Le Parti communiste chinois: trop gros pour sombrer?
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Le Parti communiste chinois: trop gros pour sombrer?
DOSSIER C H I N E , D ’ U N T O TA L I TA R I S M E À L’A U T R E par Willy Wo-Lap LAM * (traduction de Paul André) Le Parti communiste chinois: trop gros pour sombrer? P ARADOXE DES PARADOXES du XXIe siècle, le Parti communiste chinois (PCC), l’organisation politique la plus puissante au monde, est concepteur et acteur du développement rapide d’une quasi-superpuissance, qui cherche agressivement à s’étendre dans le monde. Le dragon chinois lutte au coude à coude avec les États-Unis, l’Union européenne, la Russie et le Japon pour gagner de l’influence – et des matières premières rares – dans des régions comme l’Afrique ou l’Amérique latine. À peine ébranlée par la crise financière internationale, la Chine a maintenu en 2009 un taux de croissance du PNB de 8,7 %. L’« Empire du milieu » détient 2100 milliards de dollars de réserves de change et est le plus grand créancier des États-Unis, superpuissance affaiblie au fil des ans par des dépenses excessives et des politiques peu inspirées en Irak et en Afghanistan. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que la machine de propagande du PCC s’emploie activement à chanter les louanges d’un « modèle chinois » qui a propulsé avec succès le pays aux premiers rangs des nations. Cependant, même s’il prévoit des festivités qui coûteront plusieurs milliards de yuans pour célébrer l’an prochain son 90e anniversaire, le PCC est atteint de diverses infirmités. La quatrième génération de dirigeants, sous la direction du * Professeur au Département d’Études chinoises de l’Université internationale d’Akita (Japon), chargé d’enseignement en Histoire contemporaine à l’Université chinoise de Hongkong. N° 41 9 © DR HISTOIRE & LIBERTÉ Chengdu, capitale de la province du Sichuan président Hu Jintao et du Premier ministre Wen Jiabao, est pathologiquement obsédée par la peur de l’implosion du Parti. Pékin met au point des mécanismes dits de « prévention et de contrôle » (fangkong) pour combattre les défis lancés au régime par différents acteurs, dissidents, militants d’ONG, séparatistes du Tibet et du Xinjiang. En plus de la police et des agents de la sécurité d’État, les membres des groupes d’autodéfense et des « comités de voisinage » espionnent les ennemis potentiels de l’État. Les « cyber-policiers » construisent la « grande muraille virtuelle de Chine » pour parer à « l’infiltration et au sabotage » électroniques qui pourraient provenir des « forces antichinoises d’Occident ». Malgré le glamour de la Chine – gratte-ciel fastueux et chasseurs furtifs –, la direction Hu-Wen est soumise à forte pression pour convaincre le monde, y compris ses propres citoyens, que le PCC est à même d’accroître la puissance de cette population d’un milliard trois cents millions d’habitants. Tâche difficile: une crise de confiance sans précédent gagne le pays. Cette perte de confiance grandissante est précisément due au fait que le PCC a mis en suspens presque tous les secteurs de la Réforme pour mieux préserver son statut de « Parti dirigeant pérenne ». 10 AVRIL 2010 DOSSIER LE PARTI COMMUNISTE CHINOIS : TROP GROS POUR SOMBRER ? « Sinisation du marxisme » et pérennisation du Parti dirigeant Le cœur du paradoxe chinois tient au fait que le PCC, malade, est entré en phase terminale de nihilisme idéologique: il n’a pas d’autre idéal que le maintien de son monopole du pouvoir. Trente et un ans après que Deng Xiaoping, le patriarche de la Réforme, a lancé la politique de réforme et d’ouverture, l’équipe Hu-Wen a abandonné ou suspendu l’essentiel de la libéralisation prévue dans les secteurs politiques et économiques. La Réforme, par définition, affecte la prétention du Parti à l’omnipotence. La réalité qui se cache derrière « les habits neufs de l’empereur » a été clairement exprimée lors du discours du président Hu dans le grand Hall du peuple, en décembre 2008, à l’occasion du 30e anniversaire de la Réforme. Hu y a déclaré que le PCC était décidé à « lever haut le sublime drapeau du socialisme aux couleurs de la Chine et à pousser plus avant la sinisation du marxisme ». Le Parti aux 76 millions de membres devait faire respecter les « quatre principes fondamentaux »: marxisme, léninisme, maoïsme et direction absolue du Parti. De plus, le PCC devait renforcer sa capacité « à se protéger des glissements » vers le système capitaliste et à « faire face aux risques », en particulier celui de l’instabilité socio-politique. Quelle est la signification de l’expression « sinisation du marxisme », qu’avait utilisé pour la première fois Mao Zedong dans les années 1930 ? Lors du quatrième plénum du Comité central du Parti, en septembre 2009, Hu Jintao indiqua encore une fois que le PCC devrait « renforcer la sinisation du marxisme » et aussi « rendre le marxisme contemporain et populaire ». Au milieu des années 2000, il attribua quelques millions de yuans à une douzaine de théoriciens de premier plan et de commissaires du Parti pour de nouvelles publications sur les « derniers développements » du marxisme au XXIe siècle en Chine. Mais le PCC a livré très peu de détails sur les découvertes de ce groupe d’élite. Il est d’ailleurs évident, d’après les discours de Hu, que « sinisation du marxisme » signifie simplement que la Chine n’acceptera pas les idéaux « occidentaux » de la démocratie et les droits de l’Homme, et que les autorités se débarrasseront de tous les obstacles au maintien de la « dictature démocratique du prolétariat ». En d’autres termes qu’elles écraseront les oppositions, réelles et potentielles, au pouvoir sans partage du PCC. La dernière pirouette idéologique du Parti communiste chinois se manifesta dans le discours de Hu Jintao de décembre 2008. Alors qu’il s’engageait à ne pas suivre « une voie autarcique et fossilisée », le numéro un du Parti mit sévèrement N° 41 11 U. DETTMAR/AGÈNCIA BRASIL HISTOIRE & LIBERTÉ Hu Jintao, en 2004. en garde les cadres plus ou moins libéraux du PCC: « nous ne suivrons jamais la voie qui mène à changer le drapeau et les normes [du Parti] ». Si Hu Jintao (67 ans) semblait faire référence à l’introduction de procédés démocratiques (pour les élections, les prises de décision et le contrôle du pouvoir) et à la liberté d’information et d’expression, ce n’était qu’en apparence. Son véritable message était que Pékin « ne copierait jamais le modèle politique de l’Occident ». Signe qui ne trompe pas: au début 2007, le Premier ministre Wen Jiabao, considéré comme le plus libéral des membres du Bureau politique, suscita bien des espoirs en faisant un éloge appuyé de certaines « valeurs et institutions universelles ». Wen indiqua publiquement à deux reprises que « la science, la démocratie, l’État de droit, la liberté et les droits de l’Homme n’étaient pas le monopole des pays capitalistes », mais « des valeurs universelles qui devraient être recherchées par toute l’humanité ». Pour Wen, il était opportun pour la Chine socialiste « d’expérimenter au moins quelques-unes de ces normes internationales. Mais la balance a penché de l’autre côté à partir de la mi-2008. Des commissaires politiques cryptomaoïstes ont commencé à attaquer le concept de “valeurs universelles” comme un leurre visant à transformer pacifiquement la Chine en pays capitaliste ». Par exemple, l’idéologue ultra-conservateur Chen Kuiyan (président de l’Académie des sciences sociales) déclara fin 2008: « Nous ne devons en aucun cas nous engager dans un culte aveugle de l’Occident ni chanter les louanges des valeurs occidentales comme des valeurs universelles ». Alors que la Chine semble être une société de plus en plus cosmopolite et mondialisée, prête à relever les défis du XXIe siècle, la seule préoccupation du PCC est de maintenir inchangés la stabilité sociopolitique et son pouvoir absolu. L’un des messages souvent répétés par Hu est que « le maintien de la stabilité est la tâche primordiale du Parti, car rien ne peut être accompli sans stabilité ». Citant un célèbre proverbe chinois (ju’an siwei, « prendre garde en période de confort et d’abondance »), le Secrétaire général a souvent brandi la menace que le Parti soit évincé du pouvoir. Il fit cette mise en garde dans ses discours prononcés en 2008 et 2009: « Ce que nous possédions dans le passé ne nous appartient plus nécessairement aujourd’hui; ce que nous avons aujourd’hui ne sera pas forcément à nous pour toujours »[1]. Outre les méthodes à toute épreuve pour faire face à ces défis, Hu 12 AVRIL 2010 recommande de faire effort pour promouvoir la fierté patriotique et renforcer l’endoctrinement idéologique. « Nous devons résolument et sans relâche armer tout le Parti – et éduquer le peuple – avec les derniers fruits de la sinisation du marxisme » a déclaré le numéro un. L’anachronisme de la structure léniniste du PCC Peu avant le 60e anniversaire de la RPC, le 1er octobre 2009, les internautes chinois ont été intrigués par un texte appelant les autorités à « construire un ethos politique de base ». Ce manifeste sur Internet déplorait que le PCC ait gavé les médias de louanges à la gloire des avancées économiques et technologiques du pays, alors que « le stalinisme dévastait la construction politique, idéologique et culturelle du pays ». Des questions constitutionnelles de base, telle que la séparation des pouvoirs, sont restées dans l’ombre : quelles sont les compétences et les limites du Parti, du pouvoir exécutif (c’est-à-dire essentiellement le Conseil d’État – le gouvernement de la PRC), du pouvoir législatif (notamment l’Assemblée nationale populaire), du pouvoir judiciaire ou encore de l’armée ? « Le pays est toujours le pays du Parti » écrivait l’auteur anonyme, signifiant ainsi que le Parti passait avant l’État et le peuple. « Il n’y a pas de différence entre les coffres de l’État et ceux du Parti ». De plus, l’Armée populaire de libération (APL) est l’« armée du Parti », non l’armée de la nation, comme c’est le cas partout dans le monde. Le législatif, le judiciaire et toutes les autres institutions politiques ne comptent pas face au Parti[2]. Contrairement à diverses spéculations, le pamphlétaire n’était pas Wan Li, l’ancien chef libéral de l’Assemblée qui s’était opposé à la répression du 4 juin 1989. Néanmoins, ce document est indéniablement opportun car il expose au grand jour le monumental échec du PCC à établir des institutions et un système politique modernes.[3] L’obsolescence institutionnelle de la Chine montre que, malgré les fanfaronnades de la direction du PCC au sujet du « modèle chinois » ou du « consensus de 1. Le vice-président Xi Jinping, qui est pressenti pour le poste de Secrétaire général du Parti en 2012, s’est également répandu sur la nécessité de conserver le pouvoir du parti dans le passé, le présent et l’avenir. 2. Willy LAM, « La Chine aux pieds d’argile », Far Eastern Economic Review, octobre 2009. 3. Après les massacres de la place Tian’anmen, de nombreux collaborateurs de Hu Yaobang et Zhao Ziyang (les chefs du parti, alors favorables à la discussion avec les étudiants) ont continué à plaider en faveur de la réforme politique. Parmi eux, Wan Li (ancien vice-premier ministre et ancien président de l’Assemblée nationale), Li Rui (l’ancien secrétaire particulier du président Mao) et l’universitaire Xie Tao. Ils suscitèrent un grand intérêt au sein de l’intelligentsia en défendant l’idée que le PCC devrait évoluer vers une social-démocratie à l’européenne. N° 41 13 DOSSIER LE PARTI COMMUNISTE CHINOIS : TROP GROS POUR SOMBRER ? HISTOIRE & LIBERTÉ Pékin », les fondations politiques du pays sont branlantes. Il ne s’agit pas seulement d’une question académique n’intéressant que les constitutionnalistes et les politologues. Les dysfonctionnements institutionnels englobent des problèmes s’étendant de la corruption à l’injustice sociale, en passant par l’incapacité de la RPC à embrasser la mondialisation. Peu de temps après avoir organisé le renversement des radicaux de la « bande des quatre » en 1976, Deng Xiaoping se chargea de rectifier des décennies d’anarchie maoïste. Il souligna qu’il était impératif de mettre en place des institutions solides. Le Grand Timonier avait mis la nation à genoux en ordonnant à ses gardes rouges de « bombarder les quartiers généraux » de la gouvernance: un des pires effets du « règne de la personnalité », en fait du culte voué à un demi-dieu nommé Mao, avait été la destruction de toute forme d’institution. Et dans son fameux article de 1980, « De la réforme du système du Parti et de la direction de l’État », Deng avait écrit : « de bonnes institutions et de bons systèmes peuvent prévenir certains méfaits des mauvaises herbes. Mais les mauvais systèmes empêchent les bonnes personnes de faire de bonnes choses, voire les amènent à en faire de terribles. » Malheureusement, Deng, qui en 1979 avait introduit les élections (sur le principe une personne, une voix) dans les villages, à l’échelon le plus bas de l’administration chinoise, suspendit tout effort de libéralisation après la répression de la place Tian’anmen en 1989. Depuis lors, le PCC a restauré un ordre essentiellement léniniste. Le pouvoir est concentré au sein des instances supérieures du Parti, notamment le Bureau politique et plus précisément son Comité permanent (CPBP). Ce système a commencé avec Jiang Zemin. L’ancien secrétaire du Parti à Shanghai fut nommé Secrétaire général quelques jours à peine après le massacre du 4 juin. Durant son long mandat – Jiang a dirigé le Parti jusqu’à son XVIe Congrès en 2002 – le chef de ce qu’on appelait la faction de Shanghai n’aurait eu comme objectif que de « poursuivre les innovations institutionnelles afin d’être dans l’air du temps ». Pourtant, dès le premier jour de son mandat, Jiang s’assura que tous les pouvoirs de décision revenaient exclusivement au Comité permanent du Bureau politique et aux organes en dépendant comme le secrétariat du Comité central. Jiang accrut largement l’autorité – et les effectifs – d’un groupe de commissions et de bureaux, dépendants du CPBP. Citons la Commission militaire centrale (CMC), la Commission centrale de Politique et des Affaires légales (CCPAL), le Bureau dirigeant des Affaires étrangères (BDAE), le Bureau dirigeant des Finances et de l’Économie (BDFE). Ainsi la CMC dirige l’Armée populaire (APL) et la Police populaire (la Police armée populaire ou 14 AVRIL 2010 PAP). La CCPAL a en charge le respect de la loi et le maintien de l’ordre et supervise les opérations de police, les procureurs et les cours de justice. Le BDAE et le BDFE sont les instances les plus importantes de la nation en matière de diplomatie et de politique économique. De plus, Jiang et son successeur Hu ont enterré ce qui était peut-être la réforme la plus importante voulue par Deng et Zhao Ziyang (le chef du Parti à la fin des années 1980) : le dangzheng fenkai ou séparation du Parti et du gouvernement. Cette réforme signifiait que le Parti devait se centrer sur les questions générales et stratégiques, alors que l’administration quotidienne du pays revenait au gouvernement et aux autres unités administratives. Le principe du dangzheng fenkai a certes été conservé dans le Rapport politique du XIIIe Congrès du Parti de Zhao en 1987, mais la réforme elle-même a été supprimée. Usurpation du pouvoir par le Comité permanent du Bureau politique D’après les statuts du PCC, le congrès des délégués du Parti – un corps de quelque 2000 représentants qui se réunit tous les cinq ans – est l’organe le plus élevé pour tout ce qui touche aux décisions et aux nominations. L’article 20 de la Constitution du PCC stipule sans ambiguïté que les responsabilités et les pouvoirs du Congrès comprennent à la fois « la discussion et la prise de décision des questions essentielles concernant le Parti et l’État », et le choix des membres du Comité central, de la Commission centrale et de la Commission centrale d’inspection disciplinaire (le corps anti-corruption le plus élevé du Parti). De plus, les délégués au Congrès sont censés se réunir au moins une fois l’an afin de superviser effectivement le Comité central ainsi que le Bureau politique. Mais, depuis la Révolution culturelle, le Congrès du Parti est devenu une chambre d’enregistrement du pouvoir en place, c’est-à-dire du Comité permanent du Bureau politique (CPBP). Quand les délégués arrivent à Pékin, leur véritable tâche est d’avaliser, non d’élire, la nouvelle liste des membres du Comité central déjà établie par le CPBP sortant. Et après avoir voté, le travail des délégués, qui sont pour la plupart des fonctionnaires à l’échelon national ou régional, est terminé. Ils retournent à leurs activités à plein-temps et ne se revoient jamais. Dans son rapport politique au XVIIe Congrès du PCC d’octobre 2007, Hu plaida en faveur du dangneimingzhu (« la démocratie interne »), qui devait passer d’abord par la restauration des prérogatives et fonctions du Congrès. Hu affirmait que la démocratie interne était « une importante garantie d’accroissement de la créativité et de l’énergie du Parti, ainsi que de la consolidation de son unité et de sa cohéN° 41 15 DOSSIER LE PARTI COMMUNISTE CHINOIS : TROP GROS POUR SOMBRER ? DR © FRENCH.CHINA.ORG.CN HISTOIRE & LIBERTÉ Octobre 2007 : XVIIe Congrès du PCC Séance d’ouverture Délégués sortant du Grand Palais du Peuple sion ». Le chef du Parti appelait en particulier de ses vœux l’amélioration du « fonctionnement des Congrès du Parti », donnant aux délégués un mandat fixe de cinq ans. C’était la première fois depuis la Révolution culturelle qu’un dirigeant du PCC prônait un mandat à durée déterminée pour les hauts représentants du Parti. Cela signifiait que les délégués au XVIIe Congrès du Parti resteraient en activité – en tant que « superviseurs » du Bureau politique et du Comité central – jusqu’au XVIIIe Congrès en 2012. Néanmoins, alors que Hu et ses collègues du Bureau politique affirmaient leur soutien théorique au changrenzhi (institutionnalisation du nouveau rôle du Congrès), aucune action n’était menée pour que les délégués tiennent des sessions annuelles ou pour que soit établi un secrétariat permanent du Congrès. À ce jour (février 2010), cette institutionnalisation n’a été réalisée qu’à titre expérimental dans une douzaine de districts du pays. Les délégués de ces districts restent actifs tout au long de leur mandat de cinq ans. Des réunions annuelles sont tenues à l’échelon des districts pour permettre aux députés de discuter les politiques publiques et économiques locales. Mais rien ne dit que cette expérimentation doive être élargie à l’ensemble des 1642 districts de toute la Chine ou même étendue à l’échelon provincial. 16 AVRIL 2010 DOSSIER LE PARTI COMMUNISTE CHINOIS : TROP GROS POUR SOMBRER ? Le Parti au-dessus du gouvernement, de la justice et de l’armée Les dirigeants de l’après-4 juin 1989 ont tiré une grande leçon de la rébellion étudiante et de l’effondrement du bloc soviétique: le Parti doit détenir un pouvoir absolu. Les suggestions de Deng Xiaoping et de Zhao Ziyang concernant la séparation du Parti et du gouvernement conduiraient au morcellement de son autorité. Il faut donc s’y opposer. On le voit : le PCC fait fi du pouvoir législatif, des autorités judiciaires et de l’APL[4]. La Commission centrale de politique et des questions judiciaires du PCC est présidée par Zhou Yongkang, par ailleurs membre du CPBP. Cette commission exerce un contrôle total sur la police, le Parquet et les Cours de justice. La domination du Parti sur l’autorité judiciaire a compromis l’intégrité des juges et autres cadres zhengfa (les cadres chargés des questions politiques et légales). La justice étant ainsi rarement présente dans les tribunaux, on comprend mieux pourquoi on estime à 100 000 le nombre annuel d’« incidents de masse », c’est-à-dire de manifestations et d’émeutes. Malgré le slogan de l’administration Hu, selon lequel « il faut diriger le pays selon la loi », Hu Jintao, Zhou Yonkang et leurs collègues du Comité permanent du Bureau politique (CPBP) ont fortement politisé les tribunaux par la nomination de fonctionnaires du Parti aux postes supérieurs de la magistrature. La presse officielle a reconnu que la moitié des hauts magistrats à l’échelon provincial des 31 plus importants districts administratifs de Chine n’a aucune formation juridique! La plupart d’entre eux sont des apparatchiks du PCC qui ont travaillé dans des départements liés à la loi, l’ordre et la discipline du Parti. Le président de la Cour suprême populaire (CSP), Wang Shengjun, et le ministre de la justice, Wu Aijing, sont tous deux des vétérans des affaires internes du Parti et n’ont jamais étudié le droit. Wang a scandalisé les juges (professionnels) de tout le pays en demandant à plusieurs reprises qu’ils se conforment à des objectifs politiques tels que le « maintien de la stabilité sociopolitique » ou la promotion « de l’harmonie sociale ». Après sa prise de fonction en 2008, l’apparatchik du Parti devenu chef de la justice a même déclaré à la communauté judiciaire que « nous devons unifier nos consciences, nos pensées et nos actions pour savoir quelle voie les Cours devraient suivre et quel drapeau (sous entendu celui du communisme) elles devraient brandir ». Et Wang d’ajouter : « Ainsi sera assurée la direction politique correcte des cours populaires ». 4. Willy LAM, « La Chine aux pieds d’argile », op. cit. N° 41 17 HISTOIRE & LIBERTÉ Alors que de tels juges sont prêts à s’aligner sur le Parti, leurs compétences et leur probité se sont nettement détériorées. Ces dernières années, plus d’une douzaine de hauts magistrats à l’échelon central et régional ont été incarcérés pour corruption et autres délits. Parmi eux, Huang Songyou (le vice-président de la Cour suprême populaire), condamné à perpétuité en début d’année. Autre figure gravement impliquée: le directeur du Bureau judiciaire de la Municipalité de Chongqing[5] condamné à mort avec sursis en février 2010. Cet ancien vice-directeur de la police à Chongqing, avait accepté près de cent millions de yuans de biens immobiliers et autres cadeaux de la part des chefs de la triade locale. L’impact sociopolitique désastreux provoqué par la faillite du système judiciaire ne doit pas pour autant être exagéré. Les citoyens malmenés ou dépossédés par des officiels véreux peuvent en théorie porter plainte contre eux auprès des tribunaux administratifs. Depuis le début de la décennie 2000, chaque année près de 100000 citoyens entament des poursuites contre des administrations du parti-État ou contre un fonctionnaire. Le taux de succès des plaignants est inférieur à 30 %, alors qu’il avoisinait 50 % dans les années 1990. Beaucoup de Chinois lésés, qui ont perdu foi dans le système judiciaire, choisissent désormais, pour se défendre, le shangfang (pétition individuelle) auprès des autorités à Pékin. Les requérants cependant sont constamment harcelés par la police et les fonctionnaires de leur province dépêchés à Pékin. L’un des pires scandales politiques de 2009 aura été le viol de Li Ruirui, une jeune femme pétitionnaire, originaire de la province de l’Anhui, dans le centre du pays. Peu après son arrivée dans la capitale, elle fut placée illégalement en détention par des policiers de sa province et c’est pendant la détention que le viol eut lieu. Vu l’échec de Pékin à gérer les malaises de la nation, le PCC ne peut compter que sur la force pour contenir les soi-disant « entreprises de déstabilisation ». L’appel par le PCC à l’APL et à la police militaire – que le patriarche Deng Xiaoping qualifiait de « gens des plus charmants » et le massacre de la place Tian’anmen qui s’ensuivit ont constitué un précédent. La dernière parade militaire du 1er octobre fut une démonstration de force dont la cible était, tout autant que la myriade d’ennemis intérieurs du Parti (les dissidents comme les « séparatistes » ouighours et tibétains), les ennemis extérieurs. D’où l’insistance récente de dirigeants comme le général Guo Boxiang, vice-président de la CMC, pour que le personnel militaire « sauvegarde la domination absolue du Parti sur les forces de défense » et 5. Chongqing (comme Pékin, Shanghai et Tianjin), a un statut de municipalité autonome. Les administrations de ces v lles sont donc aussi importantes que des administrations d’une province. 18 AVRIL 2010 DOSSIER © World Economic Forum/swiss-image.ch LE PARTI COMMUNISTE CHINOIS : TROP GROS POUR SOMBRER ? Wen Jiabao au Forum économique mondial de 2009. « soutienne les théories militaires du Parti comme celles de la direction scientifique pour la construction de l’armée ». Alors que l’APL et la PAP, dont les budgets, en augmentation rapide, proviennent des taxes et prélèvements payés par 1,3 milliard de Chinois, l’APL et la PAP ne jurent fidélité qu’au PCC, dont les membres ne représentent que 6 % de la population. Depuis qu’il est devenu président de la CMC en 2004, Hu a banni toute discussion sur la possible transformation de l’APL, « armée du Parti », en armée nationale. L’entière mise à disposition de l’APL au profit des élites du PCC a de nombreuses conséquences. En fait, un seul organe – la CMC, formée de dix généraux caciques de l’APL et du président Hu – fait autorité sur les questions touchant au déploiement et au développement de la formidable machine de guerre chinoise. Comme le PCC devient de plus en plus dépendant des troupes et de la police paramilitaire pour maintenir l’ordre intérieur, un pouvoir inégalé a été accordé aux chefs de l’armée. Depuis la période maoïste, près de 20 % des sièges du Comité central du PCC sont réservés au personnel militaire. Dans la dernière décennie, les généraux ont acquis un rôle plus important encore dans les décisions en matière de politique extérieure et de sécurité et même, à l’occasion, en matière économique. Par N° 41 19 HISTOIRE & LIBERTÉ exemple, sous couvert de la doctrine, récemment réaffirmée par Hu, de la « synthèse des exigences de la paix et de la guerre », des nouveaux projets d’infrastructures, voies ferrées, ponts, aéroports, ont été passés au crible par l’APL pour qu’ils puissent servir en cas de guerre. L’implacable expansion de l’influence de l’APL, tout comme la modernisation de l’armement, expliquent l’adhésion croissante dans le monde à l’idée d’une « menace chinoise ». Abus de pouvoir et corruption au sommet de l’État Le CPBP – et en particulier le secrétaire général, qui est aussi le Président de la République et le commandant en chef des armées – gouverne de manière absolue. Il n’est pas surprenant que de cette hyper-concentration résulte un abus de pouvoir et une corruption à grande échelle. Pendant ses treize années de règne, Jiang Zemin a cassé toutes les règles de nomination des cadres, en assurant la promotion de douzaines de membres de sa faction de Shanghai à des positions élevées au sein du Parti et du gouvernement. Plusieurs semaines avant qu’il ne se retire du Bureau politique, Jiang, alors âgé de 76 ans, surprit Hu et les chefs des autres factions en élargissant la taille du CPBP de 7 à 9 membres afin de satisfaire deux de ses proches, Jia Qinglin (ancien secrétaire du Parti à Pékin) et Wang Ju (ancien chef du Parti à Shanghai). Un consensus avait pourtant été trouvé un peu plus tôt au sein du Bureau politique à leur sujet pour qu’ils quittent le centre du pouvoir, car tous deux étaient fortement soupçonnés de corruption. La place grandissante de la faction de Shanghai allait à l’encontre de l’un des principaux préceptes de Deng en matière d’administration du personnel politique: les postes clés doivent être confiés à des officiels des « cinq lacs et des quatre mers », référence à la diversité des profils, tant géographiques que professionnels. Pire encore: Jiang Zemin lui-même, lors du XVIe Congrès, refusa d’abandonner son poste de président de la CMC et de Commandant en chef des armées, alors que, ayant quitté le Bureau politique et le Comité central, il n’était plus qu’un membre ordinaire du Parti. Comment un simple membre du Parti peut-il devenir chef suprême des armées? Finalement, en septembre 2004, Hu Jintao, obtint assez de soutien de la part des dirigeants de l’armée pour forcer Jiang à quitter son poste. Depuis leur arrivée au pouvoir fin 2002, le président Hu et le Premier ministre Wen ont souligné régulièrement la nécessité d’éradiquer la corruption. La session plénière du Comité central de septembre 2009 a souhaité que « le combat contre la corruption soit une tâche politique primordiale et que des mesures soient prises 20 AVRIL 2010 pour s’attaquer aux symptômes et causes profondes de ce fléau ». Le PCC a même, depuis le début des années 1980, lancé une campagne nationale quasi annuelle contre la corruption. Mais les reculs institutionnels semblent avoir voué à l’échec ces efforts dignes de Sisyphe. On compte au moins trois bureaucraties chargées de cette lutte : la Commission centrale du PCC de discipline et d’inspection et ses branches régionales le ministère de la Supervision et son unité sœur, le Bureau national de la prévention de la corruption, enfin, les Bureaux anti-corruption, avec leur procurature à l’échelon national et local. Ces organes, cependant, n’ont pas la moindre indépendance : la lutte contre la corruption est fondamentalement un domaine où le Parti « enquête seul ». Ainsi les cadres du Parti – et leurs familles – peuvent toujours échapper aux mailles du filet s’ils ont d’importantes relations politiques. Parmi les membres actuels ou anciens du CPBP dont les enfants sont des businessmen de premier plan, citons Jiang Zemin, Zeng Qinghong, Zhu Rongji, Hu Jintao et Wen Jiabao. Et les insinuations sur des allégations de favoritisme et de népotisme au profit des « petits princes »[6] sont depuis longtemps au cœur des discussions dans les milieux informés de la capitale chinoise. 6. Surnom donné aux enfants des hauts dignitaires du Parti et qui constituent l’essentiel de la classe d’entrepreneurs « nouveaux riches » de l’économie chinoise. N° 41 21 DOSSIER LE PARTI COMMUNISTE CHINOIS : TROP GROS POUR SOMBRER ? 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