravailleur indépendant et son donneur d’ordre. D’autant que la loi Aubry tend à minimiser davantage le nombre de télétravailleur indépendant (cf. infra). 19 interrogation serait dépourvue d’une réponse complètement satisfaisante, il nous est important de déterminer quels sont les effets relatifs à cette qualification ( paragraphe 2). § 1 – LA QUALIFICATION DE SALARIE Cette qualification, également due à des circonstances de faits, va être déterminée par différents critères (A) obtenus par l’analyse de différents régimes juridiques pouvant composer le télétravail (télétravail à domicile, télétravail pendulaire, télétravail coopératif,…). Cette qualification est néanmoins, dans certains cas, le fruit de l’effet de la loi (B). A°) Les critères de l’activité salariée Nos observations préparatoires nous ont amené à considérer l’intégration à un service organisé par et pour un tiers (1), comme l’une des conditions principales pour être considéré salarié en matière de télétravail (au-delà des critères traditionnels que nous pouvons rencontrer en Droit commun des contrats de travail). L’autre critère primordial de l’activité salariée nous ramène ici au Droit commun des contrats de travail, il s’agit de la question délicate du lien de subordination en matière de télétravail (2). 1°) Le critère d’intégration à un service organisé par et pour un tiers Les circonstances de fait dans lesquelles un travail est effectivement accompli peuvent amener à retenir le caractère salarié ou indépendant de ce dernier. Et cette articulation du travail salarié et du travail indépendant41 va donc être déterminée au travers un faisceau d’indices mis en place par le juge en cas de contentieux portant sur la « frontière du salariat »42, dans une relation contractuelle de télétravail. Notons que cependant, chaque indice n’est pas autosuffisant pour permettre la qualification de l’activité. Et parmi ces critères amenant à la qualification de télétravail salarié, l’intégration à un service organisé par et pour un tiers semble tenir un rôle important. En réalité, ce critère de distinction télétravail salarié / télétravail indépendant est lié à une évolution jurisprudentielle touchant tant le Droit du travail que la sécurité sociale. En effet, l’intégration à un service organisé, par et pour le compte d’un tiers, rend possible le rattachement de personnes exerçant leur activité de manière indépendante, au sens technique et intellectuel, au régime général de sécurité sociale et dans le cadre juridique du Droit du 41 Pour reprendre les termes de Mr. Le Professeur Alain Supiot in SUPIOT (A.), les nouveaux visages de la subordination, Droit social, février 2000, p. 131 et s. 20 travail. La différence évidente avec le télétravail indépendant réside dans le fait que ces personnes sont intégrées dans une structure propre à l’exercice de l’activité et sous des conditions leur étant délibérément imposées. Et ce, pour le compte d’une tierce personne (physique ou morale) et non dans leur propre intérêt économique. Ce critère d’intégration au service d’un tiers est en premier lieu soumis à l’examen du juge, comme le souligne Monsieur le Professeur SUPIOT : « l’élargissement du champ d’application du droit du travail salarié a tout d’abord été le fait du juge qui, dans la plupart des pays européens, a utilisé en ce sens la technique des faisceaux d’indices » (ce qui revient à ce que les travaillistes français connaissent par le principe de réalité43). Nous comprenons mieux alors que ce critère est tout à fait dépendant des évolutions jurisprudentielles44. Le juge va essentiellement prendre pour indices les éléments suivants, à savoir l’existence d’une clientèle appartenant à l’entreprise tierce, ou encore le fait que la rémunération du prestataire de service soit fixée par l’entreprise (tierce). Le juge s’assurera aussi que le télétravailleur n’est tenu d’aucune responsabilité vis à vis de la clientèle (puisque est un indice du caractère indépendant de l’activité, le fait d’être personnellement responsable de la qualité du travail auprès de la clientèle), ni d’aucun risque économique (nonparticipation aux pertes, …) et que ce dernier est soumis à certaines contraintes, notamment la fixation imposée des horaires ou encore la détermination d’un secteur d’activité bien précis. Nous pouvons également rechercher un indice supplémentaire au critère de l’intégration à un service organisé au profit d’un tiers, dans le fait que le matériel dont dispose l’exécutant de la prestation soit mis à disposition par le receveur de ladite prestation. Aussi, la frontière entre le télétravailleur salarié et le télétravailleur entrepreneur individuel est, dès lors bien marquée : il peut paraître difficile de concevoir un télétravailleur indépendant qui recevrait du matériel par une entreprise tierce lui permettant d’utiliser les NTIC et d’effectuer une tâche spécifique, même s’il est tout à fait possible d’envisager certains contrats de Droit commercial, tel que le contrat de franchise pour lequel l’utilisation d’un matériel informatique spécifique (logiciels,…) peut être rendue indispensable dans le cadre du travail à accomplir. Cette mise à disposition par l’entreprise (le tiers) confère un caractère salarié à la relation. D’ailleurs, le fait qu’une entreprise mette à la disposition d’une autre personne (physique notamment) un équipement destiné à une activité de télétravail dans son propre intérêt économique, nous rapproche de l’exercice du télétravail salarié à domicile. En effet, le 42 Cf. « les frontières du salariat », actes du colloque de Cergy-Pontoise, Rev. Juridique d’Ile de France, n°39/40, juin/juillet 1996, p. 101-263. 43 Cf. Cass. Crim., 29 octobre 1995, bull. civ. V N° 335. : « l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité ». 44 Il est cependant à remarquer que la qualification de télétravailleur salarié peut également résulter de l’intervention du législateur, ce que nous verrons plus loin (cf. infra). 21 troisième des douze principes applicables à cette forme de télétravail45 retient que « tous les équipements seront fournis, installés et entretenus par l’entreprise, et restitués si le télétravail cesse pour une raison quelconque ». Nous pourrions alors soutenir que dès lors qu’il y a une telle transmission d’un matériel à une personne en vue d’une activité de télétravail, l’activité est alors salariée. Ainsi, il nous est possible de dire que les éléments formant le contrat de travail dans le Droit commun du travail ne sont pas, de prime abord, les seuls critères de qualification de l’activité de télétravail en tant qu’elle soit salariée ou non. Mais ce serait se complaire trop vite dans une solution qui, en réalité, n’en est pas une. D’une part, parce que certains éléments de Droit commun de formation de tout contrat de travail sont bien présents dans le contrat de télétravail (salarié) à savoir, notamment le travail (la prestation de travail sous forme de télétravail) et la rémunération. D’autre part, il demeure toujours une certaine opposition entre les partisans du Droit du travail et ceux du Droit civil commercial. En effet, la qualification du télétravailleur à domicile, en salarié, travailleur à domicile au sens juridique, ou indépendants fait naître certaines divergences au sein de la doctrine46. La frontière entre ces trois statuts est souvent mince et il peut même arriver que le télétravailleur à domicile soit soumis à ces trois régimes cumulativement sous réserve de clauses spécifiques (notamment de non concurrence, cf infra). Pourtant, les efforts de réglementation en matière de télétravail, et surtout dans des cas de télétravail à domicile, nous attirent vers la conclusion systématique d’un télétravail à domicile « salarié »47. En réalité et en résumé, le télétravail donne lieu à une multitude de situations de faits pour lesquelles existe un nombre très limité de régimes juridiques. Aussi, il nous faut retenir que le critère d’intégration à un service organisé par et pour un tiers est l’un des indices les plus sûrs à la détermination de la qualification du télétravail salarié ou non. L’étude par le juge des conditions concrètes d’exécution de la prestation de travail semble être le moyen le plus juste, au-delà des éléments de formation du contrat de travail en Droit commun du travail, pour délimiter les frontières de l’activité indépendante. Aussi, la chambre sociale de la Cour de Cassation48 en est arrivée à la conclusion d’un travail indépendant quant à l’exécution d’une activité de télétravail en raison de l’inexistence de contraintes telles que l’utilisation de normes précises ou normes de rédaction, … Dans ce sens, la chambre sociale49 a qualifié de travailleur salarié à domicile, le télétravailleur faisant l’objet de comptes-rendus fréquents et 45 Principes élaborés par le Comité européen du dialogue sectoriel « télécommunications », le 11 janvier 2001, in RAY (J.E.), Le Droit du travail à l’épreuve des NTIC, Ed. liaisons, avril 2001. 46 cf. RAY (JE.), le Droit du travail à l’épreuve du télétravail : le statut du télétravailleur, Droit social, février 1996, n°2, p.121 et s., et aussi du même auteur Le Droit du travail à l’épreuve des NTIC, Ed. liaisons, avril 2001. 47 il nous suffit de reprendre les principes élaborés par le Comité européen du dialogue sectoriel « télécommunications ». 48 Cass. Soc., 22 janvier 1981, 7e et 4e arrêts. 22 réguliers, ainsi que d’une obligation d’utilisation de normes précises dans son travail. Cela dit, si nous revenons au Droit commun du travail et sur les trois critères du contrat de travail, la véritable difficulté quant à la qualification de l’activité de télétravail en tant qu’elle soit salariée ou non, se situe au niveau de la subtile question de la subordination juridique. 2°) La question de la subordination juridique : l’existence d’une « télésubordination » ? Le Droit du travail subordonné tel qu’il a été éprouvé au cours du XIX siècle et jusqu’à la plus grande moitié du XX siècle, se voit confronté à un autre modèle mobilisant davantage les cerveaux et dans lequel le principe hiérarchique paraît être mis à mal. Et même si le travail subordonné continue à régner sur le secteur secondaire, sans poser de difficultés juridiques, le télétravail ou travail à distance rend très ardue l’analyse d’une telle subordination. La question sur laquelle nous devons nous pencher est celle de vérifier si, en matière de télétravail, nous ne sommes pas en présence d’un effondrement d’un des critères fondamentaux du Droit commun de la formation du contrat de travail ? Doit-on retenir l’idée d’une télé-subordination en matière de télétravail ? Idéologiquement, le modèle de travail que nous connaissons bien dans l’industrie, était basé sur les thèses tayloriennes traduisant un caractère plutôt d’ordre « militaire »50. Il s’agissait, en effet, d’encadrer un travail dans des horaires et lieu de travail fixes et collectifs et pour lequel, la subordination juridique s’imposait comme une évidence humaine. Seulement, ce modèle de subordination juridique et donc de hiérarchie stricte (sub/ordonner) semble ne fonctionner que dans les cas où cette même hiérarchie, représentée par l’employeur lui-même ou l’un de ses représentants, a la possibilité de contraindre son subordonné. Autrement dit, un contrôle direct51 de l’activité du salarié par son supérieur semble indispensable pour obtenir la quintessence de la subordination (et ainsi vérifier l’autorité qu’a le patron sur son employé). De manière générale, il y aura donc contrat de travail lorsque s’exercera une direction et un contrôle effectif de l’activité du travailleur. Et la Cour de Cassation52 va élargir le champ de la subordination en considérant comme salariée, toute personne travaillant au sein « d’une organisation fonctionnant sous la direction et la responsabilité » d’un tiers. Parfois, elle 49 Cass. Soc., 22 janvier 1981, 1er et 2e arrêts. RAY (JE.), De Germinal à Internet, une nécessaire évolution du critère de contrat de travail, Droit social, n°7/8, juillet/août 1995, p. 634 et s. 51 cette particularité du contrôle et de surveillance du télétravailleur salarié (à domicile) sera traitée plus en profondeur dans notre étude lors de l’analyse de l’exécution du contrat de télétravail (cf. infra). 52 Cass. Soc., ass. plen., 4 mars 1983, D. 1983-381, ccl. Cabannes(cf. nos développements précédents). 50 23 rétrogradera ce critère de subordination en simple indice53 relevant, dans certains cas, l’existence d’un lien de subordination. Cet arrêt va donner une définition du lien de subordination, nous permettant d’en faire comparaison avec la situation du télétravail. Il demeure en ces termes : « le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements »54. En matière de télétravail, notamment salarié, ce lien de subordination se trouve affecté par l’utilisation des NTIC, souvent dans le sens d’une plus grande autonomie. Cette affirmation soutenue par certains auteurs55, n’est en réalité pas si évidente. En effet, tout porte à croire que le télétravailleur salarié demeure sous la subordination juridique de son employeur, et que cette dernière reste un critère important pour déterminer la qualification juridique de telle ou telle activité de télétravail. Lorsque le télétravailleur exerce son activité, il n’en demeure pas moins sujet à certaines directives et contraintes liées à l’exécution du travail à fournir. Prenons l’exemple d’un télétravailleur concepteur informatique, à qui l’entreprise à laquelle il est rattaché, ne fait que transmettre des normes de création en accords avec le cahier des charges liant ladite entreprise et son client. Il demeure bien une activité de télétravail et un lien de subordination. De même, nous concevons tout à fait un contrôle du produit fini ou semi-fini effectué par l’employeur56, doublée d’une possibilité de sanction en cas de manquements. Dès lors, nous prouvons bien qu’il demeure une subordination juridique au sein du télétravail salarié, et que cette subordination est un outil de détermination du caractère salarié ou non de certaines activités de télétravail. Nous devons cependant absolument noter que cette question fut également controversée du fait de la loi Madelin du 11 février 1994. Loi qui, venant après le rapport de monsieur Breton, tenta de favoriser l’exercice du travail indépendant57 en raison des préoccupations que créait le télétravail. En fait, l’analyse que nous pouvons soumettre est, qu’à l’époque où les télématiques n’étaient que peu usitées, la distance existant entre l’employeur et son subordonné reflétait bien l’idée de tranquillité de ce dernier (la subordination juridique était biaisée). Aujourd’hui, en matière de télétravail, et plus particulièrement dans le cas du télétravail salarié, la subordination juridique demeure la même en raison de la haute et croissante technicité des moyens de communication utilisés lors de l’activité télétravail. Nous parlerons alors, pour garder une 53 Cass. Soc., 13 novembre 1996, Dr. soc., 1996-1067, note Dupeyroux. Dans le même sens, Cass. Soc., 1 juillet 1997, D. 1997.IR.175. 55 Cf. Lamy informatique, « le contrat de travail en informatique », n°2910, 2000, p. 1694. 56 Nous écartons ici l’idée du télétravailleur à domicile du fait de la non-obligation de preuve du lien de subordination. Seulement, nous en gardons dans le cas présent l’idée d’une rémunération forfaitaire après exécution totale ou partielle de la prestation. 54 24 image intacte du télétravail et des moyens télématiques, de « télé-subordination ». Le télétravailleur reste « lié » à son employeur, d’un point de vue hiérarchique, en temps réels grâce aux NTIC. Ainsi, un télétravailleur en connexion permanente (par le biais d’Internet par exemple) avec son entreprise est à notre sens un véritable salarié, car le contrôle du temps et du contenu de son travail n’est en aucun point différent de celui d’un salarié exerçant dans un bureau de l’entreprise. La subordination juridique, telle que nous la connaissons en tant qu’élément de formation du contrat de travail, demeure la même dans son utilisation juridique. L’ultime remarque qui vient à nous n’est autre que le constat pouvant être établi au vu de nos développements précédents. Nous pourrions concéder au télétravail une spécificité en matière de la qualification de « salarié » au vu de l’activité. Pourtant, il nous faut garder à l’esprit que, même si cette qualification dépend beaucoup de situations de fait (intégration à un service organisé, possibilité de refuser le travail, …), le critère de la subordination reste emprunt de manière forte au Droit commun du travail. Et cette tendance à une très relative indépendance du télétravailleur salarié n’est certainement pas due à un recul de celle-ci ou à une dilution du pôle patronal58, mais plutôt liée à la reconstitution de ce dernier favorisé par les NTIC. La qualification de télétravailleur salarié n’est pas uniquement le fait de l’existence ou non de critères permettant de prouver un caractère salarié à la relation de télétravail. Le législateur lui-même entend qualifier de salariés certains travailleurs à distance. Le but du législateur est d’étendre le bénéfice de la législation du travail et/ou du régime de la sécurité sociale. B°) Les salariés assimilés par l’effet de la loi L’intérêt de cette remarque est qu’il peut arriver que le législateur permette à certaines professions, susceptibles de s’exercer à distance et au moyen des NTIC, d’être soumises à la législation du travail et/ou bénéficier du régime de sécurité sociale. Et cette assimilation se fera donc d’un point de vue du Droit du travail et/ou du régime de sécurité sociale (1). En son article L 721-6 du Code du travail59, le législateur a entendu assimiler les travailleurs à domicile aux salariés. Cela dit, le télétravail s’exerçant dans la majeure partie des cas au domicile du télétravailleur, il convenait de vérifier, en distinguant les différents régimes juridiques pouvant être relevés dans le cadre du télétravail (télétravailleur salarié de Droit 57 Nous entrerons plus en détail dans cette loi, désormais abrogée par la loi du 19 janvier 2000, lors de notre section consacrée au télétravailleur entrepreneur individuel (section 2 chapitre I titre 1). 58 pour reprendre l’expression de monsieur SUPIOT Alain in les nouveaux visages de la subordination, Droit social, n°2, février 2000, p. 135. 25 commun, télétravailleur à domicile, télétravailleur entrepreneur indépendant) (2), si un télétravailleur à domicile prend systématiquement, par effet de la loi, la qualité de télétravailleur salarié. 1°) Les assimilations effectuées par le Droit du travail et le régime de sécurité sociale Sur le plan du Droit du travail et comme nous venons de le dire, la première catégorie de télétravailleurs assimilés à des salariés est celle des télétravailleurs à domicile. L’article L 721-6 du Code du travail tend à absorber les travailleurs à domicile dans le bénéfice de la législation du travail, d’autant qu’après la loi du 13 novembre 1982, ce même article en son second alinéa vient préciser que les travailleurs à domicile « bénéficient des dispositions conventionnelles liant le donneur d’ouvrage, sauf stipulations contraires dans les accords en cause ». Autrement dit, le principe est la couverture par des accords d’entreprise ou de branche, et l’exclusion de cette protection conventionnelle une exception valable uniquement si elle est expresse. Dès lors, la question qui requiert notre attention est celle de savoir si la loi de 1957, relative au travail à domicile, résiste aux éventuelles particularités du télétravail. En effet, cette loi fut rédigée pour une majorité de femmes tissant robes et poupées de chiffon à leur domicile dans le but, soit de renforcer leur pouvoir d’achat en acquérant un supplément de revenu au travers des taches effectuées à domicile (soit pour le compte de leur propre employeur, soit pour d’autres établissements pour lesquels ces femmes ne travaillaient pas la journée), soit dans le but d’une source principale de revenus et dans les cas où trop d’enfants en bas âge les retenaient au foyer familial. Selon Monsieur le Professeur RAY60, cette loi de 1957 pouvait s’appliquer au télétravail sur l’intranet, et ce, même si le titre du Code du travail reste inchangé61. D’ailleurs, les trois conditions prévues par ce texte de 1957 demeurent les mêmes, à savoir : l’exécution d’un travail pour le compte d’un ou plusieurs établissements industriels, commerciaux ou agricoles (art. L 721-1-1 du Code du travail), l’existence d’une rémunération forfaitaire (art. L 721-1-1 du Code du travail), la non-nécessité de rechercher s’il existe un lien de subordination juridique, ni si le matériel ou les matières premières appartiennent au travailleur à domicile (art. L 721-1-2 du Code du travail). La volonté du législateur paraît 59 Article L 721-6 du code du travail : « les travailleurs à domicile bénéficient des dispositions législatives et réglementaires applicables aux salariés ». 60 RAY (J.E.), « NTIC et travail à domicile » in Le Droit du travail à l’épreuve des NTIC, Ed. liaisons, avril 2001. 26 donc très claire : la protection des travailleurs à domicile trop souvent malmenés dans les relations de travail, et cette protection se faisant quelles que soient les conditions d’exercice de la tâche à accomplir. Dès lors, le télétravailleur à domicile, qui entre dans la définition du travailleur à domicile telle que prévue à l’article L 721-1 du Code du travail, va bénéficier des conditions et de la protection livrées par la législation du travail. Le particularisme du télétravail à domicile, en ce qu’il constitue un mode spécifique d’exécution du travail, est en réalité pris sous la coupelle du Droit du travail. Une autre catégorie professionnelle, assimilée au régime des salariés sur le plan du Droit du travail, est celle des voyageurs représentants et placiers (VRP) susceptibles d’accomplir une tâche permanente en télétravail. Les VRP, en vertu de leur statut particulier (loi de 1957)62, sont traités comme des salariés à condition qu’ils ne fassent aucune opération pour leur compte personnel ; que le contrat les liant à leur employeur détermine la nature des prestations de services, les marchandises offertes à la vente, la région et la rémunération ; qu’ils exercent de manière exclusive et constante leur profession de représentant. De là, nous pourrions très bien imaginer un VRP à la fois télétravailleur, pour qui, l’activité de démarchage de clientèle et l’offre de produits à la vente se ferait, au principal, par les moyens de la télématique et des NTIC (par le biais d’e-mails, de télécopie, …) ; ce dernier se déplaçant chez ses clients (aspect voyageurs) une fois les pour-parlers effectués dans le cadre de son activité de télétravail. Ce télétravailleur aurait effectivement cette qualité dans la mesure où son activité de télétravail est permanente et ne correspond pas à un effet de l’activité de démarchage (par exemple, le fait de rendre compte à son entreprise des éventuels clients démarchés à la fin de chaque journée par le biais des NTIC et de la télématique). Ce télétravailleur VRP, pour qui le télétravail est une activité principale et permanente (même si cette activité ne lui prend que deux heures par jour), aura le statut de salarié au vu des effets de la loi de 1957. La troisième catégorie professionnelle est celle des journalistes professionnels63 pour laquelle le rapprochement avec le mode d’exécution télétravail est tout à fait possible. En effet, le journaliste professionnel, tel que défini à l’article L 761-2 64 du Code du travail, est considéré lié par un contrat de travail à l’entreprise ayant l’assurance de son concours moyennant rémunération. Cette présomption réside à tout mode ou montant de la rémunération ainsi qu’à 61 Industries de transformation, dans lequel un chapitre ultérieur est intitulé « conventions relatives au tissage, bobinage, coupe de velours, et apprêts des étoffes ». 62 loi du 7 mars 1957, voir JCP ed. CI, 1957, 60739, note BACCARA. 63 loi n° 74.630 du 4 juillet 1974. 64 Article L 761-2 du Code du travail : « le journaliste professionnel est celui qui a pour occupation principale régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs publications quotidiennes ou périodiques ou dans une ou plusieurs agences de presse et qui en tire le principal des ressources ». 27 la qualification donnée par les parties au contrat65. Le journaliste est dans toutes conditions et s’il correspond à la définition du Code du travail, considéré comme un salarié. Un journaliste professionnel, dès lors qu’il est détaché sur le territoire français ou à l’étranger, est par définition (étymologiquement) un télétravailleur. L’utilisation des moyens de communications, les NTIC et les télématiques, sont de plus en plus les outils principaux entrant dans l’exécution même de l’activité de journaliste. Et il n’est pas impossible de considérer un journaliste comme télétravailleur quand son activité de reporter se confond avec celle de reporter dessinateur ou de reporter photographe, qui sont de plus en plus liés aux NTIC (nous pensons notamment à l’utilisation d’Internet rendu incontournable pour l’envoi d’image photo, de création caricaturale lors de reportage « sur place » lorsque le temps ne permet plus d’utiliser les moyens les plus traditionnels). Quand l’activité de journaliste se confond avec l’utilisation permanente et principale des NTIC, nous pouvons le considérer comme un télétravailleur journaliste assimilable par l’effet de la loi à des salariés. Ces hypothèses se renforcent d’ailleurs lorsque nous examinons les cas des rédacteurs-traducteurs, sténographes-rédacteurs ou encore rédacteurs-réviseurs pour lesquels le mode d’exécution télétravail peut être encore plus en rapport avec leur condition de journaliste. Il nous faut savoir à titre indicatif que d’autres catégories sont assimilables à des salariés par effet de la loi, mais qu’il n’était pas pertinent de relever par rapport à notre étude (notamment les artistes du spectacle, les mannequins, et quelques gérants non salariés). Quant aux incidences du régime général de sécurité sociale cette fois, les catégories rattachées au régime des salariés sont plus nombreuses et figurent aux articles L 311-3 et L 412-2 du Code de sécurité sociale. Certaines catégories sont celles visées par le Droit du travail (d’ailleurs les plus intéressantes pour nous) comme les travailleurs à domicile, les VRP et journalistes. Mais la catégorie rattachée, tant par l’effet du Droit du travail que par celui du régime général de sécurité sociale, à la catégorie des salariés assimilés par l’effet de la loi, est celle des travailleurs à domicile. Nous retiendrons certes qu’un télétravailleur à domicile, entrant dans la définition du travailleur à domicile, est soumis à un tel régime et bénéficie de la législation du travail. Cependant, est-il systématique de considérer un télétravailleur à domicile comme étant un travailleur à domicile avec les effets que cela peut engendrer ? La situation du télétravailleur à domicile est plus complexe que l’on pouvait le croire. Il convient donc de mettre en avant les différentes situations possibles et pour lesquelles des distinctions sont à effectuer. 2°) Les distinctions à effectuer 65 article L 761-2 alinéa 2 du Code du travail. 28 Il s’agit de ne pas se tromper. Le télétravail à domicile ne pose pas de problème lorsque son exécution entre dans le cadre de la définition du travail à domicile. Cependant, bon nombre d’auteurs, et surtout Monsieur le Professeur RAY66, s’interrogent sur le fait de la délimitation de la frontière entre le télétravail indépendant et le salarié classique lorsque l’on est en présence d’un télétravailleur à domicile, ne remplissant pas toutes les conditions prévues à l’article L 721-1 du Code du travail. Il est donc important de trouver des éléments de distinction à la fois pertinents et durables. Ainsi que nous l’avons fait remarquer (cf. supra.), les conditions d’application du régime juridique du travail à domicile sont au nombre de trois. Mais pour distinguer le télétravail salarié « de Droit commun » du télétravail à domicile (même si tous deux sont considérés par effet de la loi comme des salariés), il nous suffit de nous reporter au mode rémunératoire de l’activité du télétravailleur. Dès lors que nous sommes en présence d’une activité de télétravail rémunérée forfaitairement67, le statut du télétravailleur sera celui du travailleur à domicile et ce, avec les effets que nous connaissons. En revanche, si le télétravailleur « à domicile » reçoit une rémunération mensuelle dont le montant est calculé au vu de ses compétences et qualifications, dans ce cas, nous sommes en présence d’un salarié de Droit commun. La rémunération étant versée en fonction des heures travaillées et des tâches confiées comme pour n’importe quel autre salarié de l’entreprise. Quant aux moyens de distinction existant entre un télétravailleur à domicile relevant du même statut qui le compose et celui du télétravailleur exerçant également à domicile mais ayant la qualité de travailleur indépendant, les moyens que nous avons mis en évidence, au travers la notion de l’intégration à un service organisé par et pour un tiers (cf. supra), doivent être plus clairement explicités. En effet, les principales causes du rejet de la qualification d’un télétravailleur exerçant à domicile en tant que relevant du statut du travailleur à domicile, sont notamment le fait que ce dernier demeure libre de contracter avec le co-contractant de son choix ; mais aussi qu’il peut refuser tout contrat et qu’il exerce son activité à ses dépens. Mais la distinction ne peut s’arrêter là. La loi du 11 février 199468 a été l’obstacle à la condition de télétravailleur à domicile bénéficiant du statut de l’article L 721-1 du Code du travail. En effet, jusqu’à la loi du 19 janvier 2000, une présomption de non-salariat (certes simple) pesait sur le télétravailleur lorsque ce dernier faisait l’objet d’une immatriculation au registre du commerce et des sociétés. Désormais, l’ancien article L 120-3 du Code du travail étant abrogé, la 66 RAY (JE.), Le Droit du travail à l’épreuve du télétravail : le statut du télétravailleur, Droit social, 1996, n°2, p. 121 et s. et du même auteur, Le Droit du travail à l’épreuve des NTIC, Ed. liaisons, avril 2001. 67 rémunération calculée sur un tarif de base, fixé à l’avance par les parties, en fonction de critères bien précis (tarif au mot traduit, à la ligne, selon la méthode utilisée) et résultant également des usages professionnels ou encore de décisions réglementaires. 29 distinction ou plus précisément, la charge de la preuve pesant sur le donneur d’ordre quant à l’existence d’un contrat d’entreprise plutôt que celle d’un contrat de travail ne cesse de s’accroître. La jurisprudence s’exerçant de plus en plus dans la stabilisation de certains critères. Cette distinction reste donc ténue puisqu’un donneur d’ordre qui supposerait n’être tenu que dans le cadre du statut du travailleur indépendant peut avoir l’amère surprise de voir requalifier l’activité « indépendante » en contrat de travail. Dès lors, nous pouvons considérer que l’émission de critères distinctifs entre les trois statuts que peut recouvrir le télétravailleur à domicile est tout à fait envisageable puisque ceux-ci reviennent souvent en jurisprudence. En revanche, il ressort bien de nos remarques que le télétravail n’est en aucun cas un moteur à la création d’un statut spécifique du télétravailleur, du fait de la « ponction » d’éléments du Droit commun du travail permettant la qualification des différentes activités de télétravail. Il ne nous paraît pas, pour l’instant et à ce stade, pertinent d’envisager une telle sollicitation envers le législateur dans la mesure où les critères mis en place par la chambre sociale de la Cour de cassation, doublés d’un appui sur les régimes juridiques existants dans le Code du travail semblent suffisants pour déterminer la qualité de télétravailleur salarié. Certes, il demeure quelques difficultés quant à cette détermination, mais aucune situation insurmontable pour le juriste de Droit social. Cela étant, l’objectif majeur est de vérifier l’éventuelle création d’une nouvelle condition du travailleur lorsque celui-ci est un télétravailleur. A ce stade, il est intéressant de mettre en avant les effets de la qualification de salarié pour le télétravailleur. §2 – LES EFFETS DE LA QUALIFICATION les deux principaux effets se constatent à deux niveaux très différents, l’un touche au Droit fiscal du télétravailleur salarié (A), et nous permettra de mettre en évidence d’éventuelles différences ou ressemblances avec le travailleur « classique » ; l’autre effet touche à la protection du télétravailleur salarié (B), protection sociale dépourvue de tout lien avec celle attribuée au salarié des entreprises. Ces deux domaines vont être sources de comparaison avec la situation du salarié taylorisé. La compréhension du télétravail n’en sera que plus précise. A°) La fiscalité du télétravailleur salarié 68 Dite loi Madelin qui fera l’objet d’un développement plus important (infra). 30 La fiscalité du télétravailleur salarié va être déterminée au regard de deux types d’imposition. La première correspondant en réalité aux effets de cette qualification par rapport à l’entreprise qui emploie le télétravailleur salarié et prend la forme d’un impôt reposant sur l’employeur : la taxe professionnelle (1). L’autre point de la fiscalité du télétravailleur salarié touche directement les revenus perçus par ce dernier et correspond à l’impôt sur le revenu (2). 1°) La taxe professionnelle Comme nous le savons, la taxe professionnelle est un impôt touchant chaque année les personnes tant physiques que morales exerçant à titre habituel une activité professionnelle non salariée. Nous comprenons ici que le télétravailleur salarié, par définition, n’est pas directement touché. Ce sera donc à l’employeur d’être redevable de cet impôt. D’ailleurs, la taxe professionnelle variera selon la valeur locative des immobilisations corporelles affectées à l’exercice de la profession. Cette imposition peut également varier selon les communes où sont installés des locaux ou terrain dont dispose l’employeur dans le cadre de l’activité de télétravail. Et l’employeur est entendu « disposer » lorsqu’il est soit locataire ou propriétaire. Ceci a pour conséquence le fait qu’un employeur, n’ayant que des liens de contrat avec le télétravailleur à domicile, ne doive être redevable de la taxe professionnelle sur les valeurs locatives ; hormis si celui-ci dispose de locaux distincts des habitations des télétravailleurs à domicile69. Pour sa part, la valeur locative du matériel mis à la disposition des télétravailleurs à domicile suit la même règle que celle du matériel des travailleurs à domicile tel que compris dans le Code du travail. Il s’agit ici d’une imposition dans la même commune que les salariés70. Mais ceci n’est pas le cas de la rémunération de ces télétravailleurs, dans la mesure où les salaires versés à ceux-ci sont imposables dans la commune de situation de l’établissement dont ils dépendent. Autrement dit, du lieu où est situé le bureau ou le centre hiérarchique auquel ils doivent rendre compte de l’activité. La remarque intéressante à faire ici est qu’il n’existe pas de particularisme fiscal lié à la situation du télétravailleur à domicile. Quant au télétravailleur salarié, tel qu’entendu par le contrat de travail, la situation ne soulève aucune interpellation retenant davantage notre attention : l’établissement de rattachement demeure celui de l’employeur, conformément à la doctrine administrative. Le télétravailleur salarié peut néanmoins être imposé au titre de ses revenus propres au terme de l’impôt sur le revenu. 69 70 BOI, 6 E-1-76 N°130. Instruction du 30octobre 1975, 6 E-7-76 N° 214 et instruction du 14 janvier 1976, 6 E-1-76 N°214. 31 2°) L’impôt sur le revenu Cet impôt sera, comme tout salarié de Droit commun, calculé en fonction du total de la rémunération. D’ailleurs, le télétravailleur salarié comme un salarié de l’entreprise est imposable dans la catégorie des traitements et salaires au titre de deux composantes : la première étant représentée par les éventuels avantages en nature constitués par l’utilisation à titre personnel du matériel mis à la disposition du télétravailleur71 (entre 2001 et 2003, le télétravailleur est exonéré de toute imposition et autre charge sociale)72 ; la seconde est le salaire proprement dit du télétravailleur. Et cette rémunération n’est pas sans poser certaines difficultés : en effet, lorsque le télétravailleur effectue un travail à domicile pouvant être cadré dans la définition donnée à l’article L 721-1 du Code du travail, la détermination de la rémunération ne posera pas de problème. Ce télétravailleur est donc exclu du champ de la rémunération mensuelle tout en étant garanti du SMIC. Et ceci, doublé des effets des conventions collectives de l’entreprise lui restant applicables, peu important le lieu où il travaille effectivement73. En revanche, pour le travail de conception, le salaire sera fixé par référence au niveau de compétence qu’elle requiert ainsi qu’à la nature de la tâche accomplie sans pour autant négliger la prise en compte du temps véritablement nécessaire à l’exécution de cette dernière. Dans ce cas, le calcul des heures supplémentaires devient délicat. En principe, le Droit commun reste applicable au télétravail, dans le cas où les télétravailleurs salariés ne seraient pas titulaires d’un forfait d’heures, puisque la majoration d’heures de travail ne peut être modifiée pour devenir des pseudo-frais professionnels (ou encore diluée dans des primes aux formes différentes sans lien direct avec le temps de travail). De fait, pouvons-nous affirmer l’existence d’un certain décalage entre le Droit commun et le calcul de la rémunération exacte du télétravailleur salarié ? Le danger en est des fraudes susceptibles d’être sources de sanctions du salarié par les services fiscaux (majoration, …). L’autre catégorie de revenus, susceptible d’être rattachée à la rémunération du télétravailleur, est le remboursement des frais professionnels74 : ces indemnités sont traitées de la même manière qu’en Droit commun, à savoir, qu’elles sont exemptées d’imposition du fait de leur caractère à couvrir les frais inhérents à l’emploi ou à la fonction. A partir du 71 Encore que l’utilisation du matériel (notamment informatique) soit rarement personnelle en dehors des heures de travail du télétravailleur dans la mesure où bon nombre de dispositions sont prises par les entreprises de manière à limiter les « fautes » de données confidentielles. Dans ce cas, peut-on encore parler d’utilisation personnelle ? 72 cf. article 4 de la loi de finances 2001. 73 Cass. Soc. , 6 mai 1998, n° 2277 D. 74 « L’employeur devrait verser une compensation couvrant l’ensemble des coûts supplémentaires liés au télétravail » (chauffage, électricité, assurance complémentaire, …), principe n°4 du dialogue sectoriel européen des télécommunications. 32 moment où ces frais sont conformément utilisés à leur objet, ils demeurent affranchis d’impôt et ce, pour l’ensemble des sous-catégories de télétravailleur salarié (télétravailleur à domicile, télétravailleur salarié par contrat de travail, …). Nous devons cependant remarquer que contrairement au salarié classique, le télétravailleur salarié peut déduire de son salaire imposable la fraction des dépenses engagées par l’usage, à titre professionnel, d’une partie de son habitation. Les dépenses déductibles (déduction forfaitaire de 10 %) sont essentiellement les dépenses d’entretien, de réparation ou d’amélioration, les dépenses locatives (nettoyage), les impôts locaux, le loyer et les sommes dues au bailleur (droit de bail, …), la dépréciation subie par l’immeuble voire même une part des intérêts de l’emprunt contracté pour l’immeuble des frais relatifs à la résidence principale. Ces dépenses déductibles seront calculées en fonction de la part que prend la surface destinée à l’usage professionnel comparativement à celle totale de l’immeuble75. L’évaluation de ces frais se fera forfaitairement. Il appartiendra donc au juge prud’homal, en cas de litige, de calculer les sommes dues par l’employeur76. Selon M. le Professeur RAY, le juge sera amené à reprendre le Code du travail dans sa partie consacrée aux frais d’atelier77. Dans notre examen des effets de la qualification de télétravailleur salarié, nous devons faire l’exposé des bénéfices tirés de la législation du travail que les travailleurs salariés des entreprises connaissent. En somme, notre étude ne peut être complète sans l’analyse faite de la protection sociale du télétravailleur salarié. En ce sens, il s’agira de mettre à jour les particularismes existant dans ce domaine très important de la condition du salarié. B°) La protection sociale du télétravailleur salarié De la même façon qu’un travailleur salarié classique d’une entreprise, le télétravailleur salarié (tant télétravailleur à domicile que celui ayant cette qualité de salarié par son contrat de travail) bénéficie de la législation du travail78. Ainsi, nous pouvons annoncer l’existence d’une certaine « protection sociale » à laquelle nous ne donnerons pas ici le sens communément entendu79 (législation du travail, mais aussi protection dans les instances représentatives du personnel, syndicalisme, conventions collectives). En effet, et en rapport à notre remarque précédente, deux questions principales constitueront notre analyse de la « protection sociale » du télétravailleur salarié : la protection du télétravailleur salarié en cas 75 Cf. BRETON (T.), ibid. Cass. Soc., 17 mai 2000, D. 2269. 77 RAY (J.E.), Le Droit du travail à l’épreuve des NTIC, p.77 78 cf. article L 721-6 du Code du travail (pour les travailleurs à domicile) et le second principe du dialogue sectoriel européen des télécommunication : « le télétravailleur est traité à égalité avec les salariés classiques […]. 79 Ces sujets seront traités davantage dans le cadre de l’étude des rapports collectifs de travail en matière de télétravail (chapitre II, titre I). 76 33 d’accident est-elle identique à celle du salarié classique ? Le télétravailleur salarié fait-il l’objet d’une protection particulière en matière d’hygiène et de sécurité ? Certes, ces questions sont d’emblée orientées vers le télétravailleur salarié exerçant son activité à domicile, mais elles auront l’utile effet de nous amener à la constatation d’un particularisme des accidents du travail en matière de télétravail (1) ainsi qu’au constat de normes adaptées d’hygiène et de sécurité (2). 1°) Le particularisme des accidents du travail Avant toute chose, il nous faut faire la remarque que l’accident de travail lié à la pratique ou à l’exécution d’une tâche de télétravailleur est, en réalité, une chose très rare (surtout dans le cas du télétravail à domicile). Mais le nombre réduit d’accidents du télétravail recensé par la CNAM ne nous exempte pas de donner à ce point particulier une grande importance. En effet, en matière de protection sociale, seuls ces quelques accidents du travail sont sources de différends juridiques. La notion d’accident du travail, telle qu’entendue par le Code de la sécurité sociale80 en son article L 411-181, soulève la délicate question de la preuve du caractère professionnel de l’accident en matière de télétravail. D’ailleurs, cette disposition du Code de sécurité sociale est souvent reprise dès lors que survient toute lésion aux temps et lieu de travail. Il en découle une présomption simple d’accident de travail pouvant être mise à mal par l’employeur ou la caisse de sécurité sociale, dès lors qu’il y a soustraction de l’employé à l’autorité du chef d’entreprise ou quand celui-ci apporte la preuve que l’accident est lié à une cause totalement étrangère au travail. Seulement, en matière de télétravail salarié (notamment télétravail à domicile), la question est de savoir comment prouver que la lésion est bien survenue aux temps et lieu de l’exécution de la tâche du télétravailleur. Ainsi, comme le remarque M. Breton dans son ouvrage, il paraît curieux de n’avoir que peu de décisions y relatives. Il semblerait donc qu’il n’y ait pas eu de discordance relative au constat des accidents du travail en matière de télétravail. Les employeurs étant chargés de la preuve contraire de l’accident de travail, une fois la matérialité de l’accident apportée par la victime, semblent se préférer dans une position d’acceptation de celui-ci : soit par le fait d’une totale confiance accordée au télétravailleur, soit par le manque de témoignages (souvent immédiatement demandés) de tiers présents au moment de l’accident ou peu de temps après (médecin traitant, pompiers voire même SAMU). 80 loi du 9 avril 1898. 34 Cela étant, la jurisprudence exclut de la protection des accidents du travail les accidents étrangers à la mission ou encore les accidents n’ayant pas été rapportés par le travailleur pendant le temps normal d’exécution de la mission82. Là encore, nous imaginons bien la difficulté de la preuve. Vérifier que l’accident est étranger à la mission paraît évident lorsque, à titre d’exemple, une télétravailleuse se brûle la main avec une casserole bouillante dans le but de faire la cuisine à son enfant pendant le temps où elle devait être normalement en connexion continue avec son entreprise. Mais comment prouver que l’accident survenu au télétravailleur, faisant un malaise, l’ait été pendant qu’il écrivait une lettre à son ex-femme ou bien pendant qu’il effectuait la mission de son entreprise ? L’entreprise se voit donc contrainte de devoir « supporter » une législation fort peu adaptée, dès lors que le contrôle physique du salarié n’est pas possible. De même, lorsque nous sommes en face d’un cas de télétravailleur nomade (comme les VRP), les notions de lieu et de temps de travail sont littéralement vidées de leur sens : l’unique moyen de vérifier l’existence juridique d’un accident de travail est d’examiner si le lieu de l’accident ou le moment de l’accident survenu étaient bien reliés au fait ou à l’occasion du travail (art. L 411-1 du Code de sécurité sociale). Autrement dit, seront considérés comme accidents du travail, les accidents de parcours liés à la mission. Les termes retenus par la jurisprudence sont tout simplement inadaptés à la matière du télétravail. L’ambiguïté demeure bien la même que celle du travailleur salarié classique, à savoir, celle du déplacement (occasionnel) du télétravailleur de son domicile à son entreprise ou de son domicile à son télécentre. En d’autres termes, le juriste de Droit social devra déterminer s’il y a accident de trajet83 ou accident de droit commun. Sans entrer dans les méandres de la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de Cassation à ce sujet, si le trajet est détourné ou interrompu par motif de l’accomplissement d’actes essentiels de la vie courante84, l’accident de trajet reste vérifié et nous ne sommes pas en présence d’un accident de droit commun. L’accident de trajet sera également retenu dès lors qu’il existe un lien entre le trajet et l’exécution du contrat de travail ou un motif dépendant de l’emploi. Il nous faut noter que la chambre sociale de la Cour de Cassation va effectuer une distinction entre l’accident de trajet et l’accident de travail du travailleur. L’accident survenu au cours du trajet effectué en rapport à une mission accomplie par ordre de l’employeur, non sur le 81 Article L 411-1 du Code de sécurité sociale : « est un accident du travail, tout accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail, qu’elle qu’en soit la cause, à toute personne salariée ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise ». 82 A titre d’exemple, l’apparition de lésion tardive fait tomber le jeu de la présomption. De même, une récidive subite et naturelle de l’affection précédente sans l’intervention d’une cause du travail : la présomption de l’article L 411-1 du Code de sécurité sociale est inefficace. 83 Article L 415-1 du Code de sécurité sociale, loi du 27 juillet 1957 « est un accident de trajet, l’accident survenu aux travailleurs pendant le trajet de la résidence au lieu de travail (et vice versa), dans la mesure où le parcours n’a pas été interrompu ou détourné par un motif dicté par l’intérêt personnel ou indépendant de l’emploi ». 84 Cass. Soc. , 13 octobre 1994. 35 parcours habituel entre le lieu de l’entreprise et le domicile du travailleur (ce qui se rapproche le plus de la situation du télétravailleur), ne saurait être considéré comme un accident de trajet. La qualification sera celle de l’accident de travail. En conséquence, quand l’employeur donne à son salarié l’ordre de se rendre à un endroit déterminé pour accomplir une prestation dans le cadre du télétravail, et dans l’intérêt de l’entreprise, le salarié est donc considéré sous la subordination de son employeur. Ainsi, nous pourrions éventuellement soutenir qu’un télétravailleur n’effectuant pas de détour et étant victime d’un accident de la circulation pourrait voir cet accident qualifié d’accident de travail puisqu’il s’agit du déplacement occasionnel indissociable de sa mission, et imposé par l’employeur (le fait de devoir rendre un travail confidentiel dans les mains du chef d’entreprise sans utiliser l’Internet par marque de sécurité ne rend cette mission terminée qu’une fois le travail rendu). Le télétravailleur reste dans le prolongement du lien de subordination. Certes, la Cour de Cassation a longtemps confondu le motif dépendant de l’emploi avec le prolongement du lien de subordination. Mais la théorie de la dualité mise en place par la chambre criminelle de la Haute juridiction tendra à considérer l’emploi comme une entité juridique indépendante du lien de subordination. En effet, certains déplacements sont imposés par le travail et donc liés à l’emploi alors que le contrat de travail ne fait pas l’objet d’une exécution directe85. Comme nous l’avons fait remarquer plus haut, concernant le télétravailleur à domicile, les solutions sont beaucoup plus délicates à exposer : les cas d’accidents survenant au domicile du télétravailleur sont presque inexistants. Ceci limite considérablement le champ du contentieux sur lequel nous aurions pu nous reposer pour en tirer des solutions récurrentes de la jurisprudence. De plus, la difficulté de preuve de la matérialité de l’accident de travail s’en ressent sauf à être connecté par son ordinateur à l’entreprise au moment de l’accident et ainsi vérifier que le télétravailleur travaillait bien. Dans les autres cas, le télétravailleur à domicile sera seul à avoir la possibilité de prouver la matérialité de l’accident de travail (avec les limites que cela engendre). C’est précisément ici qu’intervient la nécessité de mettre en place un système de protection des télétravailleurs à domicile pour les accidents dont l’employeur ou la caisse de sécurité sociale n’admettraient pas la qualification d’accident du travail. Ceci serait pertinent car la majorité des cas de télétravail se passent sans connexion continue à l’entreprise. Somme toute, la problématique soulevée par cette matière ne semble pas être insurmontable dans la mesure où, la jurisprudence applicable aux VRP et aux salariés classiques pouvait, le plus 85 Cass. Soc. , 11 mars 1970 : en l’espèce, il s’agissait d’un salarié effectuant un détour pour ramener un collègue : accident considéré comme dépendant de l’emploi. 36 souvent, être source de solutions tout à fait adéquates. Seul le télétravail à domicile reste sans solution. La protection sociale du télétravailleur peut également être caractérisée au travers l’existence de normes d’hygiène et de sécurité. 2°) Les normes d’hygiène et de sécurité En vue de protéger les travailleurs contre les dangers du travail et l’insalubrité de métier, un ensemble de prescriptions est peu à peu apparu et certains organismes ont vu le jour dans le même but. C’est alors que l’on a pu constater le développement d’une politique de prévention. L’article L 721-6 du Code du travail, nous l’avons vu, prévoit que les travailleurs à domicile bénéficient des dispositions législatives et réglementaires applicables aux salariés, donc des mêmes existants en matière d’hygiène et de sécurité. Ainsi, le télétravailleur à domicile peut, tout comme le télétravailleur salarié, en rapport à nos développements précédents, tout à fait être considéré comme des créanciers de ces dites normes de sécurité et d’hygiène86. Les mesures d’hygiène et de sécurité ont un double rôle : elles sont à la fois à but social, autrement dit, elles procurent au télétravailleur une protection contre les conditions pénibles ou dangereuses du travail, et d’autre part, elles ont un but économique du fait d’une augmentation de rendement et d’une propension à la baisse des perturbations résultant des accidents. Une première directive-cadre européenne du 12 juin 1989 a été suivie de trois importantes directives dans la même année (le 30 mai 1989) concernant les relations aux prescriptions minimales (lieux de travail, équipements, protection individuelle), et d’autres concernant, pour les travailleurs en entreprise, la circulation des machines et des équipements individuels de protection. De ces directives vont naître deux volets : d’abord, les obligations générales des employeurs, en particulier celles d’éviter et de mesurer les risques à la source ; ensuite, l’obligation de chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa sécurité et santé, et de celle des autres conformément aux instructions données par l’employeur dans le règlement intérieur87. Déjà, en 1976, le législateur intégra l’idée de sécurité notamment par des dispositions relatives aux problèmes humains posés par l’installation des machines et substances dangereuses88. 86 Voir également principe n°7 du dialogue sectoriel européen des télécommunications. Article L 230-3 du Code du travail. 88 Décrets du 20 mars 1979 et du 17 octobre 1988. 87 37 En matière de télétravail, et plus précisément en matière de télétravail à domicile, puisque cette qualification est tirée du statut même de l’article L 721-1 du Code du travail, l’article L 721-22 du même code prévoit que des arrêtés du Ministre chargé du travail peuvent déterminer les catégories de travaux qui, en raison des dangers qu’ils présentent pour la santé des travailleurs89, ne pourront être effectués par des travailleurs à domicile que sous certaines conditions. D’ailleurs, l’article L 721-22 du Code du travail met en place une responsabilité des chefs d’entreprise ou gérants qui auraient été tentés de faire exécuter des tâches à domicile dans des conditions irrégulières. Quant au télétravailleur salarié (notamment en télécentre ou nomade), la législation du travail lui semble, tout comme le télétravailleur à domicile, être applicable et notamment le droit de retrait90. Ce dernier correspond à l’image forte qu’est la sauvegarde de l’intégrité physique. Ce respect du « corps laborieux »91 fait assurément partie des droits fondamentaux des salariés et des télétravailleurs. Mais ces rappels de normes existantes effectués, il nous intéresse davantage d’étudier la réglementation particulière, liée aux matériels utilisés dans le cadre des missions de télétravail. En fait, la plupart des cas de télétravail sont liés à l’utilisation de l’ordinateur (logiciels, Internet, …) et donc à celle d’écrans de visualisation. L’informatisation croissante des postes de travail a suscité, depuis 1980, beaucoup d’interrogations concernant les conséquences des écrans de visualisation sur la santé de la population européenne92. Les trois principales catégories d’affection relevées93 par des spécialistes, médecins et ergonomes sont d’abord, les troubles visuels en raison de la durée prolongée d’utilisation de l’ordinateur, ensuite, la seconde consiste en des gênes neuro-psychologiques notamment les troubles du sommeil et la dernière serait le mal de tête qui recouvre la plus grande part des maladies liées à l’utilisation d’un écran. Ces résultats ne sont pas sans incidence pour l’inspection du travail puisque le Ministère du travail vient de concevoir un nouveau modèle de rapport permettant de recueillir des données spécifiques sur les populations concernées. A ceci, il faut ajouter les radiations électromagnétiques pulsées (ondes de basses fréquences) des écrans à tube cathodiques nocives à la santé de l’utilisateur sans oublier leurs effets sur la peau94. Un décret du 14 mai 199195, concernant la prévention des risques liés au travail sur 89 Le code emploie le terme « ouvriers ». article L 231-8 ali.1 du Code du travail. 91 BONNECHERE (M.), le corps laborieux : réflexion sur la place du corps humains dans le contrat de travail, Droit ouvrier, 1994, p. 173, voir aussi WAQUET (Ph.), les libertés dans l’entreprise, RJS, 2000, p. 335. 92 INSERN Actualités, « travail sur écran », février 1996, n° 142. 93 FERRAT (D.), le travail sur écran est-il nuisible à la santé ?, Liaisons sociales- le mensuel, janvier 1996, p. 30 et s. 94 de nombreux tests de laboratoire confirment les affections provoquées par ces ondes (érythème, prurit, peau sèche,…). 95 Décret n°91-451. 90 38 écran de visualisation a donc été promulgué, et explicité par une circulaire du 4 novembre 1991. Ce dernier concerne les travailleurs qui utilisent des équipements de visualisation par écran cathodique de façon habituelle et durant une partie non relative de leur temps de travail. La principale mesure de ce décret est de mettre en place des temps de repos périodiques afin de limiter tout risque pour le travailleur ou le télétravailleur lié à l’astreinte visuelle que son activité nécessite. Il nous semble bien que le télétravailleur, s’il entre dans ces conditions d’application du décret, ne nécessite pas de législation particulière. En effet, tant en matière de travail classique que de télétravail, le temps quotidien du travail sur écran, la périodicité des pauses et leurs durées, sont déterminées en fonction de l’établissement, de l’organisation au sein de l’entreprise ou encore de la tache à accomplir. Autrement dit, aucune disposition spécifique pour le télétravailleur n’est actuellement prévue par les textes. La seule difficulté, émanant de la situation du télétravailleur à domicile et de celle du télétravailleur nomade, est qu’il paraît impossible de vérifier l’application de ces dispositions. L’employeur ou le donneur d’ordre se doit donc de prévenir les risques, en informant le télétravailleur des conditions de travail auxquelles il a le droit ainsi que des précautions à prendre. Il nous faut enfin remarquer que le texte précise qu’il s’agit de l’utilisation d’écran alphanumérique ou graphiques, ce que certains employeurs96 utilisent pour démonter toute demande du travailleur sur écran (aménagements des temps de pause, de repos des yeux, …). Mais l’objectif des directives européennes est de protéger le maximum de travailleurs. Ainsi, le moyen de l’employeur précisant qu’un travailleur « posté devant un écran traversé d’images électroniques et non devant un écran alphanumérique » n’a aucun poids devant la Cour du Luxembourg. La protection du salarié prend alors le pas sur le champ d’interprétation de la notion d’« écran graphique ». En résumé, le télétravailleur salarié reste bien protégé par les dispositions communes aux salariés classiques, et demande à ce qu’aucune particularité ne soit faite en cette matière. Une fois l’étude faite du statut du télétravailleur salarié, et ainsi retracées les quelques particularités et difficultés, il convient de se pencher sur le cas des télétravailleurs entrepreneurs individuels. Certes, ce dernier se trouve (par définition) en dehors des complications que peut connaître le télétravailleur salarié, notamment en matière de subordination ou de protection sociale. Mais, il n’en est pas moins intéressant d’en faire l’examen dans le but de fixer les règles spécifiques, ainsi que les apports législatifs récents. 96 Cf. jurisprudence CJCE 6e chambre, 6 juillet 2000, Dame Dietrich, Droit ouvrier, janvier 2001, note MEYER, p. 31 et s. 39 SECTION II – LE TELETRAVAILLEUR ENTREPRENEUR INDIVIDUEL Comme pour la qualification de télétravailleur salarié, le télétravailleur indépendant97 devra répondre à certains critères pour être juridiquement considéré comme tel. Ces critères ont été, entre autre, le fruit du travail du législateur notamment au travers deux lois antagonistes que nous connaissons : la loi Madelin du 11 février 1994 et la loi Aubry II du 19 janvier 2000 (§ 1). Cette indépendance dans le télétravail ne sera pas, à l’identique du télétravailleur salarié, sans engendrer quelques effets (§2). §1 – LES CRITERES DE L’INDEPENDANCE Les critères qui seront exposés ici sont ceux communément admis pour déterminer s’il y a ou non-activité d’entreprise individuelle. Ils prennent donc la forme de principes (A). Cela dit, la loi Aubry II vient bouleverser ce qui avait été considéré comme acquis depuis 1994. Ces apports n’étant pas sans intérêt, il nous fallait en faire l’exposé afin de démontrer les oppositions avec la loi du 11 février 1994. (B) A°) Les principes Ces principes sont au nombre de deux : le premier tend à analyser la capacité d’être un entrepreneur (1) tandis que le second correspond à une exécution d’un contrat d’entreprise (2). 1°) La capacité d’être un entrepreneur Il ne s’agit pas là d’examiner la capacité juridique. Il doit être aussi fait examen de l’exécution ou non d’un contrat d’entreprise pour qualifier le travailleur de télétravailleur indépendant ou individuel. Ce premier principe est incontournable pour évaluer la qualification d’une personne pouvant se présenter comme un entrepreneur individuel. Ainsi, la qualification de télétravailleur individuel sera bien sûr soumise aux qualités même du télétravail (correspond à la définition donnée en introduction), mais surtout au fait que cette personne soit en mesure d’avoir les moyens de présenter les caractéristiques d’une entreprise. 97 cette terminologie reprend celle de télétravailleur entrepreneur individuel. 40 Pour ce faire, seule la recherche d’une structure opérationnelle permettant d’exécuter les missions visées par le donneur d’ordre est à effectuer au niveau du télétravailleur. Les principaux moyens de vérification sont, en matière de télétravailleur, l’ensemble des outils de télématique et de NTIC, ainsi que la puissance économique de cette micro-entreprise. Une autre forme de contrôle peut être effectuée concernant la compétence spécifique demandée au télétravailleur pour l’exécution des missions à réaliser. En effet, nous considérerions avec beaucoup de mal une personne se disant télétravailleur indépendant en conception informatique sans bénéficier de telles connaissances. 2°) L’exécution d’un contrat d’entreprise Le contrat d’entreprise peut être vérifié au travers l’existence de trois conditions. La première consiste en la détermination précise de la prestation à fournir, elle-même fixée par une durée d’exécution et une rémunération forfaitaire. La seconde condition tient au fait que le télétravailleur doit être totalement indépendant dans l’exécution de sa prestation. Autrement dit, la personne physique ou morale recevant la prestation ne doit intervenir, dans le cadre de l’exécution, ni au niveau des moyens matériels nécessaires à l’exécution, ni au stade du personnel susceptible d’aider le télétravailleur dans sa tâche (collaborateur, techniciens, …). A partir du moment où il y a immixtions du donneur d’ordre dans l’exécution et le déroulement des travaux, le constat d’un lien de subordination entre le donneur d’ordre et le travailleur peut être fait98. La dernière condition porte sur l’existence d’une pleine responsabilité du télétravailleur individuel. La responsabilité du télétravailleur est indispensable pour confirmer la qualité d’indépendant qu’il peut avoir. En effet, il ne peut y avoir de travailleur entrepreneur individuel rejetant la responsabilité du travail exécuté sur son donneur d’ordre. S’il en était ainsi, le contrat d’entreprise pourrait être requalifié en contrat de travail. Le donneur d’ordre n’est donc plus inscrit dans un contexte entreprise individuelle par rapport au client mais plutôt dans un schéma hiérarchique l’amenant à prendre la responsabilité des actes de l’exécutant. Ainsi, il nous est possible de remarquer , qu’à la différence de l’employeur qui contrôle l’ensemble du travail du télétravailleur au cours de l’exécution, le donneur d’ordre contrôle la parfaite exécution du travail une fois ce dernier réalisé. De ce fait, le télétravailleur individuel ne pourra recevoir de commentaires une fois sa tache exécutée et, dans le cas où celui-ci n’est pas conforme aux exigences du contrat initial, sa responsabilité sera engagée (notamment économique). 98 Cass. Soc. , 2 avril 1992, Bull. civ. V, n° 241. 41 Les deux critères que nous venons de retracer, aidant à la qualification de travailleur entrepreneur individuel, ont été complétés par la loi Madelin dans le but de favoriser le travail indépendant. Cependant, Madame Martine Aubry, par sa loi du 19 janvier 2000, est venue annuler ce qui constitua, depuis 1994, la sécurité juridique des donneurs d’ordre. Ce modèle de sécurité étant ainsi remis en cause, les apports constatés de la loi Aubry II semblent nous éclairer sur les possibilités de qualification du télétravailleur indépendant. B°) Les apports de la loi Aubry II99 Avant toute chose, l’analyse des modifications apportées n’ont de sens qu’à la lumière de l’abrogation, suggérée par ladite loi Aubry II, de l’ancien article L 120-3 alinéa 1 et 2 du Code du travail (2) issu de la loi Madelin. Cette dernière, mettant en place jusqu’en 2000, au travers son article 49, une grande sécurité juridique pour les donneurs d’ordre (1). La question à laquelle nous tenterons désormais de répondre, est celle de savoir s’il y a une requalification systématique du contrat d’entreprise en contrat de travail ? 1°) L’article 49 de la loi Madelin du 11 février 1994 Cet article fut l’accomplissement d’une grande nouveauté apportée au droit français100. En effet, l’application du nouvel article L 120-3 du Code du travail (article 49 de la loi Madelin), qui visait directement le télétravail, créait une présomption de non-salariat pour le télétravailleur immatriculé au registre du commerce ou au répertoire des métiers (pour les artisans). Selon la rédaction de l’ancien article L 120-3 du Code du travail, cela écartait a priori tout lien de subordination. Le télétravailleur entrait donc dans le champ de qualification du télétravail indépendant sans difficulté, puisque cette présomption avait pour effet principal d’éviter une requalification du contrat d’entreprise en contrat de travail. Le contrat d’entreprise est évidemment la forme préférable aux donneurs d’ordre dans la mesure où celle-ci permet de limiter considérablement la protection sociale, de même qu’elle favorise la flexibilité du travail. Et cette présomption tend à un renversement de la preuve en cas de contentieux : le demandeur étant présumé non-salarié, il lui appartenait donc de prouver qu’il était subordonné à un employeur. Cette loi Madelin, « relative à l’initiative et à l’entreprise individuelle », n’avait pour autre but que de privilégier le travail indépendant. Cependant, il aurait été fort peu pertinent, au vu des innombrables principes de protection du salarié, de maintenir cette présomption de non-salariat en présomption irréfragable. 99 LOI N° 2000.37 du 19 janvier 2000 dite « loi Aubry II ». RAY (J.E), le droit du travail à l’épreuve du télétravail : le statut du télétravailleur, ibid., p.125. 100 42 En effet, même s’il en était autrement dans le projet initial, le second alinéa de l’article L 1203 du Code du travail disposait : « toutefois, l’existence d’un contrat de travail peut être établie lorsque (le télétravailleur) fournit, directement ou par une personne interposée, des prestations à un donneur d’ouvrage dans des conditions qui le placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci ». Ceci allait dans le droit sens des volontés de Monsieur J. Barthélémy101, pour qui, « éviter les requalifications abusives » était l’essentiel. La qualification de télétravailleur indépendant était certes subordonnée à l’immatriculation au RCS, mais légalisait un critère jurisprudentiel de subordination juridique. On assistait bien à un retour de l’ordre public de protection pourtant jugé trop paralysant par le législateur en 1994. La remarque qui pouvait, jusqu’en 2000, faire élever quelques discussions était celle de l’adjectif ajouté aux termes de subordination juridique. L’adjectif « permanente » gardait alors l’objectif caché d’exclure, à terme, une partie du salariat que nous connaissons, n’entrant plus alors dans ce cadre de « subordination juridique permanente » (CDD, temps partiel). En ce qui concerne la première partie du terme, celui-ci reprend le principe connu des juristes de Droit social dénommé « principe de réalité ». En revanche, le « cloisonnement » effectué par l’adjectif « permanente » n’est désormais plus d’actualité. Alors que d’éminents auteurs faisaient dépendre l’avenir de la loi Madelin de l’interprétation que les juges pouvaient faire de l’ancien article L 120-3 du Code du travail, c’est en réalité le législateur lui-même qui est venu définitivement (peut-être) écarter ces dispositions. 2°) L’abrogation de l’ancien article L 120-3 du Code du travail La loi Aubry II du 19 janvier 2000 a abrogé l’ancien article L 120-3 du Code du travail, ce qui a pour conséquence directe la « mise au placard » de la présomption de nonsalariat redonnant ainsi toute l’ampleur de la protection des subordonnés. Ceci conjugue d’ailleurs mieux les décisions de la Cour de Cassation qui tendait à croire davantage en la situation délicate des travailleurs (les forçant à tout accepter de leur co-contractant en matière de clauses contractuelles), et ainsi être plus facilement assimilables à des travailleurs indépendants. Cette loi de RTT conserve cependant, en des termes différents, le contrôle par le juge des éléments permettant d’établir l’existence d’un contrat de travail. Le législateur remplace l’éventuelle « subordination juridique permanente » par des « conditions qui permettent d’établir l’existence d’un contrat de travail ». La volonté reste la même : protéger 101 BARTHELEMY ( J.), rapport au CES du 28 avril 1993, JCP, 1994, ed. E, p. 361 et s. 43 le salariat tout en essayant de ménager les volontés parfois occultes des rédacteurs de la loi Madelin. Le législateur, par ces dispositions récentes, nous ramène au statu quo ante (avant 1994) et vient amplement diminuer le champ de qualification du télétravail indépendant. La suppression des termes « subordination juridique permanente » ainsi que l’annulation de la présomption de non-salariat en étaient les principales causes. La retour de la technique du faisceau d’indices (cf. Supra) nous porte à croire à une remise en cause certaine de la sécurité juridique du donneur d’ordre dans la mesure, où ce dernier n’est plus à l’abri d’une requalification de son contrat d’entreprise en contrat de travail. Mais cette requalification reste soumise à l’analyse des juges et n’est pas systématique. Le télétravailleur, qu’il soit indépendant ou salarié, bénéficie sans nul doute d’une protection suffisante, en dehors de toute action spécifique menée en sa faveur. La loi Aubry II nous remet alors dans la perspective des trois statuts possibles pour le télétravailleur (télétravailleur indépendant, télétravailleur à domicile, télétravailleur salarié de Droit commun). Cela dit, être un télétravailleur indépendant reste tout à fait envisageable au vu de la volonté mutuelle et commune devant animer les partenaires d’une activité de télétravail102. La question des effets de la qualification de télétravailleur indépendant se trouve, de ce fait, enveloppée dans cette possibilité. Et les éventuelles particularités doivent être, dans le cadre de notre étude, mises en avant. § 2 – LES EFFETS DE LA QUALIFICATION Le législateur a depuis longtemps pour objectif de lutter contre le travail clandestin. La loi du 31 décembre 1991103 en est l’illustration parfaite et demeure d’ailleurs tout à fait pertinente au regard des dissimulations que le télétravail indépendant permet. Ceci risque d’influencer la nature des rapports entre le télétravailleur et son donneur d’ordre (A), au vu des effets de cette législation. De même, les rapports entre les protagonistes du télétravail indépendant n’existeront qu’au terme d’une réglementation spécifique à l’entreprise individuelle, applicable au télétravailleur indépendant. Le statut de ce dernier nous amène donc au relevé de certaines dispositions fiscales et de sécurité sociale adaptées (B). A°) L’analyse des rapports entre le télétravailleur indépendant et son donneur d’ordre 102 103 principe 1er du dialogue sectoriel européen des télécommunications du 11 janvier 2001. Loi n°91-1383 du 31 décembre 1991, suivie de la loi du 11 mars 1997, cf. article L 324-9 du Code du travail. 44 La nature de ces rapports va être orientée par deux types de règles. D’une part, la loi du 31 décembre 1991 sera source d’obligations d’informations spécifiques, à savoir celles qui consistent pour le donneur d’ordre à se renseigner sur le télétravailleur indépendant, en raison de sa qualité d’entreprise individuelle (1). D’autre part, les textes de Droit économique semblent obliger une fixation claire des méthodes de prestation et de vente (2). 1°) Le donneur d’ordre et son devoir de s’informer Comme nous l’avons déjà dit, le renforcement de la lutte contre le travail clandestin, opéré par la loi du 31 décembre 1991, a eu pour conséquence certaines obligations spécifiques s’accordant aisément avec la matière du télétravail indépendant. En effet, le législateur a fixé une obligation pour le donneur d’ordre de recueillir des informations sur l’entrepreneur individuel (télétravailleur) avec lequel il contracte. Le principe qui en ressort est que toute personne ayant volonté de contracter avec un entrepreneur individuel, dont l’obligation objet du contrat est d’un montant supérieur ou égal à 20 000F (˜ 3049 euros), doit veiller à l’existence d’une immatriculation au RCS ou au répertoire des métiers. Dans le cas contraire, le donneur d’ordre doit faire cesser l’activité. Il en est de même en cas d’usage de personnel non déclaré aux organismes de protection sociale. En cas de non-respect de ces dispositions (il qu’il y aurait donc constitution d’un travail illégal ou clandestin) par le télétravailleur indépendant, doublé du non-respect par le donneur d’ordre de s’informer si le télétravailleur indépendant s’était acquitté de ses obligations, le donneur d’ordre se trouve tenu d’une solidarité (économique) avec le télétravailleur clandestin104. Les sanctions pécuniaires qui en découlent sont donc le paiement des impôts, des taxes et amendes dus au Trésor public. Cela étant, la charge de la preuve du non-respect de l’obligation de s’informer pour le donneur d’ordre sur l’exécution des formalités du télétravailleur indépendant appartient aux demandeurs (les créanciers : Trésor Public, salariés, URSSAF, ASSEDIC, …). Les créanciers peuvent prouver le non-respect de ces dispositions en relevant que le donneur d’ordre connaissait la situation irrégulière du télétravailleur indépendant. Tout ceci nous amène à analyser le lien entre les deux protagonistes de l’activité de télétravail en tant que chacun d’entre eux doit tendre au respect mutuel des procédures. La lutte contre le travail dissimulé (loi de 1997) est en progression constante. Le télétravail indépendant étant d’autant plus dissimulable, il est nécessaire d’établir des relations de confiance et des rapports privilégiés entre les cocontractants. Pourtant, là encore, la législation actuelle est sans conteste suffisante pour encadrer les éventuelles irrégularités. Il n’y a pas ici la preuve de la constitution d’une 104 Loi du 17 octobre 1987 modifiée par celle du 11 mars 1997. 45 nouvelle condition de travailleur indépendant au sein du télétravail individuel, qui serait susceptible de vider de son sens la législation actuelle relative au travail dissimulé. Mais certaines dispositions de Droit économique viennent renforcer une certaine spécificité des rapports entre le donneur d’ordre et le télétravailleur indépendant. Les dispositions mettent en place l’obligation de fixation précise des conditions de la prestation. 2°) L’obligation de fixation et de communication des modalités d’exécution du contrat d’entreprise L’ordonnance du 1er décembre 1986105, en son article 33, précise que « tout producteur, prestataire de services, […], est tenu de communiquer à tout acheteur de produit ou demandeur de prestation de services pour une activité professionnelle, qui en fait la demande, son barème de prix et ses conditions de vente ». Il découle de cet article que le télétravailleur doit communiquer ses conditions générales de vente et de fixation des prix. Le second alinéa de l’article 33 de l’ordonnance précise que les conditions de règlement font partie des conditions générales de fonctionnement du professionnel (télétravailleur indépendant). Ceci oblige le télétravailleur indépendant à déterminer par avance les conditions générales de ses prestations dans le cadre de son activité, et n’empêche pas la conclusion d’un contrat distinct fixant des conditions particulières avec le cocontractant. La relation donneur d’ordre - télétravailleur indépendant ne souffre pas d’un régime lacunaire. Bien au contraire, leurs rapports sont largement conditionnés par la législation actuelle. B°) Les conséquences classiques de la qualification de télétravailleur indépendant Comme pour le télétravailleur salarié, le télétravailleur entrepreneur individuel va subir les effets de sa qualification et de son régime juridique. Conformément à nos interrogations initiales, nous pouvons soulever l’hypothèse d’un régime particulier notamment fiscal (1) mais également en terme de sécurité sociale (2). 1°) La fiscalité du télétravailleur indépendant Contrairement au télétravailleur salarié qui est imposable au titre des traitements et salaires, le télétravailleur indépendant relève, lorsqu’il est imposable à l’impôt sur le revenu, 105 Ordonnance n°86-1243 relative à la liberté des prix et de la concurrence. 46 des catégories des bénéfices industriels et commerciaux ou bien des bénéfices non commerciaux. La distinction faite par l’ordonnance fiscale est, en réalité, effectuée en fonction des activités de télétravail en cause. Tant pour les bénéfices industriels et commerciaux (BIC) que pour les bénéfices non commerciaux (BNC), le régime d’imposition variera en fonction du chiffre d’affaire annuel (il s’agira soit d’un régime forfaitaire, réel ou réel simplifié). Le télétravailleur indépendant, au même titre que le télétravailleur salarié de Droit commun ou le télétravailleur à domicile, est donc soumis aux règles de Droit commun. En matière de travail indépendant et a fortiori de télétravail indépendant, le télétravailleur sera appelé « assujetti » selon l’article 256-A du Code général des impôts. L’assujetti est considéré exercer son activité économique de manière indépendante. Et, au regard de l’imposition sur le chiffre d’affaire, le télétravailleur indépendant sera soumis à la TVA ; cet assujettissement n’étant fonction que du critère établi de l’indépendance ou non. A nouveau, nous confirmons que le télétravail fonctionne sans l’élaboration de règles adaptées ; seules les appréciations d’un critère de subordination restent aléatoires. Pour autant, le télétravailleur indépendant bénéficie d’une couverture sociale, elle aussi, sans changement avec d’autres professions exercées de manière libérale. 2°) La sécurité sociale du télétravailleur indépendant Dans ce domaine, peu de choses sont à ajouter à ce que nous connaissons déjà au régime des non-salariés non-agricoles. Ce télétravailleur indépendant ne peut pas bénéficier d’un autre régime de protection sociale tant sur le plan de l’assurance maladie, de l’assurance vieillesse, ou des prestations sociales (invalidité, décès, maternité) et de la retraite complémentaire ; sauf à prouver des conditions qui permettent d’établir l’existence d’un contrat de travail (article L 120-3 du Code du travail) ou encore un lien de subordination avec le donneur d’ordre. Ces faisceaux d’indices conduisent à la requalification du contrat d’entreprise en contrat de travail, et donc au changement de régime de protection sociale. La dernière remarque que nous pouvons faire est que le télétravailleur entrepreneur individuel ne bénéficie, à l’instar du télétravailleur salarié, de prestations de chômage. Pour conclure ce premier chapitre, nous pouvons largement soutenir, en matière d’aspects individuels du télétravail, la thèse suivante : le télétravail, certes ballotté en trois régimes juridiques distincts, ne semble pas supposer la création d’un régime spécifique. Les différents statuts juridiques qu’il recouvre et les principales conséquences y relatives sont essentiellement recouverts par la législation en vigueur (même si cette dernière est récente). Il n’en demeure pas moins que le juriste en Droit social doit parfois faire preuve d’imagination et de dextérité, mais n’est-ce pas là, comme le soutient Monsieur le Professeur RAY, la 47 preuve d’être un « vrai » juriste. Si les aspects individuels du télétravail nous amènent à ce bilan, qu’en est-il des rapports collectifs du travail en matière de télétravail ? CHAPITRE II LE TELETRAVAIL ET LES ASPECTS COLLECTIFS DE TRAVAIL La modernité du télétravail dérange. Même si le législateur entend considérer certains télétravailleurs comme des salariés classiques (cf. le télétravailleur à domicile), le télétravail semble être incompatible avec ces dispositions. Comme nous l’avons vu précédemment, le droit individuel du travail est parfois délicat à appliquer sans pour autant nécessiter quelques modifications prononcées par le législateur. La question qui en découle logiquement est celle de savoir ce qu’il en est effectivement de l’autre type de relation du travail, à savoir les relations collectives du travail ? Il s’agit aussi de savoir si les rapports sociaux et collectifs difficiles du télétravail rendent indispensable la création de dispositions spécifiques ? Le télétravail se détache t-il du cadre législatif commun en matière de rapports collectifs ?106 Les relations collectives de travail reprennent les idées d’un lien collectif de travail au travers l’existence de conventions collectives, d’une représentation professionnelle et syndicale, … C’est là que les choses se compliquent. Le télétravailleur salarié, travaillant (par définition) hors des abords immédiats de l’entreprise, risque de ressentir un profond éloignement de sa communauté de travail au vu des relations collectives qu’entretiennent les salariés classiques. Ainsi, va naître la nécessité de favoriser un rapprochement entre le télétravailleur et sa communauté de travail (section 1) ; rapprochement s’effectuant par le maintien d’un lien particulier avec les acteurs de la représentation professionnelle (syndicats et comités d’entreprise) (section 2). SECTION I – LE NECESSAIRE RAPPROCHEMENT A LA COMMUNAUTE DE TRAVAIL 106 Nous abandonnons ici le cas du télétravailleur indépendant 48 Marginalité, stress, mise à l’écart, … , sont autant de sentiments que peuvent ressentir les télétravailleurs salariés (surtout ceux exerçant leur travail à domicile). Les relations collectives du travail sont donc rendues plus délicates du fait de la distance entre les cocontractants. Et, même si ces paramètres de la vie professionnelle n’entrent pas dans le cadre juridique proprement dit des relations collectives de travail, ils n’en demeurent pas moins intéressants au constat manifeste du besoin des télétravailleurs salariés (cf. télétravailleur à domicile) d’un lien virtuel collectif de travail (§1). Ce dernier ne trouvant son soulagement qu’au travers un moyen juridique cette fois : l’existence d’accords collectifs (§2). §1 – LE BESOIN D’UN LIEN VIRTUEL COLLECTIF DE TRAVAIL Le motif de ce besoin se trouve essentiellement dans le stress particulier généré par le télétravail (A). Et le travail à distance, conjugué à l’utilisation d’un moyen de communication virtuelle (Internet, intranet, fax, …), est le principal déclencheur de ce mal professionnel du XXIeme siècle. Ce stress prouve bien la défaillance du « système » de lien collectif, pourtant si efficace en matière de rapports collectifs classiques. A ce stade, il nous fallait rechercher quelques solutions (non juridiques) pour envisager une amélioration de cette forme de relations collectives (B). A°) Le stress particulier généré par le télétravail Les deux principales sources de ce stress sont le phénomène de solitude et d’isolement par l’indépendance que le télétravail peut provoquer (1) ainsi que le sentiment d’une certaine perte de reconnaissance (2). 1°) La solitude par l’indépendance Le premier phénomène lié au télétravail (à domicile principalement) est le sentiment de solitude du télétravailleur. Ce dernier se trouve le plus souvent seul face à son ordinateur, et cette forme d’indépendance dans l’exécution du contrat de travail peut dérouter. Comme en témoignent bon nombre de télétravailleurs107, le télétravailleur tombe dans une sorte de dépression et tend à regretter ses collègues de travail qui forment une communauté à laquelle tout travailleur classique (ou presque) peut s’y sentir rattaché. D’autant qu’au-delà de cette 107 voir les propos recueillis par DELAUNAY (E.), « mon collègue de bureau est un contrat », Libération, 3 juillet 2000, p. 12. 49 solitude, l’amalgame vie privée-vie professionnelle est susceptible d’effacer tous les repères du travailleur classique d’antan. La première conséquence en est qu’il y a une période d’adaptation où le télétravailleur n’est plus productif, le temps qu’il adopte un rythme, ce qui n’est pas pour arranger l’entreprise (un effet inverse étant recherché). Cette dépression et ce stress peuvent naturellement déboucher sur un congé maladie, duquel l’entreprise se passerait volontiers. Dès lors, peut se mettre en place un cercle vicieux par lequel l’employeur va attendre du télétravailleur, au retour de ce congé, une augmentation de la productivité pour laquelle le télétravailleur ne sera encore pas près. La boucle est alors bouclée. De même, le télétravailleur à domicile peut devoir faire face à diverses sources de travail, qui donnent à ce dernier un rythme de travail jusqu’alors inconnu. Clients, collègues au téléphone, e-mails, seront dépendants d’un seul et même télétravailleur alors qu’en cas de travail classique, le salarié peut demander à un collègue de le décharger de quelques tâches. En matière de télétravail, ce n’est pas possible. De manière à ne pas mettre le télétravailleur dans une position psychologique délicate, il convient alors de le maintenir dans un solide réseau de relations internes, car le télétravail (à domicile) fragilise le sentiment d’appartenance. Au-delà de cette solitude, le télétravailleur ressent souvent le sentiment d’une perte de reconnaissance. 2°) Le sentiment d’une perte de reconnaissance Le télétravail est-il synonyme de retard dans l’avancement ? Là aussi, les télétravailleurs sont nombreux à évoquer un certain ralentissement dans leur carrière. Le télétravailleur qui n’est pas en connexion permanente se demande parfois si son employeur ne l’imagine pas plus en période de repos plutôt qu’être occupé à sa mission. De la même manière, certains télétravailleurs estiment ne pas bénéficier des mêmes possibilités de formation. Or, pour ces deux points précis, le comité européen du dialogue sectoriel des télécommunications propose en son principe n°5 que « le télétravailleur aura accès aux mêmes possibilités de formation, de déroulement de carrière, et de promotion que les autres salariés travaillant dans les locaux de l’entreprise ». Cela dit, l’absence de toute mobilité géographique peut avoir des conséquences néfastes sur la reconnaissance amenant à une promotion108. Cependant, la perte de reconnaissance peut effectivement exister, puisque les relations de travail entre le supérieur hiérarchique direct et 108 RAY (J.E.), Ibid, p. 53. 50 le salarié classique sont des relations humaines, et que le télétravail passe d’une dimension émotionnelle de la relation à une dimension de passage d’information. L’appartenance à la communauté de travail ne se fait plus par une dimension sociale du travail mais par l’aspect productif. Cette hypothèse est d’ailleurs émise au principe n°10109 du dialogue européen sur le télétravail à domicile. Le besoin d’un lien virtuel collectif de travail est donc bien caractérisé. Le télétravailleur ( à domicile ou salarié nomade) est ici frappé d’une particularité telle qu’elle annule la logique des relations sociales collectives du travail salarié classique. Les solutions envisagées pour mettre en confiance les télétravailleurs quant à l’existence d’un lien virtuel et collectif de travail ne sont, par ailleurs, pas évidentes. B°) Les solutions envisagées Ce besoin d’un lien virtuel collectif de travail va nécessairement passer par la mise en place d’un lien virtuel permanent entre l’entreprise et le télétravailleur (à domicile) (1). Ce lien permanent pouvant s’effectuer lui-même par diverses formes de communication intraentreprise. Pour autant, ce qui gène véritablement le télétravail est la distance physique et géographique qui sépare les protagonistes de l’activité de télétravail. Le courrier ne pourra jamais remplacer le relationnel humain. Ainsi, n’est-il pas pertinent d’envisager une obligation de présence périodique dans l’entreprise ? (2) 1°) Un lien virtuel permanent La question ne se pose pas à partir du moment où le télétravailleur reste en permanence connecté (ou même de manière intermittente) avec l’entreprise qui l’embauche. Au même titre qu’une télésubordination permanente, ce lien virtuel permanent (plus adapté au télétravail sur ordinateur via Internet) favorise le rapport d’instruction brèves du supérieur hiérarchique au télétravailleur. Notons que le lien virtuel permanent peut être constitué dès lors, qu’à chaque demande du télétravailleur, correspond une réponse immédiate et précise de l’entreprise. La connexion permanente au sens premier du terme n’est pas obligatoire. Pour que le télétravailleur puisse se sentir maintenu dans sa communauté de travail et dans les rapports collectifs de travail, il doit donc être en mesure de joindre toute personne, institutions de l’entreprise, susceptibles de le renseigner. Selon nous, l’entreprise doit, aux termes du respect des rapports collectifs de travail, adapter les formes de communication traditionnelle 109 « […] dans la mesure du possible, le contrôle devra porter sur le production plutôt que sur l’activité ». 51 existant entre le salarié classique et l’établissement. Il nous faut noter que ces difficultés ne ressortent que des cas où le télétravailleur n’a jamais à se rendre dans l’entreprise, ce qui est en réalité une hypothèse relativement rare. D’ailleurs, et toujours dans l’objectif d’une réponse au besoin d’un lien virtuel collectif, il est nécessaire de maintenir une certaine obligation de présence périodique dans l’entreprise. 2°) Une obligation de présence périodique dans l’entreprise Le lien collectif et le rapprochement du télétravailleur à sa communauté de travail sont alors possibles dans les cas où le télétravailleur se rendrait, même périodiquement, dans l’établissement qui l’embauche. A ce titre, le principe n° 8110 du dialogue sectoriel européen des télécommunications préconise ce type de retour périodique à l’entreprise. C’est ici montrer à quel point l’aspect psychologique du télétravail est important. Il serait alors nécessaire, même si certaines entreprises rendent d’elles-mêmes cette mesure obligatoire (dans le contrat de télétravail), d’obliger les entreprises ayant des salariés organisés en télétravail à fixer des sessions de contacts périodiques (une fois par semaine ou par mois selon la distance géographique séparant les cocontractants). Ces journées semblent remplir la fonction de lien idéal au fonctionnement du télétravail (à domicile) au travers la meilleure cohésion de groupe. Il doit alors être contractuellement précisé si les frais de transport sont pris en charge par l’entreprise, et le régime juridique des accidents de trajet et/ou de travail susceptibles de survenir pendant la session de contact. En réalité, et même si ces solutions rapportées peuvent s’avérer très utiles, le seul « outil » permettant le rapprochement juridique à la communauté de travail (que représente l’entreprise) est la convention collective. § 2- LES CONVENTIONS COLLECTIVES DANS LE TELETRAVAIL La convention collective définie à l’article L 132-1 du Code du travail111 a pour objet la détermination d’un régime de travail, mais aussi des garanties sociales et des conditions d’emploi devant être appliquées dans les contrats individuels. Ainsi, celle-ci se rapproche de 110 « il conviendra de prendre des dispositions pour éviter que les télétravailleurs ne souffrent d’exclusion ou d’isolement : dans la mesure du possible, ils devraient avoir la possibilité de rencontrer des collègues sur une base régulière et accéder aux informations de l’entreprise ». 111 article L 132-1 du Code du travail, : « La convention collective a vocation à traiter de l’ensemble des matières visées à l’article L 131-1, pour toutes les catégories professionnelles intéressées. L’accord collectif traite un ou des sujets déterminés dans cet ensemble ». 52 la loi ou du règlement112. Et l’effet normatif qu’elles peuvent produire semble être tout à fait bénéfique au bon fonctionnement du télétravail, mais aussi au rapprochement juridique du télétravailleur à sa communauté de travail. L’article L 131-2 du Code du travail précise que « tout organisme de droit privé » y est assujetti, de la même manière que la loi du 13 novembre 1982 a institué une obligation de négocier au niveau de la branche. Ainsi, vont naître deux interrogations, la première consistant à évaluer s’il y a une véritable obligation de négociation d’accords collectifs ? (A). D’autre part, au vu des effets de la loi Aubry II du 19 janvier 2000, pouvons-nous croire en la progression de la convention collective dans le télétravail ? (B) A°) Des négociations d’accords collectifs de travail obligatoires ? Le principe n°12 du dialogue sectoriel européen vient à nouveau confirmer le parallélisme existant entre le télétravailleur salarié (nomade ou à domicile) et le salarié classique. De cette manière, le Droit des conventions collectives demeure inchangé. Cependant, même s’il est possible et recommandé de mettre en place des conventions et accords collectifs de branche (1) ou d’entreprise (2), ceci reste une tentative délicate. 1°) Les conventions et accords collectifs de branche En ce qui concerne les télétravailleurs salariés et les télétravailleurs à domicile, les employeurs ont eu tendance à confondre l’accord de branche en un bastion de la protection se révélant trop onéreux. Nous comprenons alors bien l’objectif de l’ancienne loi Madelin de 1994, qui était de favoriser le travail indépendant et principalement ériger le télétravail indépendant en modèle, de manière à exclure du télétravail toute forme de protection par l’indépendance. Le soucis principal de l’employeur était de garder une grande flexibilité du travail. Pour autant, les employeurs ont compris, face à l’abrogation de l’ancien article L 1203 du Code du travail, que la mise en place de textes conventionnels applicables à la branche d’activité serait, à juste titre, propice à cette flexibilité tant recherchée113. Si cette forme de négociation est source de frais supplémentaires, elle n’en demeure pas moins intéressante à plus d’un titre : pour l’employeur, seul un accord de branche permet un aménagement du temps de travail (ce qui est un des problèmes majeurs pour celui-ci). Pour le télétravailleur, cette forme d’accords collectifs permet une meilleure « stabilité » que l’accord collectif 112 VERDIER (J.M.), COEURET (A.), SOURIAC (M.A.), Droit du travail, mémentos Dalloz, 11 édition, 1999, p. 501. 53 d’entreprise, puisqu’il permet d’obtenir une protection et un lien à la communauté de travail de l’entreprise sous des formes que le télétravailleur peut retrouver, s’il vient à changer d’entreprise (tout en gardant cette qualification de télétravailleur). Notons que ces accords collectifs de branche demeurent marginaux (accords collectifs applicables au télésecrétariat, aux traductions à domicile, …), et que leurs effets mêmes dépendent du nombre de télétravailleurs concernés. L’accord de branche n’est pas le seul possible en matière de télétravail. Les entreprises, elles-mêmes, conformément au « Droit commun », ont l’obligation d’instituer tout accord collectif (dans le cadre général du développement accru de la négociation d’entreprise : article L 132-18 du Code du travail, loi du 13 novembre 1982). 2°) Les conventions et accords collectifs d’entreprise Ce type d’accord collectif aura lieu dès lors qu’il y a une négociation à titre individuel et non dans le cadre d’un groupement, même si plusieurs employeurs participent à la négociation114. Le législateur entend couvrir automatiquement l’ensemble des télétravailleurs salariés par les conventions collectives applicables à l’entreprise. Le motif éminent provient de certains faits de la vie au sein de l’entreprise ne pouvant être mis au profit des télétravailleurs salariés (à domicile ou nomades). Nous pouvons d’ores et déjà citer les réunions syndicales et les consultations du comité d’entreprise (nous le verrons plus en détail dans nos développements suivants, cf. infra), mais également toutes les actions sociales et culturelles de l’entreprise, … Les accords collectifs d’entreprise se doivent donc être adaptés à l’ensemble des travailleurs dans un soucis d’égalité de traitement de ces derniers. La réflexion tourne donc autour de la capacité des syndicats et des représentants professionnels à intervenir dans l’intérêt de ces télétravailleurs115. La difficulté ne provient pas de la possibilité ou non, pour les télétravailleurs, de bénéficier de tels accords (autant de branche que d’entreprise) mais plutôt de leur véritable représentation. Du fait du nombre peu élevé de télétravailleurs, les syndicats ainsi que les représentants du personnel peuvent se murer dans des préoccupations bien plus importantes à leurs yeux que celles de l’infime minorité de télétravailleurs noyés dans la masse salariale. Se doit alors d’être exercée une obligation renforcée de prise en compte et d’accords collectifs spécifiques et adaptés. Ici, le Droit commun de la réglementation des rapports de travail semble accuser un retard sérieux. Pourtant, l’arrivée de la loi Aubry II, en janvier 2000, a littéralement écarté le télétravail indépendant. Se trouve alors grandi la possibilité de se voir reconnaître la qualification de 113 RAY (J.E.), Le droit du travail à l’épreuve du télétravail : une nécessaire adaptation, Droit social, avril 1996, p. 354 et s. 114 Cass. Soc. , 29 juin 1994, D. 1994. 346. 54 télétravailleur salarié, ce qui n’est pas, à notre avis, sans impact sur la progression d’accords collectifs de travail adaptés. B°) Vers une progression de la convention collective dans le télétravail ? A ce stade, il nous faut mettre sur le devant les éventuels impacts de cette loi de RTT (1). Le effets non relatifs qu’elle provoque sur les conventions collectives, puisque directement liés aux problèmes de qualification du télétravailleur mais aussi à la délicate problématique du temps de travail, n’enlèvent en rien la grande nécessité d’une négociation la plus proche possible des conditions de travail du télétravailleur salarié (2). 1°) Les impacts de la RTT La loi de RTT du 19 janvier 2000 va avoir une portée favorable à la progression des conventions collectives dans le télétravail, et ce en raison de deux causes principales. La première tient à l’abrogation de la présomption de non-salariat, prévue par l’article 49 de la loi Madelin du 11 février 1994. En effet, le simple fait de la requalification de certains contrats d’entreprise en contrat de travail va, d’une part tendre à l’augmentation du nombre de télétravailleurs salariés soumis au Droit commun des rapports collectifs de travail ; et d’autre part ce phénomène peut faire prendre conscience aux employeurs du risque qu’ils encourent à ne pas prendre en charge correctement ces travailleurs atypiques (en relation avec la législation du travail). Pour les employeurs qui n’auraient pas encore pris le temps de s’en soucier, les télétravailleurs requalifiés « forceront » ceux-ci par effet de jugement à établir des règles particulières de représentation et de protection au sein de l’entreprise. La seconde cause est directement attachée à la réduction du temps de travail. Le passage aux 35 heures remet au goût du jour l’épreuve problématique de la durée du travail en cas de télétravail (cf. infra). Les employeurs seront donc tentés, sans aller jusqu’à l’accord de branche, de mettre sur pied une réglementation collective spécifique (au sein de l’entreprise) dans le but d’éviter au maximum les litiges. L’accord collectif s’en trouve « aspiré » vers le haut dans la mesure où il devient à long terme le moyen d’un meilleur fonctionnement de l’activité. De même qu’il est, nous l’avons déjà mentionné, un moyen sûr de maintenir une flexibilité du travail, notamment en matière d’horaires et de durée du travail ; ceci n’empêche pas que la convention collective doit, malgré tout, se rapprocher le plus possible des conditions de travail des télétravailleurs salariés (à domicile ou nomade). 115 Cf. infra (section 2 de ce chapitre) 55 2°) Une négociation collective proche du terrain Le télétravailleur trouve une solution globale de rapprochement et de représentation au sein de sa communauté de travail. De la même manière, l’accord collectif d’entreprise lui permet, au sein de son entité économique, de bénéficier des avantages qui en découlent. Pourtant, placer le télétravailleur dans une négociation décalée avec la réalité n’aurait aucun intérêt. Ainsi, il demeure pertinent d’inscrire les télétravailleurs salariés, qui ne bénéficieraient pas encore des dispositions adoptées, dans un « projet important d’introduction de nouvelles technologies »116 (si celui-ci n’est pas déjà fait) et mené par le comité d’entreprise. De la même manière un expert agréé peut être désigné par le comité d’entreprise et/ou le CHSCT (articles L 43-6 alinéa 6 et L 236-2 et L 236-9 du Code du travail) pour déterminer les conditions de sa réalisation. L’intérêt est donc de multiplier les chances de compatibilité avec l’exercice même de l’activité de télétravail. En résumé, le rapprochement des télétravailleurs salariés de leur communauté de travail initiale est absolument nécessaire. Au travers les besoins manifestes du maintien d’un lien virtuel de travail couplés aux difficultés dont ils peuvent être la source, transparaît l’idée de l’existence d’accords collectifs de travail adaptés. Même si le télétravailleur salarié bénéficie de la législation du travail lui donnant droit à ces accords, il nous semble qu’un effort de spécificité doit être reconnu par le législateur ou tout au moins par le juge. A stade, il n’est pas inutile de rappeler que les conventions collectives priment sur certaines dispositions de Droit commun ainsi que sur le contrat de travail lui-même, qui lui est « hiérarchiquement » inférieur. En ce domaine, le télétravail nécessite une prise de dispositions spécifiques. Nous l’avons vu, les accords collectifs (en général) sont, et se doivent être applicables dans le respect de la législation du travail relative aux télétravailleurs salariés ou assimilés. Cela dit, ces accords seront conclus entre deux parties. Côté patronal, il s’agira de groupements patronaux quelconques (syndicats ou associations) ou directement l’employeur pris isolément. Côté travailleurs, les deux acteurs principaux de la représentation collective seront le comité d’entreprise et les représentants du personnel (les syndicats et les délégués du personnel). En matière de télétravail, on peut constater que la représentation côté travailleur peut soulever quelques particularités. D’ailleurs, les rôles respectifs de ces instances sont doubles et s’entrecoupent. D’une part, ils surveillent l’introduction des NTIC 116 il peut être défini comme un projet susceptible de modifier la situation du personnel d’un secteur d’activité ou d’un service de l’entreprise. Pour l’évaluation du critère important, il existe plusieurs critères de références : financiers, économiques, commerciaux, … , LAMY informatique, n° 2968, p. 1714. 56 au sein de l’entreprise117 et leurs conséquences sur les conditions de travail. D’autre part, comme pour tout travailleur118 , ces instances ont pour objet la protection de ses intérêts119. Dès à présent, il nous faut étudier ces « acteurs » du maintien des liens collectifs de travail au travers le particularisme que le télétravail peut créer. SECTION II–LE TELETRAVAIL ET LA REPRESENTATION PROFESSIONNELLE La législation du travail, nous avons pu le voir précédemment120, contient des dispositions donnant des prérogatives de protection et de représentation aux différents acteurs des relations collectives de travail. En effet, en théorie121, les télétravailleurs salariés (relevant notamment du régime des travailleurs à domicile) sont pris en compte intégralement dans l’effectif de l’entreprise et doivent bénéficier des dispositions collectives de représentation et de protection. Ainsi et conformément à l’objet de notre étude, les particularismes dans l’exécution et dans l’organisation du mode atypique de travail qu’est le télétravail nous poussent à nous demander ce qu’il en est de la représentation du personnel (§1) mais aussi du Droit syndical (§2). §1 – LE TELETRAVAILLEUR DANS LA REPRESENTATION DU PERSONNEL Il est vrai que les télétravailleurs salariés, de par leur nombre encore faible dans l’hexagone et a fortiori dans les quelques entreprises qui fonctionnent avec ce mode de travail, ne correspondent qu’à une infime partie des préoccupations des représentants du personnel et du comité d’entreprise. Pourtant, leur prise en compte est réelle (A) d’autant que le comité d’entreprise conserve un rôle important et persistant en ce domaine (B). A°) La prise en compte des télétravailleurs salariés dans la représentation du personnel 117 Pour le comité d’entreprise, article L 432-5 du Code du travail : « le Comité d’entreprise est informé et consulté préalablement à tout projet important d’introduction de nouvelles technologies, lorsque celle-ci sont susceptibles d’avoir des conséquences sur l’emploi ». 118 article L 431-2 alinéa 1 du Code du travail. 119 Article L 431-4 du Code du travail pour les comités d’entreprise et article L 431-4 du Code du travail pour les syndicats. 120 Cf. articles L 411-1, L 431-2, L 431-4 et L 432-5 du Code du travail. 121 Notamment articles L 412-5, L 421-1 et L 431-2 du Code du travail. 57 Le télétravailleur salarié (assimilé ou du fait de son contrat de travail) bénéficie du principe de comptabilisation dans les effectifs de l’entreprise tiré du Code du travail (1) et conserve une capacité dans la mission de ces instances représentatives (2). 1°) Le principe issu du Code du travail Le contrat de télétravail serait-il un contrat différent des autres ? Encore une fois non ! le législateur a, au travers les articles L412-5, L 421-2 et L 431-2 du Code de travail122, érigé un principe de représentation et de prise en compte dans l’effectif de l’entreprise accordés à l’ensemble des contrats de travail. D’ailleurs, le Ministre du travail (Mr Auroux) a, dans un rapport ministériel de septembre 1981, mis en exergue l’idée que « le développement possible du travail en équipe et celui du télétravail justifie que toute latitude existe pour que les travailleurs concernés puissent être pris en compte pour les élections des délégués du personnel ». Le télétravailleur entre bien dans les seuils d’effectifs. Sa participation à la représentation du personnel est effective, d’autant qu’il conserve une capacité et un certain poids dans les attributions des instances représentatives. 2°) La capacité du télétravailleur salarié dans la mission des instances représentatives Tant en cas d’élection du comité d’entreprise ou des représentants du personnel, le Droit commun s’applique au télétravailleur. Ce dernier peut être tour à tour électeur et candidat. Concernant sa capacité d’électeur, le télétravailleur n’est pas soumis à un régime moins favorable, car il lui suffit d’être âgé de 16 ans accomplis, de travailler depuis au moins trois mois dans l’entreprise et de n’avoir pas encouru de condamnation susceptible de lui ôter ses droits civiques123. De même, peu importe la nature du contrat et sa durée (CDD, CDI, temps partiel, intermittent, …). Le cas particulier du télétravailleur (qu’il soit à domicile ou nomade) pose le problème du vote par correspondance, leur qualité n’altérant en rien le fait qu’ils soient électeurs (puisque salariés ou assimilés). Si le télétravailleur salarié est candidat, son éligibilité demeure identique à celle d’un salarié de Droit commun. L’article L 433-5 du Code du travail prévoit que le télétravailleur doit être âgé de 18 ans et travailler dans l’entreprise depuis un an au moins sans interruption. Cet article exclut de l’éligibilité les conjoints, ascendants, descendants, frères et sœurs ou alliés au même degré du chef 122 Ces trois articles contiennent les mêmes dispositions et indiquent : « les salariés sous contrat à durée indéterminée, les travailleurs à domicile, et les travailleurs handicapés employés dans des entreprises, des ateliers protégés ou des centres de distribution du travail à domicile sont pris en compte intégralement dans l’effectif de l’entreprise […] ». 123 article L 433-4 du Code du travail. 58 d’entreprise. De la même manière que pour sa qualité d’électeur, le télétravailleur, pour être éligible, doit appartenir à un établissement déterminé. Ceci nous renvoie au cas du télétravailleur salarié en télécentre. Ce dernier constituera soit un établissement distinct pour l’élection du comité d’entreprise et des représentants du personnel (et les élections se feront en parallèle de l’entreprise à laquelle le télécentre peut être rattaché), soit le télécentre sera rattaché à l’entreprise et les salariés en télécentre seront éligibles dans le cadre plus large de l’entreprise. L’application de ces règles de Droit commun au télétravailleur renforce l’idée que le télétravailleur salarié se rapproche du travailleur classique. Ceci se confirme davantage lorsque le lien entre les télétravailleurs et le comité d’entreprise reste évident, notamment par le rôle permanent de ce dernier en matière de télétravail. B°) Le rôle permanent du comité d’entreprise Organe de l’expression collective des salariés, le comité d’entreprise a mission de veiller à la garantie de leurs intérêts. Déjà, l’article L 432-1 du Code du travail a posé le principe d’une obligation générale d’information et de consultation du comité d’entreprise sur les questions relatives à l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise. Ainsi, le comité d’entreprise conserve un « droit de regard » sur les modes d’organisation susceptibles de conditionner différemment la vie du travailleur. Par déduction, le comité d’entreprise peut être amené à analyser l’introduction d’un nouveau mode d’organisation du travail tel que le télétravail. D’ailleurs, l’article L 432-2 du Code du travail affirme clairement ses prérogatives et lui confère un rôle précurseur en matière de mise en place du télétravail (1). Cela dit, le comité d’entreprise prolonge son intervention, une fois le télétravail établi, afin de faire profiter, non sans difficulté, les télétravailleurs des activités sociales et culturelles de l’entreprise (2). 1°) Le rôle précurseur du comité d’entreprise : l’article L 432-2 du Code du travail Le comité d’entreprise joue un rôle primordial dans l’établissement du télétravail dans une entreprise. Comme nous venons de l’annoncer, l’article L 432-2 du Code du travail prévoit la consultation et l’information du comité d’entreprise préalable à tout projet important d’introduction de nouvelles technologies, lorsque celles-ci sont susceptibles d’avoir des conséquences sur l’emploi en général (qualification, rémunération, conditions de travail, …). Pour savoir si le télétravail entre dans cette catégorie de « projet important d’introduction 59 de nouvelles technologies », il nous faut expliciter le sens de ce mot « technologie ». La notion de « nouvelle technologie » fut précisée par voie de circulaires124, et doit être entendue dans le sens le plus large (automatisation, informatique, robotique, …). La jurisprudence prend en considération deux éléments pour identifier la nouvelle technologie. D’une part, une première analyse est faite par rapport à l’entreprise et aux conditions de travail de celle-ci pour déterminer l’introduction de nouvelles technologies. D’autre part, le juge fait l’analyse de la technologie elle-même. Autrement dit, on ne s’attache pas au fait que la technologie possède, en elle-même, un caractère nouveau mais plutôt si celle-ci a des conséquences pour le personnel125. Ainsi, la modification des contrats de travail des salariés classiques en contrats de télétravail sera, outre le fait même de la modification du contrat, un projet important d’introduction de nouvelles technologies au sens de l’article L 432-2 du Code du travail126. La notion de « projet important » revient à ce que nous avons dit précédemment, à savoir qu’il y aura projet important quand un projet modifie la situation du personnel d’un secteur d’activité ou d’un service de l’entreprise. Prenons l’exemple du service de conception d’une firme de produits informatiques. En conséquence, le juge doit statuer au cas par cas. Cette obligation de consultation faite à l’article L 432-2 du Code du travail rend le chef d’entreprise coupable d’un délit d’entrave lorsque ce dernier y manque. Ceci renforce le rôle précurseur du comité d’entreprise notamment en matière de télétravail (qui a de fortes chances de rentrer systématiquement dans le cadre de la notion de l’article L 432-2 du Code du travail). Cependant, un caractère ponctuel ou individuel des modifications éteint le délit d’entrave127. La protection par le comité d’entreprise du travailleur devenant télétravailleur lorsqu’il est seul dans l’entreprise est nulle, et ne peut être justifiée par l’article L 432-2 du Code du travail. Une lacune juridique semble apparaître du fait que le nombre de travailleurs soumis à une introduction de télétravail est, aujourd’hui, encore bien faible et peut ne concerner qu’un seul travailleur. Le rôle du comité d’entreprise, s’il est précurseur en ce domaine, risque d’être tronqué par une jurisprudence inadaptée au télétravail. Pour éviter cela, le Ministère du travail nous semble devoir mettre en place un dispositif spécifique. Rappelons qu’il est tout à fait possible que le juge prenne en compte la situation du télétravailleur (même un seul dans l’entreprise) pour lui accorder la protection du comité d’entreprise au vu de l’article L 432-2 du Code du travail. 124 Circulaire DRT n°12, 30 novembre 1984. Lamy informatique, Chapitre V, « NTI et relations contractuelles du travail, N° 2967, p. 1714, Ed. 2000. 126 La notion de nouveauté n’implique pas forcément une innovation mais une nouveauté dans l’utilisation : TGI La Rochelle-sur-Yon, 8 juillet 1997, cité par Mr COHEN, le droit des comités d’entreprise et des comités de groupe, LGDJ, 6e Ed., 2000, p. 990. 127 Cass. Crim., 5 janvier 1993, pourvoi n° 92-3226, cité par Mme DE BENALCAZAR, le salarié est-il victime des nouvelles technologies ?, TPS, janvier 2001, p. 4 et s. 125 60 Si nous avons soutenu le terme de rôle permanent c’est que le comité d’entreprise doit, comme pour les autres travailleurs, maintenir le télétravailleur dans les activités sociales et culturelles de l’entreprise. Mais est-ce une chose aisée ? 2°) La protection de l’accès du télétravailleur aux activités sociales et culturelles Au delà de la protection que le comité d’entreprise procure au télétravailleur au vu des droits de consultation et d’information qu’il possède ou encore à raison des recours à l’expertise (article L 434-6 alinéa 6 du Code du travail) dont il a la possibilité, le comité d’entreprise assure et contrôle la gestion de toutes les activités sociales et culturelles établies dans l’entreprise au bénéfice des salariés128 ou de leur famille. Le télétravailleur, relevant du régime de salarié (assimilé ou en raison de son contrat de travail), demeure juridiquement créancier de ces activités. Cependant, la pratique du télétravail le « déconnecte » totalement de certaines activités comme le restaurant d’entreprise qui constitue une activité sociale et culturelle129. L’éloignement géographique ne peut l’en faire profiter directement au même titre que ses collègues travaillant dans l’entreprise. Certaines dispositions sont à prendre pour limiter ce genre de difficultés qui restent, avouons-le, très ponctuelles ; d’autant que la famille du télétravailleur à domicile, par exemple, peut tout à fait profiter des actions culturelles fixées par le comité d’entreprise. Reste que les moyens de communication à ces télétravailleurs sont adaptés pour les maintenir en relation avec le comité. Globalement, le rôle du comité d’entreprise persiste tant dans la mise en place du télétravail que dans sa pratique, et dans le lien unissant ce dernier à sa communauté de travail. Mais la représentation professionnelle du télétravailleur pose une autre question, celle de son Droit syndical. § 2 – LE DROIT SYNDICAL DU TELETRAVAILLEUR130 « L’exercice du Droit syndical est reconnu dans toutes les entreprises dans le respect des droits et libertés garantis par la Constitution de la République, en particulier de la liberté individuelle de travail »131. Chaque travailleur possède la liberté de se syndiquer, reconnue par les lois de la République. Cependant, même si les articles L 410-1 et suivants du Code du travail permettent aux télétravailleurs salariés de se syndiquer dans les mêmes conditions que 128 article L 432-8 et R 432-2 du Code du travail. Cass. Soc. , 14 janvier 1981, D. 1981. IR. 425, obs. Langlois. 130 Il ne s’agit pas ici de mesurer le rôle des syndicats en matière de télétravail mais plutôt de se questionner sur l’existence réelle d’un Droit syndical du télétravail. 131 Article L 412-1 du Code du travail. 129 61 les travailleurs classiques et que l’apparition de nouvelles technologies dans le télétravail ont renforcé le rôle des syndicats132, le poids du télétravail dans l’action syndicale reste incertain (A). Mais, contrairement aux idées reçues, la protection syndicale n’est pas vaine et doit se façonner par rapport aux NTIC. Ceci nous amènera à l’analyse du renouveau des moyens des syndicats mis à l’épreuve des NTIC (B). A°) Le poids du télétravail dans l’action syndicale Les articles L 410-1 et suivants du Code du travail, et notamment l’article L 411-5, vont dans le sens d’un Droit syndical reconnu à tous les travailleurs. Même s’il existe une tendance générale et un devoir de maintien du télétravailleur dans sa communauté, celui-ci n’est pas évident en matière syndicale. Et la Cour de Cassation a déjà eu l’occasion de préciser le principe permettant au télétravailleur d’exercer et d’accéder à son droit syndical. C’est ce qui ressort de l’arrêt du 8 décembre 1971133 (1). Pourtant, le télétravail salarié (notamment à domicile) souffre de son éloignement géographique et de son isolement par rapport à sa communauté de travail, ce qui n’est pas sans conséquences ni difficultés (2). 1°) Le principe dégagé par l’arrêt Dame Allard Jacquin Cet arrêt met en avant le cas de la représentation des travailleurs à domicile exerçant pour un ou plusieurs employeurs. S’il n’y a qu’un seul employeur, le travailleur sera pris intégralement (article L 412-5 du Code du travail), en revanche s’il y a plusieurs employeurs, leur prise en compte dans les effectifs de chaque entreprise se fait de la même manière qu’un travailleur à temps partiel, soit partiellement. Selon la Cour de Cassation, il n’y a pas lieu « d’apporter une restriction à la notion d’emploi habituel par l’entreprise en y ajoutant des condition […] ». Mr le Professeur PELLISSIER en aura donc l’analyse suivante : le télétravailleur doit donc « pouvoir, comme tout travailleur, choisir ses représentants et exprimer ses réclamations par leur intermédiaire ». D’ailleurs, l’article L 412-5 alinéa 4 du Code du travail précise que le salarié à temps partiel compte pour un effectif calculé en divisant la somme totale des horaires inscrits dans le contrat de travail, quelle que soit la nature de leur contrat de travail. Ainsi, le télétravailleur (à domicile) doit être pris en compte et peut être syndiqué. La théorie n’étant pas la pratique, les difficultés peuvent persister du 132 De la même manière que le comité d’entreprise ou le CHSCT. Cass. Soc. , 8 décembre 1971, Syndicat CFDT de l’enseignement privé de l’Isère et Dame Ponsonnet c/ Dame Allard Jacquin, D. 1972.208, note PELISSIER (J.). 133 62 fait, là encore comme en matière de représentation du personnel, de l’éloignement du télétravailleur. 2°) Les difficultés persistantes Les difficultés sont liées à l’éloignement et parfois aux manques d’initiatives en matière de communication avec les télétravailleurs (à domicile). En réalité, les obstacles sont les mêmes que pour les représentants du personnel. Le télétravailleur étant un salarié comme les autres pris en compte dans les effectifs, a un droit d’adhérer et de participer à l’administration ou à la direction de ce syndicat (article L 411-5 et L 411-6 du Code du travail). On imagine alors mal comment le télétravailleur à domicile exerçant à 1000 kilomètres de son entreprise va pouvoir effectivement remplir son rôle de délégué syndical (participation aux réunions, régler des conflits ponctuels134, …). De plus, comment imputer le temps passé à l’activité syndicale sur le temps de travail du télétravailleur salarié (nomade ou assimilé) ? Seul le législateur ou les parties aux conventions collectives pourraient faire évoluer le Droit syndical d’aujourd’hui vers un Droit syndical du 3e millénaire. C’est ainsi que les NTIC, condition sine qua non du télétravail actuel, vont représenter, au delà d’un objet de négociations (par rapport aux conditions du travail particulières du télétravail) un véritable outil de développement du syndicalisme. B°) La protection syndicale et les NTIC Face au télétravail et à l’utilisation des NTIC qui peut en découler, le Droit syndical doit nécessairement chercher à s’adapter à cette forme atypique de travail. Aussi, pour conserver leur droit de communication135 dans l’entreprise et préserver leur objet, les syndicats vont se trouver devant des situations délicates. Absence de panneaux d’affichage au domicile du télétravailleur, distribution impossible de tracts à l’entrée ou à la sortie du travail, réunions trop rares… Tous ces obstacles au syndicalisme traditionnel amènent à l’exercice de ce droit par les NTIC, notamment intranet et internet (1). Mais doit-on y voir une simple adaptation du Droit syndical à l’évolution des modes de travail (ce qui conforterait notre opinion dans le sens de l’inutilité d’un statut spécifique) ou bien l’émergence d’un « syndicalisme virtuel » ? (2) 1°) L’exercice du Droit syndical par les NTIC 134 135 la gestion des conflits sera rendue possible dans certaines conditions, cf. infra. Article L 412-8 du Code du travail. 63 L’article L 412-8 du Code du travail prévoit la communication des syndicats à leurs syndiqués aux moyens de l’affichage sur des panneaux réservés à cet usage, mais également sous forme de tracts ou publication diffusés dans l’entreprise aux heures d’entrée et de sortie. Ces deux modes de communication sont essentiels, mais ont été longtemps d’une interprétation stricte par le juge. La chambre criminelle de la Cour de Cassation a considéré illicite l’envoi par voie postale de communications syndicales à des salariées travaillant hors de l’entreprise, au motif qu’aucun texte ne l’autorisait136. Or le télétravail impose une progression législative pour accorder ce type de tractation. En effet, sauf recours de sa part, l’employeur peut accorder la permission aux syndicats de procéder ainsi mais il n’est pas dans l’obligation d’accepter ces méthodes ; d’autant que les syndicats entrent de plus en plus en communication avec le travailleur à distance (de tous ordres) soit par l’intermédiaire d’un système intranet voire par internet137. On assiste alors à une véritable dématérialisation des supports syndicaux : les pages web et les courriers électroniques sont les outils de la communication syndicale de demain pour tous les modes de travail à distance et surtout pour le télétravail. Intervient alors la négociation collective, seul moyen susceptible d’obtenir un compromis entre les instances syndicales et le patronat quant à ces méthodes. Ici nous constatons que le Droit commun du travail demeure suffisant pour corriger les lacunes en matière de télétravail. Si malgré ces efforts de consensus, l’employeur ne daigne pas accepter l’intranet, les syndicats tenteront de faire utilisation de l’internet en créant leur propre site. Ceci ne peut cependant pas se détacher du cadre juridique fixé par l’article L 461-1 du Code du travail, et être un moyen de diffusion de propos injurieux ou diffamatoires. De plus, ces deux modes de communication modernes ne limitent pas la porté de l’article L 412-8 du Code du travail. En effet, en matière d’affichage syndical, le législateur pose deux conditions qu’il nous paraît difficile de concilier avec la nature même des documents. Au sens de cet article, l’affiche, même si elle n’est pas définie par le législateur, doit être « placardée » sur un panneau au sein de l’entreprise et chaque section syndicale doit disposer de panneaux de manière distincte et exclusive. Ceci rend plus compliqué la non-discrimination dans la programmation d’un site internet par exemple. A cela s’ajoute le problème de la transmission simultanée des affiches à l’employeur. Seul un courrier électronique sur le poste informatique de l’employeur devrait suffire. Mais en cas de refus de l’employeur d’une affiche, la modification du site risque d’être plus longue qu’un simple « décrochage » d’affiche ayant pour conséquence, soit que l’affiche ait déjà été 136 Cass. Crim. , 25 mai 1982, Bull. crim. N°135, I°371. Sur cette question, voir le dossier « instances représentatives du personnel et nouvelles technologies », action juridique, n° 147, mars 2001, p. 9 et s. 137 64 diffusée soit que le site reste impossible à visiter pour une durée longue. De la même manière, pour la diffusion de tracts par courrier électronique, se soulève la question de savoir si cette méthode peut-être rapprochée du tract traditionnel. Selon la Cour de Cassation138, « le document distribué aux salariés constituait un tract, peu importe qu’il leur ait été remis sous enveloppe, ce dont il résultait qu’il ne pouvait leur être diffusé qu’aux heures d’entrée et de sortie du personnel ». Selon Mr le Professeur COUTURIER139, « ce n’est pas la forme du papier qui importe. La règle, au demeurant, vise les publications et tracts, donc des documents divers par leur présentation ». Ce tract « électronique » demeure donc bien un tract syndical au sens de l’article L 412-8 du Code du travail. Mais les problématiques de l’enceinte de l’entreprise et des heures d’entrée et de sortie du travail restent entières. Concernant la première, l’employeur ne peut définir unilatéralement les lieux de diffusion140, mais il peut, en référé, faire interdire la réception sur le poste informatique du télétravailleur (ou sur son fax) si ce dernier estime constituer l’existence d’un « trouble injustifié à l’exécution du travail ou à la marche de l’entreprise »141. L’employeur peut invoquer un risque d’encombrement du réseau au détriment des activités du télétravail. Pour sa part, la seconde difficulté se trouve au niveau du support physique qui n’existe pas lors de courriers électroniques syndicaux. Le tract « informatique » ne peut donc être lu que sur le poste de travail (en matière informatique) ou par l’intermédiaire de son outil de travail (fax, …). Doit-on considérer cette utilisation de l’outil de travail comme étant à des fins personnelles ? La solution ne se trouve que dans les conventions collectives. Le Droit syndical en matière de télétravail reste possible, même s’il n’est pas sans complication. Même si cette liberté nécessite une certaine créativité au travers la constitution d’accords collectifs adaptés, il n’est pas réellement nécessaire d’abroger et de légiférer à nouveau. Ces adaptations nécessaires tendent pourtant à croire plutôt en l’émergence d’un véritable syndicalisme « virtuel ». 2°) L’émergence d’un « syndicalisme virtuel » C’est en matière de conflits collectifs que le Droit du travail en sa forme traditionnelle n’est pas adaptée à la spécificité du télétravail salarié. En effet, le droit de grève, reconnu à tout salarié comme un droit constitutionnel individuel, doit être exercé collectivement, ce qui dans le cadre du télétravail (sauf cas de télécentre), et plus particulièrement concernant le télétravail à domicile, ne signifie pas grand chose. L’atomisation de ces derniers rend la grève 138 Cass. Soc. 31 mars 1998, Cah. barreau 1998, n°101 B.128. COUTURIER (G.), note sous arrêt, 31 mars 1998, supra. 140 Cass. Crim. , 27 décembre 1973, Bull. crim. N°437, p. 1087. 139 65 difficile et infructueuse, surtout au vu de la simplicité de leur remplacement142. Ce qui est à craindre, pour l’employeur, c’est une grève en réseau143 comme instrument de pression. A l’image de l’occupation des locaux, les télétravailleurs investissent les réseaux internet et intranet de leur entreprise en y établissant des piquets de grève virtuels. N’est-ce pas là endommager, en quelque sorte, l’outil de travail de par les risques de destruction ou de perte de documents, de détérioration de logiciels suite à de telles méthodes radicales ; alors que la grève n’est pas un moment de détérioration des bâtiments en cas de grèves traditionnelles. Dans le même sens, peut-on imaginer le chef d’entreprise solliciter auprès des tribunaux l’expulsion des « occupants virtuels » ? Si le télétravail tend à se développer, les conflits collectifs inhérents risquent de compliquer la tâche des magistrats. Là encore, la créativité et une application large des textes seront de rigueur. En conclusion de l’ensemble de nos développements précédents, il est possible de consacrer l’idée que le télétravail tant salarié qu’individuel bénéficie, en grande partie, des règles du Droit commun du travail. Le statut du télétravailleur aussi bien, dans le cadre des rapports individuels que collectifs du travail, nous amène certes au constat indéniable de l’existence de particularités. Cela dit, nous nous sommes cantonnés, jusqu’à présent, à l’étude des différentes qualifications juridiques possibles du télétravail et à leurs effets, pour en arriver au résultat que le télétravailleur est un salarié comme les autres au sens juridique, bien que ses rapports collectifs de travail soient certainement plus complexes du fait de l’éloignement. Cependant, en rester à ce stade ne nous permettrait pas de répondre totalement à nos hypothèses de départ. Il nous faut traiter cette étude, non plus dans le sens du régime juridique du télétravailleur et de ses effets, mais plutôt en analysant les complications mais aussi le particularisme matériel et conventionnel144 liés à l’exécution même du contrat de télétravail. 141 Cass. Crim. , 21 février 1979, Bull. crim. N° 81, p. 219. RAY (J.E.), Le Droit du travail à l’épreuve du télétravail : une nécessaire adaptation, Droit social, avril 1996, p. 357. 143 Ou « cybergrève », Les Echos, mardi 22 septembre 1999, p. 66. 144 Ce qui explique, pour certains éléments visés plus après, que nous ne les ayons pas attachés à l’étude des aspects individuels du télétravail mais plutôt dans le cadre conventionnel spécifique lié à l’exécution du télétravail. 142 66 TITRE II L’EXECUTION DU CONTRAT DE TELETRAVAIL 67 Les NTIC, nous le comprendrons, sont de plus ne plus associées à la pratique du télétravail et sont sources de nouveautés pour les juristes en Droit social, mais également pour les deux protagonistes de l’activité économique à savoir le chef d’entreprise et le travailleur lui-même. Et, il y a peu de temps encore, rien ne légitimait une étude consacrée à l’analyse des situations découlant de la présence de l’outil informatique, par exemple, dans l’exécution de la prestation de travail145, et encore moins un sujet traitant du télétravail. Mais le télétravail est un mode d’exécution et/ou d’organisation du travail très différent des autres modes de travail, et ce à plus d’un titre. Lors de l’exécution du contrat de travail146 va se profiler au travers celle-ci la nécessité de cadres conventionnel et matériel spécifiques (chapitre I). Ces derniers sont à la fois les éléments indispensables à la création et au bon déroulement du télétravail mais également les outils, au sens premier, de son exécution. En effet, les lieux d’exercice, les biens mais aussi les dispositions contractuelles récurrentes en la matière sont autant d’éléments de réponses à nos questionnements initiaux. Dans le même sens, ce qui justifie l’approfondissement de l’analyse de l’exécution même du télétravail, c’est qu’à ce stade, l’élaboration même du contrat laisse place à certaines 145 DARMAISIN (S.), L’ordinateur, l’employeur et le salarié, Droit social, juin 2000, p. 580 et s. 68 complications liées à son exécution par les NTIC (chapitre II), complications touchant tout particulièrement le cas du télétravailleur salarié. CHAPITRE I LES CADRES CONVENTIONNELS ET MATERIELS SPECIFIQUES DU TELETRAVAIL L’exécution de l’activité de télétravail peut avoir différentes composantes aussi bien en ce qui concerne l’outil même de cette exécution (ordinateur, fax, téléphone mobile, méthodes visioconférence, simple stylo, …) que l’endroit où est exécuté l’activité (à domicile, en voiture, en télécentre, …). Au fil des analyses, nous avons, tour à tour, mis en avant ces éléments d’exécution du télétravail, qui en réalité forment ce que nous pouvons appeler les moyens matériels d’exercice du télétravail (section I). Cela étant, l’exécution du contrat de travail risquerait d’être un échec si la précaution d’introduire un cadre conventionnel adapté à l’exécution du télétravail n’était prise (section II). D’autant que certaines de ces clauses particulières sont étroitement liées au matériel nécessaire à l’exécution du contrat. SECTION I – LES MOYENS MATERIELS DE L’EXECUTION DU TELETRAVAIL Les moyens techniques et matériels rattachés à l’exercice du télétravail sont multiples et susceptibles d’être soumis à des régimes juridiques complexes. Dès lors, cette diversification rend l’approche du télétravail encore plus ténue, lorsque le juriste de Droit social est face à une situation conflictuelle opposant les deux parties au contrat. Ainsi, et pour mieux comprendre le télétravail, il nous faut mesurer ces éventuelles complications corrélatives aux différents lieux et locaux d’exercices du télétravail (§1) mais également celles relatives à la délicate problématique des biens liés à l’exécution du contrat (§2). 146 même si certains particularismes, notamment conventionnels, peuvent s’appliquer au télétravail indépendant, ce que nous ne manquerons pas de rappeler, nos développements concerneront essentiellement le télétravail 69 § 1- LES LIEUX ET LOCAUX DU TELETRAVAIL Le télétravail, qu’il soit salarié ou indépendant, a la possibilité d’être exercé en des situations et lieux géographiques changeants et spécifiques (A) ; puisque l’originalité de ce mode de travail est elle-même puisée dans le fait que le contrat de travail ne s’exécute pas aux mêmes endroits où est attendu le résultat et où exerce le donneur d’ouvrage. A l’image de la diversification de lieux et locaux auxquels le télétravail peut prendre forme, leur régime juridique peut pareillement rendre délicate l’analyse du télétravail (B). A°) Des localisations spécifiques et changeantes Celles-ci apparaissent De facto dans le cadre des effets mêmes de la définition du télétravail (1), et sans lesquelles cette dernière n’aurait tout son sens et ne correspondrait à l’image réelle du télétravail. Il y a là un effet réciproque incontestable, mais ceci nous amène principalement au relevé d’une forme atypique d’établissement distinct, spécifique au télétravail qui est le télécentre (2). 1°) Le rappel de la définition du télétravail Le télétravail nécessite, pour être constitué, l’existence d’un contrat disposant de l’exercice d’une activité pour le travailleur hors des abords immédiats de l’emplacement géographique où le donneur d’ouvrage exerce lui-même son activité147. Cet élément de la définition, donnée par Mr Breton, nous permet l’identification de divers cas entrant dans le champ du télétravail. D’abord, peu importe que le lieu de l’activité soit fixe ou non. Dans ce cas, le lieu d’exécution du contrat peut être hors de possibilité de localisation. Dès lors, la frontière entre l’accident survenu au télétravailleur relevant du Droit commun et celui relevant du régime juridique des accidents du travail, est mince148. Ensuite, cette définition permet un lien fixe d’exécution du télétravail qui prendra la forme matérielle d’un local contenant les outils de télécommunication et de télématique avancés. Ce « local » ne nécessite pas une analyse poussée de notre part sur le fait qu’il soit ou non permanent. En effet, la durée d’utilisation de ce bâtiment n’est pas déterminante. salarié 147 sur cette reprise d’une partie de la définition donnée par BRETON Thierry, op. cit. , cf. note n° 13. 148 Voir nos développements précédents (supra). 70 En revanche, le nombre de télétravailleurs dans ce local est primordial : si plusieurs télétravailleurs sont localisés au même endroit pour y exercer une activité de télétravail (une activité de travail à distance donc hors des abords immédiats du lieu d’activité du donneur d’ouvrage), cet endroit peut prendre la qualification d’« établissement ». Signalons que pour entrer dans cette qualification, il n’est fait aucune importance aux statuts juridiques des télétravailleurs exerçant dans ce même local149. Cependant, cette notion aura des effets différents selon les branches du droit concernées150. En ce qui nous concerne, la notion d’établissement en Droit social aura pour conséquence, notamment, la mise en place d’instances représentatives du personnel propres à cet établissement. La véritable difficulté à propos de la notion d’« établissement distinct » est, qu’en Droit social à l’inverse du Droit des sociétés, il n’existe pas de définition légale. Nous pouvons considérer qu’il y a bien « établissement distinct », au regard de la jurisprudence151, dès que celui-ci bénéficie d’une certaine autonomie de gestion du personnel de l’établissement réalisée au travers l’existence d’instances de représentation professionnelle (syndicats, comité d’entreprise, délégués du personnel). La chambre sociale de la Cour de Cassation en donne une définition au détour d’un contentieux commun aux trois formes de représentation dont peuvent bénéficier les travailleurs et détermine en ces termes : « l’établissement distinct se définit comme un groupe de salariés ayant des intérêts communs et travaillant sous une direction unique, peu important que la gestion du personnel soit centralisée à un autre niveau, dès lors qu’il existe sur place un représentant de l’employeur qualifié pour recevoir les réclamations et transmettre celles auxquelles il ne pourrait pas donner suite »152. Quant aux télétravailleurs à domicile auxquels l’entreprise peut avoir recours, doit-on considérer qu’ils constituent chacun un « établissement distinct » ? La réponse est difficile d’une part parce que le cas du télétravailleur à domicile, lorsqu’il est seul, n’entre pas dans la définition faite de l’« établissement distinct » par la jurisprudence ; et d’autre part, on considérera qu’un couple de télétravailleurs à domicile pour les mêmes employeurs n’entre pas non plus dans la définition, puisqu’il serait nécessaire d’avoir chez eux un représentant de l’employeur, situation qui nous paraît inconcevable. Sauf à nous appuyer sur une jurisprudence opérant un revirement ou encore sur le fait que le télétravailleur possèderait un numéro SIRET (ce qui, au sens de l’INSEE, représente un établissement à l’image des 149 Qu’ils soient tous télétravailleurs salariés ou tous indépendants, tous différents ; qu’ils aient des activités semblables ou non est sans incidence sur la qualification d’établissement 150 BRETON (T.), ibid. 151 reprenant les articles suivants : articles L 412-11, L 421-1, L 431-1 et L 433-2 du Code du travail. 152 Cass. Soc., 10 octobre 1991, Dr. soc. 1990, p. 40, note SAVATIER ; Cass. Soc. , 28 mai 1997, RJS 1997. 537, n° 830 en matière de délégué du personnel ; Cass. Soc. , 20 mars 1991, Dr. soc. 1991, p. 696, note SAVATIER (syndicat). 71 S.O.H.O153) ; les télétravailleurs à domicile ne peuvent constituer un établissement distinct. Ceci nous pousse à croire en la nécessité d’adaptation de la législation actuelle aux statuts juridiques des télétravailleurs à domicile. Mais le problème se réitère lorsque le Droit social est mis à l’épreuve de l’établissement du télétravail le plus répandu (hors télétravail à domicile) et connu sous le terme de « télécentre ». 2°) Le télécentre et le Droit social Le télécentre sera constitué de la même manière qu’un établissement distinct à une nuance près : Il n’est pas forcément composé que de salariés. Ainsi, nous pouvons le définir comme un groupe de télétravailleurs exerçant leur activité dans un seul et même lieu pour un ou plusieurs donneurs d’ouvrage. Le télécentre va constituer une ressource immobilière et logistique et mis à disposition de télétravailleurs. Les problèmes de Droit social rattachés au télécentre vont découler du fait du statut juridique des télétravailleurs y exerçant leur activité. Dans le cas où le télécentre n’est composé que de télétravailleurs salariés, et que ceux-ci n’exercent l’activité de télétravail que pour un seul employeur, le télécentre aura la qualité d’« établissement distinct ». Dans l’hypothèse inverse, le télécentre peut recouvrir plusieurs situations. Si chaque entreprise conserve la gestion de son personnel par l’intermédiaire d’un représentant de l’employeur, dans ce cas, il n’y a qu’une « co-location » du télécentre par les entreprises. Chaque groupe de salariés constitue un « établissement distinct » de cette entreprise. Par contre, en cas de main mise sur le personnel global du télécentre (donc de différentes entreprise) par une personne possédant à elle seule le pouvoir de gestion de ce personnel, la situation devient complexe d’un point de vue du Droit du travail. En premier lieu, les contrats de travail entre une entreprise et ses salariés en télécentre peuvent être modifiés : le fait qu’un tiers gestionnaire du télécentre vienne donner ordres et instructions à ces salariés peut engendrer le constat d’un lien de subordination (dans le contrat de travail). Ceci leur permettrait de soutenir l’existence de deux employeurs conjoints. Par ailleurs, cette situation peut constituer un délit de marchandage154 par le fait que des salariés de plusieurs entreprises travaillent « à but lucratif » sans distinction d’entreprise. Enfin, il y a une véritable difficulté pour établir des instances représentatives du personnel, basées sur une « unité économique et sociale » alors que cette dernière ne serait le fruit que 153 La Small Office Home Office est « une catégorie de travailleurs que les spécialistes de marketing considèrent comme un segment du marché spécifique. Il s’agit essentiellement des travailleurs indépendants travaillant à leur domicile, et de toutes petites entreprises de moins de 5 personnes », in « travail et activités à distance », Ed. d’org. , 1996. 154 Articles L 125-1 et R 125-1 du Code du travail. 72 d’une gestion des ressources humaines commune. La chambre sociale de la Cour de Cassation refuse la qualité d’« unité économique et sociale » à des établissements distincts155 même lorsque ces derniers appartiennent à des personnes morales distinctes156. Pourtant, cette unité économique et sociale, susceptible d’engager certains accords collectifs, est reconnue lorsqu’il y a interchangeabilité du personnel157 ou encore des conditions de travail semblables158. Ainsi, la « rencontre » entre le télécentre et le Droit du travail n’est pas sans heurt. Mais la législation est suffisante pour en délier les contentieux. Le télétravail demeure inhabituel dans la multiplication des lieux d’exécution de cette activité. Cela étant, les locaux eux-mêmes, non plus entendus comme le groupement du(es) télétravailleur(s) en un même lieu, mais dans le sens de la réglementation relative à l’occupation de ces derniers, peuvent faire l’objet de régimes juridiques diversifiés et complexes. B°) Le régime juridique des locaux liés au télétravail Les locaux sont directement rattachés à l’exécution du contrat de travail. Il convient alors d’en étudier les règles correspondant à leur occupation. Celles-ci se résument principalement aux règles des locaux d’habitation (1) et celles cadrant les baux professionnels (2). 1°) Les locaux d’habitation La réglementation relative aux locaux d’habitation interdit leur transformation en locaux à usage professionnel notamment dans les grandes villes de plus de 10 000 habitants, sauf à obtenir une autorisation administrative. Ces dispositions touchent tous les télétravailleurs (donc indépendants et salariés sauf nomades) et surtout le télétravailleur à domicile et présentent un désagrément sensible pour ce dernier voulant exercer son activité dans une partie de sa résidence secondaire, puisque la loi du 6 juillet 1989 implique que le bail soit un local d’habitation principale. Sans entrer dans le Droit commun du bail, même si le bailleur a obligation de mettre à bail un logement en état d’usage, ceci ne l’oblige pas à adapter l’immeuble à l’éventuelle activité de télétravail à domicile du preneur. Rappelons que le passage d’un bail d’habitation à un bail commercial159 peut s’effectuer dans le cadre d’un 155 Cass. Soc. , 17 décembre 1984, Dr. soc., 1985, p. 256, note SAVATIER (J.). Cass. Soc. , 2 avril 1996, RJS, 1996, p. 351, n° 555. 157 Cass. Soc. , 6 mai 1985, Bull. civ. V, n° 273. 158 Cass. Soc. , 14 mai 1987, Bull. civ. V, n°327. 159 Décret du 30 septembre 1953. 156 73 bail mixte (habitation/commerce) mais en aucun cas lorsque le local existant fait partie du domaine public (le principe d’inaliénabilité rend impossible le déclenchement du domaine public en droit réel). La forme de télétravail essentiellement touchée par ces dispositions est le télétravail à domicile. Pourtant, ce dernier n’est pas seul à souffrir des règles de Droit commun du bail prévu aux articles 1713 et suivants du Code civil. Le télétravail indépendant également, lorsqu’il nécessite un local purement professionnel, est soumis à une réglementation stricte mais plus précise et prévisible. 2°) Les baux à usage professionnels Comme nous venons de le dire, ces baux concernent, pour la majeure partie, les télétravailleurs indépendants. Les locaux à usage purement professionnel n’entrent dans le champ de la loi du 6 juillet 1989 que lorsque le local en question a une fonction mixte (habitation et activité professionnelle). Autrement dit, bon nombre de locaux de groupement de télétravailleur(s), tel que le télécentre, ne seront pas soumis à cette loi de 1989. Ceci met le télétravailleurs individuel dans une position moins protectrice de ses intérêts par rapport aux autres statuts surtout si celui-ci ne peut justifier d’une immatriculation au RCS et s’il ne peut relever du régime des baux commerciaux. La situation de certains télétravailleurs lors de l’exécution du télétravail sera rendu plus aléatoire du fait soit de l’inadaptation du Droit commun des baux soit du particularisme de leur situation. C’est ici que la principale motivation à légiférer apparaît. Pour autant, l’originalité des moyens d’exécution du télétravail ne s’arrête pas aux lieux et locaux du télétravail mais concerne également les biens (matériels et immatériels) nécessaires à la réalisation de la prestation de télétravail. L’élément principal de notre réflexion à ce sujet tend aux conséquences juridiques résultant du statut juridique combiné à l’exécution même du télétravail. § 2 – LA DELICATE PROBLEMATIQUE DES BIENS Lors de son exécution, le télétravail nécessite l’utilisation de biens tant matériels (A) (supports informatiques, fax, machine à écrire) qu’immatériels (B) (logiciels, bases de données, …), surtout le fruit de la croissance informatique et des NTIC à tous les niveaux de la vie économique, et a fortiori au niveau du télétravail. L’intérêt qui en ressort est de savoir quel statut juridique est le plus adapté aux biens de l’exécution du télétravail ? A°) La nature juridique des biens matériels 74 La caractéristique générale du bien est qu’il a nécessairement une valeur marchande. Et pour être un bien matériel, celui-ci doit être un objet physique, palpable donc corporel et directement en relation, en ce qui nous concerne, avec l’objet du contrat de travail (ou d’entreprise) : une prestation de travail. L’ensemble de ces biens matériels de l’exécution du télétravail relève du régime du Droit de la propriété, commun à tous les biens matériels (sauf Res nullius) et peut donc faire l’objet d’une vente ou d’un prêt en matière de télétravail. Lors d’un contrat de télétravail salarié (à domicile ou nomade), il appartient à l’employeur de fournir les outils de la prestation attendu par celui-ci. Autrement dit, et pour confirmer le principe n°3 du dialogue sectoriel européen des télécommunications160 relatif au télétravail à domicile, l’employeur a la charge de prêter (par contrat de prêt) l’ensemble des outils nécessaires au télétravail. Certains effets pervers peuvent avoir lieu, notamment en matière fiscale, lorsque le télétravailleur salarié reçoit en prêt un bien susceptible de servir le reste de la famille, et donc de n’être pas uniquement rattaché à la prestation de télétravail. Dans ce cas, l’avantage en nature peut être constitué au plan fiscal, par exemple. D’ailleurs, le versement d’un loyer en contrepartie de l’utilisation de matériel ne changerait rien, dans la mesure où cette pratique ne peut se concevoir lorsque le matériel est uniquement destiné à la prestation. Dans le cas contraire, ceci réduirait les possibilités de l’employeur de veiller à la bonne exécution du télétravail et au respect de certaines clauses (sécurité informatique161, …). Si le télétravail est, en réalité, un contrat d’entreprise, le prêt n’est pas favorable au donneur d’ouvrage : suite à l’abrogation de la présomption de non-salariat, un télétravailleur indépendant, inscrit au RCS et recevant à titre gratuit du matériel lié au télétravail, pourrait inciter le juge à requalifier ce contrat en contrat de travail au vu du « principe de réalité » (cf. supra). Mais le matériel corporel nécessaire au télétravail peut aussi faire l’objet d’une vente au télétravailleur. A l’inverse de ce qui a été dit précédemment, la vente n’est pas adaptée aux rapports de télétravail unissant salarié et employeur. Ceci se dégage de l’analyse a contrario du principe n°3 cité. En revanche, l’acquisition de biens matériels par le télétravailleur indépendant est préférable, dans la mesure où celui-ci conserve la pleine responsabilité de l’exécution de la prestation, et donc il lui revient de se parer d’un matériel suffisant. La vente du matériel directement du donneur d’ordre au télétravailleur indépendant peut parfois être justifiée lorsque l’exécution de la prestation nécessite l’utilisation d’un matériel spécifique et breveté par le donneur d’ordre. Là encore, au-delà du Droit commun du travail, la 160 « tous les équipements seront fournis, installés et entretenus par l’entreprise, et restitués même si le télétravail cesse pour une raison quelconque ». 161 cf. infra. 75 réglementation européenne permet un « cadrage » efficace du télétravail, sans nul doute écartant la nécessité d’autres règles. Ainsi, à chaque forme de télétravail va correspondre un régime juridique préférable pour les biens matériels. Mais qu’en est-il des biens immatériels ? B°) Les biens immatériels A ce stade, nous ne pouvons plus nous cantonner au Droit de la propriété. Le télétravail suppose de plus en plus un usage constant de l’outil informatique et donc un traitement croissant de données sous formes numériques. Le télétravailleur (individuel ou salarié) se trouve face à la dématérialisation des biens échangés dans l’économie du contrat, ce qui augmente les risques d’atteintes à l’intégrité ou à la disponibilité du matériel et/ou des données utilisées. De là, se soulève la question de savoir qui sera véritablement le responsable de ces dommages et/ou violations des droits relatifs aux biens immatériels ? En réalité, la responsabilité sera ou non partagée en fonction de l’utilisation, parfois réciproque, du même bien incorporel (télétravailleur salarié – employeur, télétravailleur – donneur d’ordre). A titre illustratif, et concernant le Droit de la propriété industrielle, dès lors qu’un co-contractant utilise un logiciel détenu par l’autre co-contractant, ce dernier doit lui-même s’assurer que le premier a la capacité d’en user (licence, …) pour exécuter sa mission, ou bien que lui-même possède un droit de sous-licencier ce logiciel. La responsabilité sera également retenue envers celui qui aura volontairement détruit des fichiers exécutables. En pratique, il convient d’établir des « chartes » de nature juridique, établissant le statut juridique de l’ensemble des biens immatériels utilisés dans la prestation de télétravail, et ainsi conditionner l’utilisation des NTIC afin de limiter les risques de sinistres informatiques ayant une origine humaine. Là encore, nous constatons que seule la convention collective peut délimiter le régime de ces biens, la loi n’étant pas suffisamment précise pour le cas du télétravail, et ce, malgré la mise en place de mesures destinées à limiter la « cybercriminalité »162. Le télétravail, s’il crée une nouvelle forme de travail, nécessite comme nous avons pu le voir d’un ensemble matériel adapté et élevant quelques particularismes notamment liés aux différents régimes juridiques des locaux, des lieux et biens de l’exécution de la prestation de télétravail. Mais il nous est possible de constater, au delà de matériels spécifiques, un cadre conventionnel singulier du télétravail. Certaines clauses particulières récurrentes sont insérées 162 Article L 323-2 du Code pénal : « le fait d’entraver ou de fausser le fonctionnement d’un système de traitement automatisé de données est puni de 3 ans d’emprisonnement et de 300 000 francs d’amende ». 76 au contrat de télétravail (tant indépendant que salarié) dans le but principal de protéger une partie au contrat : l’employeur ou le donneur d’ordre. SECTION 2 – LE CADRE CONVENTIONNEL SINGULIER DU TELETRAVAIL La première particularité conventionnelle du télétravail est qu’il nécessite obligatoirement l’existence d’un écrit163, allant à l’encontre des dispositions de l’article L 121-1 du Code du travail164, ce qui apparaît grandement nécessaire dans le télétravail, pour lequel, bon nombre de questions restent sans réponse. Seulement, les clauses qu’il nous faut parcourir sont à la fois les moyens juridiques de la bonne exécution du télétravail, mais parfois aussi, outre les précisions qu’elles apportent, un moyen de protection du donneur d’ouvrage (employeur ou entreprise co-contractante pour le télétravail indépendant ). Le cadre conventionnel régulier forme l’un des fondements principaux à la thèse favorable de la création d’un statut spécifique du télétravailleur. Pourtant, ne devons-nous pas y voir plutôt l’utilisation de dispositions particulières déjà présentes dans d’autres types de contrat ? L’essentiel de ces dispositions est constitué par la fixation d’une obligation générale de fidélité (§1) (celle-ci pouvant se ramifier au travers d’autres clauses restrictives et de protection), mais aussi d’un soucis de limitation du contentieux susceptible d’opposer les cocontractants (§2). § 1 – UNE OBLIGATION DE FIDELITE Certaines clauses très courantes, dans les contrats de télétravail (télétravail salarié) ou d’entreprise (dont l’obligation objet du contrat est une prestation de télétravail), forment une véritable obligation générale de fidélité. En effet, le télétravailleur salarié et même le télétravailleur individuel peut véritablement être tenu, pendant la durée de son contrat et même au-delà, de respecter certaines clauses restrictives de liberté du travail (A), mais aussi de veiller au respect de la confidentialité des données (B) utilisées lors du télétravail. A°) Les clauses restrictives de la liberté du travail 163 directive n° 91-533 du 14 octobre 1991 pour laquelle « toute relation de travail dans la communauté doit donner lieu à la rédaction d’un écrit afin que chacune des parties connaisse exactement ses droits et ses obligations […] ». 164 article L 121-1 alinéa 1 du Code du travail : « il (le contrat de travail) peut être constaté dans les formes qu’il convient aux parties contractantes d’adopter ». 77 La liberté de travail du télétravailleur est fragile. Dans le contrat de télétravail, celle-ci est souvent mise à mal au travers l’existence de deux clauses parfois utilisées cumulativement. La clause d’exclusivité (1) et la clause de non-concurrence (2) nous renvoient toutes deux à une obligation générale de non-concurrence, laissant transparaître en filigrane un devoir de fidélité qu’a le télétravailleur envers son donneur d’ouvrage. A priori, ces éléments de protection des intérêts légitimes de l’entreprise co-contractante peuvent paraître superfétatoires165 dans la mesure où l’on imagine mal être à la fois collaborateur et concurrent. Pourtant, la pratique conventionnelle en est toute différente. N’y a-t-il pas violation des principes constitutionnels ? 1°) La clause d’exclusivité des services La clause d’exclusivité tend à consacrer au donneur d’ouvrage (quel qu’il soit) l’assurance d’être l’unique bénéficiaire de l’activité du débiteur de cette obligation, puisque ce dernier ne pourra (dans le cadre d’un contrat de temps plein) exercer toute autre activité professionnelle que ce soit. Cette clause jusqu’à rendre impossible le passage d’une activité salariée à une activité indépendante (et vice versa), et que cette activité soit effectuée directement ou par l’intermédiaire d’une autre personne. Cependant, la liberté de travail est un principe constitutionnel166 rappelé à l’article L 120-2 du Code du travail167. A ce sujet, la chambre sociale de la Cour de Cassation est venue apporter quelques précisions quant à l’importance faite des intérêts légitimes de l’entreprise dans l’insertion de telles clauses dans les contrats de télétravail : « La clause par laquelle un salarié s’engage à consacrer l’exclusivité de son activité à un employeur porte atteinte à la liberté du travail. Elle n’est donc valable que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, et si elle est proportionnée au but recherché […]»168. Ce type de clause paraît désormais illicite surtout pour le télétravailleur exerçant à temps partiel, ce qui ne lui donne pas la possibilité d’exercer pour le concurrent. L’exclusivité ne peut non plus rendre impossible le passage d’une activité salariée à une activité indépendante (au nom de la liberté d’entreprendre). 165 RAY (J.E.), Le Droit du travail à l’épreuve des NTIC, ed. Liaisons, 2001. p. 73. Le préambule de la Constitution de 1946 reprend la notion de « droit d’obtenir un emploi ». 167 article L 120-2 du Code du travail : « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tache à accomplir même proportionnées au but recherché ». 168 Cass. Soc. , 11 juillet 2000, 4 espèces confirmées par Cass. Soc. , 28 février 2001, cités par RAY (J.E.), ibid, p. 74. 166 78 La difficulté tient au fait de l’analyse de l’autre « activité » du télétravailleur, à laquelle il faudra comparer celle initialement prévue par le contrat de télétravail. Notons qu’une autre difficulté juridique peut émaner, au même titre que la clause de non-concurrence, du fait que ce type de clause peut être contenu dans un accord collectif (notamment la convention collective), et être opposé au salarié dès lors que celui-ci est informé de son existence ; et mis en demeure d’en prendre connaissance169. De toute façon, seul le principe constitutionnel, au centre du principe de hiérarchie des normes, l’emportera sur la clause d’exclusivité en cas de doute sur la licité de celle-ci. La clause d’exclusivité tend néanmoins à être liée à une catégorie de clause dont le résultat sera de restreindre la liberté du travail : la clause de non-concurrence. 2°) La clause de non-concurrence Cette clause est également possible dans le cadre du respect des intérêts légitimes de l’entreprise, et ce pendant toute la durée du contrat de travail. Celle-ci est bien inhérente au contrat de travail et a fortiori au contrat de télétravail, l’employeur craignant les agissements en concurrence déloyale de son salarié ( ce dernier ne pouvant être facilement contrôlable en cours de l’exécution). L’exécution du télétravail sera donc subordonnée au respect de cette clause, systématique et récurrente de fait en la matière. Ce type de clause est donc directement lié à la loyauté du télétravailleur et à une certaine forme de fidélité de ce dernier en faveur du donneur d’ouvrage. C’est essentiellement en raison du matériel mis à disposition du télétravailleur salarié (micro-ordinateur, fax, modem, …) que ce type de clause est inséré au contrat, puisque le télétravailleur peut être tenté d’utiliser ce matériel pour concurrencer son co-contractant170. Ainsi est mise en place une protection indéniable des intérêts du chef d’entreprise, et les pratiques de concurrence déloyale de la part du télétravailleur peut amener le juge à accepter le licenciement pour faute grave voire même pour faute lourde (quand il y a intention de nuire). La fuite d’informations ou de données est ainsi canalisée par ce genre de clause et fait partie du « paysage » contractuel du télétravail. Cela dit, elles ne constituent, en aucun cas, une spécificité en matière de télétravail puisque inhérente et effective dès le premier jour suivant la conclusion de tout contrat de travail. Comme nous avons pu le constater, ces deux types de clauses, toutes deux rattachées de près ou de loin à une loyauté du salarié, sont principalement motivées par l’utilisation de moyens permettant facilement l’octroi de donnés nominatives, confidentielles, …Cela dit, ces 169 170 Pour la clause de non-concurrence ; Cass. Soc. , 8 janvier 1997, D. 1997, p. 332, note CRIONNET. Voir espèce Cass. Soc. , 14 novembre 2000, JS UIMM, mars 2001, p. 74. 79 clauses peuvent tout à fait être présentes dans un contrat de travail classique. Certes, le télétravail est plus « exposé » à ce type de clause, mais n’est pas davantage source de conflits en la matière. Les NTIC, dans ce qu’elles ont d’utile et d’incontournable dans la pratique du télétravail, vont amener les donneurs d’ouvrage (surtout les employeurs) à veiller à la protection des données les concernant. Là encore, le contractuel aura une place prépondérante. B°) La protection des données La protection des données va nécessairement impliquer le respect de règles contractuelles, définies à l’avance, dans le but de rapprochement des intérêts légitimes de l’entreprise (jurisprudence de l’article L 121-1 du Code du travail). Cette protection prend la forme principale de la non-divulgation des informations et données, et prendra l’aspect juridique d’une clause de confidentialité. Il s’agira ici de mettre le télétravailleur en phase avec un certain protocole d’utilisation des données ou d’éléments nominatifs (code d’accès, formatage de disquettes à chaque nouvelle utilisation, effacement de données une fois le dossier achevé, …). Notons qu’en cas de non-respect de ces précautions (préconisées par le donneur d’ouvrage), il est possible de licencier le télétravailleur pour faute grave et demander des dommages-intérêts le cas échéant (surtout envers le télétravailleur indépendant). Cette confidentialité peut être tout à fait remplie par la législation actuelle : le Code pénal, mais aussi la loi du 6 janvier 1978 dite informatique et libertés. Cette clause de confidentialité ne peut être détachée d’une autre clause : celle d’utilisation exclusivement personnelle du matériel. Celle-ci permet également un maintien de la confidentialité dans les rapports de télétravail et doit être justifiée par les intérêts légitimes de l’entreprise (cf. supra). Cette disposition correspond à l’interdiction pour un tiers (enfant, conjoint, …) d’utiliser la performance du matériel mais ne peut aller au delà. Toutes ces clauses, visant une éthique de loyauté mais aussi de fidélité au donneur d’ouvrage, ont pour but de mettre en place un système conventionnel « à toute épreuve » dans un soucis de parfaire l’exécution du contrat de télétravail, mais également dans l’objectif de protection du donneur d’ouvrage ou de l’employeur. Au delà de ces clauses de fidélité, existe encore un panel conventionnel composé d’autres dispositions limitatives de contentieux, et davantage adaptées à l’utilisation des NTIC dans la prestation de télétravail. § 2 – LES AUTRES DISPOSITIONS LIMITATIVES DU CONTENTIEUX 80 Celles-ci ont plus spécialement pour but la défense des intérêts économiques de l’employeur ou du donneur d’ordre (A), au sens premier, au travers les coûts de formation et de matériels nécessaires au télétravail, mais aussi touchant les aspects économiques de la propriété industrielle. D’autres dispositions, ayant pour objectif d’éviter les litiges entre le donneur d’ouvrage et le télétravailleur, se situent au niveau du déroulement même de la prestation de télétravail, là encore au sens premier, et qui ne sont néanmoins nullement détachées d’autres clauses visées plus haut. Ces règles seront donc indispensables à la mise en place du télétravail (B). A°) Les clauses de protection des intérêts économiques du donneur d’ouvrage Les deux principales clauses visées ici concernent très spécialement le télétravail salarié sous toutes ses formes. Et dès lors qu’il y a télétravail salarié, le chef d’entreprise est amené à fournir le matériel suffisant pour l’exécution du contrat de télétravail (cf. supra). Cette obligation faite à l’employeur peut lui coûter beaucoup d’argent, de la même manière qu’un salarié non formé nécessitera une mise à niveau dans certains domaines, ce qui peut être source de frais. Il n’est alors pas surprenant de voir naître des clauses relatives à la fourniture mais aussi de dédit-formation (1). Dans ce même souci économique, il est pris précaution par l’employeur au travers une clause relative aux inventions (2) lorsque, dans son domaine, le télétravailleur salarié est susceptible d’avoir des activités brevetables. 1°) Les clauses de fourniture et de dédit-formation Concernant la clause relative à la fourniture du matériel lié au télétravail, rappelons que le principe n°3 du dialogue sectoriel européen des télécommunications du 11 janvier 2001 prévoit que « tous les équipements seront fournis, installés et entretenus par l’entreprise, et restitués si le télétravail cesse pour une raison quelconque ». Certes, il en ressort que l’employeur doit obligatoirement mettre à disposition du télétravailleur salarié les « outils » suffisants à l’exécution du télétravail, mais surtout que ces « outils » lui seront dus en cas de cessation d’activité ou de rupture du contrat de télétravail. Cette clause aura pour but soit de fixer les modalités d’utilisation du matériel lorsque le contrat est en cours, soit de fixer les règles relatives à la restitution (paiement d’une partie du matériel en cas de fortes dégradation). De la même manière, qu’en cas de congés du télétravailleur, il appartient aux co-contractants de prendre les mesures qui s’imposent dans le souci, toujours demeurant, de protection des données de l’entreprise (restitution provisoire, sauvegarde, mise sous clefs, …). Autrement dit, l’employeur tend à protéger son investissement en effectuant un listing 81 complet du matériel mis à disposition dans le souci d’économie et d’un meilleur amortissement. Quant à la formation du télétravailleur, le chef d’entreprise entend bien se prévaloir du remboursement des frais de formation avancés par lui dans le cas où le télétravailleur salarié quitte l’entreprise de manière anticipée. Cette clause de dédit-formation fait s’engager le télétravailleur salarié à rester au service de l’entreprise pendant un certain temps. S’il y a départ de celui-ci avant l’arrivée du terme, l’employeur est en droit de demander le remboursement. Cette clause est souvent utilisée en plus de celle concernant les fournitures, dans la mesure où dans bon nombre de cas, la formation du télétravailleur à l’utilisation des NTIC est indispensable. Il peut s’agir de formations classiques (Word, excel, Outlook) peu onéreuses comme de formations pointues dans un domaine nécessitant une formation de plusieurs mois (logiciels particuliers, graphisme informatique, …). Le but est ici de maintenir également le télétravailleur dans son cadre de télétravail en le mettant face à un remboursement de sommes parfois élevées, ce qui entre dans la droite ligne de la fidélité au chef d’entreprise. Ceci évite aussi que le télétravailleur, une fois formé, ne bénéficie qu’à la concurrence. 2°) La clause relative aux inventions Les inventions sont un atout majeur pour l’employeur dans sa prise de position économique sur le marché des biens et services. Ainsi, dans les domaines susceptibles d’avoir des résultats entrant sous l’effet de la loi du 2 janvier 1968, l’employeur est tenté de s’approprier l’invention. La loi du 13 juillet 1978 comporte des dispositions particulières en matière d’activités inventives des salariés. Il est alors difficile de faire la distinction entre les inventions que la loi dit « inventives » et celles dites « indépendantes ». Les premières sont certes faites par le salarié mais durant l’exécution du travail comportant une mission inventive ou de recherche. De telles inventions appartiennent à l’employeur. En revanche, les inventions indépendantes appartiennent au salarié, mais avec la possibilité pour l’employeur de se les faire attribuer en totalité ou partie et ce, moyennant un juste prix. Le domaine des inventions du télétravailleur est plus délicat juridiquement que celui du travailleur subordonné classique, dans la mesure où il sera plus difficile d’établir la preuve du lien avec la mission confiée par le chef d’entreprise puisque celle-ci sera faite hors de l’entreprise. Nous constatons ici que la législation actuelle est suffisante, et garantit une protection du télétravailleur en cas d’abus des intérêts légitimes de l’employeur. 82 Même si l’ensemble des clauses vues précédemment ont pour but de limiter les litiges, d’autres clauses vont davantage remplir cette fonction de prévention du contentieux, en raison de la multiplication des litiges résultant des éventuelles violations des mesures visées par ces clauses. Ces règles seront véritablement indispensables à l’introduction même du télétravail. B°) Les règles spécifiques liées à la mise en place du télétravail Pour une fois, la clause de réversibilité n’a pas uniquement pour objectif la défense des intérêts légitimes de l’entreprise, mais également la protection du salarié taylorisé ayant l’envie de tenter l’expérience télétravail. Cet avenant au contrat est jugé indispensable (puisque cette clause existe dans les accords collectifs de télétravail existants) durant la phase de mise en place du télétravail. Cette clause de réversibilité171 va faciliter le retour du télétravailleur à son bureau initial. Ceci a un double avantage : d’une part, cela permet d’éviter un échec économique ou humain par le télétravail, ce qui conforte le chef d’entreprise dans son intérêt à maintenir une cohésion économique et relationnelle stable ; d’autre part, la réversibilité donnera la possibilité au télétravailleur de revenir à un mode d’organisation et d’exécution plus traditionnel en cas d’inadaptation flagrante. D’autant que cette clause met en confiance l’éventuel télétravailleur, puisqu’il conserve un droit au retour dans les murs de l’entreprise. La seule solution, en cas d’inadaptation, serait la démission du télétravailleur ou son licenciement. Ce type de clause fait partie des rares clauses véritablement spécifiques du télétravail dans le cadre de sa mise en place et de son déroulement, les autres clauses susvisées étant susceptibles d’être présentes dans d’autres contrats que celui de télétravail. En réalité, le caractère singulier du cadre conventionnel du télétravail ne se situe pas au niveau de l’analyse individuelle de chaque clause précitée (puisqu’elles sont fréquemment utilisées dans d’autres conventions et ceci ne vérifie donc pas la spécialité du télétravail), mais plutôt dans la juxtaposition de presque l’ensemble de ces clauses dans le contrat de télétravail (ce qui n’est pas chose utile dans les autres contrats). Le télétravail semble alors être l’une des rares conventions à nécessiter autant de clauses particulières. Mais en dépit de toutes ces précautions conventionnelles et au delà de ce particularisme, persistent des complications juridiques dans l’exécution du télétravail. Celles-ci ne sont pas alors dues à l’utilisation de matériels spécifiques alloués à l’exercice de la prestation de télétravail, relevant de statuts juridiques indépendants, ni au cadre conventionnel spécialement adapté au télétravail. Ces complications découlent essentiellement de l’utilisation de la télématique et des NTIC lors de l’exécution de l’obligation objet du contrat de télétravail. La 171 RAY (J.E.), Le Droit du travail à l’épreuve du télétravail . Une nécessaire adaptation, Droit social, avril 1996, p. 352. 83 distance séparant les co-contractants, doublée des effets pervers des NTIC, rendent délicat l’exercice de certains droits fondamentaux que détient chaque partie, en vertu de leur qualité juridique. Il ne sera fait ici égard qu’aux effets tant de la distance que de l’utilisation des NTIC sur le contrat de télétravail (salarié) et non sur le contrat d’entreprise (dont l’obligation serait une prestation de télétravail), ce cadre conventionnel se prêtant plus à complications. Notons qu’on ne pourrait soutenir de développer sur la mise en œuvre du télétravail, sur son exécution sans tenir compte de ces effets sur la rupture du contrat. CHAPITRE II LES COMPLICATIONS DE L’EXECUTION DU TELETRAVAIL La distance, élément épistémologique de la définition du télétravail, et l’utilisation de plus en plus fréquente des NTIC (internet, intranet, …, et a fortiori de la télématique) sont les « ingrédients » de la dynamique du télétravail. Seulement, ces éléments vont être, dès lors qu’ils interviennent dans le même temps, sources de complications portant d’une part, sur l’exécution matérielle du télétravail. En effet, la distance, l’utilisation de la télématique et des NTIC posent le problème du contrôle du personnel (section 1). Il s’agit de prouver que ce contrôle (véritable preuve du lien de subordination) n’est pas chose aisée, et qu’il se détache du contrôle connu en matière de travail subordonné traditionnel. Ceci soulève, en réalité, certains problèmes juridiques rattachés aux modes de contrôle et leurs incidences sur les droits des salariés. D’autre part, dans le cadre de l’exécution même du contrat de télétravail, nous ne pouvions ignorer l’hypothèse de la rupture du contrat (section 2) en matière de télétravail. Rupture qui pose, elle aussi, d’innombrables complications peu important qu’elles soient d’origine économique (reclassement, réorganisation de l’activité, …) ou non (licenciement pour faute, appréciation, motifs de Droit commun ?). SECTION I – LA QUESTION DU CONTROLE DU PERSONNEL 84 Il est de bon ton de préciser que le 20ème rapport annuel d’activité de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL172) marque le rôle grandissant des NTIC dans la société en général, mais également dans le monde du travail, et a fortiori, cette confirmation touche le télétravail. Ce dernier s’exécute désormais presque uniquement par l’intermédiaire de ces nouvelles technologies. Or, le tout numérique, même s’il est présenté comme un moyen offrant la promesse de tâches moins fastidieuses (travail à domicile, cadre agréable, …) s’avère être, au delà de ces effets néfastes173, source de contrôles accrus mais pourtant délicats en matière de télétravail. En ce domaine, deux questions semblent malaisées : il s’agit, en réalité, des deux aspects du contrôle du personnel. D’une part, celui du contrôle de la durée du travail (§1), ce qui soutend le problème des moyens d’évaluation de cette durée et par là même des effets sur la rémunération du télétravail ; d’autre part, l’autre question soulevée par ce contrôle du personnel est celle plus courante du contrôle du travail même du télétravailleur (§2) puisque, par définition, le télétravail s’effectue en dehors des abords de l’entreprise bénéficiant de la prestation de travail, et où ce contrôle proprement dit devrait s’exercer. Ce thème est très important pour les télétravailleurs salariés (à domicile surtout mais aussi nomades) car il touche leur vie quotidienne et peut être source d’abus de la part de l’employeur. §1 – LE CONTROLE DE LA DUREE DU TRAVAIL : IMBROGLIO JURIDIQUE ? Comment contrôler la durée de travail d’un télétravailleur salarié ? Cette question est, si ce n’est la plus ardue, l’un des « Himalaya juridique » du télétravail174. En effet, s’il n’est pas connecté en permanence à l’entreprise, le télétravailleur n’est soumis à aucun contrôle ou évaluation fiables de son temps de travail effectué. La trop célèbre « pointeuse » du taylorisme est mise au banc des objets obsolètes. Ainsi, un constat préalable est possible : le lien entre travail et temps est de plus en plus éloigné et difficile à effectuer. Le contrôle de la durée du travail semble être une mission impossible175. Une première évaluation du temps de travail se fera selon la nature de la prestation de télétravail à fournir (A). Un second mode d’évaluation est rendu possible selon que le temps de travail effectué par le télétravailleur est qualifié d’astreinte ou de temps de travail effectif (B). Notons que ceci démarque bien le statut du télétravailleur salarié des autres travailleurs classiques. 172 Rapport d’activité 1999 CNIL (extraits), in « Cybersurveillance des salariés » Liaisons sociales quotidien, 21 juillet 2000, p. 1 et s. 173 stress, intensification du travail, … (supra). 174 RAY (J.E.), op. cit. , p. 353. 175 HIDALGO (A.), Un rôle nouveau pour l’administration du travail ?, Droit social, juin 1992, p. 538 et s. 85 A°) L’évaluation forfaitaire du temps de travail selon la nature de la prestation de télétravail Celle-ci sera possible en fonction de la tâche à exécuter et du temps « raisonnablement » nécessaire à sa réalisation. Il est alors envisageable de distinguer le télétravail de réalisation (1), pour lequel sera pris en considération le temps nécessaire normal à ladite prestation, et le télétravail de création intellectuelle et de conseil dont la réalisation est plus aléatoire dans la durée, et pour lequel va correspondre une rémunération et une évaluation forfaitaire (2). 1°) Le télétravail de réalisation technique Dès que la prestation de télétravail est quantifiable (nombre de pages corrigées par le correcteur, nombre de pièces effectuées par une couturière à domicile, nombre de pages traduites par un traducteur, …), l’évaluation de la durée du travail, même à distance, ne pose pas de problème. Dans la mesure où il est possible d’évaluer le temps moyen qu’un correcteur met par copie ou qu’une couturière passe dans la confection d’une veste, il ne suffit que de multiplier le nombre de tâches effectuées par le temps moyen de cette tâche pour déterminer le temps de travail (approximatif) effectivement passé. Ceci correspond donc à une rémunération forfaitaire pour laquelle il doit être fait état à l’avance176. Cette évaluation n’abroge en rien le respect de la législation du travail en matière de durée maximale quotidienne ou hebdomadaire177 et des dispositions communautaires178 ; sauf pour certaines catégories de télétravailleurs, comme les télétravailleurs itinérants ou nomades, pour lesquels ces dispositions ne peuvent pas être appliquées (ces derniers organisent comme bon leur semble leur journée de travail). Le temps de travail effectué, la rémunération sera alors aisée. Il ne faut pourtant pas négliger le rôle des NTIC en matière de télétravail de réalisation puisque certains matériels informatiques (logiciels, programme, …) permettent le contrôle de la durée du temps de travail. Ils peuvent avoir un rôle soit dans la comptabilisation des heures (à chaque connexion sur l’ordinateur rendue inhérente à l’exécution de la prestation de travail, l’ordinateur calcule le temps d’utilisation et donc le temps réel de travail) soit par le biais d’un arrêt automatique de l’outil programmable, dès lors que la durée de travail maximale quotidienne est atteinte. Ceci doit cependant permettre une certaine flexibilité du travail à domicile ou nomade et ne pas interdire le travail du télétravailleur après une certaine heure (ce 176 article L 721-1 du Code du travail, en ce sens, Cass. Soc. , 9 novembre 1971, Bull. civ. V, n°650 ; a contrario Cass. Soc., 22 janvier 1981, Bull. civ. V, n° 62. 177 Articles L 212-1 et L 212-7 alinéa 1 et 2 du Code du travail. 86 qui dépouillerait d’un des avantages essentiel du télétravail pour le salarié). Ce point nécessite donc un avenant au contrat ou l’existence d’une disposition particulière dans l’accord collectif de manière à prévenir les abus, et ainsi maintenir une protection du télétravailleur salarié. Dans le cas où il n’existerait aucun moyen fiable de vérification du temps de travail passé à l’exécution de la tâche par le télétravailleur (aucun logiciel de contrôle, …) et que l’évaluation ne se ferait qu’au moyen exposé ci-dessus, il peut arriver que les salariés contestent leur rémunération au vu du temps qu’il ont réellement passé à travailler. A ce sujet, les plaintes déposées auprès de l’inspection du travail sont fréquentes. En matière de télétravail, notamment à domicile, la flexibilité est très importante, et celle-ci ne servira pas le télétravailleur en cas de contestation. En effet, l’article L 611-9 du Code du travail précise que les « inspecteurs du travail peuvent se faire présenter, au cours de leurs visites, l’ensemble des livres, registres et documents rendus obligatoires par le présent Code ou par une disposition de la loi ou de règlement relative au régime du travail ». L’employeur doit, a priori, communiquer à l’inspection du travail les documents vérifiant la durée du travail. Cela dit, le dernier alinéa du même article prévoit que : « les chefs d’établissement doivent tenir à la disposition de l’inspecteur du travail […] le ou les documents existants dans l’établissement, qui lui permettent de comptabiliser les heures de travail effectuées par chaque salarié ». Cela signifie, dans une lecture a contrario, que les documents ne peuvent être exigés lorsqu’ils n’existent pas. Dès lors, le contrôle du temps de travail risque de devenir une question purement théorique179. C’est ici que la nécessité d’insérer des avenants particuliers au contrat de télétravail ou encore à la convention collective se ressent le plus. Au delà de ce premier système d’évaluation, le second mode d'estimation du temps de travail effectué par le télétravailleur provient du fait que ce dernier exerce un télétravail de création intellectuelle ou de conseil. Puisque non quantifiable, l’évaluation est d’autant plus difficile. 2°) Le télétravail de création intellectuelle et de conseil Le mode d’évaluation du temps de travail est, en matière de télétravail de conseil ou de conception, basé sur une formule forfaitaire. Le téléconseiller juridique, le concepteur informatique ou encore l’attaché de presse, relevant du statut du télétravailleur salarié, auront évidemment du mal à quantifier en heures (et à l’avance) le temps de travail effectivement passé à l’exécution de la prestation demandée. Ainsi, le régime forfaitaire est de mise mais prend une autre forme : à savoir, on ne se réfère plus à une production à la pièce pour évaluer 178 179 Directive du 29 mai 1990 et décret du 14 mai 1991 relatifs au travail sur écran. HIDALGO (A.), op. Cit., p. 540. 87 le temps de travail, mais plutôt il y aura rémunération à la mission devant être effectuée dans un temps plus ou moins court (mais sans véritable précision). Le caractère complexe que revêt ce télétravail amène à l’impossibilité de prévoir la répartition de l’achèvement de la mission dans le temps. Le paiement forfaitaire n’empêche pas, une fois de plus, le respect des normes de durée maximale quotidienne de travail pour les raisons évoquées ci-dessus. Mais, en réalité, en ce qui concerne les éventuels litiges concernant le rapport salarié-temps de travail, il ne peut être fait état d’une réelle protection en faveur du télétravailleur salarié puisque sa rémunération étant forfaitaire, peu importe le nombre d’heures ou de jours de travail passés pour la réalisation. D’autant que les télétravailleurs concepteurs ou conseillers sont souvent traités de la même manière que le télétravailleur à domicile (article L 121-1 du Code du travail), et pour qui, la réglementation sur la durée hebdomadaire du travail ne s’applique pas. Dès lors, la demande par le salarié d’un éventuel contrôle de la durée du temps de travail en devient superfétatoire. L’évaluation du temps de travail par la nature même de la prestation de télétravail semble ne pas être aisée malgré des dispositions de la législation du travail qui restent applicables pour certaines catégories de télétravailleurs, et malgré les outils des NTIC permettant un contrôle direct du travail (par l’outil même de la prestation : l’ordinateur). De ce fait, il est possible de rechercher l’évaluation du temps de travail au travers la qualification même du temps de travail effectif de celle d’astreinte, qui tous deux possèdent un régime de calcul du temps de travail distinct. B°) L’évaluation par la qualification : temps de travail effectif ou astreinte ? Ce questionnement dépend énormément du contrat de télétravail en cause. En effet, si ce dernier précise clairement au travers un écrit180 la période de « télédisponibilité »181 du télétravailleur, l’évaluation du temps de travail effectif est plus aisée. Mais les cas des télétravailleurs (surtout nomades), n’ayant aucune période déterminée (pendant laquelle ils sont susceptibles d’être en contact avec l’entreprise pour en recevoir ordres et directives) sont très répandus. Ces derniers soulèvent alors la difficulté du choix de la qualification du temps passé dans le cadre de l’exécution de leur contrat de télétravail, à savoir, s’il faut retenir la qualification d’astreinte182 ou celle de temps de travail effectif (1), d’autant que de telles 180 Conformément à la directive 91-533 du 14 octobre 1991 précité. Propos tenus par RAY (J.E.) in « Nouvelles technologies et nouvelles formes de subordination », Droit social, n°6, juin 1992, p. 529-530. 182 Voir la loi quinquennale du 20 décembre 1993 légalisant l’astreinte. 181 88 qualifications va dépendre l’évaluation du temps, étroitement lié à la question de la rémunération et donc à celle des heures supplémentaires (2). 1°) Les qualifications d’astreinte et de temps de travail effectif Il convient ici de poser la problématique de la frontière entre ces deux qualifications. L’enjeu est majeur puisque dépend de cette qualification (au cas par cas) l’évaluation du temps passé par le télétravailleur à effectuer la tâche. Nous pouvons aisément imaginer la situation d’un télétravailleur commercial, dont la tâche à effectuer le pousse à remplir ses obligations de télétravail de manière intermittente. Ce dernier peut, en effet, être amené à remplir sa mission de télétravail proprement dite de manière alternée avec des périodes de déplacement entre les domiciles de ses clients. Ces déplacements sont certes liés à sa mission de prospection, mais n’entrent pas directement dans l’exécution de la prestation de télétravail. Dès lors, comment envisager le calcul du temps de travail de ce salarié puisqu’il demeure, à tout moment, contactable par l’employeur pour exécuter une mission de télétravail ? Est-ce du temps de travail effectif ? Si nous reprenons la définition du temps de travail effectif, il peut en être fait état de la manière suivante : la chambre sociale de la Cour de Cassation affirmait déjà dans un arrêt du 31 mars 1993183, qu’être présent et à la disposition de son employeur vaut temps de travail effectif sans pour autant que ce soit constamment du travail ou dans l’exercice de ses fonctions comme le demande l’article 2 de la directive du 23 novembre 1993 relative à l’aménagement du temps de travail (et c’est à ce stade que se soulève la question des astreintes). L’objectif en est de faire la distinction entre deux types de périodes susceptibles de se ressembler en matière de télétravail. Au vu de la jurisprudence sociale de la Cour de Cassation et du nouvel alinéa de l’article L 212-4 du Code du travail184, sera considéré comme du temps de travail effectif, la période passée par le salarié dans l’attente d’une quelconque directive ne lui permettant pas de vaquer à ses occupations personnelles, surtout si cette période, éventuellement d’intermittence entre deux périodes d’activité (au sens premier), est motivée par un maintien permanent du salarié à la disposition de l’employeur dans le cadre de la participation à l’activité de l’entreprise185. A contrario, nous pouvons soutenir qu’il y aura astreinte (article L 212-4 du Code du travail) lorsque le télétravailleur peut, entre les moments où celui-ci est mis à la disposition de son 183 Cass. Soc. , 31 mars 1993, Bull. civ. V, n°270. L’article L 212-4 du Code du travail développe en ces termes que : « la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ». 185 en ce sens voir Cass. Soc., 15 février 1995, Liaisons sociales du 23 mars 1995, Juris actua, n° 7233. 184 89 entreprise, vaquer à des occupations personnelles. Le maintien d’un lien permanent de mise à disposition de ce dernier à l’entreprise n’est alors pas vérifié. Nous pourrions nous demander si ce n’est pas là le cas de tous les télétravailleurs (surtout nomades) du fait des moyens utilisés dans le cadre du télétravail ? (téléphone portable, alphapage, eurosignal, …) Ces derniers leur confèrent une grande liberté de mouvement et leur permettent d’exécuter leur prestation au moment où l’employeur le désire, peu importants le lieu et la position dans lesquels les télétravailleurs se trouvent. La réalité n’est pourtant pas si simple. En effet, dès lors que le télétravailleur peut être amené, même de manière très éventuelle, à devoir répondre à son employeur , il nous est difficile d’établir un mouvement totalement libre et personnel du télétravailleur en raison des outils de télécommunication qu’il doit toujours garder non loin de lui pour faire face à ces demandes inopinées. Le télétravailleur demeure « préoccupé ». La vacation à des activités personnelles est donc toute relative : comment imaginer la possibilité pour le télétravailleur à domicile d’amener ses enfants à leurs activités sportives hebdomadaires alors qu’il ne dispose que d’un ordinateur et du réseau intranet pour recevoir des directives de son employeur ? Le Droit disciplinaire est beaucoup trop présent dans l’esprit de ce salarié. Du fait de l’existence croissante des NTIC dans le télétravail, le débat de la frontière entre astreinte et temps de travail effectif demeure encore ouvert. Seuls les travailleurs traditionnels affectés d’une mission de télésurveillance, de gardiennage, semblent trouver solution dans la jurisprudence récente186. Il est alors difficile d’évaluer le temps de travail soumis à rémunération (sauf cas précités). Pourtant, il semble que la logique nous pousse à analyser l’ensemble du temps passé dans le cadre du télétravail comme un travail effectif. Le travailleur relèvera, en revanche, du régime d’astreinte lorsqu’il dispose de temps libre entre les périodes d’interventions liées à son contrat de travail187. Ceci est confirmé par un arrêt de la chambre sociale de la Cour de Cassation précisant d’une part que « les périodes d’astreinte ne constituent ni un travail effectif ni une période de repos », et d’autre part que « lorsque le salarié ne peut vaquer librement à ses occupations personnelles, il n’est pas d’astreinte mais en période de travail »188. Malgré ces précisions jurisprudentielles, il n’existe pas à l’heure actuelle de solutions susceptibles d’être appliquées de manière récurrente à l’ensemble des cas de télétravail. Seule une solution au cas par cas peut être envisagée par la Cour de Cassation. Dans le cas où l’astreinte serait reconnue par cette dernière, l’évaluation du temps d’astreinte donne généralement lieu à une indemnisation sous une forme forfaitaire, puisqu’il est considéré que 186 Cass. Soc. , 3 juin 1998, D. 1998, IR 174. Cass. Soc. , 24 novembre 1993, RJS, 1994. 49, n°41. 188 Cass. Soc. , 4 mai 1999, Dr. soc., 1999. 730, obs. GAURIAU. 187 90 le télétravailleur ne participe pas directement à l’activité de l’entreprise durant cette période. Dans le cas contraire, les heures de travail seront comptabilisées de manière additionnelle (sauf cas de forfait-mission) et donneront lieu à la rémunération en conséquence de la législation et du contrat de télétravail. Mais une difficulté persiste. En effet, toute intervention du télétravailleur en astreinte est comptabilisée comme temps de travail effectif au sens de l’article L 212-4 bis du Code du travail189. Au vu de cette considération et dans l’hypothèse où le télétravailleur sous astreinte intervient de manière répétée, et que sa compensation financière serait prévue forfaitairement par contrat, ce dernier pourra-t-il demander le bénéfice du régime des heures supplémentaires en cas de dépassement légal horaire ? 2°) La place des heures supplémentaires En premier lieu, il nous faut rappeler les modalités d’application du régime des heures supplémentaires. En cas de télétravail de réalisation technique, pour lequel il est possible de quantifier précisément la somme de travail effectué, le régime des heures supplémentaires visé à l’article L 212-5 du Code du travail sera applicable au même titre que les travailleurs salariés classiques. En cas de télétravail à domicile, et si les délais fixés par le donneur d’ouvrage pour la remise du travail obligent le télétravailleur salarié à domicile à travailler plus de huit heures par jour ouvrable, celui-ci bénéficiera du calcul des heures supplémentaires comme suit : ce calcul s’effectue dans le cadre de la journée (cf. supra) et le tarif d’exécution doit être majoré de 25 % au minimum pour les deux premières heures au delà des huit heures (c’est à dire la 9e et 10e heure). Il sera majoré de 50 % au minimum pour les heures suivantes à partir de la 11e heure190. Dans l’hypothèse d’un télétravail de conseil ou de création intellectuelle, rappelons que celui-ci ne rentre pas dans le champ d’application des dispositions relatives à la durée hebdomadaire maximale de travail191. Cela dit, le télétravailleur concepteur ou conseiller bénéficiera des dispositions relatives à la durée maximale quotidienne de travail au même titre que le télétravailleur à domicile. Autrement dit, si le temps imparti à la réalisation de la mission de conseil ou de conception confiée au télétravailleur salarié rend nécessaire une durée quotidienne de travail supérieure aux dispositions précitées, celui-ci pourra obtenir le bénéfice des heures supplémentaires soit en bonification sur salaire soit en récupération192. 189 Cass. Soc. , 15 juin 1999, Dr. Soc., 1999. 840, obs. GAURIAU. Article L 721-16 et R 721-8 du Code du travail. 191 Articles L 212-7 alinéa 2 du Code du travail. 192 Articles L 212-5 du Code du travail. 190 91 Jusque là, ces particularités sont susceptibles d’engager autre chose qu’une simple adaptation du contrat de télétravail, selon la prestation objet du contrat (conception, exécution) et selon le mode d’exécution (à domicile, …). Il paraît alors injustifié d’évoquer la nécessité d’un statut spécifique du télétravailleur au vu de ces questions. Pourtant, les cas d’astreinte évoqués plus haut (cf. supra) semblent élever une contradiction. Le télétravailleur en astreinte peut-il bénéficier du régime des heures supplémentaires alors même, que la rémunération y afférente est forfaitaire ? Le voile opaque reposant sur cette question n’existe que par le risque d’abus en matière de télétravail. L’employeur peut fixer, malgré une consultation des instances représentatives du personnel et de l’administration (article L 212-4 bis alinéa 2 du Code du travail), une compensation financière forfaitaire fort peu équivalente au temps de travail effectivement passé lors des interventions du télétravailleur sous astreinte. En effet, nous pouvons facilement imaginer une compensation financière pour une astreinte de week-end s’élevant tout au plus à quelques centaines de francs même que l’employeur sait, par avance, que son salarié sous astreinte devra effectuer plusieurs dizaines d’heures en intervention. D’autant qu’est tout à fait envisageable, le dépassement des horaires légaux maximums (quotidiens et hebdomadaires) dans le cas d’un suivi d’un problème informatique par un télétravailleur à domicile pendant de longues heures. Le premier moyen juridique que le télétravailleur possède, en cas d’abus, est de déposer une plainte auprès de l’inspection du travail en y déposant pour preuve le document remis par l’employeur à chaque fin de mois et qui récapitule le nombre d’heures d’astreinte effectuées par celui-ci (article L 212-4 bis alinéa 3 du Code du travail). Cependant, la preuve de la durée totale d’intervention ne sera pas aisée, d’autant que pour prouver le décalage existant avec la rémunération, le bulletin de salaire n’est pas d’un grand recours au vu du mystère qui recouvre bien trop souvent les primes exceptionnelles prenant en compte les heures supplémentaires. Malgré l’article L 611-9 du Code du travail, l’inefficacité du Droit est manifeste puisque aucune disposition de la législation du travail n’est en mesure de donner la préférence entre le régime forfaitaire de compensation de l’astreinte et la prise en compte du nombre d’heures de travail effectif, parfois trop élevé en cas d’abus dans les astreintes. Cela dit, ce problème ne touche pas seulement le télétravail mais demeure un problème récurrent en la matière. Notons qu’il ne peut y avoir que plus difficilement contestation da la part du télétravailleur salarié sous astreinte lorsque celui-ci obtient une bonification sous forme de repos. Dans tous les cas, l’inadaptation de la législation du travail, en ce domaine, ne justifie pas la création de dispositions statutaires spécifiques pour le télétravail. Seule la mise en place d’accords collectifs étendus ou d’accords d’entreprise, prenant en compte ces difficultés et la position 92 délicate de certains télétravailleurs, doit être encouragée par le législateur et la jurisprudence sociale française. Au delà de cette question délicate du contrôle de la durée du travail dans le cadre d’une prestation de télétravail restant parfois au demeurant d’une obscure clarté, vient s’ajouter celle du contrôle du travail lui-même. Le pouvoir de direction conféré au chef d’entreprise, incluant la possibilité pour celui-ci d’orienter et de contrôler les comportements de ses salariés dans le cadre des intérêts légitimes de son entreprise, nous amène au constat de certaines dérives. Le télétravail, ayant pour caractéristique de s’exercer à distance et au moyen des NTIC, complique l’exécution de ce pouvoir de contrôle et pousse l’employeur à s’affranchir des libertés individuelles du télétravailleur salarié. § 2 – LE CONTROLE DU TRAVAIL : POUVOIR DE DIRECTION CONTRE LIBERTES INDIVIDUELLES L’organisation de l’entreprise est hiérarchique, l’entreprise étant le siège de pouvoir de commandement détenu par le chef d’entreprise et assorti d’un pouvoir disciplinaire exercé directement ou par délégation. Et l’organisation de l’entreprise conserve le même caractère, y compris lorsqu’il existe un certain nombre de télétravailleurs y exerçant leur activité à distance. De là, l’employeur va tenter, surtout en matière de télétravail salarié, de maintenir un certain contrôle du travail effectué par le télétravailleur, non plus sur la durée effective du travail, mais sur les aspects concernant l’exécution même de la prestation de télétravail. Ce contrôle patronal va alors prendre la forme d’une sorte de « pistage » du salarié (A) par le biais de moyens divers et facilité par l’exécution croissante par les NTIC du contrat de travail. D’ailleurs, le fait que ce mode d’organisation et/ou d’exécution du travail a pour essence de s’exercer à distance, ceci a tendance en réalité à renforcer l’employeur dans sa fonction de direction ; celui-ci tentant de conserver un lien de subordination mis à mal par la distance. C’est ici que le télétravail trouve toute sa difficulté qui consiste à obtenir l’équilibre entre les droits et libertés individuels du télétravailleur salarié et les droits de l’employeur, le législateur n’étant pas « avare » de dispositions en faveur du salarié193. Or, les systèmes informatiques et de communication de plus en plus performants, la miniaturisation des moyens de contrôle (surtout en matière de télétravail salarié nécessitant des outils informatiques et l’utilisation de la télématique) favorisant le contrôle par l’employeur, vont avoir des incidences sur les libertés fondamentales du télétravailleur (B). Ce thème est, au 193 Loi n° 78-17 dite loi informatique et libertés du 6 janvier 1978, loi du 4 août 1982, loi du 31 décembre 1982, et directive européenne n° 95/46 du 23 novembre 1995. 93 même titre que le contrôle de la durée du travail, important pour le télétravailleur salarié dans la mesure où il touche sa vie quotidienne de travailleur atypique ; d’autant qu’il est un élément fondamental de réponse à la pertinence ou non de la création d’un statut spécifique au télétravail. A°) Le « pistage » du salarié Comme nous venons de le dire, le contrôle patronal n’est pas chose nouvelle et inhérente au contrat de travail, dont le critère distinctif demeure précisément l’état de subordination dans lequel le salarié se trouve par rapport à l’employeur. Le contrôle du travail du télétravailleur est donc une capacité attribuée à l’employeur et tirée du lien de subordination (1). Seulement, ce pistage du télétravailleur, par les moyens utilisés et par les conditions même d’exécution de ce contrôle, va être l’objet de certaines limites194 (2) juridiques notamment en matière de preuve. 1°) Un droit tiré du lien de subordination La subordination juridique est le critère essentiel du contrat de travail unissant le salarié à son employeur. Et de ce contrat de travail, ce dernier va obtenir un droit de direction et de contrôle effectif de l’activité du travailleur, ce qui implique l’existence d’un faisceau d’indices pouvant permettre le constat d’une certaine soumission du travailleur. En matière de télétravail, l’effet « loin des yeux » du chef d’entreprise ne va pas conditionner celui-ci dans le « tout-va » du télétravailleur, et il va être fait état d’un sérieux contrôle de l’activité même du télétravail. La subordination juridique va légitimer l’incursion de l’employeur dans l’exécution du contrat selon des moyens issus et liés à la télématique. Le pistage du salarié opéré par l’employeur ou l’un de ses délégués peut s’effectuer, en réalité, par tous les moyens195 que la technologie permet lors de l’exécution de la prestation de télétravail. Il convient ici d’en dresser une liste exhaustive : l’exercice de l’activité de télétravail (même à domicile) nécessite la connexion des télétravailleurs salariés aux réseaux ouverts ou internes, et notamment, aux réseaux internet et intranet. Ceci présente, aux yeux de l’employeur, un risque de connexion par le télétravailleur à de multiples serveurs plus ou moins éloignés (et parfois très éloignés ! ) de l’activité de l’entreprise. Aussi, les employeurs sont-ils tentés d’installer des logiciels de contrôle de l’utilisation de leur outil informatique. A titre d’exemples, certains logiciels font encore trembler certains 194 195 Cf. principes n°10 et 11 du dialogue sectoriel européen des télécommunications. Nous entendons ici hors cadre des limites législatives et réglementaires voire même contractuelles. 94 travailleurs lorsque leur nom est mentionné par le chef d’entreprise, tels que « little brother » ou encore « Packet bay », « Boss evryware », « surfing spy » qui ont, de manière générale, l’objectif de contrôler l’importance de l’activité professionnelle sur l’ordinateur. Ces logiciels vont jusqu’à porter le vice assez loin dans la mesure où si le télétravailleur à domicile tape « sexe » dans un moteur de recherche, un message lui indiquera que sa recherche ne peut aboutir, mais dans le même temps, un message sera adressé aux membres de la direction chargés de la surveillance. Ces logiciels ne concernent pas que les postes fixes. En effet, les commerciaux de certains grands groupes français en ont fait les frais : fin 1998, l’ensemble des commerciaux de l’entreprise Electrolux France196 ont été équipés d’ordinateurs portables équipés d’un forum de discussion et d’un agenda avec lequel ils entrent en communication avec le réseau de l’entreprise. Ceci facilite grandement le contrôle de la productivité de ces derniers. A ceci peuvent être ajoutées les installations téléphoniques nécessaires au télétravail, qui rendent possible un contrôle quantitatif et qualitatif de plus en plus poussé. En effet, il est désormais envisageable de compter le nombre d’appels passés voire même d’enregistrer les conversations téléphoniques. Pis encore, les chefs d’entreprise sont de plus en plus tentés d’estimer le travail du télétravailleur (à domicile surtout) par le biais d’une cybersurveillance de celui-ci au moyen de caméra vidéo ou autre webcam. La surveillance sera alors facilitée par le tout numérique grandissant. Malgré la distance séparant les cocontractants, le contrôle de la présence physique de la partie la plus faible est envisageable dans la mesure où le télétravailleur est en connexion permanente (ou presque) avec l’entreprise. A ce niveau, une interrogation se pose à nous qui est celle de savoir si l’on peut encore croire, au vu de ces considérations, que le contrôle de l’employeur sur ses télétravailleurs salariés s’exerce par tout moyen, d’autant que la jurisprudence considère que l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés pendant le temps de travail197 ? A l’évidence la réponse est négative, et ceci au travers les limites notamment législatives et réglementaires déjà existantes de ce pistage du télétravailleur. Ces dispositions permettent de restreindre les abus en amont, et le télétravailleur salarié conserve, a priori, une protection certaine sans pour autant justifier de dispositions nouvelles spécifiques. Mais il est alors indispensable, au vu de ces abus, de consacrer le rôle du « tout contractuel » dans le but de combler l’inefficacité relative du Droit du travail. Heureusement, le pistage connaît des limites législatives. 196 197 FOULON (S.), Les nouveaux mouchards de l’entreprise, Liaisons sociales magazine, octobre 1999, p. 26. Cass. Soc. , 21 novembre 1991, Dr. soc. 1992, p. 20, note WAQUET. 95 2°) Les limites de ce « pistage » Les limites à ce pistage du télétravailleur opéré par l’employeur sont principalement de deux ordres. D’une part, il s’agit des limites législatives, réglementaires et jurisprudentielles qui peuvent être à la fois générales puisque certaines d’entre elles restreignent tous les modes de contrôle mais aussi spécifiques à certains modes de contrôle. D’autre part, l’autre limite réside dans les problèmes juridiques en matière de preuve que ces moyens de contrôle soulèvent. La principale limite du contrôle du travail du télétravailleur salarié réside dans la lecture de l’article L 120-2 du Code du travail qui affirme : « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient justifiées par la nature de la tâche à accomplir même proportionnées au but recherché ». Ainsi, les mouchards électroniques doivent être justifiés par la nature de la prestation de télétravail et proportionnés au but de l’activité. De plus, comme le soutient parfaitement Monsieur le Professeur RIVERO, « au contrat, le salarié met à la disposition de l’employeur sa force de travail mais non sa personne »198. La protection de l’intégrité physique du salarié et l’exercice de ses libertés publiques individuelles et collectives s’y trouvent confirmées, notamment en matière de contrôle par l’informatique. Et la loi du 31 décembre 1992 a réellement posé les jalons d’un droit « informatique et libertés » dans l’entreprise199 en instaurant le principe de proportionnalité visé à l’article L 120-2 du Code du travail précité. Ces principes et droits sont le reflet des dispositions des articles 25 et 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, qui impose que tout traitement des données personnelles soit déclaré à la CNIL et que l’employeur doit veiller à la transparence, la loyauté, la sécurité, le droit d’accès et le droit à l’oubli. Autrement dit, au niveau des formalités à accomplir, l’employeur doit informer le comité d’entreprise200 (lorsqu’il y en a un dans l’entreprise). Il s’en suit de même que l’employeur qui utilise l’un des logiciels de surveillance ou tout autre moyen précités (cf. supra), doit en informer le principal intéressé : le télétravailleur salarié (article L 121-7 et L 121-8 du Code du travail). Si l’employeur dissimule un dispositif permettant d’enregistrer les conversations ou les correspondances privées de ses télétravailleurs, il est susceptible de se rendre coupable de délit d’atteinte à l’intimité de la vie privée (article L 226-1 du Code pénal). D’ailleurs, cette limite est récurrente en matière de vidéosurveillance : dès lors que la surveillance par webcam peut s’effectuer hors du temps de travail (en télécentre ou à 198 RIVERO (J.), Les libertés publiques dans l’entreprise, Droit social, 1982, p. 423, voir également GREVY (M.), Travail et vie privée, Action juridique CFDT, n° 103, p. 3. 199 ( ?), Cybersurveillance des salariés, Liaisons sociales quotidien, 21 juillet 2000, p. 3. 200 Article L 432-2-1 du Code du travail. 96 domicile), il y aura systématiquement violation de la vie privée201, d’autant que la CNIL considère que l’enregistrement d’images sur un lieu de travail s’analyse en une collecte de données nominatives puisque l’image permet d’identifier les salariés filmés202. Aucun contrôle du travail ne peut s’effectuer au moyen d’informations concernant la vie privée des personnes sous surveillance. En matière de contrôle téléphonique, l’enregistrement ou même la simple écoute des propos tenus par un travailleur sans son consentement constitue une atteinte à l’intimité de la vie privée sanctionnable aux termes de l’article L 368 du Code pénal. L’employeur peut s’exonérer s’il prévient le salarié. Le dialogue européen des télécommunications confirme en ses principes n°10 et 11 que le télétravailleur à domicile « doit être informé de tout système de surveillance du rendement adopté pour vérifier son travail ». De plus, il est précisé un effort de similitudes au niveau du contrôle de rendement entre les télétravailleurs à domicile et leurs homologues salariés classiques. Le principe n° 11 prévoit qu’un contrôle inopiné du télétravailleur salarié chez lui par des cadres ou des salariés de l’entreprise n’est pas possible. Toute visite doit s’effectuer sur rendez-vous et en vertu d’un accord préalable. Il est fort à penser que dans le cas contraire, le télétravailleur pourrait invoquer la violation de domicile sur la base de l’article 9 du Code civil.203 L’autre limite au contrôle tient au Droit probatoire. En effet, la loi du 13 mars 2000204 relative à l’« adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information » a bouleversé le régime probatoire de l’acte juridique. En revanche, le régime du fait juridique demeure inchangé. De ce fait, lorsque l’employeur licencie un télétravailleur salarié au motif d’une violation de ses obligations en se fondant sur un support électronique, ce dernier devra convaincre de la véracité du motif avancé puisque « la charité profite au salarié » dans ces cas. De plus, une complication particulière existe en droit probatoire dans la mesure où les exigences de l’article 1348 alinéa 2 du Code civil relatif aux caractères fidèles et durables de l’original (que doit préserver la copie pour valoir comme commencement de preuve par écrit : reproduction qui doit être indélébile et entraîner une modification irréversible de son support) sont difficiles à transposer aux documents et supports électroniques. Cela dit, et malgré l’ensemble de ces limites (qui ne nécessitent, au demeurant, aucune disposition particulière dans le cadre du statut spécifique du télétravailleur) demeurent certains incidents liés au contrôle de l’exécution de la prestation de télétravail au motif de manque de transparence persistant des moyens de contrôle et de cybersurveillance. 201 Quant à l’enregistrement de communications téléphoniques à caractère privé, Cass. Crim. , 6 décembre 1977, D. 1978, p. 123, note LINDON. 202 Rapport CNIL 1987, p. 133, voir MOLE (A.), Informatique et libertés du travail : les nouveaux enjeux, Droit social, 1990, p. 62. 203 Cf aussi article 8 de la CESDH. 97 B°) Les incidents persistants de ce contrôle La discrétion générale de l’ensemble des moyens de contrôle évoqués plus avant favorise le caractère clandestin de leur utilisation. Et même si l’employeur s’acquitte de ses obligations formelles (déclaration préalable à la CNIL, information du salarié et des instances représentatives du personnel telles que le comité d’entreprise, le comité d’établissement, les délégués du personnel, …) il n’en demeure pas moins une utilisation parfois détournée de son objectif premier qui est celui de l’exercice du pouvoir de direction dans le cadre du lien de subordination et du respect des intérêts légitimes de l’employeur. En effet, il faut situer la frontière entre l’utilisation d’un moyen de contrôle dans le but de vérifier objectivement la bonne exécution du contrat de travail de celle dont la finalité sera de dégager des profils psychologiques ou autres informations sans relation directe avec l’exécution du contrat (profil psychologique, degré d’activité syndicale, …). Cette question ne semble pas avoir réellement trouvé solution au fond et place le télétravailleur salarié sous un contrôle particulièrement inconfortable. Ce détournement s’observe principalement lorsque le contrôle a pour but de collecter des données à caractère personnel (1) mais aussi lors du contrôle effectué sur la messagerie électronique du télétravailleur (en cas d’utilisation de l’outil informatique et de l’internet et/ou de l’intranet) (2). 1°) La collecte de données à caractère personnel Nous l’avons vu, « aucune information concernant personnellement un salarié […] ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à la connaissance »205 de celui-ci. Au vu de cet article, rien n’empêche alors de collecter quelques informations d’ordre personnel dès lors que le salarié a connaissance de la finalité du moyen utilisé et du contrôle. Cependant, dans la pratique, il est rare que l’employeur déclare expressément un moyen de contrôle ayant pour but affiché de collecter des informations touchant la vie privée du télétravailleur. De plus, force est de constater que les techniques de contrôle sont certes nombreuses mais aussi de plus en plus performantes et complexes. Autrement dit, le travail sur ordinateur (d’autant qu’il s’effectue au moyen d’internet et intranet, cf. infra) permet à l’employeur de réaliser un « traçage » du réseau et de mettre au grand jour l’ensemble des communications internet effectuées par le télétravailleur (et ceci par intranet même à distance). 204 205 Loi n° 2000-230, 13 mars 2000, JO 14 mars p. 3968. Article L 121-8 du Code du travail. 98 Aussi, que pouvons-nous penser d’un contrôle par le biais d’un logiciel déclaré auprès des intéressés comme étant susceptible d’informer le chef d’entreprise que sur le nombre de communications internet alors que celui-ci permet, par une procédure de « back-up » de vérifier les sites effectivement consultés par les salariés ? L’employeur peut alors, même à distance (par la constitution d’un réseau informatique ), obtenir des données personnelles dans le cas où le salarié, par exemple, avait pris quelques minutes de son temps de travail pour effectuer des virements ou autres opérations de banque par l’intermédiaire du site internet de l’établissement bancaire où il a ses comptes206. Le perfectionnement des méthodes de contrôle mettent véritablement le télétravailleur dans une position délicate. Mais la connexion à l’internet d’ordinateurs en réseau pose également, en nature de télétravail salarié, quelques difficultés relatives aux courriers électroniques des salariés. 2°) Le contrôle de la messagerie électronique De la même manière que des données nominatives, pouvaient être interceptées lors d’un contrôle du travail, qui ne visait a priori pas cet objet, la tentation de contrôler le contenu de la messagerie électronique est forte207. En effet, s’il est aisément vérifié l’existence d’un logiciel de comptabilisation des courriers électroniques reçus et envoyés par le télétravailleur dans le cadre de sa mission, il est en revanche aucunement envisagé par le télétravailleur salarié (la plus part du temps) que ces courriers feront l’objet d’une lecture par l’employeur ou son délégué. Cette démarche peut évidemment et légitimement être envisagée dans le but de la vérification de l’activité du télétravailleur, en ce qu’elle serait écartée de la mission initiale, ou encore de la possible concurrence déloyale de la part du salarié. Pourtant, la curiosité de l’employeur ou de son délégué prend davantage le pas sur le maintien du respect des intérêts légitimes de l’entreprise. Cet incident persiste pour deux raisons. Premièrement, il est très difficile pour le télétravailleur salarié de prouver l’incursion de l’employeur dans sa messagerie électronique ; d’autant que même s’il peut prouver la consultation des messages par l’employeur, ce dernier sera fort aise pour justifier (article L 120-2 du Code du travail) le lien (proportionné) avec les intérêts de l’établissement. De plus, les dispositions pénales qui protègent la vie privée208 ne peuvent s’appliquer en matière de messagerie électronique, puisque celle-ci ne transporte aucune « parole ». Seul l’article L 226-15 alinéa 2 du Code 206 Pour informations techniques, voir DARMAISIN (S.), L’ordinateur, l’employeur et le salarié, Droit social, juin 2000, p. 586, note 46 et 47. 207 DARMAISIN (S.), op. cit., p. 583. 208 Article L 226-1 du Code pénal. 99 pénal209 relatif au secret des correspondances peut être efficace en matière de protection du télétravailleur dans ce cas précis. Encore faut-il que l’employeur soit de mauvaise foi, ce qui n’est pas toujours le cas s’il a l’intention de mettre en oeuvre son pouvoir disciplinaire au motif d’une utilisation privée de la messagerie électronique normalement destinée à la mission de télétravail. Dès lors, l’interception illicite de messages à caractère personnel paraît être indétectable (de par les difficultés de preuve sauf aveux du chef d’entreprise) voire même non sanctionnable. Le fait même qu’il s’agisse de messages d’ordre personnel pour le télétravailleur salarié place ce dernier dans une position fautive de par le non-respect de ses obligations et de l’utilisation pour des motifs personnels d’un matériel appartenant à l’employeur. Le télétravailleur préférera sûrement que son employeur lise un ou plusieurs de ses messages, ne comportant pas réellement de données susceptibles de divulguer certains aspects « très privés » de sa vie, plutôt que de supporter le poids des brimades disciplinaires lui étant infligées par celui-ci. Le véritable problème consiste dans l’exercice du droit syndical du télétravailleur salarié dont les correspondances électroniques peuvent servir de support (cf. supra). En effet, même si le tract traditionnel n’est pas lui-même protégé par un droit de secret, l’interception de messages à caractère syndical (reprenant toutes les caractéristiques du tract syndical que nos pères recevaient à l’entrée ou à la sortie des urnes, l’aspect télécommunication en moins) destinés au télétravailleur peut être néfaste à l’exercice et à la liberté du droit syndical. A ce stade, la chambre sociale de la Cour de Cassation n’a pas encore eu l’occasion de trancher. Cela dit, la jurisprudence sociale devrait, en cas de litiges, être davantage incisive qu’elle ne l’a été en faveur de la liberté d’action des syndicats. Cette difficulté n’existe pas ou plus réellement en matière de correspondances téléphoniques depuis que la CNIL a expressément recommandé, en 1984, que toutes les lignes de téléphone des locaux syndicaux soient déconnectées des autocommutateurs210. En revanche, si ce type de mesure était pris pour la messagerie électronique, ceci reviendrait à anéantir le pouvoir de direction de l’employeur. Ce dernier serait alors dans l’incapacité totale de vérifier la productivité du télétravailleur, sa consommation de forfait internet, … et de conserver les prérogatives qu’il tire du droit au respect des intérêts légitimes de son établissement. Seule la jurisprudence pourra établir, au fil des contentieux, la solution à retenir. 209 Article L 226-15 alinéa 2 : « est puni des mêmes peines (un an d’emprisonnement et 300 000 francs d’amende) le fait, commis de mauvaise foi, d’intercepter, de détourner, d’utiliser ou de divulguer des correspondances émises, transmises ou reçues par la voie des télécommunications ou de procéder à l’installation d’appareils conçus pour réaliser de telles interceptions ». 210 Recommandation n° 84-31 du 18 septembre 1984 relative à l’usage des autocommutateurs téléphoniques sur les lieux de travail. 100 En conclusion, nous pouvons en fait soutenir que l’ensemble des difficultés envisagées jusqu’alors ne sont pas totalement particulières au télétravail salarié. En fait, il s’agirait davantage du « lot commun » à tout travailleur salarié (même classique) utilisant l’ordinateur et les moyens de télématique dans le cadre de son contrat de travail. Ainsi, le télétravail s’inspire très largement des relations tirées du Droit commun du travail pour envisager celles adaptées à ses quelques particularités. Nul est besoin de rechercher la pertinence de nouvelles dispositions législatives, une simple adaptation du cadre conventionnel pouvant suffire. Pour autant, d’autres complications juridiques subsistent dans l’exécution du contrat de travail et sont également liées à l’utilisation des NTIC. Mais à la différence de celles parcourues précédemment et qui « handicapent » l’exécution du contrat de travail, au sens entendu de son plein déroulement, celles-ci naissent lorsque l’exécution du contrat de télétravail est définitivement interrompue. Il s’agit donc ici d’envisager l’étude des problèmes juridiques liés à la rupture de ce contrat atypique de travail. SECTION II – LA RUPTURE DU CONTRAT DE TELETRAVAIL La recherche d’un quelconque particularisme en matière de télétravail, n’ayant d’autre but que de justifier la création d’un statut spécifique du télétravailleur, ne peut avoir autre finalité que de protéger la partie la plus faible du contrat : tantôt le télétravailleur salarié tantôt le télétravailleur individuel ou indépendant. Ce dernier bénéficiant d’un régime plus protecteur en cas de rupture du contrat d’entreprise (dont l’obligation objet du contrat est une prestation de télétravail), il est plus pertinent et intéressant de nous pencher sur les cas de rupture du contrat de télétravail salarié. De la même manière, si celle-ci est de l’initiative du télétravailleur salarié lui-même, il n’y a aucun intérêt. Nous envisageons alors successivement les particularités des deux causes de rupture du contrat de télétravail émanant de l’employeur : il s’agit d’une part, du licenciement pour motif économique (§1) et d’autre part, du licenciement non économique (§2). Les deux motifs de rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur semblent soulever quelques interrogations. Existe-t-il une véritable obligation de reclassement en matière de télétravail salarié ? Est soulevée également la question du progrès technique au sein du contrat de travail et l’adaptation aux changements rapides des NTIC ainsi que celle de l’appréciation de la faute en matière de NTIC dans le télétravail. L’ensemble de ces questionnements consolide ou réorientera à nouveau notre point de vue sur la pertinence d’un statut spécifique du télétravailleur (en l’occurrence salarié par nos développements). 101 §1 – LE LICENCIEMENT ECONOMIQUE L’article L 321-1 du Code du travail dispose que « constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification substantielle du contrat de travail, consécutive notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ». Ainsi, devons-nous vérifier si le télétravailleur salarié est davantage exposé aux éléments constitutifs du licenciement économique que ne peut l’être le salarié classique. Autrement dit, le télétravailleur salarié n’est-il pas sur un « terrain » favorable à ce type de licenciement au vu des changements et mutations technologiques des NTIC (elles-mêmes rattachées à des questions purement économiques), de la télématique et de l’informatique (outils intrinsèques à l’exécution de la prestation) ; ce qui serait susceptible de justifier, pour certains, un dispositif statutaire spécifique de protection du salarié. A l’évidence le télétravail, pour les motifs invoqués cidessus, risque davantage d’engendrer la rupture économique du contrat. Ceci est facilement observable au travers tous les motifs de réorganisation de l’activité de télétravail (A). La cause réelle et sérieuse de ces motifs économiques étant vérifiée, celle-ci nous renvoie à la délicate question de l’obligation de reclassement du télétravailleur (B), notamment en ce qu’elle connaît certaines limites. Là encore, faut-il y voir un régime classique de reclassement ou au contraire, des possibilités moins étendues, défavorables au télétravailleur ? A°) La réorganisation de l’activité Cette organisation de l’activité de télétravail peut être motivée, comme en matière de travail salarié classique, tantôt par des mutations technologiques rapides (1), tantôt par des difficultés économiques de l’entreprise (2) et prendra la forme soit d’une transformation d’emploi ou encore d’une modification substantielle du contrat de travail voire même d’une suppression d’emploi (ce qui est le plus courant au vu de l’extraordinaire rapidité des changements technologiques). Vraisemblablement, le télétravailleur salarié est exposé à plus forte mesure que le salarié classique au licenciement économique. Il convient d’en faire état. 1°) Les mutations technologiques trop rapides inhérentes au télétravail Nous le savons, le télétravail s’exerce par définition à distance et aux moyens (le plus répandu à l’heure actuelle) des outils de télématique et de leurs supports favoris : l’ordinateur 102 et ce que l’on appelle depuis peu les NTIC. Relativement à ces derniers, le télétravailleur salarié se trouve face à un phénomène se rapprochant davantage de la crise informatique et télématique (banalisation des produits, progrès explosifs), plutôt que du progrès rendu à l’homme. Et ce n’est pas le télétravailleur salarié qui soutiendra le contraire. Celui-ci subit directement l’effet néfaste du progrès technologique (par l’introduction de nouvelles technologies, au delà de ce qu’il maîtrise déjà de par son contrat) duquel peut être constituée une cause économique de suppression ou de transformations d’emplois (les difficultés économiques n’étant pas un critère déterminant)211. En effet, la totalité des télétravailleurs est susceptible d’être confrontée à la complexité croissante des NTIC sans pouvoir y remédier, malgré l’obligation d’adaptation qui pèse sur le chef d’entreprise212. Est déjà très important le contentieux en matière de progrès technologique auquel sont confrontés les travailleurs classiques pour ne pas envisager une situation plus délicate encore pour les télétravailleurs. Même si l’ensemble des règles, relatives à la rupture du contrat de travail pour motif économique, applicables aux autres salariés le seront pour les télétravailleurs salariés, il n’en demeure pas moins le rôle important des accords collectifs d’entreprise ou d’établissement embauchant des télétravailleurs dans le but de favoriser l’insertion d’avenants spécifiques aux contrats de télétravail, ou bien encore, de renforcer l’obligation d’adaptation et de reclassement. Et ceci en raison du fait que l’on peut aisément imaginer le « relâchement » du télétravailleur salarié face au progrès technologique et aux moyens de communication que peut lui imposer son employeur. Il n’est pas ici nécessaire de faire état de toute la jurisprudence sociale pour prouver l’amplitude du problème qu’est susceptible de rencontrer le télétravailleur en raison des outils qu’il utilise quotidiennement dans le cadre de sa mission. Le télétravail salarié soulève dès lors un problème de taille : celui de faire le constat d’un mode d’organisation et/ou d’exécution du travail propice aux suppressions d’emploi, aux transformations d’emploi et même les modifications substantielles du contrat de télétravail pour des motifs non inhérents à la personne. Puisque le télétravail nécessite de manière désormais affirmée le recours à des techniques sans cesse en évolution, il nous est alors tout à fait possible de soutenir une certaine progression du licenciement d’ordre économique dans le télétravail salarié. Nous imaginons très bien un cadre télétravaillant de son domicile, et devant changer de méthodes et d’outils technologiques à la demande de son employeur pour rester au maximum concurrentiel. Le moindre changement dans la mission propre du télétravailleur peut être, comme en matière de travail classique, qualifié de modification substantielle. 211 212 Cass. Soc. , 2 juin 1993, Dr. Soc. 1993, p. 678. Cass. Soc. , 20 janvier 1997, Petites affiches 1997, n° 146, p. 27. 103 Cela étant, les mutations technologiques rapides liée aux NTIC ne sont pas seuls éléments constituant le motif économique du licenciement : l’article L 321-1 du Code du travail relève les difficultés économiques de l’entreprise. La seule condition d’être télétravailleur n’expose pas davantage celui-ci à ce type de licenciement, par rapport aux autres salariés de l’entreprise. Mais il demeure intéressant de mettre en avant les conséquences directes de ces difficultés sur le contrat de télétravail. 2°) Les cas de difficultés économiques et le télétravail Les difficultés économiques qu’une entreprise peut rencontrer lors de son activité sont susceptibles d’avoir pour effet, selon l’article L 321-1 du Code du travail, soit une suppression du contrat de travail, soit une transformation de l’emploi voire une modification substantielle du contrat. Contrairement à ce que nous venons de dire en matière de licenciement économique lié à des mutations technologiques, le télétravailleur salarié n’est pas « sur-exposé » au licenciement lors de difficultés économiques. En effet, il n’est ni plus ni moins protégé que les travailleurs classiques. Cependant, ces transformations, suppressions d’emploi et modifications substantielles ne sont pas sans conséquence juridique. Pour illustrer nos propos, il nous faut retenir deux exemples : la première illustration touche au cas fréquent, pour le télétravailleur salarié, d’être confronté à une modification substantielle de son contrat de télétravail consistant à ne plus faire travailler celui-ci en télécentre mais plutôt à domicile, la cause économique justificative du licenciement étant avérée213. La question qui se pose alors est celle de savoir s’il s’agit là d’un reclassement entendu à l’article L 321-1-4 ?214 En effet, le fait de reclasser un salarié exécutant une prestation de télétravail en télécentre sur un même poste mais à domicile est-il constitutif d’un reclassement évitant le licenciement ? Ni le législateur ni la jurisprudence sociale n’ont eu encore à se prononcer. Dans l’hypothèse où la Haute juridiction considèrerait qu’il ne s’agit pas d’un reclassement dans le cadre de l’entreprise, ou le cas échéant, dans celui de l’unité économique et sociale, nous serions tentés d’affirmer que le télétravailleur est plus largement exposé au licenciement dans ces cas précis. Le reclassement est très délicat puisque le télétravail demande des compétences particulières (cf. infra) et que le nombre de postes en télétravail est encore limité. 213 Cf. jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation suivant l’article L 321-1 du Code du travail. Article L 321-1-4 CT : « le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque le reclassement de l’intéressé sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou, à défaut, d’une catégorie inférieure, ne peut être réalisé dans le cadre de l’entreprise […], de l’unité économique et sociale […] » issu du projet de modernisation sociale ; rapport Ass. Nat., Doc. N° 2415 (prochaine lecture le 9 octobre 2001). 214 104 La seconde illustration tient dans l’hypothèse d’un licenciement d’un télétravailleur à domicile lié à des difficultés économiques : nous le savons, le matériel qu’utilise celui-ci dans le cadre de son contrat est fourni par l’employeur lui-même215. Et il arrive fréquemment que le télétravailleur licencié ne fasse la restitution de ce matériel. En l’absence de précisions de la propriété et de l’utilisation de celui-ci, prévues initialement au contrat, le télétravailleur sera donc tenté de le conserver ; ce qui n’est pas en phase avec la réalité économique du moment pour l’entreprise. Là encore, seul le rôle essentiel de l’accord collectif et des avenants spécifiques au contrat de télétravail sont susceptibles de restreindre les complications juridiques dues à la rupture du contrat. En réalité, l’obligation de reclassement que nous avons déjà esquissé précédemment, demeure être le véritable « Himalaya juridique »216. Celle-ci, même si elle est la même qu’en cas de travail salarié classique (puisque aucune disposition législative n’affirme le contraire), connaît certaines limites en matière de télétravail. B°) Les limites de l’obligation de reclassement217 Il existe une double limite à l’obligation de reclassement pesant sur l’employeur, lorsque celui-ci doit intervenir dans le cadre de l’article L 321-1 du Code du travail. D’un point de vue purement juridique et technique, le télétravailleur salarié souffre de possibilités et de conditions de reclassement limitées (1) dans l’entreprise ou l’entité économique. D’autre part, relativement au télétravailleur lui-même, le reclassement semble délicat au vu du refus de ce dernier de se voir permuter dans ses fonctions de manière trop fréquentes (suite aux mutations technologiques rapides). L’effet de l’obligation de reclassement semble parfois anéanti par la limite même que la volonté du télétravailleur peut engendrer (2). 1°) Des possibilités et conditions de reclassement limitées Pour des raisons évidentes (nombre restreint de postes en télétravail dans les entreprises, progrès technique explosif,…), le reclassement du télétravailleur sur un emploi relevant de la même catégorie, voire même d’une catégorie inférieure paraît extrêmement scabreux à envisager. De la même manière que ces dispositions combinées à celles du « cadre de l’entreprise » ou encore à « l’unité économique et sociale », … c’est à dire l’ensemble des lieux géographiques où le reclassement peut s’effectuer, ne sont pas adaptées au cas du 215 216 Principe n°3 du dialogue sectoriel européen des télécommunications. Pour reprendre l’expression de Mr J.E RAY. 105 télétravail. Ceci est d’autant plus vrai pour le télétravail à domicile : nous imaginons avec difficulté comment le télétravailleur peut être reclassé dans le cadre de l’entreprise sur un emploi identique, autrement dit recouvrant les conditions de travail à domicile ! Il en va de même en matière de télétravail nomade : les notions du nouvel article L 321-1-4 relatives au cadre géographique du reclassement risquent d’être dépourvues de sens. De manière générale, le reclassement d’un télétravailleur est éventuellement envisageable dès lors que l’on se place du côté de la recherche d’un « emploi de la même catégorie » pouvant exister dans les autres entreprises du groupe auquel appartient l’entreprise (sous réserve que « les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation permettent d’assurer la permutation de tout ou partie du personnel »). L es solutions éventuelles de cette complexité juridique ne se trouveront qu’au fil de la jurisprudence de la Haute juridiction. L’issue de cette problématique dépendra essentiellement, après adoption du projet de loi précité, de l’appréciation des juges quant aux possibilités de l’entreprise à reclasser le télétravailleur. Au mieux ce dernier sera sujet à une modification substantielle de son contrat de travail, notamment s’il peut intégrer un emploi identique ou se rapprochant fortement de son emploi initial, mais à la différence que celui-ci s’effectuera exclusivement dans l’entreprise. La modification existe dans le passage d’un contrat de télétravail à un contrat de travail classique. Pour conclure, le constat actuel du télétravail tend à retirer toute la portée de l’obligation de reclassement qui pèse sur le chef d’entreprise ; d’autant que le projet de modernisation sociale visant à l’adoption du nouvel article L321-1-4 du Code du travail met à la marge le télétravail salarié. Il est vrai que nous n’avons encore idée de la manière dont les juges vont analyser ces situations de licenciement économique, ce qui est sûr repose dans l’effort de créativité que les juristes en Droit social devront fournir face à ces complications. Cela dit, les limites au reclassement du salarié ne trouvent pas pour sources uniques les complications jusqu’ici exposées ; le refus du télétravailleur peut pareillement tendre à l’échec du reclassement et conduire à la suppression de l’emploi. 2°) La limite du volontariat du télétravailleur Elle ne sera pas ici l’objet de longs développements. Cependant, il nous faut rappeler que dès lors qu’un reclassement est proposé au salarié sur un poste différent ou inférieur à son ancien poste, celui-ci s’effectuera par voie de modification du contrat. 217 Article L 321-4 CT ; voir aussi Cass. Soc. , 6 juillet 1999, RJS 1999, p. 767, n°1237 ; Cass. Soc. , 22 janvier 1992, Bull. civ. V, N°31. 106 Or, comme pour tout salarié, le télétravailleur peut refuser cette modification substantielle et dans ce cas, il sera alors licencié. Le simple fait que les mutations technologiques sont fréquentes en matière de NTIC, cela peut provoquer certains abus de la part des employeurs n’y voyant qu’un moyen supplémentaire pour licencier. Ceci peut engendrer une certaine réplétion de la part du télétravailleur quant aux causes économiques des licenciements, et le pousser dans un retranchement tel qu’il refusera tout type de modification. L’obligation de reclassement est alors « facilitée » pour l’employeur. L’aspect psychologique du télétravailleur n’est pas sans importance car découlant le plus souvent d’abus dans l’utilisation de l’article L321-1, tronquant ainsi toute la protection de la condition du travailleur. Peut-être devons nous espérer ici un cadre juridique adapté, proposant un dispositif susceptible de restreindre, voire de contingenter, les facultés pour l’employeur d’opposer à ses télétravailleurs des mutations technologiques trop fréquentes. Encore que ceci pourrait être considéré comme allant à l’encontre des intérêts légitimes de l’entreprise. De ce fait, nous n’aurons pas la prétention de trop soutenir cette idée dans la mesure où il demeure excessif, au vu de l’ensemble de nos développements précédents, de vouloir mettre en place un statut juridique spécifique au télétravail. Les autres causes de rupture du contrat de télétravail peuvent être regroupées en des motifs non-économiques et donc inhérents à la personne du télétravailleur : ils correspondent tantôt à une inaptitude ou une insuffisance des capacités de celui-ci (insuffisance professionnelle218, tantôt aux agissements répréhensibles de ce dernier (essentiellement faute grave ou lourde). C’est dans ce dernier cas précis que le télétravail soulève quelques interrogations intéressantes. §2 – LE LICENCIEMENT POUR FAUTE L’article L 122-14-3 du Code du travail précise que « […] le juge, à qui, il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles […] ». De cette disposition découlent deux règles au delà de la nécessité d’une cause réelle et sérieuse du licenciement : la première consiste à faire peser sur l’employeur la charge de la preuve des motifs du licenciement ; la seconde met le juge en charge d’apprécier lesdits motifs de ce licenciement. Mais dans le cadre d’un licenciement pour faute d’un télétravailleur, l’appréciation de la cause réelle et sérieuse peut soulever quelques interrogations du fait même de l’utilisation 218 Pour le salarié classique : cf. articles L 122-6 (Cass. Soc. 1 février 1990, Bull. civ. V, n° 78) ; L 122-14-3 (Cass. Soc. , 7 déc. 1993, Dr. soc. 1994. 213) ; et L 122-40 du Code du travail. 107 d’outils spécifiques au télétravail : comment le juge apprécie-t-il la faute en matière de télétravail et a fortiori en cas de recours aux NTIC ? (A) Il est vrai que la faute du salarié peut être constituée au travers divers agissements de ce dernier, largement reconnus par le Droit commun du travail ; mais notre attention doit se porter sur l’inadaptation de certains d’entre eux à la matière du télétravail ( notamment à domicile et nomade). (B) A°) L’appréciation de la faute et le télétravail La faute du salarié peut être graduée de la faute légère à la faute lourde, avec entre celles-ci les fautes sérieuse et grave. Les fautes légères et sérieuses ne justifiant pas 219 ou peu le licenciement 220 du salarié, nous nous tiendrons aux particularismes éventuels de l’appréciation des fautes grave (1) et lourde (2), mis en évidence par quelques illustrations. 1°) La faute grave En Droit commun, la faute grave est celle qui rend « intolérable » le maintien des relations contractuelles ou « impossible la poursuite du contrat de travail jusqu’à son terme »221. Elle résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail222 ; et pour être constituée, il n’est pas nécessaire que celle-ci soit commise avec l’intention de nuire223. L‘appréciation de la faute grave par le juge peut dépendre de la catégorie professionnelle du salarié ; autrement dit, la faute sera appréciée avec plus de rigueur pour un cadre que pour un ouvrier (ce qui est majoritairement le cas en matière de télétravail, effectué essentiellement par des cadres supérieurs ou des ETAM). La jurisprudence faisant défaut, il nous faut nous inspirer de celle concernant les salariés classiques mis au banc des NTIC pour en arriver à quelques conclusions : la Cour d’appel de Versailles224 n’a pas retenu la faute grave lors du licenciement d’un salarié qui refusait de manière catégorique les propositions de formation sur un nouveau logiciel. Mais la Cour a confirmé le licenciement pour cause réelle et sérieuse, ce qui laisse à croire que le télétravailleur ne pourra, au même titre qu’un salarié classique, refuser les formations diligentées par son employeur en matière informatique et 219 La faute légère ne suffit plus à justifier le licenciement : par exemple, des retards peu fréquents au travail : Cass. Soc., 1 décembre 1976, D. 1976. IR. 266. 220 La faute sérieuse justifie le licenciement et constitue une catégorie intermédiaire entre la faute légère et grave ; mais l’employeur préfèrera le régime de la faute grave pour faire tomber les droits du préavis et à l’indemnité de licenciement détenus par le salarié. 221 Cass. Soc., 1 décembre 1993, Dr. Soc. 1993. 382 222 Cass. Soc., 26 février 1991, D. 1991 IR. 82. 223 Cass. Soc., 24 octobre 1989, Bull. Civ. V, n° 611. 224 CA Versailles (11ème ch.), 27 mai 1997, Petites Affiches 1999 N°92, p.12 . 108 dans la cadre de ses prestations de télétravail. Ceci est notamment le cas lorsque la formation est faite au salarié sur le lieu de travail ( à domicile par exemple), et pendant ses heures de travail effectif. En revanche, constitue une faute grave le fait pour un salarié travaillant sur informatique (bien souvent le cas du télétravailleur) d’avoir négligé de prendre toutes les mesures de sécurité et de sauvegarde mises en oeuvre dans les services informatiques.225 Dans le même sens, il est tout à fait possible d’envisager un licenciement pour faute grave dès lors que le télétravailleur bloque le système informatique utile à la prestation de télétravail, et ce de manière involontaire. Aussi faut-il admettre en matière de télétravail, comme en matière de travail classique, le licenciement pour faute grave du salarié ayant utilisé à des fins strictement personnelles les moyens informatiques mis à sa disposition.226 Il ne faut pas oublier que la preuve de ces allégations repose sur l’employeur, qui disposera alors de moyens susceptibles de violer les Droits du salarié (cf. supra). Le travail du juge en sera plus complexe. En réalité les solutions applicables aux litiges (encore rares) en matière de licenciement pour faute d’un télétravailleur s’inspirent largement du Droit commun du travail. Qu’en est-il en cas de faute lourde ? 2°) La faute lourde La faute lourde, quant à elle, implique l’existence d’une intention de nuire, ce qui recouvre la plupart du temps lors de l’utilisation des NTIC, des agissements relevant du Droit pénal (tels que la fraude informatique, le sabotage, le détournement de fichiers,…) ou encore du Droit des contrats (par la violation de la clause de non-concurrence). Ce type de faute autorise un licenciement immédiat, car le maintien du télétravailleur est impossible. Toutefois, l’appréciation de la faute lourde par le juge révèle à nouveau certains problèmes de preuve non-négligeables, celle-ci ne pouvant être constituée sur des présomptions. Quelques illustrations s’imposent : le 14 novembre 2000227, la chambre sociale de la Cour de Cassation a qualifié de faute lourde envers le télétravailleur le non-respect des dispositions de non-concurrences existant au contrat. La Haute Cour est allée jusqu’à octroyer des dommages-intérêts à l’entreprise. Dans le même sens, la divulgation de dossier confidentiels est constitutive d’une faute lourde pour le salarié, et ceci est appliqué de la même manière 225 CA Paris (29ème ch.), 29 octobre 1991, RJS 1992, p. 656. Cass. Soc., 14 mai 1997, Petites Affiches 1999, N° 92, p. 8. 227 Précité note N° 169. 226 109 pour le télétravailleur228. Rappelons qu’en cas de doute, celui-ci profite au salarié. Là encore, nous tenons la preuve de l’applicabilité des règles de Droit commun au télétravail. Il nous est néanmoins possible de montrer l’inadaptation de certains motifs de licenciement, délicats à invoquer en cas de télétravail salarié, ce qui tend à renforcer l’atypie de ce mode de travail. Voyons en quoi ces motifs sont « décalés » de la réalité des conditions et moyens du télétravail, et s’ils sont susceptibles de confirmer la thèse de la création d’un statut unique du télétravail. B°) L’inadaptation de certains motifs de Droit commun Le premier motif qui peut nous paraître superfétatoire de sens en matière de télétravail salarié (surtout à domicile) est celui de l’abandon de poste. En effet, au vu de la jurisprudence sociale qui considère aisément l’abandon d’un chantier par un salarié comme un abandon de poste, il paraît plus difficile de prouver ce grief envers le télétravailleur à domicile. Comment peut être analysé un cas de retrait du télétravailleur de son poste informatique en raison, par exemple, d’une mauvaise organisation des données envoyées par l’employeur ? Y aurait-il réellement abandon ou simplement « chômage technique » ? Certes la question n’a jamais été débattue par la Cour de Cassation, mais il serait alors envisageable d’objecter en faveur du télétravailleur un motif légitime de non-respect de son obligation. Le second motif, correspondant à un nombre trop limité de situations de télétravail peut être considéré comme pertinent, est celui du respect des horaires de travail. En effet, la jurisprudence sociale admet la cause réelle et sérieuse du licenciement du salarié en cas de refus de celui-ci de travailler le dimanche229. Or, nous l’avons vu, le télétravail à domicile s’effectue (notamment lorsqu’il s’agit d’une prestation de télétravail de conception) forfaitairement. De la même manière qu’un VRP télétravailleur (nomade) peut organiser son temps de travail comme il le souhaite, ce qui rend improbable la justification d’un licenciement au vu de ce motif de non-respect des horaires. Comment invoquer le non-respect des horaires alors que la détermination des horaires n’est pas pertinente de par les conditions même d’exécution de la prestation de télétravail ? Le dernier motif, touchant plus particulièrement le télétravail à domicile, est celui (très actuel) de la tenue vestimentaire. Là aussi, est totalement impertinent et ne peut avoir de cause réelle et sérieuse, le licenciement ayant pour motif le non-respect d’une norme vestimentaire alors même que le télétravailleur salarié à domicile ne peut être chargé d’une tâche de manière à 228 229 Principe n° 9 du dialogue sectoriel européen des télécommunications ; supra note n°223. Cass. Soc. , 10 novembre 1981, Bull. civ. V, n°892. 110 justifier une prestation vestimentaire particulière. (même en cas de visioconférence, seule la très haute partie du corps du télétravailleur peut être cadrée et ce par choix de ce dernier). Ces motifs ne sont pas d’ordre à justifier, dans la situation actuelle du télétravail, un quelconque licenciement à l’encontre du télétravailleur. Il n’en demeure pas moins qu’un jour, en fonction des développements du télétravail et des techniques nouvelles, ces derniers peuvent devenir une cause sérieuse et réelle de licenciement. De manière générale, la rupture du contrat de télétravail, même s’il existe quelques particularités issues des NTIC, demeure « gérable » aux moyens des dispositions du Droit commun du travail. CONCLUSION Avec le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication, le télétravail apparu au début des années 1980 sous un angle révolutionnaire, semble peu à peu prendre le chemin d’un mode d’organisation et/ou d’exécution du travail de 111 plus en plus normalisé. Mais à l’évidence, qui dit généralisation dit forte augmentation du risque de litiges liés à cette forme atypique de travail. D’ailleurs certains l’ont compris, surtout au niveau européen, et ont d’emblée préconisé l’adoption d’une réglementation spécifique du télétravail, au vu de la contradiction de ce dernier avec le salariat classique (voire même avec les situations d’entreprises individuelles n’utilisant pas les moyens actuels du télétravail). En effet, nous avons pu relever tout au long de cette étude, bon nombre d’illustrations nous permettant parfois de soutenir que sur quelques points juridiques, le télétravail supposait une autre forme de contrat social que le contrat de travail ou d’entreprise classique. Et ce fut là le point de départ de notre problème juridique d’ensemble, visant à poser la question de la pertinence de la création d’un statut spécifique du télétravail en marge du Droit commun du travail. Doit-on attendre de la part du législateur, en l’état actuel des choses, la mise en place d’un régime juridique propre au télétravail ? Le caractère protéiforme du télétravail rend délicat une approche juridique globale de ce mode de travail, sans pour autant en déprécier les qualités et « le jeter avec les eaux des abus »230 dont il peut parfois faire l’objet. De toute évidence, nous soutiendrons la négative à cette question, même si nous redoutons que le Droit du travail ait un jour du mal à faire face à cette révolution permanente de l’informatique et aux nouvelles technologies. Mais ce qu’il faut retenir à notre sens, et au delà des difficultés juridiques relatives notamment aux rapports sociaux entre les co-contractants liées au télétravail, est que la législation actuelle du travail permet largement de cadrer l’exercice du télétravail, quel qu’il soit. Cela dit, il nous est impossible de minimiser les bienfaits de la « main contractuelle » consentant à toutes les adaptations conventionnelles nécessaires le cas échéant. Et ce, tant au niveau des aspects individuels que collectifs du travail, dans le but défini de ne pas amplifier les risques de l’exécution du télétravail tels qu’une protection sociale amoindrie par la distance (un lien social à la communauté de travail limité, des activités sociales et culturelles inexistantes, le Droit au syndicalisme,…), mais aussi les risques de concurrence déloyale, l’inadéquation de certaines dispositions relatives au temps et au contrôle du travail, ou encore à la rupture du contrat. L’adaptation du statut du travailleur classique est effectivement nécessaire, mais de là à imaginer l’existence d’un statut propre, ceci est excessif et met la Droit du travail au banc de l’obsolescence. D’autant que ceci n’aurait pour unique vertu que de compliquer une utilisation déjà touffue du Droit du travail. 230 RAY (J.E), supra note n° 171. 112 En résumé, les formes de télétravail que nous avons rappelées dans notre étude et qui sont d’ailleurs les plus répandues, ne créent pas de complications ni de blocages juridiques défiant toute originalité. Elles ne sont que susceptibles d’amplifier les impasses déjà recensées dans le cadre de modes plus connus d’exécution et/ou d’organisation du travail comme le travail à domicile. Si auparavant, nous aurions été tentés de soutenir plus âprement l’intervention du législateur dans le sens de notre problématique, et notamment sur le point précis de l’insécurité dans la qualification juridique de l’activité du télétravailleur (à savoir si celle-ci relève du statut du travailleur indépendant ou du salariat), il n’en est aujourd’hui plus question depuis la Loi Aubry du 19 janvier 2000 qui, nous le savons, a enfoncé le clou en faveur de la qualification de salarié. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que les questions, nous ayant été soumises lors de cette étude, n’ont encore qu’un poids relatif du fait du nombre restreint de télétravailleurs sur le territoire français ; ce qui tend à rendre parfois anecdotiques certains de ces litiges, même s’ils mettent à plat de véritables controverses juridiques. Dans l’hypothèse où le télétravail viendrait à confirmer les évaluations faites par les experts et sociologues, qui prévoient le doublement de la population de télétravailleurs (source ECATT 1999) d’ici 2005, ne faut-il pas y voir un motif pertinent de codification spécifique du télétravail ? Nous serions alors en passe de voir se modifier le Droit commun du travail (se résumant essentiellement pour le télétravail au Droit de la Sécurité Sociale, au Droit de la formation professionnelle, au Droit syndical et de la négociation collective), et se défaire la tendance, encore dominante, qui consiste à envisager la relation de travail sur le modèle binaire du contrat de travail. Au cœur de ce débat naît une question essentielle, bouleversant les idées reçues depuis l’émergence du Droit du travail, digne héritier du travail taylorisé et subordonné : celle de l’apparition indispensable d’un Droit du travail spécial (au même titre qu’il existe un Droit des contrats spéciaux) plus ou moins développé et ancré dans la spécificité du télétravail ; au sein duquel la négociation collective et la singularité conventionnelle tiendraient une place prépondérante. Ceci n’ôterait pas le rôle essentiel du Droit commun du travail, correspondant au rapprochement de toutes les formes de travail, mais conduirait à envisager un Droit spécial « professionnel » du télétravail. La croissance de l’outil informatique, des NTIC dans cette forme inhabituelle de travail ne pousse-t-elle pas à évoluer vers une véritable refondation du Droit du travail dans les décennies à venir ? Si le télétravail progresse dans le sens des pronostics actuels, celui-ci sera peut-être l’un des piliers d’une réforme profonde et d’une prise en considération d’un renouveau de la législation du travail. 113 BIBLIOGRAPHIE Ouvrages généraux : • VERDIER (J.M.), COEURET (A.), SOURIAC (M.A.), Droit du travail, Mémentos Dalloz, 11e édition, 1999, 611 p. 114 • JEAMMAUD (A.), PELISSIER (J.), SUPIOT (A.), Droit du travail, Précis Dalloz, 20e édition, 2000. • ( ?), Lamy social, 2000. • ( ?), Lamy droit de l’informatique, 2000. • MELIN (F.), MOULINS (X.), Mémo social, ed. Liaisons, 1999, 1270 p. Ouvrages spéciaux : • ALIX (P.), Comprendre et pratiquer le télétravail, ed. Lamy 2001. • BLESSIG (A.M.), Guide juridique et pratique des emplois à domicile, ed. De Vecchi, 1996, 156 p. • DUMENIL (M.), ROUX (J.C.), Le télétravail, ed. City & York, 1995, 125 p. • GOPE (L.), PANNETIER (G.), Télétravail et téléservices, ed. 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Soc. , 20 mars 1991, Dr. Soc. 1991, p. 696. • Cass. Soc., 10 octobre 1991, Dr. soc. 1990, p. 40. • CA Paris (29ème ch.), 29 octobre 1991, RJS 1992, p. 656. • Cass. Soc. , 21 novembre 1991, Dr. soc. 1992, p. 20. • Cass. Soc. , 22 janvier 1992, Bull. civ. V, N°31. • Cass. Soc. , 2 avril 1992, Bull. civ. V, n° 241. • Cass. Crim. 5 janvier 1993, pourvoi n° 92-3226. • Cass. Soc. , 31 mars 1993, Bull. civ. V, n°270. • Cass. Soc. , 2 juin 1993, Dr. Soc. , 1993, p. 678. • Cass. Soc. , 24 novembre 1993, RJS, 1994. 49, n°41. • Cass. Soc., 1 décembre 1993, Dr. Soc. 1993. 382. • Cass. Soc. , 29 juin 1994, D. 1994. 346. • Cass. Crim., 29 octobre 1995, bull. civ. V N° 335. • Cass. Soc. , 2 avril 1996, RJS 1996, n°555, p. 351. • Cass. Soc., 13 novembre 1996, Dr. soc., 1996-1067. • Cass. Soc. , 20 janvier 1997, Petites affiches 1997, n° 146, p. 27. • Cass. Soc., 14 mai 1997, Petites Affiches 1999, N° 92, p. 8. • CA Versailles (11ème ch.), 27 mai 1997, Petites Affiches 1999 N°92, p.12 . 120 • Cass. Soc. , 28 mai 1997, RJS 1997. 537, n° 830. • Cass. Soc., 1 juillet 1997, D. 1997.IR.175. • Cass. Soc. , 31 mars 1998, Cah. Soc. Barreau 1998, n° 101 B.128. • Cass. Soc. , 6 mai 1998, n° 2277 D. • Cass. Soc. , 3 juin 1998, D. 1998, IR 174. • Cass. Soc. , 4 mai 1999, Dr. soc., 1999. 730. • Cass. Soc. , 15 juin 1999, Dr. Soc., 1999. 840. • Cass. Soc. , 6 juillet 1999, RJS 1999, p. 767, n°1237. • Cass. Soc., 17 mai 2000, D. 2269. • CJCE 6e chambre, 6 juillet 2000, Dame Dietrich, Droit ouvrier, janvier 2001. • Cass. Soc. , 14 novembre 2000, JS UIMM, mars 2001, p. 74. TABLE DES MATIERES SOMMAIRE…………………………………………………………………………………...1 TABLE DES ABREVIATIONS……………………………………………………………….2 121 GLOSSAIRE…………………………………………………………………………………...3 INTRODUCTION……………………………………………………………………………..4 TITRE I : LE STATUT DU TELETRAVAILLEUR……………………………………17 CHAPITRE I : Le télétravail et les aspects individuels du travail……………………19 SECTION I – Le télétravailleur salarié……………………………………….19 § 1 – La qualification de salarié………………………………………20 A°) Les critères de l’activité salariée………………………….20 1°) Le critère d’intégration à un service organisé par et pour un tiers…………………………………………...20 2°) La question de la subordination juridique :l’existence d’une « télé-subordination » ?…………………………23 B°) Les salariés assimilés par l’effet de la loi…………………25 1°) Les assimilations effectuées par le Droit du travail et le régime de sécurité sociale…………………………..25 2°) Les distinctions à effectuer………………………...28 §2 – Les effets de la qualification……………………………………..30 A°) La fiscalité du télétravailleur salarié……………………...30 1°) La taxe professionnelle……………………………30 2°) L’impôt sur le revenu……………………………...31 B°) La protection sociale du télétravailleur salarié……………33 1°) Le particularisme des accidents du travail………...33 2°) Les normes d’hygiène et de sécurité………………36 SECTION II – Le télétravailleur entrepreneur individuel……………………39 §1 – Les critères de l’indépendance……..…………………………….39 A°) Les principes……………………………………...………40 1°) La capacité d’être un entrepreneur………………...40 2°) L’exécution d’un contrat d’entreprise…..…………40 B°) Les apports de la loi Aubry II……………………………..41 1°) L’article 49 de la loi Madelin du 11 février 1994…41 2°) L’abrogation de l’ancien article L 120-3 du Code du travail………………………………………………….43 § 2 – Les effets de la qualification…………………………………….44 A°) L’analyse des rapports entre le télétravailleur indépendant et son donneur d’ordre …………………………………………..44 1°) Le donneur d’ordre et son devoir de s’informe……44 2°) L’obligation de fixation et de communication des modalités d’exécution du contrat d’entreprise………...45 122 B°) Les conséquences classiques de la qualification de télétravailleur indépendant ……………………………………46 1°) La fiscalité du télétravailleur indépendant………...46 2°) La sécurité sociale du télétravailleur indépendant...46 CHAPITRE II : Le télétravail et les aspects collectifs de travail……………………..47 SECTION I – Le nécessaire rapprochement à la communauté de travail…….48 §1 – Le besoin d’un lien virtuel collectif de travail…………………...48 A°) Le stress particulier généré par le télétravail……………..49 1°) La solitude par l’indépendance……………………49 2°) Le sentiment d’une perte de reconnaissance………50 B°) Les solutions envisagées…………………………………50 1°) Un lien virtuel permanent………………………….51 2°) Une obligation de présence périodique dans l’entreprise…………………………………………….51 § 2- Les conventions collectives dans le télétravail…………………52 A°) Des négociations d’accords collectifs de travail obligatoires ? 52 1°) Les conventions et accords collectifs de branche….52 2°) Les conventions et accords collectifs d’entreprise…53 B°) Vers une progression de la convention collective dans le télétravail ?…………………………………………………….54 1°) Les impacts de la RTT…………………………….54 2°) Une négociation collective proche du terrain…...…55 SECTION II– Le télétravail et la représentation professionnelle……………56 §1 – Le télétravailleur dans la représentation du personnel…………57 A°) La prise en compte des télétravailleurs salariés dans la représentation du personnel….……………………..…………………57 1°) Le principe issu du Code du travail………………..57 2°) La capacité du télétravailleur salarié dans la mission des instances représentatives………………………………….57 B°) Le rôle permanent du comité d’entreprise...………………58 1°) Le rôle précurseur du comité d’entreprise : l’article L 432-2 du Code du travail……………………………………59 2°) La protection de l’accès du télétravailleur aux activités sociales et culturelles……………...…………60 § 2 – Le droit syndical du télétravailleur……………………………61 A°) Le poids du télétravail dans l’action syndicale ?…………61 1°) Le principe dégagé par l’arrêt Dame Allard Jacquin... 123 61 2°) Les difficultés persistantes……………...…………62 B°) La protection syndicale et les NTIC………………………62 1°) L’exercice du Droit syndical par les NTIC………..63 2°) L’émergence d’un « syndicalisme virtuel »……….65 TITRE II :L’EXECUTION DU CONTRAT DE TELETRAVAIL………………….67 CHAPITRE I : Les cadres conventionnels et matériels spécifiques du télétravail…68 SECTION I – Les moyens matériels de l’exécution du télétravail…………69 § 1- Les lieux et locaux du télétravail…………………………………69 A°) Des localisations spécifiques et changeantes……………..69 1°) Le rappel de la définition du télétravail………...…70 2°) Le télécentre et le Droit social.……………………71 B°) Le régime juridique des locaux liés au télétravail...………72 1°) Les locaux d’habitation……………………………73 2°) Les baux à usage professionnels..…………………73 § 2 – La délicate problématique des biens…………………………….74 A°) La nature juridique des biens matériels…………………...74 B°) Les biens immatériels……………………………………..75 SECTION 2 – Le cadre conventionnel singulier du télétravail……………76 § 1 – Une obligation de fidélité……………………………………….77 A°) Les clauses restrictives de la liberté du travail……………77 1°) La clause d’exclusivité des services……………….77 2°) La clause de non-concurrence……………………..78 B°) La protection des données………………………………...79 § 2 – Les autres dispositions limitatives du contentieux……………...80 A°) Les clauses de protection des intérêts économiques du donneur d’ouvrage…………………………………………….80 1°) Les clauses de fourniture et de dédit-formation…..81 2°) La clause relative aux inventions………………….81 B°) Les règles spécifiques liées à la mise en place du télétravail 82 CHAPITRE II : Les complications de l’exécution du télétravail…………………….83 SECTION I – La question du contrôle du personnel…………………………84 §1 –Le contrôle de la durée du travail: imbroglio juridique ?………...85 A°) L’évaluation forfaitaire du temps de travail selon la nature de la prestation de télétravail………………………………….85 1°) Le télétravail de réalisation technique…………….85 124 2°) Le télétravail de création intellectuelle et de conseil 87 B°) L’évaluation par la qualification : temps de travail effectif ou astreinte ?…………………………………………………..88 1°) Les qualifications d’astreinte et de temps de travail effectif…………………………………………………88 2°) La place des heures supplémentaires……………...90 § 2 – Le contrôle du travail : pouvoir de direction contre les libertés individuelles…………………………………………………………...92 A°) Le « pistage » du salarié…………………………………..93 1°) Un droit tiré du lien de subordination……………..93 2°) Les limites de ce « pistage »………………………95 B°) Les incidents persistants de ce contrôle…………………..97 1°) La collecte de données à caractère personnel……..97 2°) Le contrôle de la messagerie électronique...………98 SECTION II – La rupture du contrat de travail……………………………100 §1 – Le licenciement économique…………………………………..101 A°) La réorganisation de l’activité…….……………………101 1°) Les mutations technologiques trop rapides inhérentes au télétravail…………………………………………102 2°) Les cas de difficultés économiques et le télétravail 103 B°) Les limites de l’obligation de reclassement……………..104 1°) Des possibilités et conditions de reclassement limitées 105 2°) La limite du volontariat du télétravailleur….…….106 §2 – Le licenciement pour faute……………………………………..106 A°) L’appréciation de la faute et le télétravail……………….107 1°) La faute grave…………………………………….107 2°) La faute lourde…...………………………………108 B°) L’inadaptation de certains motifs de Droit commun…….109 CONCLUSION……………………………………………………………………………111 BIBLIOGRAPHIE………………………………………………………………………...114 INDEX DE LA JURISPRUDENCE………………………………………………………119 125