La prison et les jeunes: expériences kenyanes
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La prison et les jeunes: expériences kenyanes
Extraits du rapport de recherche de Marjorie Oloo sur les prisons au Kenya ww ww w..ddeeii--bbeellggiiqquuee..bbee DEEII BBeellggiiqquuee ffrraannccoopphhoonnee w EExxttrraaiitt dduu ssiittee iinntteerrnneett ddee D La recherche a été présentée par Majorie Oloo aux conférences suivantes: Prisons: A Kenyan Perspective, Prisons 2004; Conference. June 23rd -25th 2004. City University. London. UK Prisons: Young people in prison. A Kenyan Perspective. European Society of Criminology 2004. Vrije University. Amsterdam. 2528th August 2004 Young people’s experiences of prison. “No Kids behind Bars” 9th International Conference. Defence for Children International. June 30th -July 3rd 2005 Bethlehem Palestine. Kenya: Young people in prison. Penal reform Initiatives. 7th Bi-annual Conference of the Eastern, Southern and Central Africa (CESCA) Heads of Correctional Services. 8-12th August 2005 Nairobi. Kenya. La prison et les jeunes: expériences kenyanes Fabienne Druant1 L’institution pénitentiaire fait partie du paysage commun des pays industrialisés mais aussi des pays en voie de développement. Au Kenya, pays dans lequel l’étude exposée ici a été menée, la prison constitue une institution fortement controversée, source de nombreux fantasmes. L’intérêt de cette recherche est qu’elle constitue une première approche scientifique puisque aucune étude systématique n’y a jamais été menée, que ce soit concernant les prisonniers ou l’institution elle-même. Les gestionnaires financiers se plaignent du financement inadéquat dans cette zone territoriale et sur les conditions difficiles de travail qui en sont la conséquence. Les rapports d’Amnesty International font part des conditions inhumaines dans lesquelles les prisonniers doivent vivre. La visite de chacun des établissements pénitentiaires permet de mettre en lumière pourquoi les autorités se montrent plutôt réticentes aux visites de personnes extérieures. Le personnel ou les gérants voient également la visite de chercheurs comme une réelle intrusion suspicieuse. L’infrastructure est totalement inadéquate et beaucoup d’établissements pénitentiaires sont toujours bâtis sur les structures mises e en place au début du XX siècle. Les établissements sont surpeuplés et la structure sanitaire inadéquate. Il y règne en outre les germes de maladies contagieuses comme la tuberculose. Le discours tenu à l’égard des chercheurs qui visitent la prison est que "l’objectif de la prison est de rendre un excellent service à la Communauté dans la mesure où elle constitue un contenant à criminels, qu’elle réhabilite afin de contribuer à la protection de la Communauté, la stabilité et le développement". Par contre, ce qui est systématiquement ignoré lors des interviews est la manière dont ces missions et cet objectif sont mis en place au quotidien dans les établissements pénitentiaires. L’institution pénitentiaire, à l’instar de nombreux pays industrialisés, suscite la controverse en termes d’effectivité de la réinsertion des prisonniers, du coût par prisonnier et des effets de l’incarcération. Il en va de même de la question de la gestion des activités effectuées en prison. L’observation de trois prisons kenyanes révèle que la prison n’est pas du tout le lieu destiné au travail de changement des comportements ou à l’intégration des prisonniers dans la société! Bien au contraire, l’emprisonnement entraîne un risque accru non seulement de récidive, mais encore de propagation de problèmes de santé. L’objectif de l’étude réalisée par Marjorie Oloo est d’examiner l’expérience carcérale de jeunes personnes. Pour ce faire, l’auteur a interviewé des jeunes prisonniers, des membres de l’équipe pénitentiaire, des avocats et membres de la sphère judiciaire. Le ww ww w..ddeeii--bbeellggiiqquuee..bbee DEEII BBeellggiiqquuee ffrraannccoopphhoonnee w EExxttrraaiitt dduu ssiittee iinntteerrnneett ddee D 2 Children’s Act met en lumière que les enfants ne devraient être incarcérés qu’en dernier ressort. Force est de constater, cependant, que cette recommandation est contredite par la pratique. L’inexistence probante de recherches et d’informations sur les prisons, tant dans la sphère publique que dans les rapports véhiculés par les médias, constitue en soi un indicateur. Pourquoi? Les prisons kenyanes apparaissent comme des institutions totalement opaques n’ouvrant leurs portes qu’aux seuls avocats et magistrats. Notons que les juges sont supposés visiter régulièrement les prisons. Le seul rapport émis sur ce sujet est celui de l’université de Western Cape qui date de 1999. Il s’agit du seul article officiel qui pose la question de l’état des prisons kenyanes. Par ailleurs, les médias sont peu critiques par rapport à la question des prisons. Or les médias constituent au Kenya un outil précieux de communication, que le gouvernement utilise pour informer le public de ses opérations. Il ressort de la recherche effectuée que la perception et l’attitude du public à l’égard des délinquants semblent se baser sur ce que les médias en rapportent. Le service pénitentiaire dispose d’un porte-parole. Sachant cela, la question qui doit être clairement posée est celle de la responsabilité des médias kenyans dans la conception erronée du public sur la problématique pénitentiaire. Le fait que les prisons au Kenya soient construites dans des lieux reculés, éloignés de la population et difficilement accessibles (car non reliés au moindre réseau de transport public), réduit les possibilités éventuelles des visites en prison. Il va de soi que cela réduit par voie de conséquence la possibilité de poser un regard critique sur cette question. Le service pénitentiaire kenyan a adopté une politique de "porte ouverte" pour la première fois depuis sa création, ce qui a permis la mise en œuvre de la recherche présentée ici. Pour la première fois donc, des personnes et organisations extérieures ont été autorisées, avec cependant une marche de manœuvre déterminée, à visiter les prisons. Cette ouverture soudaine est sans doute due à la pression exercée par les donateurs internationaux visant à améliorer les conditions au sein de la prison et à mettre en place une approche humaine du traitement des prisonniers. Elle est sans doute également due à la nécessité de certains directeurs d’accroître la visibilité des prisons afin de se conformer 3 aux normes standards . En effet, les établissements pénitentiaires existent au Kenya depuis la colonisation anglaise. La gestion des e prisons se fait de manière similaire à celle du XVIII siècle. La plupart des établissements pénitentiaires n’ont jamais été rénovés ou agrandis depuis 1964, ce qui explique que la plupart de ces établissements sont inadéquatement équipés et surpeuplés. Par ailleurs, les prisonniers ne sont séparés ni en fonction de leur appartenance ethnique, ni en fonction de problèmes qu’ils ont pu avoir entre eux, ni en fonction du type de peine (détention préventive ou incarcération suite à une condamnation), ni en fonction de leur âge. A cet égard, délinquants adultes et mineurs cohabitent. Les pays donateurs ne font pas de ce point une priorité dans la mesure où la réforme pénitentiaire et ses aspects légaux sont généralement relégués au dernier point de l’ordre du jour dans les discussions. Il faut en outre mentionner qu’aucune attention n’est non plus portée à la situation désastreuse des personnes condamnées et incarcérées. Les autorités pénitentiaires kenyanes ont également le sentiment de ne pas être prises au sérieux par le gouvernement, et l’impact se ressent directement par le peu de financement attribué à leur secteur. Les rapports nationaux montrent qu’en 1999, le service pénitentiaire recevait moins de 1% du budget national. En 2004, le budget alloué était de 1,2 %. Cela représente 549000 $. Nul ne sait comment ce montant est calculé, ni quel est, proportionnellement au budget et au regard du coût quotidien d’un prisonnier, le montant prévu par personne et par jour. Pourtant, une étude récente compte 1414 détenus Nairobis (prisons comportant une aile de détention préventive) donc 494 condamnés, 2912 détenus en détention préventive, et 11 catégorisés comme "autres" (prison kenyane,2004). Le service pénitentiaire a une capacité de 14000 places. Il contient pratiquement 48000 prisonniers, ce qui signifie que cet établissement fonctionne à 300% de sa capacité maximale. Des cas de mauvais traitements graves ont été rapportés, ce qui a attiré l’attention de défenseurs des droits de l’homme (Amnesty International, 2003). Depuis lors, des tentatives de réformes ont été initiées, se concrétisant par l’approvisionnement en matelas, ordinateurs, activités, etc. Quelle sera l’étape suivante? L’auteur de la recherche explique que les actions décrites ici ne permettent pas d’éradiquer les problèmes ancrés dans les établissements pénitentiaires. En effet, distribuer des fonds supplémentaires sans dispenser une information à tout le moins basique n’améliorera pas nécessairement les conditions dans la prison, ni pour les prisonniers, ni pour l’équipe pénitentiaire. Il serait nécessaire de pousser plus loin la recherche sur le système pénal dans ce pays. La justice kenyane est basée sur la justice Common Law anglaise, le pays a un système de justice pénale distinct, qu’il est difficile de comprendre car certaines fonctions ministérielles sont éparpillées entre divers départements, avec des fonctions qui se recoupent. 4 Les prisons kenyanes sont gouvernées depuis Nairobi, où il existe un modèle hiérarchique de communication . Rien ne se passe sans qu’un accord soit donné par le quartier général. Or, bien souvent, le téléphone ne fonctionne pas, et la mise en place de ww ww w..ddeeii--bbeellggiiqquuee..bbee DEEII BBeellggiiqquuee ffrraannccoopphhoonnee w EExxttrraaiitt dduu ssiittee iinntteerrnneett ddee D nouvelles technologies est peu apparente. Cela rend tout type de communication très problématique. La politique de porte ouverte, vous l’aurez compris, s’en trouve donc fortement limitée. L’auteur du rapport a dû négocier l’accès avec le commissaire des prisons. Cet accès a été constamment requestionné. Un officier a dû être désigné pour suivre la chercheuse tout au long de son travail. La préoccupation majeure des responsables consistait en une demande de comparaison entre le système pénitentiaire local et le système pénitentiaire occidental. (Un second objet de préoccupation était de veiller à ce que les gardiens soient traités "gentiment" par la chercheuse). Résultats obtenus lors des entretiens avec les jeunes Les interview se sont déroulées individuellement auprès de 5 avocats, 1 magistrat du Tribunal de Jeunesse, 4 gardiens de prison, 2 officiers et 15 jeunes personnes incarcérées. Il faut savoir qu’au préalable, les établissements étaient mis au courant de la visite d’une chercheuse. Cet aspect a sans doute quelque peu biaisé la recherche. Tous les mineurs interrogés venaient de milieux socio-économiques défavorisés. 71% d’entre eux ont été accusés, ou condamnés pour vols. La quasi-totalité était en détention préventive qui durait depuis 2 à 6 mois. Ces jeunes avaient environ 16 ans. Surpopulation La surpopulation des prisons visitées était telle qu’elle engendrait des conflits physiques pour recevoir la nourriture, pour s’approprier une place où dormir, ou pour un matelas. Aucune prison ne disposait cependant de la moindre statistique sur cet aspect, les causes et conséquences de cette violence. Le manque de place contraignait en outre les enfants à partager l’espace avec des adultes. Cette surpopulation et cette mixité adultes-enfants entraînent également des cas d’abus physiques et sexuels. Certains jeunes ont pu en témoigner. Ils expliquent par ailleurs qu’ils n’ont pas pu rapporter ces incidents auprès des autorités pénitentiaires. C’est, selon eux, dû au fait qu’il n’existe pas de procédure de plaintes ou de possibilités d’intervenir au sein de la prison, et que la structure hiérarchique ne leur laisse pas de marche de manœuvre à cet égard. L’aspect du tabou renforce d’autant plus ce manque de dénonciation. Le problème de surpopulation remet naturellement en cause la sécurité et le contrôle. Il existe de nombreux rapports relatifs à des évasions de prisonniers. Certains sont même tués au cours de leur évasion. De même, à défaut de pouvoir mettre en place une procédure disciplinaire correcte, les membres de l’équipe sont fréquemment enclins à administrer eux-mêmes des punitions corporelles et physiques aux prisonniers. Il est étonnant de relever que, bien que les gardiens de prisons décrivent leur public comme étant constitué de personnes dangereuses, ils soient eux-mêmes autorisés à travailler avec des instruments tels que des couteaux voire des machettes! Aucun des gardiens n’a rapporté, au cours de l’étude, avoir été attaqué par un détenu… Evaluation des risques La question du risque posée par la criminalité au regard du système pénal est à envisager selon trois angles. La prise en considération du risque que le prisonnier présente pour lui-même et pour la société Il ressort très clairement de la recherche que l’utilisation de sentence pénitentiaire est utilisée de manière très répandue, sans doute bien plus que nécessaire. Or on sait que l’un des effets de la prison est d’augmenter le potentiel criminel d’un individu. En quelque sorte, l’institution pénitentiaire crée ou facilite le crime. La prise en considération du risque médical véhiculé dans l’infrastructure pénitentiaire Les prisonniers se contaminent en effet mutuellement, entraînant la propagation de maladies et pathologies diverses. Pour les plus jeunes, le risque de subir des agressions et des maltraitances sexuelles accroît la possibilité de contracter un virus comme le HIV. Par ailleurs, des maladies comme la tuberculose sont également susceptibles de se propager rapidement dans ces établissements pénitentiaires surpeuplés. Cela pose aussi la question du risque de contraction de maladie pour l’équipe pénitentiaire, mais également pour les visiteurs extérieurs. ww ww w..ddeeii--bbeellggiiqquuee..bbee DEEII BBeellggiiqquuee ffrraannccoopphhoonnee w EExxttrraaiitt dduu ssiittee iinntteerrnneett ddee D Un type de risque concerne l’équipe pénitentiaire elle-même Il apparaît clairement de la recherche que les valeurs, le rôle et la responsabilité des membres de l’équipe manquent de clarté. Ces attributions ne sont même pas définies. Le personnel n’a pas non plus la possibilité d’intervenir dans l’information et l’éducation des personnes incarcérées sur les questions d’hygiènes médicales basiques ou l’éducation sexuelle. Cela ne fait pas partie de leurs attributions. D’autre part, ils ne sont pas non plus formés ou soutenus pour cela. D’après le rapport officiel de juin 2003, 10 à 15 membres des équipes contractent le virus HIV chaque mois. Il faut donc prendre en compte la manière dont l’équipe elle-même risque d’accroître des risques de santé des personnes incarcérées. Par ailleurs, il faut également prendre en compte la possibilité de contamination dans le monde extérieur. Conditions de vie en prison Tous les détenus interviewés, tant hommes que femmes, se plaignent des conditions de vie désastreuses en prison. Il ressort clairement que de jeunes gens mineurs, même malgré le fait qu’ils soient en détention préventive et pas encore incarcérés suite à un procès pénal, sont mis en cellule au milieu d’adultes condamnés. Ces mineurs sont dès lors en position de victimisation. Ils sont souvent maltraités, rackettés, abusés. Par ailleurs, la plupart des permissions de sorties ne sont pas accordées (un jeune n’a pas pu assister aux funérailles de ses parents). Les visites sont également rares. Point de vue des gardiens de prison Aucun des gardiens interviewés ne pouvait donner un chiffre représentant le nombre de personnes présentes dans les prisons. Ils relèvent cependant tous qu’un grand nombre de crimes sont dus à la pauvreté et aux conditions de vie des personnes. Un Kenyan qui travaille gagne moins d’un dollar par jour. Les gardiens soulignent en outre que le but de la prison est de "contenir" les gens plutôt que de les réhabiliter. Aucune formation n’est vraiment organisée, et les gardiens de prisons sont généralement des personnes peu qualifiées. La seule personne vraiment qualifiée pour le travail qu’il effectue est le pasteur… Il est étonnant de noter qu’à l’inverse de la défaillance au niveau de la place disponible dans les bâtiments de la prison, et de la surpopulation qui en est la conséquence, il y a vraiment pléthore de main d’œuvre. Il faut savoir que la majorité du budget alloué au travail en prison passe dans le salaire des gardiens, qui gagnent 60 dollars par mois. Selon l’officier interviewé, cela permet de créer de l’emploi pour des jeunes peu qualifiés. Tout le monde peut en effet devenir gardien de prison. Selon le service des prisons kenyanes en 2004, il y avait 16.478 travailleurs pour 48.000 prisonniers. Rétablir les quotas permettrait sans doute de se rapprocher des standards modernes. Cependant, l’argument contre la diminution du nombre de personnes travaillant dans l’équipe pénitentiaire est que cela supprimerait de l’emploi et les implications seraient une augmentation du degré de criminalité. Comment trouver un équilibre? Il faut noter que d’autres types de sanctions que l’emprisonnement pourraient être trouvés. En se rendant sur place, on s’aperçoit que le surnombre de travailleurs au sein de l’équipe pénitentiaire n’existe parfois que sur papier; à titre d’exemple, l’auteur de la recherche a relevé dans une prison où 72 membres étaient engagés au niveau de l’équipe que 10 membres de l’équipe étaient effectivement sur place. Cela pose la question des travailleurs fantômes. Le gouvernement ne se prononce pas sur cette question lorsqu’elle est soulevée. Occupations en prison Les trois programmes principaux qui existent sont le travail, l’éducation et l’assistance. Toutes les prisons semblent se focaliser sur le "dur labeur", c’est-à-dire la réalisation de tâches comme le nettoyage des sols, la maintenance des terres, le nettoyage des toilettes, etc. ww ww w..ddeeii--bbeellggiiqquuee..bbee DEEII BBeellggiiqquuee ffrraannccoopphhoonnee w EExxttrraaiitt dduu ssiittee iinntteerrnneett ddee D Certains directeurs de prison mettent l’accent, dans leurs discours, sur l’éducation comme une priorité absolue, regrettant le fait que la plupart des personnes emprisonnées ne puissent pas bénéficier d’un tel programme. La plupart de personnes n’ont en effet pas été scolarisées jusque là, ou très peu. On préfère dès lors leur apprendre à traire des animaux. Selon la direction, les parents des jeunes prisonniers en sont très satisfaits. Les directeurs de prison regrettent que ces jeunes ne prennent pas leur situation davantage en mains. Certains directeurs de prison ont attiré l’attention de la chercheuse pour dire que leur vie en tant que détenus est plus appréciable que la vie qu’ils avaient auparavant et qu’ils doivent donc être reconnaissants de ce qu’ils reçoivent. Certains enfants refuseraient, selon la direction, de quitter la prison de peur de retourner dans la rue. Il faut relever que la plupart des crimes commis par les jeunes sont dus à la pauvreté. Bien que les gouvernements aient décrété que les prisonniers dans les institutions pénales devaient être traités de la manière la plus humaine possible, le public lui, au Kenya, a insisté sur la notion de moindre éligibilité. 5 Ce principe, selon Morris et Rothman , établit que les conditions d’un prisonnier ne peuvent en aucun cas être plus confortables, plus adéquates que les conditions dans lesquelles vivent les autres membres de la communauté, plus pauvres, qui n’ont pas été accusés de crimes. Dans le cas contraire, "la prison constituerait un intérêt positif pour les personnes". De toute façon, le programme d’éducation n’est pas dispensé par des personnes qualifiées. Par ailleurs, l’enseignement n’est pas obligatoire dans les prisons, et n’est prodigué qu’à raison de trois heures par jour. L’accent est plutôt placé sur le travail manuel. Redressement des prisonniers Bien que le discours officiellement tenu soit celui de l’objectif de réhabilitation, une autre image se profile lors de la visite des e prisons. Si l’on s’en réfère aux écrits de Mac Gowen, les maisons de corrections ont été instaurées à Londres au XVI siècle afin de lutter contre le problème du vagabondage. L’objectif était à la fois de punir et de remodeler l’individu. Les jeunes incarcérés devaient récupérer un sens civique. A cause du succès incertain de telles formes de corrections, beaucoup de magistrats ont continué à utiliser les courtes peines pour continuer à discipliner les délinquants. En 1706, la législation a permis aux magistrats de placer les enfants en maison de correction pendant une durée maximale de deux ans et de les contraindre au travail laborieux. Cela avait un double objectif: faire souffrir et redresser. e Au cours du XVIII siècle, des juristes se sont préoccupés de la question de la prison et de la punition. Le débat s’est focalisé sur l’administration de la prison, la santé et la religion. Il s’agissait de sortir la punition du cas individuel comme étant un spectacle et 6 d’avoir un regard plus tendre sur l’individu . Cette réforme, pour des personnes comme John Hanway, consistait en une conversion religieuse. L’idée était le bien-être spirituel des prisonniers. La recherche menée sur les prisons kenyanes permet de montrer que deux des trois établissements visités se basaient sur ce type de modèle. On espérait que les jeunes se réformeraient d’eux-mêmes par la lecture des livres sacrés, l’isolement qui dure de longues heures et le travail harassant. D’autre part, les jeunes n’ont aucune information concernant l’usage de drogues, ce qui est regrettable. Les jeunes eux-mêmes le soulignent. La chercheuse relève qu’un manque de suivi à ce niveau pourrait d’une part entraîner des conséquences fatales ou psychologiquement intenables, au sein de la prison (dans le cas de personnes qui étaient antérieurement sous l’usage de substances stupéfiantes et qui s’en voient privées du jour au lendemain, sans contrôle médical malgré les divers types de manques), ou d’autre part entraîner le fait que des personnes en manque se rabattent sur d’autres types de substances dangereuses comme l’inhalation de colle. Il serait également utile que la prison, par le biais de services de probation, puisse préparer la sortie des personnes et mettre en place les suivis nécessaires pour la re-socialisation de ces jeunes. Pour ce faire, un processus d’évaluation est primordial dans le futur. Jusqu’ici, le suivi n’est pas clair et rien n’est mis en place au niveau d’un suivi post pénitentiaire. Il serait pourtant primordial de faire le lien entre le travail effectué en prison et le travail mis en place par les services de probation. Cela passerait par une évaluation nécessaire, à tout le moins lors de l’arrivée et du départ de la personne. Ce n’est pas le cas jusqu’ici. Le fait que l’enseignement ne soit pas obligatoire, ni même parfois permis pour certains, rend la réinsertion d’autant plus compliquée. Point de vue des avocats des jeunes Les avocats prônent la nécessité d’une réelle effectivité des droits des jeunes. Pour le moment, l’accent est surtout mis (même si l’on se réfère au Children’s Act) sur les droits de l’enfant dans leurs liens avec les responsabilités parentales, avec la maintenance pénitentiaire, la sanction et l’administration de services à l’enfant. L’attention n’est cependant pas du tout attirée sur la définition de la manière dont la justice pénale répond aux problèmes posés par un mineur, ni sur le traitement de sa personne dans le cadre de la justice pénale. ww ww w..ddeeii--bbeellggiiqquuee..bbee DEEII BBeellggiiqquuee ffrraannccoopphhoonnee w EExxttrraaiitt dduu ssiittee iinntteerrnneett ddee D Le texte de base relatif aux droits de l’enfant au Kenya est le Children’s Act de 2001, mais celui-ci écarte de son application certains enfants, comme les enfants nés hors mariage, les enfants de parents polygames ou les enfants sans domicile. De plus, cette loi n’aborde pas les questions de successions, la capacité juridique des jeunes, les questions relatives au mariage, la justice des mineurs et ses mesures préventives, les services d’aide, etc. Son champ d’action est donc problématique. Ce qui pose sans doute le plus question est la détention "selon le bon vouloir du président". Il n’y a manifestement pas de procédure d’appel de la décision. Qu’en est-il dans ces conditions du respect de la vie des prisonniers? A quoi doivent-ils s’attendre au cours de l’exécution de la sentence? Comme il n’existe ni appel ni possibilité de revenir sur la sentence en cours, comment peuvent-ils s’exprimer s’ils sont maltraités? Il n’existe pas non plus vraiment d’instance spécifique pour traiter de la délinquance des mineurs. Ce qui est écrit à ce propos dans le Children’s Act n’est qu’une déclaration d’intention. Ce point est particulièrement problématique. Les juges pour adultes n’ont ni l’habitude ni la formation pour traiter des situations relatives aux enfants. C’est le cas de l’abus sexuel intra-familial par exemple. Devant les instances autochtones, la parole de l’enfant ne suffit pas. Elle doit être corroborée par un adulte. "La loi joue contre les droits de l’enfant", comme l’a relevé un avocat interviewé. Une campagne de sensibilisation et d’information serait absolument nécessaire. Il serait également urgent de prévoir une procédure de préparation au procès en justice, afin de permettre aux personnes de constituer un dossier pénal. Suggestions de l’auteur La recherche effectuée constitue un premier pas. Elle a pu mettre en lumière le fossé entre la manière dont les divers acteurs perçoivent le système de justice pénale, mais également leur propre rôle. Elle met également en évidence les nombreuses carences, imperfections et effets néfastes du système, allant jusqu’à mettre en danger les prisonniers. Les prisons sont surpeuplées par une surutilisation de la mesure d’emprisonnement, mais aussi par une impossibilité pour la plupart des personnes de pouvoir préparer correctement leur défense. Le texte de base des droits de l’enfant, le Children’s Act, n’est pas utilisé correctement dans le but de protéger l’enfant, ni dans celui d’une réflexion constructive du système de justice pénale. Il paraît urgent de pouvoir harmoniser et clarifier les textes légaux et réglementaires à ce niveau. L’évaluation du risque est une composante majeure pour l’équipe pénitentiaire. A cet égard, l’accent est mis sur le danger de contracter des maladies comme la tuberculose ou le HIV, l’incidence des abus sexuels, facilités par la surpopulation. Le facteur de déstabilisation de la communauté est important également. Aucune prison visitée n’avait d’instance de plainte ou de recours, ce qui engendre une impunité des gardiens lors d’abus physiques sur les prisonniers. Recommandations 1. Prendre en considération les facteurs qui contribuent aux longues peines d’emprisonnement. Tenter de mettre en avant un système de réduction des peines qui décongestionnerait les prisons, et pouvoir assurer un suivi. 2. Redéfinir le groupe-cible. En effet de nombreux jeunes sont incarcérés pour des crimes de pauvreté (vols). La peine de prison n’est pas toujours la plus adéquate et d’autres modes de réponses à cette problématique pourraient être mis en place 3. Le Children’s Act devrait être étendu à tous les aspects relatifs aux mineurs. Ainsi, une procédure spécifique devrait être mise en place pour les mineurs, et ce devant une instance spécifique. Un suivi ayant pour but la réintégration de la personne devrait également être prévu. Il devrait être clairement établi que l’enfermement des mineurs est l’exception et non la règle. 4. Créer une instance impartiale et indépendante de gestion des conflits et de contrôle des prisons (c’est-à-dire une personne qui visiterait et ferait rapport au Ministre compétent). 5. Instaurer un contrôle de qualité. 6. Mettre en place des programmes de formation des prisonniers, via des services compétents extérieurs. Permettre également un accès à l’enseignement au sein de la prison. Mettre en place un suivi médical. 7. Evaluer les coûts et permettre une bonne attribution des tâches. Evaluer les risques du travail et rémunérer correctement les personnes en fonction des risques et du type de travail. 8. Pouvoir mettre en place une certaine sécurité des personnes par rapport au risque médical de contraction de maladies, notamment. ww ww w..ddeeii--bbeellggiiqquuee..bbee DEEII BBeellggiiqquuee ffrraannccoopphhoonnee w EExxttrraaiitt dduu ssiittee iinntteerrnneett ddee D 9. Adopter une gestion cohérente du système pénal (pour le moment, différentes attributions sont sous la direction de ministères différents, ce qui compromet une cohérence d’ensemble). 10. Nécessité d’un Service de Probation, qui accompagnerait le prisonnier du début à la fin de sa sentence, et qui pourrait si nécessaire proposer des sanctions alternatives. Il faudrait également explorer les principes d’un système de justice Restaurative (travail de groupe, thérapies cognitives). 11. Un ministère public indépendant, qui défendrait les intérêts de la société. Pour le moment, le ministère public est représenté par des policiers ou des personnes sans formation légale. Cela implique parfois de la corruption et tous les problèmes qui s’y rattachent. 12. Clarifier la mission de la prison et le rôle des travailleurs. Jusqu’à présent, un fossé existe entre les objectifs officiels et leur mise en pratique. 13. Développer la formation de l’équipe pénitentiaire et prévoir des normes standards et un programme à respecter. Prévoir une rémunération adéquate. 14. Faire le lien entre le travail local, national, mais également les normes et institutions internationales afin d’améliorer le système et la place de chacun au sein de ce système. 1 Membre de DEI-Belgique 2 Kenya Gazette Supplement, The Children’s Act, N°95, (Acts N°8), Nairobi, Government Printer, 2001. 3 AMNESTY INTERNATIONAL, Kenya Prisons: Death due to torture and cruel, inhuman and degrading Conditions, December 2002, AI Index: AFR 32/10/00. 4 D. PETROVEC, « Poenam et circenses. Democracy or Rehabilitation », in Prisons 2004, June 23-25 2004, London. Extrait du site internet de DEI Belgique francophone www.dei-belgique.be 5 N. MORRIS et D.J. ROTHMAN, Oxford History of the Prison. The Practice of Punishment in Western Society, Ed Oxford, OUP, Oxford, 1995. 6 Cf. M. FOUCAULT, Surveiller et punir, Gallimard, Paris, 1974.