CATHEDRALE NOTRE DAME de STRASBOURG

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CATHEDRALE NOTRE DAME de STRASBOURG
CATHEDRALE NOTRE DAME
de STRASBOURG
3 mars 2009
CONFÉRENCE DE CARÊME
de Mgr Jean-Pierre GRALLET
PAROLE DE DIEU, PAROLE DE VIE ?
"Dieu vous a parlé ? Comment donc l’avez-vous entendu ? et comment étiezvous sûr que c’était bien Lui, et non votre imagination ?"
Ce dialogue entre des jeunes et un moine se passait dans une Abbaye de
Franche-Comté. J’y avais conduit, pour un temps de récollection, une vingtaine d’étudiants
et comme souvent, ceux-ci avaient souhaité rencontrer un moine pour l’entendre parler de
sa vie monastique, de son itinéraire personnel et en particulier de sa vocation. L’échange
était très intéressant. Le moine, habitué des groupes (il était frère hôtelier), parlait avec
simplicité et franchise. Un climat confiant s’était établi, facilitant le dialogue entre tous.
Invité à parler des raisons de sa venue au monastère et du déclic de sa vocation, le frère
avoue : "Un jour, je fus certain que Dieu m’appelait" – "Oui, mais comment en étiez-vous
certain ? Comment avez-vous pu l’entendre ?" rétorquent les étudiants.
À cet instant précis, le portable de frère hôtelier se met à sonner et le frère, de
répondre aussitôt avec un sourire malicieux : "Eh bien, vous voyez, c’était comme ça !"
L’éclat de rire général qui s’ensuivit nous libéra de l’inquiétude de la question et
nous apprit au moins deux choses : la première était que, de toute évidence, Dieu n’avertit
pas de sa parole à coup de sonnerie de téléphone. Mais la seconde, c’était que, de toute
évidence également, Dieu parlait vraiment, parvenait à toucher le cœur de l’homme,
jusqu’à le pousser à tout quitter pour le suivre et à le conduire, comme nous pouvions le
constater, sur un chemin de bonheur !
Frères et Sœurs, je souhaite vous parler, ce soir, de la Parole de Dieu et de
l’écoute de l’homme, du dialogue fécond qui se noue entre les deux et du bonheur qui en
découle.
Cette conférence comportera quatre grandes parties, sous les titres suivants :
1.
2.
3.
4.
Dieu parle aux hommes.
Cette Parole, c’est Jésus lui-même.
Pour l’homme, écouter cette Parole, c’est vivre.
En pratique, comment connaître et goûter cette Parole de Dieu aujourd’hui.
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I - Dieu parle aux hommes
– Parole puissante et efficace
La Bible en est le plus éloquent témoignage : de la première page à la dernière,
elle nous présente Dieu à l’œuvre par sa parole, communiquant et dialoguant avec
l’homme, si différent des idoles païennes décriées par le psalmiste, idoles "qui ont une
bouche et ne parlent pas, des yeux et ne voient pas, des oreilles et n’entendent pas !" (Ps
115,5-6). Oui, Dieu parle. Il crée… par sa parole. Lorsqu’il dit "que la lumière soit", la
lumière surgit et lorsqu’il dit "Faisons à notre image…", il crée l’homme et la femme, et les
plaçant au cœur de la Création, leur adresse une première parole de bénédiction.
Par sa parole, Dieu donne la vie, indique le bien et le mal, dit la loi. Par sa
parole, Dieu corrige et pardonne, encourage et fait alliance, appelle, envoie. La Parole de
Dieu n’est donc pas vaine, elle est efficace et féconde, ainsi que le rappelle le prophète
Isaïe en une image familière : "Comme la pluie et la neige descendent des cieux et n’y
remontent pas sans avoir arrosé la terre, l’avoir fécondée et fait germer, pour qu’elle
donne la semence au semeur et le pain comestible, de même la parole qui sort de ma
bouche ne me revient pas sans résultat, sans avoir fait ce que je voulais et réussi sa
mission." (Is55, 10-11)
– Parole incessante et proche
"Après avoir, à bien des reprises et de bien des manières, parlé jadis à nos
pères par les prophètes, Dieu, en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par son
Fils". Ainsi commence l’épitre aux Hébreux (1,2), qui souligne tout à la fois la multiplicité et
la variété des manifestations et paroles divines, et la place centrale occupée par le Christ
dans cette révélation.
Les Pères du Concile Vatican II, dans la Constitution dogmatique "Dei Verbum",
tiendront à souligner, à leur tour, cette richesse de la révélation divine : "Il a plu à Dieu,
dans sa sagesse et sa bonté, de se révéler lui-même et de faire connaître le mystère de
sa volonté, par lequel, dans l’Esprit Saint, les hommes accèdent auprès du Père et sont
rendus participants de la nature divine. Ainsi, par cette révélation, le Dieu invisible, dans
son amour surabondant, s’adresse aux hommes comme à des amis, il s’entretient avec
eux pour les inviter et les admettre à partager sa propre vie (Dei Verbum 2).
En se révélant, Dieu se communique lui-même aux hommes. Il se donne à eux
et leur permet d’entrer en communion avec Lui, de vivre une relation d’alliance, celle qu’Il
conclut avec son peuple.
Dieu "s’adresse aux hommes comme à des amis", avons-nous entendu. Dieu
prend les hommes qu’il a créés à son image, pour de vrais partenaires, des partenaires
d’alliance qu’il rejoint au plus intime d’eux-mêmes.
– Parole à travers la Création
Dieu a donc parlé à l’homme à bien des reprises et de bien des façons… Une
des façons les plus grandioses est la Création, œuvre de Dieu. Nombreux sont les
psaumes qui chantent la révélation de la puissance et de la providence divine à travers
l’univers créé, "les cieux racontent la gloire de Dieu et l’œuvre de ses mains le firmament
l’annonce. Le jour au jour en publie le récit et la nuit à la nuit transmet la connaissance",
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reconnaît le Psaume 19, tandis qu’au Psaume 104, le psalmiste s’émerveille : "Bénis
Yahvé, mon âme ! Yahvé mon Dieu, tu es si grand !... Tu déploies les cieux comme une
tente… Tu t’avances sur les ailes du vent… Tu poses la terre sur ses bases, inébranlable
pour les siècles des siècles".
– Parole à travers patriarches et prophètes
Dieu parle par ses œuvres visibles, suscitant, à maintes reprises, la louange et
la gratitude du croyant. Il s’adresse également et fréquemment à l’homme lui-même, ainsi
qu’il l’a fait aux patriarches, à Moïse et aux prophètes : En s’adressant à Abraham "Va,
quitte ton pays, pour celui que je t’indiquerai ; je ferai de toi un grand peuple, je te
bénirai…" (Gen. 12,2). Dieu bouleverse la vie de cet homme et fait de lui le père et le
modèle des croyants. Plus tard, la parole de Dieu à Moïse se fera plus insistante, plus
précise, plus intime. Le long entretien de Moïse avec Dieu au Sinaï aboutira à un texte
majeur, le décalogue : Moïse le reçoit et le remet au peuple qu’il doit conduire de la part
de Dieu. L’itinéraire du peuple, si difficile soit-il, est dès lors compris comme un itinéraire
dans la foi, une obéissance à la Loi divine qui ne peut conduire qu’au bonheur de la terre
promise.
De la sortie d’Egypte jusqu’à cette terre tant désirée, nous voyons bien que
Dieu parle à Moïse et aux hébreux, non seulement avec des mots, mais aussi et par des
événements : Il entre dans la vie de ces nomades qu’il conduit patiemment, les éduquant,
les encourageant ou les corrigeant, faisant ainsi de leur histoire une histoire sainte, c’està-dire une histoire sanctifiée et bénie par sa présence.
Dieu n’a pas seulement parlé à nos Pères, à Abraham ou à Moïse, Il a parlé,
comme le rappelle notre Credo, par les prophètes.
Ne lit-on pas, à toutes les pages du Livre d’Isaïe : "Ainsi parle Yahvé" ? – "Ainsi
parle Yahvé, ton créateur, ton Dieu, ton Sauveur". Par les prophètes, Dieu ne cesse de
s’exprimer, signe de son attention pour son peuple, de sa prévenance, de sa miséricorde.
"Je suis Yahvé sans égal, dit-il ; je n’ai pas parlé en secret, ni dans un lieu
ténébreux… Moi, Yahvé, je parle avec justesse et m’exprime en paroles droites !" (Is 45,819).
Lorsqu’il appelle Jérémie pour en faire son prophète, son messager, Dieu
bannit ses craintes et l’invite à s’appuyer sur Lui, dans la foi : "Ne dis pas : ‘je suis un
enfant’, mais va vers tous ceux à qui je t’enverrai et tout ce que je t’ordonnerai, dis-le !"...
Alors, Yahvé, étendant la main, me toucha la bouche et me dit : "Voilà, je mets en ta
bouche mes paroles !" (Jn 1,7-9).
– Parole à la conscience de l’homme
C’est ainsi que Dieu a parlé, "à maintes reprises et de bien des manières" au
peuple qu’il s’était choisi. Plus largement, plus mystérieusement encore, Il a parlé à tout
homme. En effet, chaque homme, même s’il n’est pas du peuple élu, n’est-il pas à même
d’approcher et de reconnaître le Créateur en contemplant la création ? De même, chaque
homme vivant dans la droiture, n’est-il pas à même de découvrir au fond de lui la Loi de
Dieu alors qu’il n’est pas juif, sujet de la Loi ? C’est ce que laisse entendre l’épitre aux
Romains : "En effet, quand des païens privés de la Loi accomplissent naturellement les
prescriptions de la Loi, ces hommes, sans posséder de loi, se tiennent à eux-mêmes lieu
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de loi. Ils montrent la réalité de cette loi inscrite en leur cœur, écoutant la voix de leur
conscience" (Rom2,14-15). Paul Henry Newman, si sensible à la voix de la conscience
dans son cheminement de l’anglicanisme vers le catholicisme, nous le fait remarquer :
"quel est le principal guide de l’âme donné à toute la race d’Adam, aussi bien hors du
troupeau de Jésus-Christ que dans son sein … ? C’est la lumière de la conscience, la
lumière qui éclaire tout homme… Ce n’est pas un simple sentiment, ni une simple opinion
ou impression ou vue des choses, c’est une loi, une voix qui parle avec autorité… C’est
quelque chose de supérieur à la personnalité de l’homme… il peut désobéir à cette voix, il
peut refuser de l’entendre, elle demeure". (P.H. Newman, Sermon sur les dispositions de
foi – cité par B. Sesboué, in Croire).
On le voit, la Parole de Dieu, de façon incessante et variée, insistante ou
discrète, s’exprime toujours au profit de l’humanité et de son cheminement vers la lumière
divine. "La profonde vérité que cette révélation manifeste, sur Dieu et le salut de l’homme,
dit encore le Concile Vatican II, resplendit pour nous dans le Christ, qui est à la fois le
médiateur et la plénitude de toute la révélation" (D.V.2).
II Cette Parole, c’est Jésus-Christ lui-même
– Jésus-Christ, verbe fait chair
En effet, c’est bien Jésus Christ, insiste le Concile "qui, par toute sa présence et
la manifestation qu’il fait de lui-même, par paroles et œuvres, par signes et miracles et
plus particulièrement par sa mort et sa résurrection glorieuse d’entre les morts, par l’envoi
enfin de l’Esprit de vérité, –c’est bien le Christ– qui achève en la complétant la Révélation
et la confirme encore, en attestant que Dieu lui-même est avec nous" (Dei Verbum 4). Le
Christ est donc le sommet de la Révélation divine, l’accomplissement de la Parole de
Dieu. En définitive, il est La Parole. Toute la parole biblique, toute l’écriture conduit à lui,
trouve en lui son achèvement et son sens. Aucune écriture ne peut se lire ni se
comprendre sans lui. Dans l’admirable Prologue de St Jean, Jésus-Christ est appelé le
Verbe, la Parole : "Au commencement, le Verbe était, et le Verbe était avec Dieu, et le
Verbe était Dieu. Il était au commencement avec Dieu. Tout fut par lui et sans lui, rien ne
fut… le Verbe était la lumière véritable qui éclaire tout homme… Et le Verbe s’est fait chair
et il a demeuré parmi nous, et nous avons vu sa gloire" (Jn 1,1-14).
Le Fils de Dieu, prenant notre condition d’homme, est l’un de nous. Il est
Jésus de Nazareth. Ses voisins le connaissent dans toute sa fragile humanité, avant de le
reconnaître comme le Messie, le Sauveur. Lorsqu’il parle, son langage est clair, simple et
imagé, même s’il conduit ses auditeurs au cœur du mystère divin. Tous saluent en lui la
justesse des mots et celle des attitudes et lui reconnaissent un vrai ascendant moral :
"jamais homme n’a parlé comme cet homme", avouent les soldats aux pharisiens (Jn 7,116) et Simon Pierre de confesser : "À qui irions-nous, Seigneur, tu as les paroles de la vie
éternelle !"
– Jésus-Christ, Parole et Lumière
Les paroles du Christ et tout son être ne font donc qu’un, en une remarquable
cohérence spirituelle, c’est pour cela que les foules venaient à lui, l’écoutaient, l’aimaient.
C’est pour cela que les premiers chrétiens, après la mort et la résurrection du Christ, le
chantèrent et le saluèrent, lui, "l’image du Dieu invisible, le premier né avant toute
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créature… le Principe en qui Dieu s’est plu à faire habiter toute plénitude et par lui à se
réconcilier tous les êtres" (Col 1,15-20).
Jésus-Christ, Parole lumineuse et vivante, hier, aujourd’hui, demain… C’est
donc à sa lumière qu’ont pu être comprises les paroles de Moïse et des prophètes,
comme en cette tombée du jour, sur la route d’Emmaüs. Deux disciples s’entretenaient
des terribles événements passés, la mort de leur maître bien-aimé. Et voici que Jésus en
personne les rejoint, sans qu’ils le reconnaissent. Il chemine et dialogue avec eux. "Et
commençant par Moïse et parcourant tous les prophètes, il leur interpréta dans toutes les
écritures ce qui le concernait".
Au cours du repas auquel ils l’invitèrent, après la fraction et le partage du pain,
"leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent… mais il avait disparu de devant eux. Ils se
dirent alors l’un à l’autre : notre cœur n’était-il pas tout brûlant au-dedans de nous, quand il
nous parlait en chemin et qu’il nous expliquait les écritures ?" (Lc 24,27-32)
Quelle illumination pour les disciples, quelle consolation, quel brûlant bonheur !
Enfermés dans leur tristesse, l’Esprit du Seigneur avait parlé à leur esprit, donnant sens
tout à la fois aux écritures et à leur propre vie, les libérant à jamais d’une fatalité à laquelle
ils s’étaient crus condamnés. Frères et Sœurs, peut-on espérer plus belle libération
spirituelle, pour nous tout autant que pour eux ?
III Pour l’homme, écouter cette Parole, c’est vivre
– Écouter, comme Marie et les apôtres…
Dès lors, il nous revient, maintenant, chers amis, de nous laisser éclairer,
guider, nourrir par le Christ et sa parole, comme le désirait si ardemment Simon Pierre
lorsqu’il avouait si spontanément ne pas savoir ou aller, sinon au Christ dont la parole
conduisait à la vraie vie (cf. Jn 6,68). Pour nous, Pierre est un modèle de croyant, humain
et fragile jusqu’à la contradiction, mais si proche de nous. Les pèlerins d’Emmaüs et les
autres disciples le sont aussi : aujourd’hui encore, leur expérience pascale nous parle
avec force. Cependant, parmi tous ces croyants attentifs à la Parole de Dieu, à son écoute
et à sa mise en œuvre, il convient de reconnaître la place insigne et irremplaçable de
Marie. "Dans la communion de toute l’Église, rappelle le canon romain, nous voulons
nommer en premier lieu la Bienheureuse Marie, toujours vierge, mère de notre Dieu et
Seigneur Jésus-Christ". Oui "Marie, en premier lieu…". En effet, qui mieux qu’elle fut en
attente de la parole de Dieu, qui, mieux qu’elle, l’écouta et y répondit par un oui de
confiance et de totale disponibilité ? Souvenons-nous du récit de l’Annonciation de St Luc :
L’Ange Gabriel fut envoyé par Dieu, dans la ville de Nazareth, à la Vierge Marie. Entrant
chez elle, il la salue et lui dit : "tu es comblée de grâce, le Seigneur est avec toi… Tu as
trouvé grâce auprès de Dieu, tu concevras et enfanteras un fils et tu lui donneras le nom
de Jésus… L’Esprit-Saint viendra sur toi et la puissance du Très Haut te prendra sous
son ombre. C’est pourquoi l’enfant sera saint et sera appelé Fils de Dieu… Marie dit
alors : je suis la servante du Seigneur : que tout se passe pour moi comme tu l’as dit" (cf.
Luc 1,26-38).
Les théologiens d’hier et d’aujourd’hui, les Saints et tous les croyants
s’accorderont dès lors à voir en Marie, en particulier au moment décisif de l’Annonciation,
le modèle de l’écoute et de la foi, la plus éloquente illustration de la fécondité de la Parole
de Dieu, Parole faite chair, pour notre salut.
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Chacun de nous, frères et sœurs, a sans doute en mémoire telle ou telle
représentation de la scène de l’Annonciation. Tant de peintres l’ont représentée. Ce soir,
je vous invite à contempler la scène à travers une des peintures de Fra Angelico, faite au
Couvent Saint-Marc des Dominicains de Florence.
La scène se passe sous les arcs d’un cloître, lieu traditionnel de stabilité et de
recueillement. Ce cloître est ouvert sur la nature : la prairie printanière est fleurie,
promesse de joyeuse abondance.
Marie est assise en une posture retenue, mais non craintive. Son buste est
droit, légèrement penché vers le visiteur qu’elle regarde avec grande attention. En face
d’elle, l’Ange Gabriel la salue en faisant une sobre génuflexion. Il est porteur d’un
message si précieux que ses mains paraissent le retenir avec grande précaution. Il
regarde Marie et nous devinons leur dialogue.
Les robes de l’une et de l’autre sont différentes : l’ample manteau posé sur les
épaules de Marie, semble prêt à protéger le corps de la Vierge, devenant temple de
l’Esprit, tabernacle de Dieu, tandis que l’élégance de la robe plissée de l’ange souligne la
noblesse de celui qui l’envoie et la beauté du message qu’il délivre.
Avez-vous observé les ailes de l’ange ? Elles sont impressionnantes…
longuement déployées et surtout multicolores, telles un arc-en-ciel annonciateur de
l’alliance entre Dieu et l’humanité, alliance renouvelée et enfin accomplie.
Enfin, nous ne pouvons manquer de remarquer les mains harmonieusement et
symétriquement croisées de Marie et de l’Ange : Alors que celui-ci semble porter
l’annonce avec si respectueuse précaution, Marie semble la recevoir avec comparable et
amoureuse attention.
Un tel tableau est saisissant et sa beauté est renforcée par sa sobriété même.
Ce que voient nos yeux nous fait progressivement entrevoir l’invisible et comprendre le
mystère de la Parole faite chair, d’une réponse humaine d’amour à une parole divine
d’amour !
Marie, par son oui prononcé avec foi, est devenue figure de notre Église,
modèle de tous les croyants. Son écoute éveille notre écoute, son accueil suscite notre
accueil, son oui dans la foi entraîne le nôtre. Après l’Annonciation, Marie ne cessera de
rechercher le sens spirituel des Écritures. De cette manière, elle est devenue "symbole
pour nous, pour la foi des gens simples et pour celle des docteurs de l’Église qui étudient,
évaluent et définissent la façon de professer l’Évangile" (IL, Synode/Parole de Dieu 25).
– Aujourd’hui, la Parole de Dieu peut changer nos vies
Chrétienne engagée dans le monde, se reconnaissant si proche des "gens des
rues", Madeleine Delbrèl avouait : "l’Évangile est le livre de la vie du Seigneur. Il est fait
pour devenir le livre de notre vie… Il n’est pas fait pour être lu, mais pour être reçu en
nous. Chacune de ses paroles est esprit et vie… Les paroles des livres humains se
comprennent et se soupèsent… Les paroles de l’Évangile nous pétrissent, nous
modifient, nous assimilent pour ainsi dire à elles. Les paroles de l’Évangile sont
miraculeuses. Elles ne nous transforment pas parce que nous ne leur demandons pas de
nous transformer. Mais dans chaque phrase de Jésus, conclut-elle, dans chacun de ses
exemples demeure la vertu foudroyante qui guérit, purifie, ressuscite".
Qui donc, parmi nous, pourrait rester insensible aux Béatitudes du Christ :
"Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux", alors que tant
d’hommes courent vers le profit à en perdre la tête. "Heureux les miséricordieux, ils
obtiendront miséricorde", alors que tant d’hommes sont enfermés dans leurs griefs et leurs
rancoeurs. "Heureux les artisans de paix, ils seront appelés Fils de Dieu", alors que tant
de violence nous assaille… Qui n’a pas été touché au tréfonds de lui-même en entendant
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St Paul faire l’éloge de la charité qui "excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout...
La charité, elle ne disparaîtra jamais !" (1 Cor.13).
– L’écoute de la Parole, une expérience personnelle
En vous posant de telles questions, chers amis, je ne peux que les poser à moimême et penser à ma propre vie et à ce qui l’a mise en route lorsque je décidai, vers l’âge
de 15 ans, de me mettre au service des autres et d’envisager le sacerdoce. Tout dans
l’Évangile m’étonnait, me passionnait : je le lisais et le relisais (même au dortoir de
l’internat, sous les draps, armé d’une lampe de poche) ; je me plongeais aussi avec
curiosité dans les grands récits de l’Ancien Testament, terrifié parfois à la description de
quelques sanglantes batailles, mais toujours curieux de voir comment Dieu conduisait son
peuple. Quant à la vie du Christ, j’y revenais sans cesse, comme aimanté : la droiture du
Christ, son à-propos et son intelligence en toute circonstance, son attention aux malades
et aux pauvres, son autorité face aux puissants : quelle leçon ! Et les paraboles ?
Combien ont nourri mes pensées ? Moi qui avais la chance de vivre à la campagne, je
m’en souvenais au temps des semailles quand le grain tombait en bonne terre, ou dans
les ronces ou sur le chemin : quelle simplicité et quelle clarté conduisant au mystère du
Royaume, à la grâce de Dieu, graine de vie semée au cœur du croyant ! Il me fallut le
mûrissement des années, les nombreuses rencontres de la vie, les multiples épreuves
d’autrui et les miennes, pour mieux comprendre la Parabole du Fils prodigue et tous ces
récits évangéliques sur la miséricorde… Oui, tout me parlait et tout me parle encore, avec
une résonnance intacte : la tendresse à la crèche, la joie à Cana, la colère au temple, les
pleurs à la passion, l’apaisante clarté à Emmaüs : comment ne pas vouloir vivre avec le
Christ, comment ne pas vouloir vivre de Lui ?
J’ai osé parler de moi, mais c’était pour mieux parler de Lui et vous aider, vous,
pour qu’ensemble, vous et moi, compagnons de la même table et de la même auberge
d’Emmaüs, nous puissions le reconnaître et nous laisser toucher et réchauffer le cœur !
IV En pratique, comment faire ?
En pratique, comment faire ? Comment mieux connaître la Parole de Dieu,
comment la goûter, comment s’en imprégner, s’en nourrir et en vivre ? La première
réponse nous a été donnée depuis le haut Moyen-Âge par St Benoît et ses moines.
– À l’exemple des moines, lire et étudier, pour mieux comprendre
Dans un discours fameux au monde de la culture, en septembre dernier, au
Collège des Bernardins de Paris, Benoît XVI soulignait l’apport irremplaçable pour la
culture occidentale des moines bénédictins assidus à la quête de Dieu et à la
connaissance des écritures.
"L’objectif des moines était de chercher Dieu, quaerere Deum, dit-il. Au milieu
de la confusion de ces temps où rien ne semblait résister, les moines désiraient la chose
la plus importante : s’appliquer à trouver ce qui a de la valeur et demeure toujours, trouver
la vie elle-même. Ils étaient à la recherche de Dieu. Des choses secondaires, ils voulaient
passer aux réalités essentielles, à ce qui, seul, est vraiment important et sûr…
Le désir de Dieu comprenait l’amour des lettres, l’amour de la parole, son
exploration dans toutes ses dimensions. Puisque dans la parole biblique Dieu est en
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chemin vers nous et nous vers lui, les moines devaient apprendre à pénétrer le secret de
la langue, à la comprendre dans sa structure et dans ses usages. Ainsi, en raison même
de la recherche de Dieu, les sciences profanes, qui nous indiquent les chemins vers la
langue, devenaient importantes. La bibliothèque faisait, à ce titre, partie intégrante du
monastère tout comme l’école. Ces deux lieux ouvraient concrètement un chemin vers la
parole…
Plus loin, le Pape fait remarquer : Avec raison, dans le Nouveau Testament, la
Bible n’est pas de façon habituelle appelée « l’Écriture » mais « les Écritures » qui,
cependant, seront ensuite considérées dans leur ensemble comme l’unique Parole de
Dieu qui nous est adressée. Ce pluriel souligne déjà clairement que la Parole de Dieu
nous parvient seulement à travers la parole humaine, à travers des paroles humaines,
c’est-à-dire que Dieu nous parle seulement dans l’humanité des hommes, à travers leurs
paroles et leur histoire. Cela signifie, ensuite, que l’aspect divin de la Parole et des paroles
n’est pas immédiatement perceptible. Pour le dire de façon moderne : l’unité des livres
bibliques et le caractère divin de leurs paroles ne sont pas saisissables d’un point de vue
purement historique…
Nous pouvons exprimer tout cela d’une manière plus simple : l’Écriture a besoin
de l’interprétation, et elle a besoin de la communauté où elle s’est formée et où elle est
vécue. En elle seulement, elle a son unité et, en elle, se révèle le sens qui unifie le tout.
Dit sous une autre forme : il existe des dimensions du sens de la Parole et des paroles qui
se découvrent uniquement dans la communion vécue de cette Parole qui crée l’histoire…
Le christianisme n’est pas au sens classique seulement une religion du livre. Le
christianisme perçoit dans les paroles la Parole, le logos lui-même, qui déploie son
mystère à travers cette multiplicité et la réalité d’une histoire humaine. Cette structure
particulière de la Bible est un défi toujours nouveau posé à chaque génération. Selon sa
nature, elle exclut tout ce qu’on appelle aujourd’hui « fondamentalisme »."
On l’aura compris, de la bouche de Benoît XVI, piété et étude, quête de Dieu et
science ne s’opposent pas. Pour être bien reçue et comprise, la Parole de Dieu a besoin
d’une approche intelligente, elle a besoin d’interprétation, d’une compréhension en
communauté, d’une vision globale. Aucun texte ne peut être séparé de son contexte,
aucune parole ne peut être isolée ni enfermée dans sa littéralité. Condamnant le
"fondamentalisme", le Pape cite St Paul : "la lettre tue, mais l’Esprit donne la vie", et "Là
où est l’Esprit… là est la liberté" (2 Cor. 3, 6 et 17) Cette liberté cependant n’est pas
infinie, observe-t-il : elle est confrontée au "lien de l’intelligence et de l’amour", et le Pape
de conclure : "cette tension entre le lien et la liberté se présente à nouveau à notre
génération comme un défi face aux deux pôles que sont, d’un côté, l’arbitraire subjectif, de
l’autre, le fanatisme fondamentaliste".
– À l’exemple des moines, retrouver le goût de la "lectio divina"
La lectio divina, qui est lecture non pas seulement intellectuelle mais aussi
priante, globale, en d’autres termes, lecture amoureuse de la Parole de Dieu, cette lecture
n’est plus réservée aux seuls moines que St benoît encourageait. Le Concile Vatican II
recommande à tous les fidèles et pas seulement aux clercs et aux religieux, cette lecture
fréquente, citant St Jérôme : "l’ignorance des Écritures, c’est l’ignorance du Christ". Quant
aux Papes Jean-Paul II et Benoît XVI, ils encouragent la pratique de la lectio divina.
Pour nous aujourd’hui, cette lectio peut se faire en groupe ou seul. En groupe,
de préférence car c’est d’abord en assemblée que se célèbre le culte, l’annonce et
l’écoute de la Parole de Dieu. Il est donc vivement recommandé que les chrétiens se
rassemblent, même en dehors de l’eucharistie, qu’ils se rassemblent au nom du Christ,
présent au milieu d’eux, qu’ils se retrouvent autour de sa Parole. Mais ce qui est
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recommandé au groupe peut aussi se vivre dans le silence d’un oratoire, ou la solitude
d’une chambre : cet isolement précieux ne saurait alors être vécu comme une fuite d’autrui
et de la communauté, mais comme une autre forme, complémentaire, de notre
communion ecclésiale.
Quelles que soient les méthodes employées dans les groupes, méthodes très
voisines, on veille toujours, après le temps naturel de l’accueil, à se recueillir puis à lire
lentement le texte, à faire silence, à le relire, à écouter chacun exprimer sobrement ce qu’il
a compris, puis à prier ensemble, avant que chacun reparte, nourri de la Parole et disposé
à la mettre en pratique.
Permettez-moi de vous dire, à titre d’exemple, comment des Évêques réunis à
Lourdes lors de notre dernière Assemblée Plénière (certains d’entre-nous revenaient du
récent Synode romain sur la Parole de Dieu), comment nous nous sommes retrouvés pour
une lectio divina (de 30 à 40 minutes) ouvrant chaque journée de travail : une progression
souple en sept étapes :
- Prière de mise en présence de Dieu et d’ouverture à l’Esprit-Saint ;
- Lecture du texte à voix haute ;
- Lecture du texte par chacun, à voix basse, plusieurs fois si nécessaire (8 à 10
minutes), chacun choisissant une parole ou une phrase qui a retenu son attention
ou sa prière ;
- Chacun explique sous forme personnelle (je…) ce que le mot ou la phrase retenus
lui suggèrent ;
- Chacun partage ce que la Parole l’invite à vivre ;
- Une brève prière conclut le partage.
– Notre Église diocésaine est invitée à goûter la Parole de Dieu
Comme vous le savez, nous avons décidé d’entrer, durant trois ans, dans une
dynamique diocésaine autour de la Parole de Dieu. Cette dynamique intitulée "Une Parole
pour vivre" se déploie selon trois approches complémentaires : Connaître et faire
connaître la Parole de Dieu tout d’abord, Prier et Célébrer la Parole de Dieu ensuite, Vivre
et Témoigner de la Parole de Dieu enfin.
Deux outils ont été notamment proposés :
• le Hors-Série de Carrefours d’Alsace "Goûtons la Parole" d’une part, à
l’adresse de tous les groupes qui se retrouvent mensuellement dans de nombreuses
paroisses, pour se former et, plus spécialement, connaître la Parole de Dieu ;
• "Une Parole pour vivre – Évangile de St Marc" d’autre part. Livret diffusé à très
grande échelle auprès de tous les catholiques d’Alsace.
Le Hors-Série vous fait découvrir quelques beaux textes bibliques et vous aide
à les comprendre et à les goûter selon une méthode proche de la lectio divina évoquée
plus haut.
Le livret "Evangile de St Marc" offre, outre le texte complet de l’Évangile, une
introduction et des notes, des conseils de lectures, de célébrations et de chants, et un
précieux marque-page guidant chacun dans une lecture personnelle et priante de la
Parole de Dieu.
Chacun de ces deux documents peut être trouvé ici, à la sortie.
téléchargé sur www.cathedrale-strasbourg.fr
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En conclusion
Frères et Sœurs, je ne souhaite pas vous en dire davantage ce soir. Durant les
deux prochaines années, c’est bien volontiers que je reviendrai pour m’entretenir à
nouveau avec vous, toujours sur la Parole de Dieu, mais cette fois à propos de sa
célébration communautaire dans nos liturgies, puis à propos de sa mise en pratique dans
tous les domaines de notre existence.
Ce soir, vous avez prêté l’oreille à mes propos et je vous en remercie. Me
taisant désormais, je vous invite cependant à garder ouvertes vos oreilles et votre cœur à
Dieu qui ne cesse de nous accompagner sur nos routes humaines.
L’avez-vous entendu vous parler ce soir ? j’ose le croire !
"Prêtez l’oreille et venez à Dieu,
Écoutez et votre âme vivra !" (Is 55,3)
+ Jean-Pierre GRALLET
Archevêque de Strasbourg
téléchargé sur www.cathedrale-strasbourg.fr
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