Les mouvements politiques de gauche en Amérique latine
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Les mouvements politiques de gauche en Amérique latine
Les mouvements politiques de gauche en Amérique latine Richard Simard Chargé de programmes, Amérique latine pour Développement et paix Intervention le 12 juin 2009 dans le cadre du Séminaire du CISO (Centre international de solidarité ouvrière) sur « Les mouvements de gauche en Amérique latine » Francine Néméh (CISO), Richard Simard (Développement et paix) Étude de cas sur le Nicaragua et aparté sur le Honduras et le Salvador, par Richard Simard de Développement et paix Je ne prétends pas faire ce matin une analyse exhaustive des politiques au Nicaragua. Je n’ai eu ni le temps, ni les ressources pour ce faire. Par contre, à Développement et Paix, nous suivons ce pays depuis un bon bout de temps, nous avons donc un certain point de vue. À titre de chargé de programmes à Développement et Paix en Amérique latine, j’ai aussi l’immense privilège de suivre la Bolivie et l’Équateur, mais pour des raisons historiques, on m’a demandé de vous parler du Nicaragua ! Comme je reviens d’une tournée en Amérique centrale de 3 pays, je vais me permettre une très brève parenthèse sur deux pays voisins, le Honduras, et le Salvador… que s’y passe-t-il vraiment ? Le Honduras de Manuel Zelaya (MEL pour les camarades !) Élu pour le Parti Libéral du Honduras en novembre 2005 (prise de possession en janvier 2006) sous un programme basé sur l’épineuse question de la sécurité, la lutte contre le crime organisé, la corruption, et la lutte contre le chômage et la pauvreté. Que s’est-il passé chez ce candidat qui prétend lui-même « avoir été élu au sein d’un parti de droite et qui dirige un gouvernement de gauche ». Après 2,5 ans au pouvoir, on assiste à un coup d’éclat majeur : l’adhésion du Honduras en août 2008 à l’Alternative bolivarienne pour les Amériques (ALBA)! Changement radical du discours de MEL. Les dénonciations et les appels au scandale fusent de partout, toute la droite réunie et tous (je dis bien tous) les médias honduriens sont montés contre lui. Ça y’est, Mel a vendu le pays à Chavez ! Chavez est le nouveau monarque des catrachos ! Chavez s’en vient avec son pétrole et les médecins cubains prennent le contrôle du système de santé, (rappelons qu’ils sont présents dans le pays depuis plus de 15 ans, avant même l’ouragan Mitch de 1998) Mel propose maintenant une consultation populaire (référendum) prévue le 28 juin prochain afin de convoquer une assemblée constituante et de modifier la constitution du pays (la grande mode !) et ainsi, rester au pouvoir (élections prévues en novembre, Mel ne peut se présenter actuellement et le travail n’est pas fini…) Le gouvernement (!!!) crée le « Frente Patriótico » et diffuse son message dans un journal, sur le canal TV de l’État (qui finance tout ça ?). L’impact de ses prétentions dans le grand public : UNE GRANDE ET PROFONDE CONFUSION S’INSTALLE ! On ne sait plus qui croire. Les intentions de Mel pourraient être bonnes, mais la méthode est douteuse…. Gouvernement de gauche ? Si on gratte la photo, je ne sais pas si la peinture restera… Le Salvador de Mauricio Funes ! Un autre contexte, un autre processus politique… Funes, élu le 15 mars dernier, assermenté le 1 juin, premier président de gauche de ce pays qui aura souffert à peu près tout ce que les gouvernements de droite peuvent inventer : la guerre, la répression, les programmes d’ajustements structurels, les privatisations de tout ce que l’État possède et gère (services publics…). Un peuple beaucoup plus politisé et organisé qu’au Honduras, donc Mauricio prend le pouvoir face à une droite ébranlée mais encore forte, et une société civile solide, qui sera parfois alliée, mais aussi qui saura le pousser ou le forcer à rendre la marchandise. Funes, qui n’est pas du parti (FMLN - Frente Farabundo Marti de Liberacion Nacional) a réussi à former un premier cabinet de transition et de coalition entre le FMLN et une série de professionnels qualifiés et progressistes, dans un État qui selon moi, est techniquement annexé aux USA (par son économie, sa population, sa culture…). Funes devra aborder des questions comme la fiscalité, la lutte contre la corruption (20 ans de gouvernements d’Arena), l’impunité, la relance de l’agriculture, etc. Un gouvernement de gauche? Funes, plus prêt de Lula que de Chavez, se définit lui-même comme un démocrate… on assiste à un changement de gouvernement et espérons le de régime politique, ici, on ne peut pas gratter, la peinture est pas encore sèche! Traversons le Golfe de Fonseca et arrivons en terre pinolera, au Nicaragua de Daniel Ortega! Gouvernement et mouvement de gauche au Nicaragua? Je vous le dit d’entrée de jeu, ça reste à démontrer! Rappelons les faits : Daniel Ortega est (ré)élu président en novembre 2006, assermenté en janvier 2007 (après l’avoir été de 1979 à 1990, avec une seule victoire électorale, en 1984) Ortega remporte donc 38 % des suffrages (contre 42% en 2001) ce qui lui assure la victoire au premier tour, avec une avance de 9 points sur Eduardo Montealegre qui récolte 28,3 % des votes. On l’a laissé passer (le pacto !) C'est avec moins que le minimum de 40% des suffrages requis par le texte constitutionnel modifié suite au « pacte » Ortega–Aleman de 2000 et seulement grâce à l’écart supérieur à 5 points qui le sépare de son principal opposant. Ce résultat constitue le plus mauvais score qu’il ait réalisé en 5 élections présidentielles. Commençons par les bons coups, les bonnes intentions : Programme « Yo si puedo » : partout dans le pays, on enseigne à lire et à écrire avec ce programme né à Cuba. (Vous vous souvenez de ce cahier ?) Pour le 30e anniversaire, Ortega veut déclarer le pays « libre analphabétisme »… Programme « Hambre zero », et le « Bono productivo » : 16 000 familles recevront cette année soit une vache, soit un cochon, soit 10 poules pondeuses et un coq, des aliments pour 6 mois, des plantes et des semences pour un jardin familial. En tout, sur un programme qui durera 5 ans (2007 à 2011), on devrait pouvoir appuyer près de 80 000 familles. Dans un pays de « ganaderos » (éleveurs), qui se sont enrichis sur le dos des plus pauvres, l’image de la vache est très porteuse… Programme « Usura Zero » : près de 75 000 femmes ont bénéficiés de micro crédit (entre 1 000 et 5 000 Cordobas soit l’équivalent de 50 à 250 US$) Enfin, les programmes de chirurgies oculaires (opération miracle), programmes « calles para el pueblo » (1000 rues pavées), les pensions versées aux victimes de la guerre des années ’80, les bourses d’études à Cuba, et une liberté d’expression respectée… Une question se pose : est-ce que ces œuvres d’intérêt social répondent aux critères que doivent respecter les projets populaires et surtout non clientélistes ? Regardons de plus près le fonctionnement des CPC (Consejo de Poder Ciudadano, version moderne des anciens CDS) qui sont les structures qui mettent en place ces divers programmes. Le 29 novembre 2007 (sa première année) naissaient légalement les CPC et les Cabinets nationaux de pouvoir citoyen (gabinete nacional de poder ciudadano) Composé de 16 personnes élues par la communauté ou le quartier, le CPC : “a fin de que el pueblo nicaragüense en el ejercicio de la democracia participativa y directa de los diferentes sectores sociales del país, se organicen y participen en el desarrollo integral de la nación de manera activa y directa y apoyen los planes y las políticas del Presidente de la República encaminadas a desarrollar estos objetivos.” • On prétend au Nicaragua que les secrétaires politiques des mairies sandinistes ont beaucoup plus de pouvoir (entre autres sur les CPC) que les maires eux-mêmes…. Lors de ces élections municipales de novembre 2008, le FSLN aurait gagné 105 des 146 mairies, il appert qu’au moins le tiers de ces gains sandinistes soient des vols – fraude – dont Managua. …on présente Alexis Argüello (3 fois champion du monde des poids légers et plumes… de boxe) comme le maire désigné par le CSE. Maintenant, parlons des contradictions : • Le programme Yo si puedo, vs plus de 400 000 enfants qui n’ont pas accès à l’école primaire en zones rurales… • Comment expliquer que les organisations communautaires se soient renforcées pendant que nous avions un gouvernement central de droite et des mairies sandinistes, et qu’elles soiennt maintenant fragilisées avec un gouvernement central sandiniste et des mairies sandinistes??? On assiste à une instrumentalisation directe des structures communautaires (on dit que les gens adhèrent aux CPC pour la bouffe, les bonos, les jobs, etc…) Les mobilisations populaires sont des ordres et les emplois des gens sont en jeu! • Il se vit au Nicaragua ni plus ni moins qu’une démocratie procédurale à l’extrême, et comme le disais Victor Armony dans sa présentation d’hier, combiné à un libéralisme aristocratique. Daniel Ortega est toujours en campagne, à mi-mandat, tous ses gestes sont calculés, froidement calculés… une politique clientéliste. • On assiste à une récupération politique des symboles de luttes (on connaît la bataille que les frères Mejía Godoy ont livrée contre le FSLN…) • Ortega a fait un pacte avec le diable et avec Dieu! • Le MRS est l’alliance électorale qui regroupe plusieurs sandinistes de la première heure dont des commandants révolutionnaires des commandants de la guérilla, des artistes comme le poète Ernesto Cardenal, Carlos et Luis Enrique Mejía Godoy ainsi que plusieurs militants et militantes de la base. Le MRS inclut également le Parti socialiste nicaraguayen, le Parti d’action citoyenne, le Parti vert écologiste, l’association Cambio-ReflexiónÉtica-Acción et, le Mouvement autonome des femmes. • Aujourd’hui, Ortega veut aussi modifier la constitution (lui aussi?) afin de rester au pouvoir après 2011… Mais une des personnes qui ne le souhaite pas nécessairement s’appelle Rosario Murillo, sa femme et protectrice, car sa popularité monte en flèche et plusieurs la voient déjà comme la future candidate! • Concernant la mesure de l’attitude révolutionnaire de Daniel Ortega, le bon vieux Tomas Borge disait récemment, dans un discours prononcé à l’ambassade du Venezuela à Managua : « on mesure l’attitude révolutionnaire d’un dirigeant par son attitude envers Cuba, Daniel agit correctement envers Cuba, alors Daniel est le meilleur des révolutionnaires » • Pourtant, dans ses écrits portant sur la situation en Amérique latine, avec l’ALBA, Fidel ne dit absolument rien concernant le Nicaragua, concernant les dernières élections municipales…Ce silence de Fidel en dit long! • On nous parle d’un nouveau quartier de maisons « regaladas » à des pauvres avec des fonds du programme « hambre zero » remises à des dirigeants sandinistes, maisons avec coupoles de la dernière mode, camionnette 4X4 neuve, avec un 2e plancher ajouté par les familles…des pauvres??? • Le gouvernement vient de mettre de l’avant le Manuel de contrôle des ONG, et tout ça pour contrôler les groupes de pression politique appuyés par le Nord (voir les USA). • On connaît ses compromis faits à l’Église Catholique, en criminalisant l’avortement thérapeutique, la guerre avec les groupes de femmes était déclarée. • En parallèle, on peut parler de l’absence de mouvement paysan et ouvrier « autonome ». Les mouvements actuels sont « utilisés » par le parti pour, comme on le disait dans les années ’80, bajar la linea! • Pour maintenir le pays à flot, Daniel appelle les nicaraguayens « à croire en Dieu… et au Venezuela! » (Daniel pidió a la población que confiara en Dios y en Venezuela!) Par contre les montants versés par Chavez n’apparaissent pas clairement dans les budgets de l’État, le gouvernement ayant créé une coopérative privée du FSLN, ALBA-CARUNA, pour gérer les fonds provenant des ententes de l’ALBA (pétrodollars de Chavez)…transparence???? • Ortega installe les conditions que prévalaient dans les années ’80, en pleine guerre. Ses discours nous ramènent à ces années de guerre. Le gouvernement cherche à s’imposer, à vaincre, et non à convaincre. Comme à la guerre. Il envahit des territoires, favorise une discipline hiérarchique, réagit sur la défensive. Comme à la guerre. Mais il semble ne pas avoir reçu d’entraînement pour dialoguer avec la société, si différente aujourd’hui de celle des années 1980… Pour finir, y’a-t-il un gouvernement de gauche au Nicaragua? Peut-être. Mais permettez-moi de douter des méthodes de cette gauche, des principes de participation à la vie démocratique… Prochainement, lorsque l’on verra Mauricio Funes, Manuel Zelaya et Daniel Ortega ensemble, observez-leur les mains…Car au Nicaragua, si on gratte la photo, on risque de se salir les mains!