Le personnel soignant et l`hygiène en réanimation

Transcription

Le personnel soignant et l`hygiène en réanimation
Le personnel soignant et
l’hygiène en réanimation :
aspects sociologiques
- Unité de Prévention et de lutte contre les
infections nosocomiales, CHU Angers
- Institut de Psychologie et de Sociologie
Appliquées, UCO, Angers
- Services de réanimation médicale et
chirurgicale A, CHU Angers
Journée annuelle du CCLIN Ouest – 01/04/2010
Méthodologie
• Type d’étude : étude de sociologie qualitative
reposant sur :
– L’observation participante
– Des entretiens avec le personnel
• Lieu de l’étude
Services de réanimation médicale (3 UF) et de
réanimation chirurgicale A.
• Intervenants sociologues :
– Étudiante en Master-1 Sociologie (UCO)
– Enseignants-chercheurs en Sociologie et
anthropologie (UCO).
Méthodologie
• L’observation participante :
– Immersion de l’étudiante pendant 17 jours
• Travail de nuit non observé
• 15 à 20 personnes observées par jour.
– IDE de formation => participation à différentes
tâches, parallèlement aux observations.
• Les entretiens :
– Semi-directifs enregistrés, réalisés par les
sociologues.
–  guide définissant le cadre des entretiens mais
leur teneur a varié ++ en fonction des personnes
interrogées.
Objectifs
L’étude a suivi 3 axes :
– Étude de la nature et de la place que
tiennent les règles (protocoles, reco.)
d’hygiène dans le contexte du travail.
– Confrontation du discours des hygiénistes
aux pratiques telles qu’elles s’exercent au
quotidien.
– Abord de l’hygiène sous l’angle du risque et
du rapport subjectif à celui-ci.
Résultats
L’hygiène comme savoir
Formations
Savoirs domestiques
(éducation familiale +++)
Habitudes, culture de service
Savoirs professionnels
Recommandations
Pratiques
Socialisations antérieures
(ancien emploi…)
Une aide-soignante :
« Moi, chez moi, je vais pas passer un jour sans passer la serpillière. C’est
comme ça. Mais je prends pas sur moi pour le faire. C’est dans ma façon de
vivre et c’est parce que je fais ce métier ».
Dans les entretiens, absence du terme « hygiène des mains » ou « friction
alcoolique » mais utilisation +++ du terme « lavage des mains ».
Résultats
La transmission des règles
Deux modes de transmission
Transmission hors contexte
(recommandations)
Classeurs d’hygiène (papier, intranet)
= éléments souvent connus, jamais
utilisés
« Il y a les protocoles, et aussi le
classeur et l’ordinateur, mais
c’est vrai qu’on ne les
consulte pas ».
Hygiène (protocoles) = contrainte à
visée normative.
Dans les entretiens, « normalement »,
« en théorie », « en principe » sont
souvent employés.
La règle est souvent connue, mais a un
caractère relatif
Transmission dans le
contexte
du travail
L’apprentissage se fait par mimétisme
et inculcation lors des doublages.
« Non, c’est les collègues. En fait, en
arrivant en réa, on est formé, on est
doublé pendant 15 jours. Donc, on
apprend les habitudes du service. Le
protocole, je sais même pas si c’est
écrit quelque part ».
« Je ne pense pas que ce soit écrit
dans le protocole mais, euh,…ça fait
partie, si d’un protocole de service ou
du moins, c’en est devenu un ».
Résultats
Les recommandations face au contexte
de travail
Le « soin » décomposé ou considéré comme un tout.
- Pour les hygiénistes, chaque « soin » est composé d’une séquence de plusieurs
tâches (ou contacts) successifs.
- Pour les professionnels, le « soin » est souvent considéré comme un tout.
Exemple tiré d’une observation directe
Gants
Gants
Moniteur en alarme
Gants
L’enchaînement d’opérations avec interruptions régulières est associé à un
maintien mental de la continuité du travail.
Résultats
Les recommandations face au contexte
du travail
L’urgence.
L’argument de l’urgence peut masquer ou justifier une pratique non conforme.
« J’ai vu des médecins qui intubaient sans mettre de masque. On met pas de
protection non plus. Ben, évidemment, puisque c’est un geste qui doit être vite
fait en général ».
Choix d’une priorité
Le relationnel avec le patient, un obstacle aux précautions standard ?
Les observations et les entretiens ont montré que certaines mesures de
Protection pouvaient être considérées comme des barrières relationnelles.
- Gants : obstacle à la composante tactile du soin.
- Masque / lunettes (++) : ressenti comme un acte agressif vis-à-vis du patient.
Le confort.
« Les lunettes font mal. C’est en plastique dur. Moi personnellement, si je ne les
mets pas, c’est que ça fait super mal ».
Résultats
L’hygiène, entre prévention et
protection
« à risque »
« sale »
PATIENT
Masque cité à de nombreuses reprises
Pour les gestes techniques de réa.
Hygiène des mains jamais citée
D’après les entretiens, pour les IDE,
l’asepsie, c’est « plus que l’hygiène »
Le patient est désigné
comme source principale
du risque infectieux ou
de transmission
Le risque infectieux
d’abord perçu comme
un risque professionnel
AUTOPROTECTION
Autre patient
Subjectivité +++ concernant le « sale »
« On juge en partie sur l’apparence. Faut qu’on se méfie,
c’est ce qu’on se dit ».
« C’est sur l’aspect physique du patient, l’aspect cutané, toutes
ces choses là qu’on évalue. Quelque part, ça nous interpelle et
là, on va prendre un peu plus de précautions ».
Soignant
Résultats
L’hygiène, entre prévention et protection
La subjectivité en action
De la définition comme normale ou anormale de la situation dépendra
la mise en place de protections.
D’après certains infirmiers,
le patient doit présenter des
sécrétions très sales et expectorer
beaucoup pour mettre des lunettes
de protection
« Une personne qui est extubée, qui
s’apprête certainement à partir dans
les jours qui suivent. Ben je vais dire :
elle est propre. Il n’y a pas de sécrétions.
Si elle veut aller à la selle, elle va demander
Le bassin, des trucs comme ça.
Donc, en soit, la personne elle est propre,
elle est pas contagieuse. Donc, du coup,on
pourrait éviter de mettre des gants
pour la toilette ».
Pour une aide-soignante qui
ne considère pas son métier
à risque :
« des fois, il y a des sécrétions
qui coulent, ce qui fait que le
pansement, il saigne, ou alors
du vomi aussi. C’est pas sale,
c’est normal. Oui, si c’est normal ».
La différence dans l’analyse
du risque lié à une même situation peut
s’expliquer pour certains auteurs
par le fait que la position subjective
face au risque s’appuie sur l’expérience
singulière et sur la vulnérabilité
personnelle
Commentaires
La théorie du comportement planifié
(Theory of planned behaviour)
Formations
Informations
Savoirs professionnels antérieurs
Attitude
Évaluation des risques
et réactivité
Responsabilité personnelle
Implication émotionnelle
Influence des « modèles »
(« anciens », enseignants…)
Intention
Normes subjectives
« culture »
Ressenti concernant
la faisabilité du geste
Compétence
Savoir quoi faire dans des
circonstances spécifiques
et quand le faire
Comportement
(action)
Contexte
(en situation)
Ressenti
concernant la
facilité ou la
difficulté du geste
Commentaires
La conjonction des savoirs domestique et professionnel est impliquée
dans la pratique de l’hygiène des mains.
Whitby et al. ICHE 2006
Savoirs domestiques
Savoirs professionnels
« inherent hand hygiene »
« elective hand hygiene »
Conduite intuitive
Dimension subjective ++
(« saleté », « contamination »,
« contagiosité »)
Conduite non intuitive
Souvent en absence de risque ressenti
(ex: après un simple contact avec la peau
ou l’environnement)
Rapport objectif et rationnel à la pratique
Commentaires
La transmission des règles, un problème de communication ?
2 conceptions de l’ « apprentissage » (parmi d’autres)
L’approche behavioriste
Informations
Répétées
(stimuli)
?
L’approche constructiviste
Action
conditionnée
Cerveau humain
= « boîte noire »
Approche souvent suivie en hygiène
Absence de contextualisation
Abstraction ++
Informations
(savoirs professionnels
nouveaux, reco.,…)
Sur l’influence des pairs :
Erasmus et al. ICHE 2009
Lankford et al. EID 2003
Whitby et al. JHI 2007
Filtres
+/- opaques
Acceptation
Actions
adaptées
Connaissances antérieures
(habitudes de service,
croyances, influence des pairs,
valeurs ancrées dans des
socialisations antérieures)
Rejet
Écart à la
règle
Approche qui prend en compte l’apprenant
S’appuie sur les connaissances antérieures pour
rebondir dessus et créer un conflit cognitif.
Alternance de contextualisations et décontextualisations
Commentaires
Un exemple de message abondamment répété mais souvent rejeté :
« Bon, après, ils nous disent qu’on peut passer d’une chambre à une autre
Sans se laver les mains, en se passant du stérilium ® sur les mains, mais
on a du mal à croire quand même qu’on passe pas de germe de l’un à l’autre »
Opposition « on / ils » (EOH) : symptomatique de la force des normes
collectives issues de connaissances antérieures (CA).
« on a du mal à le croire » : dimension socialisée et collective des pratiques
d’hygiène (hygiène des mains en particulier).
Il faut remplacer le
LDM par la FA !!
CA : lavage des mains efficace contre saleté, souillures, microbes
Savoirs domestiques + IFSI (jusqu’à il y a quelques années)
Et l’encadrement ?
Rejet
Commentaires
Une illustration de la dimension continue des soins pour le personnel
Observance de l’hygiène des mains :
- Dans les mêmes services de réanimation
- Contemporaine à l’étude socio.
Contact unique
42,7%
64,0%
Contacts successifs
53,3%
Contact 1
Contact 2
32,2%
…
Contact n
79,5%
Conclusion
Certaines transgressions des règles sont hautement
socialisées : l’écart à la règle devient une norme
partagée (importance du mimétisme).
Une transmission de connaissances et d’informations
à revoir ?
Les formations pour le personnel devraient
- prendre en compte les connaissances antérieures pour limiter les risques
de rejet.
- alterner contextualisation (cas pratiques diversifiés, de complexité
différente) et décontextualisation des messages.
Importance de l’enseignement en IFSI et en fac. de médecine
(CA moins ancrées)
Conclusion
L’hygiène n’est qu’une tâche parmi d’autres…
- En avoir conscience
- Le montrer aux professionnels
L’objectif d’atteindre
une observance de 100%
des recommandations
dans le domaine de
l’hygiène :
- Raisonnable ?
- Et même pertinent ?
Les personnels de santé, des travailleurs comme les
autres
- Contournement
- Adaptation
des règles lorsqu’elles sont contraires à leur intérêt immédiat.
UCO
- Tiphaine BRUNA, M1 Sociologie
- Hélène DESFONTAINES, enseignant-chercheur
- Pascale MOULEVRIER, enseignant-chercheur
Réanimation médicale
- Alain MERCAT, Chef de service
- Achille KOUATCHET, PH
- Laurent POIROUX, Cadre de santé
Réanimation chirurgicale A
- Laurent DUBE, Chef de service
- Évelyne DABIN, Cadre de santé
Et toutes les personnes observées et/ou interviewées dans l’étude
Cette étude a été intégralement financée par le CCLIN Ouest