effets d`âge et de génération : transformation du modèle

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effets d`âge et de génération : transformation du modèle
comportement alimentaire
comportement alimentaire
EFFETS D’ÂGE ET DE GÉNÉRATION :
TRANSFORMATION DU MODÈLE
ALIMENTAIRE
Pascale HÉBEL, Fanette RECOURS*
Quelles seront demain les habitudes de consommation et comment évoluera
le modèle alimentaire français ? De nombreux travaux [1, 2], ont mis en évidence qu’il était possible de changer les comportements individuels sur courtes périodes et que des formes de thérapie « cognito-comportementale »
permettent de modifier durablement l’alimentation à des fins de contrôle de
poids corporel.
Les historiens [3] ont montré que sur de très longues périodes, on peut mettre
en évidence des changements sur le modèle alimentaire et le contenu des
repas. Entre ces deux points de vue, quelles seront les évolutions à moyen
terme ? Pour anticiper l’évolution des comportements alimentaires dans les
années à venir, nous proposons de mesurer les forces de l’habitude au travers
d’un modèle générationnel dont l’intérêt réside dans :
– la compréhension nouvelle qu’il donne à la force de l’habitude et aux ruptures qui peuvent opposer des générations entre elles ;
le suivi dynamique des générations qui, à l’aide de modélisation statistique
(modèle Âge – Période – Cohorte) sur des données en évolution, permet d’établir l’existence des effets d’âge et/ou de génération. Ces effets peuvent être
isolés à partir des variables de revenus, de diplôme ou encore de taille ou de
nature du ménage comme l’ont fait de nombreux auteurs [4-6]. Les projections démographiques permettent ensuite de projeter les comportements et
attitudes à l’horizon 2020. Si les nouvelles générations sont plus adeptes
d’un certain comportement que leurs aînées, on peut anticiper « toutes choses égales par ailleurs » que ce comportement se développera avec le remplacement des générations. Si le comportement n’est lié qu’à l’âge et s’il
augmente avec l’âge, le comportement se développera avec le vieillissement
de la population.
Données et méthode
Le CREDOC dispose d’enquêtes historiques depuis 1988
(Enquêtes CAF : 1988, 1995, 1997, 2000, 2003) sur
l’observation des attitudes et la mesure des comportements réels. Ainsi de nombreux thèmes peuvent-ils être
CREDOC, 142, rue du Chevaleret, 75013 Paris.
Correspondance : Pascale Hébel, à l’adresse ci-dessus.
Email : [email protected]
* Conférence IFN de Pascale Hébel.
Cah. Nutr. Diét., 42, 6, 2007
traités, tels que l’approvisionnement, la préparation et le
modèle alimentaire. Les enquêtes de l’INSEE « Budget des
ménages » (1979, 1984, 1989, 1995, 2001) ont été utilisées pour analyser l’évolution des dépenses des ménages
dans le secteur alimentaire.
De nombreux auteurs ont montré qu’en termes de consommation de produits alimentaires, les facteurs les plus discriminants sont avant tout ceux de l’âge et le plus souvent
derrière l’effet d’âge se cache l’effet de génération [8, 9].
Afin d’étudier les effets propres de l’âge et de la génération, le CREDOC a défini des générations, suivies par le
biais des différentes enquêtes du CREDOC et de l’INSEE.
Ces générations sont regroupées en tranches décennales,
297
comportement alimentaire
en prenant comme référence 1947, année qui succède au
pic du baby boom. Ce découpage est celui utilisé par
Babayou et Volatier [8]. Considérant que dans le domaine
alimentaire, une génération est marquée par le comportement qu’elle adopte à 25 ans, âge moyen de la mise
en couple, on nomme les générations en référence aux
habitudes alimentaires qu’elles ont pu adopter dès leur
25e anniversaire :
• Génération « privations » (1907-1916) : ces individus
ont eu 25 ans entre 1932 et 1941, période de crise (le
krach boursier a touché la France plus tard que les autres
pays) et de guerre. Leur comportement se caractérise
par la consommation de la pomme de terre. Ayant connu
les guerres et les privations, elle lui reste très fidèle.
Cette préférence est également liée à la présence de la
pomme de terre et d’autres féculents dans les potagers
d’autrefois et donc à un savoir culinaire plus important
sur cet aliment.
• Génération « rationnement » (1917-1926) : les individus
issus de cette génération ont eu 25 ans entre 1942 et 1951,
périodes des rationnements alimentaires en France. Ses
comportements sont assez proches de ceux de la génération « privations ».
• Génération « réfrigérateurs » (1927-1936) : elle regroupe
les individus qui ont eu 25 ans entre 1952 et 1961, c’està-dire au moment où un nouveau mode de conservation
des aliments est apparu, le réfrigérateur, qui va changer
les comportements alimentaires en permettant une meilleure
conservation de leurs produits.
• Génération « robots ménagers » (1937-1946) : elle correspond aux individus qui ont eu 25 ans entre 1962 et
1971 et qui ont à leur tour connu une révolution dans la
préparation des repas : l’apparition du robot électrique,
qui permet un gain de temps considérable et va contribuer
à diminuer le temps de préparation des repas. C’est à partir de cette génération que va se développer la consommation de produits exotiques.
• Génération « hypermarchés » (1947-1956) : les individus appartenant à cette génération ont eu 25 ans entre
1972 et 1981, époque du développement des hypermarchés que cette génération fréquente volontiers. C’est avec
cette génération que la durée de préparation des repas
s’est mise à diminuer.
• Génération « aliments services » (1957-1966) : les individus appartenant à cette génération ont eu 25 ans entre
1982 et 1991. C’est à cette période qu’ils ont pris l’habitude de consommer des plats achetés préparés, préférant
consacrer leur temps libre à d’autres activités que la préparation des repas.
• Génération « plateau-repas » (1967-1976) : elle correspond aux individus qui ont eu 25 ans entre 1992 et 2001.
Délaissant les hypermarchés, de plus en plus infidèles aux
marques, ces consommateurs, fortement attachés au rapport qualité-prix, se tournent vers les hard discounts.
Cette génération marque une rupture dans le respect des
horaires des repas. Dans cette génération, 25 % des individus de 30 ans ne dînent pas à heure fixe, alors que pour
la génération précédente, au même âge, 20 % seulement
variaient l’heure du dîner. Cette génération pratique le
plus l’usage des plateaux-repas.
Le modèle statistique âge-période-cohorte utilisé est celui
de Rodgers [10] qui préconise de remplacer l’un des trois
effets par des variables qui l’expliquent. En effet, les trois
effets âge, période et cohorte sont colinéaires. L’objet
principal étant d’analyser les effets de cohorte, le modèle
298
choisi ne comporte plus que deux jeux d’indicatrices
(modèle Cohorte-Âge) complétées par une variable explicative qui prend en compte l’effet période. Il s’agit de la
variable de diplôme. La stricte additivité des effets d’âge
et de cohorte repose sur l’hypothèse que les comportements alimentaires par âge n’ont pas évolué au cours des
15 dernières années. Cette hypothèse est bien vérifiée sur
nos données.
Résultats
Praticité et commodité :
baisse des consommations de produits frais
et progression des produis transformés
D’une part, les évolutions de modes de vie, notamment
l’augmentation de l’activité féminine, l’éloignement domicile-travail, l’augmentation de ménages constitués d’un
seul adulte (solos et familles monoparentales), l’augmentation de la durée des études réduisent le temps à consacrer
aux courses et à la préparation alimentaire. D’autre part,
dans une société imprégnée de loisirs, les nouvelles générations sont en recherche constante de temps pour soi [7].
Toutes les catégories sociales des nouvelles générations
sont ainsi de plus en plus à l’affût de produits qui épargnent des tâches peu agréables : épluchage, lavage, préparation et cuisson, et aspirent à ne plus avoir de corvées.
Les « aliments-services » permettent à l’offreur d’obtenir
plus de valeur ajoutée. La technologie a même permis
d’aller plus loin et d’apporter du service au-delà de l’alimentation :
– par le conditionnement (qui sert de récipient de cuisson,
verre/gourde, mûrisseur de viande, doseur) et l’augmentation des informations sur les emballages ;
– par l’incorporation de valeurs immatérielles (comme en
témoignent certaines campagnes publicitaires). L’objet est
décalé de sa valeur d’usage vers sa fonction de signe
social ;
– la distribution fait partie du produit. L’augmentation des
grandes et moyennes surfaces de vente conduit l’offreur a
utilisé ces circuits de distribution devenus obligatoires pour
le développement d’un nouveau produit.
Baisse générationnelle de la consommation de produits
frais
Légumes et fruits ont toujours été une des bases de l’alimentation des Français et font partie du régime culturel et
traditionnel. Pourtant, depuis 1980, leur consommation
diminue. La consommation moyenne des ménages en
fruits frais est passée de 345 euros par an en 1979 à
305 euros par an en 2000, et celle de légumes frais de
340 euros par an à 283 euros par an. Le marché total
des dépenses en fruits frais, lui, est passé de 5 880 millions d’euros par an (respectivement 5 809) à 7 475 millions (respectivement 6 931), soit une progression du
marché de 1,1 % par an (respectivement 0,8 %). L’évolution du marché total est plus forte que celle par ménage
puisque le nombre de ménages augmente de 0,9 % par
an.
La figure 1 montre un effet générationnel marqué pour
la consommation de fruits frais, la génération plateaurepas, née entre 1977 et 1986, dépense 8 fois moins
que la génération de ses grands-parents au même âge.
La diminution des dépenses en légumes frais s’explique
Cah. Nutr. Diét., 42, 6, 2007
comportement alimentaire
par une simplification de la préparation des plats : les
légumes demandent du temps de préparation, ils sont
rarement utilisés tels quels. Cela est moins vrai pour les
fruits frais, qui ne demandent pas de réels investissements de préparation, leur épluchage mis à part. Une
autre raison est alors évoquée : la gestion des stocks et
le refus du gaspillage. Les petits consommateurs de fruits
et légumes frais mettent en avant les problèmes de conservation comme facteur explicatif de leurs faibles consommations. Le modèle générationnel mis en place met
nettement en évidence l’effet de génération sur la consommation de fruits frais. La consommation de fruits et
légumes baisse et cela n’ira pas en s’arrangeant avec les
nouvelles générations. Dans le cadre du débat sur les difficultés des ménages défavorisées et du poids du prix
dans les choix d’achats de fruits et légumes frais, il est
intéressant de regarder si les effets d’âge et de génération évoluent de la même manière chez les personnes
appartenant au quartile ayant les plus bas revenus. On
constate que pour les plus pauvres, sur la figure 2, la
consommation de fruits et légumes frais décroît avec
l’âge ou avec le temps, l’effet de la baisse est plus fort
pour cette catégorie de population. Le décalage de
niveau de consommation entre la génération hypermarché et aliments-services est beaucoup plus fort dans les
catégories défavorisées. Compte tenu des évolutions de
En euros par an
500
450
400
1984
1979
1995
1989
2001
*
* ************
*
*
*
350
300
250
200
150
100
50
0
13-22
18-27
23-32
28-37
33-42
38-47
43-52
48-57
53-62
58-67
63-72
68-77
73-82
78-87
83-92
Source : Enquêtes BDF 1979, 1984, 1989, 1995, 2000 (INSEE)
Génération PLATEAU-REPAS (1977-1986)
Génération HARD Discount (1967-1976)
Génération ALIMENT-SERVICES (1957-1966)
***
Génération MAI 68 – Hypermarché (1947-1956)
Génération ROBOT-ÉLECTRIQUE (1937-1946)
Génération RÉFRIGÉRATEUR (1927-1936)
Génération RATIONNEMENT (1917-1926)
Génération PÉNURIE (1907-1916)
Figure 1.
Effets d’âge et de génération sur les dépenses en fruits frais, par ménage (euros constants 1995, par an).
En euros par an
400
1979
350
1984
300
**
** ** * 1989 1995
**
2001
***
250
200
150
100
50
0
13-22
18-27 23-32 28-37 33-42 38-47 43-52 48-57 53-62 58-67 63-72 68-77 73-82 78-87 83-92
Source : Enquêtes BDF 1979, 1984, 1989, 1995, 2000 (INSEE)
Génération PLATEAU-REPAS (1977-1986)
Génération HARD Discount (1967-1976)
Génération ALIMENT-SERVICES (1957-1966)
***
Génération MAI 68 – Hypermarché (1947-1956)
Génération ROBOT-ÉLECTRIQUE (1937-1946)
Génération RÉFRIGÉRATEUR (1927-1936)
Génération RATIONNEMENT (1917-1926)
Génération PÉNURIE (1907-1916)
Figure 2.
Effets d’âge et de génération sur les dépenses en fruits frais, par ménage appartenant au dernier quartile de revenus (euros constants 1995, par an).
Cah. Nutr. Diét., 42, 6, 2007
299
comportement alimentaire
la population, du revenu et des seuls effets d’âge et de
génération, notre modèle prévoit, toutes choses égales
par ailleurs, une baisse du marché des fruits frais et du
marché des légumes frais de 0,8 % chacun par an en
euros constants 1995 à l’horizon 2020. Le niveau
d’agrégation des données dans l’enquête Budget des
familles de l’année 2000 ne nous permet pas de cerner
les évolutions des différents types de fruits. En effet,
Volatier [8] montre qu’il ne faut pas simplement opposer
les seniors adeptes de fruits aux juniors qui n’en mangeront plus dans les années à venir. Le phénomène n’est
pas tant une opposition des produits frais par rapport
aux produits non frais, mais plutôt une opposition des
fruits traditionnels (pommes, poires, etc.), davantage
consommés par les seniors, aux fruits plus raffinés (fruits
rouges) ou exotiques (ananas, mangue), préférés par les
jeunes.
Pour l’ensemble des produits frais (fruits et légumes frais,
pommes de terre, pain, viande de veau et de bœuf, poissons et crustacés, beurre), la baisse des consommations
s’explique par des effets générationnels négatifs. Pour le
beurre ou la viande de bœuf par exemple, les acteurs de la
filière ont depuis longtemps identifié ce phénomène et ont
réagi en proposant des produits à plus forte valeur ajoutée
(beurre à tartiner, viande à teneur faible en matières grasses, viande sous vide, viandes casher, etc.).
Hausse générationnelle pour les produits transformés
L’effet observé est inverse sur les produits transformés
(ultra frais, plats préparés et en conserve, boissons rafraîchissantes sans alcool et produits diététiques). Les niveaux
de dépense de ces produits sont portés par les nouvelles
générations. À l’horizon 2020, on peut anticiper que
« toutes choses égales par ailleurs », ces marchés se développeront avec des croissances de l’ordre de 1 à 2 %.
L’essor de l’ultra frais (consommation en volume 25 fois
plus élevée en 40 ans) est l’illustration la plus flagrante de
ce remplacement des produits de base par des produits
élaborés.
Les conserves et plats préparés à base de viande connaissent une croissance importante, aussi bien au niveau
de l’offre que de la demande : les dépenses annuelles
par ménage sont passées de 639 euros par an en 1979
à 872 euros en 2000, soit un taux de croissance annuel
de 0,3 %. Le « prêt à consommer » s’adapte à toutes les
demandes alimentaires : disponible dans tous les
commerces et pour tous les types de consommation.
Les chances que le phénomène s’inverse sont faibles,
compte tenu du double effet d’âge et de génération :
non seulement les individus des générations récentes consomment davantage ce type de produit mais en plus, ils en
consomment davantage à mesure qu’ils vieillissent. Participant à la simplification du repas, ces plats apportent un
gain de temps substantiel. De plus, comme pour les produits exotiques, les plats tout prêts permettent de varier
facilement les menus, élément important du nouveau
mode de consommation alimentaire. Les nouvelles
générations devraient ainsi privilégier les produits transformés au détriment des produits frais (viandes, fruits,
légumes), même si ceux-ci réapparaissent dans la « cuisine-loisir », plus occasionnelle mais visible ces dernières
années à travers la multiplication des clubs de cuisine et
le succès des livres de recettes.
300
Évolution du modèle alimentaire
Davantage de flexibilité dans les horaires
L’horaire du dîner a connu une forte évolution. Lui qui fut
longtemps le repas du milieu de la journée, il a peu à peu
vu ses horaires devenir de plus en plus tardifs, jusqu’à
prendre la place du souper. Aujourd’hui, on situe le repas
aux alentours de 20 h, mais en réalité, un nouveau phénomène naît, caractéristique des nouvelles générations :
l’heure du dîner est de moins en moins la même chaque
soir, comme si l’horaire s’adaptait à l’individu et non plus
l’inverse. Les individus souhaitent de plus en plus planifier
leur vie quotidienne selon des rythmes qui leur sont propres. 20 % des individus ne dînent pas à heure fixe en
2003 (variation de plus d’une heure au moins) alors qu’ils
n’étaient que 15 % en 1995.
L’étude montre que l’augmentation du pourcentage d’individus ne dînant pas à heure fixe s’explique principalement
par les effets de génération : au même âge (25 ans), elle
est trois fois plus importante pour la génération hard discount (née entre 1967 et 1976) que pour la génération de
leurs grands-parents (génération réfrigérateurs, née entre
1927 et 1936). Si avant la génération aliment-service (née
entre 1957 et 1966) les évolutions étaient plutôt liées à
l’âge (plus l’on vieillit, plus l’on respecte les horaires des
repas qui scandent la journée, surtout chez les retraités),
c’est un effet purement générationnel qui apparaît à partir
de la génération hard discount : celle-ci dîne encore
moins souvent à heure fixe. Cette génération a entre 28
et 38 ans en 2003, et même si la jeunesse s’étend
aujourd’hui sur une période plus longue, la plupart des
individus de cette génération ont déjà une vie familiale sans
avoir modifié leur comportement. Cela laisse augurer une
accentuation de l’effet dans les prochaines années. Les
nouvelles générations fuient la régularité. Ce phénomène
a été observé sur la régularité des rendez-vous télévisuels,
notamment le journal de 20 h. Plus l’on appartient à une
génération ancienne, plus l’on est fidèle quotidiennement
aux mêmes émissions. Les jeunes sont plus nombreux à
ne pas respecter l’horaire, la plupart n’ayant pas encore
de bouches autres que les leurs à nourrir.
La figure 3 représente, pour chaque génération, l’évolution de son comportement moyen entre 1995 et 2003.
Pour la génération née entre 1967 et 1976, 31 % des
ménages dont le représentant du ménage a 23 ans ne
dînent jamais à heure fixe en 1995. Ils sont 33 % en 1997
(c’est-à-dire quand ils ont 26 ans), 34 % en 2000 (c’est-àdire quand ils ont 29 ans), 27 % en 2003 (c’est-à-dire
quand ils ont 33 ans). Le but de ce graphique est de pouvoir comparer le comportement de chaque génération au
même âge. En lisant le graphique de gauche à droite, chacune des courbes se situe au-dessus de la suivante, mettant
en évidence l’hypothèse d’un effet générationnel. La rupture est très claire avec la génération née entre 1967 et
1976.
Perte de prestige pour la table, développement
du plateau-repas
La table entourée de ses chaises joue un rôle déterminant
dans le repas depuis le XVIIIe siècle. Aujourd’hui pourtant,
celle-ci voit sa fonction diminuer et être peu à peu remplacée par la formule « plateaux-repas » : On mange ailleurs
qu’à table, sur un plateau, devant la télévision ou au salon.
Ce genre de pratique fait même irruption dans l’univers de
Cah. Nutr. Diét., 42, 6, 2007
comportement alimentaire
% de ménages
40
35
30
25
20
***********
2003
1995
15
1997
2000
10
5
0
23
26
29
33
36
39
43
46
49
53
56
59
63
66
69
73
76
79
83
Âge
Source : CREDOC, CAF 1995, 1997, 2000, 2003
Génération LOW-COST (1967-1976)
Génération ALIMENT-SERVICES (1957-1966)
***
Génération HYPERMARCHÉ (1947-1956)
Génération ROBOT-ÉLECTRIQUE (1937-1946)
Génération RÉFRIGÉRATEUR (1927-1936)
Génération RATIONNEMENT (1917-1926)
Figure 3.
Pourcentage de ménages ayant répondu « Pas d’heure fixe » à la question « Dînez-vous tous les soirs à heure fixe ? »
Source : CREDOC, CAF 1995, 1997, 2000, 2003.
% d’individus
70
60
1995 1997 2000 2003
*
**
*
**********
2003
50
1997
1995
2000
40
1995
2003
2003
2000
1997
1997
1995
2000
30
20
10
0
23
26
29
33
36
39
43
46
49
53
56
59
63
66
69
73
76
79
83
Âge
Source : CREDOC, CAF 1995, 1997, 2000, 2003
Génération LOW-COST (1967-1976)
Génération ALIMENT-SERVICES (1957-1966)
***
Génération HYPERMARCHÉ (1947-1956)
Génération ROBOT-ÉLECTRIQUE (1937-1946)
Génération RÉFRIGÉRATEUR (1927-1936)
Génération RATIONNEMENT (1917-1926)
Figure 4.
Cumul des réponses « tous les jours ou presque », « au mois une fois par semaine », « rarement » à la question :
« Vous arrive-t-il de faire des plateaux repas ? »
Source : CREDOC, CAF 1995, 1997, 2000, 2003.
la réception et de la convivialité puisque 10 % des Français
servent parfois un « plateau-repas » à leurs invités. Il appartient désormais au quotidien puisqu’un ménage sur deux le
pratique au moins une fois par semaine, contre un tiers en
1995. Le « plateau-repas » est plus fréquent chez les jeunes
(68 % l’utilisent, contre 30 % des 65 ans et plus), les Parisiens (36 % y recourent au moins une fois par semaine,
contre 21 % des ruraux), les personnes seules (deux fois
plus nombreuses qu’en moyenne à faire un plateau-repas
tous les jours), ainsi qu’au sein des familles monoparentales
(75 % l’utilisent, contre 38 % des couples sans enfants).
Cah. Nutr. Diét., 42, 6, 2007
Là encore, sur la figure 4, ce n’est pas tant l’âge qui joue
sur la pratique des plateaux-repas mais bien un effet de
génération, accompagné d’un effet de période : chaque
génération pratique moins le plateau-repas que la suivante. Au même âge (25 ans), les individus de la génération hard discount (1967-1976) sont deux fois plus
nombreux que leurs grands-parents de la génération
« réfrigérateurs » (1927-1936) à prendre des plateauxrepas (62 % contre 30 %). Le pourcentage de ménages
qui font des plateaux-repas devrait donc encore augmenter dans les années à venir.
301
comportement alimentaire
70
%
2003
65
60
55
2003
1997
*
**
*
*
**
*
*****
2000
1997
50
45
40
35
30
26
29
33
36
39
43
46
49
53
56
59
63
66
69
73
76
79
83
Âge
Source : CREDOC, CAF 1995, 1997, 2000, 2003
Génération LOW-COST (1967-1976)
Génération ALIMENT-SERVICES (1957-1966)
***
Génération HYPERMARCHÉ (1947-1956)
Génération ROBOT-ÉLECTRIQUE (1937-1946)
Génération RÉFRIGÉRATEUR (1927-1936)
Génération RATIONNEMENT (1917-1926)
Figure 5.
Pourcentage de ménages ayant répondu « Un plat principal et fromage ou fruit ou dessert »
à la question « Habituellement le soir, que mange-t-on chez vous ? »
Source : CREDOC, CAF 1995, 1997, 2000, 2003.
Repas complet et repas à deux composantes
(plat principal et fromage/fruit ou dessert)
La tendance à la simplification des repas, déjà amorcée il
y a quelques années, semble désormais bien installée :
l’abandon progressif de la formule « repas complet » à
quatre composantes s’accompagne de la diffusion d’un
repas à deux composantes, dans lequel le plat principal
est maintenu et complété par autre chose.
Malgré le peu de points représentés (la question concernant le contenu des repas n’avait pas été posée en 1995),
en lisant la figure 5 de gauche à droite, on note que chaque courbe se situe au-dessus de la suivante, supposant un
effet générationnel. De plus, les courbes sont presque toutes croissantes et parallèles entre elles, ce qui fait penser
à un effet de période : chaque génération a augmenté sa
pratique des plateaux-repas.
Toutes les générations ont ainsi augmenté leur nombre de
repas composés uniquement d’un plat et d’un dessert ou
du fromage avec l’âge, et chaque génération applique
davantage cette composition des repas que la précédente.
Le détail des autres composantes du modèle alimentaire
est décrit dans le rapport de Bodier [6].
Montée de la préoccupation santé
Les aliments, au-delà de leur fonction vitale et indispensable, sont des vecteurs de nutriments et d’énergie dotés
d’un fort potentiel symbolique. On sait que le principe
d’incorporation demeure en filigrane dans nos têtes de
consommateurs, et qu’inconsciemment, nous associons
encore les qualités premières de l’aliment (par exemple
l’énergie du bœuf vivant, la pureté et la naturalité du lait,
etc.) à des promesses ou des menaces pour notre propre
être. D’où la forte déstabilisation due à la crise de la
vache folle : nous nous sommes rendu compte qu’un ali302
ment fait pour nous donner la vie et l’énergie pouvait
nous tuer. L’inversion de valeur que représentait cette
crise a fortement marqué les esprits.
Cette « symbolique » recouvre deux domaines : celui du
risque, de la menace et a contrario de la sécurité, et celui
de la santé. Manger pour vivre, c’est bien l’évidence qui
frappe pratiquement toutes les personnes interrogées.
Mais aujourd’hui, c’est un autre credo que l’on peut
entendre : manger pour vivre plus longtemps et en
meilleure santé. L’alimentation vise à améliorer la santé,
le bien être et à réduire les risque de développement de
certaines pathologies. En 2003, 85 % des ménages
interrogés estiment que la manière dont ils mangent
influence leur état de santé. Cette opinion est en croissance puisqu’elle atteignait 79 % en 2000 et 75 % en
1997 (fig. 6).
Permanence de l’alimentation plaisir
À cela, il faut ajouter un élément permanent de la culture
française, qui ne s’exprime plus en termes de contenu,
de vertu attendue de l’aliment, mais liés aux qualités
organoleptiques de cet aliment : le goût, voire le plaisir
qui s’y rapporte. L’aliment est une source de plaisir.
C’est par celui-ci, voyageant entre l’inné (sucré/salé/
amer/acide) et l’acquis, fait de découvertes, de néophobie, d’engouements, que nous pouvons trouver l’envie
répétée de nous nourrir. Qu’ils soient interrogés en
pleine période de crise, comme en 2000, ou en dehors
(avant 1996), les consommateurs ne varient pas sur un
point : le « bien manger », c’est d’abord le goût et le plaisir que l’on trouve à ingérer un aliment. Adultes comme
enfants privilégient cette dimension avant toute autre
dans leur représentation de l’alimentation. 26 % des
adultes et 42 % des enfants placent spontanément cette
notion en tête, avant celles d’équilibre (24 et 16 %) et de
Cah. Nutr. Diét., 42, 6, 2007
comportement alimentaire
85%
Mots-clés : Modèle âge-période-cohorte – Comportement
alimentaire – Effets de génération – Enquête de consommation.
Abstract
79%
75%
Source : Enquêtes CREDOC, CAF 1997, 2000 et 2003
Figure 6.
Pensez-vous que la manière dont les personnes de votre foyer (y compris
vous-même) mangent a une influence sur leur état de santé ?
satiété (18 et 17 %). Cette dimension se développe au
travers des invitations chez soi qui augmentent avec le
niveau de vie.
Les dimensions générationnelles sont importantes à prendre en considération parce qu’elles conditionnent la façon
dont l’information doit être véhiculée pour faire évoluer
les comportements.
Résumé
Le modèle alimentaire traditionnel des français reposant
sur la convivialité, la diversité alimentaire, la régularité des
horaires des repas, etc. est de moins en moins suivi par
les jeunes générations. Par ces changements générationnels, on assiste non pas à une disparition du modèle alimentaire français ou à une déstructuration des repas mais
à une modification de ce modèle : diminution du nombre
de plats et des temps de préparation, irrégularité des
horaires de repas, augmentation des plateaux-repas et
essor des produits transformés et plats exotiques au détriment des produits de base. Cette évolution répond aux
modifications des modes de vie qui demandent du gain de
temps, de la praticité et de la commodité. Les jeunes
générations consomment de moins en moins de produits
frais et de plus en plus de produits transformés. Cette tendance de fond s’accompagne d’une préoccupation grandissante vis-à-vis de la santé qui gagne toutes les
générations et se traduit par une croissance forte des segments de marché de l’alimentation santé. La troisième
dimension du triptyque alimentaire est le fondement de
base de l’alimentation française qui perdure sous de nouvelles formes : le plaisir dans l’alimentation. Il se traduit
par le développement des invitations chez soi sous forme
d’apéritifs dînatoires et de la cuisine loisir qui prend forme
au travers des cours de cuisine.
Cah. Nutr. Diét., 42, 6, 2007
The traditional food model of French resting on userfriendliness, food diversity, the regularity of the schedules
of the meals… is less and less followed by the younger
generations. By these generational changes, one attends
not with a disappearance of the French food model or
with a destructuration of the meals but a modification of
this model: reduction in the number of dishes and the
make-ready times, irregularity of the schedules of meal,
increase in the tray meals and rise of products the processed and flat exotics with the detriment of the basic
commodities. This evolution answers the modifications of
the ways of life which require saving of time, praticity and
convenience. This basic trend is accompanied by a concern growing with respect to the health which gains all
the generations and results in a strong growth of the market segments of the food health. The third dimension of
the food triptych is the basic base of the French food
which perdure in new forms: pleasure in the food. It
results in the development of the invitations at home in
the form of aperitifs dînatoires and of the kitchen leisures
which takes form through the courses of kitchen.
Key-words: Age – Period – Cohort model – Eating habits
– Generation effects – Consumer survey.
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